Poèmes - Robert Bly & Christian Garcin

Robert Bly

Poèmes

Extraits du recueil Parler dans l’oreille d’un âne

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Poèmes Extraits du recueil

Parler dans l’oreille d’un âne (Talking into the Ear of a Donkey) Traduit de l’américain par Christian Garcin Photographies de Christian Garcin

Le réservoir d’eau C’est la fin de l’automne, et l’érable a perdu ses feuilles.

La neige tombe sur les chevaux parmi les balles de foin Et sur le réservoir d’eau retourné pour l’hiver.

Les chevaux tendent le cou vers le sol blanc, cherchant leur nourriture.

Parler dans l’oreille d’un âne J’ai parlé dans l’oreille d’un âne.

J’avais tant à lui dire ! Et l’âne impatient De sentir mon souffle agitait les immenses flocons De ses oreilles. « Qu’est-il arrivé au printemps » Ai-je pleuré, « et à nos jambes qui étaient si joyeuses Dans les cabrioles d’avril ? » « Oh, ce n’est rien, Ne t’en fais pas, », dit l’âne, « Saisis-moi juste par la crinière, pour Pouvoir hisser tes lèvres jusqu’à mes oreilles poilues. »

Le jour où on rentre le quai d’amarrage Il se passe tant de choses lorsqu’on rentre le quai.

Les feuilles de chêne sont sous nos pieds. Elles craquent Tandis que nous portons les rames vers le hangar repeint à neuf.

Le lac nous raconte le début de sa vie.

Mes quatre pommes pendues ont disparu, je ne Sais pas où. Il y a partout des petits ajustements À faire. Nous devons nous tenir prêts à lire Sénèque ‒ la bibliothèque nous racontera.

Maintenant il est temps d’enlever les poteaux, De traîner le quai à l’intérieur, d’empiler les différentes parties, De hisser le bateau tout en haut, et de voir combien On perd de subtilité en racontant les choses.

Murmures entendus L’araignée oscille dans la brise d’octobre, elle entend le bruit de fouet Des pattes de la chauve-souris s’envolant de sa branche, le grognement De l’ours au loin dans les glaces du Labrador, Le cri du roitelet quand l’ouragan saisit La maison, la chute des pommes de pin, le soupir de la nonne Qui meurt, le murmure adressé par Jésus À la femme qui tire l’eau du puits, les pleurs presque silencieux Des os impatients d’être déposés dans la tombe.

Les semences du grand sapin L’agile paruline, la dignité des poires, La simplicité des rames, les principes Impérissables dans les semences du grand sapin, tout cela Montre bien que nous voudrions que l’éphémère Devienne permanent. Nous voudrions que le troglodyte nomade Conserve ses œufs même pendant la tempête.

Mais c’est impossible. Nous sommes périssables ; Mes amis, nous sommes des royaumes éphémères et salés.

Poires de Turquie au mois d’août Une poésie parfois a son propre mari Et ses propres enfants, ses recoins ses cuisines et ses jardins, Ses escaliers, et ces serviteurs aux bras doux Qui apportent du veau dans d’étincelantes casseroles de cuivre.

Quelques poèmes offrent des douceurs plébéiennes Plus goûteuses que les chocolats que mangent les Français Le soir après dîner, et des plaisirs riches et anciens Comme des poires de Turquie ramassées en août dans le jardin.

Orion et la ferme Orion, ce vieux chasseur, flotte solidement Dans les étoiles… les fermes sous ses pieds. Combien De temps me faudra-t-il pour me résoudre à marcher comme lui.

Quatre-vingts ans, et je pose toujours mes pieds Avec tellement d’espoir chaque nuit sur le sol.

Cela prend beaucoup de temps d’accepter le chagrin.

Mais ce grand marcheur suit ses chiens, Chassant toute la nuit dans les étoiles qui meurent.

Silence au clair de lune Silence au clair de lune, pas de début et pas de fin.

Seuls, et pas seuls. Un homme et une femme sont allongés Sur un terrain nu, sous une robe d’antilope.

Ils sont sous la peau de l’animal, regardent Les étoiles vieilles et lumineuses. Combien d’années ?

La robe est jetée sur eux, l’endroit où ils dorment Est rugueux. Dehors, la lune, les plaines Silencieuses au clair de lune, pas de début et pas de fin.

Un chant pour la montagne Silence au clair de lune, pas de début et pas de fin.

Ainsi tout le liant a disparu, puis est réapparu, Les dents de la fourche qui émergent de la neige, le chant si bas Que les autres ne peuvent l’entendre. Certains sons conviennent À de gros doigts et des cordes épaisses. Lentement la montagne Pénètre en l’homme qui gravit seul ses pentes.

Il marche, il s’assoit, il trouve une pierre ; Personne ne l’a vu faire, il s’assoit et il est seul.

Les amants dans la rivière Les fleurs de pivoines s’ouvrent à la lueur des étoiles. Les amants Traversent la rivière avec précaution, en secret, en secret.

Toute la nuit les chevaux piétinent l’île sablonneuse.

Les maris sont inquiets cette nuit, leurs femmes, On le sait, ont rejoint Krishna dans la rivière, Leurs corps adoucis par de joyeux ossements.

Pendant que David chante, les étoiles tombent dans l’océan ; Urie Meurt … C’est la folie du dieu à sombre face.

La théière Ce matin j’ai entendu l’eau versée dans la théière.

Le bruit était un bruit ordinaire, quotidien, doux.

Mais tout d’un coup, j’ai su que tu m’aimais.

Quelque chose d’inouï, l’amour entendu dans un bruit d’eau versée.

Les auteurs

Robert Bly est né en 1926 dans le Minnesota. Il est poète, essayiste, traducteur, et par ailleurs militant écologiste et politique. Depuis les années 1960 il a publié une œuvre poétique considérable, basée sur l’observation du monde naturel et la connaissance des contes et des mythes fondateurs.

Par leur manière d’aborder la présence de l’homme dans les grands cycles de la nature et de questionner le mystère du monde, on peut trouver dans son œuvre des influences des ghazals persans et de la poésie classique chinoise, mais aussi de William Blake, Walt Whitman, Henry David Thoreau ou Rainer Maria Rilke.

Le recueil Talking into the ear of a donkey est paru en 2011.

Christian Garcin est l’auteur de romans (derniers titres parus : Les vies multiples de Jeremiah Reynolds, Stock 2016, et Selon Vincent, Actes sud / Babel 2017), mais aussi de nouvelles, de poèmes, d’essais sur la peinture et la littérature, de carnets de voyages et d’un livre de photos (Le minimum visible, aux éditions Le bec en l’air). Il est aussi traducteur de l’espagnol (J.-L. Borges & Luisa- Mercedes Levinson, La sœur d’Éloïse, Verdier 2007) et de l’américain : Robert Bly, ici présenté, (Parler dans l’oreille d’un âne), mais aussi David Kirby (Le Haha, Actes sud janvier 2018), Charles Bukowski, Campbell McGrath ou encore Edgar Allan Poe (Nouvelles complètes, en collaboration avec Thierry Gillybœuf, tome 1 à paraître aux éditions Phébus en janvier 2018).

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Ralentir poème 1 Un poème est un pont jeté en travers du temps Jean-Michel Maulpoix

Prendre le temps de lire un poème est un acte de résistance libérateur, une manière de rester dans l’instant présent, d’échapper à la fuite en avant permanente que nous impose le rythme de notre époque. C’est reprendre sa respiration avec l’inspiration des autres.

La revue Ce qui reste, coéditée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Cornuaud-Marcheteau, vous propose de marquer cette pause en vous faisant découvrir chaque semaine un auteur et un artiste (peintre, graveur, sculpteur, photographe, mais aussi pourquoi pas, musicien, cinéastre, etc).

Ralentir travaux de René Char, Paul Éluard et André Breton, recueil de trente brefs poèmes précédés de trois préfaces, 1930, José Corti 1

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© Octobre 2017 — Poèmes de Robert Extraits du recueil Parler dans l’oreille d’un âne Talking into the Ear of a Donkey – ISBN 978-0393080223 © W. W. Norton & Company, 2011 Traduction de l'américain et photographies de Christian Garcin La revue Ce qui reste pour la présente édition 16, chemin des Androns 33710 Bayon sur Gironde www.cequireste.fr — revue.cequireste@gmail.com Revue numérique hebdomadaire - ISSN 2497-2363

« Il se passe tant de choses lorsqu’on rentre le quai.

Les feuilles de chêne sont sous nos pieds. Elles craquent Tandis que nous portons les rames vers le hangar repeint à neuf.

Le lac nous raconte le début de sa vie. » Robert Bly