HABITER LES FAUBOURGS ET LES BANLIEUES
NOUVELLES APPROCHES CROISÉES
16-17 NOVEMBRE 2023
LE MANS, AUDITORIUM DU MUSÉE JEAN-CLAUDE
BOULARD-CARRÉ PLANTAGENÊT
SOUS LA DIRECTION DE MURIEL COHEN ET MARIE FEREY
ACTES
DU COLLOQUE
HABITER LES FAUBOURGS
ET LES BANLIEUES
NOUVELLES APPROCHES CROISÉES
16-17 novembre 2023
Le Mans, auditorium du musée Jean-Claude BoulardCarré Plantagenêt
INTRODUCTION
Vivre dans les faubourgs et les banlieues : du territoire aux habitants — 6
Muriel Cohen et Marie Ferey
FABRIQUER LES PÉRIPHÉRIES
Par-delà faubourg et banlieue : vers une histoire décloisonnée de l’habitat des campagnes textiles de la France du Nord (fin xviiie-début xxe siècle) — 28 Hessam Khorasani Zadeh
Formes urbaines des boulevards de Clermont-Ferrand (1880-1940) : reflets d’interventions collectives et individuelles — 46 Félicie Fougère
Une banlieue « d’art modeste et d’histoires simples » : aux origines de la Maison de Banlieue d’AthisMons (1977-2001) — 66
Romane Carballo
Le désir de maison individuelle et son effacement en Union soviétique. Riga, années 1960 — 86
Eric Le Bourhis
Métropolisation et recompositions des anciens faubourgs coloniaux de la ville d’Oran — 108 Badreddine Yousfi et Imen Bensalah
HABITANTS DANS LEUR LOGEMENT
Le modèle Levitt : de la suburbia américaine aux périurbains aisés d’Île-de-France — 130 Élodie Bitsindou
Vu de l’intérieur : expériences et récits d’habitants de grands ensembles dans la seconde moitié du xxe siècle — 152
Matthias Millon
Habiter la Zone. Statut d’un territoire et pratiques habitantes, Paris-banlieue, 1900-1960 — 172
Isabelle Backouche
Dapu , les pratiques du logement des travailleurs migrants chinois en banlieue parisienne.
Le cas de Bagnolet — 198 Juan Du
Du cabanon au Tétrodon : trois corpus photographiques du Musée national de l’histoire de l’immigration — 218 Hélène Bocard
Patrimonialiser par l’habiter ?
Le musée des Gratte-Ciel de Villeurbanne — 236 Aliénor Wagner-Coubès
VIE DE QUARTIER : COMMUNAUTÉ ET CONFLITS
Habiter les faubourgs lucquois à la fin du Moyen Âge — 258
Diane Chamboduc de Saint Pulgent
Les femmes du faubourg : saisir le genre de l’habiter médiéval à travers la criminalité sexuelle dénoncée à Dijon au xve siècle — 276 Maëliss Nouvel
Le territoire des émotions populaires. Les faubourgs du Mans au xixe siècle — 298 Karl Zimmer
De l’entre-soi européen aux violences coloniales ? Deux faubourgs de Guelma et d’Alger, deux pôles de la réaffirmation coloniale (1945-1962) — 318 Thierry Guillopé
Habiter en banlieue rouge, un idéal vu par… le PCF — 334 Julie Cazenave et Danielle Tartakowsky
Chante-Coucou. La fabrique d’un documentaire entre histoire et mémoire — 356 Yann Launay
TABLE RONDE
Banlieues et musées : enjeux de patrimonialisation, de valorisation et de médiation — 376 Gaïd Andro, Jacques Bonniel, Julie Bouillet, Anne-Laure Chambaz, Aurélien Fayet
CONCLUSION
« Habiter les faubourgs et les banlieues » : une histoire du temps présent — 396 Emmanuel Bellanger
Centre commercial des Sablons vers 1970, Le Mans. © Ville du Mans.
VIVRE DANS LES FAUBOURGS ET LES BANLIEUES : DU TERRITOIRE
AUX HABITANTS
MURIEL COHEN
Maîtresse de conférences en histoire contemporaine à Le Mans Université, laboratoire TEMOS, membre de l’AMuLoP
MARIE FEREY
Chercheuse à l’Inventaire général, service Patrimoine, Région Pays de la Loire
À l’origine de cet ouvrage se trouve le colloque « Habiter les faubourgs et banlieues de la fin du Moyen Âge à aujourd’hui. Nouvelles approches croisées sciences sociales, patrimoine et médiation », qui s’adossait à l’exposition « Mécanique d’une ville, les faubourgs du Mans » au musée Jean-Claude Boulard-Carré Plantagenêt. Cette exposition visait à restituer les résultats d’une étude menée par l’Inventaire général du patrimoine de 2017 à 2023 sur les faubourgs manceaux, particulièrement centrée sur l’habitat. Ces trois dispositifs (étude d’inventaire, exposition, colloque) ont permis d’aborder l’histoire des faubourgs et banlieues avec des approches complémentaires : patrimoine, médiation et sciences sociales. Ils ont ainsi conduit à faire dialoguer des acteurs qui ne sont pas toujours habitués à travailler ensemble et donc à confronter leurs méthodes propres et leurs regards sur ces espaces. Le sujet des banlieues, objet brûlant qui oblige chacun à s’interroger sur la manière d’en parler au mieux, s’y prête sans doute particulièrement.
Créé en 1964 par André Malraux, l’Inventaire général s’est d’abord intéressé à l’analyse des zones rurales considérées comme plus menacées que les villes par les mutations territoriales de l’après-guerre. L’Inventaire général ne s’est tourné vers l’étude des villes qu’à partir des années 19801. Ces premières études urbaines menées par l’Inventaire nécessitent une adaptation méthodologique et ne se concentrent que sur les centres urbains. Il fallut attendre l’étude sur Rennes publiée en 2004 pour observer une approche systémique de la ville et un travail complet sur « les formes de l’extension urbaine » et « le rôle du lotissement dans la définition des périphéries ». L’ouvrage Divers/Cités : les grands ensembles, Bourgogne et Chalon-sur-Saône paru en 2019 constitue un tournant dans les thématiques étudiées et valorisées : le grand ensemble faisait son entrée à l’Inventaire général. L’étude sur Le Mans se veut pionnière en ce que le territoire étudié est exclusivement celui de la périphérie2. Cette inflexion de la part de l’Inventaire est notamment révélatrice d’un changement de regard des professionnels du patrimoine sur l’habitat ordinaire.
PAR-DELÀ FAUBOURG ET BANLIEUE : VERS UNE HISTOIRE DÉCLOISONNÉE DE L’HABITAT DES CAMPAGNES
TEXTILES DE LA
FRANCE DU NORD
(FIN XVIIIE-DÉBUT
XXE SIÈCLE)
HESSAM KHORASANI ZADEH Architecte
Docteur en histoire (EHESS) et en urbanisme (IUAV)
Maître de conférences associé à l’ENSAP de Lille et chercheur au laboratoire Territoires, villes, environnement et société (TVES)
Plaine de la Lys, fragment de campagnes du lin « de gros » vers 1825 (extrait de la carte d’Étatmajor). © IGN.
Faubourg et banlieue ont, depuis longtemps, désigné des espaces situés à l’extérieur des limites administratives ou des enceintes fortifiées des villes. Les deux mots ne se réfèrent pas aux mêmes territoires et ne renseignent pas ces derniers de la même manière. Le mot faubourg qualifie, presque toujours, un habitat aggloméré – le long des voies de communication et en périphérie immédiate des villes – que l’on peut a priori circonscrire ; il désigne de ce fait un stade initial de débordement de la ville sur la campagne et n’est que rarement utilisé dans le contexte d’une urbanisation avancée et massive. Le mot banlieue est moins précis que le mot faubourg quant à la morphologie, l’étendue géographique et la chronologie de l’urbanisation de l’espace désigné1 ; il se réfère à une réalité sociospatiale plus large qui peut, toutefois, contenir le phénomène faubourien et évoque toujours une dépendance fonctionnelle et symbolique de l’espace périphérique caractérisé en tant que tel vis-à-vis d’une ville centre2. L’usage de ce terme peut donc se révéler problématique lorsqu’une distinction nette entre un centre, d’un côté, et une périphérie, de l’autre côté, n’est pas possible.
Parmi les différentes configurations sociospatiales qui posent ce type de difficulté, on pourrait citer de nombreuses régions de l’Europe proto-industrielle de la fin du xviiie siècle et du début du xixe siècle caractérisées par l’absence de grandes villes et la présence, au contraire, d’un tissu, souvent dense, de moyennes et petites villes, ainsi que de bourgs et villages agroindustriels. Dès le début du xix e siècle, la concentration des activités industrielles dans des manufactures situées dans et à proximité d’un certain nombre de ces moyennes et petites villes a contribué à une polarisation du territoire et, dans une certaine mesure, à l’émergence de grandes villes. Toutefois, même à l’issue de ces transformations, lorsque les bourgs et les villages densément habités se seraient en partie vidés de leurs habitants et que les hiérarchies entre les villes se seraient fortement modifiées, il est souvent difficile, pour ces territoires, de distinguer une ville de sa banlieue, c’est-à-dire un centre et une périphérie.
En prenant l’exemple du département français du Nord, assez représentatif de territoires décrits plus haut, je tâcherai de souligner l’intérêt et les limites du recours aux catégories de banlieue et de faubourg pour y décrire le fait urbain. Pour cela, je m’intéresserai à la fois au second mouvement de son industrialisation, celui de la concentration industrielle qui engendre l’émergence des faubourgs et banlieues denses du xix e siècle, et au premier, celui de la proto-industrialisation, dont les conséquences ont été davantage étudiées par les historiens de l’économie que dans le champ de l’histoire urbaine. Si le deuxième mouvement marque l’émergence de la grande ville et préfigure la métropole, mon hypothèse est que le premier peut être lu comme une diffusion, dans les territoires ruraux, non pas seulement de l’industrie, mais de la ville et de l’ urbanité . Embrasser l’ensemble des transformations territoriales liées aux activités industrielles présentes sur un espace aussi vaste étant impossible, l’analyse s’appuiera uniquement sur l’activité textile, grâce à une revue de la littérature 3 et à des enquêtes menées sur plusieurs communes4.
UNE LECTURE DU TERRITOIRE À PARTIR DE FILIÈRES TEXTILES
La présence de l’activité textile dans les campagnes d’un large territoire allant de la Somme à la Flandre est attestée dès le Moyen Âge, et ce malgré les mesures mises en place par les villes pour défendre leurs privilèges. Les historiens s’accordent sur le fait que l’arrêté du Conseil du Roi de 1762, qui autorise l’installation
FORMES URBAINES DES BOULEVARDS DE CLERMONTFERRAND (1880-1940) : REFLETS
D’INTERVENTIONS COLLECTIVES ET INDIVIDUELLES
FÉLICIE FOUGÈRE
Conservatrice du patrimoine
Responsable de l’unité Ressources, chercheuse, service Inventaire du Patrimoine culturel de la région Auvergne-Rhône-Alpes
Façade de l’immeuble no 24 avenue d’Italie, Clermont-Ferrand.
© Christian Parisey / Région Auvergne-RhôneAlpes, Inventaire général du Patrimoine culturel.
L’Inventaire général a pour mission de recenser, étudier et faire connaître le patrimoine culturel. Au cours de la soixantaine d’années de son existence, il a vu son spectre d’investigation s’élargir et s’étoffer.
Ainsi, il a peu à peu incorporé les problématiques des études urbaines à ses principes et méthodes. Cet article présente une de ces études qui investit, de façon topographique, un élément important dans la constitution de la ville de Clermont-
Ferrand : les boulevards de ceinture. Conçus à l’origine comme un moyen de tracer depuis la gare une promenade de tour de ville, ces boulevards s’ouvrent, entre la fin du xix e siècle et les années 1930, dans un espace faubourien à caractère agricole ou industriel qu’ils contribueront à urbaniser. Ainsi, cette recherche interroge le processus de constitution du tissu urbain. Comment et par qui la ville, et en particulier la périphérie urbaine, gagne-t-elle de l’ampleur ?
« Questionner la fabrique de la ville, c’est focaliser l’attention sur des réalisations effectives, examiner plus attentivement non pas la ville faite ou à faire mais la ville en train de se faire1. » Les « réalisations effectives » se présentent au chercheur de l’Inventaire dans toute la variété du réel. Quels sont alors les indices matériels ou morphologiques du processus de « fabrique de la ville » ?
La démarche de Mickaël Darin2 a servi de guide de l’enquêteur :
le relevé de ce qu’il nomme les « fausses notes » (pignons d’alignement3, murs aveugles, murs d’héberge4, renfoncements ou saillies5), ces irrégularités du tissu urbain dont il fait l’éloge, sont autant de témoins de la conception urbaine.
Nous verrons dans un premier temps comment l’ouverture de cette ceinture de boulevards reflète la tension ou la conjugaison entre l’action collective et les actes individuels. Nous évoquerons ensuite comment les observations de terrain peuvent renseigner le degré d’homogénéité du bâti en prenant en compte deux secteurs très différents : l’un pour lequel l’initiative individuelle est forte, l’autre où se joue une contrainte collective contractuelle. Puis, nous nous livrerons à l’étude d’un cas d’identité formelle ayant pour racine un enchaînement d’interventions isolées. Enfin, nous nous interrogerons sur l’évolution du bâti lorsque la ville gagne les bordures et englobe ce qui, à l’origine, constituait une périphérie.
CHRONOLOGIE DE L’OUVERTURE DES BOULEVARDS DE CLERMONT : ALÉAS
DE LA GRANDE ET DE LA PETITE HISTOIRE
Les boulevards de Clermont-Ferrand dessinent un ovale régulier enserrant la butte de Clermont, éminence de nature volcanique, sur laquelle se dresse la vieille ville. Il ne s’agit pas de boulevards au sens strict dans la mesure où ils n’ont pas pris la place des anciennes fortifications, mais plutôt d’une voie de contournement rendue nécessaire par le relief affectant le centreville. Si l’on se fie à leur tracé régulier, ces boulevards semblent issus d’une planification. Cependant, les archives ne recèlent aucun projet d’ensemble figuré. De plus, la restitution du phasage chronologique nous apprend que l’ouverture de ces boulevards ne s’est pas faite en une progression régulière consistant à partir d’un point A pour y revenir en ayant franchi les étapes successives du tracé circulaire. L’ouverture du boulevard Lavoisier, au nord de l’agglomération, débute dans les années 1910. Des tronçons sont réalisés avant qu’éclate la Première Guerre mondiale et il faudra
UNE BANLIEUE « D’ART MODESTE ET D’HISTOIRES SIMPLES » : AUX ORIGINES DE LA MAISON DE BANLIEUE D’ATHISMONS
(1977-2001)
ROMANE CARBALLO
Doctorante en histoire contemporaine, Centre d’histoire sociale des mondes contemporains (CHS), Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
La Maison de Banlieue et de l’Architecture d’AthisMons en 2014. © Pierre Poschadel / CC BY-SA 4.0.
Depuis 1999 la ville d’Athis-Mons, à 12 km au sud de Paris, est le siège d’une Maison de Banlieue et de l’Architecture qui propose des expositions, animations et parcours urbains autour de l’histoire et du patrimoine banlieusards. Cependant pour comprendre la création de cette Maison, il faut remonter aux années 1970 et balayer trente ans d’histoire communale, durant lesquels les acteurs locaux s’intéressent précocement à l’histoire des habitants d’Athis-Mons et à des formes de logement populaire ayant moins d’un siècle, en cherchant à les élever au rang d’un patrimoine qui serait typique de la banlieue. Par le biais de diverses « opérations » mêlant recherche et exposition et débouchant sur une structure pérenne en 1999, c’est donc un lent processus de légitimation d’un patrimoine banlieusard « d’art modeste et d’histoires simples1 » qui se joue à Athis-Mons.
En effet Athis-Mons peut être considérée comme un cas d’école du développement de la banlieue parisienne, ayant accueilli sur son territoire les phases typiques de l’urbanisation banlieusarde2 :
— Athis et Mons sont deux villages de vignerons installés sur le coteau de la vallée de la Seine depuis le Moyen Âge, et réunis en une seule commune en 1817.
— Au milieu du xixe siècle, l’arrivée du chemin de fer couvre le coteau de maisons de villégiature bourgeoises (phase 1).
— Dans l’entre-deux-guerres, une marée de lotissements pavillonnaires s’installe sur le plateau agricole (phase 2). La population de la commune est multipliée par cinq entre 1896 (2 000 habitants) et 1936 (11 000 habitants).
— Dans les années 1960, des grands ensembles sont construits sur les espaces laissés libres par les lotissements (phase 3).
Cette diversité des formes de l’urbanisation communale n’échappe pas aux habitants. Dès les années 1970, une suite d’« opérations » historiques menées sur la commune s’intéresse
au processus de formation de la banlieue. L’usage du terme « opération » désigne ici la reprise d’une formule associant plusieurs étapes3 :
1 — Un accord entre une association culturelle nommée Athis-Animation et la mairie d’Athis-Mons autour d’un thème.
2 — La collecte de témoignages et documents auprès des habitants, associée à des recherches en archives.
3 — La restitution de ces informations dans une exposition accompagnée d’animations culturelles.
4 — La pérennisation des résultats dans une publication.
À partir de l’étude de trois
de
ces opérations, nous chercherons à comprendre l’origine de cet
intérêt précoce des acteurs locaux pour les « histoires simples » des banlieusards et les « arts modestes » de l’habitat de banlieue, intérêt ayant mené à la création d’une des rares structures culturelles consacrées à la banlieue en France4 .
Dans la majorité de ces opérations, le premier but recherché est d’abord social : il s’agit de mobiliser la population autour d’un projet collectif, en s’appuyant sur les histoires de vie des habitants, jugées plus accessibles que le travail historique « classique » en archives. Ainsi, la première opération (1978-1983) s’intéresse à la vie dans la commune au début du xxe siècle, mais le projet s’écarte de la simple histoire locale en réinscrivant l’histoire d’Athis-Mons dans celle du développement de la banlieue
LE DÉSIR DE MAISON INDIVIDUELLE ET SON EFFACEMENT EN UNION SOVIÉTIQUE. RIGA, ANNÉES 1960
ERIC LE BOURHIS
Maître de conférences en langue, littérature et civilisation lettones, Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), Centre de recherche Europes-Eurasie (CREE)
Maison située au 19 Seconde ligne de Vecmīlgrāvis, septembre 1974, fonds 270, inventaire 3, dossier 5961. © Latvijas Valsts arhīvs (Archives d’État de Lettonie).
L’habitat de la périphérie des villes soviétiques est souvent associé au logement collectif : baraques et petits immeubles près des usines, grands ensembles construits après 19501. Des travaux sur Minsk (en Biélorussie) et Samarcande (en Ouzbékistan) ont toutefois révélé, aux côtés de cet habitat collectif, une diversité de formes d’habitat individuel dans les marges urbaines, telles que des cabanes et des pavillons2 . Ils montrent des maisons construites souvent illégalement, abritant des populations, plus ou moins marginales, qui avaient des difficultés à se loger dans le parc de logements des immeubles dits « d’État ». L’habitat urbain individuel soviétique est en effet souvent perçu comme une conséquence de la crise du logement et du système clientéliste d’attribution dans le parc d’État. Cette perception oblitère toutefois deux de ses caractéristiques. D’une part, cet habitat était massif. En 1960 dans les villes soviétiques, les « maisons individuelles » détenues par des propriétaires occupants, même dans leur définition légale restrictive (résidences principales de moins de 60 m² de surface), représentaient encore un tiers des surfaces habitables : 42 % à Novossibirsk (Russie), 26 % à Minsk (Biélorussie), 11 % à Riga (Lettonie3). D’autre part, cet habitat individuel était désiré par nombre de ses habitants : c’est l’objet de ce texte qui poursuit une étude sur la description de ce tissu urbain dans les années 1960 dans la périphérie de la ville de Riga4 .
Des années 1950 aux années 1980, l’Union soviétique a mené une vaste politique de construction d’immeubles de logements dans la périphérie des grandes villes. À Riga, ville conquise au cours de la Seconde Guerre mondiale et qui comptait 600 000 habitants en 1960, de nombreuses maisons ont été détruites à la faveur d’opérations de logements collectifs, menées dans les limites du territoire administratif municipal (300 km²). L’intense communication menée autour de la livraison de ces opérations a largement passé sous silence l’attachement des particuliers à leur maison. Certains habitants ont contesté leur éviction. D’origines sociales variées, ils étaient pour la plupart propriétaires occupants et détenaient leur maison en « propriété personnelle ». Cette catégorie juridique avait été inventée dans l’entre-deuxguerres pour encadrer les droits de jouissance des individus sur les biens, alors que les moyens de production, le sol et les principales constructions avaient été nationalisés. Elle s’appliquait à la fois à des maisons nouvellement construites et à des biens possédés antérieurement sous un régime de propriété privée 5 . Ainsi, à Riga comme ailleurs en Union soviétique, le « propriétaire » particulier disposait de sa maison et occupait à titre gratuit la parcelle sur laquelle elle se trouvait. Le droit de propriété personnelle était donc restrictif et fragile. La maison pouvait être expropriée sur simple décision administrative, contre compensation6, ouvrant la voie à des réclamations en grande partie traitées par les services municipaux. Aux archives nationales de Lettonie, où est conservée la documentation produite par les instances soviétiques locales, le fonds de la mairie de Riga contient des centaines de dossiers de demandes des habitants relevant des questions foncières7. Ces dossiers contiennent des plaintes et demandes d’information, et les échanges relatifs à leur traitement, en letton ou en russe – à Riga, capitale d’une république socialiste soviétique, le bilinguisme prévalait dans la vie sociale et le travail administratif. Sur plusieurs centaines de dossiers dépouillés pour la période 1956-1972, un grand nombre de lettres contestent une expropriation ou ses modalités8 à l’aide d’arguments brefs
LE MODÈLE LEVITT : DE LA SUBURBIA AMÉRICAINE AUX PÉRIURBAINS AISÉS D’ÎLE-DE-FRANCE
ÉLODIE BITSINDOU
Doctorante en histoire de l’architecture contemporaine, Centre André-Chastel, Sorbonne Université
Le Parc de Villeroy, Mennecy. © R. Ruiz.
Les ensembles pavillonnaires groupés sont un angle mort de l’histoire de l’architecture. Ils ne s’inscrivent ni dans la tradition vasarienne de l’étude du chef d’œuvre commandité par un mécène d’origine aristocratique ou bourgeoise, ni dans l’intérêt contemporain porté aux grands ensembles hébergeant les classes populaires et dessinés par les architectes de l’État providence, ni dans le patrimoine vernaculaire, anonyme mais enraciné dans les cultures locales. Cet article, tiré d’une thèse de doctorat en histoire de l’architecture, explore ce vaste entredeux, où les formes architecturales et urbaines sont pensées pour et par les classes moyennes de la fin du xxe siècle1 . En France, l’urbanisation pavillonnaire post-Seconde Guerre mondiale a largement épousé le modèle nord-américain. Sous l’impulsion du Plan Marshall, d’échanges académiques permettant à de jeunes architectes de se former aux États-Unis, et de mesures incitatives de la part des aménageurs, de nombreux
quartiers sont sortis de terre en suivant un modèle standardisé : maisons isolées en milieu de parcelle, desservies par une trame de boucles et de raquettes. Cette configuration s’explique en grande partie par l’impact du promoteur américain Levitt and Sons, connu pour la réalisation des Levittowns aux États-Unis, et de « nouveaux villages2 » dans l’Hexagone.
Les villages Levitt constituent une forme urbaine et une structure sociale singulière. Ils ne sont pas des « lotissements », mais bien des « ensembles pavillonnaires groupés ». Le régime du lotissement renvoie à la division d’une emprise foncière en plusieurs lots indépendants. Les opérations qui nous intéressent ont pris forme selon le régime juridique de l’ensemble groupé, soit le rassemblement de bâtiments sur une seule et même étendue foncière, dans l’optique de constituer une unité fonctionnelle et esthétique. C’est par ce cadre que la disposition des parcelles a pu être envisagée avec toute la latitude requise, débouchant ainsi sur la libération de vastes étendues plantées, qui constituent le bien commun des propriétaires, et dont la gestion est prise en charge par l’ensemble des copropriétaires.
Bien que la firme n’ait construit que quelque 5 000 maisons pendant sa période d’activité, Levitt France – filiale sous laquelle opère Levitt and Sons de 1965 à 1981 – a exercé une influence significative en diffusant son modèle par le jeu de la concurrence. Des builders tels que Kaufman & Broad, Bréguet, ou European Homes ont adopté les types de pavillons, les aménagements urbains et les techniques managériales et constructives de Levitt, les mettant en œuvre en région parisienne puis en province3.
Le modèle Levitt France s’observe à travers plusieurs projets d’envergure – les Résidences du Château, le Parc et l’Orée de Lésigny, les Commanderies des Templiers I et II, le Parc de Villeroy et la Colline de Verville – situés respectivement au Mesnil-SaintDenis (78), à Lésigny (77), à Élancourt (78) et à Mennecy (91), des villes au sud et à l’ouest de la région parisienne ayant aujourd’hui en commun une forte présence de cadres et de professions intellectuelles supérieures, de professions intermédiaires et de retraités4 . 133
VU DE L’INTÉRIEUR : EXPÉRIENCES ET RÉCITS D’HABITANTS DE GRANDS ENSEMBLES DANS LA SECONDE MOITIÉ DU
XXE SIÈCLE
MATTHIAS MILLON
Chargé d’études documentaires aux Archives nationales
Immeuble du quartier des Sablons, Le Mans. © P-B. Fourny / Région Pays de la Loire, Inventaire général.
Les Archives nationales conservent de nombreuses sources relatives au logement. Plus rares sont en revanche celles qui dépassent les perspectives générales ou techniques et s’aventurent à pousser la porte du logis afin de recueillir « les annales du quotidien1 » des occupants de ces lieux.
Pendant la seconde moitié du xx e siècle, en réponse aux défis démographiques et à l’essor des nouveaux programmes de grands ensembles2, plusieurs enquêtes ont été lancées sur le territoire national. Enregistreur en main, sociologues et ethnologues ont arpenté les banlieues, interrogeant les résidents de ces espaces sur divers aspects : la configuration de leur logement, leur appréciation des matériaux utilisés, les dynamiques collectives à l’œuvre, ainsi que le cadre environnant, les commodités, les loisirs, le travail et les activités culturelles. Au fil des échanges, ces habitants exprimèrent leurs aspirations, évoquèrent leur intégration au sein de communautés variées, partagèrent leurs relations de voisinage. Ces témoignages offrent ainsi un échantillon des « modes d’habiter » au sein de ces environnements urbains et périurbains, façonnés par la complexité de trajectoires individuelles.
Cet article présente deux corpus de sources issus de ces enquêtes. Le premier fut produit au début des années 1970 par la direction de la Construction du ministère de l’Aménagement du territoire ; le second consiste en une vaste série d’études et d’enquêtes lancées par l’Institut parisien de recherche en architecture, urbanisme et société entre la fin des années 1980 et le début des années 1990.
ÉVALUER LA QUALITÉ DES NOUVEAUX LOGEMENTS : L’ENQUÊTE DE LA SOCIÉTÉ
ENVIRONNEMENT ET COMPORTEMENT
L’étude conduite par la Société Environnement et comportement en 1973 et conservée dans les fonds du ministère de l’Aménagement3 est relativement délicate à situer dans son contexte. Outre la circulaire Guichard relative aux grands ensembles du 21 mars 1973, seul un courrier du 30 juillet 1973 adressé à la direction de la Construction de ce ministère apporte un éclairage sur les circonstances entourant la réalisation de ces entretiens4. Cette dernière a souhaité œuvrer à une « méthode d’appréciation de la qualité des projets de logements » (il s’agit essentiellement d’HLM) en cherchant à établir une « corrélation entre la mesure ou l’appréciation de certains éléments composant le logement et la satisfaction des occupants ». Un contrat fut en outre passé entre l’administration et la Société Environnement et comportement, présidée par Michel Herrou, présenté comme un psychosociologue dans une autre source5. Son équipe est chargée d’interviewer (sans plus de préconisations) « des occupants de logements situés dans des groupes qui ont été choisis pour constituer un échantillon aussi représentatif que possible de la population française ». Aucune information toutefois sur l’usage qui a été fait de cette étude puisqu’aucune synthèse ne semble figurer dans ce fonds. La méthodologie retenue tant pour le choix des espaces d’investigation choisis, des individus auditionnés que la manière dont ces entretiens devaient être conduits n’est pas non plus clairement explicitée. Ces éléments nous apparaissent le plus souvent en creux, lorsque les individus soumis à ces enquêtes demandaient aux enquêteurs la raison de leur présence chez eux. C’est ainsi que lors d’une campagne d’entretiens menée à Aulnay-sous-Bois (93), un sociologue répondit à un couple ayant avancé la question :
« On avait la possibilité de faire 90 interviews. C’est très peu pour toute la France. On s’est dit : on va en faire la moitié dans la banlieue parisienne et puis l’autre moitié dans les villes
HABITER LA ZONE. STATUT D’UN TERRITOIRE ET PRATIQUES HABITANTES, PARISBANLIEUE, 1900-1960
ISABELLE BACKOUCHE
Directrice d’Études à l’EHESS, Centre de recherches historiques
Le Pré-Saint-Gervais, opération 100, parcelle 80, 26 août 1942. © BHVP.
La Zone est un territoire en marge du droit, et sa réputation s’est consolidée au point de transformer le mot en substantif péjoratif.
Inhérente à la construction d’une fortification autour de Paris au début des années 1840, la Zone cumule deux caractéristiques souvent exclusives : elle est détenue par des propriétaires privés mais la puissance publique interdit d’y construire. L’incompatibilité entre ces deux régimes d’appropriation est patente :
la Zone se peuplera malgré tout, atteignant près de 40 000 habitants au début du xxe siècle.
Je saisis l’occasion de notre réflexion collective à propos des faubourgs et des banlieues pour entrer sur cet espace urbain singulier par « l’habiter ». En effet, c’est une perspective rarement adoptée puisqu’une fois qu’on a décidé que c’était un vaste bidonville, aller plus avant ne semble pas utile. Or, on découvre un mode d’appropriation tout à fait original, entre propriété et location, et une manière fragmentée d’occuper le sol qui tranche avec la vie dans les immeubles parisiens. Ainsi, le statut de la Zone a bien produit un mode d’habiter spécifique dont je voudrais présenter quelques-unes des caractéristiques. Cette échelle d’analyse complète deux autres
échelles qui intègrent la Zone dans une réflexion plus large sur la périphérie parisienne et les modalités de constitution de la banlieue. Retenons que les politiques publiques successives mises en œuvre sur cet espace urbain depuis la fin du xixe siècle n’ont pas réussi à l’intégrer aussi bien dans la capitale que dans sa banlieue. La Zone encore aujourd’hui reste une balafre dans le tissu urbain dense de Paris et de sa périphérie, sur laquelle s’est greffé le boulevard périphérique.
Si le singulier de « la » Zone porte en lui-même une charge négative, en changeant d’échelle d’observation, on découvre des microsociétés, soudées autour d’une activité professionnelle ou bien par leurs origines étrangères communes. Il faut dire que la volatilité du bâti et des installations favorise le bouche-à-oreille pour attirer de nouveaux habitants. La surprise est fréquente lorsqu’on entre sur la Zone, tel le journaliste Henri Bidou qui écrit en 1927 : « On sait que la cité lépreuse qui entoure Paris est formée d’un certain nombre de groupements isolés. Celui que j’ai visité est juste au bout de la rue de Vaugirard… Je n’avais vu qu’en passant l’amoncellement pittoresque de leurs cabanes ; elles donnent peu l’envie d’y pénétrer. En visitant, l’autre jour, cette sorte de village primitif où vivent 500 à 600 êtres humains, je l’ai trouvé très différent de ce que j’attendais… Des ouvriers, de petits employés qui ne trouvent pas de logements dans Paris, se retirent là… Les maisons sont très diverses. Il y a aussi des jardinets clos de haies, des maisonnettes décorées avec un goût ingénieux1. »
Ainsi, la Zone, coupure urbaine réactualisée depuis plus de 180 ans, peut s’appréhender d’une toute autre manière, en dépassant une histoire culturelle et en pratiquant une histoire sociale alimentée par la masse impressionnante de documents produits par l’aménagement sans relâche de la Zone, un aménagement qui n’est pas encore achevé comme en témoignent les opérations actuelles de remaniements des portes de Paris (Montreuil, La Chapelle) qui cherchent encore à travailler sur les
DAPU , LES PRATIQUES DU LOGEMENT DES TRAVAILLEURS MIGRANTS CHINOIS EN BANLIEUE PARISIENNE.
LE CAS DE BAGNOLET
JUAN DU
Maîtresse de conférences en sociologie, Laboratoire Héritages, CY Cergy Paris Université, Fellow ICM
Un panneau en bois dans une cuisine partagée « Qing zijue zuo hao weisheng » (« Merci de garder cet endroit propre »). © Juan Du.
L’habitat des migrants a pris des formes très variées en France au xx e siècle, à propos desquelles « l’histoire montre que la conjoncture économique et l’état du marché du travail sont déterminants 1 ». Jusque dans l’entre-deux-guerres, les migrants venus d’Europe de l’Est et du Sud pour travailler dans les usines des grandes agglomérations se sont généralement logés aux côtés des ouvriers français, souvent eux-mêmes migrants de l’intérieur, malgré l’existence de « Petites Italies » et de « Petites Espagnes 2 ».
C’est après la Seconde Guerre mondiale, dans le contexte de la modernisation de l’habitat ouvrier et de l’extension des banlieues, que les étrangers sont de plus en plus nombreux à vivre à l’écart de la population majoritaire, en particulier les migrants coloniaux qui sont relégués dans des foyers Sonacotra3, des bidonvilles ou encore des cités de transit4. Alors que la métropolisation de la région parisienne s’accélère aujourd’hui sous les effets de la construction du Grand Paris Express et que la gentrification des derniers quartiers populaires parisiens laisse peu de place aux nouveaux venus étrangers, comment ceux-ci se logent-ils en région parisienne, en particulier dans un contexte de politiques migratoires qui ne permettent pas d’obtenir un statut légal5 ?
Les immigrants chinois se distinguent par leur répartition très inégale sur le territoire français. Malgré une forte baisse de l’installation de ces immigrants en Île-de-France (83 % en 1999), 66 % résident en Île-de-France (recensement de 2017), contre 38 % pour les autres immigrés et 17 % des natifs6. Cet article vise à étudier les conditions dans lesquels ces immigrants chinois, souvent sans-papiers, accèdent au logement dans un contexte de forte concurrence sur le marché du logement populaire, à partir d’une recherche menée sur Bagnolet en Seine-Saint-Denis. Les travailleurs migrants chinois constituent en effet un groupe peu étudié, qui combine les caractéristiques liées aux pratiques de l’habitat de classe populaire et celles de groupes d’immigrés. L’étude du logement des habitants chinois, illustre ainsi les nouvelles pratiques résidentielles d’une population précaire, qui s’inscrivent dans un continuum des pratiques du logement de groupes défavorisés dans l’histoire.
Les migrants chinois sont loin d’être une population homogène. Au contraire, ils se différencient entre eux selon leur ancienneté, leur profil sociodémographique (situation professionnelle, familiale, éducative, etc.), et leur projet migratoire, ce qui implique une grande variété des pratiques de l’habitat. Les préoccupations des propriétaires sont différentes de celles des locataires chinois : dans son enquête sur l’accès à la propriété des habitants chinois à La Courneuve, Aurore Merle montre l’enjeu de la cohabitation dans un quartier populaire et d’immigrés pour les propriétaires chinois : « […] Cette accession à la propriété privée, gage d’une mobilité sociale ascendante, produit des phénomènes de concentration spatiale de ces familles d’origine asiatique, à la source de difficultés de cohabitation avec d’autres groupes de population7. »
Consacré aux pratiques résidentielles des groupes vulnérables, cet article s’appuie sur une enquête de terrain menée sur ces travailleurs migrants chinois primoarrivants qui présentent les mêmes caractéristiques que l’on trouve chez les autres migrants de la première génération : accès difficile au logement, exploi-
« HABITER LES FAUBOURGS ET LES BANLIEUES » : UNE HISTOIRE DU TEMPS PRÉSENT
EMMANUEL BELLANGER
Directeur du Centre d’histoire sociale des mondes contemporains (CHS)
Directeur de recherche du CNRS à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Le communiste au couteau entre les dents ou la menace bolchevique venue de l’intérieur en 1919. Fonds Hug (71J69), Union des intérêts économiques de la banlieue parisienne, 1919. © Archives départementales du Val-deMarne.
Pour celles et ceux qui s’attachent à mettre en perspective l’histoire des habitants et du logement populaire des faubourgs et des banlieues, la part d’héritage et de filiation intellectuelle constitue une véritable matrice et un fil conducteur. Les quartiers des territoires populaires, industriels et résidentiels ont eu leurs historiens et leurs historiennes qui les ont arpentés et ont fait d’eux et de leurs habitants des sujets d’histoire et de valorisation scientifique et patrimoniale. Leurs apports représentent encore aujourd’hui une ressource qui aide à saisir les enjeux politiques du temps présent et à situer la place qu’occupent les quartiers populaires dans les sociétés contemporaines depuis que l’urbanisation est devenue hégémonique et planétaire 1 .
FAUBOURGS ET BANLIEUES
ÉPICENTRES DU « PATRIOTISME DE CLOCHER À BASE DE CLASSE »
Les travaux d’Annie Fourcaut constituent une de ces buttes-témoins de l’historiographie des quartiers et des banlieues populaires. En 1971, elle soutenait un mémoire de maîtrise au Centre d’histoire du syndicalisme devenu depuis le Centre d’histoire sociale des mondes contemporains. L’historienne mettait à l’honneur une petite ville née de la villégiature et transformée à partir de la seconde moitié du xixe siècle en banlieue résidentielle. Cette ville a pour nom « Bagneux », un bourg du département de la Seine métamorphosé par l’urbanisation pavillonnaire et le peuplement de ses lotissements populaires. La cité fut aussi un laboratoire de la vie sociale, emblématique des banlieues populaires où s’enracinent de nouvelles cultures politiques : le radicalisme républicain, le socialisme et, à partir des années 1920 et 1930, le communisme municipal2. Après Bagneux, c’est « Bobigny-laRouge » qui est à son tour étudiée par Annie Fourcaut. De cette recherche naît une clé d’analyse qui inspira plusieurs générations de chercheurs et chercheuses en sciences humaines sociales. Cette clé pourrait être résumée à une expression extraite de la thèse de troisième cycle de l’historienne : le « patriotisme de clocher à base de classe3 ». Arrêtons-nous un instant sur la signification de ce concept qui lie une dimension politique – la radicalité partisane qu’incarnent des militants et militantes affiliés au communisme international et à son idéal révolutionnaire – à une dimension territoriale – leur implantation en « banlieue rouge » dont l’effet produit de façon précoce leur conversion à « l’esprit communal ». S’enraciner dans un quartier populaire, c’est se poser et se ressourcer dans une ville d’accueil qui offre, à celles et ceux qui très souvent ont connu l’expérience douloureuse du déracinement, des services et des espaces publics, une mairie, une école, une église, une salle des fêtes, un dispensaire, des équipements sportifs, un cimetière, etc. Cette expérience de l’ancrage ouvre sur des formes collectives de socialisation et d’acculturation
Le colloque et la publication des actes s’inscrivent dans le cadre de l’étude d’Inventaire général du patrimoine culturel sur les faubourgs du Mans initiée par la Région Pays de la Loire. Ce colloque a été organisé en partenariat avec le laboratoire Temps, mondes, sociétés (TEMOS), Le Mans Université/ CNRS et le Centre d’histoire sociale des mondes contemporains (CHS), Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/ CNRS.
Remerciements de la Région Pays de la Loire
La Région Pays de la Loire adresse ses remerciements aux intervenants et aux organisateurs du colloque, pour leur participation à cet évènement qui révèle les avancées de la recherche. L’ensemble des membres du comité scientifique pour les nombreux échanges éclairants qui ont permis la construction de ce colloque et de ses actes. Les responsables administratives des laboratoires d’Université qui en ont assuré l’organisation matérielle.
Une mention particulière est adressée aux musées de la ville du Mans qui ont accueilli le colloque.
Direction de la publication
Julien Boureau, chef du service
Patrimoine, Région Pays de la Loire
Coordination éditoriale
Enora Rousset, service
Patrimoine, Région Pays de la Loire
Comité scientifique
Gaïd Andro, historienne, CREN, Université de Nantes
Emmanuel Bellanger, historien, CHS, CNRS
Magali Delavenne, chercheuse, Inventaire général, Région
Auvergne-Rhône-Alpes
Frédéric Fournis, chercheur, Inventaire général, Région Pays de la Loire
Pierre Gilbert, sociologue, Cresppa/CSU, Université Paris 8
Hervé Guillemain, historien, TEMOS, Le Mans Université
Fabrice Langrognet, historien, Brasenose College, University of Oxford, CHS, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Benoît Pouvreau, chercheur, service du patrimoine culturel, Département de la Seine-SaintDenis
Sébastien Radouan, historien de l’architecture, AHTTEP/AUSser, ENSA Paris-La-Villette
Thomas Renard, historien de l’art, CReAAH, Université de Nantes
Dany Sandron, historien de l’art et d’archéologie du Moyen Âge, Centre André-Chastel, Sorbonne Université
Fabien Van Geert, muséologue, Cerlis, Université SorbonneNouvelle
Vincent Veschambre, géographe, Le Rize, Villeurbanne
Charlotte Vorms, historienne, CHS, Université Paris 1
Panthéon-Sorbonne
Textes
Sous la direction de Muriel Cohen, historienne, TEMOS, Le Mans Université, et Marie Ferey, chercheuse, service Patrimoine de la Région Pays de la Loire
Éditions 303 contact@editions303.com www.editions303.com
Direction
Aurélie Guitton
Coordination éditoriale
Emmanuelle Ripoche
Édition
Carine Sellin
Alexandra Spahn
Correction
Annie Boucherie
Diffusion
Élise Gruselle
Conception graphique
BURO-GDS / Elamine Maecha
Photogravure
Pascal Jollivet
Impression
Média Graphic
Papier
Coral Book
Symbol Freelife premium White
Typographie
Trade Gothic / Jackson Burke
Spectral / Production Type
Les Éditions 303 bénéficient du soutien de la Région Pays de la Loire.
Dépôt légal : novembre 2024
ISBN : 978-24-87296-04-6
© Région Pays de la Loire et Éditions 303, 2024. Tous droits réservés.
Image de couverture
Enfants jouant devant les immeubles du Ronceray, Le Mans (15FiCum4-63_01).
© Ville du Mans. Photo : © T. Seldubuisson / Région Pays de la Loire, Inventaire général.