Elle chantait - Judith Chavanne & Agnès Prévost

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Elle chantait. Judith Chavanne Agnès PrÊvost

Ce

qui

reste



Elle chantait. Poèmes de

Judith Chavanne Gouaches

Agnès Prévost

Ce

qui

reste





Elle chantait encore après les pleurs. Et, comme on voit dans une danse le corps sur lui-même recourbé jusqu’alors qui lentement se déroule et devient herbe, arbre presque un geste donné par la terre — elle sentait le chant à mesure qu’il se déployait la redresser ; elle pouvait à nouveau se tenir comme l’herbe ou le corps dans le vent, debout à nouveau, comme le désir.


Oui, le chant montait comme un blé, une tige une herbe de lumière. Non pas blé ; nul besoin de graines pour être justifié. Mais s’élever… elle chantait, c’était une ivresse, cette verticalité souple et mouvante de la voix au gré des sons. Elle était ; elle éprouvait l’existence : insaisissable et infinie modulation.


Chanter. Elle appelait alors la lumière comme d’autres Dieu par la prière. Au matin dans les prés quand paraît le soleil quelque chose se dissipe : brume, ou la même eau en gouttes de rosée parmi les herbes. Un filet de voix montait au ciel malgré l’étau des peines, un sourire que le chant allait approfondir : barque, où se recueillait déjà la lumière.



Quand j’entendais cette voix si haut qui montait, se hissait : désireuse ascension des cimes, des neiges et des glaciers, il me fallait bien croire ce que j’avais lu : « le cœur se souvient d’un royaume perdu » ; il fallait y croire pour s’élancer comme le marcheur sur une pente escarpée, de sa voix seule au-dessus de soi-même et du vide ; il fallait croire que sa vie serait éclairée par ce libre regard d’altitude.



Il n’y a peut-être que le chant pour que l’avenir succède au cri et que le corps de nouveau soit, transparent, un univers en expansion. Le chant, petite pluie, une tendresse que l’air et l’eau accordent à la terre qui le leur rend : une fraîcheur humide monte plus haut que l’herbe. Le monde, un monde, un corps. C’est alors la résonance depuis l’origine d’une voix dans la verdure ou sous la poitrine qui n’en finit pas de se mesurer.



Les auteurs


Judith Chavanne Judith Chavanne est née dans l’Isère en 1967, mais elle a grandi et vit actuellement en Île-de-France où elle enseigne en lycée. Elle a publié cinq recueils de poèmes : —— Entre le Silence et l’Arbre (Gallimard, 1997), —— La douce Aumône (Empreintes, Suisse, 2002), —— Le Don de solitude (L’Arrière-Pays, 2003), —— Un seul bruissement (Le Bois d’Orion, 2009), —— A ciel ouvert (L’Arrière-Pays, 2011). Elle a tout particulièrement consacré son attention à l’oeuvre de Pierre Dhainaut et à celle de Philippe Jaccottet à travers des études et un essai : Philippe Jaccottet, une poétique de l’ouverture (Seli Arslan, 2003).


Agnès Prévost Née à Paris en 1981, Agnès Prévost est formée au dessin, à la gravure et à l’édition d’artiste à l’ENS des Arts décoratifs de Paris. Son travail s’oriente dès lors sur la traduction des éléments naturels et de l’espace. Il s’attache entre 2006 et 2012 au motif de l’arbre, d’abord en dessin puis à la peinture. Depuis 2014, elle est en résidence à la fondation Dufraine dans le Val d’Oise où elle expérimente d’autres approches plastiques de la nature et du milieu, notamment par le travail de la couleur ou en photographie. Pour la revue Ce qui reste, en relation avec le poème Elle chantait de Judith Chavanne, elle propose un ensemble de 5 gouaches, au format originel de 50 x 65 cm, intitulées Intervalles. Le caractère simple et répétitif des compositions vise à créer un rythme visuel lent et ascendant directement inspiré par la lenteur du végétal et ses ondulations souples. La précarité du tracé traversant le blanc de la page invite le regard à capter ses variations infimes, momentanées. Intervalles, cinq gouaches, 50 x 65 cm





La revue Ce qui reste RALENTIR POÈME Un poème est un pont jeté en travers du temps Jean-Michel Maulpoix

Prendre le temps de lire un poème est un acte de résistance libérateur, une manière de rester dans l’instant présent, d’échapper à la fuite en avant permanente que nous impose le rythme de notre époque. C’est reprendre sa respiration avec l’inspiration des autres. La revue Ce qui reste, coéditée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Cornuaud-Marcheteau, vous propose de marquer cette pause en vous faisant découvrir chaque semaine un auteur. La création n’étant pas que langage, la revue ouvre également son espace à des artistes plasticiens.

© Avril 2016 — Poèmes : Judith Chavanne Gouaches : Agnès Prévost

La revue Ce qui reste pour la présente édition www.cequireste.fr - revue.cequireste@gmail.com


« Il n’y a peut-être que le chant pour que l’avenir succède au cri et que le corps de nouveau soit, transparent, un univers en expansion. » Judith Chavanne

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