L’été du grand nuage Salah Stétié Thomas Wattebled
Ce
qui
reste
L’été du grand nuage Salah Stétié Thomas Wattebled
Ce
qui
reste
La vie grave Je te regarde et je te vois Bruissante du bourdonnement des ruches Et je t’entends. Entre nous un silence fait silence Des ombres s’étant glissées dans nos cœurs Couleuvres froides dans l’eau très froide de l’été L’étreinte dans le lit est lumière Et l’horizon est notre enfant dans le lit Tout songe et tout est blé ; là-bas, loin, Le frisson de ta disparition. De toi par toi vers toi Les chemins entortillés de l’amour Ainsi que suspension d’huile consacrée lisse Et soudainement effacée l’aile Comme masse de béton tombée dans la lumière Tremblant tremblant je suis Ô contre moi tremblant Le bleu déchirant de tes jambes
L’amour en paysage Effluves de l’Abyssinie sur le déploiement de ton corps Tes hauts plateaux sont le miroir d’un roi Dont les bras par milliers sont les branches d’un arbre Ainsi que galaxie en formation En toi je dormirai dans la nuit de ce jour Sous la violence des épices de la nuit La barque de la vie à portée de la vie Quand la lune au balcon observe avec pudeur Se faire et se défaire les formes de l’esprit Avec de grands oiseaux cités aux murs de chambres Abandonnées à l’air de ce pays soluble Vie et mort enchaînées, perdu l’amour, Genèse d’aube en couperet très long et fin
Le sang, 2 Étoile du matin, fille de mes ancêtres, Ne t’en vas pas dans ton soleil fait d’ombre Je porte dans mes mains tes deux pieds qui m’éclairent Et dans mes os la saveur de ton nom Ô cœur, ô tournoyant dans ta lente lumière Là où la vie, là où la mort s’épousent Et dorment dans leurs bras en vrilles désirantes Comme les vins assoupis dans les ceps Nous aussi nous dormons, nos lampes de mystère Éparpillées autour de nous font la rivière J’ai perdu tous mes rêves Je suis assis très seul et plus que seul, ma larme Dans le bonheur tout embué de toi sans ombre Comme l’idole de tes seins détruit la barque Tu es entrée, tu t’es dans l’alphabet assise Et les oiseaux de tes épaules t’ont nommée D’un nom de vérité qui fait peur à la brume (Ce nom de vérité, contre mon cœur il veille) Un jour, bientôt, le sang dira son autre nom
L’été du grand nuage Le jour où tout du ciel devint nuage Avec des centaines, des milliers d’apparus Ce jour lauré de mondes Ce jour était le mien, peut-être aussi Ô menthe de ma source, ô bien-aimée Ce jour était le tien aussi, – lauré Musique avec la mer, ses établis, Mangeant tes seins nombreux de sel futur Tes pieds étaient de froid sur la nue-plage Où tout du sable, avec le sable, a crié Ô toi, ô croix pensive en tes saisons, Tes pieds mêlés aux miens et desséchés Dans le dénudement des galaxies Sous le gel des hivers et des oiseaux … Dans le gel des saisons sur les bleuets De nos étés de terre luisants, tremblés, Il y avait un reflet substitué Sur un carreau humain, et noir, dans la vallée
Ombre, ombre d’odeur La galaxie s’en va vers ses achèvements Avec tous ses soleils d’herbe sèche L’aveugle seul entend le pigeon plier l’aile Que restera-t-il de nos os dans les nuées Et de nos sens dans la dissolution Et de l’esprit dans le miroir de l’esprit ? Musique ultime aura tous ses violons brisés La Terre aussi sera vidée de terre Mais son parfum encor, dans l’univers
Les auteurs
Salah Stétié Poète, essayiste, diplomate de carrière, Salah Stétié est un homme aux multiples facettes qui a marqué de manière saisissante la scène littéraire et politique au plan international. Né le 25 décembre 1928 à Beyrouth, il est l’auteur d’une œuvre considérable, écrite en français et traduite dans la plupart des langues d’Europe ainsi qu’en arabe. Récompensé par plusieurs grand prix internationaux (dont le Grand Prix de la Francophonie de l’Académie française et le Grand Prix des Biennales internationales de poésie de Liège), il a, tout au long de sa carrière, tissé des liens étroits avec des écrivains essentiels du XXème siècle, dont René Char, Yves Bonnefoy, André du Bouchet ou Michel Deguy, ainsi qu’avec des artistes comme Raoul Ubac, Antoni Tàpies ou Pierre Alechinsky avec lesquels il a collaboré pour de nombreux livres d’artiste. Parmi ses récents ouvrages, on peut citer : Dans le miroir des arbres (Fata Morgana, 2011), Les Trois Médinas avec des photographies d’Alexandre Orloff (Éditions de l’Imprimerie nationale, 2011), D’une langue et Sur le cœur d’Israfil (Fata Morgana, 2012), Rembrandt et les Amazones et Une rose pour Wadi Rum (Fario, 2013), L’Être et Le chat couleur (Fata Morgana, 2014).
Thomas Wattebled La peinture de Thomas Wattebled est marquée par l’importance particulière accordée au dessin, à la ligne, au trait. Ni maniériste ni tout à fait symboliste, chaque composition est une mise en scène presque cinématographique. Ces dernières années, le travail du peintre a exploré diverses techniques, divers rendus visuels, tous consacrés à la présentation de portraits hybrides, métissés, étranges, de visages nombreux et ambigus, et de corps synthétiques, à la fois sculptés et organiques. Donner la chair, les os, la douleur ou le stupre par le dessin. Il y a, dans l’utilisation décomplexée de la couleur, dans la recherche inlassable d’une ligne sans artifice, dans la répétition continuelle d’images touffues et mystérieuses, dans l’exhibition de ces portraits «automatiques», quelque chose d’une esthétique de la névrose, de l’excès, de la frénésie, qui fait vibrer une des cordes de l’inconscient collectif, et provoque à la fois fascination et malaise. Globe-trotter sans cesse en mouvement et artiste autodidacte, il a trouvé ses marques et son inspiration à Paris, Bruxelles, Bologne, Tokyo, Bangkok, Vientiane, Phnom Penh, les caraïbes… En décembre 2015 il est invité en résidence en Haïti à Port au Prince par l’association Promart, pour y exposer avec une trentaine d’artistes locaux et du monde entier. Sa prochaine exposition sera entièrement consacrée à Haïti.
Il est aussi graphiste et illustrateur en freelance et développe une vue plus large de son univers au travers de la vidéo ou de l’animation et du web. Sa page Facebook www.facebook.com/thomaswattebledartparis
La revue Ce qui reste RALENTIR POÈME Un poème est un pont jeté en travers du temps Jean-Michel Maulpoix
Prendre le temps de lire un poème est un acte de résistance libérateur, une manière de rester dans l’instant présent, d’échapper à la fuite en avant permanente que nous impose le rythme de notre époque. C’est reprendre sa respiration avec l’inspiration des autres. La revue Ce qui reste, coéditée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Cornuaud-Marcheteau, vous propose de marquer cette pause en vous faisant découvrir chaque semaine un auteur. La création n’étant pas que langage, la revue ouvre également son espace à des artistes plasticiens.
© Juin 2016 — Poèmes : Salah Stétié Graphisme : Thomas Wattebled
La revue Ce qui reste pour la présente édition www.cequireste.fr - revue.cequireste@gmail.com
« Tu es entrée, tu t’es dans l’alphabet assise Et les oiseaux de tes épaules t’ont nommée D’un nom de vérité qui fait peur à la brume » Salah Stétié
Ce
qui
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