Mémoire HMONP

Page 1

robin perrault Habilitation à la Maîtrise d’Oeuvre en son Nom Propre

le détail,

un lien à la frontière entre

la conception

et

la réalisation

architecturale

- Sous la direction de Mathieu Bertheloot École Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Lille Mise en situation professionnelle dans l’agence ANMA Sous la tutelle de Guillaume Ribay-


remerciemments à : Mathieu Bertheloot : directeur d’étude Guillaume Ribay : tuteur en agence Roland Rettori, Juliette Moreau, Aimie Calvet, Giovanni Scandola, Hugues Desmoineaux, Daniela Avilés : collaborat.eurs-rices Margaux Lafont : amie


3

curriculum vitae travail

études

+ ANMA

+ master en architecture

Paris France | 2020-2021

Bruxelles | 2013-2018 | Distinction

CDD 18 mois : mission DET sur 2 chantiers de logements, du gros oeuvre à la reception (suivi, réunion de chantier, visas, coordination d’entreprises) + C. de Portzamparc Paris France | 2019-2020

CDD 6 mois : mission DET sur le chantier de l’université la Sorbonne Nouvelle (visas) + Etienne Benjamin Tours France | 2018

CDD en patrimoine : rénovation d’un château en Touraine et d’une orangeraie en Bretagne + entreprise SP3

Atelier territoire - Faculté d’architecture, ingénierie architectonique d’urbanisme LOCI, UCL + échange universitaire Ciudad de Mexico, Mexico | 2016-2017

Université de La Salle

stages + ingerop Paris France | 2016

stagiaire dans le pôle architecture/ urbanisme : mission de cartographie, participation aux études hydrologiques et à la faisabilité de la construction d’un viaduc sur l’A10

Paris France | travail saisonnier tous les juillets de 2011 à 2015

compétences

travail en manutention pour l’entreprise de chantier SP3 (tour de la défense, cité de la musique, ...)

++++ +++ ++++ ++ ++ ++ +

exposition + centre prompidou Kanal Bruxelles Belgique | 2018

Projection vidéo - réflexions urbanisitiques sur le territoire de Charleroi. Vidéo en ligne: https://www.youtube.com/ watch?v=B1kElx4fYDs&ab_ channel=MadeleineAccarain

Autocad Revit Adobe Photoshop Adobe illustrator Adobe indesign Rhinoceros Sketchup

+++ Anglais + Espagnol


4

présentation de l’agence 7 associés : Nicolas Michelin : fondateur de l’agence, il est partenaire et consultant sur les grands projets urbains qu’il a développé avant son départ. Cyril Trétout : associé historique de Nicolas Michelin, président d’ANMA, supervise les projets d’urbanisme et de paysagisme. Michel Delplace : associé historique de Nicolas Michelin, expert technique, supervise les projets architecturaux durant les phases d’étude jusqu’à la livraison. Guillaume Ribay : architecte et diplômé de génie civil, expert de la réalité constructive et défenseur des valeurs environnementales de l’agence, il dirige les équipes du pôle chantier. Olivier Calvarese : architecte, spécialiste dans la conception d’opérations de logement, il pilote la plateforme de recherche dédiée aux usages et à l’environnement. Faustine Robert : formée en architecture, en charge de l’atelier maquette de l’agence, responsable de l’agence parisienne dont elle coordonne les équipes et les moyens. Anne-Laure d’Artemare : architecte, s’occupe du développement, de la communication, et de la coordination de l’équipe de direction. Mélusine Hucault : architecte, urbaniste responsable des études urbaines.


5

historique de l’agence Fondée en 2001 par Nicolas Michelin, qui s’associera ensuite avec Michel Delplace et Cyril Trétout, ANMA est une agence d’architecture, d’urbanisme et de paysage basée à Paris, Bordeaux, Bruxelles et Pékin. A partir de 2020, après le départ de Nicolas Michelin, sept associés positionnent ANMA comme une agence apprenante : un collectif d’individus partageant leurs expertises et leurs expériences, sans silo, au service du projet et à toutes les phases1. Elle compte aujourd’hui une cinquantaine de collaborateurs architectes, urbanistes et paysagistes qui interviennent dès les phases de concours et d’étude, jusqu’aux phases d’exécution. L’agence possède la particularité de vouloir assurer une mission complète des projets qu’elle conçoit, et ainsi s’assurer de la qualité de la construction jusqu’au moment de la livraison.

organisation de l’agence L’agence s’articule autour de trois grands pôles principaux : études urbaines (pôle conception), études architecturales (pôle conception), réalisation et suivi des chantiers (pôle chantier) :

information juridique : ANMA/ Architectes Urbanistes est une SAS (société par actions simplifiées) et est active depuis 28 ans. Cyril TRETOUT est actuellement le président de l’entreprise. Domiciliée à Paris (75010), elle est spécialisée dans le secteur des activités d’architecture. Don effectif est compris entre 50 et 99 salariés. Sur l’année 2019 elle réalise un chiffre d’affaires de 7 067 800,00 euros. Le total du bilan est resté stable entre 2018 et 2019. Paris 9, cours des Petites Ecuries 75010 Paris, France agence@anma.fr Bordeaux 178, quai de bacalan – 2, place Victor Roulin 33300 Bordeaux, France Beijing Architecture & Planning consulting Co., Ltd Dongsi Shitiao ia 24, Jiachengyoushu B407C Bruxelles Rue Saint Georges, 64 1050 Ixelles, Belgique 1. https://anma.fr/fr/


6

présentation de la mise en situation professionnelle Actuellement en CDD dans l’agence ANMA, je travaille depuis mes débuts en avril 2020 dans le pôle chantier, en tant qu’architecte assistant, jusqu’à fin octobre 2021, la fin de mon contrat. Je travaille en équipe avec Roland Rettori, chef de projet, et nous sommes responsable de la mission de direction d’exécution des travaux (DET) de deux projets, que je présenterai succinctement dans les pages suivantes. Mon travail se partage donc entre le suivi de ces deux chantiers sur lesquels je me rends sur place plusieurs jours par semaine, et le reste du temps, à l’agence, où je m’occupe de nombreuses tâches. Principalement, il s’agit d’élaborer les visas de plan d’exécution des entreprises, et de manière générale, du travail relatif à la DET (concordance entre les travaux réalisés et les plans d’exécutions, travaux modificatifs, organiser les réunions, délivrer les ordres de services, coordination entre les lots dans l’exécution des ouvrages, etc.). Concernant l’organisation interne à l’agence, nous avons une plage d’une heure de réunion tous les vendredis avec mon chef de projet, que nous préparons afin de rendre compte de l’avancement des chantiers à notre associé référent en charge du pôle chantier, Guillaume Ribay. C’est donc au cours de ces réunions que nous discutons des visas en cours, des difficultés rencontrées sur le chantier avec les entreprises, le maître d’ouvrage, le planning, etc. Nous prenons des décisions à appliquer la semaine suivante.


7

présentation des deux chantiers


8

projet à dijon : nom du projet : Villa Flore nbre de logements : 97 MOA : Demathieu & Bard immobilier BET structure : BE Clément BET VRD : UrbaLab Bureau de contrôle : APAVE BET thermique / fluides : Elithis entreprises : 19 cotraitants


9


10

projet à saintmandé : nom du projet : Villa André Moynet nbre de logements: 120 MOA : Batigère BET structure et fluide : BITP bureau de contrôle : Qualiconsult entreprises : Demathieu & Bard construction

0

2

10

ELEVATION SUD

ECHELLE 1:500


11


12

sommaire 00.introduction...................................................16 01. la conception par le détail..............................20 1. le détail au service de la conception a. Le détail : définition b. Comment sert-il la conception ?

2. le détail : premier pas vers l’acte de construire a. Les apports extérieurs qui forgent le détail b. Stratégies internes à l’agence

3. le détail, un outil au service de l’économie de projet 02. transition.......................................................30 03. le détail sur le chantier ..................................34 1. le détail découle de la matière : exemple du mur de Rauch


13

2. le détail : un ordre en inadéquation avec la matière a. exemple d’un détail à la rencontre du béton et de l’acier b. relations entre le dessin et la construction c. pensée constructive et rôle prescripteur du dessin d. les conséquences du dessin souverain sur le chantier e. les conséquences sur l’autorité de l’architecte

3. le prototype : détail à l’échelle 1:1 04. conclusion....................................................48


00. introduction


15 Le dessin est un outil de l’architecte qui lui permet à la fois de concevoir et de faire construire un bâtiment. C’est un outil qui est au service d’une de ses missions architecturales définies par la loi de 1977 : « […] s’assurer du respect, lors de l’exécution de l’ouvrage, des études qu’il a effectuées. »1. Les études étant en grande partie composées par les pièces graphiques de l’architecte, c’est grâce à ces dernières qu’il maintient un contrôle durant la construction de l’ouvrage. Ces pièces graphiques comprennent un certain nombre de dessins (plans, coupes, élévations, etc.) et autres représentations du projet, mais un dessin nous intéressera plus particulièrement à travers cet écrit : le détail. En effet, son ambivalence intrigue, il pousse sa fonction anticipatrice jusque dans ces limites et semble être à l’interface entre deux mondes, celui de la conception et celui de la construction. « Du point de vue de sa conception – de sa pensée, de son dessin-, il [le détail] condense en lui-même, plus que partout ailleurs, la finalité quasi-exclusive de la construction » Cyrille Simonnet, architecte et historien2. À partir de cette intuition, j’ai voulu approfondir le sujet du détail, de sa conception en agence à son application sur le chantier, chercher les enjeux et les objectifs qui l’animent lors de sa conception puis lors de son passage à sa réalisation. Plus généralement la question à laquelle je vais tenter de répondre dans ce mémoire est la suivante : quelles sont les conséquences de la place particulière du détail : à la frontière entre conception et réalisation ? Dans un premier temps, nous analyserons les divers éléments qui permettent de définir le détail comme une aide à la conception tout en ayant déjà un pied dans le monde de la construction. Nous verrons alors quelles en sont les conséquences durant cette phase de conception. Dans un second temps, nous observerons que c’est au moment de sa réalisation sur le chantier que le détail connaît une deuxième naissance, lorsqu’il rencontre les forces de la production, grâce auxquelles il peut enfin devenir architecture3. Nous décomposerons les conséquences de sa double identité, entre dessin projecteur et réalité constructive, lors de la phase d’exécution, et nous tenterons d’en tirer des enseignements. Le propos développé dans ce mémoire s’est appuyé sur les

1.Loi n°77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture. Article 7 Consulté sur le site : http:// www.legifrance.gouv.fr. 2.SIMONNET, Cyrille, L’Architecture ou la fiction constructive, Les Editions de la Passion, 2001, p67 3.PICON-LEFEBVRE, Virginie ; SIMMONET, Cyrille, Les architectes et la construction, Parenthèses, 2014, avant-propos de Philippe Potié, p17.


16 réflexions que l’on a pu avoir lors des sessions de cours, ainsi que par des lectures. En parallèle, mes recherches théoriques ont été ponctuées par des expériences concrètes vécues sur le chantier au cours de ma mise en situation professionnelle dans l’agence ANMA, me permettant de vérifier certaines hypothèses et de nourrir mon propos en faisant émerger de nouvelles réflexions. C’est également grâce à des interviews de collaborateurs expérimentés que j’ai pu appuyer et étayer mes propos. Aujourd’hui, ANMA dédie presque 90 % de son activité à de grands projets de logements privés, c’est également dans ce contexte que j’ai élaboré ma réflexion sur le détail.



01. la conception par le détail


Qu’est-ce que le détail ? Comment sert-il la conception ? Comment se projette-t-il dans la réalité constructive ? Qu’est-ce qui le nourrit et le fait évoluer tout au long de la mission d’architecture ? Nous aborderons d’abord le rôle du détail au moment de la conception, puis nous tenterons de comprendre le lien particulier qu’il entretient avec le monde de la construction, et enfin les conséquences que l’on peut tirer de ces observations.

19

1. le détail au service de la conception a. le détail : définition Lorsqu’on recherche le mot détail dans le Larousse, on observe une certaine opposition entre ses différentes définitions. D’une part, il serait un élément secondaire, avec moins d’importance que le reste du tout qu’il compose, et d’autre part, il serait l’élément qui permettrait d’aller au fond des choses, minutieusement1. La définition du détail semble donc ambiguë, multiple, et même contradictoire. Dans le contexte de l’architecture, cette contradiction s’applique également. En effet, le détail est la représentation par le dessin d’éléments discontinus à grande échelle. Il permet donc de définir l’agencement précis des éléments, des matériaux qui le composent. À l’inverse, lorsqu’on s’éloigne, depuis le détail vers le projet dans son ensemble, il disparait au profit du tout, il devient alors secondaire, dilué dans une échelle dans laquelle il se confond. C’est justement cette double définition qui confère au détail sa capacité à zoomer et à dé-zoomer, et qui lui permet de régler des problèmes d’ordres esthétique, formel, structurel, etc. Et ce n’est qu’après une série d’allers et retours dans les échelles que le détail se concrétise. « Une caractéristique du détail (qui pourrait presque tendre à sa définition) est encore de marquer le lieu d’une certaine discontinuité : formelle, matérielle, fonctionnelle, dimensionnelle… et de « gérer », constructivement, esthétiquement, cette discontinuité. » Cyrille Simonnet, architecte et historien2.

1. https://www.larousse.fr/ dictionnaires/francais/detail _Petit élément constitutif d’un ensemble, et qui peut être jugé comme secondaire. _ Développement minutieux, énumération des différentes phases d’un événement, description circonstanciée d’un fait. 2. SIMMONET, Cyrille, L’Architecture ou la fiction constructive, Les Editions de la Passion, 2001, p67


20

b. comment sert-il la conception ? À la suite des cinq discussions que j’ai entretenue avec les différents chefs de projets, il a été possible de dégager une utilisation et un moment idéal où il faudrait faire appel au détail. Chaque interview était structurée par les mêmes questions, ce qui leur a donné valeur de comparaison1. Il en est ressorti que le détail doit servir la conception et doit donc arriver assez tôt dans les discussions. En effet, nous le verrons par la suite, il nourrit le projet et le fait avancer en posant des questions précises. Le détail est important dans la compréhension précise et ciblée du projet, mais aussi dans la compréhension de sa globalité. En effet, il permet de définir comment s’appuient les choses, s’il y a des ponts thermiques et donc s’il est nécessaire d’ajouter un isolant, s’il y a des appuis précaires, etc. Tout cela donne une épaisseur aux éléments qui articulent le projet, et contrôler cette épaisseur, cette densité, grâce au détail, c’est se donner les moyens de maîtriser le projet dans sa globalité. Le détail peut être mis au service d’une idée architecturale (une trame en façade, une modularité des espaces, etc.), si la dimension réelle des choses n’est pas contrôlée, cela peut tout remettre en question. Le détail n’est donc pas qu’une question de structure, d’étanchéité ou encore de fixation, c’est aussi une question d’esthétique. Au plus tôt le détail est dessiné, au plus tôt il est source de discussions entre les différents acteurs. En effet, selon Juliette, dès les phases d’esquisse, parler d’espace, de trame, d’esthétisme, est une expertise intellectuelle difficile à valoriser, alors que le détail fige et donne une légitimité au travail de l’architecte. Il ancre le dessin dans une réalité presque palpable et vérifie, maîtrise ce que l’on imagine. Défendre un détail, c’est défendre une idée architecturale, car c’est par celui-ci que l’on prouve son existence, qu’on la matérialise. À l’opposé, ces entretiens montrent qu’il est déconseillé de les faire trop tard, car par manque de temps, on se retrouve obligé de produire des détails communs, qui sont

1.Questions d’interview : _peux-tu en quelques mots me présenter ton projet ? _quand as tu commencé à t’intéresser au détail, à quelle phase ? _comment conçoit-t-on les détails chez ANMA ? y a-t-il eu une stratégie d’agence concernant la conception des détails ? _que penses-tu du rôle, de l’importance du détail en conception ?


21 hors contexte, trop éloignés du projet, qui ne sont pas pensés et ne reflètent donc pas le souhait du concepteur. Malheureusement, il est parfois difficile de pouvoir y consacrer du temps. Comme le confesse Aimie, lorsque le programme est compliqué, on peut passer énormément de temps à gérer l’organisation du projet, les circulations, les locaux techniques, les plans de chaque bureau ou de chaque logement, etc. Il ne reste alors plus assez de temps pour dessiner les détails. De même, un budget serré peut entraîner beaucoup de discussions avant d’acter une décision, et sans avoir décidé ce que l’on veut, il est difficile d’en dessiner le détail.

02. le détail : premier pasvers l’acte de construire a. les apports extérieurs qui forgent le détail Une des caractéristiques du détail est qu’il représente graphiquement la rencontre entre différents matériaux. Le dessin d’un détail suit souvent alors un schéma régit par les règlementations. Dans un premier temps, il faut prendre en compte chaque matériau représenté sur le dessin du détail et se renseigner grâce aux Documents Techniques Unifiés (DTU), sur leur mise en œuvre. Ceci est un premier pas vers le monde de la construction, en effet, les DTU se composent de l’ensemble des savoir-faire, des clauses et des normes à satisfaire pour assurer la bonne réalisation des travaux dans le secteur de la construction, tant au niveau de la qualité que de la sécurité1. On peut également se référer à un avis technique, il concerne un produit et sa mise en œuvre spécifique, certifiant les niveaux de performance atteint par un système constructif en fonction d’un domaine d’application². On frôle à présent le monde de la construction, puisque l’avis technique est développé directement par un fabricant, qui fournira ensuite les entreprises de la construction. Chez ANMA, on retrouve les DTU et certains avis techniques fréquemment utilisés dans une base de données interne à l’agence. On y retrouve par exemple un document de l’entreprise ArcelorMittal, certifié conforme à l’Avis Technique de la pose de panneaux en toiture. Ce document

1.https://www.obat.fr/blog/ nf-dtu/ 2.https://fr.wikipedia.org/ wiki/Avis_technique


22 permet alors de dessiner un détail au plus proche de sa futur mise en œuvre, et dont les limites de sa faisabilité sont connues. On peut également contacter les fabricants si l’on a une question à leur poser, leur service conception peut alors nous aider à dessiner un détail plus à même d’être mis en œuvre comme souhaité au moment de la réalisation. Dès lors, il est possible d’envisager une rencontre avec des fabricants, dès les phases d’avant-projet si on connaît déjà avec précision le système constructif qui sera utilisé et les matériaux qui devront se rencontrer. « On demande au représentant d’arriver avec leurs produits, on propose telle ou telle modification et ils adaptent dans la mesure du possible leur technologie à nos dessins. Le dialogue existe, l’important, c’est de savoir ce que l’on veut. » Henri Ciriani, architecte1. Ces préoccupations en amont sont primordiales, puisqu’elles assurent au moment du chantier, lorsque le détail rencontrera les forces de la production, que le détail soit mis en œuvre tel qu’il était prévu2. Autrement, la maîtrise d’œuvre prend alors le risque que le détail ne soit pas réalisable et que cela entraîne des modifications qui altéreront la volonté architecturale initiale.

b. stratégies internes à l’agence En plus des apports extérieurs qui viennent sculpter le détail, les stratégies internes aux agences d’architectures peuvent également impacter le dessin des détails. Dans le cas de l’agence ANMA, une organisation transversale des connaissances est mise en place afin de faciliter la communication entre les différentes spécialisations. Par exemple, un salarié, provenant d’un groupe d’ingénierie spécialisé en phase d’exécution, a été nommé responsable technique de l’agence. Il assiste notamment les chefs de projet pour la conception des détails, mais aussi le pôle chantier pour leur bonne réalisation. L’idée d’horizontalité et de transmission des connaissances se traduit également par des réunions mensuelles entres les différents pôles. L’idée est

1.PICON-LEFEBVRE, Virginie ; SIMMONET, Cyrille, Les architectes et la construction, Parenthèses, 2014, entretien avec Henri Ciriani, p4. 2. Ou au moins on met toutes les chances de notre côté pour que cela arrive.


23 qu’une fois par mois et pour chaque projet, se réunissent le chef de projet en charge de la conception, un chef de projet du pôle chantier ainsi que le spécialiste technique. Michel Delplace et/ou Guillaume Ribay, deux associés expérimentés aux connaissances constructives fines y participent également. Forts de leurs expériences respectives de la construction et du détail, ils contribuent à l’amélioration de celui-ci en conception. Cependant, ANMA rencontre aujourd’hui des difficultés à maintenir ce système transversal. D’une part, à cause du peu de disponibilité de chacun, cela rend difficile de rassembler tout le monde autour d’une table au même moment. D’autre part, aujourd’hui, du fait du jeune âge des chefs de projet du pôle chantier, l’équipe ayant beaucoup tourné ces dernières années, on note encore un manque d’expérience pour assister à ces réunions. À moyen-long terme, Guillaume Ribay, en charge du pôle chantier, souhaite que les chefs de projet de chantier puissent suivre chacun un ou plusieurs projets en cours de conception. Ce système transversal est aussi un très bon moyen pour transmettre l’historique du projet, pour anticiper un départ, ou simplement pour faciliter la passation du projet entre les deux pôles de l’agence. Aujourd’hui, l’agence subit parfois son organisation en pôle, surtout au moment du chantier, et une telle organisation possède des avantages, notamment la double attention que l’on pourra donner au dessin du détail, de l’ordre de la conception et de la construction. Certains associés ont eu la volonté de créer une banque de détails, dans l’optique d’améliorer la qualité et la vitesse de production des détails à l’agence. Malheureusement, cette bibliothèque existe, mais elle est pour l’instant incomplète et donc peu utilisée. En effet, il est difficile de la mettre en place de façon pérenne, c’est-à-dire de l’entretenir, de la mettre à jour, car cela demande un travail permanent, trop chronophage. La banque de détail implique également l’usage de matériaux toujours identiques, de prestataires connus par l’agence, d’une mise en œuvre similaire, etc. Dans le cas d’ANMA, qui travaille sur tout le territoire français, les exigences de prix sont très variées d’un maître d’ouvrage privé à l’autre, la mise en place d’un détail type sur l’ensemble ou même une partie des projets de l’agence en devient donc complexe1.

1. A ce sujet, j’ai pu demander à Amaury Greig, associé dans l’agence Renzo Piano Building Workshop, quelle était leur utilisation d’une banque de détail. J’avais souvent entendu parler de leur banque de détails auprès de mes collègues, dans des discussions avec d’autres architectes, cependant, il m’était impossible de trouver de la littérature sur ce sujet précis. A ma question, il a répondu : Nous n’avons pas de banque de détail à l’agence, c’est d’ailleurs un des défauts que nous constatons, de ne pas avoir des archives assez synthétiques de détails d’éxecution... Nous pouvons également constater que de nombreux magasines tels qu’ AMC ou la revue Détails proposent également des dessins de détails déjà réalisés, où les architectes peuvent venir s’inspirer de l’ingéniosité ou de l’esthétisme d’autres agences. On observe alors à travers ces médias une valorisation du dessin du détail.


24 Néanmoins, à une époque où la commande publique était plus importante pour l’agence, le détail type était un outil assez utilisé. En plus de faire gagner du temps, il est aussi utile à l’économie de projet, permettant de maîtriser rapidement le coût d’un détail. Par exemple, le faux-plafond en Fibralith est un élément qu’ANMA a beaucoup mis en œuvre dans ses projets, ainsi l’agence maîtrise les détails de fixation, les détails de calepinage et son prix. Grâce à ces éléments, prescrire ce type de matériaux permet de contrôler à la fois une esthétique et une économie du projet.

03. le détail, un outil au service de l’économie de projet Plus largement, le détail est au centre de la gestion de l’économie de projet, car c’est souvent autour de lui que les discussions entre architecte, économiste et maître d’ouvrage se déroulent. Dans ce contexte-là, il reste important de penser le détail assez tôt, Guillaume Ribay confirme en effet que « plus il est pensé en amont de la conception, plus le détail s’inscrit dans une économie de projet, et plus on maîtrise les choses, au moins sur les idées fortes. Il faut au moins gérer les idées fortes, si jamais on ne peut pas tout traiter, cela peut se faire au moment du chantier, ou avec des détails type ». L’architecte Christian Hauvette nous raconte dans un entretien que son économiste vient toutes les semaines et qu’il a un droit de veto si une solution est trop couteuse1. Cette anecdote nous montre que l’économiste a une importance capitale dans la conception. Pendant longtemps, ANMA a fait appel à un prestataire extérieur, mais a préféré aujourd’hui un économiste interne, pour des questions économiques. C’est lui qui écrit certains CCTP et il arrive qu’il aide et conseille la conception des détails. Malheureusement, en marché privé, la mission d’économie de projet ne nous est pas toujours confiée, et en tant qu’architecte, nous perdons une partie du contrôle du projet qui nous revient habituellement. En effet, pour respecter le budget de l’opération, il est souvent nécessaire de modifier les détails (matériaux, fixation etc.) qui sont alors moins couteux. Avoir l’économie du projet nous permet de garder la main sur ces modifications afin de ne pas dénaturer le projet.

1. PICON-LEFEBVRE, Virginie ; SIMMONET, Cyrille, Les architectes et la construction, Parenthèses, 2014, entretien avec Christian Hauvette, p75


25

« Le problème, c’est que le détail coûte cher. Tout le monde sait qu’au « less is more » de Mies ven der Rohe correspond « less costs more » Henri Ciriani, architecte1. Si l’architecte est missionné pour l’économie de projet, il en devient alors responsable. Cela signifie qu’au moment des appels d’offres, durant la phase d’Assistance pour la passation des Contrats de Travaux (ACT), si les réponses des entreprises dépassent le budget, alors l’économie de projet durant la phase PRO a été défaillante, et l’architecte doit donc être capable de proposer des variantes de son dossier de consultation des entreprises (DCE) afin d’arriver à un budget qui respecte le contrat. Or, comme nous l’avons vu, le détail est un des outils grâce auquel on peut négocier des prestations. Le détail est donc au cœur de cette phase d’ACT durant laquelle il est analysé, discuté, négocié, pour tenter de diminuer le coût total de la construction. Les conséquences de ces modifications peuvent être importantes et toucher à l’esthétique du projet. Prenons l’exemple d’un projet de l’agence à Villepinte, le budget n’avait pas été tenu et il a fallu proposer des variantes lors de la phase d’ACT. Une de ces variantes portait sur la modification du type de toiture. Le détail prescrivait la pose d’un bac acier type joint debout de chez Mauka Line. Cette prestation étant finalement trop onéreuse, nous avons opté pour un bac acier plus simple et moins cher. Seulement la modification du bac acier entraîne un type de pose différent, une structure différente (nombre et position des chevrons), un détail de rive différent. À la suite de cette modification, il faut reprendre les détails, les coupes, les élévations concernées. Enfin, ces modifications doivent être reprises à la fois sur les pièces graphiques et sur les pièces écrites. Cette phase est donc très importantes, car elle modifie l’esthétique du projet, et il est important pour l’architecte d’y participer afin de contrôler les variantes qui sont proposées. Dans le cas du projet de Villepinte, la variante décrite ci-dessus a été choisie plutôt qu’une autre, car elle n’était pas en contradiction avec l’idée initiale du projet. Durant la phase d’ACT, la discussion s’opère entre l’économiste, le maître d’ouvrage et l’architecte. Viennent s’y ajouter les entreprises « pré-sélectionnées », dans le but de

1. PICON-LEFEBVRE, Virginie ; SIMMONET, Cyrille, Les architectes et la construction, Parenthèses, 2014, entretien avec Henri Ciriani, p41


26 négocier directement avec elles des possibilités de variantes possibles, car elles connaissent déjà le projet et ont la volonté de répondre au prochain appel d’offres. Cependant rien ne leur garantie qu’elles seront choisies, en effet, à la suite de cette phase, un nouveau PRO DCE est proposé par l’architecte et un nouvel appel d’offres est lancé, si une entreprise est moins chère, elle sera alors sélectionnée. « Je suis obligé de faire un projet fini alors que j’aimerais bien que cet objet se modifie après les négociations avec les entreprises. Je suis obligé de tout définir. Je sais que si je laisse un projet ouvert, le promoteur ne se préoccupera pas de ce qui me semble important. » Stanislas Fiszer, architecte1. Le détail est donc au cœur d’une négociation économique forte, il acte contractuellement les prestations que les entreprises devront fournir au moment de la construction. La mission d’économie de projet permet à l’architecte d’avoir un contrôle plus important sur son bâtiment, il peut ainsi influencer telle ou telle variante en fonction de ce qu’il pense être important. Lorsque cette mission ne nous est pas attribuée, il est alors important de prévoir un travail de relecture du CCTP. En effet, cela permet de s’assurer que les prescriptions écrites correspondent bien aux intentions architecturales définies par les détails.

1. PICON-LEFEBVRE, Virginie ; SIMMONET, Cyrille, Les architectes et la construction, Parenthèses, 2014, entretien avec Stanislas Fiszer, p64 Juste avant, Stanislas Fiszer tient également ces propos :

« Pour ce chantier je ne fais

pas de véritable dossier d’exécution, mais un dossier de consultation des entreprises le plus léger possible. L’entreprise demande un projet simple qui corresponde le plus à ce qu’elle sait faire, et il m’est difficile de m’y opposer dans la mesure où cela rentre en résonance avec mes propres préoccupations relatives aux conventions constructives. Comme je veux garantir le résultat, nous dessinons toutes nos façades à l’échelle 5cm/m pour le permis avant de les réduire, ce qui fait qu’il est très difficile de modifier quelque chose. Nous avons perverti la procédure pour garantir le résultat ! »

Il est intéressant de voir que la question de la collaboration entre architecte et entreprise n’est pas évidente, nous aborderons ce thème dans l’ouverture.



02.transition


29 Au cours de cette partie, on a pu constater que le détail tenait plusieurs rôles lors de la phase de conception. D’une part, il est évocateur d’idées, de volontés architecturales, c’est le dessin du détail qui permet d’avoir un contrôle sur certains aspects esthétiques du projet. Il acte des partis pris architecturaux. Il est important de l’anticiper et de le prendre en compte durant tout le temps de la conception, car l’épaisseur qu’il donne aux éléments et à leur jonction peut aller à l’encontre d’une idée et il faut alors du temps et du travail pour remettre le détail au service de cette idée. D’autre part, on a vu que les expériences de la production nourrissent le détail. En effet, il se dessine à l’aide des documents produits par les acteurs de la construction et se concrétise parfois avec leur collaboration. Au sein d’une agence, la mise en place d’une horizontalité dans la transmission des connaissances peut s’avérer être une stratégie utile à la bonne conception du détail, car elle permet un retour d’expérience sur la bonne ou la mauvaise exécution de ces derniers sur le chantier, ainsi que les erreurs à ne plus reproduire. Le détail devient alors un lien entre le monde de la conception et celui de la construction. « En équilibre entre le dessin et le chantier, le détail capte aussi bien les stratégies de l’un et de l’autre, les inversant dans une étonnante symétrie. Car, d’un côté, le détail emprunte au dessin sa capacité à symboliser pour la conférer au geste, à l’acte manuel de la construction (c’est l’échelle du détail) ; et de l’autre, il transpose la force, la concrétion, l’énergie propre du geste producteur dans l’événement plastique singulier auquel il donne naissance. De cette symbiose naît cette petite lucarne de l’architecture par où l’architecte à l’air de donner la main au chantier, à l’ouvrier. » Virginie Picon-Lefebvre, architecte et professeur & Cyrille Simonnet, architecte et historien1. Par ce statut à mi-chemin entre le dessin et sa réalisation, le détail est un outil parfait du contrôle de l’économie de projet. C’est souvent autour du détail que vont se jouer les négociations des variantes, que ce soit durant les phases de conception ou en phase d’ACT. Il est important pour l’architecte de faire partie de ces négociations, car d’une part nous avons un

1.PICON-LEFEBVRE, Virginie ; SIMMONET, Cyrille, Les architectes et la construction, Parenthèses, 2014, conclusion, p159


30 devoir de conseil, et d’autre part nous devons être en mesure de tenir sur les points qui nous semblent essentiels, qualitatifs, ou au service de l’idée architecturale initiale. Le détail est également un outil précieux de la rédaction des pièces écrites par l’économiste. Le dessin du détail, accompagné de sa description écrite, deviennent prescription, un ordre contractuel qu’il faudra ensuite faire respecter au moment du chantier. « Le détail apparaît ainsi comme l’opérateur d’une double métamorphose. Celle qui permet à l’acte de construire (techniquement et économiquement) d’exalter sur le plan esthétique les lignes sensibles de l’architecture […] ; et puis celle qui, par le fait de sa nature anticipatrice, transmue cette symbolique expressive en efficacité prescriptive, inférant apparemment au signe une rationalité directe sur le chantier. » Cyrille Simmonet, architecte et historien1. Dans la seconde, partie nous verrons qu’au moment du chantier, le détail continue d’avoir cette double identité qui est à la fois de l’ordre de la volonté architecturale (conception), de la mise œuvre (construction). Cependant, il reste avant tout un moyen de représentation, et de ce fait reste du côté de la conception. En effet, comme l’explique Philippe Potié, architecte et professeur à l’école de Versailles, pour qu’un tel objet, pensé et imaginé sur la table à dessin, devienne architecture, il doit nécessairement rencontrer, à un moment ou à un autre, les forces de la production². Dès lors, en se confrontant à la matière, le détail complexifie son identité.

1. SIMMONET, Cyrille, L’Architecture ou la fiction constructive, Les Editions de la Passion, 2001, p73 2.PICON-LEFEBVRE, Virginie ; SIMMONET, Cyrille, Les architectes et la construction, Parenthèses, 2014, avant-propos de Philippe Potié, p17.



03. le détail sur le chantier


Dans cette seconde partie, nous verrons que le détail devient pleinement architecture lorsqu’il rencontre les forces de la production, les techniques de mise œuvre, la matière. Nous nous poserons la question des conséquences que sa double identité peut entraîner durant le chantier et les enseignements que l’on peut en tirer.

33

« Lorsqu’on arrive au stade de la fabrication, un ultime réglage est nécessaire en fonction de l’équipe qui est en face de vous, des matériaux définitivement adoptés. Cela m’intéresse de montrer quatre plans à des stades différents : une esquisse ou des croquis de départ, le plan de permis de construire, les plans d’appel d’offres et l’état des lieux finis. On peut croire qu’il s’agit du même plan, mais le dernier est le meilleur, dans la mesure où il s’est incarné, il s’est nourri de la fabrication. » Roland Simounet, architecte1. Dans un premier temps, nous aborderons le rôle que peut avoir la matière dans la mise en œuvre du détail. Dans un second temps, une expérience de chantier mettra en avant que le dessin d’un détail peut être en inadéquation avec la matière et nous verrons les conséquences que cela peut avoir. Dans un troisième temps, la contradiction entre des pièces graphiques permettra de démontrer que le prototype, par sa capacité à dépasser le détail, peut se mettre au service d’une décision au cours du chantier.

1. le détail découle de la matière : exemple du mur de Rauch L’acte de bâtir est difficilement concevable par la mise en œuvre seule de la matière brute. C’est grâce à un processus de transformations que l’on fait subir à cette matière que naît le matériau, indispensable à la construction. Prenons l’exemple de la terre crue, un matériau utilisé dans la construction depuis plusieurs millénaires, qui provient d’un assemblage de matières telles que la terre, l’eau, parfois de la paille etc². Elle illustre aisément l’idée de matière, par son aspect brut, son épaisseur ou même sa densité. Nous verrons grâce à la maison de Martin Rauch3, céramiste sculpteur ayant expérimenté la terre crue durant 30 ans à travers la technique du pisé, comment ce matériau évolue à la suite de sa mise en œuvre et

1. PICON-LEFEBVRE, Virginie ; SIMMONET, Cyrille, Les architectes et la construction, Parenthèses, 2014, entretien avec Roland Simounet, p129 2. https://fr.wikipedia.org/ wiki/Terre_crue 3. Photo de la maison Rauch par Beat Bühler.


34 comment le détail architectural va venir répondre à un besoin imposé par la matière même. « […] il n’est pas possible d’avoir une idée sans la matière, toute invention de l’artiste naît avec un destin matériel. Il y a une intériorisation dans le temps de la technique et des possibilités des différents matériaux sans laquelle il n’est pas possible d’avoir des idées. » William JR Curtis, historien de l’architecture1. Lorsque l’on pense au mur de pisé, le principal inconvénient qui nous vient à l’esprit est la pérennité de l’ouvrage. Les intempéries sont souvent la cause de détérioration, car l’eau emporte l’argile par ruissellement et provoque des dégâts internes au mur par capillarité. Mais une idée simple de Rauch a permis d’apporter une alternative à ce problème : un liseré de briques de terre cuite entre plusieurs couches de terre compacte vient protéger le mur vulnérable de terre crue. Ce détail a plusieurs fonctions. Premièrement, il protège le mur de la pluie puisque la briquette en débord de mur fait office de chapeau. Plutôt qu’une plus grande protection en toiture, il fait ici preuve d’ingéniosité en créant une succession de « petits toits ». (cf schéma 2) Ce système permet également de réduire la vitesse l’écoulement des eaux le long de la façade et ainsi de contrôler l’érosion du mur. (cf schéma 1) En effet, une première érosion du mur en pisé est inévitable, où les particules d’argile les plus fines en façade sont emportées et laissent apparaître les petites pierres imbriquées les unes aux autres. Après cette première érosion, ce nouveau parement de pierres sèches apparentes est souvent à son tour dégradé par l’écoulement des eaux le long de la façade qui entraîne alors même les plus gros morceaux. Ici, le système mis en place permet de contrôler cette seconde érosion en ralentissant drastiquement cet écoulement. Ce détail permet donc de contrôler la stabilité du mur. À ce stade de l’érosion, on peut donc repenser la structure même du mur : c’est un mur en terre crue entouré d’une couche comparable à un mur de pierres sèches. (cf schéma 3) Or, pour être stable, un mur en pierre sèche doit avoir un rapport hauteur/largeur raisonnable, et avoir une fondation solide. Ces deux éléments sont apportés

1. ralentissement de l’eau

2. micro avant-toit

3. fondation en pierre

Schéma fonctionnement mur de Martin Rauch (dessiné à partir de l’article de Pierre Frey cité plus loin)

1.CURTIS William J.R, Réflexion sur l’abstraction. Poïesis : la Matière et l’Idée, n°13, p30.


œuvre, de ses réactions, qui importe lorsque l’on veut transmettre un savoir-faire.

sle

-

it

en

,

t

35

1) axono

par la mise en place à distance régulière de la brique en terre cuite². D’autre part, ce détail a un double aspect esthétique. Premièrement, en gérant cette érosion, il permet de contrôler O r i l e s t b o n , e n a rch i t ec t ure , de s e s e r v i r de s n éce ss i t é s de son aspect extérieur,l asacomatérialité ns t r u c t i o n co m visible m e d’un m(cf oye ncoupe déco ra t idétail). f, d’a cc us e r f ra n ch e m e nt ce s n éce ss i t é s . I l n’ y a p a s de h o nt e à le s fa i re Deuxièmement, il rythme la façade, lui donne une épaisseur vo i r, e t c ’e s t un e m a rqu e de b o n go û t , de b o n s e ns e t de s avo i r, de m o nt re r e n le s fa a nt e ntsymbolique, re r d a ns l a déco ra et créé des jeux d’ombres (cfle saxono). Sur lei splan t i o n de l’œ uv re . A v ra i d i re , i l n’ y a , p o ur le s ge ns de go û t e t s e nsen , qu pisé, e ce t t e par déco ra n qu i s o i t s a tsuccessif i s fa i s a nt e , p a rce la mise en œuvre du demur let i otassement le e s t m o t ivée   des couches de terre,qVu’el reproduit à l’échelle humaine I O L L E T- L E - D U C , E u g è n e , H i s t o i re d ’ u nun e maison, Infolio, 2 0 1 9 ,long p 1 4 6 . de plusieurs millions d’années. phénomène géologique Les lignes horizontales qui en résultent représentent les couches géologiques superposées que l’on peut voir dans les carrières, comme si la construction était creusée directement dans la terre. Le détail de Rauch renforce cet effet, comme si coupe une couche 3 ) c o udétail pe détail 2 ) c o ude p e fossiles venait s’intercaler entre des couches de sédiment. S E S S I O N 3 / E X E R C I C E / L E D E TA I L

« […] il est bon, en architecture, de se servir des nécessités de la construction comme d’un moyen décoratif, d’accuser franchement ces nécessités. Il n’y a pas de honte à les faire voir, et c’est une marque de bon goût, de bon sens et de savoir, de les montrer en les faisant entrer dans la décoration de l’œuvre. À vrai dire, il n’y a, pour les gens de goût et de sens, que cette décoration qui soit satisfaisante, parce qu’elle est motivée », Eugène Viollet-le-Duc, architecte2. R O B I N P E R R A U LT

O UV E

En 2017, au cours d’un stage de formation à la construction en terre crue au Maroc, nous avons recréé un morceau de mur en pisé inspiré de la maison de l’architecte Martin Rauch. Les enseignements que j’en tire aujourd’hui sont inspirés des réflexions que nous avons eu durant les sessions 3 et 4 de la HMONP

L’idée de Rauch est d’ajouter un liseré de briques de terre cuite entre plusieurs couches de terre compactée. Ce détail a plusieurs fonctions. Premièrement, il protège le mur de la pluie puisque la briquette en débord de mur fait office de chapeau. Plutôt qu’une plus grande protection en toiture, il fait ici preuve d’ingéniosité en créant une succession de « petits toits ». Ce système permet également de réduire la vitesse l’écoulement des eaux le long de la façade et ainsi de contrôler l’érosion du mur. En effet une première érosion du mur en pisé est inévitable, où les particules d’argile les plus fines en façade sont emportées et laissent apparaitre les petites pierres imbriquées les unes aux autres. Ce nouveau parement de pierres sèches est souvent à son tour dégradé par l’écoulement des eaux le long de la façade qui entraine même les plus gros morceaux. Ici le système mis en place permet de contrôler cette seconde érosion en ralentissant drastiquement cet écoulement. Ce détail permet donc de contrôler la stabilité du mu A ce stade de l’érosion, on peut donc repenser la structure même du mur : c’est un mur en terre crue entouré d’une couche comparable à un mur de pierres sèches. Or pour être stable, un mur en pierre sèche doit avoir un rapport hauteur/largeur raisonnable, et avoir une fondation solide. Ces deux éléments sont apportés par la mise en place à distance régulière de la brique en terre cuite.

La nécessité de protéger un matériau vulnérable a poussé le constructeur à imaginer un détail à la fois fonctionnel et esthétique. Plus sensiblement, Eugène Viollet-Le-Duc nous explique que c’est parce que le détail est motivé par un besoin qu’il en devient esthétique. Le détail existe donc grâce à un besoin, un besoin convoqué par un matériau : le détail découle de la matière. D’autre part, ce détail a un double aspect esthétique, puisqu’en gérant cette érosion, il permet de contrôler son aspect extérieur, sa matérialité visible (cf coupe détail). D’autre part il rythme la façade, donne une épaisseur et créé des jeux d’ombres (cf axono). La mise en œuvre du mur en pisé, par le tassement successif des couches de terre, reproduit à l’échelle humaine un phénomène géologique long de plusieurs millions d’années. Les lignes horizontales qui en résultent représentent symboliquement les couches géologiques superposées que l’on peut voir dans les carrières, comme si la construction était creusée directement dans la terre. Le détail mis en œuvre renforce cet effet, comme si une couche de fossiles venait s’intercaler entre des couches de sédiment.

2. le détail : un ordre en inadéquation avec la matière

Nous venons de voir que le détail était intimement lié aux nécessités de la matière. Or, au moment du chantier, les détails qui sont conçus en amont, en anticipation, deviennent parfois en contradiction avec cette même matière.

Au t Ferro, de la m

«Il n’e jugeon

En e recour Mâalem Obse aux qu ité con erne d dont il ites. Il œuvre,

1) axono

axono

Or il est bon, en l a co ns t r u c t i o n co m f ra n ch e m e nt ce s n é vo i r, e t c ’e s t un e m s avo i r, de le s m o nt t i o n de l’œ uv re . A de s e ns , qu e ce t t e d q u’el le e s t m o t ivée  V I O L L E T- L E - D U C 2019, p146.

1.FREY, Martin, 2 ) c o u p e Terre à Terre, dans L’Architecture d’Aujourd’hui, p64-67, lu depuis le site : http:// vincent-marsat.fr/PERSO/ TaT.pdf 2.VIOLLET-LE-DUC, Eugène, Histoire d’une maison, Infolio, 2019, p146.


36

a. exemple d’un détail à la rencontre du béton et de l’acier Le détail dont il sera question prend place sur le chantier de Dijon, un projet de 97 logements en corps d’état séparés. Le détail 1) est le dessin en élévation du détail marché d’un garde-corps, posé en tunnel sur le tableau de baie en béton brut. Il correspond également à la description suivante : - Garde-corps acier avec finition thermolaquée. - Lisses hautes et basses et potelet en fer plat de 60x12 mm. - Barreaudage de section carré 12x12 mm. - Ensemble mécano-soudé. Fixation en ébrasement béton par cheville béton adaptée. Sur ce détail, le point qui nous intéressera plus particulièrement est que les lisses supérieures et inférieures sont fixées directement sur le béton. Or, le béton est un matériau qui se met en œuvre dans un état plastique, et l’entreprise de gros œuvre n’a pas l’obligation que ses éléments soient parfaitement droits et linéaires, ils peuvent subir une marge d’erreur prévue par le DTU du béton, leur tolérance étant de 15 mm pour 2 m et 6 mm pour 0,2 m1. Ainsi, une ouverture de baie de deux mètres de haut dans un mur en béton peut ne pas avoir exactement la même largeur en haut, en bas ou en son centre. Les dimensions d’une baie à l’autre du projet ne sont pas non plus exactement les mêmes. De ce fait, les lisses en acier des garde-corps, devraient toutes être faites sur mesure, et avoir des longueurs différentes pour pouvoir s’adapter aux irrégularités du béton, mais ce n’est pas concevable. C’est donc parce que le béton possède des caractéristiques propres à son matériau, que le serrurier a dû ajouter des éléments intermédiaires de structures au niveau de ses fixations dans le béton, comme le montre le détail 2. De cette façon, cela lui permet d’avoir un jeu suffisant pour ajuster les écarts en fonction de chaque garde-corps au moment de la pose sur le chantier. On observe donc ici qu’à cause des contraintes du matériau béton, le détail n’a pas pu être exécuté fidèlement au dessin du détail. Pour anticiper cela, il aurait fallu soit dessiner ces éléments qui permettent la

élévation garde-corps marché

détail 1 marché

1.DTU 21. éxecution des ouvrages en béron


37 mise en jeu du garde-corps, soit prévoir par exemple des tableaux de baie en zinc, matériau dont le support structurel en bois permet une précision plus grande que celle du béton, ou alors se fixer sur le seuil béton et non dans l’ébrasement, mais la lecture de la façade en serait impactée.

b. relations entre le dessin et la construction Cet exemple pose la question de la représentation et du dessin. Par quel moyen représenter le plus justement un élément dont les formes peuvent varier ? quelle relation y a-t-il entre le dessin et la réalisation d’un ouvrage ? quelles sont les limites de la capacité de projection du détail dans le monde de la construction ? Selon Sérgio Ferro, architecte et professeur brésilien ayant vécu en france, le dessin architectural tel que nous le connaissons n’est pas forcément la forme la plus aboutie de représentation quand on pense aux critères « d’efficacité productive immédiate »1. En effet, il réduit l’espace tridimensionnel objectif à une surface bidimensionnelle arbitraire, il se défait d’une logique constructive composée d’étapes successives, pour n’appliquer qu’une simultanéité dans la représentation2. Par exemple dans le détail du garde-corps, sont présents un mur, une fenêtre et un garde-corps. Or, le dessin ne mentionne pas la fabrication du béton, la pose des banches, le coulage, la mise en œuvre du seuil pour la fenêtre, la soudure des éléments acier, leur fixation, etc. Toutes ces étapes successives de la mise en œuvre des matériaux sont simultanément représentées en un dessin. S. Ferro explique aussi que ce dessin est lui-même régi par une orthogonalité, en dehors de toute réalité physique des matériaux1. En effet, la linéarité du béton, représentée habituellement par une ligne droite en plan, est une vue de l’esprit, et cela a une implication immédiate comme on l’a vu lors de la mise en œuvre du garde-corps. Il existe donc une certaine incompatibilité entre la représentation d’une idée par le dessin (avec toutes les limites qu’il possède), et sa réalisation durant le chantier. Le dessin, lorsqu’il se désolidarise des contraintes de la matière, tente de la plier à ses propres exigences. Autrement dit, le détail tente de définir la matière alors que nous l’avons vu plus haut, c’est la matière qui définit le détail. Ainsi, il

élévation garde-corps entreprise

détail 2 entreprise

1.FERRO Sérgio, Dessin / Chantier, Editions de la Vilette, 2005. 2. ibid


38 paraît alors intéressant de travailler une pensée qui se formerait à partir de l’expérience du chantier, où la matière, les matériaux et leurs caractéristiques influenceraient leur utilisation dans la construction, comme dans le cas du liseré en briques cuites de Martin Rauch vu plus haut. Ou encore provenir de la matière en elle-même : par exemple, la structure en filament du bois lui permet de très bien travailler en flexion, mais pas en compression, c’est donc naturellement que nous l’utilisons comme poutre. On pourrait alors parler de pensée constructive.

c. pensée constructive et rôle prescripteur du dessin Un exemple pertinent d’application de la pensée constructive nous est raconté par Eugène Viollet-le-Duc dans son Histoire de la construction d’une maison, un roman où l’on retrouve en filigrane l’importance de cette pensée lors de la conception. Ce détail (voir dessin) de construction concerne un angle de mur en pierre de taille, mais ce qui est le plus intéressant, c’est la raison derrière sa mise en œuvre particulière. Il nous explique que c’est la hauteur brute des bancs de pierre que l’on retrouve en carrière qui détermine la dimension des pierres de taille utilisées dans la construction. Les bancs les plus petits seront recoupés en moellons. Il utilise donc astucieusement dans son appareillage trois moellons qui correspondent à la hauteur d’une pierre de taille1. La matière est utilisée à son maximum, avec peu de perte ou de transformations. Cet exemple met en avant la relative nécessitée du dessin pour construire. Ici, c’est le matériau, et la manière dont nous l’extrayons qui nous dicte comment le mur doit être bâti. La connaissance de la matière et des savoir-faire semble être alors l’essence de l’acte de bâtir. La matière porte en elle sa propre mise en œuvre et c’est l’expérience de toutes les générations de bâtisseurs qui nous informent sur les meilleures façons de procéder. Dans cet exemple, le dessin semble ne jouer qu’un rôle secondaire et on peut donc se demander pourquoi le dessin possède aujourd’hui, dans l’architecture contemporaine, le rôle primordial qu’on lui connaît.

dessin d’un appareillage de mur en pierre de taille / moellons (scanné depuis le roman de Eugène Viollet-leDuc

1. VIOLLET-LE-DUC, Eugène, Histoire d’une maison, Infolio, 2019, p135


39 Les historiens de l’architecture nous racontent que c’est à la Renaissance qu’est apparu le dessin tel que nous le connaissons aujourd’hui, et que son rôle premier était de contrôler la construction1. En effet, c’est au même moment que la volonté de séparer le Savoir et le Faire est apparu2. La séparation de ces deux ‘’institutions’’ avait pour but de les hiérarchiser, rendant ainsi le savoir supérieur au faire. Ce faisant, le dessin concepteur, détenteur du savoir, pouvait ainsi contrôler le moment de la construction, détenteur du faire. « Le détail parle en effet moins d’une « construction » que d’une « prescription ». Il est en fait son dessein initial, prescripteur par nature et par fonction : car il semble se soumettre humblement aux actes et aux rythmes du chantier de construction, il est en réalité l’instrument graphique qui rythme et commande ces mêmes actes. », Cyrille Simmonet, architecte et historien3. La pensée constructive, qui se fabrique durant l’expérience de la construction, par les multiples expériences du chantier, doit servir la conception. Le savoir doit se mettre au service du faire et apprendre de lui, afin qu’il y ai le moins de contradiction possible entre ces deux entités au moment du chantier, entre les prescriptions du dessin et leur réalisation.

d. les conséquences du dessin souverain sur le chantier Revenons à l’exemple du garde-corps et regardons comment cette position hiérarchiquement supérieure du dessin (le savoir) sur la mise en œuvre (le faire) peut se concrétiser au moment du chantier. Dans cet exemple, le dessin du détail ainsi que sa description au CCTP, sont contractuels, et sont donc des ordres. N’ayant émis aucune réserve sur le détail, le serrurier se devait de le réaliser tel quel. Or, nous l’avons vu, pour répondre à des contraintes de matériau, le serrurier a dû ajouter des éléments de structure intermédiaires. Le plan d’exécution de l’entreprise a été modifié et ne correspondait donc plus au détail du marché. Mais nous l’avons tout même accepté, car il semblait être la meilleure solution pour résoudre la contradiction, sous réserve de possibles remarques sur le prototype.

1. FERRO Sérgio, Dessin / Chantier, Editions de la Vilette, 2005, p90 2. FERRO Sérgio, Dessin / Chantier, Editions de la Vilette, 2005, p10 3. SIMMONET, Cyrille, L’Architecture ou la fiction constructive, Les Editions de la Passion, 2001, p67


40 Une fois le prototype posé sur le chantier, il nous confirmait que ces éléments structurels, qui avaient été ajoutés, perturbaient la lecture linéaire des lisses hautes et basses, et alourdissaient la fixation du garde-corps avec l’encadrement en béton. Cet effet d’alourdissement était d’autant plus renforcé que le nombre d’écrous était multiplié par deux (cf photo prototype). C’est précisément à propos de ce point que la négociation a débuté. En effet, l’entreprise avait un marché qu’elle n’a pas pu respecter. Nous lui avons permis de faire autrement et d’ajouter des éléments de structure supplémentaires, malgré tout, il reste de son devoir d’essayer de se rapprocher le plus possible de l’idée architecturale initiale : la légèreté. Afin de tendre vers cet objectif, nous lui avons demandé de fixer les garde-corps avec des vis à tête fraisée. Cependant, le prix d’une telle vis, permettant structurellement de garantir la fixation d’un garde-corps, coûte plus cher qu’une simple vis/écrous, sans oublier une mise en œuvre plus complexe. À l’échelle d’un projet de 97 logements, cette demande peut-être conséquente financièrement pour l’entreprise. À la suite de nouvelles négociations, prenant en compte d’autre éléments du chantier, elle a finalement accepté de fixer les gardes-corps à l’aide de vis à tête fraisée. (cf photo g-c définitif) Par cet exemple, certes d’une importance relative, on a pu montrer que le dessin, parce qu’il est déconnecté d’une réalité constructive et qu’il est un élément contractuel, peut devenir un instrument de pouvoir sur le chantier. En imposant parfois un comportement irréaliste au matériau, il peut donc imposer des ordres irréalistes aux entreprises. Ces dernières, assujetties au dessin contractuellement, se retrouvent dans une position de faiblesse lors de l’exécution. Le devoir de conformité au détail du marché pourrait être considéré comme une manière abusive pour l’architecte d’imposer un certain niveau d’exigence auprès des entreprises. Néanmoins, ici, l’équilibre a été en partie rétabli puisque l’entreprise de serrurerie a été libre de proposer son design, puis son prototype, imposant ses propres exigences. Et c’est sur base de ce prototype que les négociations ont eu lieu.

prototype garde corps

garde corps définitf

garde corps définitf


41

e. les conséquences sur l’autorité de l’architecte au moment du chantier Ce caractère élitiste du dessin biaise le rôle d’autorité qu’a l’architecte sur le chantier. En effet, Richard Senett, sociologue et historien, nous dit qu’un triangle social se compose d’une autorité acquise, d’un respect mutuel et de la coopération des acteurs au cours d’une crise1. Or, on peut voir le dessin comme un élément perturbateur de ce triangle, car l’autorité acquise se transforme en autorité de statut, transcendante et verticale, perturbant le respect mutuel. Cette perte du respect nuit inévitablement à la résolution d’une crise et nuit grandement à la crédibilité de l’autorité de l’architecte. Finalement, cela engendre la fragilisation du triangle social. Comment faire pour rétablir la stabilité de ce triangle ? Il faut tenter de reconquérir une autorité gagnée, en travaillant sur des compétences de dialogues, d’écoute et d’entente. Il faut aussi travailler à être l’activateur de ce que chacun peut. L’autorité doit donc être mise au service de l’émancipation des acteurs du chantier². Aussi, l’expérience acquise sur les chantiers peut être un des moyens de récupérer cette autorité. En effet, elle nourrit notre propre pensée constructive et permet de comprendre les limites que le dessin impose à la matière, nous permettant ainsi de prendre des décisions plus justes. Elle permet aussi de déceler les moments où l’on peut faire preuve d’autorité de statut sans compromettre son autorité acquise, ce qui est utile lorsque des entreprises demandent, ou mettent en œuvre des choses qui ne sont pas recevables. L’expérience est donc au service de l’autorité gagné, d’une pensée constructive, d’une bonne gestion du chantier. Concernant l’exemple du garde-corps, nous avons pu garder l’autorité que nous avions acquise tout au long du chantier, par notre présence importante sur le site, et par notre capacité à discuter et à comprendre les demandes de chacun. Nous avons pris en compte que le détail n’était pas réalisable tel que représenté, nous avons accepté la mise en œuvre de l’entreprise, et lorsque nous avons ensuite négocié sur la finition de la pose, c’était dans une mesure respectable.

1.SENETT, Richard, Ensemble pour une éthique de la coopération, Albin Michel, 2014 2.réflexion reprise des notes écrites durant le cours de la session 4 de HMONP


42 Pour conclure, par cet exemple, nous avons vu que le dessin d’un détail peut être en inadéquation avec la matière. Cependant, par son rôle historique de contrôle du chantier, et par son statut contractuel de prescripteur, le détail est un ordre et l’entreprise doit le respecter. C’est alors à l’architecte de faire appel à ses expériences de chantier pour nourrir sa pensée constructive et faire son possible pour anticiper et comprendre les problèmes liés à ces contradictions, afin de permettre le bon avancement du chantier. Il est primordial pour l’architecte de pouvoir se faire respecter autrement que par le statut que lui confère son titre.

3. le prototype : détail à l’échelle 1:1 Dans cette partie, nous exposerons un autre exemple de détail. Il permettra d’aborder l’influence que peut avoir un prototype dans la prise de décision. Ce détail concerne un bardage en bois devant couvrir les émergences des bâtiments A et B du projet de logements à Dijon (cf perspective p48). Il est décrit comme cela au CCTP : - Fourniture et mise en œuvre d’un habillage de façade en bois. - Essence en Meleze traité HIF. - Section suivant plan (40X40 mm). - Les tasseaux seront d’une longueur d’étage. - Lisses intermédiaires chevillées dans voile béton. - Fixation des tasseaux par vissage ou pointes crantées (protégées contre la corrosion) Lors de nos premières discussions en réunion de chantier, l’équipe avait émis un doute sur la capacité de ce détail à répondre à sa fonction principale : cacher le mur en béton derrière lui. De plus, une image perspective, pièce contractuelle, avait été produite lors du permis de construire et évoquait clairement l’intention de réaliser un bardage dense, recouvrant le mur béton (cf perspective p48). Or, le détail indique des tasseaux de 4 cm espacés de 10 cm, ce qui équivaut à presque trois fois plus de vide que de plein, et entraîne un bardage bien trop espacé. Nous avions alors demandé à l’entreprise de charpente de nous amener quelques

détail marché de la façade tasseaux bois


43 échantillons de tasseaux en bois 4x4 cm pour tenter de voir ce que cela pourrait rendre. (cf photo échantillon) À leur réception, nous avons fait quelques tests entraînant plusieurs préoccupations. En interne, l’équipe d’architecte proposait d’ajouter une lasure sur le mur béton en espérant atténuer sa présence ou encore d’ajouter une fine plaque de bois derrière le bardage. Le maître d’ouvrage et l’aménageur de la ZAC redoutaient une non-conformité au PC au vu de l’image perspective. Les discussions prenant un certain temps et l’apparition d’autres questions autour de la toiture ont fait se décider le charpentier, sans que cela ne soit prévu dans son marché, à réaliser un prototype de la charpente avec le bardage en tasseaux bois (cf prototype p48). Le résultat a été un argument probant en faveur d’une modification de la section des tasseaux, optant pour des lames plus larges. (cf détail final) Par cet exemple, il est intéressant de voir à quel point le prototype est indispensable à la traduction du dessin du détail. En s’incarnant dans la matière, il prend sa forme, son poids, mais aussi sa texture, sa couleur, ses possibles reflets : le détail prend vie et prend du sens. Ainsi, le prototype dépasse le détail, il contient le geste de l’ouvrier, la forme, la matière.

échantillon tasseaux bois

test avec planche en bois

« On aimerait caractériser le détail à partir de la notion d’échelle. La main n’est pas loin, dans sa capacité préhensible, tactile, comme son étalon physique », Cyrille Simmonet, architecte et historien1. Le prototype dépasse également la notion d’échelle. Alors que le détail nous détache au fur et à mesure de la globalité du projet, en nous rapprochant de ses parties, le prototype, lui, nous réconcilie avec le tout, il replace physiquement une partie dans le tout. Il reste néanmoins important de préciser que le passage du détail en prototype possède de multiples réalités. En effet, le prototype s’incarne dans les conventions de sa mise en œuvre, c’est-à-dire dans le système formé par les savoir-faire (d’ouvriers, d’entreprises), les configurations de marché et la disponibilité des produits dont se sert la production². Il possède donc un caractère unique, une certaine réalité, qui lui confère sa qualité. Il n’est plus une représentation, et la prescription n’est plus simplement du ressort de la maîtrise

détail finale de la façade tasseaux bois

1.SIMMONET, Cyrille, L’Architecture ou la fiction constructive, Les Editions de la Passion, 2001, p67 2.PICON-LEFEBVRE, Virginie ; SIMMONET, Cyrille, Les architectes et la construction, Parenthèses, 2014, conclusion, p149


44 d’œuvre, mais elle est partagée avec l’entreprise concernée. L’entreprise peut alors faire valoir ses propres exigences, mais aussi être plus libre de proposer et montrer ce qu’elle est capable de faire : le prototype lui donne accès à une force décisionnelle et parfois même lui permet d’imposer sa manière de faire. Si l’architecte accepte le prototype, il accepte aussi les exigences de l’entreprise. Le prototype devient alors un outil levier pour l’entreprise afin d’affirmer sa position dans le triangle social de Richard Senett. Ici, le prototype a permis à l’ensemble des acteurs de se rendre compte que la prescription du détail ne correspondait pas aux attentes, à l’image que chacun s’en était faite. En effet, l’image perspective, conforme aux détails, à cause de l’angle de vue qu’elle a choisi, a biaisé notre interprétation de ce dernier. Elle ne correspond pas à la réalité tridimensionnelle du prototype. Or l’image perspective étant un document contractuel du permis de construire, l’architecte et le maître d’ouvrage ont l’obligation de s’y conformer. On observe donc une contradiction entre l’ordre imposé par le détail et celui imposé par la perspective. Le prototype a donc permis de prendre une décision sur l’ordre à suivre, favorisant la vue en perspective, et entrainant la modification du détail du marché. Dans cet exemple, nous avons pu voir que la fonction anticipatrice du dessin sur la construction n’est pas infaillible, et le prototype est alors une aide pour prendre une décision. Le prototype est intimement lié au détail, il le surpasse même, car il incarne en lui-même le savoir-faire d’une entreprise, la mise en œuvre de la matière. Il est une fusion entre le détail et la force de production disponible à un moment t. Il a également un rapport particulier avec le projet et sa construction, il concilie la partie avec le tout et nous sort des systèmes de représentations (dessin/perspective), avec lesquels il rentre parfois en confrontation. Enfin, c’est cette confrontation entre réalité et représentation du réel qui est la plus importante au moment du chantier, car elle recadre les discussions en y intégrant le corps productif.



46

nt Visa n°04 : émergences A et B

Bât. A B : Charpente - traitement rive

représentation en perspective du projet depuis la voie nord, pièce contractuelle du marché. prototype charpente et façade bois

test façade en lame bois


47

emergence façade en lame bois


03. conclusion


49

Au cours de ce mémoire, nous avons dans un premier temps constaté que le dessin du détail s’appuie sur des documents directement tirés de la littérature constructive (DTU, avis technique), ou bien se fait grâce à la collaboration avec des praticiens venant du monde de la construction (entreprises, fabricants, expériences de chantier, etc..). Mais le détail est aussi utile à la conception du projet, il donne de l’épaisseur aux éléments, à leur jonction, et permet alors de contrôler l’avancement de la conception en se mettant au service d’un parti-pris architectural. Le détail est donc à la limite entre deux mondes, celui de la conception et celui de la construction. Ce constat fait de lui un outil important de l’économie de projet. En effet, il est utile pour contrôler à la fois l’esthétique du projet et le budget à respecter, il faut le prévoir rapidement durant la conception afin de garder un contrôle sur ce dernier. C’est sa fonction anticipatrice qui est avant tout recherché, car c’est parce qu’il a pour vocation de prescrire au moment du chantier qu’il est l’objet de tant de négociation au moment de la conception. Cependant, lorsque l’on parle de construction, l’anticipation n’est jamais infaillible, en effet, c’est durant le chantier que le détail rencontre le corps productif et qu’il doit alors se confronter à la matière, à la réalité des mises en œuvre, des savoir-faire des ouvriers et des entreprises. C’est à ce moment que sa fonction anticipatrice est mise à l’épreuve. Dans un second temps, nous avons vu que le statut d’architecte confère à ce dernier une place hiérarchique importante sur le chantier. Ses dessins sont des ordres que les entreprises doivent respecter. Cependant, par l’exemple du garde-corps, nous avons vu qu’un détail peut être en contradiction avec la matière, et donc impossible à réaliser. Or, un détail impossible devient un ordre impossible. Cela peut impacter directement la relation entre architecte et entreprises sur le chantier, fragiliser le triangle social nécessaire à son bon déroulement. C’est alors à l’architecte,


50 nourrit de ses propres expériences de chantier, de se remettre dans une position d’autorité acquise, en prenant des décisions justes et en adéquation avec le corps productif en place. C’est avec la volonté d’enrichir sa pensée constructive que l’architecte améliorera sa capacité à exercer son autorité de statut sur le chantier. Il est important pour l’architecte de pouvoir se faire respecter autrement que par le statut que lui confère son titre. « Or, ce n’est pas à force de d’autorité ou de menace de mise en demeure que ces architectes garantissent cette perfection, mais à partir d’une souplesse de décision et d’une écoute qui les poussent parfois à modifier de fond en comble leur projet au bénéfice d’un savoir-faire spécifique d’entreprise […]. L’exercice est périlleux, car il réclame autant d’inflexibilité par rapport à l’idée ordonnatrice que de flexibilité vis-à-vis de la puissance exécutante. » Virginie Picon-Lefebvre, architecte et professeur & Cyrille Simonnet, architecte et historien1. Enfin, nous avons vu que l’intentionnalité du détail pouvait être biaisé par un autre outil de prescription qu’est la perspective. En effet, la perspective incarne par nature un point de vue subjectif, et en préférant un angle plutôt qu’un autre elle fait des choix d’intention. C’est alors que le prototype démontre son importance par sa capacité à matérialiser dans l’espace une mise en œuvre. Il s’extirpe des représentations et s’affirme dans le réel par la pesanteur de sa matérialité. C’est grâce à cela qu’il donne un sens nouveau au détail. Le prototype transcende donc le détail, car il incarne par sa présence la rencontre entre les deux mondes, il met à égalité la prescription de la conception et le savoir-faire des entreprises, des ouvriers. Il permet au détail de s’affirmer en tant qu’architecture. Le chantier est donc une phase primordiale du métier d’architecte. En effet, un dessin n’est jamais qu’un moyen de représentation et ne peut être considérer comme de l’architecture. Ce n’est qu’après être passé par la phase chantier qu’il s’incarne dans l’espace, le temps et la matière, et qu’il devient architecture. C’est grâce à l’expérience qui naît de cette confrontation entre le dessin

1.PICON-LEFEBVRE, Virginie SIMMONET, Cyrille, Les architectes et la construction, Parenthèses, 2014, conclusion, p153


51 et la matière, l’architecte et le chantier, l’entreprise, l’ouvrier, que se forge une pensée constructive. Cette pensée peut être mis à la fois au service du bon déroulement du chantier, mais aussi au service de la conception. Dans tout cela, le détail incarne en lui-même la passerelle entre ces deux mondes, et devient l’outil idéal permettant de faire le lien entre ces derniers. Toute la réflexion autour des limites du dessin au moment de la construction me fait me poser des questions quant à la possibilité de créer une forme de contrat qui puisse permettre la collaboration entre architectes et entreprises. J’ai eu l’occasion d’en parler avec Hugues Desmoinaux, chef de projet sur un projet de logement à Rennes. Cette mission d’architecture a pris une forme de contrat particulier : la conception-réalisation. L’ouverture de ce mémoire permettra de comprendre, avec du recul, ce qui est ressorti de cette collaboration.


52

bibliographie : CAUQUELIN, Anne, L’invention du paysage, PUF, 2000 FERRO Sérgio, Dessin / Chantier, Editions de la Vilette, 2005 FREY, Martin, Terre à Terre, in L’Architecture d’Aujourd’hui, 2012 GRUET, Stéphane, L’oeuvre et les temps (I) - Méta-physique, POÏESIS, 2005 GRUET, Stéphane, L’oeuvre et les temps (IV) - Analytique, POÏESIS, 2005 GRUET, Stéphane, La matière et l’idée, in POÏESIS, N°13, 2001 PICON-LEFEBVRE, Virginie ; SIMMONET, Cyrille, Les architectes et la construction, Parenthèses, 2014 SENETT, Richard, Ensemble pour une éthique de la coopération, Albin Michel, 2014 SIMOUNET, Roland, Dialogues sur l’invention, Les Productions du Effa, 2005 SIMMONET, Cyrille, L’Architecture ou la fiction constructive, Editions de la Passion, 2001 VIOLLET-LE-DUC, Eugène, Histoire d’une maison, Infolio, 2019 WILDE, Oscar, Le déclin du mensonge, ALLIA, 1998



Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.