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À Saint-Jacques par la Nouvelle-Aquitaine

Cathédrale d’Angoulême, frise de la Chanson de Rolland.

XIIe siècle Publication de la G Chanson de Roland. en langue française, signalant toutes les agglomérations traversées depuis Paris.

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1589 Sir Francis Drake menace d’attaquer l’Espagne. Par précaution, les reliques de saint Jacques sont cachées.

1562-1598 En France, guerres de Religion entre catholiques et protestants.

1665 Premier édit royal qui réglemente les départs en pèlerinage des Français.

XIIe -XIVe siècle Le pèlerinage à Compostelle atteint son apogée. En Méditerranée et en Europe, il est pratiqué un intense commerce des reliques.

Entre1213 et1215 Pèlerinage supposé de saint François d’Assise à Compostelle.

Vers 1255 Jacques de Voragine écrit LaLégende dorée H, fixant ainsi l’imagerie des saints.

Enluminure relatant la vie de saint Jacques selon La Légende dorée.

1407

Année jubilaire pour les pèlerins qui visitent NotreDame du Puy.

1492 Prise de Grenade par les Chrétiens, fin de la Reconquista. À partir de 1500 L’insécurité grandissante en Navarre pousse les pèlerins à chercher un autre passage que celui de Roncevaux.

Milieu du XVIe siècle Diffusion du premier vrai Guide du Chemin de Saint-Jacques 1738-1750 Construction de l’Obradoiro,

façade baroque de la cathédrale

de Compostelle E. 1786-1787 Le voyageur anglais Townsend témoigne que le pèlerinage à Compostelle est en déclin.

1793 En France, tandis que la Révolution bat son plein, nombre d’images religieuses, reliques et reliquaires sont détruits dans les lieux de pèlerinage.

1858 Apparition de la Vierge à Bernadette Soubirous à Lourdes.

1884 Le pape Léon XIII authentifie les reliques de saint Jacques découvertes sous le maîtreautel de la cathédrale en 1880, à l’occasion de fouilles.

Statue de sainte Bernadette, basilique du Rosaire, Lourdes.

Première édition en latin du Guide du pèlerin.

1900 Mgr Duchesne, prêtre et historien, publie un article contestant l’attribution à l’apôtre Jacques des restes mis au jour dans la cathédrale de Compostelle. 1951 Création de la première association française des amis de Saint-Jacques-deCompostelle à Paris.

1953 Tournage du film Chemins de Compostelle par l’abbé Henry Branthomme.

cl. Bernard Blanc

1937 Première carte de Routes du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle en France au XIIe siècle, établie par Francis Salet pour une exposition consacrée à l’art religieux.

1938 Première traduction française par Jeanne Vieillard du livreV du Codex Calixtinus, publié sous le titre de Guide du Pèlerin.

1950 Regain d’intérêt pour le pèlerinage à Compostelle. À partir de cette date, l’on recense une vaste série de publications et d’expositions sur la thématique compostellane, et ce jusque dans les années 1970, notamment: à Cadillac en 1967, Collonges-la-Rouge en 1973, Soulac-sur-Mer en 1975, Parthenay en 1976. 1958 En accord avec les autorités de la cathédrale de Saint-Jacques de Compostelle, la crédencial ou « passeport du pèlerin H » est créée par la Société française des Amis de Saint Jacques.

1962 Le Conseil des ministres espagnol déclare le chemin de Saint-Jacques «ensemble historico-artistique» afin d’en assurer la protection.

cl. Jean-Pierre Rousset

© Musée des Monuments français

Première carte des Chemins de Saint-Jacques établie par Francis Salet en 1937. DR

2013 Inscription des Ostensions des reliques limousines H sur la Liste du patrimoine immatériel de l’UNESCO.

2018 Célébration du 20e anniversaire de l’inscription par l’Unesco des «Chemins de Saint-Jacques de Compostelle en France»: près de 250événements sont

organisés dans plusieurs régions françaises, la majorité en Nouvelle-Aquitaine et Occitanie.

1964 Érection de la stèle

de Gibraltarà

Saint-Palais E |voir p. 110| pour marquer la convergence des voies de SaintJacques en territoire basque.

1965 Le renouveau est symbolisé par une première exposition aux Archives de France et les solennités de l’année jacquaire en Espagne.

1972 Création du sentier de randonnée de Saint-Jacquesde-Compostelle au départ du Puy-en-Velay. 1982 Année jubilaire et première visite d’un pape, Jean-PaulII, à Saint-

Jacques-de-Compostelle.

1985

Inscription de la vieille ville de Saint-Jacques-de-

Compostelle sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco.

1986 Création de l’association des amis de Saint-Jacques en Aquitaine, première organisation régionale en France.

1987 Rencontres intereuropéenne et interrégionale compostellanes au château de Crazannes. LesChemins de Saint-Jacques-de-Compostelle sont le premier «Itinéraire Culturel Européen» proclamé par le Conseil de l’Europe. 1989 Création d’une fédération des Pyrénées-Atlantiques des chemins de Saint-Jacquesde-Compostelle avec pour objet de valoriser le chemin de Compostelle par le tourisme culturel.

1990-1991 Inauguration de la voie d’Arles. Fondation de l’Agence de Coopération Interrégionale et Réseau (ACIR) de Compostelle par les Conseils Régionaux et les communes du sud-ouest de la France (Midi-Pyrénées, Aquitaine, LanguedocRoussilon). Création de l’association des amis de Saint-Jacques des Pyrénées-Atlantiques, puis des Landes.

1993 Année jubilaire marquée par la première forte hausse de fréquentation et l’inscription du «Chemin de Saint-Jacques-deCompostelle en Espagne» sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco.

1975 Ouverture du GR® 65 H .

cl. Jean-Pierre Rousset

1998

Inscription des «Chemins de Saint-Jacques-de- Compostelle en France» sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco.

2022

Le pape François décrète que 2022 sera, exceptionnellement, une année sainte pour SaintJacques-de-Compostelle, celle de 2021 n’ayant pas pu être célébrée comme il se doit à cause de la crise sanitaire.

LA NOUVELLE-AQUITAINE

Maître Von Raigern, Translation du corps de saint Jacques, 1425, Kunsthistorisches Museum, Vienne.

Par Adeline Rucquoi

CNRS Paris, Conseil scientifique du bien Unesco «Chemins de Saint-Jacquesde-Compostelle en France», Comité international des experts du chemin de Saint-Jacques.

LES TEXTES ET RÉCITS FONDATEURS

se diffuse dans tout l’Occident la nouvelle de la découverte du tombeau de saint Jacques, frère de saint Jean l’Évangéliste, en Galice, aux confins du monde connu. Dans les Évangiles, Jacques est, avec son frère et saint Pierre, l’un des trois disciples et amis les plus proches de JésusChrist. Fils de Zébédée et de Marie Salomé, il est présent lors de la résurrection de la fille de Jaïre, ainsi qu’à la Transfiguration et au Jardin des Oliviers pendant l’agonie du Christ. Il est aussi le seul apôtre dont la mort à Jérusalem, par décapitation, est mentionnée dans le Nouveau Testament. À partir du Ve siècle, on lui attribue l’évangélisation de la péninsule Ibérique et même d’une partie de l’Occident au lendemain de la Pentecôte. Il était donc logique que son tombeau se retrouve en Espagne. Et pour l’«expliquer» mieux encore, l’annonce de sa découverte vers 830 s’accompagne du récit de la translation du corps depuis la Terre Sainte, dans une barque affrétée par ses deux disciples, Athanase et Théodore, et miraculeusement conduite jusqu’en Galice.

Très rapidement, des pèlerins se mettent en marche vers le sanctuaire édifié au-dessus du tombeau, à Compostelle. Venus d’Allemagne, d’Aquitaine – Le Puy-en-Velay, siège de l’évêque Godescalc, en fait alors partie –, de Champagne, et même d’Arménie, ils empruntent les anciennes voies romaines. Le duc Guillaume V d’Aquitaine, qui s’y rend une année sur deux autour de l’an mil, a dû prendre la voie qui relie Bordeaux à Pampelune par le col de Cize pour rejoindre ensuite la voie septentrionale, le Camino francés ou «chemin des Francs». En 950, Godescalc a probablement suivi celles qui longent la Méditerranée jusqu’à Barcelone, avant de prendre la voie du nord de l’Hispanie par Saragosse et León. Beaucoup préfèrent y aller par la mer, en suivant les voies maritimes qui, de Bordeaux, mènent à Brigantium, au nord de la Galice. Au début du XIIIe siècle, l’Église compostellane se dote non seulement d’un très grand édifice roman, mais aussi d’une série de textes qui relatent l’origine du pèlerinage. Ils diffusent en particulier une légende qui connaît un immense succès dans toute l’Europe, celle de la découverte ou délivrance du tombeau par Charlemagne, à qui saint Jacques serait apparu et aurait montré dans le ciel un chemin d’étoiles – la Voie lactée – menant à Compostelle. Cette légende et le récit de divers miracles ajoutent au chemin qui conduit au tombeau apostolique une aura particulière puisque, désormais protégé par saint Jacques, le pèlerin met ses pas dans ceux de l’armée de l’empereur d’Occident. Après avoir L’évêque Théodomir découvre le tombeau de saint Jacques le Majeur, enluminure espagnole.

Protégé par saint Jacques, AU MILIEU DU IXE SIÈCLE le pèlerin met également ses pas dans ceux du premier empereur d’Occident

Saint Jacques apparaît en songe à Charlemagne et lui désigne la Voie lactée, Chroniques de France.

1

1.Cénotaphe de saint Hilaire à Poitiers réalisé vers 1100. 2. La Bataille de Roncevaux, tapisserie, anonyme,Tournay, v. 1475-1500,

Victoria & Albert Museum, Londres. 3.La collégiale de Saint-Léonard-de-Noblat, inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco, immense reliquaire conçu au début du xie siècle pour abriter les reliques de saint Léonard. 4.Martin Schongauer, Saint Jacques à la bataille de Clavijo, gravure, v. 1520.

2 3 Cl. Jean-Pierre Rousset

expliqué que des quatre points cardinaux – symbolisés par les quatre sanctuaires de départ – on va vers Compostelle, le cinquième livre du Codex Calixtinus, écrit avant 1127, décrit deux itinéraires, correspondant à deux grandes voies romaines : l’un qui part d’Arles, l’autre de Tours, évitant donc la traversée du Massif central. Le pèlerin qui suit la voie de Tours est invité à visiter, au XIIe siècle, une série de sanctuaires dont certains sont liés à l’histoire de Charlemagne. À Orléans, il peut vénérer le bois de la Sainte Croix, le calice de saint Euverte et un couteau de la dernière Cène. À Tours, il visitera le tombeau de saint Martin, à Poitiers celui de saint Hilaire, à Angély le crâne de saint Jean-Baptiste et à Saintes le tombeau de saint Eutrope. À Saint-Romain de Blaye l’attend le corps de Roland et à Belin ceux des douze pairs de France morts avec lui à Roncevaux. Entre les deux, il a pu vénérer à Bordeaux le corps de l’évêque saint Seurin. Les mentions de Saint-Léonard-de-Noblat et SaintFront de Périgueux évoquent les liens avec la basilique de Galice. Une fois en Espagne, le pèlerin ne manquera pas de s’arrêter à Santo Domingo de La Calzada pour

vénérer les reliques de saint Dominique de La Chaussée. Là, on lui racontera l’histoire du miracle du «pendu-dépendu», jeune homme injustement accusé de vol par la servante de l’auberge, pendu au gibet et, qu’au retour de leur pèlerinage à Compostelle, ses parents retrouvent vivant. Le juge n’ayant pas voulu les croire et leur ayant affirmé que leur fils était aussi mort que les volailles rôties qu’il s’apprêtait à déguster, ces dernières ressuscitent et s’envolent. On dépendit le jeune homme et, depuis lors, les pèlerins peuvent voir, dans l’église, une cage avec une poule et un coq blancs. C’est peut-être dans la seconde moitié du XIIe siècle que sont ajoutés, dans le récit des campagnes de Charlemagne en Espagne, ceux d’une bataille contre les Maures à Agen et d’une autre à Saintes, avec le même miracle que celui de Sahagún. C’est alors qu’un chanoine de Compostelle «invente» une bataille au cours de laquelle saint Jacques serait apparu dans le ciel pour assurer aux chrétiens une victoire sur les Maures. La légende de la «bataille de Clavijo» exalte le rôle de l’apôtre comme patron de l’Espagne et a permis à la © BnF cathédrale de prélever pendant des

Maître de Marguerite d’Orléans, Heures de Marguerite d’Orléans, vers 1430 : la miniature figure un chemin vers Compostelle très bucolique.

Maître de Guillebert de Mets, Boccace, xve siècle: une pèlerine gasconne est attaquée par des brigands. siècles un impôt sur tous les Espagnols, en « remerciement» pour la victoire. Ce thème est souvent représenté dans les vitraux, peintures et sculptures tout au long de la route vers Compostelle.

TOUS LES CHEMINS MÈNENT À COMPOSTELLE

Au milieu du XVe siècle, un autre «itinéraire» destiné aussi bien aux pèlerins qu’aux marchands, émissaires divers, maîtres et étudiants, cite les villes et étapes de Paris à Tours par Vendôme, puis de Tours à Roncevaux par Bordeaux, en ajoutant aux sanctuaires antérieurs ceux de Sainte-Catherine-de-Fierbois et de Sorde-l’Abbaye. En 1522, le clerc anglais Robert Langton prend le chemin à Orléans. Il signale qu’à Tours «se trouve saint Martin», que Sainte-Catherine-de-Fierbois «est un lieu de dévotion», et qu’à Blaye «se trouvent sainte Apolline, l’évêque Turpin, Roland et Olivier». Suivent les noms des villes et villages traversés, en passant par Bayonne, puis le tunnel Saint-Adrien, Burgos, León, Oviedo, Vilalba, La Corogne et Compostelle. À partir de 1500, l’insécurité en Navarre pousse en effet les pèlerins à chercher une autre voie que celle de Roncevaux afin de rejoindre le Camino francés à Burgos. Quelques années après Robert Langton, son Cl. Jean-Pierre Rousset compatriote Andrew Boorde se joint à un groupe de neuf Anglais qui partent vers Compostelle depuis Orléans. Ils passent par Bordeaux et Bayonne. L’expérience qu’ils font ensuite de l’Espagne Statues de pèlerins à Navarrenx.fait dire à Boorde : «J’assure au monde entier que j’irais plutôt cinq fois à Rome depuis l’Angleterre qu’une fois à Compostelle. Par la voie maritime, ce n’est pas difficile, mais par la voie terrestre c’est le plus dur voyage que puisse «Et quand je revins et que j’entrai en Aquitaine, je baisai le sol dans ma joie, remerciant Dieu d’avoir échappé à de si grands dangers […] et d’être arrivé dans une région plantureuse» faire un Anglais. Et quand je revins et que j’entrai en Aquitaine, je baisai le sol dans ma joie, remerciant Dieu d’avoir échappé à de si grands dangers, aussi bien aux nombreux voleurs qu’à la faim et au froid, et d’être arrivé dans une région plantureuse, car l’Aquitaine n’a pas son égal pour le bon vin et le pain.» Des siècles plus tard, en 1748, Jean Bonnecaze, qui a quitté Pardies dans le pays de Nay pour Compostelle, lui fait écho. À son retour – passant comme à l’aller par le col de Roncevaux – il raconte qu’«étant arrivé au premier village de France (notre Arnéguy, séparé de Valcarlos par un pont), au pied du port, il y a un ruisseau avec un pont qui sépare les deux royaumes de France et d’Espagne. Je fis une croix avec mon bâton et promis de n’y plus revenir pour aller à Saint-Jacques. Alors je fus content, me voyant hors de la misère espagnole ; je traversai la Navarre, vers Navarrenx et Oloron… ».

Et, en 1790, Jean-Pierre Racq, de Bruges non loin de Pau, terminera l’itinéraire qu’il rédige pour son ami Jean-Pierre Ludos en confessant : «Je suis très content quand je suis arrivé à Lion [León] et j’en serai mieux si le Bon Dieu me fait la grâce d’arriver à mon pays, c’est-à-dire en France, qu’il est plus bon à minuit que la Galice à mi-jour.»

DE PARIS À L’ESPAGNE

Le premier vrai Guide du Chemin de Saint-Jacques en français date du milieu du XVIe siècle et signale toutes les agglomérations traversées depuis Paris. Entre Orléans et Irún, il évoque notamment les noms de Blois, Amboise, Châtellerault, Poitiers, Saintes, Blaye où le pèlerin prend le bateau pour Bordeaux, «Le Petit Bordeaux », Lesperon, Castets, Saint-Vincent-de- Tyrosse, Ondres, Bayonne, Saint-Jean-de-Luz et Irún. L’itinéraire proposé en 1592 aux Orléanais suit le Guide de 1552. Contournant lui aussi la ville de Tours, il se contente d’indiquer qu’à Portde-Piles, il faut passer la Creuse en bac, qu’à Chaniers, le bac permet de traverser la Charente. Il signale qu’à Gigot se trouve le «lieu d’où l’on dit que Roland jeta une lance jusqu’à la mer de Blaye», où l’on visite «dans l’abbaye de Saint-Romain, les tombeaux de Roland et Olivier qui furent occis à la bataille de Roncevaux» avant de monter «sur l’Anguille (qui est une sorte de bac, petit ou grand) qui conduit en une marée et selon le vent, jusqu’à Bordeaux, distant de sept lieues de Blaye». Enfin, il dit de Bayonne qu’il s’agit de la «clef du royaume de France et dernière ville de celui-ci».

Au début du XVIIIe siècle, la «Grande chanson des pèlerins de Saint-Jacques» ne mentionne que quelques régions traversées par celui qui, de France, part à Compostelle. En Saintonge, il ne trouvera pas d’églises car elles ont été détruites par les huguenots. À Blaye, il lui faut emprunter la barque en espérant qu’il n’y ait pas de tempête, car la traversée des Landes est longue et «nous avions de l’eau jusqu’à mi-jambes». À Bayonne, il doit changer son argent. Enfin, arrivé à Irún, d’entamer sa complainte : «Quand nous fûmes à SainteMarie, / Hélas ! mon Dieu, / Je regrettais la noble France / De tout mon cœur ; / Et j’avais un grand désir / D’être auprès d’elle, / Aussi de tous mes grands amis / Dont je suis en malaise.» En 1726, le Picard Guillaume Manier prend avec ses compagnons le chemin de Saint-Jacques. Ils passent par Paris, Orléans, Châtellerault, Poitiers, Bordeaux, les Landes – « le pays le plus ennuyeux du monde» –, Dax, Bayonne, puis Irún et l’Espagne. Manier décrit longuement tous les lieux qu’il a vus, signale qu’il a participé aux vendanges à Bordeaux et qu’au retour il a admiré, entre Saint-Jean-Pied-de-Port et Bayonne, un «pays abondant en cidre plus estimé que celui de Normandie. Les pommes sont ramassées dans les vergers par tas hauts de 40 à 50 pieds de haut, la plupart des pommes douces. Le pays est fort fertile» et ajoute que ses habitants «se servent ordinairement de sabots ouvragés, qu’ils portent avec tout le dessus du cou-de-pied découvert, faits très délicatement ».

À Blaye, il lui faut emprunter la barque en espérant qu’il n’y ait pas de tempête, car la traversée des Landes est longue et «nous avions de l’eau jusqu’à mi-jambes»

Carte extraite de « Le voyage de Madrid et le chemin de Saint-Jacques en Galice », La Route des Postes de Paris à Bayonne, Pierre Duval, 1659.

PAR LA MER, PAR LA MONTAGNE

Du IXe au XVe siècle, tous les pèlerins connus ont donc emprunté, pour se rendre en Galice, les voies de Tours ou d’Arles, puis en Espagne le «chemin français», avec un détour, parfois, par Oviedo. Et parmi ceux qui sillonnent la route méridionale depuis Arles par Toulouse et ceux qui empruntent la voie de Tours, tous ont franchi (excepté vers 1500) le col de Roncevaux. À Saint-Jean-Pied-de-Port, les douaniers sont longtemps redoutés car ils exigent un pourcentage sur l’argent emporté par les pèlerins. Des auberges les accueillant, comme La Campana ou Le Cheval Blanc dans la montée vers Roncevaux, sont connues depuis le XIVe siècle. Pendant la guerre entre la France et l’Espagne au XVIIe siècle, une citadelle est édifiée par Vauban pour contrôler le passage, à la place de l’ancien château fort qui protégeait la ville. Par le port de La Rochelle ou celui de Bordeaux, d’autres s’embarquent vers les ports des Asturies, afin de visiter le Saint-Sauveur d’Oviedo, ou de Galice pour aller directement à Saint-Jacques. À Soulac, Talais et Bordeaux débarquent aussi des pèlerins venus d’Angleterre qui désirent poursuivre leur pèlerinage par voie terrestre. Un pèlerin anonyme anglais part de Plymouth en 1425 et fait une halte à la pointe de Bretagne, avant de débarquer à Bordeaux, «cette belle cité» ; de là, il se rend à Bayonne – une «belle ville» – puis à Saint-Jean-Piedde-Port – « la première ville de Navarre, sûrement» – où il doit acquitter le péage aux douaniers, avant de passer la difficile épreuve du col de Roncevaux : «Du vin est là bien nécessaire, / Car dans ce passage ma bouche était sèche.» Les notaires de LaRochelle, pour leur part, rédigent les testaments de ceux qui s’embarquent pour Saint-Sauveur (d’Oviedo) et Saint-Jacques. En janvier1463, le roi Louis XI, qui vénérait l’apôtre saint Jacques, y accueillit sa mère, Marie d’Anjou, à son retour de Compostelle.

« RÉGION IDOINE »

« Sur le chemin du col de Cize, après Tours se trouve la région idoine, très bonne et pleine de tout délice des Poitevins. Les Poitevins sont des héros courageux et des guerriers virils, bons connaisseurs des arcs, des flèches et des lances dans le combat, forts de leur finesse, très rapides à la course, gracieux dans leurs vêtements, beaux de visage, habiles dans le langage, très généreux en récompenses, prodigues en hospitalité. Ensuite se trouve la région des Saintongeais. Là, une fois passés le bras de mer et la Garonne, c’est la région des Bordelais, où abondent le bon vin et les poissons mais dont la langue est rustique. »

1

2 © CDT 64

1. La Nive à Saint-Jean-Pied-de-Port (Pays basque), lithographie d’Eugène de

Malbos, xixe siècle. 2.Stèle ancienne au col d’Ibañeta invitant les pèlerins à prier la Vierge de

Roncevaux. 3.Croix Thibault à Uhart-Cize, sur les chemins de Saint-Jacques, entre Saint-

Jean-Pied-de-Port et Roncevaux.

Ainsi s’exprime l’auteur du chapitreVII du cinquième livre du Codex Calixtinus, que l’on a trop vite identifié comme étant Aymeri Picaud. Auteur d’une hymne à saint Jacques, ce prêtre de Parthenay-le-Vieux fait sans doute partie de ces nombreux «étrangers» accueillis dans l’école cathédrale de Compostelle… mais quarante ou cinquante ans après la rédaction de ce texte.

RENOUVEAU JACQUAIRE

Très fréquenté jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, le chemin de SaintJacques connaît une période de quasi-abandon au XIXe siècle. Néanmoins, le goût du Moyen Âge, la redécouverte des reliques sous le maître-autel de la cathédrale en 1880 et la publication en latin du texte du cinquième livre du Codex Calixtinus peu après, suscitent un nouvel intérêt pour le pèlerinage et son histoire. En 1938, Jeanne Vielliard republie le texte latin du cinquième livre, lui ajoute une traduction française et l’intitule Guide du pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle.

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