Rapport de Projet de Fin D’Étude - " Le village de l'Ouest, une opération évolutive ? " [2019]

Page 1

Romain Tassart

-Rapport de Projet de Fin d’Étude-

Le village de l'Ouest à Villeneuve d'Ascq, une opération évolutive ?

École Nationale Supérieure d'Architecture et de Paysage de Lille -Domaine Histoiredirigé par Pascal Lejarre

Juin 2019




4/125


Avant-Propos

Ce rapport de projet de fin d'étude s'inscrit dans le domaine Histoire, théorie et projet. L'objet d'étude de ce semestre est l'opération « village de l'Ouest », réalisée entre 1976 et 1981 dans le quartier de la Cousinerie à Villeneuve d'Ascq. Cette opération est issue d'une des déclinaisons du « modèle innovation 1974 » conçue par l'architecte Pierre Prunet. Le travail présenté propose de questionner la dimension évolutive de l'opération en intervenant simultanément à l'échelle urbaine et celle du bâti. Pour appréhender ce travail, j'ai cherché à situer l'opération dans son contexte théorique et historique, à comprendre les différentes étapes de son évolution, de sa conception à son état actuel, et enfin à appréhender la production de l'architecte concepteur, au travers de lectures, de conférences, d'analyse, ou encore consultation d'archives. Par ailleurs, des échanges ont eu lieu avec les habitants pour percevoir l'opération au travers de leur vécu. Les visites d'autres déclinaisons du « village de l'Ouest » réalisées à Poitiers et à Angers, ainsi que d'autres réalisations de l'architecte concepteur, se sont aussi relevées déterminantes pour développer ce projet.

5/125



Remerciements

Je tiens à remercier Pascal Lejarre, Jean-Christophe Laurent et Alexandre Morais pour leurs critiques constructives m'ayant aidé à développer ce projet.

Je dois ajouter à ces remerciements mes partenaires d'atelier, et particulièrement Paul dont le regard aiguisé sur l'architecture et son Histoire m'a aidé à comprendre l'opération et son contexte.

J'associe à ces remerciements Lisa, Cassandra et Lorenzo qui m'ont aidé à développer cette intervention lors des phases de groupe.

Enfin, je remercie ma famille et mes amis pour leur soutien, et particulièrement mon cousin Thomas, fidèle relecteur.

7/125


SOMMAIRE Introduction : Le village de l'Ouest de Pierre Prunet à Villeneuve d'Ascq, Une opération évolutive ?

P.11

I. Un village évolutif

P.15

1.1 Un contexte théorique assimilé 1.1.1 Un modèle innovation hérité des cités-jardins 1.1. Un retour aux qualités de la ville traditionnelle 1.2 Un modèle innovant 1.2.1 Des formes urbaine d'origine rural 1.2.2 Une trame génératrice 1.3 Un modèle contextualisé 1.3.1 Un contexte singulier, la ville nouvelle 1.3.2 Un pôle urbain secondaire 1.3.3 Un modèle finement adapté II. Une architecture évolutive 2.1 Un dispositif technique et constructif innovant ? 2.1.1 Un système modulaire... 2.1.2 …favorisant la préfabrication ouverte lourde... 2.1.3 ...permettant l’évolutivité du système 2.2 La toiture, une expression architecturale vernaculaire

P.15 P.15 P.17 P.21 P.21 P.23 P.25 P.25 P.27 P.31 P.37 P.37 P.37 P.43 P.45 P.50

III. Une intervention évolutive ?

P.55

3.1 Un diagnostic précis

P.55

3.1.1 Des qualités perdues 3.1.2 Un retour au modèle 3.1.3 Des déclinaisons inspirantes 3.2 Les enjeux du projet 3.2.1 Intentions générales 3.2.2 Favoriser l'échelle locale

P.55 P.59 P.59 P.60 P.60 P.61


3.3 Un village en ville 3.3.1 Traiter l'espace public . Renforcer les relations au contexte . Accentuer la hiérarchisation des voies . De la rotule à la place du village 3.3.2 Réinvestir les cœurs d’îlot . Réactiver les parkings vacants . Redonner accès aux cœurs d’îlot . Un équipement flexible . Un parvis nécessaire . Une extension aérienne . Des équipements complémentaires . Un cœur d’îlot partagé 3.3.3 Requalifier les réseaux alternatifs piétons . Aménager les « discontinuités » . Réintégrer des cheminements alternatifs piétons . Réamorcer les venelles piétonnes 3.3.4 Densifier le bâti existant . Affirmer la hiérarchisation de l'opération . Révéler l'évolutivité du bâti . Une densification ciblée . Une toiture habitable

P.63 P.63 P.63 P.65 P.71 P.79 P.79 P.80 P.83 P.87 P.89 P.94 P.96 P.97 P.97 P.99 P.101 P.103 P.103 P.105 P.113 P.113

Conclusion : Une Évolutivité ravivée

p.117

Bibliographie

P.125


1

1 Le village de l'Ouest à Villeneuve d'Ascq, vue aérienne (Source : Google Earth, 2017)

10/125


Introduction- : Le village de l'Ouest à Villeneuve d'Ascq, Une opération évolutive ?

Ce rapport propose de questionner la dimension évolutive de la réalisation d'un modèle innovation, le « village de l'Ouest » datant de 1974 et conçu par l'architecte Pierre Prunet, au travers du développement d'un projet comprenant plusieurs grandes thématiques. Le programme propose ainsi de densifier l'opération, d'y ajouter un équipement structurant, d'aménager l'espace public ou encore de retravailler les discontinuités avec le contexte. Il paraît important de rappeler que le programme des modèles innovations est lancé en 1971 par le Ministère de l’Équipement pour favoriser la recherche et l'innovation dans le bâtiment. L'objectif est de pouvoir construire du logement rapidement, sans études approfondies, à partir d'un modèle ou parfois même d'opérations déjà construites. Un jury est alors chargé d'étudier les propositions des architectes, souvent associé à des bureaux d'études, notamment pour assurer un coût maîtrisé de leur projet. L'innovation technologique ou du procédé de construction, ainsi que les innovations architecturales ou du type d'habitat, sont alors les deux grandes thématiques abordées pour proposer des alternatives aux grands ensembles.2 La notion d'évolutivité est alors une notion centrale dans les réflexions architecturale et urbaine dans les années 1970. Les architectes et urbanistes se questionnent alors sur les possibilités d'apporter des modifications, des transformations dans le projet, au cours des différentes phases et temporalités, lors de la conception, de la construction mais aussi, à posteriori, lors de son usage.3 Ainsi, les deux premières parties de ce rapport présentent et 2 Conférence de Catherine Blain, des ZUP aux villes nouvelles, expérimentation de l'habitat et fabrication de la ville, le 11 Février 2019 à l'E.N.S.A.P.L 3 Technique et Architecture, « Architecture évolutive, habitations », n°292, Avril1973

11/125


analysent la réalisation du « village de l'Ouest » de Pierre Prunet à Villeneuve d'Ascq. L'élaboration de ce projet a en effet été marquée par une démarche intellectuelle de compréhension de l'opération dans les différentes phases de sa conception et de sa réalisation, mais aussi dans le contexte historique et théorique dans laquelle il s'est inscrit. Le projet proposé s'inscrit en effet dans la continuité d'une compréhension fine de l'opération sur laquelle nous intervenons. La première partie évoque alors l'échelle urbaine, en abordant le contexte théorique de l'époque, marqué par l'influence des cités-jardins et des courants « réactionnaires » aux dogmes modernes. Par la suite, la dimension innovante de sa forme urbaine et de sa conception dans le modèle innovation, dont l'opération à Villeneuve d'Ascq constitue une déclinaison, est questionnée. Enfin, c'est l'adaptation de l'opération au contexte de cette ville nouvelle de Villeneuve d'Ascq qui est interrogée. La seconde partie propose une analyse à l'échelle de l'architecture, en cherchant à identifier les dimensions innovantes de l'opération dans son système constructif ainsi que dans son expression architecturale. La troisième partie de ce rapport correspond alors à la démarche mise en place pour proposer notre intervention. Partant d'un diagnostic, et d'une définition des enjeux, elle aboutit à un ensemble de propositions interrogeant la dimension évolutive de l'opération.

12/125


13/125


14/125


I. Un village évolutif

Avant de proposer une intervention, un travail d'analyse et de recherches a été nécessaire pour comprendre réellement l'opération. S'est alors posée, simultanément à ces recherches, la question de l’évolutivité de l'opération.

1.1 Un contexte théorique assimilé

1.1.1 Un modèle innovation hérité des cités-jardins

En 1898, Ebenezer Howard lance les cités-jardins dans un contexte de réforme sociale, et en réaction à la croissance fulgurante de Londres. L'urbaniste britannique veut démocratiser la qualité de vie saine et champêtre en créant des cités satellites dans les périphéries des grandes villes, pour répondre à la congestion urbaine. L'objectif est alors d'allier les qualités de la vie en ville, ses activités, ses équipements, à la vie à la campagne, calme et proche de la nature. Pierre Prunet semble avoir puisé des idées de ces modèles des cités-jardins et de leurs références. La première serait le développement d'une hiérarchisation de la voirie et le développement d'un réseau alternatif piéton. En 1909, Raymond Unwin réalise la cité-jardin pour les ouvriers d'Hamsptead. Jean Taricat considère que ce projet marque l'invention du « superblock ». Cette forme urbaine permet ainsi une hiérarchisation viaire avec des hameaux et rues en impasses autorisant la circulation automobile, pour créer des traversées alternatives piétonnes le long des jardins privés, dans les arrières.4 Cette idée est à mettre en perspective avec un autre grand concept conçu en 1910 par Clarence Perry, l' « unité de voisinage ». L'idée étant de regrouper les habitations autour d'équipements publics, 4 Jean Taricat, Suburbia, une utopie libérale, Paris, Éditions de la Villette, 2013, p. 44

15/125


notamment des écoles, pour constituer cette unité de voisinage. Un exemple est alors réalisé à Radburn aux États-Unis en 1929 et permet de connecter un réseau alternatif piéton directement aux équipements.5 Une seconde idée est développée dans ce projet. En effet à Hampstead, les impasses sont aménagées par des « greens », des espaces verts en commun ayant pour rôle de créer, à l'échelle de ces rues, des « micropaysages » partagés. Cette idée est fondée notamment sur le modèle du village traditionnel anglais construit autour d'un espace vert commun, d'un parc-jardin partagé, le « common green ».6 Enfin, une troisième idée majeure qui pourrait avoir influencé Pierre Prunet serait celle d'un tracé viaire sinueux, pouvant provenir de ces cités-jardins et plus particulièrement d'une de leurs références, comme à Riverside, lotissement conçu par Olmsted et Vaux aux États-Unis en périphérie de Chicago en 1868. Les deux architectes paysagistes proposent des voies sinueuses favorisant la dimension pittoresque, où s’enchaînent les séquences pour des « promenades champêtres ». Ils décident de proscrire les clôtures afin que les jardins privés sur rue participent à l'animation de la rue, avec les façades en retrait.7 Pierre Prunet convoque ainsi ces grands concepts dans son modèle innovation en 1974 et dans les déclinaisons réalisées par la suite. Ces cités-jardins ont par ailleurs influencé les villes nouvelles, dont Villeneuve d'Ascq fait partie. Jean Taricat conclut par le fait que les réalisations des cités jardins se marginalisent peu à peu, et que les années 1930, en Europe, marquent le début des grands ensembles, notamment par l'influence du Congrès International de l'Architecture Moderne de la même année : « […] Le logement populaire prend alors une autre direction[...] ».8

5 67 8

Ibid, p. 46 Ibid, p. 26 Ibid. p. 21-24 Ibid. p. 24

16/125


1.1.2 Un retour aux qualités de la ville traditionnelle

Dans les années 1960-1970, les grands ensembles, matérialisés par des types de bâti en barres et en tours, subissaient de vives critiques dans l'opinion publique, dans les médias et chez les élus 9. Catherine Blain s'appuie notamment sur l'analyse de l'architecte et historien Jacques Lucan10 pour révéler que les discours et images sont souvent convenus pour appuyer la critique, comme la présence de personnes entassées dans des barres ou des tours de logements, elles-mêmes complètement inadaptées à leur contexte, urbain, en périphérie des villes ou encore dans des zones rurales. Dans les années 1960, ce type d'urbanisation est alors devenu le modèle d'architecture à abattre. On accuse notamment la charte d'Athènes, rédigée en 1933 lors du CIAM (Congrès International de l'architecture Moderne) et portant sur la ville fonctionnelle, d'avoir produit ces grands ensembles, vecteurs de nombreux problèmes sociaux dans les années 1970-1980 et d'avoir provoqué

une

urbanisation

qualifiée

alors

de

monotone

et

déshumanisante. Ces années 1960-1970 sont effectivement marquées par une société qui évolue et tend à la libération des mœurs, et à son émancipation (années du

festival

Woodstock,

du

mouvement

hippie,

de

la

pilule

contraceptive...). Dans ce contexte, les architectes sont amenés à chercher de nouveaux modèles d'habitat, apportant une critique à ce qui avait été proposé lors de la reconstruction. On assiste alors au retour de l'étude de la ville traditionnelle et de ses qualités. Déjà, en 1949, le courant Townscape développe une doctrine où l'aménagement urbain se décrit comme « une succession de différents

9 Conférence de Catherine Blain, des ZUP aux villes nouvelles, expérimentation de l'habitat et fabrication de la ville, le 11 Février 2019 à l'E.N.S.A.P.L 10 LUCAN Jacques, L'architecture en France (1940-2000):Histoire et théorie,Paris, Editions le Moniteur, « Technique-architecture-architecte », 2001

17/125


11

11 Toulouse-le-Mirail, un grand ensemble critique ? (Croquis personnels)

18/125


tableaux pittoresques... »12. Face aux villes nouvelles anglaises qualifiées de vides et « sans âme », ce courant préconise le retour au modèle du village traditionnel, dense, vivant, composé d'une succession d'espaces publics clos aux identités propres faisant référence à la forme urbaine des villages, où les places, ruelles, venelles et autres courées participent à une richesse, notamment perceptive, de la ville.13 Ces années 1960-1970 sont par ailleurs marquées par l’École Italienne, dont les prémices sont annoncées par Saverio Muratori dans les années 1950, et qui développent l'idée selon laquelle l'étude des villes, dite typo-morphologique, préconise une analyse simultanée du type bâti (typologique architecturale) et de sa parcelle en relation avec l’espace public afin de comprendre l'évolution des formes urbaines. On s’intéresse alors au tissu urbain, à la formation de la ville. D'une certaine manière, on rejette le modèle appliqué par le mouvement moderne, la barre, le bâtiment qui serait capable de régler les problèmes urbains sans aucune considération pour le tissu préexistant, pour retourner à une étude fine des particularités de la ville et proposer des interventions dans la continuité de son histoire, de sa sédimentation. Ces questionnements émergent en France dans les années 1970, notamment par le biais de Philippe Panerai14. Dans le même sens, un courant proposera alors une autre vision, moins rationaliste de la ville et de l'habitat, comme le mouvement Team X qui, dès les années 1950, prend ses distances face aux dogmes du mouvement Moderne et de la Charte d'Athènes de Le Corbusier. Cette nouvelle génération replace ainsi la vie humaine au cœur des préoccupations du projet, ses ambitions étant de s'inscrire dans un contexte social et économique, tout en restant sensible au facteur 12 Jean Taricat, Suburbia, une utopie libérale, Paris, Éditions de la Villette, 2013, p. 105 13 Ibid, p. 105 14 Philippe Panerai, Jean-Charles Depaule, Marcelle Demorgon, Analyse Urbaine, Paris, Parenthèses éditions, « Eupalinos », 1999

19/125


identitaire d'une architecture aux références traditionnelles, sans rejeter pour autant les qualités de l'architecture moderne. Les questions ne se posent pas uniquement à l'échelle du logement, mais aussi à celle de la ville : comment redonner une identité à cette dernière ? En 1972 est construit le « grand ensemble critique » de Toulouse le Mirail. Le projet, conçu par le groupe d'architectes Candilis-Josic-Woods, propose une typologie de bâti varié pour lier différentes échelles de construction (du logement en barre à la maison individuelle à patio) et casser la monotonie si préjudiciable à la perception des grands ensembles. On questionne alors ce qui fonde le foyer, on repense l'habitat de manière évolutive. On joue désormais avec les typologies, les densités des constructions, les jardins pour proposer des alternatives à ces grands ensembles issus de la reconstruction. Finalement, ce mouvement Team X, international, a pris conscience que cette société mouvante ne pouvait être cantonnée aux dogmes imposés par le mouvement moderne. Ces années 1970 sont donc une période sujette à une remise en question de la morphologie urbaine, des typologies, pour finalement expérimenter et se projeter. Pierre

Prunet s'est sans doute

approprié, dans ce

contexte

«contestataire», de nouvelles idées sur la ville et l'habitat, pour proposer des alternatives aux grands ensembles. Il a su assimiler les théories de l'époque pour développer son modèle du « village de l'Ouest », le plaçant finalement comme un architecte post-moderniste, en phase avec les questionnements de son temps.

20/125


1.2 Un modèle innovant

1.2.1 Des formes urbaines d'origine rurale

C'est dans ce contexte que Pierre Prunet propose au Ministère de l'équipement, en 1974, un modèle innovation, le « village de l'Ouest ». Une plaquette de présentation du projet permet ainsi de comprendre les intentions de l'architecte. Ce dernier met en place une morphologie aux références rurales. Ainsi, le plan de masse présenté par l'architecte est constitué d'une hiérarchisation de la voirie, comprenant une rue principale qui traverse et structure le modèle qui desserre les différentes ramifications donnant accès aux hameaux. Ces hameaux sont inclus dans une continuité bâtie qui alterne formes convexes et concaves définissant, entre deux de ces hameaux, des cœurs d’îlots. Il convoque ainsi, par cette disposition de hameaux, une forme urbaine de maisons regroupées autour d'une allée qui s’épanouit en placetteimpasse. Cette impasse permet alors de limiter le passage des voitures aux résidents ou éventuels visiteurs, redéfinissant ainsi la rue comme un espace commun pour les habitants et permettant de renforcer l'importance, comme les membres de Team X, de la dimension sociale et humaine dans le projet. La plaquette présente par ailleurs un plan détaillé d'un hameau. L'une des richesses de ce modèle réside dans l'articulation des espaces et la gradation de leur statut, passant d'une rue publique à un cœur d’îlot commun, aux jardins privés. En effet, en constituant une impasse pour l'automobile, le hameau permet à l'architecte de créer des amorces pour les cheminements piétons qui donnent accès aux arrières de l'opération, les cœurs d’îlot, dessinés comme de grands parc-jardins végétalisés. Ainsi, ces cœurs d’îlots apportent des cheminements alternatifs

21/125


15

15 Plans du modèle innovation « village de l'Ouest » de 1974 et d'un hameau par Pierre Prunet (Source : plaquette de présentation du modèle)

22/125


exclusivement piétons qui innervent les différents jardins des habitants et recréent par un jeu d'élargissement des voies piétonnes, des lieux de rencontre et de partage. L'architecte assure alors un travail fin de seuils et de statuts des espaces, avec ces mots : «Les espaces extérieurs sont nuancés, particularisés[...] Certains espaces s'ouvrent sur la rue et font l’accueil de la maison ; d'autres se protègent des agressions extérieures, des vues, du bruit [...] pour les échanges et la tranquillité...»16 La composition résultante est pittoresque, la voirie affirmant une géométrie sinueuse, offrant une fluidité des parcours, les arbres et la végétation participant à cet enchaînement de séquences sans symétrie ni équivalence. Pierre Prunet a donc composé avec des références aux cités-jardins, mais aussi aux courants critiques du modernisme préconisant une référence au village et ses qualités pour proposer un modèle constituant une alternative aux grands ensembles.

1.2.2 Une trame génératrice de formes urbaines

Pierre Prunet, pour concevoir cette partie de ville de son modèle, s'appuie sur l'utilisation d'une trame à base carré qu'il oriente Nord-Sud. Cette trame est un véritable outil lui permettant de concevoir son modèle. Ce système lui permet ainsi de disposer le bâti ainsi que les vides qui en découlent. Les formes urbaines dessinées sont ainsi en quelque sorte « pré-composés » et prêtes à être utilisées dans les contextes de projets concrets, rapidement et efficacement. La dimension innovante de son modèle se trouve ainsi dans les combinaisons variées de ses types ainsi que dans les références et l'image de village qui en découle. En effet, l'utilisation de cette trame n'est pas à l'origine d'un rythme monotone et continu. L'architecte 16 Pierre Prunet, plaquette de présentation : Village de l'Ouest, modèle Innovation 1974

23/125


17

17 La trame génératrice de formes urbaines du modèle : le « village-système » (Source : plaquette de présentation du modèle innovation par Pierre Prunet, 1974)

24/125


concepteur jouant avec cette trame pour composer ces formes urbaines, proposer des décalages du bâti pour créer des vides, des seuils, des élargissements de voies, des rétrécissements. Le plan de masse du modèle exprime alors les possibilités de variété des combinaisons des logements, et propose finalement un modèle dont la référence au village rompt avec la monotonie des barres et tours si vivement critiqués à cette époque. La combinaison des logements, notamment des différentes déclinaisons des logements individuels, est complexe et permet une grande variété d'aspects de l'opération, par un jeu de volumes expressif. De ce fait, Pierre Prunet s'émancipe non seulement de la monotonie des grands ensembles, mais aussi de celle des opérations pavillonnaires où le même modèle de maison est répété à « l'infini ». Finalement, cette composition urbaine basée sur une trame laisse entrevoir la dimension proliférante de ce système. Il y a donc un caractère évolutif dans ce modèle, car sa conception, dans un contexte abstrait, inclut dès lors une capacité d'adaptation.

2.1 Un modèle contextualisé

Pierre Prunet adapte son modèle, conçu dans un contexte abstrait, à un site existant. C'est dans le quartier de la Cousinerie, dans la ville nouvelle de Villeneuve d'Ascq en pleine construction, que cette déclinaison du modèle innovation village de l'Ouest se concrétise, entre 1976 et 1981.

2.1.1 Un contexte singulier, la ville nouvelle

Au milieu des années 1960, l’État français souhaite à la fois moderniser les centres-villes, structurer les banlieues de manière

25/125


« harmonieuse » et remédier aux taudis et bidonvilles. Une politique à échelle nationale est alors mise en place pour aménager la France et accélérer le rythme dans la production de logements. En 1966 naissent alors les politiques de « villes nouvelles » et « métropoles d'équilibre » ainsi que la création des Organismes Régionaux d’Étude et d'Aménagement d'Aire Métropolitaine (OREAM) destinés à établir les schémas de développement de l'espace à échelle métropolitaine. L’État cherche en effet à décentraliser les plus grandes villes françaises, s'inspirant notamment du grand plan de Londres de 1944-1946 qui proposait des villes satellites pour démultiplier les pôles d'attractivité.18 L’État organise ainsi le développement de 5 villes nouvelles en région Parisienne et 4 en province. Le gouvernement français veut en effet opérer une décentralisation des grandes villes dont font partie la capitale du pays mais aussi Lyon, Marseille, Lille ainsi que le Vaudreil, cette dernière se situant entre Paris et Le Havre dans une région où l'industrialisation ne cesse de croître. A Lille, le centre-ville est saturé, notamment par la présence des universités. Villeneuve d'Ascq a donc pour objectif de proposer des nouveaux pôles universitaires, en dehors de Lille, pour répartir les activités sur le territoire. Une zone est délimitée afin d'accueillir cette ville nouvelle, en ayant pour objectif, aussi, de construire des équipements et un vrai centre urbain pour éviter d'édifier des « citésdortoirs » comme par le passé. De ce fait, « Lille Est » est implantée entre les villes de Lille, Roubaix et Tourcoing et située proche des principaux axes routiers pour assurer sa desserte. On décide alors de contrôler la densité, en imposant 50 % d'espaces vides pour 50% de construit. Des objectifs sont fixés, avec notamment la volonté de défendre le développement d'une ville verte, équipée de jardins, d'espaces végétalisés, de lacs... 18 Conférence de Catherine Blain, des ZUP aux villes nouvelles, expérimentation de l'habitat et fabrication de la ville, le 11 Février 2019 à l'E.N.S.A.P.L

26/125


L'université de Lille 1 ouvre ses portes en 1966 mais il faudra attendre 1969 pour avoir un premier schéma urbain incluant des grands ensembles, l'université de Cité scientifique (Lille 1) tout en incorporant le quartier résidentiel de la poste préexistant datant des années 1950, et d'autres lotissements. La ville se construit ainsi comme un « patchwork », un puzzle, délimité dans un premier temps par la chaîne des lacs au Nord, paysage totalement artificiel et créé lors de sa construction dans une zone marécageuse, et les lotissements préexistants au Sud. La ville est coupée en deux, selon un axe Nord-Sud, par une voie rapide, le Boulevard du Breucq. La zone d'aménagement concerté définit, dans cette logique de favoriser la cohérence territoriale dans l'aménagement des villes, les règles d'installation et d’urbanisation et propose cette composition où se mêlent des parties de villes d'époque et des interventions nouvelles aux identités variées. Par la suite, d'autres grands programmes se sont lancés comme la construction de deux autres universités de la ville : Lille 2 et Lille 3. Ainsi, Villeneuve d'Ascq s'est intégrée dans ce contexte.19

2.1.2 Un pôle urbain secondaire

Ce quartier de la Cousinerie est le plus vaste de Villeneuve d'Ascq. Il est délimité par le Boulevard du Breucq à l'Ouest, l'Avenue de Roubaix au Nord, qui constituent de véritables frontières physiques dans son contexte immédiat ainsi que par le Lac du Héron au Sud. On retrouve 3 250 logements, dont 840 sont de type individuel, implantés sur d'anciens terrains agricoles autour de la colline des Marchenelles constitué des terres de déblais de la chaîne des lacs.20 Sa construction débute en 1975, soit un an avant que commence le chantier du village de l'Ouest de Pierre Prunet. Prévu comme le 19 Ibid. 20 LACTH E.N.S.A.P.L, Architecture à Villeneuve d'Ascq, guide par quartier, Villeneuve d'Ascq, Éditions Ensapl, 2016

27/125


21

21 La parcelle de l'opération « village de l'Ouest » (en rouge) dans le Schéma Directeur du quartier de la Cousinerie à Villeneuve d'Ascq, par Pierre Eldin, 1969 (Sources : Archives municipales de Villeneuve d'Ascq)

28/125


deuxième centre de la ville, il est le seul à accueillir une mairie de quartier. Par ailleurs, les ensembles d'habitation intègrent de nombreux équipements, commerces et services. On retrouve ainsi dans ce quartier le LaM, le Musée d'Art Moderne de Villeneuve d'Ascq, inauguré en 1983.22 Pour implanter son opération, Pierre Prunet doit s'inscrire dans un quartier en pleine construction. Pierre Eldin, architecte en charge du schéma directeur, propose en 1969 une grande diagonale piétonne qui traverse le quartier, le Chemin des Crieurs. Cette voie structurante en passe par le deuxième centre de la ville : la place Jean Moulin qui borde la mairie de quartier. Elle constitue ainsi un cheminement alternatif piéton dans le quartier le long duquel de nombreux commerces, services et

équipements

complètent

l'implantation

des

logements.

Le

prolongement de cette diagonale piétonne, à l'Est, aboutit au Chemin des Camarades qui donnent accès au parc du Héron et à la chaîne des lacs, qui traverse la ville d'Est en Ouest. Le site de projet confié à Pierre Prunet se situe donc dans la continuité directe de ce Chemin de Crieurs, prolongeant vers l'Ouest le développement du quartier. Au Nord, des opérations de logements des architectes Jean-Pierre Watel et Paul Chemetov, en chantier, délimitent l'opération. Une voie automobile périphérique aux opérations constitue une autre limite, matérialisée à l'Est par la rue des Comices, et à l'Ouest par la rue de la Cimaise. Enfin au Sud, les opérations de logements ne sont pas encore dessinées mais le schéma directeur offre une limite à l'architecte. De nombreux équipements sont prévus autour du village de l'Ouest, notamment l'école Camus, qu'un autre architecte sera chargé de concevoir. Pierre Prunet installe donc son projet dans un contexte au développement prédéfini. 22 Conférence Villeneuve d'Ascq, les mutations depuis 1970, organisée par la Mairie de Villeneuve d'Ascq à la Rose des Vents le 6 Mars 2019

29/125


23

23 Des formes urbaines adaptées au contexte, par l'infléchissement de la trame et le respect des éléments préexistants (Source : Schémas de l'atelier, phase d'analyse)

30/125


2.1.3 Un village en ville, un modèle finement adapté

Face à toutes ces contraintes contextuelles, l'architecte propose un renouvellement de la forme urbaine à Villeneuve d'Ascq plus complexe que dans son modèle. Pour adapter son « village de l'Ouest » à la Cousinerie, Pierre Prunet décide de reprendre la logique de hiérarchisation de la voirie de son modèle innovation. Ainsi, la voie structurante contenue dans le modèle est dessinée dans la continuité du Chemin des Crieurs de Villeneuve d'Ascq, agissant ainsi dans le prolongement de cette voie piétonne voulue par Pierre Eldin. Cette rue dénommée rue de la Coutume dessert alors des ramifications, avec, comme dans son modèle innovation, des allées et ruelles secondaires. Il décide alors d'installer une « rotule » au centre de cette voie structurante, proposant une articulation principale, au croisement de la rue de la Clef, seul vestige du parcellaire agricole ancien. Il convoque ainsi de nouveau les formes urbaines en hameaux mais aussi en îlot qui lui permettent de s'adapter au contexte. Cela lui permet en effet, avec les impasses des hameaux, de retourner l'opération sur ellemême pour se fermer au contexte, tandis que les allées et ruelles proposent des continuités avec ce dernier. Il utilise alors de nouveau la trame pour installer les formes urbaines dans le contexte. Cette trame est utilisée pour offrir à chaque îlot sa géométrie. Ainsi elle possède deux orientations majeures : une orientation Nord-Sud comme le modèle, et un infléchissement qui suit alors la voie structurante, la Rue de la Coutume, grande diagonale dans le site. L’architecte adapte donc son modèle au contexte de ce quartier de la Cousinerie, avec son « village système ». Ainsi, au Nord-Ouest, Pierre Prunet applique deux formes en hameaux pour s'adosser aux jardins de l'opération de Jean-Pierre Watel voisine, et

31/125


finalement refermer l'opération sur elle-même. Il propose par ailleurs des allées pour se connecter aux voies piétonnes des opérations de Jean-Pierre Watel et Paul Chemetof, ces derniers ayant dissocié dans leurs opérations de logements la voiture du piéton. Au Sud Ouest de l'opération, il dessine des formes urbaines en îlot, dont les cœurs sont notamment habités par des formes en hameaux. Il crée alors des rues allant vers le Sud, ne sachant pas ce qu'il y sera édifié, respectant le schéma directeur et notamment le maintien de la seule voie historique, la rue de la Clef. Par ailleurs, le village de l'Ouest de Pierre Prunet à Villeneuve d'Ascq est une déclinaison unique. C'est la seule réalisation en France qui comporte trois types de logements, à savoir le type individuel, intermédiaire et collectif. Il s’appuie alors, comme dans son modèle, sur une gradation des gabarits bâtis pour mettre en place ces types. La rue de la Coutume, voie structurante, est constituée d'un front bâti principalement constitué de logements intermédiaires dont les hauteurs varient. Ainsi, ces logements atteignent le R+3 au niveau de la rotule, pour marquer l'importance de cette articulation, puis leur hauteur diminue petit à petit pour se connecter de nouveau aux quelques maisons individuelles en R+2 qui complètent le front bâti de la rue de la Coutume. Les ramifications donnant accès aux ruelles, allées et impasses sont quant à elles bordées exclusivement de maisons individuelles, respectant cette idée de hiérarchie du bâti en liaison avec la hiérarchie de la voirie. Finalement, les trois plots des logements collectifs sont isolés du reste de l'opération, au Sud-Est. Leur gabarit est ainsi à comprendre en relation avec leur contexte, le bâti environnant à l'entrée du chemin des Crieurs étant plus haut. Il y a donc une gradation fine des hauteurs bâties qui permet à Prunet d'affirmer la hiérarchisation de la voirie et des espaces proposés par son modèle adapté. Il faut ajouter que les questionnements sur le logement intermédiaire

32/125


sont très novateurs pour l'époque. Villeneuve d'Ascq est la seule réalisation du modèle innovation qui développe ce type architectural. Pierre Prunet place alors sa proposition dans une certaine dimension innovante, participant finalement aux questionnements sur les alternatives aux grands ensembles, et sur ces nouveaux habitats. Villeneuve d'Ascq, ville nouvelle en pleine construction, est alors un formidable territoire d’expérimentation de ces innovations sur l'habitat. Contrairement aux cités-jardins et aux villes traditionnelles anglaises, il ne place pas ces espaces verts communs, dans les ruelles, les allées, ou les impasses des hameaux, qu'il maintient avec un traitement très

minéral,

mais

plutôt

en

périphérie

de

l'opération.

Ces

« discontinuités » sont traitées comme des espaces de jardins-parcs partagés pour les habitants. Initialement, l'architecte dédiait ses « common green » à des jeux pour enfants. Finalement, ces espaces ne seront pas aménagés, si ce n'est celui au Sud qui se connecte à l'école et qui accueille des jeux pour enfants. Ils sont par ailleurs mis en place pour créer des espaces de transition chaque fois que son opération se connecte aux autres opérations voisines. Nous pourrions alors voir ces « espaces tampons » comme des limites à la prolifération, une manière pour l'architecte de pérenniser la périphérie, orientant finalement les éventuelles possibilités de croissance au sein même de l'opération. Et accentuant cette formation urbaine constituée d'opérations en « tâche », en secteur aux identités propres. Il propose aussi un réseau alternatif piéton qui traverse l'opération par les cœurs d’îlots, favorisant les parcours piétons dans l'opération lui permettant notamment d'innerver les jardins depuis ces cœurs d’îlots, mais aussi de proposer des connexions aux équipements voisins, notamment les écoles, sans passer par les rues principales accueillant la circulation automobile, à la manière des unités de voisinage.

33/125


24

24 Enchaînement de séquences urbaines dans l'opération à Villeneuve d'Ascq, Dans l'ordre : La voie structurante aboutissant à la « rotule » / Un hameau rue de la Corolle / La « discontinuité » majeure au Nord de l'opération (Photographies personnelles, Février 2019)

34/125


Une autre particularité de cette déclinaison villeneuvoise du modèle est le développement de parkings dans certains des cœurs d’îlot. En effet, les autres villages, notamment ceux que nous avons visités à Angers et Poitiers montrent un aménagement des cœurs d’îlots en parcs boisés collectifs, reprenant plus fidèlement les principes du modèle. Cela démontre bien que la place de la voiture a été prépondérante dans les questionnements de l'architecte et que ce dernier a finement adapté son modèle à ce contexte urbain particulier. Pierre Prunet convoque ainsi de nombreuses références au village, avec un maillage de rues, ruelles, places, placettes, allées, venelles, impasses ou encore hameaux. Cela lui permet de répondre finement au contexte, pour connecter l'opération ou la refermer sur elle même. Cela valorise par ailleurs un retour aux qualités des villages, et au développement d'une identité propre de l'opération, avec à la fois un travail fin de développement des seuils, une gradation mais aussi un équilibre des statuts, du public au privé en passant par le collectif, ainsi que l'importance des cheminements piétons dans l'opération. Il adapte donc la réalisation du village de l'Ouest au contexte de Villeneuve d'Ascq et aux contraintes fixées par son schéma directeur, démontrant la qualité évolutive et adaptable de son modèle innovation datant de 1974, et la grande complexité et richesse qu'il a réussi à en tirer, s'éloignant des principes du mouvement moderne en faisant de l'existant une des idées motrices du développement de son projet et proposer finalement cette déclinaison singulière du modèle du village de l'Ouest.

35/125



II. Une architecture évolutive

2.1 Un dispositif technique et constructif innovant ?

2.1.1 Un système modulaire...

Pour créer les logements, l'architecte part d'un module de 3,57 mètres de côté. J’émets alors deux hypothèses quant à ces dimensions. Dans un premier temps, cela correspond à la largeur minimale d'un salon. Dans un second temps, un module correspond à 12,7 mètres carré, soit approximativement la surface d'une chambre parentale. Ainsi ce module, cette cellule de base, est dimensionnée pour répondre à l'organisation interne des logements mais aussi à leur dimension évolutive et adaptable. En effet, Pierre Prunet conçoit, dans le modèle innovation de 1974, des logements à partir de l'assemblage de ces modules, qui s’appuie sur une trame. Il propose un système d'assemblage proliférant, par additionsoustraction d'une cellule pour apporter un ensemble de déclinaisons aux types individuels et intermédiaires et pour constituer les logements collectifs. Il s'exprime alors en ces termes : «Les compositions de deux modules carrés sont illimités dans le jeu des plans et des superpositions. A partir d'une cellule de base, l'évolutivité est laissée au gré du maître d'ouvrage ou de l'usager, par l'addition en rez-de-chaussée ou en superposition, de pièces d'habitation, terrasses-jardins, toits, etc... »1. L'architecte propose ainsi une double évolutivité : celle de l'ordre de la phase de conception, permettant à ce que le maître d'ouvrage puisse adapter et choisir les déclinaisons dont il lancera la construction, mais aussi, celle de l'usage, permettant aux futurs usagers de pouvoir adapter leur logement à leurs envies et besoins au cours de leur vie. 1 Pierre Prunet, plaquette de présentation : Village de l'Ouest, modèle Innovation 1974 p. 218

37/125


2

2 Le système modulaire évolutif du modèle innovation 1974, A gauche : le plan du rez-de-chaussée invariant A droite : Deux déclinaisons des étages évolutifs et adaptables (Source : plaquette de présentation du modèle innovation par Pierre Prunet, 1974)

38/125


Pierre Prunet propose donc des solutions pour faire face à ces questionnements sur l'habitat, dans ces années 1970-1980. Le logement individuel correspond ainsi à un rez-de-chaussée commun à tous les logements individuels, comprenant deux travées de trois modules. La première travée comprend le garage, en avancée sur la rue, une cuisine qui donne sur le jardin et qui prend la dimension d'un module, et la circulation verticale et les WC entre les deux. La deuxième travée comprend un seuil d'entrée, avec un module vide qui aboutit à l'entrée du logement individuel, les deux autres modules constituant un séjour traversant du seuil donnant sur la rue au jardin. A l'étage, l'architecte exprime toute la dimension évolutive et adaptable de son modèle, avec une possibilité de déclinaison comprenant dans la première travée deux modules dont l'aménagement est fixe. Ils sont invariants et comprennent les escaliers, ainsi que la chambre donnant sur le jardin et un rangement côté rue. De ce fait, les autres modules de l'étage (celui qui correspond à l'étage du garage et les deux modules qui correspondent au séjour en rez-de-chaussée) peuvent accueillir librement des chambres ou des terrasses. Ainsi, l'architecte est libre de composer, dans son modèle innovation, avec ces trois modules pour adapter son intervention. A Villeneuve d'Ascq, Pierre Prunet propose 4 déclinaisons de ces logements individuels. Il reprend alors le rez-de-chaussée commun à toutes les déclinaisons mais apporte, sur 3 des 4 déclinaisons, une ou plusieurs chambres en rez-de-chaussée. Pour ce faire, il ajoute un ou deux modules latéralement du coté du séjour, convoquant ainsi les déclinaisons « tout à rez-de-chaussée » et « confort » de son modèle. L'étage est alors similaire selon les déclinaisons, avec seulement 4 modules utilisés à l'étage, surplombant la cuisine, l'escalier, et le séjour. S'y déploie alors la salle de bain, un rangement et des chambres. Les autres modules ne recevant pas de surélévation en rez-de-chaussée sont

39/125


3

3 Les trois autres déclinaisons de rez-de-chaussée employées à Villeneuve d'Ascq, la première étant identique à celle du modèle innovation (Production personnelle)

40/125


couverts par ces toitures aux pentes vives. Ainsi, aucun logement ne possède de terrasse, contrairement aux déclinaisons proposées aux « villages de l'Ouest » à Angers et Poitiers. Les logements intermédiaires développés à Villeneuve d'Ascq correspondent au modèle de la plaquette. Basé sur le même principe que les logements individuels, ces logements intermédiaires sont constitués de deux travées de 3 modules. L'architecte réserve le module donnant sur la rue de la première travée à une circulation verticale offrant l'accès au logement supérieur, l'autre module de la deuxième travée définissant un porche comme seuil commun. Ce dernier donne accès à cette circulation verticale ainsi qu'à l'entrée du logement du rezde-chaussée. Les pièces se répartissent alors comme dans le logement individuel avec cuisine, séjour et Wc à l'étage inférieur et chambre et salle de bain à l'étage supérieur. Les rez-de-chaussée jouissent alors d'un jardin tandis que les logements supérieurs, par un décalage d'un module, bénéficient d'une terrasse le surplombant. Pierre Prunet propose alors un assemblage plus complexe des logements intermédiaires en jouant sur le nombre de chambres offert ou encore sur les duplex, mais maintient toujours, en façade, ce rythme de double module. Finalement, il définit le logement intermédiaire comme une juxtaposition de logements individuels. Les logements collectifs sont eux aussi proches de l'organisation proposée dans le modèle innovation. On retrouve ainsi des plots dont l'accès collectif donne sur une circulation verticale comme noyau central autour duquel, dans une forme de « svastika », quatre logements par étage se développent aux coins du plot. L'architecte joue alors avec la soustraction d'un module par étage, correspondant à une chambre, pour proposer différentes catégories de logements, du T5 au T2. Ces trois plots sont disposés autour d'une placette haute centrale qui correspond au premier seuil collectif desservant les entrées.

41/125


4

4 -Schéma de la préfabrication ouverte lourde proposée par Pierre Prunet dans son modèle innovation de 1974 (Source : plaquette de présentation du modèle) - Évolution de la façade de la réalisation à Villeneuve d'Ascq (Production personnelle)

42/125


Il faut ajouter que Pierre Prunet ne se contente jamais de soustraire ou ajouter une pièce par module pour décliner ces logements. En effet, lorsqu'il retire ou ajoute une chambre, soit un module, il revoit l'organisation interne du logement, s'émancipant des limites induites par ce développement modulaire. Ainsi, au travers de cette conception modulaire, Pierre Prunet affirme toute la dimension adaptable et évolutive ainsi que proliférante de son modèle et de sa réalisation.

2.1.2 … favorisant une préfabrication ouverte lourde...

La dimension proliférante et évolutive de ce projet, découle d'un système constructif conditionné par l'usage de la trame. En effet, cette trame offre la possibilité à l'architecte d'employer des éléments standardisés préfabriqués. Pierre Prunet développe le principe constructif de son modèle innovation à partir de trois éléments préfabriqués majeurs. Il propose dans un premier temps des panneaux verticaux, des « panneaux uniques de façade » qui sont en réalité des façades porteuses. Ces façades, de la largeur d'un module, possèdent trois déclinaisons : un panneau de façade opaque utilisé pour les murs de refends, des panneaux incorporant des grandes baies vitrées dont une partie est dotée d'une porte (pour les séjours traversant), et des panneaux avec pour seule ouverture une baie à la dimension d'une porte (pour les cuisines et les chambres). Pierre Prunet indique que dans ces façades sont incorporées les fenêtres avec vitrages et volets en usine. Dans le modèle innovation, ces panneaux se reposent en partie basse, et soutiennent en partie haute le deuxième élément de ce principe de construction : les dalles. Ces « dalles-caissons », ayant pour dimensions deux modules carrés pour former un rectangle de 3,57 x 7,14 mètres de côtés, possèdent des

43/125


nervures périmétrales. Décrite comme élément unique, il existe néanmoins une dalle de la dimension d'un seul module, dû au garage correspondant en avancée sur la rue. De plus, le rez-de-chaussée et l'étage possèdent des dalles relativement identiques, ce qui signifierait que la dalle de rez-de-chaussée n'est pas construite sur un terre-plein mais sur un vide sanitaire, révélant la logique de la préfabrication. Enfin, les fondations sont dessinées comme des fondations isolées ponctuelles. Le troisième et dernier élément est la coque de « toiture-couverture », en béton recouverte de « shingle », qui est un bardeau bitumineux renforcé de fibre de verre. Seuls restent à exécuter les travaux de finitions sur le chantier, correspondant au revêtement des sols , à la peinture et la tenture. A noter que le modèle innovation comprend un bloc d'escalier en béton et un bloc sanitaire tous deux préfabriqués. D'après les documents du permis de construire de la déclinaison à Villeneuve d'Ascq, le bâti a donc une forme qui découle directement de sa technique de construction : la préfabrication ouverte lourde (plus de 5 tonnes par module).5 Néanmoins, des ajustements ont été faits lors de l'adaptation dans la ville nouvelle. Initialement prévue en panneaux sandwiches composés d'une double couche de béton incorporant une isolation en polystyrène, la réalisation est finalement constituée de simples panneaux de béton sur lesquels est appliquée une couche de polystyrène intérieur (isolation par l'intérieur), ainsi qu'un habillage en placo-plâtre, solution probablement plus économique. Par ailleurs, le nez de dalle visible sur les façades du permis de construire pose question. En effet, les ravalements de façade successifs ont masqué la lisibilité des joints en uniformisant le revêtement de la façade, brouillant la lecture des panneaux et du système constructif. Néanmoins, 5 Conférence de Jean-Christophe Laurent : « l'emploi de la préfabrication dans la production du logement social autour des années 1960-1970 », le 12 Février 2019

44/125


des documents d'archives ont permis de voir que Pierre Prunet avait fait évoluer son modèle en travaillant plus finement ce détail, avec les panneaux verticaux se chevauchant pour recouvrir le nez de dalle, offrant une solution thermiquement plus convaincante. Cette hypothèse a alors été validé lors de la visite du « village de l'Ouest » de Poitiers où il est encore possible de lire le joint creux séparant les panneaux de façade. En toiture, les fermettes supposément en bois sont espacées d'environ 60 cm, ce qui exclurait l'idée de combles aménagées. 6 Elles sont alors adaptés à la région, par l'utilisation de tuiles canal, ainsi que le maintient, comme sur le modèle innovation, d'un forte inclinaison. Lors de notre intervention, nous avons considéré que les fondations avaient été légèrement surdimensionnées pour assurer les extensions possibles développées dans le modèle. La préfabrication possède donc de nombreux avantages, notamment économiques. Le travail en usine permet ainsi un meilleur rendement, dans des conditions optimales pour gagner en qualité de finition, et réduit les coûts et le temps de cette phase de chantier.

2.1.3 ...Permettant l'évolutivité du système

La préfabrication ouverte ne constitue pas la dimension innovante du projet. C'est en réalité l'assemblage libre qui permet de créer une grande variété de volumes qui est innovant. En effet, ce système constructif allié à l'utilisation de la trame permet à l'architecte de créer ce qu'il appelle : « … une variété infinie d'assemblage et une grande liberté sur le plan architectural... »7. Ainsi, la constitution des volumes par ces panneaux, en suivant la trame, est complètement libre. En effet, ces panneaux créent un jeu de volumes d'une grande plasticité, et l'architecte peut ainsi jouer avec ces libertés pour proposer différentes 6 Ibid 7 Pierre Prunet, plaquette de présentation : Village de l'Ouest, modèle Innovation 1974

45/125


8

8 Maquettes de présentation du modèle innovation en 1974, affirmant cette architecture volumétrique d'une grande plasticité (Source : plaquette de présentation du modèle innovation par Pierre Prunet, 1974)

46/125


déclinaisons de ses logements, notamment des individuels. Cela participe à la rupture avec la monotonie et la linéarité des grands ensembles si critiqués dans les années 1970, bien que construits avec ce même procédé. Il exprime alors l'idée selon laquelle : « les compositions de deux modules carrés sont illimitées dans le jeu des plans et des superpositions. » Cela crée alors une architecture évolutive, car à la fois capable d'être adaptée lors de la phase de conception par déclinaison du modèle, mais aussi lors de son usage, par ses qualités proliférantes. Dès lors, des extensions sont possibles, par superposition d'autres volumes sous la forme de modules, mais aussi par juxtaposition de modules dans le plan tramé. Pierre Prunet s'inscrit alors dans cette lignée d'architectes des années 1970 ayant travaillé sur la notion d'évolutivité de l'habitat, défendant l'idée selon laquelle les usagers puissent adapter leur logement à l'évolution de leur vie, de leur famille. Des projets ont donc été développés par des architectes cherchant à innover dans ce champ, à l'image de George Maurios et de son projet des Marelles, faisant intervenir un système modulaire dans lequel des poteaux-gaines assurent la flexibilité du plan libéré de cette contrainte technique, alors synonyme d'adaptabilité. Paul Chemetof, autre grande figure de cette époque, exprimait alors la relation entre évolutivité et préfabrication ouverte : « Un système de conception ouvert ne mérite d'être développé et soutenu que s'il favorise pour le concepteur une diversité des formes et des assemblages... »9. Pierre Prunet propose alors lui aussi, par la capacité proliférante de l'opération, de laisser « l'usager » transformer son logement au cours de sa vie.

9 Chemetof Paul, « questionnement sur l'habitat évolutif », Technique et Architecture, n°292, Avril 1973, p.92

47/125


10

10 Grande variété dans la combinaison des déclinaisons des logements individuels dans le village de l'Ouest de Villeneuve d'Ascq (Production personnelle)

48/125


49/125


Par ailleurs, les quatre déclinaisons des logements individuels de Villeneuve d'Ascq adoptent des formes variées afin de répondre aussi à une grande liberté dans leur combinaison. Ces logements sont utilisés, selon leurs formes en plans, mais aussi leur volumétrie, pour être disposés sur le sites et s'y adapter tout en créant ces formes urbaines aux références rurales. Pierre Prunet démontre donc toute la dimension adaptable des logements de son modèle par ces déclinaisons et leur combinaison.

Il faut ajouter que les parkings en cœur d’îlot n'entrent pas dans cette composition de la trame. En effet, ces parkings impliquent des dimensionnements liés au stationnement. Le système constructif est constitué de murs de refend en béton, de 5,2 mètres d'entraxe, reposant et supportant une dalle béton. L’ingéniosité de ces parkings tient plutôt dans le fait qu'ils soient semi-enterrés, ce qui permet de diminuer la longueur des rampes d'accès au niveau bas et sur le plateau haut.

2.2 La toiture, expression architecturale vernaculaire

Nous l'avons dit dans la partie précédente, l'opération de Pierre Prunet convoque des formes urbaines aux références rurales dans son modèle innovation. Mais l'architecte réinterprète aussi, à l'échelle architecturale, cette image du village. Il s'exprime en ces termes : « (Le) Village de l'Ouest, de la maison individuelle la plus traditionnelle avec l'architecture classique et calme, à l'ensemble « dense », renoue avec les qualités de nos villages et de nos villes moyennes. »11. L'architecte cherche à donner une dimension vernaculaire au bâti. Les façades de ces bâtis étant en béton, Pierre Prunet développe des toitures pour coiffer les bâtiments. Cet élément constitue alors un variant de son 11 Pierre Prunet, plaquette de présentation : Village de l'Ouest, modèle Innovation 1974 p. 217

50/125


modèle, capable d'être adapté à la région d'implantation. Pour lui : « Les silhouettes, où l'architecte a privilégié les toits chers à nos régions de l'ouest, renouvellent et complètent heureusement les formes des ensembles récents, en réintégrant des formes traditionnelles, issues de l'évolution de la cité, qui composent notre cadre familier. ».12 Cette silhouette très expressive, constituée de monopentes à 45 degrés, faisant la hauteur d'un étage, constitue une réinterprétation contemporaine des toitures à double pente que l'on peut retrouver dans l'architecture traditionnelle et vernaculaire de l'Ouest de la France. Ainsi, la coupe de la plaquette présente une église, comme bâtiment majeur et emblématique de ce modèle, autour de laquelle un bâti est ajouté ne dépassant pas un gabarit en R+3, et dont la variété des orientations des toits monopentes s’intègre parfaitement dans la continuité des maisons individuelles mitoyennes de la maison traditionnelle de pêcheur breton. Ainsi, Pierre Prunet offre une réelle alternative à l'expression architecturale des grands ensembles et rassure, par une image vernaculaire aux références du village, par une réinterprétation contemporaine d'une architecture traditionnelle connue de tous. Les différents documents d'archives nous ont permis d'analyser l'opération au travers de différentes phases, et notamment celle du permis de construire. Nous comprenons alors que cette importance de la silhouette expressive caractérisée par les toitures a effectivement été maintenue par l'architecte. Le modèle innovation est en effet défendu comme un modèle adaptable à toutes les régions de France, comme le préconisait le programme lancé par le ministère de l'équipement. Pour adapter son modèle, l'architecte maintient ainsi l'idée d'une architecture constituée de volumes bétonnés. Néanmoins, il adapte la couverture des toitures à la région. Il décline alors cette réalisation à Villeneuve d'Ascq avec des couvertures en tuiles, matériau plus approprié à la région et à 12 Ibid. p. 217

51/125


13

13 -La toiture comme expression architecturale vernaculaire et expressive, dans le modèle innovation (Source : plaquette de présentation du modèle innovation) - Les toitures, identité de l'opération de Villeneuve d'Ascq (Photographie personnelle, Mars 2019)

52/125


son image vernaculaire. Il apporte une autre modification à Villeneuve d'Ascq. Les logements individuels n'y possèdent pas de terrasses, renforçant le jeu plastique et volumétrique des toitures et de leurs ombres. En outre, les toitures s'affranchissent des logiques volumétriques développées par les logements, pour répondre à d'autres intentions. Leurs orientations ne sont pas dépendantes de la déclinaison développée, et répondent d'une manière plus générale à la spécificité de leur implantation sur le site. Ainsi, la forte inclinaison (36°) des toitures villeneuvoises sont souvent traitées en double pente, pour atténuer l'impact visuel des volumes bâtis pour les habitants, depuis la rue, ainsi que depuis les jardins. Néanmoins, ces toitures se retournent dans les angles ou en bout de rue afin d'offrir une gradation des gabarits des volumes bâtis plus fine. De plus, les pans de toiture des logements mitoyens sont parfois unifiés, de sorte à ce que la toiture brouille la lecture d'un volume de logement individuel. Les logements intermédiaires suivent eux aussi ces principes et l'architecte y ajoute une règle, lorsque ces logements sont mitoyens et que leur gabarit change, alors la toiture se retourne pour marquer la différence de hauteur et de niveau entre eux. Ces toits aux orientations variées dynamisent la perception de l'opération, et lui donnent finalement son identité avec cette silhouette expressive. Ainsi, l'architecte propose une alternative à la monotonie des grands ensembles ainsi que des zones pavillonnaires et démontre une nouvelle fois la capacité évolutive de son modèle innovation dans son application à un contexte. Ces premiers possèdent néanmoins un défaut majeur, ils sont inhabitables.

53/125



III. Une intervention évolutive ?

C'est fort de la compréhension de l'opération du village de l'Ouest de Pierre Prunet à Villeneuve d'Ascq et du modèle innovation décliné que ce projet d'intervention s'est développé.

3.1 Un diagnostic précis

3.1.1 Des qualités perdues

Dans un premier temps, nous constatons que le village de l'Ouest de Pierre Prunet à Villeneuve d'Ascq a perdu un grand nombre de ses qualités. En effet, l'état actuel de l'opération montre une évolution de l'opération qui n'est pas toujours réjouissante, du moins lorsque l'on connaît les intentions initiales de l'architecte. Ainsi, les parkings en cœur d’îlot sont aujourd’hui des lieux fermés, presque inutilisés alors qu'ils avaient été considérés initialement comme des lieux totalement ouverts et accessibles. Certains habitants ont révélé que ces lieux avaient en réalité été envahis par des personnes malintentionnées, occasionnant des problèmes de squats et d'incivilités. Suite aux plaintes des habitants, le bailleur a préféré fermer, par des grilles, les accès à ces parkings collectifs. Encore accessibles, les étages semi-enterrés dans les garages fermés semblent toujours occupés par certains habitants, mais les parties aériennes sont complètement inoccupées. Lors de nos visites, nous n'avons croisé qu'une seule personne qui s'y garait.1 La perte de ces pôles de stationnement a donc eu un impact sur le site. En effet, les stationnements sauvages devant les logements individuels et intermédiaires phagocytent désormais le site, envahissent l'espace 1 Rencontre avec les habitants de l'opération, au « village de l'Ouest » à Villeneuve d'Ascq dans le quartier de la Cousinerie, le 8 Mars 2019

55/125


2

2 - Le stationnement sauvage phagocyte le site, premier croquis d'impression (personnel)

- Photographies : (Mars 2019)

.Un garage en cœur d’îlot clos . Des traversées piétonnes fermées

56/125


public, les rues, ruelles et allées et portent préjudice aux circulations des piétons et à la perception visuelle de l'opération. Ces parkings vacants ou presque ont donc été une piste de projet majeure. Il faut ajouter que les cheminements piétons qui constituaient une circulation alternative pour les habitants à travers l'opération, passant dans les cœurs d’îlot, notamment pour desservir les jardins autour de ces mêmes parkings, ont aujourd’hui disparu. Les entrées secondaires par les jardins n'existent donc plus et les habitants se sont réapproprié ces venelles pour agrandir leurs jardins, les espaces privés prenant ainsi le pas sur les espaces collectifs. De plus, de nombreux principes de projets défendus par Pierre Prunet ne semblent pas avoir eu l'impact escompté, à l'image de cette « rotule », pour reprendre les mots de l'architecte. Cette place au cœur de l'opération n'est aujourd’hui qu'un carrefour où la circulation automobile domine, par le tracé des voies de circulation qui la dessinent et la divisent, comme par les places de stationnement qui l'envahissent. La rue de la Coutume, voie structurante de l'opération, est par ailleurs très passante, car elle constitue un raccourci pour les automobilistes souhaitant rattraper la voie rapide et ne souhaitant pas emprunter la rue de contournement de l'opération et de celles voisines. Cela crée donc un couloir passant qui divise l'opération en deux et nuit à la fluidité des parcours piétons dans l'opération. Par ailleurs, l'opération de Pierre Prunet est aujourd’hui très isolée, constituant une impasse résidentielle au bout du chemin des Crieurs, cette grande traversée piétonne à l'échelle du quartier de la Cousinerie. Enfin, les « discontinuités », ces espaces verts servant de transition pour les opérations environnantes ainsi que de parcs, de lieux de réunion, de jeux pour les habitants sont à ce jour inexploités, car ils ne présentent pas de qualités ni d'aménagement pour attirer les habitants.

57/125


3

3 Les cheminements alternatifs piĂŠtons dans la dĂŠclinaison du village de l'Ouest Ă Angers (Croquis personnels)

58/125


Ils sont aujourd'hui vécus et perçus comme des espaces résiduels de l'opération.4 Par ailleurs, l'évolution de l'opération a tendu à sa banalisation. Forts de ces constats, nous avons donc décidé d’interroger les qualités du modèle innovation du village de l'Ouest, ainsi que d'autres de ses réalisations que nous avons visitées à Angers et Poitiers pour proposer une intervention.

3.1.2 Un retour au modèle

Nous avons été particulièrement sensibles au travail des arrières dans le modèle innovation 1974 de Pierre Prunet. L'architecte conçoit alors un ensemble de parcs-jardins dans ces arrières, protégés de la rue par un front bâti et traversés par un réseau alternatif piéton dont certains épanouissements définissent des places et placettes au statut collectif. Ces chemins en cœur d’îlot constituent, en plus de proposer une promenade dans un cadre végétalisé, des accès secondaires aux logements par les jardins.

3.1.3 Des déclinaisons inspirantes

Lors de notre voyage d'étude, nous avons visité les opérations villages de l'Ouest de Poitiers et d’Angers. Ces déclinaisons n'étaient constituées que du type de logement individuel, bien que l'opération de Poitiers était au contact, dans un même îlot, d'une opération de logements collectifs. Le principe d'intérieur d’îlot collectif végétalisé proposant un cheminement alternatif piéton a été mis en place avec succès dans ces deux villes de l'Ouest de la France, et a conforté notre idée de réintégrer cette dimension d’espaces collectifs appropriables et 4 Ibid

59/125


piétons à Villeneuve d'Ascq. De plus, les parkings placés dans certains cœurs d’îlot de cette déclinaison villeneuvoise légitimait cette volonté de réactiver ces accès secondaires aux logements depuis les jardins.

3.2 Les enjeux du projet

3.2.1 Intentions générales

Lors des premières séances, nous avons abordé le projet en tentant de limiter l'impact de l’automobile sur le site. Conscients de la limite de ce procédé, nous avons par la suite changé d'approche en préférant le développer au travers de la perception du piéton. Cette démarche nous a permis de ne plus penser nos interventions en termes de restrictions et d'aménagements routiers, mais plutôt par la logique de l'habitant à pied, réinterrogeant les pratiques de la ville et de l'habitat à une échelle locale. Ainsi, notre proposition tend à offrir des espaces de rencontre et de partage appropriables pour les habitants, afin de réaffirmer une dimension plus humaine et sociale dans ce projet. Nous avons ainsi travaillé sur plusieurs axes majeurs pour « réactiver le village ». Notre intervention propose de désenclaver l'opération, d'en faire un lieu attractif à l'échelle du quartier, en y insérant une mixité programmatique nouvelle dans ce « village dortoir » passant. Cette idée s'accompagne de la volonté d'affirmer une certaine continuité et complémentarité avec les opérations voisines et le chemin des Crieurs, grande traversée piétonne voulue par Pierre Eldin dans la Cousinerie, et qui concentre les administrations, les commerces et les services à l'échelle du quartier. Les espaces publics sont alors retravaillés, et les espaces collectifs et les cheminements

alternatifs

piétons

réactivés

60/125

afin

de

réaffirmer


l'importance des circulations piétonnes au travers de l'opération et des opérations voisines. Les parkings en cœur d’îlot « en sommeil » et les discontinuités, ces espaces verts partagés, sont questionnés pour répondre à ces grandes intentions. Ces intentions s'accompagnent alors d'une volonté de pérenniser la dimension innovante de l'opération, notamment par ses références aux villages, proposant un équilibre entre espaces publics et privés dans une certaine finesse dans les gradations et séquences de ces espaces, tout en affirmant une identité à cette opération ayant souffert d'une certaine banalisation lors de son évolution. Ses caractéristiques évolutives sont alors un levier pour intervenir.

3.2.2 Favoriser l'échelle locale

Cette démarche de projet s'est accompagnée de lectures théoriques qui nous ont permis de comprendre les problématiques liées à notre projet et les solutions, ou au moins les questionnements, ayant été apportés dans l'Histoire de l'architecture et de l'urbanisme. Jean Taricat analyse le développement des périphéries urbaines et affirme que la démocratisation de l'automobile dans les années 1950 en Europe a poussé à la « suburbanisation » de masse dans les années 1960. Selon lui, l'aménagement d’infrastructures autoroutières poussent les industries et commerces à quitter les villes pour s'installer en périphérie, amenant à une décentralisation résidentielle.5 Prenant l'exemple du quartier de la Cousinerie à Villeneuve d'Ascq, il explique que la France connaît un développement des zones périphériques par « enclaves successives » autour de voies rapides : « Les abords d'une autoroute de l'Est lillois[...] révèlent, comme à la périphérie de Boston, l’existence d'une collection de fragments urbains juxtaposés, une mosaïque de micro-tissus spécialisés, chacun dédié à 5 Jean Taricat, Suburbia, une utopie libérale, Paris, Éditions de la Villette, 2013, p. 56

61/125


une activité alimentée par la proximité de l'autoroute, laissant l'impression désagréable d'une urbanisation sans freins, sans autre projet que la fluidité des échanges régionaux et sans la moindre intention de nouer des échanges locaux... »6 Ainsi l'échelle locale trouverait difficilement sa place, dans un quartier dont l'aménagement serait largement influencé par la circulation automobile. Cette « sectorisation » de la forme urbaine limiterait la fluidité des échanges à l'échelle locale. C'est le constat que partage David Mangevin qui, préconisant la « ville passante », propose comme solution de rétablir une multitude de connexions entre les espaces publics majeurs de la ville, notamment piétons, plutôt que de céder « [...]aux fortes tendances contemporaines à l’enfermement et à l’encloisonnement [...] »7 induite par des voies rapides périphériques à la ville. Pourtant Pierre Eldin, en proposant le schéma directeur de la Cousinerie, avait favorisé la séparation des flux de circulation pour proposer des cheminements exclusivement piétons traversant le quartier. Les architectes ayant travaillé sur les opérations de ce quartier, notamment Pierre Prunet, mais aussi Paul Chemetof et Jean-Pierre Watel, ont eux aussi favorisé ces parcours alternatifs. Nous tentons donc dans notre démarche projectuelle d'analyser le site et son contexte mais aussi de comprendre son évolution et son passé afin de proposer nos interventions. Dès lors, ce projet propose de s'appuyer sur ces possibilités liées aux cheminements piétons pour proposer une alternative à la voiture, et s'inscrire dans une pratique contemporaine de la ville, revalorisant l'échelle locale dans la vie des habitants. Ce n'est donc pas uniquement une nouvelle manière de circuler qui est proposée, mais aussi une nouvelle manière de pratiquer ce quartier et d'y vivre. 6 Ibid. p. 58 7 David Mangin, la ville franchisée : formes et structure de la ville contemporaine, Paris, Éditions de la Villette, 2004 p. 330

62/125


3.3 Un village en ville

3.3.1 Traiter l'espace public .Renforcer les relations au contexte Nous l'avons vu dans la partie précédente, Pierre Prunet a adapté la déclinaison de ce modèle innovation « village de l'Ouest » au schéma directeur et autres opérations voisines développées dans ce quartier de la Cousinerie. Nos premières interrogations ont porté sur la possibilité de réintégrer l'opération dans son contexte, notamment pour proposer une réelle continuité avec le chemin des Crieurs, voie piétonne traversant le quartier. Cette voie présente en effet une concentration des activités que nous avons relevée. On y retrouve la mairie de quartier, pôle administratif secondaire de la ville ainsi que des commerces, notamment avec la présence de supermarchés, d'une boucherie, d'une pharmacie. De nombreux services y sont aussi implantés comme des banques, des coiffeurs, des centres esthétiques. Des écoles, des crèches, des gymnases et même une église sont présents le long de cette voie. Par ailleurs, cette voie aboutit à la chaîne des lacs et ses parcs périphériques qui traversent la ville et y connectent différents quartiers. Nous défendons alors l'idée selon laquelle le développement de cette connexion aujourd'hui illisible et phagocytée par les circulations automobiles pourrait conforter un mode de vie alternatif local et piéton s'appuyant sur les commerces et services de proximité, à l'image des unités de voisinage théorisées au début du XX siècle. Dès lors, nous avons pensé qu'il était possible d'accentuer cette continuité entre ce chemin des Crieurs structurant voulu par Pierre Eldin et la rue de la Coutume, dessinée dans sa continuité.

63/125


8

8 Évolution de la proposition rue de la Coutume : d'un aménagement public pensé pour la circulation automobile à un aménagement pour les piétons (production personnelle)

64/125


.Accentuer la hiérarchisation des voies

Cette idée de renforcer les continuités avec le centre d'activité du quartier s'est confrontée à une autre intention, celle de respecter la hiérarchisation de la voirie voulue par Pierre Prunet et qui permet de développer cette idée d'équilibre et de gradation des espaces du public au collectif, ainsi que de redonner une identité à l'opération et de pérenniser ces qualités majeures du site. Nous avons dans un premier temps questionné le statut de cette voie structurante de l'opération et l'aménagement qui y est appliqué. Nous n'étions pas convaincus par son état actuel qui propose une séparation stricte des modes de circulation avec des trottoirs étroits longeant le front bâti et la chaussée centrale large pour assumer une circulation en double sens. En partie Sud, une bande d'arbres marque la séparation entre le trottoir et la chaussée tandis qu'au Nord c'est une bande de stationnement continue qui sert de démarcation. Nous avons alors cherché à modifier cette configuration afin que le piéton soit valorisé dans cette voie asservie par la voiture. Notre première proposition instinctive et prématurée tentait de répondre au problème avec une vision restrictive et « routière ». Nous proposions de faire de cette voie une voie à sens unique, réduisant la chaussée au minimum et agrandissant ainsi les trottoirs. Peu convaincus par cette proposition, nous avons repensé le possible aménagement du point de vue du piéton. Ce nouveau prisme d'entrée dans le projet s'est alors accompagné simultanément de recherches sur les considérations de la rue dans les théories de l'architecture ainsi que de recherche de références d'autres projet ayant offert une réponse à ces questionnements. Nous avons alors été influencés par plusieurs théories. Dans un premier temps, la critique de Team X et la réponse au mouvement

65/125


moderne a marqué notre réflexion. En effet en 1924, Le Corbusier se montre très critique face à la rue : « La rue en corridor ne doit plus être tolérée puisqu'elle empoisonne les maisons qui la bordent et qu'elle provoque la construction de cours fermées ». 9 Pour lui, et c'est ce qu'il confirmera dans la charte d'Athènes une dizaine d'années plus tard, il faut séparer les flux de circulation dans une conception de la ville où la circulation est une fonction en soi. Il ajoute alors : « L'appartement de ville peut être construit sans cour et loin des rues, ses fenêtres donnant sur des parcs étendus : lotissements à redents et lotissements fermés »10. Ainsi, sa perception de la ville rompt avec la ville traditionnelle, le statut d'espace privé n'ayant plus sa place dans des grands parcs au statut collectif et public. Ce n'est plus la rue qui est l'espace vecteur de rencontres et de sociabilité. Team X, dès les années 1950, commence alors à se détacher de ces principes, défendant de nouveau la rue comme un espace collectif, « affectivement partagé », permettant « la vie sociale vitale pour la rue ».

11

Les Smithson, couple d'architectes

éminents de ce courant critique, développent alors l'idée selon laquelle la rue devient un espace appropriable par les habitants, un espace de jeu pour les enfants borné des maisons, « un espace collectif allongé »12. Leurs projets renouent avec l'idée d'une référence au village traditionnel dans lequel l'échelle se veut à nouveau humaine, rompant avec les dogmes du mouvement Moderne. Nous imaginons que lorsque Pierre Prunet réalise cette déclinaison du « village de l'Ouest », ces théories sont assimilées et finalement réutilisées par l'architecte. Nous avons alors décidé de réaffirmer cette idée dans notre proposition. De plus, une référence nous a particulièrement marqués, l'intervention de Jan Gehl à Brighton. L'architecte et urbaniste danois préconise en effet un retour à la ville à « échelle humaine », favorisant le 9 Le Corbusier, Urbanisme, Paris, Éditions Flammarion, « Champs Arts », 2011, p. 160 10 Ibid, p. 160 11 Jean Taricat, Suburbia, une utopie libérale, Paris, Éditions de la Villette, 2013, p. 105 12 Ibid, p. 106

66/125


piéton pour amener à recréer des rues partagées, vectrices d'échanges et de sociabilité. Dans cette ville du Sud de l'Angleterre, il propose une voie de coexistence avec un revêtement de sol unifiant avec l'utilisation d'un même matériau, favorisant l'appropriation piétonne de l’entièreté de la largeur de la rue, les autres modes de circulation devant s'adapter à cette nouvelle domination du piéton. L'évolution de notre proposition tend alors à faire de ces rues des lieux appropriables par les habitants, et non plus des espaces où la circulation automobile domine. Pour le travail de l'espace public, nous avons conforté, par notre traitement de sol, la hiérarchisation de la voirie avec l'utilisation de matériaux variés pour différencier la rue de la Coutume structurante des différentes ramifications qui s'y connectent, constituant des accès aux allées, ruelles et hameaux de l'opération. Ainsi, nous proposons d'aménager la rue de la Coutume avec un revêtement de sol continu et unifiant, du type voie de coexistence, afin de libérer le piéton de l'espace du trottoir et de diminuer l'impact de la circulation automobile. Ainsi, le piéton est dans une « rue-trottoir » appropriable où la voiture doit s'adapter. De plus, nous étendons ce traitement de sol au delà des limites de l'opération pour reconnecter cette voie au Chemin des Crieurs à l'Est et à la frange le long de la voie rapide à l'Ouest et qui accueille des restaurants, un hôtel, un gymnase et d'autres commerces. La succession de secteurs est ainsi connectée par un cheminement favorisant la traversée piétonne. Notre proposition d'aménagement de la rue est alors marqué par la prise en compte des contraintes et des éléments existants dès le début de la conception. Il est en effet nécessaire d'organiser dans cette voie des stationnements, ainsi que l'évacuation des eaux de pluie et d'avoir un propos sur les arbres qui marquent sa primauté. Nous avons alors pensé à une certaine délimitation de la voirie, un « seuil trottoir » au contact des bâtiments pour qu'il n'y ait pas de risque que les

67/125


13

13 -Une rue partagée valorisant le piéton, rue de la Coutume - Photographie : Voie de coexistence de Jan Gehl à Brighton, par un revêtement de sol unifiant l'espace (Source : https://gehlpeople.com/cases/new-road-brighton-uk/ )

68/125


voitures puissent y circuler. L'alignement d'arbres au Sud de la rue est ainsi maintenu mais est revu de sorte à constituer une bande végétale dans laquelle s'alternent ces arbres avec les places de stationnement. Cette concentration du bâti végétal permet, grâce aux ombres provoquées par les houppiers, de limiter visuellement la présence de ces voitures dans la rue. Cette bande végétale sert aussi de filtre appuyant les seuils des logements individuels et intermédiaires directement confrontés à cette rue principale passante. Au Nord de la rue, nous avons décidé de délimiter la circulation automobile par une rigole formée par un léger dénivelé marqué par le revêtement pavé. Nous mettons alors en scène le chemin de l'eau de pluie, qui participe à marquer la hiérarchisation de la voirie et les seuils des édifices, en proposant une rigole de part et d'autre de la rue de la Coutume, tandis que les ramifications n'en possèdent qu'une centrale. Ces rigoles peuvent par ailleurs alimenter la bande végétale que nous créons. Nous avons par ailleurs traité les allées des ramifications menant aux hameaux et ruelles avec cette même volonté d'offrir des espaces appropriables et favorisant la déambulation piétonne, tout en assurant la lisibilité de la hiérarchisation des voies. Pierre Prunet propose en effet dans les deux allées menant au grand parc boisé du Nord de l'opération un traitement particulier, avec l'utilisation de pavés autobloquants. Ce matériau était en effet préconisé par l’Établissement Public de Lille-Est à la fin des années 1960 pour affirmer les chemins piétons dans le quartier et offrir ainsi une cohérence dans le traitement de sol des différentes opérations. Nous avons alors décidé de maintenir ces pavés, aujourd’hui encore en bon état dans ces ruelles. Lorsque nous avions visité l'opération, un habitant s'était plaint de l'absence d'évacuation des eaux en s'exprimant ainsi : « Ici, quand il pleut, c'est Venise »14. Forts de ce témoignage reflet d'un vécu, qui est précieux pour avoir des informations que nous n'aurions peut être pas eu 14 Rencontre avec les habitants de l'opération, le 8 Mars 2019

69/125


lors d'une simple visite de site, nous avons proposé d'adapter notre intervention. Nous ajoutons alors une rigole centrale dans la rue pour de nouveau mettre en lumière le chemin de l'eau tout en assurant un traitement unifiant de la voie, avec l'utilisation d'un même matériau de façade à façade, en maintenant cette idée d'une voie de coexistence favorisant la déambulation piétonne. Nous proposons alors d'étendre ce principe dans les autres impasses des hameaux et ruelles des allées, initialement traités avec une délimitation classique de la chaussée bordée de trottoirs avec un revêtement bitume. Nous nous sommes alors questionnés sur les qualités de ces ruelles et impasses, qui présentent des placettes correspondant à l'élargissement des voies pour offrir une aire de retournement pour les véhicules. Une image nous a marqués, dans le livre Suburia de Jean Taricat. Ce dernier illustre son commentaire sur les zones périurbaines aux États-Unis en reprenant une photographie de Bill Owens, représentant une de ces placettes-impasses envahie par les habitants afin d'organiser un grand pique-nique entre voisins15. Cette image nous a alors donné l'idée de marquer ces placettes, d'en faire des espaces particuliers de ces impasses. L'idée est alors de proposer un calepinage distinct pour délimiter sa présence et amorcer une possibilité d'appropriation de ces espaces publics partagés par les habitants. Ainsi, ce travail de l’espace public, au travers notamment de ces revêtements de sol, redonne une identité à l'opération, s'appuie sur la mémoire du lieu et permet de lutter contre sa banalisation. Par ailleurs, il affirme les grands principes développées par Pierre Prunet, notamment avec la hiérarchisation des voies, et la possibilité d'appropriation des rues, ruelles et impasses ou encore voies piétonnes par les habitants. Finalement, il inscrit le projet dans son contexte en assumant des continuités dans les parcours et cheminements.

15 Jean Taricat, Suburbia, une utopie libérale, Paris, Éditions de la Villette, 2013, p. 7

70/125


.De la rotule à la place du village

L'analyse de l'opération a permis de comprendre les intentions dans l'aménagement de l'espace public voulu par Pierre Prunet. Un point majeur est situé au cœur de l’opération, au centre de la rue de la Coutume, au croisement de la ruelle menant à la « discontinuité » boisée au Nord de l'opération (rue de la Cueillette), et de la seule rue dont le tracé provient des vestiges du passé agricole du site (rue de la Clé). Cet espace public structurant est ainsi nommé « rotule » par Pierre Prunet. La consultation des archives nous a permis de voir que ce point avait été traité avec attention par l'architecte, ce dernier ayant proposé plusieurs versions lors de son dessin 16. Des esquisses révèlent l'hésitation qu'a eu Pierre Prunet pour aménager cette place. En effet, elle est divisée en deux parties par la rue de la Coutume, mais doit aussi desservir une entrée de parking située dans le cœur d’îlot et la rue de la Cueillette au Nord, ainsi que le rue de la Clé au Sud. Cette rotule est donc dessinée comme un carrefour et l'architecte peine à aménager des espaces publics sur les trottoirs élargis en ce point de l'opération. Les esquisses présentes dans les archives annoncent la présence de nombreux arbres. L'idée était alors de garder les arbres existants du site et de maintenir, comme le voulait le schéma directeur du quartier, les espaces boisés. De plus, Pierre Prunet avait, dans une première version de cette rotule, aménagé de petits « kiosques-squares » fermés par des bancs dans les angles de cette rotule, affirmant cet espace comme propice à la rencontre entre les habitants. Or le modèle innovation de 1974 avait concentré, comme dans les réalisations de Poitiers et Angers, ces espaces de partage en cœur d’îlot. Finalement, il semblerait que la réalisation définitive ait été plus modeste, avec une présence d'arbres plus éparse et moins dense ainsi que l'absence de « square-kiosque ». 16 Archives municipales de Villeneuve d'Ascq, boîte n° 340W14

71/125


17

17 Maquette de la place centrale du « village », un épanouissement de la voie structurante

72/125


De plus, l'évolution de l'opération, notamment suite à la demande des habitants, a tendu à banaliser un peu plus cette « rotule ». Ainsi, au Nord de l'opération, des modifications ont entraîné le retrait du revêtement de sol en pavé de terre cuite original, qui avait été préconisé dans le schéma directeur du quartier pour marquer les points importants de l'opération. Ce revêtement a cédé la place à un trottoir en pavé de terre cuite, ceinturant une simple placette au revêtement bitumineux qui dessert alors des places de stationnement faisant paradoxalement face à l'entrée du parking P2 (le plus grand au Nord Est de l'opération) aujourd’hui fermé et presque inutilisé. C'est donc une perte de la mémoire du lieu, ainsi qu'une logique d'aménagement liée à l'automobile remplaçant un revêtement de sol unifiant et enfin une banalisation de l'opération qui est à déplorer. C'est forts de ces observations que nous avons fait une proposition d'aménagement de cette rotule. Au départ, nous avions traité la place comme un épanouissement de la rue de la Clé, seul vestige des tracés agricoles que nous avions décidé de rendre exclusivement piétonne. La chaussée de la rue de la Coutume s'interrompait alors subitement sur la place, créant une rupture dans l'aménagement de l'espace public. Cette rue de la Clé était reliée à un cheminement piéton, qui s'est révélé être anecdotique à l'échelle du contexte car il n'aboutissait qu'à une placette de l'opération voisine, et la volonté de ne plus penser l’aménagement de l'espace public par restriction des circulations automobiles, nous avons décidé de revoir cette idée. Le projet s'affine et propose parfois des retours en arrière lorsque l'analyse approfondie du site et son contexte révèle des propositions prématurées et instinctives finalement insignifiantes. Finalement, notre proposition tend vers le traitement de cette « rotule » comme un épanouissement de la rue de la Coutume, voie structurante de l'opération qui assure une continuité avec le chemin des

73/125


Crieurs. L'objectif est ainsi de proposer une place centrale, un pôle majeur, la « place du village », pour ponctuer cette rue de la Coutume et la rue des Crieurs qui se trouve dans sa continuité. Ainsi, nous désenclavons l'opération en attirant des personnes de l'ensemble du quartier qui pourraient y retrouver des activités complémentaires à celles déjà présentes dans les abords du site. Cette idée est inscrite dans le

prolongement

des

préconisations

de

l’Établissement

Public

d'Aménagement de Lille-Est qui, à la fin des années 1960, insistait pour que la Cousinerie, second pôle de la ville, puisse intégrer des activités sur l'espace public, assurant ainsi leur fréquentation, et proposer une variété fonctionnelle aux opérations de logements. De plus, ces préconisations semblent toujours d'actualité. Jacques Lucan se demande en effet sous quels principes se développent les villes aujourd'hui. Il affirme que l'objectif actuel est d'offrir une certaine recherche de la « mixité programmatique », dans une « ville diversifiée » rompant avec la dimension monofonctionnelle développée par le mouvement moderne.18 Nous avons alors travaillé pour que les rez-de chaussée de certains bâtis soient aménagés en local d'activité, en nous appuyant sur leur adaptabilité comme nous l’expliquerons dans l'une des parties suivantes. Nous pensons alors proposer un traitement de sol unifiant pour valoriser cette idée d’épanouissement de la voie structurante. L'idée d'utiliser le pavé de terre cuite déjà partiellement appliqué sur la place pourrait ainsi rappeler la mémoire du lieu, mais aussi permettre de jouer avec le calepinage de cet élément modulaire afin de délimiter des changements d'usage et de statut de l'espace public. Nous pensons qu'un calepinage de pavés rectangulaires disposés parallèlement pourrait orienter la perspective et l'idée du déplacement dans la rue de la Coutume, tandis qu'un calepinage d'un même matériau formant des 18 Jacques Lucan, Où va la ville aujourd’hui ? Formes urbaines et mixité, Paris, Éditions de la Villette, 2012

74/125


carrés pourrait être appliqué à la place dans une logique plus « statique ». De plus, des changements d'orientation de ce calepinage pourrait marquer les parvis des logements et activités présentes sur la place. Ainsi, l'utilisation d'un même matériau pourrait unifié la perception de cette place bien que La variété du calepinage pourrait intervenir alors en seconde lecture pour délimiter certains espaces de cette même place. Ces réflexions sur le calepinage ont été notamment motivées par les visites des interventions sur les monuments historiques de Pierre Prunet. Ce dernier a en effet un parcours atypique. Bien qu'il ait travaillé sur des programmes marquants de son temps, comme sur le logement, mais aussi des équipements publics, Pierre Prunet était, en parallèle, architecte des monuments historiques, et ce dans plusieurs régions de France tout au long de sa vie.19 Nous avons alors visité deux interventions de l'architecte qui ont été marquantes dans le développement de ce projet, avec le musée David d'Angers et l'abbaye de Fontevraud. A Angers, Pierre Prunet décide d'installer le musée du célèbre sculpteur dans un église en ruine. Son travail sur le calepinage des sols est d'une grande finesse. Utilisant un revêtement de sol en ardoise aux joints clairs, il propose par un travail fin de calepinage une scénographie d'une grande élégance. Cela permet ainsi de mettre en valeur les sculptures dont il a lui même dessiné les socles en béton, d'inspiration « scarpienne », mais aussi de maintenir la lisibilité des espaces constitutifs de l'ancienne église. On retrouve cette logique dans l'église abbatiale de Fontevraud. Cette fois, un revêtement en pierre calcaire très claire unifie la perception du sol dans l'intégralité de l'église. L'architecte joue néanmoins avec des joints creux et le calepinage pour délimiter certains espaces. Des joints majeurs accentuent la perspective filante longitudinale de l'église, tandis que des joints mineurs marquent 19 Conférence de Dominique Amouroux : Pierre Prunet, héritage et création, monuments, équipements, logements, le 14 Février 2019 à l'ENSAPL

75/125


20

20 Le traitement de sol de l'ĂŠglise abbatiale de Fontevraud par Pierre Prunet, Une rĂŠfĂŠrence savante (croquis personnels)

76/125


transversalement, dans une seconde lecture, les rythmes des colonnes. Le calepinage de la croisée du transept ajoute alors une orientation en diagonale, marquant ainsi finement cet espace de l'église. Le travail de l'architecte nous a donc servi aussi de référence pour développer ce projet. Pour dessiner la place, nous avons décidé de nous appuyer sur la trame ayant permis à l'architecte de concevoir son projet. D'une certaine manière, nous détournons la dimensions proliférante et évolutive d'éventuelles extensions du bâti provenant de l'utilisation de la trame pour l'appliquer à l'aménagement du « vide », de l'espace public. Nous reprenons alors un ou l'assemblage de plusieurs modules issues de cette trame afin de placer des arbres majeurs qui, associés aux tracés de rigoles pour assurer le chemin de l'eau, détermine les parvis des logements et des activités qui se tournent vers cette place ou les accès aux cœurs d’îlots. Le calepinage et les dimensions du matériau de revêtement de sol varient pour donner à lire ces nouveaux seuils sur la place. La dimension évolutive et proliférante développée par la trame est alors réappropriée pour aménager l'espace public. Finalement, cette place centrale du village, accueillant désormais de l'activité, constitue la première étape, depuis l'espace public, du maillage des vides dont elle fait partie avec les accès placette des ramifications ainsi que celles au statut collectif des cœurs d’îlot desservant les équipements publics dont nous parlerons dans la prochaine partie. Ce sont donc les opportunités liées à la forme urbaine que nous exploitons. Ce projet participe donc, par ces équipements et activités, mais aussi par l'affirmation de sa connexion avec le centre d'activité du quartier, à revitaliser cette opération. Il passe alors d'une dimension résidentielle à un « village urbain » dont les connexions au contexte par le travail de l’espace public, affirmera ces nouvelles pratiques contemporaines de la ville, tout en pérennisant les qualités

77/125


21

21 Un travail de calepinage sur la place centrale pour dĂŠlimiter les parvis, en s'appuyant sur le tracĂŠs de la trame

78/125


liées à la gradations et l'équilibre des statuts des espaces du public au collectif et privé hérités de ces références aux villages traditionnels.

3.3.3 Réinvestir les cœurs d’îlot

.Réactiver les parkings vacants

Ce projet cherche à réinvestir les cœurs d’îlots, notamment par le biais des parkings vacants. En effet, l'évolution de l'opération avait abouti à un certain problème de stationnements « sauvages » envahissant l'espace public et piéton. Il était donc paradoxal de comprendre que Pierre Prunet avait anticipé ces problématiques liées à la place de l'automobile dans l'opération, en installant des parkings en cœur d’îlot et que ces derniers soient presque abandonnés. Nos échanges avec les habitants ont marqué une fois de plus nos réflexions. Les plus ancien résident que nous avons interrogé, installé en 1982 soit un an après la fin du chantier, avait révélé que ces parkings ouverts, collectifs, étaient devenus des squats pour des personnes malintentionnées dès les années 1990. Profitant de cet espace très isolé de la rue, ils auraient même développé un trafic de stupéfiants. C'est donc pour cela que le bailleur de l'opération avait fermé ces parkings, néanmoins toujours accessibles, les transformant en des lieux clos et privés. Conscients du besoin de stationnement dans l'opération, nous avons questionné les possibilités de réinvestissement de ces parkings pour à la fois proposer du stationnement, mais aussi éviter que les lieux soient squattés et dangereux. Nous avons alors développer cette idée que ces parkings ne devaient plus l'être exclusivement, sortir de cette fonction unique qui avait causé

79/125


leur perte par ces problèmes de squatte. Nous avons été convaincus par le fait que ces lieux devaient être traversés, utilisés et finalement appropriés par les habitants. Le réinvestissement de ces cœurs d’îlot devait aussi être l'occasion de proposer des lieux de rencontre, et nous avons eu l'idée d'en faire, dans le cas des parkings existants, des équipements publics à part entière, capable d'amener à réunir les habitants, en proposant une mixité d'usage nécessaire à son bon fonctionnement et à sa pérennité. Les équipements publics sont en effet vecteurs de sociabilité. Lors de nos rencontres avec les habitants, une mère de famille nous avait révélé que l'école qui se trouve au bout de sa rue (rue de la Cueillette) lui avait permis de rencontrer d'autres parents habitant cette même rue, et qui étaient devenus des amis avec le temps. Elle avait alors insisté sur le fait qu'elle ne connaissait pas vraiment les habitants de l'autre côté de la rue de la Coutume, qui bénéficient eux d'un autre équipement scolaire pour leurs enfants. Ce témoignage a conforté notre idée de développé un espace capable de réunir et d'amorcer les rencontres et échanges entre les habitants. C'est finalement la réalisation de l'«unité de voisinage », développée par Clarence Perry en 1910 qui a influencé l'aménagement de ce quartier de la Cousinerie.

.Redonner accès aux cœurs d’îlot

Lors du développement du projet, des interrogations sur l'aménagement en cœur d’îlot se posaient. Comment intégrer ces équipements publics dans des cœurs d’îlots côtoyant les jardins privés ? Comment donner accès à ces nouveaux équipements depuis l'espace public, depuis la rue ? Les premières idées ont donc été développées par l'intention de créer de nouveaux accès, depuis la rue, vers ces parkings en cœur d’îlot.

80/125


Nos premières interventions se sont développées sur le plus petit parking existant (P1), au centre de l'opération, au Sud de la rue de la Coutume. Il était alors déjà connecté au Nord à la rue structurante de la Coutume, avec des rampes d'accès pour les voitures en passant le porche du front bâti, et au Sud, inscrit dans un cheminement piéton qui traverse l'opération d'Est en Ouest et connecte différentes « discontinuitéspartagées» conçues par Pierre Prunet. Ces accès ne suffisaient pas, n'offrant pas de réel accès piéton depuis les voies principales de l'opération. Nous avons donc décidé, pour faire face à ce problème et en s'appuyant sur les esquisses de Pierre Prunet retrouvées dans les archives, de reconnecter ce cœur d’îlot à la place centrale du « village » que nous avons réinvestie. Pour ce faire, nous avons décidé de déconstruire un logement individuel. En effet, le front bâti rue de la Clé est constitué de logements individuels mitoyens disposées en quinconce. L'étude, notamment structurelle de ces logements fabriqués par un assemblage d'éléments formant des volumes indépendants les uns des autres, nous a permis de proposer le démontage d'une d'entre elles. Ce démontage n'aurait donc pas d'influence sur la viabilité et la pérennité des autres, mitoyennes, ce qui nous a permis de créer cette percée piétonne à travers le front bâti. Deux références ont particulièrement marqué notre intervention. Dans un premier temps, c'est l'analyse de Jacques Lucan sur l'évolution de la perception de l’îlot dans la conception urbaine contemporaine qui a fait évoluer notre réflexion. Prenant l’exemple de l’îlot ouvert de Christian de Portzamparc, il exprime une l'idée selon laquelle la conception actuelle de la ville tend à reconnaître l’îlot comme « entité urbaine ».1 L'Age I est alors marqué par la conception traditionnelle d'un îlot fermé, la structure viaire étant bordée par un bâti mitoyen. 1 Jacques Lucan, Où va la ville aujourd’hui ? Formes urbaines et mixité, Paris, Éditions de la Villette, 2012

81/125


2

2 Une percĂŠe inspirante, le remodelage du quai de Rohan Ă Lorient (Croquis personnels)

82/125


L'urbanisme moderne aurait alors rejeté cette organisation en îlot, jugée «[...] inadéquate au développement inéluctable de la ville[...] »3. Cet Age II privilégiant ainsi le plan ouvert qui s'émancipe du parcellaire et de la rue. Aujourd'hui, nous serions alors dans un Age III, sorte de mélange entre les deux premiers, par le développement de l’îlot ouvert 4. Ces réflexions de Christian de Portzamparc datent de 1995. Pierre Prunet, vingt ans plus tôt, avait déjà proposé cette perméabilité de l’îlot que nous décidons de réactiver et d'affirmer dans notre proposition. Une autre référence a été importante dans ces réflexions, le projet des architectes Roland Castro et Sophie Denissof sur les quais de Rohan à Lorient. Les architectes ont alors procédé à un remodelage des trois barres qui coupaient l'accès à la mer. Ils ont ainsi découpé littéralement dans les édifices pour les « re-proportionner » tout en perçant un passage direct vers la mer, reconnectant l'opération à son contexte 5. C'est donc en intervenant sur le bâti, de manière forte, lourde, que ces architectes ont pu apporter un nouveau cheminement aux piétons. A Villeneuve d'Ascq, notre projet permet de faire évoluer la forme urbaine avec une intervention plus fine et ponctuelle, permise par la dimension évolutive liée au système constructif de ces logements individuels et à la possibilité de démontage offerte par Pierre Prunet.

. Un équipement flexible

Ces questionnements sur l'intégration d'un équipement en cœur d’îlot s'est accompagné d'une critique programmatique. Dès les premières semaines, de manière intuitive et directe, nous avions décidé 3 Ibid 4 Ibid 5 DAVOINE Gilles, « équerre d'argent 1996/mention-Roland Castro et Sophie Denissof-Restructuration du quai de Rohan à Lorient, article du 6 Novembre 2015 sur le site de la revue AMC, https://www.amc-archi.com/photos/equerre-d-argent1996-mention-roland-castro-et-sophie-denissof-restructuration-du-quai-de-rohan-alorient,2868/apres-restructuration-restr.1

83/125


6

6 Du croquis d'intention à la maquette d'étude, Une percée piétonne reconnectant le cœur d’îlot à l'espace public

84/125


de faire de cet équipement un marché couvert. Ce programme confortait en effet l'idée de village, du marché de fin de semaine où les habitants mais aussi les autres riverains peuvent se réunir. Nous pensions alors à un programme fixe, à un marché permanent vendant des produits issus de la production locale. Cette idée s'est confrontée aux notions d'évolutivité, de mixité d'usage, mais aussi de ville durable. Ainsi, en revenant sur le développement des villes nouvelles dans les années 1970 en France, nous avons étudié le cas du Vaudreil (aujourd'hui Val-de-Reuil), située entre Paris et le Havre. Cette dernière se développe autour d'un concept majeur, la ville évolutive. En effet, les architectes de l'époque pensaient qu'il ne fallait pas cloisonner cette ville et son architecture à des programmes et au contraire aménager des bâtis flexibles, des volumes capables, en se confrontant à l'appropriation des habitants et au temps, d'offrir une réversibilité à l'échelle architecturale. Le centre ville est ainsi capable, par la non hiérarchisation des volumes et des voies qui la desservent, d'accueillir les changements liés aux rythmes des villes contemporaines.7 Cette référence a alors fait évoluer notre perception de l'équipement public. Ce dernier a donc tendu vers un programme plus libre, et des usages mixtes. Une dalle haute est ajoutée au parking, avec lequel elle communique et qui permet, en la considérant comme une halle libre, d'être utilisée et appropriée par les habitants. Nous pouvons dès lors imaginer que cette halle, liée à la mairie de quartier de la Cousinerie, puisse recevoir non seulement un marché le week-end, mais aussi des fêtes, liées à la ville, aux initiatives propres des habitants, des brocantes, ou encore des réunions d'associations. L'idée d'un équipement flexible s'est alors intensifié par l'évolution du projet qui a conduit à reconsidérer la relation entre les dalles du parking et le plancher de la halle. Ainsi la dalle haute du parking 7 Jean Taricat, Suburbia, une utopie libérale, Paris, Éditions de la Villette, 2013, p. 69

85/125


8

8 Du marché prisonnier de son contexte à l'équipement public qui s'y épanouit

86/125


semi-enterré ne devenait plus uniquement un plancher pour le stationnement, mais aussi la dalle de la halle. Cela fait alors intervenir une dimension nouvelle, celle de la flexibilité de l'aménagement, et de la temporalité de ses usages. En semaine, ce stationnement serait alors, dans la journée, réservé aux personnels travaillant dans les locaux commerciaux de la place centrale. Le soir, les habitants rentrant du travail pourraient alors prendre leur place. Le week-end, ou certains jours spécifiques, la place pourrait alors être réservée à des événements pour les habitants, fermant cette place au stationnement des véhicules.

.Un parvis nécessaire

Nous cherchions alors à innerver, depuis ces parkings, les jardins des maisons qui constituaient le pourtour de l’îlot. Les premières tentatives étaient peu convaincantes. Un chemin périphérique au volume du petit parking Sud existant (P1) créait une venelle d'accès à ces jardins privés étriqués et étroits. L'équipement public était donc encerclé et emprisonné au milieu de ces espaces privés, apportant par la même occasion des problèmes de proximité et d'intimité avec les habitants. Nous avons alors questionné ce programme de halle. Historiquement, c'est une toiture, une couverture qui est disposée sur une place pour accueillir notamment un marché. Son emplacement est donc lié à un vide urbain, une place, un épanouissement qui justifie sa présence. Or, notre nouvel équipement ne possédait pas d'espace extérieur majeur. Nous voulions, à tort, assurer le développement de ce programme en ne travaillant qu'à l'échelle du bâti, à l'échelle architecturale. L'évolution de notre proposition a permis d'offrir un parvis, un vide, capable d'orienter l'équipement, d’offrir un seuil pour son accès, et une transition avec les jardins voisins.

87/125


Les esquisses de Pierre Prunet retrouvées dans les archives présentaient des premières idées où les jardins avaient des dimensions réduites pour proposer des cheminements piétons en cœur d’îlot. Nous avons ainsi décidé de redimensionner les jardins des parcelles des logements individuels de cet îlot donnant sur la rue de la Clé. En effet, ces jardins avaient profité du déclin de ce parking pour réinvestir les espaces collectifs en les privatisant. La particularité de ces jardins tenait aussi par la géométrie de l’îlot qui conférait à cette rangée de maisons des jardins de plus en plus profonds. Nous appuyant sur la trame génératrice utilisée par Pierre Prunet, nous avons redimensionné les jardins afin de dégager une place pour ce nouvel équipement, traitée comme un épanouissement de la nouvelle percée piétonne que nous avions raccordée à la place centrale de l'opération. Finalement, nous avons redonné des espaces collectifs aux habitants, capables de favoriser les échanges entre eux, tout en revenant aux idées initiales de l'architecte de cœurs d’îlots partagés. Enfin, l'équipement retrouve une certaine légitimité dans son insertion en cœur d’îlot grâce à l'ajout de cette place. La trame qui était un outil de conception pour Pierre Prunet pour proposer ce village système évolutif notamment par sa caractéristique proliférante, constitue alors un tracé régulateur pour revoir la répartition des espaces. Par ailleurs, nous nous sommes interrogés sur le traitement de sol de ces cœurs d'ilot « réouverts ». Pour les nouvelles allées menant aux cœurs d’îlot, ainsi que les placettes qui les bordent, nous avons choisi d'utiliser un troisième matériau dans une gamme chromatique distincte pour assurer la lisibilité de la hiérarchisation des voies ainsi qu'affirmant son statut collectif. Nous nous sommes posé la question de sa matérialité. Nous avons alors interrogé ce matériau. Nous pensons utiliser

du

grès

gris.

Ce

matériau

régional

faciliterait

son

approvisionnement, diminuerait son coût de revient et affirmerait par sa

88/125


teinte une certaine continuité chromatique avec les soubassements des équipements en béton qu'il dessert. Cette teinte froide serait par ailleurs un moyen d'affirmer la particularité de son statut collectif en cœur d’îlot et le différencierait des autres voies publiques.

.Une extension aérienne

Les premières interventions à l'échelle architecturale du bâti tentait d'ajouter, sur les deux niveaux de parkings existants réhabilités, un volume aux murs périphériques aveugles, alimenté par une lumière naturelle zénithale en toiture afin de ne pas s'ouvrir sur les jardins voisins. Cette proposition reflétait la contrainte des espaces mitoyens privés de l’équipement, ajoutant par ailleurs un mur opaque en fond de parcelle pour les habitants. La proposition s'est alors affinée peu à peu, en travaillant simultanément la forme urbaine, avec les séquences d'entrées en cœurs d’îlot, notamment par l'ajout d'une placette, simultanément à l'échelle du bâti pour proposer une architecture adaptée à ce renouveau morphologique. Ces idées nous ont amenés à revoir l'architecture. Nous avons souhaité dans un premier temps aérer naturellement ce parking et offrir une lumière naturelle, pour le rendre plus agréable, vivable pour les habitants, mais aussi sans possibilité d'espace isolé propice au squat. En effet, l'étage bas, semi-enterré, qui soutient la dalle haute, était totalement plongé dans l’obscurité. En nous appuyant sur les murs de refends porteurs du parking, nous avons décidé de percer les murs périphériques opaques et de déblayer les buttes des jardins qui s'y appuyaient. En jouant avec la topographie, nous avons orienté le parking, l'étage bas se tournant vers une venelle qui dessert les jardins, offrant au niveau inférieur un statut privé, tandis que l'étage haut est à considérer dans la

89/125


9

9 L'équipement public structurant le cœur d’îlot et ouvert sur la placette (Coupe perspective à la main)

90/125


91/125


10

10 Évolution de la conception de l'Êquipement public : un projet de toit ? (Production personnelle)

92/125


continuité de la placette, comme un espace collectif. L'équipement est ainsi orienté et inséré dans son contexte. L'ajout de la halle pose alors la question de la lisibilité de l'intervention et de son expression architecturale. Initialement partis sur une architecture très opaque, nous avons finalement opté pour des poteaux porteurs ponctuels, faisant de cette extension un ajout léger. Le musée Naoshima de Kagawa au Japon, conçu par l'architecte Tadao Ando, a été une référence appréciée et inspirante pour développer cette phase. L’architecte nippon décide d'ajouter un soubassement en bloc de béton brut, couvert par une toiture en bois légère des maisons traditionnelles préexistantes. Il crée alors un décalage entre les éléments anciens et nouveaux pour faire entrer la lumière dans son édifice. Le contraste des matériaux, mais aussi l'espace de respect laissé entre ces derniers permet ainsi de donner une lisibilité fine de l'intervention sur l'ancien. Nous avons alors opté pour le matériau bois afin d'assumer ce travail d'extension. Plusieurs raisons nous ont motivés. Premièrement, nous voulons signifier une différence de matériaux afin d'offrir une lisibilité de l'intervention. Ensuite, nous voulions opposer l'existant en béton lourd en soubassement, tellurique, à l'intervention d'une fine toiture en bois plus aérienne, dans une logique similaire à celle du musée de Tadao Ando. Le matériau bois correspond aussi aux contraintes techniques. En effet, l'extension propose de s'appuyer sur un existant dont les fondations ne doivent pas être surdimensionnées. Ce matériau bois offrait par ailleurs d'autres avantages, comme sa possibilité de préfabriquer les éléments, ainsi que d'employer une filière sèche afin de diminuer le temps nécessaire à sa construction. Cette idée est importante car notre intervention est effective dans une opération résidentielle, la phase de chantier étant réduite pour amortir la gêne

93/125


occasionnée aux habitants. Cela permet par ailleurs de proposer une intervention réversible, démontable, dans le cas où l'évolution de cette opération pousserait à modifier ou faire évoluer les interventions. Il faut ajouter que ce matériau est à la fois recyclable et constitue une ressource renouvelable, argument supplémentaire pour intervenir de manière responsable et de nous inscrire dans une dimension de ville durable. Ainsi, notre proposition offre une extension du parking pour affirmer le développement d'un équipement public à part entière.

.Des équipements complémentaires

De la même manière qu'avec le premier parking réinvesti, nous avons travaillé sur le deuxième grand parking existant, au Nord-Est de l'opération, que Prunet nommait P2. Nous avons tenté de rééditer les grandes intentions appliquées à l'autre parking, en ajustant notre proposition au site. Bénéficiant d'une faille entre deux logements intermédiaires, nous avons décidé de ne détruire qu'un module construit sur les pignons des logements intermédiaires pour redonner accès à ce cœur d’îlot depuis la place centrale de l'opération. Lisa, qui fait partie de mon groupe, décide de surmonter le parking d'une bibliothèque de quartier. De ce fait, un second équipement permet de maintenir cette idée d'apporter à l'opération des équipements bénéfiques localement, à la vie dans le quartier. Ce parking donne ainsi sur la grande « discontinuité » boisée au Nord de l'opération et l'objectif reste de faire de ce parking-bibliothèque un espace traversant ,un lieu de passage et de rencontre pour les habitants. Les deux nouveaux équipements, qui complètent la réhabilitation des parkings existants, se font ainsi écho autour de cette place centrale

94/125


de l'opération, favorisant la gradation et la richesse des seuils, entre place publique majeure, et sur les placettes des équipements collectifs mineurs. Lorenzo, troisième membre de notre groupe, développera la création d'un nouveau « parking-parc ». Initialement, nous avions pensé ce nouveau parking souterrain autour d'une placette détruisant les logements pour en construire d'autres, plus denses. Néanmoins, cette proposition n'était pas convaincante. L'idée de détruire des logements pour les remplacer par des nouveaux n'avait pas de sens dans un contexte où, on le verra par la suite, des possibilités d'extension des logements existants sont possibles. Ainsi, ce parking partiellement enterré est couplé à un parc qui le surplombe. Il sera alors traité comme une nouvelle « discontinuité », un nouveau « green » qu'a proposé Pierre Prunet pour affirmer une transition avec les opérations voisines. En effet, une opération de logement récente était venue se nicher dans une de ces discontinuités, rompant avec l'idée d'espace vert partagé de transition entre l'opération de Prunet et les opérations voisines. Notre intervention rétablit alors cette logique et propose un nouveau parc appropriable par les habitants. Ainsi, ce « parking-parc » complétera les « deux parkingséquipements » préexistants réinvestis ainsi que le parking souterrain des logements collectifs pour répartir et concentrer des pôles de stationnement dans l'opération, limitant l'impact du stationnement sauvage dans les rues, et réaffirmant la rue comme espace appropriable pour les habitants et favorisant les circulations piétonnes et « douces ». Ces nouveaux équipements et parcs partagés incarneront finalement cette idée de développer une vie collective à l'échelle locale, à l'image des « unités de voisinage» de Clarence Perry conçues en 1910.

95/125


.Un cœur d’îlot partagé Notre projet de réinvestissement des cœurs d’îlot ne s'est pas arrêté à l'aménagement de parkings. Nous avons par ailleurs apporté une solution à un îlot particulier de l'opération. Ce dernier réunit les petits collectifs Sud Est de l'opération avec des logements individuels. Notre intervention s'est basée sur une double observation. Dans les esquisses de Pierre Prunet, le cœur de cet îlot est traité avec des cheminements piétons traversants aboutissant à une placette centrale partagée. Or l'état actuel de l'opération est marquée par des grilles qui barrent l'accès au cœur d’îlot au Nord, entre les jardins des logements individuels, coupant complètement les liens possibles avec les logements collectifs qui ne proposent aucun accès à ce cœur d’îlot. Pierre Prunet avait pensé cet îlot isolé à part de son opération, jouant préférablement avec les gabarits et les hauteurs de l'opération voisine pour justifier l'emploi de ce bâti. Il en résulte que ces logements collectifs semblent en dehors de l'opération, notamment par le fait qu'ils sont installés sur une dalle haute sous laquelle est située le parking. De ce fait, nous avons proposé de recréer une percée piétonne, passant au travers des maisons individuelles au Nord de l’îlot pour s'épanouir jusqu'à cette dalle haute collective desservant les différentes entrées des plots. Nous nous appuyons alors de nouveau sur la capacité évolutive de ces logements, leur « démontabilité », pour offrir cette percée piétonne. Initialement appliquée au cœur d’îlot, cette proposition a permis par la suite de réinterroger le petit équipement au Nord de cet îlot, une maison de la jeunesse, à laquelle nous avons décidé de réintégrer une placette, cette dernière devenant un épanouissement de cette percée piétonne allant des logements collectifs au Sud à la salle de sport limitant l'opération au Nord-Est. Les logements collectifs sont alors réintégrés dans l'opération.

96/125


3.3.4 Requalifier les réseaux alternatifs piétons

. Aménager les « discontinuités »

Nous l'avons vu, Pierre Prunet a aménagé dans ce projet des « common green », des espaces verts partagés à la périphérie de l'opération pour proposer des espaces de parcs-jardins appropriables par les habitants mais aussi pour assurer des espaces de transition, de tampon avec les opérations voisines. Il existe ainsi quatre « discontinuités » dans l'opération. La première au Nord, majeure, est constituée d'une surface importante faisant la transition avec les opérations de Watel et Chemetof. Elle est arborée et accueille un travail de topographie par petites buttes pour rappeler sa dimension de « micro-paysage » ayant pour référence le bois. Trois autres « discontinuités » forment, au Sud de l'opération, un chapelet de parcs. La première à l'Ouest qui est connectée à la voie périphérique de l'opération (rue des cimaises) est aujourd'hui une grande prairie ouverte sans végétation ni aménagement. La deuxième, qui se situe au contact du parking existant (P1), est elle aussi caractérisée par un espace libre de prairie, mais des barrières ferment désormais son accès. Enfin, la troisième « discontinuité » de ce chapelet, celle au plus proche de l'école Camus, est aménagée par des jeux d'enfants. Cloisonnée, elle n'est ouverte qu'une partie de la journée, et certains des jeux aménagées ont été retirés du fait de la plainte des habitants du bruit et des vues que cela offrait dans leur jardin. Pierre

Prunet

proposait

alors

de

faire

de

chacune

de

ces

« discontinuités » des espaces de jeux pour les enfants, comme l'affirment certains documents d'archive. Laissés libres, ces espaces partagés peuvent être considérés comme des espaces évolutifs car adaptables selon les volontés des maîtres d'ouvrage ou des habitants.

97/125


1

1 - Installation de jeux pour les enfants dans chaque cœur d’îlot selon les croquis d'étude de Pierre Prunet (Archives municipales de Villeneuve d'Ascq) - Proposition d'usage propre dans chaque discontinuité reliée

98/125


Nous avons pensé alors à aménager ces « discontinuités » en proposant une idée de séquençage et de succession de « surprises» par des aménagements distincts afin de maintenir l'idée de l'architecte d'un parcours sinueux pittoresque et champêtre tout en valorisant ces espaces par des usages. Au Nord, nous avons décidé de maintenir ce micro-paysage boisé partagé qui offre un parc végétalisé généreux pour les habitants de l'opération, mais aussi pour les autres riverains. Au Sud, nous proposons d'aménager un espace de jeux pour enfants dans la discontinuité à l'Ouest. D'une grande superficie et sans dénivelé, nous pourrions imaginer que les enfants puissent s’approprier cet espace notamment pour les jeux de ballons. L'utilisation des terres de déblais des aménagements des parking existants et un bâti végétal pourrait alors épaissir sa limite avec la rue périphérique, et refermer cette discontinuité sur l'opération. La deuxième discontinuité au Sud de la halle parking serait alors traité comme une placette secondaire de cet équipement comme seuil pour la partie parking semi-enterré. Enfin l'idée serait d'aménager la troisième plus à l'Est comme un jardin potager, bénéficiant d'une orientation adaptée ainsi que d'un bâti protégeant des vents dominants. Ces discontinuités seraient alors aménagées de manière autonome afin de proposer, à l'image des jardins anglais, une succession d'espaces au traitement distinct et à l'usage particulier, pour de nouveau permettre aux habitants de s'approprier cette opération, et favoriser ainsi les échanges et les lieux de sociabilité au sein même du « village ».

. Réintégrer les cheminements alternatifs piétons

Ces discontinuités partagées étaient autrefois inscrites dans un

99/125


2

2 Réintégrer des cheminements alternatifs piétons traversant l'opération

100/125


cheminement alternatif piéton qui traversait l'opération parallèlement à la rue de la Coutume. Les fermetures de la plupart des espaces collectifs et l'appropriation des habitants de ces espaces ont conduit à la perte de cette richesse des parcours. En réaménageant ces discontinuités et en les ouvrant, nous offrons par la même occasion la possibilité de retrouver ces tracés secondaires. Au Nord, le cheminement qui longe les logements et traverse le parc boisé est maintenu. Nous décidons de le prolonger à l'Ouest en réactivant une percée piétonne au travers des hameaux correspondant au lieu de l’infléchissement de la trame génératrice, jusqu'à la rue périphérique de l'opération. Au Sud, nous proposons de créer un cheminement piéton traversant le maillage des discontinuités afin d'offrir une seconde traversée alternative secondaire dans l'opération. L'ensemble de ces cheminements se connectent alors aux autres chemins piétons des opérations voisines pour offrir des continuités avec le contexte.

. Réamorcer les venelles piétonnes en cœur d’îlot

Afin d'assurer le bon fonctionnement des parkings, nous proposons de réactiver ou de créer des venelles piétonnes capables de ré-inerver les jardins depuis ces nouveaux pôles de stationnement. En effet, pour donner une réelle chance à ces stationnements d'être acceptés et utilisés par les habitants, nous devions proposer des possibilités d'accès les plus directes possible aux logements, depuis ces aires de stationnement. Nous reprenons alors l'idée de Pierre Prunet, développée dans son modèle innovation de 1974 mais aussi dans les réalisations du « village

101/125


3

3 Redonner accès aux jardins depuis les cœurs d’îlot par des venelles piétonnes

102/125


de l'Ouest » de Poitiers et Angers. Par ailleurs, les recherches d'archives mettent en lumière une esquisse de l'architecte dans la réalisation de Villeneuve d'Ascq où les jardins sont réduits pour offrir des espaces collectifs innervant ces jardins privés en cœur d’îlot. Lors des premières semaines, nous avions proposé des accès secondaires aux logements de manière systématique. Cela donnait alors dans certains cas des couloirs étroits entre les jardins sur des centaines de mètres, anxiogènes et finalement inappropriables pour les habitants. Nous avons donc revu notre proposition en créant des accès dans deux occasions précises, lorsque le chemin d’accès à l'entrée du jardin depuis le parking était plus court par rapport à l'entrée principale, et/ou lorsque les cheminements piétons réinvestis occasionnaient des possibilités d'accès.

Par la requalification des cheminements alternatifs piétons, nous renforçons cette idée d'un quartier dont l'aménagement favorise les circulations piétonnes et « douces », pour repenser la pratique de la ville à l'échelle locale. Ces cheminements permettent ainsi de connecter l'opération à son contexte, mais aussi de joindre les points importants au sein même de l'opération.

3.3.5 Densifier le bâti existant . Affirmer la hiérarchisation de l'opération Lorsque Pierre Prunet développe la déclinaison de son modèle innovation à Villeneuve d'Ascq, il suit un des principes qu'il avait développé lors de son projet, la hiérarchisation des gabarits bâtis, et l'emplacement des types, en fonction de la voirie elle-même finement hiérarchisée. A Villeneuve d'Ascq, la voie structurante est donc sujette à

103/125


4

4 Renforcer la voie structurante par des densifications en des points majeures de la voie structurante

104/125


accueillir les logements intermédiaires, types totalement innovants pour l'époque, tandis que les logements individuels se trouvent dans les ramifications. Il développe par ailleurs une gradation dans les hauteurs de ces logements intermédiaires afin de marquer la rotule, point central de l'opération. Les logements collectifs, isolés au Sud de l'opération, sont déconnecté du reste de l'opération et à comprendre plutôt avec les gabarits bâtis des opérations voisines plus denses aux abords du chemin des Crieurs. Les premières idées que nous avons eues ont été d'appliquer une densification du bâti en respectant cette idée de gradation dans les hauteurs bâties. Ainsi, nous proposons de densifier les logements à des points stratégiques de l'opération, dans la continuité des intentions de l'architecte, pour pérenniser cette référence au village et les qualités qui en découlent.

. Révéler l'évolutivité du bâti

Notre intention s'appuie sur la dimension évolutive des logements de l'opération. Pierre Prunet a proposé un modèle dans lequel les logements sont basés sur un principe de répétition d'un module dans une trame prédéfinie. Nous décidons donc de nous appuyer sur ces qualités évolutives et proliférantes des logements employant un système constructif en préfabrication ouverte. Initialement,

nous

pensions

densifier

les

logements

intermédiaires uniquement par juxtaposition (ajout d'un volume dans le plan), en ajoutant des pièces dans la profondeur du bâtiment, partant du module ayant servi à composer ces logements. L'objectif était de revoir les problèmes d'éclairage naturel de la cuisine, dont le panneau de façade ne contient qu'une porte, ce qui occasionne une gène pour les habitants. Ces panneaux de façades, dans le modèle innovation, avaient

105/125


5

5 Densifier en des points majeurs, ici sur la place centrale et rue de la Corolle, afin de marquer la primautĂŠ de ces espaces sur la voie structurante

106/125


107/125


6

6 Densifier les logements intermĂŠdiaires rue de la Coutume par juxtaposition

108/125


été dessinés comme des grandes baies identiques à celles des séjours, mais la réalisation du village de l'Ouest de Villeneuve d'Ascq avait conduit, probablement par contrainte économique, à utiliser des panneaux de façade des chambres avec une ouverture bien plus restreinte. Notre intervention servait par ailleurs à agrandir les salles de bains, conçues dans des espaces très limités qui ne conviennent plus aux habitants.7 Par la suite, nous avons évité de répondre de manière systématique dans notre intervention sur le bâti qui se limitait à l’échelle architecturale du logement. Nous avons tenté de répondre à un questionnement plus global faisant intervenir la forme urbaine. C'est donc en comprenant les opportunités de certains points de l'opération que nous avons proposé des densifications. Dans ce sens, nous décidons de densifier les logements existants qui bordent la place centrale de l'opération pour en renforcer la présence par la surélévation des gabarits bâtis. Cela nous permet de réserver le rez-de-chaussée

à

une

activité,

affirmant

ainsi

une

mixité

programmatique afin d'assurer une certaine attractivité de cette place. Dès lors, nous avons proposé de densifier les logements intermédiaires de la place principale par superposition, faisant intervenir un étage supplémentaire et une toiture habitable, pour assurer la lisibilité et la primauté de cette place. Cette densification inclut alors la volonté de faire évoluer les types présents à Villeneuve d'Ascq, passant de logement intermédiaire à collectif, l'accès propre n'étant plus garanti. Les autres logements intermédiaires qui se situent le long de la rue de la Coutume sont uniquement étendus par juxtaposition, n’entraînant pas de modification du type. Sa pérennisation permet ainsi 7 Rencontre avec les habitants de l'opération, au « village de l'Ouest » à Villeneuve d'Ascq dans le quartier de la Cousinerie, le 8 Mars 2019

109/125


8

8 Première tentative d'Êvolution, de l'habitat individuel en intermÊdiaire

110/125


de maintenir le caractère innovant de l'opération au travers de ce type, mais aussi de maintenir un gabarit de bâtiment ajusté à la rue de la Coutume. Certains logements individuels seront eux aussi densifiés, comprenant ceux qui se trouvent sur la place centrale de l'opération, ainsi que ceux aux abords immédiats des parkings réinvestis. Il s'agira alors de faire évoluer le type, en proposant une extension par juxtaposition qui amènera le passage d'un type individuel à intermédiaire. Nous prolongerons alors les questionnements proposés par Pierre Prunet, et d'autres architectes à Villeneuve d'Ascq, sur cet habitat « hybride ». De nombreuses questions se sont alors posées. Comment intervenir sur l'existant ? Comment donner une lisibilité à notre intervention ? Comment donner accès à des entrées nouvelles ? Nos premières réponses proposaient de s'appuyer sur les qualités évolutives et proliférantes des logements en démontant les toitures constituées de simples fermettes pour ajouter un volume identique à celui du rez-de-chaussée sur le toit, et réemployer les toits alors démontés. Nous utilisions alors la qualité modulaire du logement pour transformer une chambre en terrasses et ainsi proposer un espace extérieur, comme l'avait démontré Pierre Prunet dans les déclinaisons possibles des logements dans sa plaquette de son modèle, ainsi que la préfabrication ouverte de leur construction. L'accès se faisait alors sur le toit démonté du garage, seul module sans étage supérieur des maisons, par une succession d’escaliers arrivant jusqu'au deuxième étage. Cette intervention soulevait énormément de questions. Quelle lisibilité de notre intervention proposions-nous ? Fallait-il réutiliser des toits inhabitables ? Était-ce envisageable ? Nous avons alors affiné nos propositions pour proposer une intervention plus convaincante. La première critique que nous avons émise est celle de l'accès. En

111/125


9

9 Densification des logements individuels en intermÊdiaires grâce aux opportunitÊs offertes par la forme urbaine

112/125


réservant le rez-de-chaussée à une activité, un garage ou un petit logement (T2), nous pouvons alors créer un logement aux étages supérieurs avec un seul niveau à monter pour y accéder. De plus, la flexibilité dans l'aménagement du rez-de-chaussée permet d'apporter une dimension évolutive et adaptable à ces logements densifiés. Comme dans le projet du centre ville du Vaudreil, il est possible de faire évoluer le programme au sein de rez-de-chaussée libre d'être aménagé.

. Une densification ciblée

C'est par l'étude de la forme urbaine que nous décidons de densifier et de proposer l'aménagement de rez-de-chaussée en local d'activité ou en logement. Ainsi, nous profitons du surdimensionnement du seuil devant les actuels logements individuels dans l'angle Sud-Ouest de la place centrale, pour proposer des activités en rez-de-chaussée. Initialement, ce seuil devait préserver les arbres préexistants à l'opération, mais il est aujourd'hui approprié par les habitants comme un espace privé. En restituant ces espaces publics à la place centrale, nous offrons alors un grand parvis pour développer les locaux d'activité. Ces derniers pourront ainsi étendre leur activité sur l'espace public. Par ailleurs, les logements se trouvant au contact des équipements sont eux aussi densifiés, en proposant un logement T2 en rez-de-chaussée. Cette disposition serait ainsi un atout pour proposer des logements de plain pied en rez-de-chaussée, notamment pour les personnes âgées ou les personnes à mobilité réduite.

. Une toiture habitable

113/125


10

10 Extension par superposition des logements individuels en logements intermÊdiaires, et accès par des coursives, orientÊes selon le contexte urbain

114/125


Nous avons cherché à développer une toiture habitable afin de rentabiliser les surfaces et l'extension. Par ailleurs, nous décidons de revoir ce mimétisme de l'extension par rapport à l'existant en proposant, par son décalage d'un demi-module, soit 1,75 mètres, de redonner à lire notre intervention et proposer des espaces d'accès et de terrasses dans ces décalages. Deux systèmes de coursives sont alors employés, soit donnant sur la rue, soit sur les jardins, afin d'adapter l'extension à son contexte d'exploitation. Nous avons travaillé avec le matériau bois pour proposer ces interventions. Ce dernier possède plusieurs avantages nécessaires au développement du projet. Matériau léger, il permettra de faire évoluer les types ou d'aménager des nouveaux volumes capables sans impacter les fondations de l'existant (relation résistance-poids quatre fois moindre que l'acier et trois fois moindre que le béton). Par ailleurs, il contrastera avec le béton de l'existant qui constituera alors un épais soubassement sur lequel viendront se poser nos extensions légères en bois. Ce matériau a aussi pour avantage d'être issu de ressources renouvelables, et donc de s’inscrire dans une intervention écologique et durable. L'objectif est de réaliser ces extensions à partir d'éléments préfabriqués pour gérer les coûts, et assurer une phase de chantier plus courte et ainsi diminuer la gêne pour les habitants. Nous révélons et activons la dimension évolutive des logements proposée par Pierre Prunet et qu'il défendait dans la plaquette de son modèle innovation du « village de l'Ouest ». L'adaptabilité de ses logements permet en effet de faire évoluer, non seulement le bâti, mais aussi, par conséquence, la forme urbaine, pour garantir une certaine pérennité de ce « village en ville ».

115/125


116/125


Conclusion - Une évolutivité ravivée

Ce projet s'inscrit dans une démarche intellectuelle visant à analyser finement l'opération du « village de l'Ouest » de Pierre Prunet construite à Villeneuve d'Ascq entre 1976 et 1981 pour proposer une intervention. Ainsi, l'étude du contexte théorique et historique de l'opération a permis de comprendre les intentions et les choix de l’architecte, mais aussi de nourrir nos propres réflexions sur le projet. D'autres apports ont été bénéfiques à ce projet. Des conférences sur le développement de la ville nouvelle de Villeneuve d'Ascq, sur l'étude constructive de l'opération ou encore sur l'architecte concepteur ont permis de mener à bien ces recherches. De plus, l'étude de références, de cas d'étude, se sont révélées indispensables pour faire évoluer le projet, notamment par la visite de projets de l'architecte concepteur, et particulièrement de deux autres déclinaisons de ce modèle innovation du « village de l'Ouest », à Poitiers et à Angers. En outre, la consultation d'archives relatives à l'opération a permis de comprendre les motivations de Pierre Prunet. Par ailleurs, des échanges et entretiens avec les habitants ont eu lieu pour percevoir l'opération au travers de leur vécu. L'un des grands objectifs de ce projet a été d’analyser l'évolution de l'opération, depuis sa conception correspondant au développement de ce modèle innovation, en passant par l'analyse d'esquisses et des permis de construire jusqu'à sa réalisation à Villeneuve d'Ascq et enfin son évolution « récente » par les observations liées à son état actuel. Ce rapport propose de questionner la dimension évolutive de l'opération, dans les différentes temporalités du projet, depuis sa conception jusqu'à notre proposition d'intervention.

117/125


Les deux premières parties de ce rapport proposent une analyse de l'opération et des théories qui ont influencé Pierre Prunet. L'échelle urbaine est appréhendée dans un premier temps. Nous retrouvons ainsi dans le modèle des cités-jardins un certain nombre de concepts qui ont inspiré l'architecte. Le réseau alternatif piéton, les « discontinuités » comme micro-paysages partagés ou encore les rues sinueuses favorisant la dimension pittoresque sont autant de concepts que l'on retrouve dans l'opération. Pierre Prunet s'inscrit alors dans les réflexions de son époque avec son modèle du « village de l'Ouest », notamment dans ces courants critiques du fonctionnalisme moderne qui renouent peu à peu avec les qualités de la ville traditionnelle. Dès les années 1950, le courant Townscape privilégie la ville dense et séquencée d'une grande richesse perceptive. L’École Italienne s'appuie sur l'analyse typo-morphologique de la ville pour proposer des interventions dans la continuité de son évolution . Le groupe Team X remet alors la vie humaine et la dimension sociale au cœur du projet. Ces courants constituent des références qui ont marqué les réflexions de ces années 1960-1970 sur la ville et son architecture. Pierre Prunet s'inscrit alors dans cette lignée d'architectes postmodernistes, apportant lui aussi une alternative de la monotonie des grands ensembles et des zones pavillonnaires. Ainsi, le modèle innovation qu'il propose en 1974, le « village de l'Ouest », affirme des formes urbaines d'origines rurales, afin de s'approprier les qualités qui découlent de cette référence au village traditionnel. Son modèle propose alors une finesse dans la gradation des espaces, du public au privé en passant par le collectif, et dans l'équilibre de leur répartition, notamment grâce à un maillage de rue, ruelles, places et placettes. Ce modèle s'appuie alors sur une trame génératrice comme un outil de conception facilitant le développement de ces formes urbaines. La

118/125


dimension innovante ne se trouve pas dans l'utilisation de cette trame, mais plutôt dans la combinaison et l'assemblage des types de logements produisant ces formes urbaines. La dimension proliférante de ce « village système » marque alors une de ses dimensions évolutives. Ce modèle innovation datant de 1974 est ainsi précisément contextualisé à Villeneuve d'Ascq. Dans ce contexte singulier d'une ville nouvelle en pleine construction, l'architecte adapte et décline son modèle innovation pour proposer cette réalisation. Le modèle est alors évolutif, capable d'assumer des transformations et des adaptations lors de sa mise en place dans un site concret. Ainsi, l'opération « village de l'Ouest » de Villeneuve d'Ascq s'adapte aux prescriptions du chemin directeur de Pierre Eldin pour l'aménagement de ce quartier de la Cousinerie. Pierre Prunet complexifie son modèle pour développer cette déclinaison. Il offre alors des connexions piétonnes avec les opérations voisines, s'inscrit dans le chemin des Crieurs, voie structurante qui concentre les activités à l'échelle du quartier, et utilise l'infléchissement de cette trame pour adapter son modèle à des géométries singulières du site. Par ailleurs, il propose une réalisation d'habitats intermédiaires, type totalement innovant pour l'époque, en participant aux grands questionnements sur l'habitat dans les années 1970. Ainsi, par cette déclinaison singulière de son modèle du village de l'Ouest finement adaptée au contexte de Villeneuve d'Ascq, Pierre Prunet démontre toute l'adaptabilité et l'évolutivité de son projet, lors de la phase de conception. La seconde partie de ce rapport analyse alors cette opération à l'échelle du bâti. L'architecture développée par Pierre Prunet est aussi teintée d'une dimension évolutive. L'architecte s'appuie ainsi sur un système modulaire afin de développer

119/125


les déclinaisons des types individuels, intermédiaires et collectifs. L'assemblage de modules constitue alors un volume, lui-même définissant un logement. Cette modularité favorise la préfabrication ouverte lourde s'appuyant sur la trame génératrice, offrant un système évolutif. En effet, la liberté de ce mode de construction permet une grande liberté dans la constitution des logements, mais aussi dans les possibilités de combinaisons de ces logements. L'innovation de cette opération ne réside donc pas dans son système constructif, mais plutôt dans la grande liberté d'assemblage et de combinaison des volumes, permettant le développement de ces formes urbaines d'origines rurales, tout en mobilisant cette préfabrication ouverte. Les logements du modèle connaissent donc plusieurs dimensions évolutives. La première est liée à l'adaptabilité du modèle innovation pour assurer son application à un contexte précis, mais aussi à des choix éventuels du maître d'ouvrage ou des futurs usagers. La deuxième dimension évolutive correspond à une autre phase, celle de l'usage. En effet, la dimension proliférante, induite par le système constructif et défendu par l'architecte dans la présentation de son modèle innovation, propose à l'usager d'adapter son logement à l'évolution de ses besoins au cours de sa vie, en convoquant des possibilités d'extension par juxtaposition de volumes inscrit dans le plan en suivant la trame, ou par superposition de modules sur l'existant. Par ailleurs, l'architecte propose une silhouette très expressive, marquée par ces toits à la forte inclinaison qui constituent un variant adaptable selon les régions et qui donne cette identité à l'opération.

La troisième partie du rapport présente la démarche liée au développement du projet d'intervention. Ce dernier propose de

120/125


s'approprier

cette

dimension

évolutive

pour

apporter

des

transformations à l'opération et la traduire en ville du XXI ème siècle. La démarche part d'un diagnostic, qui correspond finalement à l'état actuel de l'opération et à ses dysfonctionnements. L'abandon des parkings en cœur d’îlot, l'appropriation des espaces collectifs pour des initiatives privées ou encore la présence de l'automobile qui phagocytent les espaces publics par stationnement « sauvage » sont autant d'éléments ayant conduit à une dégradation de l'opération et à sa banalisation. Notre intervention propose alors de revaloriser la présence piétonne sur le site, de redonner une certaine attractivité à l'opération pour les habitants et riverains en la reconnectant à son contexte, de rééquilibrer les vides en proposant une réappropriation des espaces collectifs et publics aux espaces privés ou encore de favoriser le développement d'une vie à l'échelle locale. Un retour aux qualités du modèle innovation, notamment par le traitement de ces parcs végétalisés dans les arrières inscrits dans un cheminement alternatif piéton, a initié ces premiers questionnements. Les visites des réalisations de Poitiers et Angers nous ont alors convaincu de la richesse offerte par ces préoccupations piétonnes dans les opérations de logements. Ce projet s’inscrit alors dans une volonté de développer un projet depuis la perception et la pratique de l'opération par le piéton. Cette échelle locale serait aussi l'occasion de réaffirmer une dimension humaine et sociale dans le projet, mais aussi de désenclaver cette opération en agissant dans la continuité et la complémentarité de son contexte. Finalement, c'est une nouvelle manière de pratiquer le quartier et d'y vivre qui est proposée. L'intervention, nommée « village en ville », tente en effet de

121/125


pérenniser les qualités des formes urbaines aux références rurales tout en affirmant les connexions de l'opération dans ce contexte urbain. Le traitement des sols de l'espace public tend à renforcer les relations au Chemin des Crieurs, voie structurante à l'échelle du quartier et qui y concentre les activités. L'objectif est aussi de pérenniser la hiérarchisation de la voirie dans l'opération, qui offre des espaces alors appropriables pour les habitants dans ces ruelles, allées et autres impasses. Ce travail du sol permet ainsi de redonner une identité à l'opération, de lutter contre sa banalisation et d'appuyer la mémoire du lieu. La « rotule » du village est alors affirmée comme la place centrale de l'opération, comme un lieu de partage, de sociabilité, de rencontre pour les habitants. Cet épanouissement de la rue de la Coutume, voie structurante de l'opération dans la continuité du Chemin des Crieurs, propose alors une mixité programmatique nouvelle, répondant aux enjeux de la ville contemporaine. Il serait alors possible d'activer la dimension évolutive, extensible des logements qui la bordent pour affirmer son importance dans un jeu de surélévations des gabarits, offrant alors des rez-de-chaussée à l'aménagement flexible. Ce renouvellement typologique serait alors à comprendre en rapport avec les opportunités proposées par la forme urbaine, notamment par des seuils généreux servant de parvis pour étendre les activités de ces locaux commerciaux sur l'espace public. Ce projet propose alors de détourner la dimension proliférante de l'opération en se servant de la trame pour redessiner les vides, en l’occurrence la place publique. Des réflexions ont par ailleurs amené le projet à s’intéresser au réinvestissement des cœurs d’îlot. La proposition tend alors à réactiver les parkings vacants en y intégrant des équipements au rayonnement local. Ces nouveaux équipements publics à part entière seraient alors les

122/125


supports de la réappropriation du site par ses habitants, pour renforcer les liens entre eux. L'accès à ces cœurs d’îlot depuis la rue serait alors facilité par la dimension évolutive des logements individuels existants et à leur structure indépendante. Cette fois, c'est la démontabilité qui serait un atout, pour offrir de nouveaux accès à ces cœurs d’îlot collectifs depuis la rue. L'équipement proposé serait alors un équipement flexible, pouvant assumer une mixité des usages selon différentes temporalités. L'intervention ne s’appuie donc pas uniquement dans cette évolutivité, mais propose aussi des interventions évolutives. Une placette, dont le tracé s’appuierait sur la trame génératrice du projet, pourrait alors revoir la répartition des espaces, notamment des jardins

privés

au

profit

de

cet

espace

collectif.

L'intervention tend donc toujours à prendre en compte simultanément l'échelle urbaine et celle du bâti pour proposer des interventions dans l'opération. D'autres équipements complémentaires à ce dernier pourraient ainsi assurer une répartition des pôles de stationnement sur le site et une complémentarité dans les équipements proposés aux habitants. La requalification du réseau alternatif piéton qui traverse l'opération serait alors en phase avec cette idée de repenser les interventions du point de vue piétonnier et de cette pratique de la ville à échelle locale. La densification du bâti existant permet, nous l'avons dit, de révéler la dimension évolutive, extensible et adaptable de ces logements proposés par Pierre Prunet. Les possibilités d'extension par superposition ou juxtaposition pourraient ainsi répondre à des opportunités d'aménagement de rez-de-chaussée en rapport avec le statut de l'espace public et sa forme, mais aussi de faire évoluer les types, notamment par

123/125


le passage de certains logements individuels en intermédiaire. Cela prolongerait les questionnements liés à ce type, dont Villeneuve d'Ascq a été un grand champ d’expérimentation dans les années 1970 et qui semble toujours d'actualité.

Ainsi,

cette

intervention

se

développe,

forte

d'une

compréhension fine de l'opération, mais aussi de son contexte théorique. Les grandes intentions du projet s'appuient sur la dimension évolutive de l'opération, contenue à la fois dans les logements adaptables et démontables, permettant de proposer une évolution de la forme urbaine, mais aussi dans l'utilisation d'un village système aux caractéristiques proliférantes, notamment par l'utilisation de la trame, qui autorise une relecture et un rééquilibrage des vides de l'opération aux tracés prédéfinis. Finalement, cette intervention s’approprie cette dimension évolutive de l'opération, la ravive et s'en nourrit par des propositions elles-mêmes évolutives par leur dimension flexible et adaptable.

Finalement, ce projet de Pierre Prunet est innovant par son évolutivité native, qui anticipe les évolutions futures de l'opération, assurant sa pérennité.

124/125


Bibliographie

- Le Corbusier, Urbanisme, Paris, Éditions Flammarion, « Champs Arts », 2011 - Philippe Panerai, Jean-Charles Depaule, Marcelle Demorgon, Analyse Urbaine, Paris, Parenthèses éditions, « Eupalinos », 1999 - Jacques Lucan, Où va la ville aujourd’hui ? Formes urbaines et mixité, Paris, Éditions de la Villette, 2012 - Jean Taricat, Suburbia, une utopie libérale, Paris, Éditions de la Villette, 2013

- Dominique Amouroux, Jacques Cailleteau, Bruno Letellier, Pascal Prunet, Pierre Prunet, Héritage et création, Angers, Imago éditions du CAUE de Maine-et-Loire, 2014 - Pierre Prunet, Nicolas Detry, Architecture et restauration, Sens et évolution d'une recherche, Éditions de la Passion, 2000

- Chaljub Bénédicte, Alexis Josic, architectures, trames, figures, Paris, Éditions L’œil D'or, « Formes et figure », 2013, p. 31 - Technique et Architecture, « Architecture évolutive, habitations », n°292, Avril1973 - Technique et Architecture, « Repenser l'innovation », n°293, Juin 1973

125/125


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.