Th
i e r ry
Me
t z
Terre ( e xt r ai t s)
Monotypes
Yvonne Alexieff Préface
Isabelle Lévesque
Ce
qui
reste
Th
i e r ry
Me
t z
Terre ( e xt r ai t s)
Monotypes
Yvonne Alexieff Préface
Isabelle Lévesque
Ce
qui
reste
Pour Thierry Metz (1956-1997)
L
Ce qui reste décide en cette année anniversaire de rendre hommage à Thierry Metz en proposant des morceaux choisis de Terre, le livre qu’Opales / Pleine Page, l’éditeur bordelais du poète, publia pour la première fois en 1997. Cette année verra aussi la réédition de L’homme qui penche par Unes et l’édition par Pierre Mainard d’un vaste ensemble de poèmes publiés dans la revue Résurrection que dirigeait Jean Cussat-Blanc. Que Françoise Metz, la Bien Aimée des poèmes, soit ici chaleureusement remerciée d’avoir autorisé Ce qui reste à publier des extraits de Terre. a revue
Thierry Metz est né le 10 juin 1956 à Paris. Son père était
chauffeur-livreur, sa mère femme au foyer. Il n’y avait pas de livres chez lui, mais un professeur de français lui a donné le goût de la lecture et il a commencé à écrire vers 15 ans. Il s’installe à l’âge de 21 ans près d’Agen. Il occupe différents emplois, en particulier celui de manœuvre dans le bâtiment, qui lui permettent de gagner sa vie. C’est le soir après le travail et pendant les périodes de chômage qu’il écrit. Autre chantier que celui des mots avec lesquels il construit un univers lumineux, simple et juste. Le poète Jean Cussat-Blanc publie ses poèmes dans sa revue Résurrection, et l’encourage à envoyer son Journal d’un Manœuvre aux éditions Gallimard. Thierry Metz obtient d’abord le prix Voronca 1988 pour Sur la table inventée, édité par Jacques Brémond, son premier éditeur. Chez Gallimard, Jean Grosjean accueille avec enthousiasme le manuscrit du Journal d’un manœuvre et le fait éditer en 1990. C’est l’année où meurt accidentellement Vincent, jeune fils de Thierry et Françoise. L’absence dès lors ne cessera de s’énoncer douloureusement. Puis viennent d’autres recueils publiés par L’Arrière Pays et surtout Opales / Pleine page, dont Terre, en 1997. Le 16 avril 1997, Thierry Metz met fin à ses jours.
« Où sommes-nous ? Quelle heure est-il ? Il n’est que maintenant. Et c’est le livre. Et je n’ai rien trouvé d’autre. Mais je sème. Tout ce que je suis. Pour qu’il y ait un chemin au croisement de nos voix. » On souhaiterait que rien n’éloigne, que tout demeure. En lisant Thierry Metz, les deux se touchent, un pont (l’ellipse) est tendu entre des pôles opposés : « Ici comme un seuil. » En balance. Le poète écrit sur une limite infranchissable, il penche et se redresse, en même temps. Cette simultanéité, incompatible, que le texte suggère, trouve un repos temporaire dans « ce fouillis d’herbes et d’orties ». Les blancs, constants dans son écriture, fondent les percées douloureuses ou permettent la reprise d’un souffle qui s’épuise. Toujours, l’écart est manifeste entre ce qui pourrait restaurer et ce qui fatalement va se perdre. L’écriture cherche un lien fragile, fil ou corde, qui puisse se retourner et aussi bien condamner. De même les vers ne sont pas liés, en parataxe, nous devons les lisant réduire l’écart entre eux. Ce qui pourrait sauver échappe, trop a été perdu déjà, la lumière seule paraît parfois à l’angle du feu, au cœur des noms isolés, essentiels comme si le nécessaire pouvait
suffire, par moments : « Ce visage qui ne sera nu que par des sources que par l’herbe interrompue par ma voix je l’accorde pour continuer à mes mots. » Terre propose un itinéraire, une initiation. Le gain sera minime. Sur ce chemin, seuls les pas de derrière sont certains. L’écriture gagnée comme une suite nécessaire offre un abri précaire qui pourtant laisse deviner, ou parfois espérer, la lumière. Nous en sommes les témoins. *** De l’univers du poète, Yvonne Alexieff retient l’essentiel, ce qui, réduit, continue de battre et appelle : un oiseau, le chemin, quelques graminées, l’abri. Dans ses dessins : le viatique. Elle ouvre un passage pour celui qui voulait, derrière le mur, entendre le chant qui relie au ciel. Parfois une route vue d’en haut ou d’en bas, envisagée dans une perspective, un angle où se croisent le vertical et l’horizontal. C’est dans la captation vivante d’un espace ouvert qu’Yvonne Alexieff entend Terre. Nous suivons ses lignes et ses courbes en lisant les mots féconds qui, de l’un à l’autre, établissent l’arche. Isabelle Lévesque
Terre, Thierry Metz, Editions Opale/Pleine Page pages 19-25
La journée c’est le Gange. L’âme est emportée.
Comme une fleur.
Se jette dans la lumière. Et rien d’autre. Seul reste le champ. Près du bois. Près du verger. Je ne cherche pas à être ailleurs même si souvent, de la main, je touche une herbe plus haute, un mur plus bas.
Ici on me parle. Ce n’est jamais le même. C’est toujours quelqu’un d’autre. Nous parlons de table ou de chaise. D’un arrosoir, d’une faux. Dans nos voix des oiseaux sont libres.
C’est des paroles.
C’est le verre de vin.
Un portail.
Un bâton qu’on laisse aller.
Rien n’est reclus. Sinon le petit tas de cendres qui fermentent dans un seau.
Nous parlons de vive voix.
De la chaux.
D’un feuillage.
Puis de la menthe.
Qui est l’égarement.
Qui est le thé.
Savoir allumer un feu qui ne néglige rien, qui nous
laisse nus dans nos âmes.
Voix frottées
qui s’ouvrent à chaque porte j’ai recours à ce geste qui n’est que gravité.
L’enclume entrouverte.
Qui saigne comme un oiseau.
L’enclume déplacée
par mes mains.
Ici comme un seuil.
Mais dans ce ciel je suis pris de colère.
De n’avoir plus que des gestes
entre moi et l’instant.
L’écriture me voulait
plus simple
se voulait
hors de ma voix
cintrée par ce coffrage de l’eau et du temps.
Oui, je me souviens de cet
avertissement
de ce bûcher
où séchait le cahier
l’écriture. En homme
je marchais, j’égarais mes pas, je n’aimais
plus que la halte, ce fouillis d’herbes et d’orties. Quelques pierres dont j’approuvais l’écart. Puis la concertation.
Mais que devenait l’écriture réchauffée par nos voix ? Mots dans l’attelage debout dans la charrette — mais seul l’essieu n’a pas dormi graissé de peurs d’aboiements.
Alors que cela ait lieu. Entre le sureau et le genêt. Je ne cesse, moi, de sillonner, de bouger l’enclume.
Et dès que je suis seul
comme ici
je m’étoile.
Je couve.
Je découvre une voix qui n’a pas dormi.
Est-ce une voix de pure perte ?
Un autre pas vers rien ?
Si le souci d’y tenir m’affolait je ne resterais pas. Je
dormirais dans le foin. Je trouverais ma nuit dans le coquelicot. Ma litière. Non. J’écris pour recommencer. Le fil est trop fin pour ne l’avoir senti. Et je comprends ce qui m’est demandé, captivé par mes mains.
Car enfin, par là, je m’exile.
J’embrasse ce qui ne reste pas.
Un risque.
Une fidélité.
Pour l’enfant
pour l’oiseau
dont je fais un secret
d’écriture.
Terre, Thierry Metz, Editions Opale/Pleine Page pages 31-32
Ce n’est qu’un chemin tendu dans ma gorge un sentier porté par les oiseaux par la biche j’enviais la source d’être aussi solitaire d’être épargnée.
L’eau. L’autre. Ce visage qui ne sera nu que par des sources que par l’herbe interrompu par ma voix je l’accorde pour continuer à mes mots.
Terre, Thierry Metz, Editions Opale/Pleine Page pages 37-39
Et toute cette page dans la main de l’enfant, de celui qui ne devrait pas écrire, comme un drap. Un drap déplié. Sous le petit arbre. Vers lui j’attire cette branche, contre le vent, qu’il ne reste plus que son visage contre le mien. Et ce baiser, un adieu sous les feuilles.
L’enfant qui sonde ma main connaissant les mots ouverts j’en ai fait un métier dans la chaux d’un mur. Une réflexion dans la lumière. Mais plus je disais l’enfant plus l’homme en demandait. Et je vois, je revois ma voix crevée, ce mur sans lequel rien n’aurait tenu. J’entends la chute d’eau de cet homme qui me menait jusqu’au noir d’être ici simplement de n’avoir que ses mains. C’est de là que je ramenais l’enfant où je l’avais trouvé me regardant nu sans rien comme une voix qui s’éloigne. Pourtant il est ici avec moi qu’a-t-il creusé dans mes épaules ? qu’a-t-il rencontré dans ma voix ? Pourtant c’était la nuit et lui me voyait pris jusqu’à la ceinture dans le sentier. Il n’y avait que du silence à dire.
Terre, Thierry Metz, Editions Opale/Pleine Page pages 45-47
Dans l’âpreté de l’instant, j’étais dans la tige. Encore aujourd’hui, par l’échelle, je hisse mes pas jusqu’aux planches, je me tiens à l’outil. Là-haut je ne sais plus. C’est la marge ou la chute. C’est la controverse de chaque geste : s’élever à hauteur de l’autre dans lâcher un mot. Ou plonger dans la hauteur, vers la nuit. Mais c’est autre chose, entre moi et l’inachevé ― c’est autre chose. De m’être ainsi enfermé dans ma voix, d’en avoir fait une source d’appauvrissement.
Mais non : si peu que je sois dans l’éclaircie, j’avance, je franchis. Qu’importe ces beautés admirables qui ont broyé tant d’hommes
et leur vie
et tout ce désert de commencer et de finir. Cela ne serait-il plus qu’un art de tuer ? d’achever ? Entre l’encre et la chaux.
Mais la voix revient, chargée de foin : Où sommes-nous ? Quelle heure est-il ? Il n’est que maintenant. Et c’est le livre. Et je n’ai rien trouvé d’autre. Mais je sème. Tout ce que je suis. Pour qu’il y ait un chemin au croisement de nos voix.
Je me tais. J’écoute. Un oiseau s’est posé sur moi Quelqu’un dans la haie a ouvert un livre
malgré les épines.
L’artiste
Yvonne Alexieff Est née à Sofia , où elle reste jusqu’à l’âge dix ans, puis l’Italie, la France, l’Angleterre. Aujourd’hui, vit et travaille à Paris. Etudes d’art et de gravure à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris où Jacques Frélaut fut son maître. Des résidences au Royal College of Art à Londres et à la Cité Internationale des Arts à Paris. Expositions en France et à l’étranger, personnelles et collectives tout en s’engageant activement dans l’enseignement des techniques de la gravure en taille-douce pour Paris-Ateliers depuis 1990. Collabore depuis 2014 aux publications des éditions Le Bateau Fantôme : www.lebateaufantome.bigcartel.com Lauréate de plusieurs prix dont le 3e prix de gravure de la Biennale de St Maur en 2002 et plus récemment, en 2015, le prix des Ateliers Moret . Le prix TAYLOR de dessin 2017 vient de lui être attribué. Sur internet : www.yvonnealexieff.fr www.facebook.com/yvonne.alexieff www.facebook.com/Yvonne-Alexieff-Œuvres Son travail sera prochainement présenté la Fondation TAYLOR, à Paris, du 29 mai au 3 juin et à l’occasion de la Journée de l’Estampe 2017, le 12 juin, place St Sulpice, Paris.
La revue Ce qui reste RALENTIR POÈME Un poème est un pont jeté en travers du temps Jean-Michel Maulpoix
Prendre le temps de lire un poème est un acte de résistance libérateur, une manière de rester dans l’instant présent, d’échapper à la fuite en avant permanente que nous impose le rythme de notre époque. C’est reprendre sa respiration avec l’inspiration des autres. La revue Ce qui reste, coéditée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Cornuaud-Marcheteau, vous propose de marquer cette pause en vous faisant découvrir chaque semaine un auteur. La création n’étant pas que langage, la revue ouvre également son espace à des artistes plasticiens.
© Avril 2017 — Poème de Thierry Metz Nous remercions chaleureusement Françoise Metz pour son aimable autorisation à reproduire ces extraits. Terre, Thierry Metz, Editions Opales/Pleine Page, 2000 (2e éd.) Monotypes d’Yvonne Alexieff, tous droits réservés La revue Ce qui reste pour la présente édition 16, chemin des Androns 33710 Bayon sur Gironde www.cequireste.fr — revue.cequireste@gmail.com Revue numérique hebdomadaire - ISSN 2497-2363
« J’embrasse ce qui ne reste pas.
Un risque.
Une fidélité.
Pour l’enfant
pour l’oiseau
dont je fais un secret
d’écriture » Terre (extraits) Thierry Metz Monotypes Yvonne Alexieff Préface Isabelle Lévesque
Ce
qui
reste