Mémoire de recherche de Master - Architecture Évolutive (PART 1/2) [2018]

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Romain Tassart

Les industries automobiles de la reconversion du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, Une architecture Évolutive ?

École Nationale Supérieure d'Architecture et de Paysage de Lille Séminaire d'initiation à la recherche de master -Domaine Histoire de l'architecture contemporainedirigé par Richard Klein 29 Mai 2018


Illustration de couverture : Le terril d'Haillicourt faisant face à la Société des Transmissions Automatiques de Ruitz Source du fond de carte: Google Earth : https://www.google.fr/




Avant-Propos

Ce mémoire s'inscrit dans le Séminaire d'initiation à la recherche, dans le domaine de l'Histoire de l'architecture contemporaine. Il s’intéresse à l'implantation et au développement d'une industrie automobile dans les années 1970, dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais alors en crise, en admettant que ce programme architectural n'est pas nouveau mais qu'il connaît un tournant décisif dans cette période des Trente Glorieuses. Ce travail questionne la dimension évolutive de ces usines qui seraient à l'origine de leur pérennité malgré une industrie dont les processus de fabrication et les technologies ne semblent cesser d'évoluer. Le choix du sujet part d'une volonté personnelle d'appréhender ce programme industriel parfois perçu comme inaccessible ou repoussant tout en comprenant son application dans cette région industrielle encore en mutation. J’appuie mon propos sur des lectures nombreuses et variées afin d'analyser cette architecture industrielle, particulièrement dans le domaine automobile, et ce dans son contexte historique, économique, social mais aussi humain. L'architecture flexible a aussi constitué un point d'intérêt majeur dans ce travail de recherche. J'ai par ailleurs consulté de nombreuses archives pour me familiariser avec ces unités de production. Enfin, j'ai visité certaines de ces usines et interrogé divers acteurs de celles-ci afin de comprendre ce programme à la fois de manière rétrospective comme dans sa réalité actuelle.



Remerciements

Je tiens à remercier Caroline Bauer et Richard Klein, dont les remarques et critiques constructives m'ont aidé à développer ce travail de mémoire.

Je dois ajouter à ces remerciements Olivier Naveaux, pour son accueil à la Société des Transmissions Automatiques ainsi que son aide précieuse qui m'a permis de rencontrer de nombreux acteurs de l'industrie automobile du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais.

Je remercie également Eric Brabant, et Florentina Deca qui m'ont accueilli dans leurs usines, respectivement de Lambres-lez-Douai

et de Maubeuge pour m'aider à

comprendre ce programme industriel et sa réalité actuelle.

J'associe à ces remerciements Jean-Marie Schricke, ex-directeur de la Société des Transmissions Automatiques puis de la Française de Mécanique, et Monsieur Jacques Miniot, ex employé de la première heure de la Société des Transmissions Automatiques, pour le regard rétrospectif qu'ils m'ont offert sur ces usines.

Enfin, je remercie ma famille et mes amis pour leur soutien, et particulièrement mon cousin Thomas, fidèle relecteur.



A la mĂŠmoire de Thomas.


SOMMAIRE

Introduction – Une évolutivité native ?

p. 12

I. L'extension/addition, une réponse au manque de flexibilité spatiale ?

p.13

1.1 Un développement planifié et par phase

p.13

1.1.1 Des extensions/additions planifiées

p.13

1.1.2 Un phasage nécessaire

p.22

1.2 Une structure adaptée aux nécessités d'extensions/additions

p.25

1.2.1 Une structure tramée...

p.25

1.2.2 ...préfabriquée et standardisée

p.28

1.3 Une implantation adaptée aux additions/extensions ?

p.36

1.3.1 Une décentralisation inéluctable...

p.36

1.3.2 ...motivée par l’État

p.38

1.3.3 Vers des usines vertes ?

p.40

II. L'usine Automobile, un espace flexible ?

p.48

2.1 Des usines aux caractéristiques flexibles

p.48

2.1.1 Un monde en suspension

p.48

2.1.2 Un sol libéré...

p.54

2.1.3 ...pour la production

p.56

2.2 Une organisation interne souple

p.60

2.2.1 Une trame vectrice de flexibilité ?

p.60

2.2.2 Un poteau utile

p.62

2.3 Une flexibilité native, reflet de nombreuses contraintes

p.65

2.3.1 Un objet en perpétuelle évolution

p.65

2.3.2 Des contraintes multiples...

p.69

2.3.3 ...Impactant la production et son espace

p.76


2.4 Le compactage spatial comme reflet de la flexibilité 2.4.1 Vers la fin de la Française de Mécanique ?

p.86 p.86

2.4.2 L'opportunisme de la Société des Transmissions Automatiques p.88 III. L'adaptation architecturale, une limite à la flexibilité ?

p.96

3.1. Des ateliers de production spécifiques

p.96

3.1.1 Une phase de presse-emboutissage isolée ?

p.96

3.1.2 Des ateliers de traitement thermique fixes

p.102

3.1.3 Des ateliers de peinture/mastic figés ?

p.104

3.2 Une production discontinue

p.106

3.2.1 Des usines inadaptées ?

p.106

3.2.2 Des complexes industriels obsolètes ?

p.108

IV. Un architecte renié 4.1 Un architecte inutile ?

p.114 p.114

4.1.1 Un programme réservé aux ingénieurs ?

p.114

4.1.2 Un architecte décorateur

p.115

4.1.3 Une équipe pluridisciplinaire

p.118

4.2 L’ouverture zénithales, un composant révélateur

p.122

4.2.1 Des architectes sensibles ?

p.122

4.2.2 Le shed, une amélioration notable

p.124

4.3 La façade, un lot de consolation ?

p.128

4.3.1 Une façade économique

p.128

4.3.2 Des expressions variées

p.132

Conclusion-Une évolutivité comme condition de pérennité

p.140

Bibliographie/Webographie

p.147

Archives consultées

p.150

Annexes

p.151


Carte de la rĂŠpartition des usines automobiles de la reconversion du bassin minier Source : fond de carte : Site WikipĂŠdia https://fr.wikipedia.org/wiki/Bassin_minier_du_Nord-Pas-deCalais#/media/File:BassinminierglobalNordPDC.svg

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Introduction – Une évolutivité native ? Ce mémoire définit un corpus d'étude cohérent composé d'une série de cinq usines du secteur automobile provenant de la phase de reconversion industrielle du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. Ces unités de production, toutes implantées entre 1969 et 1972 dans la région, comprennent deux usines de fabrication de composants automobiles : La Française de Mécanique à Douvrin qui produit des moteurs ainsi que la Société des Transmissions Automatiques de Ruitz qui fabrique des boîtes de vitesse automatiques. Initialement, ces deux usines étaient construites en raison d'une alliance entre les deux célèbres constructeurs automobiles français Renault et Peugeot. Aujourd’hui, le Française de Mécanique appartient à P.S.A (groupe Peugeot-Citröen) tandis que la Société des Transmissions Automatiques est détenue par Renault. Les trois autres usines de ce corpus d'étude sont des unités d'assemblage de voitures, dont deux appartiennent à Renault : La Maubeuge Construction Automobile, acquise à la Société des Usines Chausson en 1981 et l'usine George Besse de Lambres-lez-Douai. L'ultime complexe usinier étudié est l'usine SevelNord, possession du groupe P.S.A racheté en 1992 à Simca-Chrysler Europe. Par ailleurs, j'ai eu la chance de pouvoir visiter l'intégralité des usines Renault de ce corpus. Ces unités de production sont donc implantées dans un contexte particulier de reconversion économique. En effet, à la fin des années 1960, ce secteur des Houillères connaît une crise due au déclin de l'exploitation minière et les usines d'extraction ferment une à une1. En 1960, c'était l'usine de pneus Firestone qui profitait des conditions favorables offertes par la région (population de culture ouvrière, position stratégique au carrefour de l'Europe, aides de l’État...) pour s'installer à 1 http://fresques.ina.fr/memoires-de-mines/parcours/0003/la-reconversion-desmines.html, d'après le site de l'INA , dans le parcours thématique intitulé la reconversion des mines et rédigé par Laurent Warlouzet, dans la section mineurs du monde, mémoire des mines, consulté le 26 Novembre 2017.

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Béthune. Plus tard, deux implantations confirment cette dynamique du secteur automobile de la zone avec l'installation de la Société Mécanique Automobile du Nord à Valenciennes en 1980 (liée à PSA Peugeot-Citroën) et plus récemment l'usine Toyota de Onnaing en 2001 (aux abords de Valenciennes). Tout le bassin minier est alors concerné. Bien que la naissance de l'industrie automobile se développe au tout début du XXème siècle, j'ai considéré ce sujet comme un nouveau programme architectural de cette période des Trente Glorieuses. En effet, cette industrie automobile connaît un tournant décisif en Europe avec la démocratisation de la voiture, le parc automobile français étant, selon Benjamin Dessus, multiplié par 12 entre 1950 et 19852. Cette consommation

de

masse

pousse

ainsi

le

développement

de

l'industrialisation de sa production sur notre continent. Mes premiers questionnements se sont portés sur la permanence de ces usines du corpus et de leur activité, depuis presque cinquante ans maintenant, en dépit d'un processus de fabrication paraissant évoluer sans cesse. Les capacités flexibles et extensibles de ces usines semblent, selon l'état de l'art, avoir toujours voulu faire face à ces changements perpétuels. Dès lors, j'ai cherché à interroger la dimension flexible et évolutive qui semble être commune aux unités de production automobile du corpus, et si cela constitue une (des) condition(s) de leur «pérennité» dans notre région. Ainsi, dans la première partie de ce mémoire, nous évoquerons la capacité de ces espaces usiniers à s'étendre ou se multiplier. Dans la seconde et la troisième partie, nous questionnerons cette dimension de flexibilité spatiale des usines, pour enfin, dans une ultime partie, aborder le rôle de l'architecte dans ce programme d'usine fonctionnel.

2 Dessus Benjamin, « L'automobile : un exercice de prospective mondiale à long terme », culture technique n°25 d'octobre 1992, automobile et progrès, CRCT, Neuilly-sur-Seine, 1992, p.200

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I. L'extension/addition, une réponse au manque de flexibilité spatiale ?

Au premier abord, on pourrait être tenté d'opposer le processus d'extension et/ou d'addition d'un bâtiment à sa capacité d'offrir un espace interne flexible. En fait, l'impossibilité d'une réorganisation interne de l'espace se traduirait par une nécessité d'extension d'un volume préexistant ou alors d'une addition d'autres volumes pour ce programme industriel automobile.

1.1 Un développement planifié et par phase

1.1.1 Des extensions-additions planifiées

Lors de mes recherches, un grand nombre de documents graphiques, principalement contenus dans les permis de construire, m'ont permis de comprendre l'évolution de l'implantation de ces cinq usines automobiles3. Tous les permis de construire qui ont été déposés entre les années 1969 et 1972, dates des premières phases d'implantation des usines automobiles de la reconversion du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais de cette époque, mentionne les possibilités d'une future extension ou addition. Dans un premier temps, on s'aperçoit, notamment grâce aux documents graphiques dont les plans, que toutes les usines du corpus étudié sont implantées sur des parcelles très étendues et surdimensionnées par rapport à leurs premières phases de construction. Les plans de ces permis de construire prévoient des grandes zones libres, dans la continuité de ce qu’il était prévu de bâtir dans l'immédiat, démontrant cette

planification

de

l'espace

usinier

et

les

possibilités

développement de sa production sur le long terme. Les limites de ces 3 Voir la liste des archives consultées lors de mes recherches dans les annexes

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de


Zones d'extensions de la Française de Mécanique, plans du premier permis de construire de 1969 Source : Archives du département du Pas-de-Calais à Arras

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possibilités d'extension sont néanmoins présentes dès le début du projet, lorsque les voies d'accès et de livraison sont installées, en périphérie de la parcelle. On retrouve alors dans toutes les usines la proximité, souvent immédiate, de connexions avec des réseaux routiers conséquents comme la rocade minière ou encore des routes nationales. Un réseau de voies ferrées est parfois acheminé jusqu'aux usines pour assurer l'approvisionnement et les livraisons. La Française de Mécanique constitue quant à elle l'exception, côtoyant une voie navigable pour les péniches et autres bateaux. En 1951, Dreyffus See prévoyait même que la cinquième façade des usines, la toiture, soit adaptée à un « nouveau mode de circulation » aérien4. La réalité actuelle est différente, les toitures étant bien souvent couvertes de lanterneaux et de sheds incompatibles avec une piste d'atterrissage. Il faut aussi ajouter que cette option n'est pas rentable car elle impacterait la structure en la surdimensionnant. Néanmoins l'auteur n'a pas complètement tort, certaines usines disposant d'hélisurface. Ces pistes d’atterrissage sont ainsi

utilisées

lors

de

moments

critiques

(sécurité,

nécessité

d'approvisionnement...). Les plans de la Française de Mécanique de Douvrin, déposés avec le permis de construire en 1969, montrent trois unités majeures alignées le long d'un chemin d'accès principal suivant l'axe Nord-Sud. Ces trois volumes sont dédiés à des étapes différentes dans le procédé de fabrication de moteurs. Ils comprennent donc la transformation du métal en flancs et autres éléments laminés plats nécessaires à la fabrication des moteurs dans la zone de fonderie, son usinage qui correspond à la transformation de cet acier en pièces constitutives du moteur et enfin le montage, qui est l'assemblage de ces pièces pour obtenir l'objet fini : le moteur. Dans la continuité directe de ces volumes « bientôt » construits, nous retrouvons des zones d'extensions, nommées ainsi sur les plans. De 4 See Dreyffus, « Introduction architecture industrielle », Architecture d’Aujourd’hui, n°37, 1951, p. introduction

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Zones d'extensions du Plan de la Société des Transmissions Automatique de Ruitz, permis de construire de 1979 Source : Archives départementales du Pas-de-Calais à Arras

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plus, au sud de l'alignement de ces trois premiers volumes à bâtir, nous retrouvons une grande aire dénommée « zone pour extensions éventuelles ». Les concepteurs de l'usine restent donc prévoyants quant à la nécessité et l'étendue de l’espace dont pourrait, a terme , avoir besoin la production. Un autre permis de construire de la Française de Mécanique, datant de 1990, montre que l'usine s'est largement développée. Ainsi les extensions vers l'est des volumes d'usinage et de montage

s'étendent

jusqu'à

la

limite

parcellaire,

triplant

approximativement la surface dédiée à chacun de ces ateliers de production. Dans la « zone pour extension éventuelle », d'autres volumes ont été construits pour accueillir les procédés d'usinage et de montage d'une autre production. Finalement, seule la zone d'extension de la fonderie est restée vierge de toute construction, si ce n'est un « magasin de fonderie » aux dimensions modestes, c'est-à-dire une zone de stockage lui étant réservée. Les plans des permis de construire de la Société des Transmissions Automatiques de Ruitz montrent une même logique. L'usine est construite le long d'une voie d'accès principale. La parcelle est ainsi divisée en différentes zones : les zones A ; B et C, donnant directement sur cette voie d'accès, puis les zones G et H, dans la continuité de la zone B mais séparées de quelques mètres et qui font la transition avec les zones D, E, et F qui étendent les possibilités d'addition de nouveaux volumes vers le sud-est. L'usine s'est construite en plusieurs phases. Dans un premier temps, le bâtiment principal, le bâtiment B reprenant le nom de sa zone d'implantation, a été bâti en 1969. Puis le bâtiment A a été édifié en 1975 en parallèle des extensions du bâtiment B, initialement pour répondre au procédé de montage. Le bâtiment C est le dernier bâtiment de fabrication à avoir vu le jour et accueille depuis 1978 l'étape d'emboutissage. La centrale thermique a quant à elle été installée dans la

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Évolution du développement de la Société des Transmission Automatiques en 1970-1980-1996, Source : Archives départementales du Pas-de-Calais à Arras

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zone G, contiguë au bâtiment B . Dans une note du 22 Juin 1976 de l'ingénieur des mines Pierre Pierrin, on apprend que le bâtiment B a déjà subi pas moins de 6 extensions. Ce document faisant le point sur l'état de l'usine et sa production, on y apprend que les extensions de l'édifice sont dédiées à des zones de stockage supplémentaires ainsi qu' à « une augmentation du parc des machines-outils avec diversification de la fabrication des pièces (boîtes de vitesses automatiques et ponts arrières de divers véhicules) »5 L'unité de production, pour faire face à cette diversification de sa production et ses nouveaux besoins prévoit donc un certain nombre d'extensions et d'additions

permises

par

une

planification

de

ces

éventuels

développements futurs. Ce n'est que sur le permis de construire de 1996, lors de la dernière extension en date du bâtiment B, que les noms des zones G,H, E, D et F disparaissent et que les possibilités d’extensions ne concernent plus que les bâtiments A et C, ce qui montre aussi que les prévisions de développement de l'activité ne sont pas toujours justes.

1.1.2 Un phasage nécessaire

En réalité, les usines du corpus sont d'immenses complexes. La plus petite unité de production est la Société des Transmissions Automatiques, s'étendant sur 49 hectares dont 10 hectares de bâtiments couverts. L'usine qui possède les plus grandes dimensions est l'usine George Besse de Lambres-lez-Douai avec une parcelle d'une superficie de 250 hectares, dont 61 hectares de bâtiments couverts. Face à l'ampleur de ces volumes, il paraît impossible de construire de telles opérations en une seule fois. La logique d'implantation de l'usine est alors rationnelle et

5 Note du 22 Juin 1976 de l'ingénieur des mines Pierre Pierrin adressée au préfet du Pas-de-Calais de l'époque pour le bureau de la réglementation, archives d du Pas-deCalais.

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Note de la journée d'information organisée par la Société des Usines Chausson à Maubeuge pour expliquer son programme d'implantation, en 1969, construction par tranche Source : archives Municipales de la commune de la ville de Maubeuge

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justifiée par sa production. Dans un premier temps, on construit le ou les volumes qui seront nécessaires à une production, dans des quantités relativement modestes. De ce fait à la Française de Mécanique, trois volumes de trois étapes de la production différentes ont été édifiés en même temps afin de produire ces moteurs. Les extensions et additions permettent par la suite de compléter et diversifier la production. La méthode employée par les industriels est celle du phasage. La Maubeuge Construction Automobile, ex Société des Usines Chausson, possède un phasage défini dès le départ par les industriels. Dans une note d'information du 7 Novembre 1969, la Société Chausson spécialisée dans la production automobile explique ainsi au préfet, au président de la chambre de commerce d'Avesnes et à d'autres acteurs du développement industriel de la région qu'elle souhaite implanter une usine de tôlerie et d'emboutissage dès 1971. Nommée unité M1, elle prévoit alors d'employer 850 ouvriers pour produire ces 300 carrosseries par jour. A cette première tranche construite, la Société des Usines Chausson prévoit déjà d'ajouter une seconde tranche pour développer une deuxième unité de production M2, qui emploierait 3000 ouvriers.6 Par la suite, les industriels Chausson étendront la diversité des fabrications de l'usine en construisant, en 1971, les unités de peinture, montage et sellerie pour devenir une usine d'assemblage automobile complète. En 1978, Renault rachète l'usine (devenant la Maubeuge Construction Automobile) et étend encore l'activité avec en 1989 une extension de la tôlerie et la construction du magasin de l'unité de montage puis dans les années 2000 de nouveau des extensions des ateliers de tôlerie et de montage ainsi qu'un atelier de « mastic »7. Ce développement de l'espace usinier sert donc aussi à diversifier la 6 Note de la journée d'information organisée par la Société des Usines Chausson à Maubeuge pour expliquer son programme d'implantation, archives de la commune de la ville de Maubeuge 7 L'atelier d'application de mastic sert à insonoriser et imperméabiliser l'habitacle des véhicules

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production d'une usine. Cette méthode de croissance de l'usine n'est pas nouvelle, comme l'atteste l'usine Renault de Flins inaugurée en 1952. Christine Desmoulins nous rappelle alors que sa construction a aussi été organisée « en plusieurs tranches », le géant français de l'automobile assumant dans un premier temps dans cette usine des Yvelines la phase d'emboutissage, a savoir la formation des pièces par la presse, avant d'étendre son activité, dans un second temps, au montage.8 La logique d'implantation développée pour ces usines est celle du phasage. En prévoyant et planifiant une succession d'étapes dans les installations, les industriels permettent à ces unités de fabrication de produire rapidement tout en offrant des possibilités de diversification, de complémentarité de ces activités ainsi que d’augmentation de leur quantité de production se traduisant architecturalement par l'extension des volumes existants ou par additions de nouvelles constructions, conduisant aujourd’hui à des complexes immenses regroupant plusieurs volumes s'étendant sur plusieurs hectares.

1.2. Une structure adaptée aux nécessités d'extensions/additions

1.2.1 Une structure tramée...

Les usines du corpus se dessinent à partir d'une trame qui définit le positionnement de leur structure. Dans les plans des permis de construire, ces unités de production se présentent avec cette trame qui subdivise l'espace en une succession de lignes appelées « files » et qui quadrille l'espace. Disposées orthogonalement, cette trame modulaire est définie par des numéros sur l'axe des abscisses et des lettres sur l'axe des ordonnées. Cette logique modulaire et répétitive permet ainsi de positionner la structure et de répartir les poteaux de manière 8 Desmoulins Christine, Bernard Zehrfuss, Carnets d'architectes n°2, Coédition Infolio/ Editions du patrimoine, Paris, 2008, p.44

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équidistante

dans

l'espace.

Cette

organisation

structurelle

est

particulièrement efficace lorsqu'il s'agit de faire des extensions. En effet, il suffit de reprendre la trame modulaire pour étendre le volume existant en reproduisant les files et ainsi reproduire l'espace à l'identique, de manière infinie ou presque. Cette trame possède des dimensions qui s'approchent des quinze mètres d'entraxe de moyenne lorsque l'on analyse les différentes usines du corpus. On assiste néanmoins à une adaptation des dimensions employées par les industriels, notamment selon l'atelier de production et donc du processus qui y est lié. De plus, si deux ateliers de production différents doivent communiquer, les concepteurs proposent un multiple de la trame de l'atelier voisin, afin de permettre la juxtaposition et l'alignement des volumes. Ainsi dans son descriptif accompagnant les permis de construire de 1969 de la Société des Usines Chausson de Maubeuge, les concepteurs ont défini les mailles selon les ateliers.9

Mailles

Longueur (en mètres)

Largeur (en mètres)

Halle des presses

32

10

Magasin des emboutis 32

10

Atelier de tôlerie

16

10

Hall d'expédition

16

10

Tableau présentant les dimensions de la maille structurelle de différents ateliers de la Société des Usines Chausson

D'après ce tableau, les largeurs des différentes mailles sont identiques, ce qui permet d'utiliser un même élément pour toutes les constructions. Le hall de presse possède des dimensions amples, du fait du processus de fabrication qu'il accueille. Cet atelier, utilisé pour emboutir les pièces métalliques, est conçu pour recevoir des presses de grandes dimensions 9 Données précisées aux archives de la ville de Maubeuge

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Trames modulaire en files de l'atelier de peinture de la Société des Usines Chausson (future MCA) en 1971 (Archives de Maubeuge)/ Trame de l'extension de SevelNord en 1971 (Archives de Hordain)/ Trame de la Société des Transmissions Automatiques en 1996 (Archives du Pas-de-Calais à Arras)

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ainsi que des ponts roulants acheminant les bobines de métal. L'atelier de tôlerie a quant à lui des dimensions plus modestes. En effet, sa fonction est d'assembler les différentes pièces de la carrosserie de voiture alors produite dans l'atelier d'emboutissage. La communication de ces deux ateliers étant indispensable, les concepteurs ont utilisé un multiple des 32 mètres de longueur du hall des presses pour cet atelier de tôlerie et sa longueur de 16 mètres. En 1980, le bureau des méthodes10 de la Société des Transmissions Automatiques décide de développer une extension du troisième bâtiment, le C, réservé à l'étape d'emboutissage-pressse. Deux travées constituent alors l'existant, d'une dimension de maille de quinze mètres par quinze mètres. L'extension se compose d'une première travée jouxtant l'existant et d'une dimension de vingt mètres par quinze, afin de d'accueillir un pont roulant et des machines de presse d'une dimension importante, les quatre autres travées de cette extension reprenant les dimensions préexistantes de quinze mètres par quinze. De la même manière, toutes les usines de ce corpus d'étude ont été développées en suivant cette organisation à partir de trames modulaires. Ainsi dans le cas des usines du corpus, la trame qui constitue la répartition et l'organisation structurelle dépend directement du processus de fabrication développé dans chaque atelier, de la nécessité pour ces derniers de communiquer entre eux. Cette maille est particulièrement efficace lorsqu'il s'agit d'étendre l'espace de ces usines, notamment par extension des volumes existants.

1.2.2...préfabriquée et standardisée

Il existe des points communs entre les structures des usines du corpus, notamment dans le fait qu'elles sont préfabriquées avec des éléments standardisés. Comme le rappelle l'historien Jean-Louis Cohen, 10 Personnel chargé de l'organisation de la production dans l'espace de l'usine

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la Seconde Guerre Mondiale a poussé la recherche dans les bâtiments démontables et transportables. L'auteur prend alors plusieurs exemples, comme les hangars d'aérodrome de l'Air Ministry en Grande Bretagne en 1936, dont la description est étrangement proche des usines que nous étudions : «Plusieurs types de constructions à ossature d'acier et revêtement de tôle ondulée seront réalisées en 1939-1940, dont 400 hangars de type Bellmann.»11 L'objectif est en effet de construire des bâtiments transportables pour couvrir une guerre qui s'est étendue sur plusieurs continents. Cette logique de bâtiments transportables est néanmoins antérieure à ce conflit, notamment dans ce programme industriel comme nous explique Robert Kronenburg : « Au XIXème siècle, les manufactures anglaises développèrent des systèmes de constructions préfabriquées qui permettaient d'expédier toutes sortes d'édifices administratifs, industriels et résidentiels à travers le monde.»12 Ces édifices déplaçables répondaient donc initialement à une nécessité expansionniste. Cette qualité transportable, due à ce système de construction, induit par ailleurs d'autres qualités à ces bâtiments. Robert Kronenburg insiste alors sur le fait que les architectes dits « modernes » ont participé au développement de cette préfabrication, notamment dans les années 1930. Reprenant l'exposition du Weisenhoff de Stuttgart en 1927, alors sous la direction de Mies Van Der Rohe, il explique :« L'exploration des techniques industrielles ne se limitait pas à l’Europe. La préfabrication fut reconnue non seulement comme une manière d'introduire l'esthétique industrielle, mais aussi comme un moyen d’améliorer la qualité et la rapidité de la construction »13 Jean-Louis Cohen arrive à des conclusions similaires. Il poursuit ces exemples en prenant les hangars d'avions de 11 Cohen Jean-Louis, Architecture en uniforme, projeter et construire pour la seconde guerre mondiale, Editions Hazan, Paris, 2011, p.253 12 - Kronenburg Robert, Flexible : une architecture pour répondre au changement, Editions Norma, Paris, 2007, p. 15 13 Ibid. p. 33

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l'architecte américain d'origine allemande Konrad Wachsmann en 1939, ayant la possibilité d'être démontables en utilisant des éléments préfabriqués en acier. L'historien définit leur intérêt, en cette période de guerre, de la sorte :«Ici, l'enjeu est moins de rendre la totalité du bâtiment transportable que de permettre sa construction rapide et sa transformation...»14. Ces édifices transportables induisent donc un avantage de taille, leur rapidité de construction. Il faut ajouter, comme le dit

Christel

Palant-Frapier,

que

cette

« industrialisation

de

la

construction » n'est effective qu'après-guerre en Europe. Elle rappelle alors que cette phase de réalisation de chantier est bouleversée, influencée par la production de l'industrie automobile de l'époque : « La fascination qu'exercent l'aéronautique et l'automobile sur les architectes modernes va, à terme, radicalement transformer les modes de production de l'architecture, mais aussi l'organisation des chantiers : l'industrialisation de la construction après la Seconde Guerre Mondiale naît de la volonté des modernes d'égaler les méthodes employées dans l'entre-deux-guerres dans l'industrie automobile et aéronautique. » Christel Palant-Frapier, « De l'industrie automobile et aéronautique à l'industrialisation de la production »15

Ces auteurs démontrent ainsi que les architectes et ingénieurs, au cours de ce milieu du XXe siècle, aient contribué, par des motivations initiales distinctes, au développement de cette architecture préfabriquée, qui a pour avantage la rapidité d’exécution de la phase de chantier qu'elle engendre. Ces caractéristiques sont donc particulièrement intéressantes pour la construction des usines automobiles, notamment du fait de leur nécessité de limiter le délai de cette phase de réalisation du bâtiment pour que la production puisse commencer le plus rapidement possible. Les industriels de ce corpus d'étude se sont approprié cette méthode de construction pour mener à bien leurs projets d'usine. En outre, il est 14 Ibid. p. 264 15-Palant-frapier Christel, « La mobilité comme source d'inspiration, XIXè-XXIè siècles », La mobilité dans l'architecture du Xxème siècle, colonnes, n°28, Novembre 2012, p. 46

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Les structures en treillis de l'usine George Besse de Douai en 1969 (Auteur inconnu, livre de Renault Douai, histoire d'une montée de Gamme)/ Structure de la Société des Transmissions Automatiques de Ruitz en 1970 (Auteur inconnu, présentation graphique de l'usine par Olivier Naveaux)/ Extension d'atelier d'usinage de la Française de Mécanique en 1980 (Auteur inconnu, Source : Archives départementales du Pas-deCalais à Arras)

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amusant de voir que cette industrie automobile et son procédé de production aient pu influencer les méthodes de construction de bâtiments qui ont été par la suite utilisés pour la construction de leurs unités de production. Cette méthode de construction par préfabrication et standardisation implique

d'autres

avantages,

nécessaires

à

l’industriel.

Robert

Kronenburg indique alors: « Bien que les bâtiments préfabriqués deviennent de plus en plus communs, ils ne sont pas forcement déplaçables. La plupart utilisent cette méthode de construction uniquement pour ses avantages qualitatifs et économiques, plutôt que pour ses capacités de relocalisation. »16 De ce fait, l'industriel peut construire, par cette méthode constructive, à moindre frais, pour limiter ses investissements et finalement être plus compétitif sur le marché. En réalité, ce résultat économique de la construction est lié à la dimension de la trame modulaire expliquée précédemment qui autorise un haut degré de standardisation d'un nombre maximum d'éléments qui peuvent alors être préfabriqués en usine. Cette standardisation permet ainsi, selon Robert Kronenburg, « un montage dans un ordre plus libre», et « offre des pièces de rechange » sur le chantier ainsi que durant « la vie de l'édifice ».17 De ce fait, cette dimension démontable et interchangeable de la structure permet l’anticipation de modifications futures, matérialisé par les extensions et additions des édifices, mais aussi une limite des coûts d'entretien de l'édifice et une rapidité de changement d'un composant en cas de problème sur le bâtiment. Pour toutes ces raisons, les usines de ce corpus d'étude possèdent une superstructure métallique en treillis, à l'exception des ateliers d'emboutissage qui accueillent les presses. Cela permet ainsi une mise en place rapide sur le chantier de ces charpentes tramées, standardisées et préfabriquées acheminées par camions et montées à l'aide de grues. 16 Ibid. p.175 17 Ibid. p. 189

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>Un structure dématérialisée, le bâtiment A >Une structure boulonnée démontable, le bâtiment B

Crédit Photographies : Olivier Naveaux, de la Société des Transmissions Automatiques de Ruitz, Février 2018 >Un structure pratique, recevant les gaines, bâtiment B

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Ce choix est ingénieux lorsque l'on connaît les nécessités de développement de l'espace de production de ces usines. Ainsi, à la Française de Mécanique de Douvrin en 1979, l'extension de la structure se fait au contact même de l'enveloppe existante pour ne pas perturber la production. Monsieur Miniot, ex employé de la Société des Transmissions Automatiques m'a confirmé lors de notre entretien que la production ne doit pas s'arrêter : «Jamais! C'est la règle d'or... L’arrêt de la production est une perte sèche pour l'usine...» 18 Cette structure de métal en treillis possède de nombreux avantages. Dans un premier temps elle

est

particulièrement

fine

et

peu

encombrante.

Cette

dématérialisation de la charpente permet ainsi de laisser passer un maximum de lumière zénithale, notamment lorsque des sheds sont utilisées pour apporter de la lumière naturelle. Cette solution structurelle est aussi pratique, car elle laisse passer les nombreuses gaines et tuyaux au travers d’elle, pour cantonner les installations dans son plan, et libérer le volume et le sol pour la production. Enfin, elle possède des qualités de transformation. L'assemblage de la charpente est boulonnée, ce qui permet une certaine rapidité de montage, mais aussi une possibilité de démontage et donc de modification de l'édifice facilité par ce procédé. Il résulte une certaine monotonie dans l'architecture de ces bâtiments à la structure répétitive, bien que contrasté par la diversité des tâches effectuées dans les ateliers de production. Les structures utilisées pour les usines de ce corpus d'étude sont, par leur organisation tramée, leurs caractéristiques préfabriquées et standardisées et leur matérialité et assemblage, la réponse la mieux adaptée aux nécessités d'extension et/ou d'additions de l'espace dans des délais de construction courts.

18 Voir question 21 de l’entretien avec M.Miniot, ex-employé de la Société des Transmissions Automatiques du lundi 19 Mars 2018, dans les annexes.

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Auteur inconnu, La Société des Transmissions Automatiques implantée en zone agricole ,1989, Archives propres à l'usine Implantation en zones rurales agricoles des usines de la Maubeuge Construction Automobile à Lambres-lez-Douai et de Sevelnord à Hordain, 2015-1957 (Source : geoportail https://www.geoportail.gouv.fr/)

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1.3 Une implantation adaptée aux additions/extensions ?

1.3.1 Une décentralisation inéluctable ...

En 1967, E.D. Jefferiss Mathews explique dans le magazine Architecture d’Aujourd’hui que depuis la Seconde Guerre Mondiale, les usines n'ont plus les mêmes impératifs « du fait que les communications modernes pour le transport des matières premières et des produits finis ont éliminé la nécessité autrefois impérieuse pour les industries de s'installer soit sur le lieu d'origine des matières premières soit près d'un port chaque fois qu'il fallait importer un matériau ou exporter un produit manufacturé. »19 Les logiques d'implantation ont changé avec le développement des moyens de transport. On peut alors se demander quels ont été les critères d'implantation de ces usines du corpus. L'intégralité des usines étudiées sont implantées à l'écart des grandes villes, en zone rurale proche de villages de taille modeste, sur d'anciennes terres agricoles. Ces nouvelles usines semblent donc implantées loin des zones urbaines. Jean-François Belhoste et Paul Smith reviennent sur la situation de l'usine Renault de Billancourt dans l'Ouest Parisien : « Remontant à 1898, date à laquelle le jeune Louis Renault bricole sa première voiturette dans un cabanon au fond de la propriété de son père, à Billancourt, l'usine s'agrandira par accumulations parcellaires successives. A leur apogée, vers 1948 […] les ateliers recouvrent plus de 100 ha […] enjambant aussi la Seine par l'île Seguin»20. L'implantation n'a donc pas été réellement choisie, et a fini par saturer l’espace urbain de l'Ouest parisien, à l'image de cette île Seguin. L'entreprise est alors nationalisée en 1945 et l'usine de 19 E.D. Jefferiss Mathews, «Batiments industriels en Grande Bretagne », L'Architecture d'Aujourd'hui, n° 133, 1967, p.XIII 20 Belhoste Jean-François et Smith Paul, Patrimoine industriel, cinquante sites en France, Paris, Éditions du Patrimoine Centre Des Monuments Nationaux, « Images du patrimoine », 1997, p. 118

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Billancourt sera « relayée dès 1951 par une nouvelle unité de production à Flins »21 On peut se demander si l'éclatement de l'espace usinier, contraint par la Seine et l'urbanisation parisienne, ainsi que son incapacité à pouvoir s'étendre de manière rentable, ont obligé l'usine à fermer et se décentraliser. C'est par ailleurs ce qu’Antoine Haumont déclare en 1976 pour nuancer sa critique sur les nouvelles implantations d'usines isolées : «L'objectif n'est pas de revenir aux entassements usinier-urbain du XIXème ». 22 Selon Christine Desmoulins, c'est le gouvernement qui est à l'origine de ce déménagement : « Avec l'usine de Flins, qui deviendra l'instrument de production automobile le plus moderne d'Europe,

la

Régie

Renault

engage

une

nouvelle

politique

d'aménagement du territoire, suivant en cela l'action menée par le ministère de la Reconstruction. »23 L'auteur explique par ailleurs que, bien que l'usine de Flins soit similaire à celle de Billancourt, ce choix d'implantation s'explique aussi car « ce site, capable d’accueillir une unité de fabrication avec ses extensions, offrait de nombreuses possibilités de main-d’œuvre et de logement. »24 Les raisons de cette décentralisation des usines seraient donc liées à sa nécessité d'accroissement de ses surfaces de production, l'implantation urbaine entravant ces possibilités. Au début des années 1960, Ionel Schein, architecte français, disait que «La couronne industrielle qui s'est formée autour des grandes villes doit enfin éclater ». Il expliquait que la concentration n'était plus rentable, et prédisait une «pulvérisation» de l'agglomération industrielle.25 Pour lui, c'est aussi la main-d’œuvre qui doit motiver l'implantation des unités de production, et non pas les agglomérations. 21 Ibid. p. 119 22 Haumont Antoine, « les espaces du travail », Architecture d'Aujourd'hui, n°88, 1976, pages 64-65, p.65 23 Desmoulins Christine, Bernard Zehrfuss, Carnets d'architectes n°2, Coédition Infolio/ Editions du patrimoine, Paris, 2008, p. 44 24 Ibid. p. 44 25 Schein Ionel, « Orientation de l'architecture industrielle », Architecture d’Aujourd’hui, n°95, 1961, pages de préambule

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1.3.2 … motivée par l’État

Au milieu des années 1960, cette préoccupation pour l'implantation des usines sur le territoire pousse l’État à créer la DATAR (Délégation Interministérielle de l'Aménagement du Territoire et de l'Attractivité Régionale). Selon J.M et M.H, l'objectif est de pouvoir «programmer des zones industrielles en fonction des emploies créés» ainsi que pour répondre aux «besoins de transfert d'industries installées en tissu urbain. »26 Les auteurs affirment alors que l’État souhaite aider les bassins miniers en crise, notamment les houillères du Nord-Pas-deCalais, à l'aide de dotations régionales et de prêts financés par l’État et l'Europe. D'après E. Moatti, la DATAR prévoyait des pénalités pour les usines s'installant en région parisienne, sous forme de « redevances »27 D'autre part, lors de ma rencontre avec Monsieur Miniot, ex-employé de la Société des Transmissions Automatiques et Monsieur Schricke, exdirecteur de cette dernière, ceux-ci m'ont assuré que l’État motivait et participait à faire en sorte que les usines du corpus puissent s'intégrer dans les meilleures conditions.28 L'Etat souhaite donc pousser les industriels à se détacher des agglomérations et zones urbaines, notamment pour redynamiser des territoires en perte de vitesse économiquement. Pour d'autres auteurs, la décentralisation reste de l'ordre du social et de la domination des ouvriers par le patronat. Jean-Marc Laurent et Christian Lévy nous rappellent alors dans les années 1980 que ce mouvement des industries vers la campagne n'est pas un phénomène nouveau, étant apparu dans la période de la proto-industrie, et que cela permet aux industriels de « dépasser les blocages liés aux mouvements 26 Monod. J et Hermany. M, « Aménagement du territoire et aménagements industriels », Architecture d'Aujourd'hui, n°133, Septembre 1697, PAGES, p.10 27 Moatti E, « La localisation des activités industrielles et la réalisationd'usines nouvelles », « Problème de localisation des activités industrielles», Architecture d'Aujourd'hui, n°133, Septembre 1697, p.54 28 Voir fiche récapitulative des visites du 18 Avril 2018 dans les annexes

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Bulletin Conversion, bulletin de l'Association de l'Expansion Industrielle (APEX), n18, Janvier-Février 1977 (Archives du département du Pas-de-Calais à Arras)

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sociaux dans la production »29. Bien que la Révolution Industrielle ait amené les ouvriers à se réunir dans les usines en ville au XIXe du fait de la mécanisation, les auteurs voient ce retour relativement récent des unités de fabrication en dehors des zones urbaines comme une volonté de se rapprocher d'une « main-d’œuvre bon marché », « soumise », et qui n’est capable que d'une « faible organisation ouvrière »30. Ils ajoutent alors l'intérêt prononcé pour les industriels de se tourner vers «l'existence d'une main-d’œuvre socialement plus calme»,31 concluant par le fait que «l'absence de tradition d'organisation ouvrière est bien un avantage recherché pour imposer de nouvelles formes d'exploitation.»32 Cet argument était déjà avancé dans les années 1970, date de l'implantation des usines du corpus d'étude. Selon Jean-Pierre Cousin, cette implantation des usines à la campagne est lié à «la docilité acquise des ouvriers dans le cadre de disparition de la paysannerie»33, l’État encourageant cela par des primes de décentralisation.

1.3.3 Vers des usines vertes ?

Pour Antoine Haumont, cette décentralisation des usines n'a pas beaucoup de bons côtés. Il s'exprime en ces termes : « L'usine moderne est de plus en plus fréquemment un bâtiment isolé, soit complètement, soit dans un lotissement d'une zone industrielle. »34 L'auteur indique que l'unité ponctuelle bâtie ne peut finalement créer un espace construit, ce qui ne favorise pas «l'expression architecturale du bâtiment». L'usine est 29 Laurent Jean Marc et Lévy Christian, « Des usines à la campagne », pages 77-85, dans, l'usine et son espace, Auteurs multiples sous la direction de Lautier François, Paris, « penser l'espace », éditions de la Villette, 1981, p. 77 30 Laurent Jean Marc et Lévy Christian, « Des usines à la campagne », pages 77-85, dans, l'usine et son espace, Auteurs multiples sous la direction de Lautier François, Paris, « penser l'espace », éditions de la Villette, 1981, p. 82 31 Ibid. p. 84 32 Ibid. p. 85 33 Cousin Jean-Pierre,« Organisation , environnement et conditions de travail »,Architecture d'Aujourd'hui, n°165, Décembre 1972-Janvier 1973, pages 7376, p.75 34 Op. Cit p.65

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en fait en concurrence avec les autres programmes pour l'acquisition de terrain et s'installe dans les zones les moins onéreuses, l'ouvrier devant de toute façon assumer le prix de son transport.35 D'autres architectes sont quant à eux plus optimistes face à ces nouveaux sites d’implantation. Ainsi, les idées de Le Corbusier pendant cette période de conflit ont influencé les industriels et concepteurs d'usine, notamment avec son projet d'usine verte. Jean-Louis Cohen explique de ce fait que durant le second conflit mondial, les usines se sont éloignées des grandes villes, notamment pour éviter les bombardements. Le célèbre architecte a alors favorablement intégré cette décentralisation de la force industrielle du pays en développant cette idée d'une usine verte en 1944, intégrant l'ouvrier et son usine dans un cadre naturel et paysager participant à son bien-être.36 Ainsi en 1951, Dreyfuss See, pour introduire le programme industriel, commente : « L'usine […] ne devra plus déparer le site urbain dont elle fait partie, tant par la création d'espaces verts que par la beauté plastique particulière qui peut se dégager des constructions industrielles.»37 Cette idée sera reprise par Bernard Zehrfuss pour développer l'usine de Flins. Christine Desmoulins décrit l'usine comme «fonctionnelle, verte et aérée».38La référence au projet du célèbre architecte Suisse est claire : « Le principe mono bloc fera place à une idée plus paysagère avec des rues et des espaces arborés, proche des usines vertes de Le Corbusier ».39 La place du paysage prend toute son importance :« Toutes ces entités respiraient dans un environnement paysager.»40 Les concepteurs des usines de ce corpus d’étude ne semblent pourtant pas avoir totalement intégré les enseignements 35 Ibid. p.65 36 Cohen Jean-Louis, Architecture en uniforme, projeter et construire pour la seconde guerre mondiale, Editions Hazan, Paris, 2011, p.103 37 See Dreyffus, introduction du dossier « architecture industrielle », Architecture d'Aujourd'hui, n°37, 1951, page non numérotée 38 Desmoulins Christine, Bernard Zehrfuss, Carnets d'architectes n°2, Coédition Infolio/ Editions du patrimoine, Paris, 2008, p. 44 39 Ibid. p.44 40 Ibid. p.47

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portés par Le Corbusier. Ces usines automobiles possèdent, comme à Flins, une organisation en différents volumes connectés par un système de rues. Mais la dimension paysagère, décrite comme positive sur le moral des ouvriers, reste néanmoins très faible voir quasi-inexistante pour certaines de ces usines. Dans un premier temps, nous devons dire que ces usines sont implantées dans des zones industrielles. Néanmoins, l'urbanisation ne s'est pas développée énormément autour de ces zones et l'environnement immédiat des unités de production est bien souvent composé de terres agricoles et de petits villages, ce qui contraste avec les voies routières qui les desservent. Ainsi on retrouve une certaine présence arbustive au niveau des limites parcellaires, notamment autour des routes et voies rapides qui encerclent les usines ou encore dans les zones de parking. Cette présence pourrait nous faire croire, toujours d'un point de vue extérieur, que les usines sont noyées dans la végétation. Il n'en est rien. Lorsque l'on observe ces usines par vue aérienne, on se rend compte que l'espace extérieur des unités de production est très artificiel. Les « rues », ces voient qui desservent et permettent la circulation entre les différents ateliers sont très peu aménagées. Une route goudronnée et un trottoir de part et d'autre sont les seuls éléments qui connectent ces usines. De fines bandes de quelques mètres d'épaisseur, qui entourent les ateliers de pelouse, ne sont pas suffisantes pour apporter cette touche de nature si positive pour le moral des ouvriers. Lors de mes visites aux usines Renault de Douai et de Maubeuge, je me suis rendu compte que les espaces de prairies sont en fait les espaces résiduels, rares dans ce programme industriel dense où la production est la priorité absolue, et où les distances entre les ateliers sont réduites au minimum pour permettre des connexions et des délais de déplacement plus courts. En réalité, lorsque l'on se trouve dans l'enceinte de l'usine, bien qu'à l’extérieur, il est difficile de faire abstraction de la dimension artificielle et industrielle du lieu, la

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Photographie de Olivier Naveaux de la façade extérieur du bâtiment de bureaux de la Société des Transmissions Automatiques de Ruitz, Février 2018 > Un effort paysager : la plantation arborée d'essences variées Photographie aérienne de l'usine SevelNord, Consultation Février 2018 sur Google Earth > Un axe central paysager végétalisé

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domination visuelle des imposants volumes couverts de tôle ne nous laissant jamais l'ombre d'un doute. Il faut néanmoins nuancer ce propos. En effet, les deux seules usines du groupe PSA Peugeot-Citroën du corpus d'étude, que je n'ai pas eu la chance de visiter, paraissent accorder plus d'importance à cette dimension paysagère. Les deux unités de production, l'usine SevelNord d'Hordain et la Française de Mécanique de Douvrin, sont traversées par un axe qui divise ces complexes usiniers en deux, et ce depuis la porte d'entrée. Cet axe paraît, du moins depuis les vue aériennes et les quelques photos que j'ai pu observer, généreusement arboré. A Hordain, cet axe prend même un mouvement légèrement courbe pour contourner le réfectoire qui s'affranchit luimême de la logique orthogonale du placement des différents volumes de l'usine. La Société des Transmissions Automatiques de Ruitz a une position à part dans ce corpus. De taille plus modeste, elle n'est composée que de trois bâtiments de production et d'une centrale d’énergie. On remarque dans cet exemple que l’intérêt pour la végétation est plus important. Premièrement, les bandes engazonnées qui bordent les rues , disposées entre les trottoirs et les façades des bâtiments, sont de dimensions généreuses, environ de la même épaisseur que la rue goudronnée qui les longe. Ils sont ainsi parsemés d'arbres et d'arbustes d’essences diverses, offrant une dimension plus paysagère et naturelle à l'usine, et refusant la monotonie qui pourrait s'imposer face à la longueur de ces volumes. De plus, les deux rues latérales qui séparent le bâtiment A du bâtiment B et le bâtiment B du bâtiment C, offrent une perspective lointaine sur le paysage dégagé des champs voisins. La faible densité du complexe usinier et sa taille plus modeste participent par ailleurs à cette impression d'usine à la campagne, rurale, aérée, presque, comme l’espérait Le Corbusier, à la hauteur des ambitions de l'usine verte. Depuis la façade principale donnant vers le nord-ouest, on peut même apercevoir les terrils, vestiges de l'époque de l'extraction de la

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Houilles, de cette usine qui a participé à la reconversion de cette activité. La critique qui pourrait néanmoins être apportée serait le fait que les concepteurs de l'usine ont positionnés les parties « sociales » de l'usine sur les façades sud-ouest du bâtiment B et nord-est du bâtiment A, qui se font face. Les deux façades sont donc ouvertes sur la façade voisine, bloquant les vues sur le paysage agricole dont elles auraient pu bénéficier en cas de positionnement sur les façades sud-est. Encore une fois, ce sont les impérieuses nécessités d'extension des volumes qui n'ont pas permis cela, cette façade sud-est étant celle qui subit la succession d'extensions des deux bâtiments, les zones « sociales » placées latéralement ne les bloquant jamais. En fait, la dimension paysagère et naturelle de ces usines que l'on pourrait imaginer dans ces sites agricoles et ruraux est souvent contredite par la réalité fonctionnelle et artificielle de ces unités de production.

Nous l'avons vu, ces unités de fabrication sont contraintes par des nécessités d'agrandissement de leur superficie, par extension et/ou addition, afin d’accroître leur quantité de production ou de la diversifier. Les structures des bâtiments étudiés favorisent, par leur procédé de fabrication, leur matérialité ou encore leurs caractéristiques, ces extensions. Pour faire face à la construction de ces immenses volumes, la dimension de phasage, de développement sur un temps long est nécessaire, et les sites d'implantation sont adaptés à ces impératifs. Finalement, ce développement de l'usine par phasage ne se pose pas comme contradiction à la dimension flexible de l'espace interne de l'usine et à ses possibilités de réorganisation.

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II. L'usine automobile, un espace flexible ?

2.1. Des usines aux caractéristiques flexibles

Les usines de ce corpus d'étude possèdent un certain nombre de caractéristiques communes. Les visites des unités de production Renault de Maubeuge (Maubeuge Construction Automobile), de Douai (George Besse) et de Ruitz (Société des Transmissions Automatiques) ont été déterminantes pour l’analyse de ces espaces .1

2.1.1 Un monde en suspension

L'une des premières choses frappantes lors de ces visites est cet espace du plafond complètement saturé. Un grand nombre de gaines et d'installations techniques sont suspendues ou entremêlées à la charpente de l'édifice, comme en apesanteur. On y trouve un nombre de tuyaux et de conduits de toutes tailles et de toutes les couleurs. La réalité des contraintes de ce programme industriel est alors immédiatement perceptible. Tout y est concentré : les gaines d'aération, d'aspiration des vapeurs d'huile, les systèmes anti-incendie, les différentes sources énergétique pour alimenter les machines et la production : lubrifiant pour les machines, eau, électricité. Il est alors difficile de distinguer la structure porteuse de l'édifice, tant ces installations sont condensées dans cette partie supérieure de l'usine. Pourtant, la charpente est bien présente. En omettant les zones de presses (atelier d'emboutissage), on s’aperçoit que la structure des cinq usines du corpus est métallique et en treillis. Le choix de ce système structurel est particulièrement bien choisi, non pas uniquement pour sa capacité d'économiser de la matière, mais aussi et surtout ici pour laisser passer les nombreux conduits nécessaires 1 Voir les fiches de résumé des visites de ces usines dans les annexes

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Les installations techniques et luminaires de la Société des Transmissions Automatiques cantonnés au plan du plafond, crédit photographique : Olivier Naveaux, Février 2018

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au fonctionnement de l'usine, les fines diagonales n’entravant jamais leur chemin. La charpente et les installations sont donc réunis dans un même plan, rationalisant et économisant finalement de l'espace et du volume dans l'unité de production. Les usines étudiées possèdent toutes des ouvertures zénithales, ce qui paraît paradoxal lorsque que l'on voit tous les obstacles présents au plafond pour laisser entrer la lumière dans l'édifice. Bien souvent, les lanterneaux ponctuels placés en toiture ne sont jamais obstrués par les gaines, bien que leur impact en terme d'apport de luminosité naturelle dans l'usine reste moins forte que pour l'utilisation de sheds. Cette perception est visible dans les usines de Douai et Maubeuge, mais l'est particulièrement dans le bâtiment B (bâtiment principal) de la Société des Transmissions Automatique, qui possède et confronte les deux types d'ouverture. En effet, les extensions de son volume sont conçues avec un apport lumineux sous forme de sheds. Ces derniers s'étendent sur toute la largeur de l'usine et sont orientés principalement vers le Nord, affirmant leur efficacité pour apporter cette lumière naturelle douce et continue qui a un réel impact sur la luminosité et l'ambiance de l'espace usinier. Contraintes par leur dimension fonctionnelle, ces unités de production ne sont pas dépendantes de la lumière dispensée par le soleil. La lumière artificielle participe par ailleurs à cet effet de monde en suspension. A la Société des Transmissions Automatiques, les néons sont composés de long tubes qui se joignent aux tuyaux d'installation en traversant les bâtiments dans leur largeur. A l'atelier d'emboutissage de l'usine Renault de Maubeuge, les luminaires sont quant à eux suspendus par des câbles métalliques à la charpente. Une partie d'entre eux reste proche du plafond, pour dispenser une lumière dédiée à ce grand espace de l’atelier, tandis que d'autres s'étirent jusqu'à quelques mètres du sol pour éclairer les opérateurs sur une tâche précise. Les câbles métalliques tendus sont alors presque imperceptibles, offrant aux néons un effet

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Un outillage suspendu : -Auteur inconnu, usine SelvelNord, années 1970 (Source site PSA :https://site.groupe-psa.com/francaise-de-mecanique/fr/)

-Auteur inconnu, Société des Usines Chausson de Maubeuge (future MCA), (Source : Archives de l'usine)

-Auteur inconnu, la Renault 14 sur le site de Renault Douai, 1975 (Source : Renault Douai, l’Histoire d'une montée de gamme)

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d’apesanteur. Le plafond acoustique, présent à la Société des Transmissions Automatiques, participe aussi à cet effet d'univers suspendu. Une succession de panneaux blancs sont ainsi accrochés en partie haute à la charpente. Bien que leur présence diminue sensiblement l'apport de lumière offerte par les sheds, les ouvriers présents lors de ma visite ont insisté sur la grande efficacité de ces « brise sons » lorsque les immenses presses se mettent en marche. D'autres éléments qui contribuent à cet effet d'apesanteur sont l'outillage et les différents éléments de support des véhicules. Pour travailler, notamment dans la chaîne de montage, les opérateurs ont besoin d'outils (des visseuses en premier lieu) qui sont pendus proches de leur poste de travail en attendant d'être utilisés. L’opérateur peut ainsi, une fois l'outil utilisé, le lâcher pour que celui-ci se rétracte et retourne à sa position initiale, ce premier profitant alors de ses mains libres pour finir sa tâche et la contrôler. En outre, lors de ma visite à l'usine de Maubeuge, j'ai pu observer un opérateur en situation de handicap qui bénéficiait d'une chaise pendue à la structure, indépendante de la chaîne de montage. Cette dernière suivait dans un ballet dynamique la succession de véhicules qui passait pour permettre à l'ouvrier d'accomplir sa tâche tout en restant assis.2 De plus, lors du cheminement des véhicules lors de certaines étapes de leur fabrication, les futurs véhicules sont pendus à une structure métallique. Cela permet aux ouvriers de travailler sous les véhicules ou sur les côtés sans avoir besoin de se baisser, ou encore de plonger la carrosserie dans le bain de cataphorèse anti-corrosif, suivant ainsi un rail en hauteur, lui même... suspendu. Depuis l’extérieur, toutes les usines du corpus, exceptée la Société des Transmissions Automatiques, possèdent des passerelles entre certains de leur ateliers afin de transférer les 2 Voir les fiches de résumé de la visite de la Maubeuge Construction Automobile dans les annexes

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Effet d'apesanteur du faux-plafond acoustique de l'atelier d'emboutissage (C) et sol libéré dans le bâtiment de montage (B), Société des Transmissions Automatiques, Crédit photographique : Olivier Naveaux, Février 2018

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véhicules sans perturber les accès et la circulation au sol. Ainsi, il est intéressant de voir qu'un effet de lévitation, de suspension de l'espace soit si marqué dans ces usines, presque comme si cela avait été un parti pris de l'architecte ou de l’ingénieur. Finalement, ce n'est que le reflet des nombreuses contraintes et besoins de l'espace de production de ces usines et leur nécessité, grâce à cette dimension flexible, de pouvoir adapter et réorganiser l'espace usinier, pour qu'il soit avant tout pratique et fonctionnel.

2.1.2 un sol libéré...

Face à cette saturation de l'espace du plafond, nous assistons à une libération du sol. Ce dernier, dégagé de toutes les contraintes d'ordre technique et des installations, se dédie alors entièrement au processus de fabrication, à la production et aux différentes tâches qui gravitent autour de celle-ci. Pendant ma visite à la Société des Transmissions Automatiques, j'ai pu observer des zones en phase de réorganisation et le contraste entre le sol libre de toute machine et le plafond saturé par la structure et les installations. Les services de fabrication préparent en effet l'accueil d'une nouvelle production, dont Olivier Naveaux, chargé de communication, n'a pas pu m'informer davantage mais qui semble être en lien avec les besoins des voitures électriques. Pour ce faire, cette unité de fabrication a remis à neuf un certains nombre d'éléments. Ainsi, le sol a été recouvert d'une nouvelle et fine dalle de béton de dix à quinze centimètres d'épaisseur afin de retrouver une surface propre et lisse. Une fine couche de résine a par la suite été appliquée sur la dalle. Ainsi, certaines parties du conduit de rejet des huiles ont été obstrués, limitant les possibilités de rejet dans le sol. On passe alors d'un accès linéaire sous forme d'égout à un accès par des endroits plus ponctuels et précis,

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Un sol libéré pour accueillir le processus de fabrication -Auteur inconnu, usine SevelNord(Source : site de PSA :https://site.groupepsa.com/sevelnord/fr/) -Le bâtiment de montage de la Société des Transmissions Automatiques, Crédit photographique : Olivier Naveaux, Février 2018

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le nouveau processus de fabrication ne nécessitant plus autant d'accès à ces rejets.3 Cet exemple prouve ainsi toute la dimension flexible de l'espace interne de l'usine, et les possibilités de réorganisation spatiale qui en découlent.

2.1.3 ...pour la production

Dans ces usines, l'espace est défini par un plan ouvert et une disposition relativement libre des différentes chaînes de montage, machines et robots, permise par des installations techniques capables d'alimenter l'espace usinier en tous points ou presque. Cela permet donc d'offrir son caractère flexible à l'espace, par l’utilisation de la trame constructive présentée dans la partie précedente, comme l'atteste Michel Frain de la Gaulayrie, chargé de mission de l'implantation industrielle pour le groupe Thomson : « A Maxéville, il y a un étage technique sur tout le bâtiment et un maillage généralisé, de façon qu'on puisse raccorder n'importe quel point du bâtiment aux réseaux des utilités industrielles : eau, gaz, fluides etc. Tous les réseaux sont étudiés et dimensionnées en fonction des évolutions possibles. C'est l'un des éléments fondamentaux du programme. Conçue avec cette souplesse, une usine peut durer quinze ans. Les équipements intérieurs changent au rythme de l'évolution de la technologie des composants. Les cycles peuvent être de deux ans seulement… Il faut jouer la souplesse maximale... » Michel Frain de la Gaulayrie, Usines4 Les ateliers d'assemblage (ferrage, montage) de ces unités de fabrication sont donc aménagées, au sol, par différents éléments plus ou moins mobiles mais toujours déplaçables. On retrouve de ce fait certaines machines qui sont fermement fixées dans le sol. Certaines tâches sont quant à elles assumées par des robots, eux-mêmes fixes et protégés par 3 Voir les fiches de résumé de la visite de la Maubeuge Construction Automobile dans les annexes 4 Ferrier Jacques, Usines, « architecture thématique », entretien « industrie et image de marque », Electa Moniteur, Milan-Paris, 1987, p.7

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Un sol libéré pour accueillir le processus de production, Société des Transmissions Automatiques de Ruitz -Îlot robotisé et chariots mobiles Crédit photographique : Olivier Naveaux, Février 2018

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des barrières vissées dans le sol, afin que le personnel ne puisse pas endommager le matériel et que les robots ne puissent blesser personne. On parle alors « d'îlots robotisés ». Lors de certaines étapes du montage ou du ferrage des véhicules, notamment à Maubeuge et Douai, les chaînes de montage sont alignées sur le sol par un système de rail qui entraîne lui-même des plateformes sur lesquelles sont posées les véhicules. Une structure autoportante couvre alors ces lignes de fabrication pour offrir lumière artificielle et outillages nécessaires aux opérateurs.5Ces différents éléments sont donc fixés au sol mais peuvent aisément être dévissés pour changer la disposition dans l'espace interne. Ce dégagement du sol permet aussi d'installer les circulations nécessaires au bon fonctionnement des fabrications de l'usine. On retrouve ainsi, d'une manière générale, une circulation périphérique qui longe les parois internes de l'enveloppe pour ne pas perturber, au cœur de l'espace usinier, la production en elle-même. Bien entendu, certaines voies traversent les ateliers pour accéder aux différentes taches à accomplir. Sur le sol, un tracé semblable à celui que nous retrouvons dans le code de la route est déployé dans l'usine afin de s'assurer de la sécurité des ouvriers. On retrouve des voies vertes, dédiées aux piétons, des voies balisées par des traits blancs, dédiées aux caristes, ainsi que des passages piétons pour que ces premiers puissent traverser en sécurité. Depuis les années 1980, les usines ont apporté une innovation en utilisant des chariots filo-guidés. Ces derniers sont programmés pour suivre les balises qui sont placées sur le sol sous forme de bandes noires continues. Ils sont notamment utilisés pour acheminer les pièces aux opérateurs et ainsi alimenter les chaînes de montage. Des chariots à roulettes non automatisés sont aussi présents dans ces usines et montrent bien toutes les nécessités de mobilité face aux besoins de la fabrication. Enfin certaines zones sont dédiées à des aires de stockage, un tracé 5 Voir les fiches de résumé des visites de ces usines dans les annexes

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La trame des ateliers de la Société des Transmissions Automatiques et L'organisation du processus de fabrication entre les poteaux (bat. C), par le groupe des « méthodes » (Sources : Archives départementales du Pas-de-Calais à Arras)

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délimitant parfois leur périmètre. Pour conclure cette partie, nous pouvons avancer le fait que les usines automobiles de notre corpus d'étude bénéficient d'un espace interne flexible. La souplesse de l'aménagement interne de ces espaces usiniers est due à leur configuration, les différentes gaines, installations et dispositifs d'éclairage étant cantonnés au plafond afin de libérer le sol. Ce dernier peut alors être aménagé de manière relativement souple et libre par les industriels pour assumer les processus de fabrication, et ce même si certaines machines et robots nécessitent, après installation, une fixation au sol par sécurité.

2.2 Une organisation interne souple 2.2.1 Une trame vectrice de flexibilité ?

Nous l'avons vu dans la première partie, les usines de ce corpus sont organisées grâce à un système de trame modulaire définissant notamment le positionnement de la structure et plus particulièrement la positon des poteaux dans l'espace. Cette position connue et régulière permet alors au « bureau des méthodes »6 de développer et organiser la production en disposant des machines et des chaînes de production dans le plan, de manière libre. La trame répétitive et rigoureuse permet ainsi de ne pas hiérarchiser les espaces qu'elle abrite. En cas de besoin de réorganisation de l'outil de production, ou de recherche liée à son optimisation, les ingénieurs en logistique ne sont pas orientés par le volume du bâtiment, les entraxes de la structure, et peuvent penser son aménagement librement dans les intervalles de celle-ci. Dans les usines étudiées, la circulation principale est périphérique et longe donc l'enveloppe bâtie, tandis que le cœur de l'espace du bâtiment est réservé à la production. 6 Employés destiné à optimiser l'installation des machines dans l'usine

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Un poteau utile : support de descente d'eau pluviale, d'installations électriques et de machines (Crédit photographique : Olivier Naveaux, Février 2018)

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2.2.2 Un poteau utile

L'espace interne de l'usine, par sa capacité à relayer le plan des installations au plafond et à libérer le sol, ne possède finalement qu'une seule contrainte spatiale lors de son aménagement : le poteau. Dans le discours de beaucoup d'architectes, l'apparition de cet élément est contraire à la notion de flexibilité, de liberté du plan. Ainsi Robert Kronenburg, pour vanter les mérites de cette architecture flexible, pense les choses ainsi : « l'absence de points porteurs permet une grande flexibilité ».7 Un architecte plus célèbre qui a travaillé pour les usines Olivetti de Harrisburg en Pennsylvanie en 1970, Louis Kahn, décrit alors la force de son projet de ce programme industriel : « Le projet Olivetti fut un merveilleux défi : concevoir une structure suffisamment flexible à la mesure des capacités évolutives de la firme. Nous avons même renoncé à toute spécificité. La structure doit être prête pour des changements futurs… La colonne est l’ennemie de l'usine. J'aurais aimé pouvoir construire une usine sans une seule colonne. Cela étant impossible dans le contexte économique, nous avons quand même réussi à donner des portées de 21 mètres, au lieu des 7 mètres nécessaires. Cela permet le déplacement facile des chariots qui transportent le matériel et une grande flexibilité pour organiser les chaînes de production. Il en résulte un espace infiniment plus démocratique, qui ne divise pas les individus. Le cerveau et les muscles se trouvent réunis dans un même corps pour coopérer à une tâche commune. » Louis Kahn, Olivetti Corporation of America8 Ces deux architectes sont alors en accord sur cette entrave que constituent les points porteurs dans les projets, Kahn ne faisant dans ce projet que limiter son impact. Néanmoins, je tiens à contrarier ce présupposé en m'appuyant sur un autre exemple. La médiathèque de Sendaï de Toyo Ito achevée en 2001. Il s'agit en réalité d'une succession 7 Kronenburg Robert, Flexible : une architecture pour répondre au changement, Editions Norma, Paris, 2007, p. 123 8 Kahn Louis, propos recueilli par Earl W. Foell , Olivetti Coroporation of America, Avril-Mai 1970, cité dans Architecture d’Aujourd’hui, n.88, 1976, « Politique industrielle et architecture:le cas Olivetti », p82

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Le poteau, support de descentes d'eau de pluie dans le bâtiment de SevelNord, 1981 (Source :Archives municipales de Hordain)

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de plans qui constituent les différents étages de l'édifice. Ces étages sont traversés par des structures métalliques surdimensionnées qui accueillent en leur sein les circulations verticales, et les multitudes de gaines et tuyaux nécessaires au fonctionnement de cette bibliothèque. Par ailleurs vitrées, ces premières offrent des vues entres les différents niveaux. La grande force de ce projet est de n'avoir justement pas considéré les poteaux comme de simples éléments structuraux, mais de les avoir chargés de contraintes multiples. Dans le corpus d'étude, les poteaux sont eux aussi, bien qu'à un degré d'intégration architectural bien moindre que la bibliothèque de Toyo Ito, pensés pour faire face à des contraintes diverses qui dépassent le simple rôle structurel. Dans un premier temps il faut préciser que ces poteaux sont des profilés d'acier laminés qui ont une section constante en « H ». L'utilisation de ce matériau permet d'affiner cet élément afin de limiter l'impact du poteau dans l'espace. De plus, cette forme en « H » caractéristique offre la possibilité de loger certaines installations dans l'espace situé entre l'âme et les ailes, ou directement sur la face plane d'une de ces ailes. Ainsi, les éléments porteurs de la toiture et des planchers supportent aussi les fils électriques, les lances d’incendie, les gaines d'aération, les machines de contrôle et autres installations logées dans cet espace du plafond. Une autre particularité de ces usines sont le fait que les descentes d'eau pluviales traversent l'intérieur de l'édifice au rythme des poteaux, s'y intégrant. A l'usine de SevelNord, c'est une travée sur deux qui accueille ces descentes d'eau de pluie. Par ce procédé, les concepteurs du bâtiment économisent du fait de la taille immense de ces usines, des kilomètres de gouttières. La raison principale est donc celle de l'économie, toujours primordiale dans la conception des usines. Architecturalement, cette solution n'est pas traitée, ce n'est que le reflet d'un projet fonctionnel. Cependant, les contraintes qui affectent le fonctionnement de l'usine sont jumelées, spatialement, à la dimension

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structurelle de ces éléments porteurs. Peut-on qualifier ces poteaux, selon les mots de Louis Kahn, d' « ennemis de l'usine » et de sa flexibilité, dès lors qu'ils sont utiles ?

2.3 Une flexibilité spatiale native, reflet de nombreuses contraintes

2.3.1 Un objet en perpétuelle évolution

L'automobile a énormément évolué depuis sa création à la toute fin du XIXe siècle. Selon Jean Sauvy, elle est le le fruit de nombreuses innovations :« Dès sa naissance, elle a mobilisé un effort d'invention sans précédent dans l'histoire des techniques.»9 modifiant ainsi « chacun de ses organes ».10 L'auteur explique alors que l'automobile s'est développée à des rythmes différents selon 3 phases. La première datée de 1885 à 1910, est une période de nombreuses inventions, souvent empiriques. La deuxième se passe de 1910 à 1940, avec une « bataille de la fiabilité et du confort », notamment grâce aux courses automobiles, impliquant le fait que ces « innovations s'industrialisent bien souvent».11 La troisième période est quant à elle une période de « maturité ». Ainsi de 1945 aux années 1960, on passe par une « consolidation du produit et une démocratisation de son usage. »12 On n’assiste pas à de grandes innovations, mais plutôt à des perfectionnements ponctuels de l'automobile et ses composants. Néanmoins, socialement, la voiture se démocratise pour devenir un véritable «fait de civilisation.»13 La France a ainsi participé à ces avancées technologiques. Jean-Louis Loubet nous explique que dans les années 1930, le constructeur français Citroën lance la traction avant, à savoir que le moteur entraîne désormais les roues 9 Sauvy Jean, « survol du système automobile », culture technique,automobile et progrès, n°25, Octobre 1992, p. 14-30, p.15 10 Ibid. p. 15 11 Ibid, p. 20 12 Ibid, p. 21 13 Ibid. p. 21

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avant du véhicule. C'est une révolution. L'auteur explique alors que tous les concurrents, même des États-Unis d'Amérique, alors modèle absolu de cette industrie automobile, cherchent à acheter le brevet de cette invention qui permet « une qualité exceptionnelle de tenue de route, de maniabilité et de sécurité ».14 L'impact est immense, comme le révèlent ces chiffres donnés par Jean-Louis Loubet : en 1957, 27 pourcents de la production française est passée au « tout à l'avant » et en 1970, seulement 21 pourcents des véhicules produits suivent encore l'ancien modèle à propulsion.15 L'auteur défend par la suite le fait que les voitures françaises ont acquis des caractéristiques particulières qui leur offrent une bonne réputation. Plusieurs qualités françaises sont ainsi défendues. En 1965, c'est la Renault 16 qui s'impose comme « voiture à vivre »16, non pas pour ses caractéristiques techniques mais pour sa dimension fonctionnelle et son « habitabilité »17. L'auteur poursuit avec la célèbre Renault 5 qui, en 1972, « marque son temps » de par sa dimension accessible et sa cible féminine. Renault devient, grâce à ce modèle, son « plus beau succès commercial »18, leader européen des constructeurs. Jean-Louis Loubet conclut son article ainsi : « Après Citroën, Peugeot et Renault, puis maintenant Simca, la voiture française est bel et bien devenue au début des années soixante-dix, le modèle de référence automobile. »19 Lors de la visite à l'usine George Besse de Lambres-lez-Douai, Eric Brabant m'a expliqué que l'immense succès du Scénic en 1997, premier monospace compact, avait forcé l'usine de Douai à fonctionner à plein régime, la forçant à étendre son espace de tôlerie. Cela démontre bien toute l'influence du marché sur l'activité industrielle automobile et le

14 Loubet Jean-Louis, « automobile française(1934-1973) », culture technique,automobile et progrès, n°25, Octobre 1992, p. 73-82, p.75 15 Ibid, p. 77 16 Ibid, p. 80 17 Ibid, p. 80 18 Ibid, p. 80 19 Ibid, p. 81

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L'habitabilité, force de la conception automobile française ? Succès du Renault Scénic Espace en 1997 (Source : Renault Douai, l'Histoire d'une montée de gamme)

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développement de son espace usinier.20 Dans leur article, Emmanuel D'orsay, Jean-Maris Nozeran et Jean-François Duclert nous éclairent sur les modifications récentes intervenues dans les véhicules ces cinquante dernières

années.

L'exemple

donné

est

celui

des

« systèmes

électroniques », dans les années 1970, notamment pour diminuer la consommation ou encore pour apporter une sécurité accrue, comme le système d'A.B.S pour le freinage. Dans les années 1990, le confort est particulièrement

développé

par

ces

systèmes,

notamment

l'automatisation de l'éclairage ou de l'activation des essuie-glaces 21. Plus récemment encore, les années 2000 ont vu apparaître, toujours selon ces trois auteurs, des améliorations dans les domaines « sociaux » et « de la communication », à l'image de l'intégration de G.P.S connectés à l'état du trafic routier.22 Jean Sauvy ajoute pour sa part la dimension croissante de la personnalisation du véhicule dans les années 1980-1990, de plus en plus adapté à son utilisateur et à ses goûts. 23 Comme me l'a expliqué Eric Brabant lors de la visite à l'usine Renault de Lambres-lez-Doaui 24, cela a donné lieu à un bouleversement dans la production, à un changement de « paradigme » dans le processus de fabrication. Par le passé, les usines produisaient des modèles de manière relativement libre et c'était au concessionnaire ou autre revendeur de parvenir à « écouler » ces voitures produites. Depuis les années 1980-1990, c'est le client qui choisit sa voiture, ses options, sa couleur et personnalise son modèle qu'il commande alors indirectement à l'usine. Les unités de production ne peuvent plus produire des voitures identiques à la chaîne en longues séries. Ils doivent désormais organiser et adapter leur production de manière hebdomadaire afin de perdre un minimum de temps entre les

20 Voir fiche récapitulative des visites des usines du 13 Mars 2018 dans les annexes 21 D'orsay Emmanuel, Nozeran Jean-Marie, Duclert Jean-François, « le contrôle et l'enrochissement des fonctions du véhicule par l'éléctronique», culture technique,automobile et progrès, n°25, Octobre 1992, p. 185-192, p.189 22 Ibid, p. 190 23 Op Cit, p. 29 24 Voir fiche récapitulative des visites des usines du 13 Mars 2018 dans les annexes

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modèles personnalisés construits. Ce n'est donc plus la demande qui s'adapte à la production mais l'inverse. On assiste par ailleurs dans la même période, toujours selon M. Brabant, à un changement de rythme important dans les productions. Par le passé, un modèle était produit durant une dizaine d'années. Aujourd’hui, du fait des rythmes nouveaux de la demande poussés par la mondialisation et la concurrence, Les unités de productions s'adaptent à des changements de modèles tous les cinq ou six ans, avec une série numéro deux (évolution d'un modèle) devant intervenir dans les trois ans environ. Gérard Maeder expose pour sa part le fait que les matériaux des véhicules évoluent aussi, et que les choix faits par les concepteurs et designers des automobiles n'est pas uniquement lié aux « critères techniques », mais aussi « économiques »25. Selon lui, ces choix se font aussi « en fonction de la fabrication du véhicule [...] du process [...] de sa mise en œuvre », rappelant le fait que les constructeurs se trouvent dans un « contexte de compétition aiguë », insistant :« Il faut toujours garder à l'esprit que la production automobile est une production de masse… Et qu’un franc gagné par véhicule conduit à une économie non négligeable. »26 L'objet automobile a donc énormément évolué durant toute son histoire, acquérant des innovations et des évolutions techniques reflétant les exigences toujours plus accrues, notamment en matière de sécurité, de consommation, ou de productivité liée à la production. Toutes ces raisons ont donc obligé les processus de production à évoluer eux aussi pour faire face à ces nombreux changements. 2.3.2 Des contraintes multiples ...

25 Maeder Gérard, « les nouveaux matériaux dans la mécanique automobile», culture technique,automobile et progrès, n°25, Octobre 1992, p. 161-168, p.162 26 Ibid, p. 163

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L'industrie automobile possède trois grands pôles de production dans le monde qui se livrent une concurrence féroce. Ces pôles sont en fait les régions motrices de l'économie mondiale, appartenant à la Triade. On retrouve ainsi les États-Unis, le Japon ainsi que l'Europe Occidentale. Pour parvenir à se maintenir dans cette course à la compétitivité

et

à

la

productivité,

les

constructeurs

doivent

impérativement innover et optimiser leur production et leur processus de fabrication, et ce de manière continue. Jean Sauvy parle alors d'un « tourbillon internationaliste des systèmes automobiles […] rendant caduques les frontières et rétrécissant l'espace, exaspérant le jeu concurrentiel »27 Cette course à la productivité, qui n'est pas nouvelle pour les constructeurs français, devient désormais une condition de survie. La logique est simple : en limitant les coûts liés à la production du véhicule, donc en améliorant la productivité, on diminue le prix de revient du véhicule, ce qui permet des prix plus compétitifs des modèles automobiles sur le marché, désormais mondialisé. Pour ce faire, il faut aussi innover, l'objectif étant de prendre de l'avance sur la concurrence. Selon Jean Sauvy, les années 1980 s'accompagnent d'une lourde modification

du

processus

de

fabrication

de

l'automobile :« L'automatisation des opérations de fabrication entamée dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale – machines-transfert, machines-outils

à

commande

numérique

s'est

accélérée

récemment. »28. Les unités de fabrication incorporent alors largement l'outil informatique « utilisant davantage les robots mais cherchant surtout à mieux intégrer les divers départements d'une usine en une unité qui puisse être coordonnée organiquement par ordinateurs.»29 C'est donc un bouleversement dans l'accomplissement des tâches de ces processus de production qui est en train de s'opérer. L'auteur résume la 27 Op Cit, p. 16 28 Op Cit, p. 29 29 Op Cit, p. 29

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La robotisation de la phase de ferrage à l'usine de Douai, Années 1990 (Sources : Renault Douai, l'Histoire d'une montée en gamme)

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situation nouvelle ainsi : « Le progrès technique s'est accéléré, durant cette période dans de nombreux domaines, notamment l'électronique industrielle, l'informatique, les matériaux de synthèse, le calcul scientifique aidé par gros ordinateurs... Ces avancées ont ouvert de nouvelles perspectives aux ingénieurs et concepteurs, tant pour les véhicules que pour les productions et leur exploitation. Tout le système automobile s'en est ressenti. » Jean Sauvy, « Survol du système automobile »30

Ce programme industriel a toujours, pour augmenter sa productivité, cherché à diminuer les coûts de tout ordre, et notamment dans les choix de conception et d'édification de l'usine. Cette mondialisation, poussant la concurrence, a alors maintenu et accru cette volonté des industriels de n’investir que le fonctionnel pour produire, dans une logique maître de rentabilité. L'architecture de l'usine, aux priorités économiques, est alors largement impactée. Selon E. Moatti, les coûts d'installation d'une usine s'élèvent à quatre pourcents pour l'achat du terrain, alors que la construction coûte entre 30 et 50 pourcents.31 L'industriel a donc pour but de pousser les concepteurs à offrir des solutions peu coûteuses, dans des délais courts pour diminuer les investissements. Des contraintes extérieures sont aussi venues alimenter la recherche technique et les innovations, notamment dans la volonté de diminuer la consommation de carburant des modèles automobiles. Les raisons sont alors énergétiques et environnementales, comme le rappelle Jean Sauvy, « les préoccupations énergétiques, portées dramatiquement sur le devant de la scène en 1973 avec la première crise du pétrole, et ravivées en 1979 par la révolution iranienne.»32 Il ajoute alors que les gouvernements participent à ces évolutions dues au contexte avec « la 30 Sauvy Jean, « survol du système automobile », culture technique,automobile et progrès, n°25, Octobre 1992, p. 14-30, p.28 31 Moatti E, « La localisation des activités industrielles et la réalisationd'usines nouvelles », « Problème de localisation des activités industrielles», Architecture d'Aujourd'hui, n°133, Septembre 1697, p.54 32 Ibid, p. 26

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réglementation anti-pollution de plus en plus sévère.» 33 Face à l’hégémonie de l’énergie fossile, Jean-Louis Loubet rappelle alors que les constructeurs européens « doivent innover pour produire des moteurs peu gourmands, […] revoir l'aérodynamisme des carrosseries, [...] travailler sur des petites cylindrées »34 La Renault 5, modèle de taille et de cylindrée modeste, arrive alors, en 1972, au bon moment sur le marché.35 La production automobile doit alors s'adapter à ces contraintes nouvelles. Dans un article de l'Usine Nouvelle de 1977, Claude Amalric et Patrick Piernaz révèlent que la part de moteur diesel sur la totalité des voitures françaises est très faible, de l'ordre de cinq pourcents, mais qu'elles s'élèvent « à 30 pourcents des commandes faites au constructeur Peugeot ».36 Les auteurs vantent alors les caractéristiques du moteur diesel en période de crise pétrolière, qui se veut « économique pour (la) conduite urbaine. » et qui offre un « prix de vente avantageux ».37 Paradoxalement, les auteurs ajoutent même que Renault ne souhaitait pas diéséliser sa production.38 D'après le Comité des Constructeurs Français de l'Automobile (CCFA), le parc automobile français (véhicules des particuliers) était, en 2006, composé à environ cinquante pourcents de véhicules équipés d'un moteur diesel, l'autre moitié fonctionnant à l'essence. Les usines ont donc dû s'adapter à cette production de moteurs diesel, complètement différent du moteur essence. La méthode de production japonaise, appelée « Toyotisme », et sa productivité reste aussi une référence et un objectif pour les unités de production européennes et américaines. Les qualités de cette méthode sont nombreuses. Jacques Anthonioz nous

33 34 35 36

rapporte que les usines

Ibid, p. 26 Op Cit, p. 77 Op Cit, p. 26 Amalric Claude, Piernaz Patrick, « économie d'énergie : les solutions pour l'industrie », L'Usine Nouvelle, 6 Janvier 1977, p.24 37 Ibid, p. 24 38 Ibid, p. 24

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françaises sont, jusqu'à l'apparition du toyotisme dans les années 1960, calquées sur le modèle américain (Taylorisme), avec une logique de « production de masse permettant de faire des économies d'échelle pour une fabrication à moindre coût. »39 Taiichi Onho, créateur de ce modèle japonais dans les années 1960, compte alors sur plusieurs modifications de ce modèle phare. On apprend de ce même auteur que le japonais compte sur la « petitesse des stocks, limitant ainsi les coûts »40. Il regroupe les ouvriers en équipe qui reprennent « une série d'étapes de l'assemblage », les responsabilise en leur demandant « d'optimiser l'opération » et de « contrôler la qualité».41 Ces derniers sont amenés à faire des propositions aux ingénieurs de l'usine pour « suggérer des améliorations ».42 En cas de problèmes, toute la chaîne de montage s'arrête pour que l'équipe entière s'y penche, afin d'offrir une « formation à la recherche systémique d'erreur et à sa résolution » (on parle de Poka-Yoke qui signifie « à l'épreuve des erreurs »).43 Très peu de voitures ressortent ainsi de l'usine avec des erreurs. L'auteur nous explique par la suite que les constructeurs et leurs sous-traitants forment une seule et même équipe, abolissant la concurrence entre ces derniers.44 La production est appelée « juste à temps », c'est-à-dire qu'il y a une « adaptation de manière la plus fine possible de la production aux aléas de la demande. »45 Les pièces sont donc produites dans les « quantités nécessaires » et dans « des délais très court »46. Jacques Anthonioz poursuit : «les pièces ne sont produites qu'au moment de servir à l'étape suivante. »47 (système « Kanban »). Cette méthode 39 Anthonioz Jacques, « trois créateurs, trois types d'organisation industrielle : Citroën, Sloan, Ohno », culture technique,automobile et progrès, n°25, Octobre 1992, p. 3139, p. 32 40 Ibid, p. 33 41 Ibid, p. 33 42 Ibid, p. 34 43 Ibid, p. 34 44 Ibid, p. 35 45 Ibid, p. 35 46 Ibid, p. 36 47 Ibid, p. 36

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permet par ailleurs une « autorégulation de l'atelier de production » car « le changement de production s'effectue avec une grande flexibilité ».48 L'auteur insiste alors sur le contre-pied

avec le modèle Taylotiste-

Fordiste, en soulignant le fait que le Toyotisme n'a « ni prévision ni objectifs », sa production s'adaptant uniquement à la demande 49. Face à la production en grandes séries américaines, les japonais répondent par « un produit diversifié en petits lots ».50 Ce système permet ainsi de répondre rapidement aux « fluctuations de la demande » et aux réalités du marché automobile.51 Cette méthode de production va bouleverser l'industrie automobile du monde entier. La dimension humaine de cette méthode de production est appréciée en Europe. Jean Sauvy commente alors : « Le fordisme des années vingt est bien mort, et il s'agit dans un temps qui nous est compté de redonner à l'Homme sa juste place. »52 Christian Mory ajoute même, en critique au Fordisme, que c'est son « automatisation à outrance »53 qui a causé sa perte, là où les japonais ont misé, à raison, sur « l'organisation des Hommes qui se révèlent déterminante. »54 L'impact réel sur le processus de production est assez tardif en France, comme le rappelle Michel Praderie. Influencé par cette méthode de production, Raymond H. Lévy, ex-directeur général de Renault

SA

(jusqu'en

1992),

avait

lancé

« une

mutation

de

l'organisation » nommé « projet de qualité totale » en 1987, passant du modèle « Tayloriste » à celui de « leanprod »55 (comprendre « au plus juste »). D'après l'auteur, cela se traduit par un processus de fabrication remanié par « des groupes de projets inter-fonctionnels, [...] des 48 49 50 51 52 53

Ibid, p. 37 Ibid, p. 37 Ibid, p. 38 Ibid, p. 38 Op Cit, p. 30 Mory Christian, « le déclin américain, mouvement de fond ou simple erreur d'aiguillage ? », culture technique,automobile et progrès, n°25, Octobre 1992, p. 100101 54 Ibid, p. 101 55 Praderie Michel, « Nippon challenge », culture technique,automobile et progrès, n°25, Octobre 1992, p. 89-94

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réductions des temps de production par flux tendus, [...] une limite des stocks [...] et la responsabilisation du personnel ».56 Cela engendre un certain nombre de conséquences sur l'espace usinier et la production qu'il accueille.

2.3.3 ...impactant la production et son espace

Pour Jean-François Belhoste et Paul Smith, « La première vocation (d'une usine) est non contemplative mais plutôt fonctionnelle et rentable »57 Il faut alors que l'investissement dans le bâti soit le plus judicieux possible. Pour eux, cela passe par l'optimisation de « la circulation des hommes et des produits […] et de la distribution de l'énergie ».58 Cette contrainte fonctionnelle impacte l'espace usinier. Les auteurs dévoilent que cela contraint « la conception de bâtiment aux formes aussi régulières que possible. », par la nécessité de « trajets rectilignes […] et les plus courts possibles ».59 Les usines de notre corpus répondent à ces logiques, notamment du fait de l'organisation des multiples volumes de manière orthogonale, avec des voies d'accès, sous forme de rue, relativement étroites en comparaison de la densité de ces usines. Seule la Société des Transmissions Automatiques de Ruitz fait exception. Pour Jean-François Belhoste et Paul Smith, la volonté de rentabilité d'un investissement sur le bâti n'est pas nouvelle dans l'histoire du programme industriel et passait par des caractéristiques précises. Déjà à la naissance de ce programme comme on l'entend de nos jours, au XIXe siècle, « les premiers traités à l'attention des seuls concepteurs d'usine, [rendaient] explicites les contraintes d'extensibilité

56 Ibid, p. 92 57Belhoste Jean-François et Smith Paul, Patrimoine industriel, cinquante sites en France, Paris, Éditions du Patrimoine Centre Des Monuments Nationaux, « Images du patrimoine », 1997, p. 118 58 Ibid, p. 12 59 Ibid, p. 12

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Un plan d'ensemble orthogonale et dense Auteur inconnu, L'usine George Besse de Lambres-lez-Douai, (Source : Renault Douai, l’Histoire d'une montÊe en gamme)

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et de flexibilité ».60 Ces caractéristiques permettent en effet à l'espace usinier de subir le minimum d'intervention, coûteuse, pour s'adapter et se réorganiser. Ces caractéristiques architecturales étaient ainsi utilisées pour « calculer l'amortissement des coûts de construction dans les comptes de l'exploitation ».61 Encore aujourd’hui, ces dimensions flexibles et extensibles de l'espace usinier sont placés comme une condition à sa construction. Robert Kronenburg appuie ce constat : « La capacité de s'adapter au changement pourrait donc être le facteur le plus important pour une efficacité et un succès économique durable ».62 Dans les propos recueillis par Jacques Ferrier auprès de Michel Frain de la Galauyerie, chargé de mission à la direction des implantations industrielles et du développement régional du groupe Thomson, ce dernier hiérarchise même ces conditions dans leur temporalité, plaçant la flexibilité spatiale comme une nécessité immédiate à cet espace usinier pour fonctionner : « … nous avons besoin de souplesse et de beaucoup de flexibilité. Il faut qu'on puisse, par exemple, doubler sans problèmes brutalement la surface des salles blanches en gagnant sur celle des bureaux. Nous devons répondre au marché, c'est la contrainte essentielle. Tout, dans le bâtiment, doit être conçu dans cette optique. Il faut qu'on puisse utiliser le bâtiment à 100 % pour la production dans un temps très court. Les extensions éventuelles seront réalisées ultérieurement. » Michel Frain de la Galauyerie, Usines 63

L'influence du toyotisme dans la production des usines et leur espace sont nombreux. Michel Praderie reprend alors un rapport de la célèbre Massachusetts Institute of Technology pour nous exposer toutes les conséquences de cette méthode de fabrication, notamment dans 60 Ibid, p. 14 61 Ibid, p. 14 62 Belhoste Jean-François et Smith Paul, Patrimoine industriel, cinquante sites en France, Paris, Éditions du Patrimoine Centre Des Monuments Nationaux, « Images du patrimoine », 1997, p. 12 63 Ferrier Jacques, Usines, « architecture thématique », entretien « industrie et image de marque », Electa Moniteur, Milan-Paris, 1987, p. 6

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Une usine morcelĂŠe en diffĂŠrents volumes, La Maubeuge Construction Automobile en 1991 (Source : Archives municipales de la Ville de Maubeuge)

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l'espace usinier. Ainsi, le toyotisme implique des « usines deux fois plus petites », « moitié moins de personnel pour les phases d'étude et de fabrication » ainsi qu'un « nombre de fournisseurs divisé par huit […] regroupés en associations. »64 En France, Philippe Grundeler prévoit lui aussi les éventuels impacts des méthodes japonaises sur la production française et son processus de fabrication, poussant à une évolution, aussi, des espaces usiniers. Selon lui, ce n'est qu'au début des années 1980 que « l'organisation industrielle européenne » se détache de ce modèle « Tayloriste », système devenu obsolète quand la demande du produit automobile s'est stabilisée du fait de la concurrence mondiale importante.65 Cette nouvelle organisation influe alors sur le processus de production : « Aujourd'hui pour vendre, il faut [...] posséder des systèmes de production très flexibles, fiables et capables de s'adapter presque instantanément aux fréquentes fluctuations du marché, aux règlements concernant la sécurité et l'environnement différents d'un pays à l'autre et en évolution permanente ».66 Cela implique que les unités de production, notamment pour les usines du corpus, des qualités spatiales internes flexibles et adaptables afin d'accueillir ces systèmes en perpétuelle transformation. Philipe Grundeler ajoute le fait que les productions européennes traditionnelles ont « un flux de production segmenté et contrôlé par un chef d'équipe. »67Or, l'efficacité des usines nippones est contenue dans cette capacité de « décloisonnement de la conception initiale à la production. »68Le travail est donc, en Europe, largement parcellisé. Cela entraîne une certaine influence sur la forme bâtie, les usines du corpus sont en réalité divisées en différents volumes indépendants, reflétant ce processus de production segmenté. On peut alors se demander si la 64 Op. Cit, p.93 65 Grundeler Michel, « Évolution des systèmes de production en France », culture technique,automobile et progrès, n°25, Octobre 1992, p. 154-160, p. 154 66 Ibid, p. 154-155 67 Ibid, p.155 68 Ibid, p. 156

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succession de tâches assumées par des équipes pourrait réellement y avoir lieu du fait de cette division spatiale de l'espace usinier. Selon l'auteur cité précédemment, les usines qui utilisent cette « pratique du juste à temps » (produire des biens lorsqu’on en a besoin) élimine presque entièrement leurs stocks.69La répercussion

spatiale

et

économique est alors non négligeable, car les dimensions de l'usine seront réduites et le travail lié à ce stockage disparaîtra, comme les coûts qui y sont liés. D'après Michel Grundeler, la communication devrait être améliorée au sein de l'usine, pour permettre cette « méthode kanban », nécessaire à la communication entre les ateliers pour assurer l'acheminement des pièces.70 Ainsi, peut-être que l'influence spatiale serait de ne pas «éclater » ce programme en différentes unités mais plutôt de créer un complexe unitaire ou correctement connecté. La conclusion de l’auteur est donc tournée vers cette nécessité de « flexibilité de l'appareil de production » et ce « décloisonnement » du travail, ce qui a une influence certaine sur les espaces usiniers et leur organisation. Il faut ajouter qu'en 1993, l'usine de George Besse de Lambres-lez-Douai passe à une méthode de production en flux tendus, forte de l'inspiration du toyotisme. Dans les années 1950, les architectes sont amenés à penser les espaces industriels, qui, au sortir de la guerre, bénéficient d'une intégration progressive de la machine et ses évolutions facilitées par un contexte économique plus favorable. Bert Lebret, architecte, exprime alors une certaine vision de ce programme déjà en pleine évolution : « Les aménagements, les installations, les procédés de fabrication se modifient. Construire une usine, ce sera répondre à des besoins de fabrication en pleine évolution avec des machines toujours renouvelées, où l'homme ne doit pas être asservi, mais rester le maître ».71 Comment l'Homme peut-il rester le maître face à ces évolutions 69 Ibid, p;156 70 Ibid, p, 157 71 Lebret Bert, « Les lieux de travail », Architecture d'Aujourd'hui,n°37, 1951, p.

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incessantes ? Serait-ce en proposant des espaces flexibles et adaptables de ces usines ? Les trois usines Renault du corpus d'étude que j'ai eu la chance de visiter possèdent des pans entiers des chaînes de fabrication automatisées et robotisées. Ainsi les étapes de peinture, certaines étapes d'application de mastic ou encore de ferrage s'appuient largement sur ces robots. Comme l'explique Fiorentina Deca, chargée de communication de l'usine de Maubeuge, l'innovation est bonne pour la compétitivité. Les équipes Renault ont donc travaillé, depuis 2015, à développer un projet visant à automatiser, par l'emploi de robots, 100 pourcents de l'étape de soudure des différents flancs constitutifs de la caisse de la future automobile. Selon madame Deca, la robotisation est calculée par les techniciens pour s'assurer de sa rentabilité, car elle fait partie d'un investissement qui impactera le prix de revient du véhicule. Olivier Naveaux, chargé de communication de la Société des Transmissions Automatiques de Ruitz, m'a aussi confié que le robot présente l'avantage d'être fiable à 100 pourcents, devançant les qualités d'un opérateur. Fiorentina Deca ajoute le fait que le remplacement de ces machines est dû à leur obsolescence, une machine de plus de vingt ans commençant à créer des erreurs et ce de manière croissante durant son « vieillissement » . Ces apports technologiques sont donc menés, par l'industriel Renault, dans une démarche « de progrès continu », bien que les investissements les plus importants en matière de technologie sont amenés par vague lors du changement de production d'un modèle à un autre. L'objectif principal est de toujours gagner en productivité, tout en limitant les taches les plus répétitives pour les ouvriers. Ces îlots robotisés imposent donc aux usines du corpus une dimension d'adaptabilité. Leurs apparitions et développements étant fréquents, l'espace usinier est nécessairement flexible et souple pour permettre de réorganiser la production en fonction de l'apparition et du remaniement de ces robots. L'usine doit

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Une automatisation du processus de production : les chariots filoguidés dans l'atelier de montage Usine SevelNord, (Crédit photographique : Benoît Fauconnier Source : site quatre cylindres en ligne : https://quatrecylindres.com/author/quatrecylindres/)

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aussi, par ces dispositifs, pouvoir fournir l'énergie nécessaire aux « automate » dans n'importe quel emplacement de l'usine, ne pouvant prévoir les ateliers et les tâches particulières du processus de fabrication qui seront impactés. En d'autres termes, les innovations matérialisées par ces robots n'auraient pu prendre place dans des espaces contraints, figés, segmentés, prouvant toute la dimension évolutive de ces usines du corpus d'étude qui ont su intégrer ces nouveaux robots. Un autre élément est intervenu dans ce processus de fabrication des usines du corpus. C'est ce qu'on appelle le « picking », à savoir des chariots filoguidés qui acheminent les pièces nécessaires aux opérateurs de la chaîne de montage. Les chariots suivent donc, de manière totalement autonome, une fine bande noir continue disposée sur le sol, correspondant à son parcours. Ces chariots, qui ont remplacé un certain nombre de cariste dans l'usine, partagent les voies de circulation avec les ouvriers et les caristes restants, leur espace étant délimité par un simple tracé au sol. L'impact sur l'organisation interne de l'usine serait dans la fluidité de cette succession d'espaces, entre atelier de montage et zone d'approvisionnement de ces chariots auto-guidés. Cela prolonge l'idée d'un espace décloisonné expliqué dans le paragraphe précédent. Cette analyse est particulièrement bien résumée par Belhoste et Smith : «l'évolution technique [...] Presque toujours […] joue de façon plus rapide sur les machines que sur les immeubles. Elle incite à rechercher des occasions maximales de réemploi par la conception de bâtiments aussi adaptables que possible ».72 L'architecte Marco Zanuso travaille, dans les années 1960, sur des unités de production du célèbre industriel italien Olivetti en Amérique du Sud. Il propose, en réaction à ces évolutions, une solution qui s'affranchit de ce cloisonnement de l'espace usinier traditionnel. Il définit le schéma de base du projet ainsi : « [une] unité organique de production où l'espace 72 Belhoste Jean-François et Smith Paul, Patrimoine industriel, cinquante sites en France, Paris, Éditions du Patrimoine Centre Des Monuments Nationaux, « Images du patrimoine », 1997, p. 15

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de travail était a nouveau conçu comme un continuum offrant un maximum de liberté à l'appareil de production. »73 La réponse spatiale serait alors celle du « continuum » spatial, offrant des capacités d'accueillir ces évolutions continues. Enfin l'usine de George Besse de Lambres-lez-Douai passe, de 2014 à 2016, à une méthode de production en mono-flux. Cela se traduit par le fait que l'intégralité des cinq modèles produits dans l'usine passent sur une même ligne de production, sur la même chaîne. Des adaptations sont faites pour ajuster et optimiser la production. Cela implique alors des économies, notamment pour le fonctionnement de ce mono-flux, avec une baisse de sa consommation d’énergie ou du nombre d'ouvriers présents pour assurer la production. Une partie de l'espace de l'usine est libéré par la suppression de ces lignes « doublons ». Parfois, nous avons l'impression que l'usine est surdimensionnée, notamment dans les ateliers de montage. Ces espaces libres permettent néanmoins d'accueillir ces chariots filoguidés qui monopolisent une place importante sur les espaces de circulation. On peut aussi imaginer que dans un certain temps, l'usine pourra faire un pas de plus vers l'adaptation de la production vers le Toyotisme, en regroupant d'autres activités au sein d'un même atelier. Enfin, cette adaptation a engendré des modifications dans l'organisation des machines et du processus de fabrication, démontrant de nouveau la nécessité de cette dimension de flexibilité native de ces usines.

Nous l'avons vu dans cette partie, le processus de fabrication, pour des raisons diverses, évolue énormément et ce de manière continue. Les usines du corpus, construites dans les années 1970, sont encore aujourd’hui actives malgré ces perpétuelles mutations, ce qui démontre bien le caractère flexible et évolutif de leur espace interne. 73 Zanuso Marco, « Les machines à travailler », Architecture d'Aujourd'hui,n°88, 1976, p.66

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2.4. Le compactage spatial comme reflet de la flexibilité

Depuis le début des années 2000, certaines usines de ce corpus d'étude sont actuellement entrées dans une logique de compactage de leur espace usinier. Eric Brabant m'a affirmé que le parc industriel automobile européen actuel est saturé, et donc que la construction de nouvelles usines, du moins de la part de Renault, n'est pas dans les projets du constructeur.74 Comme nous l'avons dit dans la partie précédente, la concurrence qui s'est largement développée par cet effet de mondialisation a fait fluctuer une demande d'automobile dont les ventes commençaient par ailleurs à stagner dans les régions développées. La concurrence et la diversité des choix rend en réalité le consommateur plus exigeant. Ainsi le « Toyotisme », ce processus de fabrication qui s'adapte particulièrement à cette demande fluctuante, a inspiré bon nombre de constructeurs européens, notamment dans les années 1980.75

2.4.1 Vers la fin de la Française de Mécanique ?

L'immense complexe usinier de la Française de Mécanique de Douvrin semble en péril. D'après Sylvie Defer, chargée de communication de l'usine, la demande de moteurs n'est plus aussi forte qu'avant 76. Le groupe PSA souhaite donc limiter l'étalement de son usine. Ainsi, le regroupement de constructeurs réunit la production de ces huit anciennes unités dans trois aujourd’hui pour, à terme, n'en occuper que deux. Les bâtiments désengagés subissent des sorts différents. Deux d'entre eux ont été revendus à une autre entreprise. Cela montre la capacité flexible des usines qui sont finalement capables d’accueillir 74 Voir fiche récapitulative des visites des usines du 13 Mars 2018 dans les annexes 75 Grundeler Michel, « Évolution des systèmes de production en France », culture technique,automobile et progrès, n°25, Octobre 1992, p. 154-160 76 Voir fiche récapitulative des visites des usines du 9 Mars 2018 dans les annexes

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Le démontage de la Française de Mécanique, 2016 Source : La voix du Nord : http://www.lavoixdunord.fr/222161/article/2017-09-22/pourquoi-tous-ces-batimentsen-cours-de-destruction-sur-le-site-de-la-fm (Crédit photographique : BAZZIZ CHIBANE) Le premier bâtiment démonté, 2017 Source : site slideshare, PSA httpswww.slideshare.netSylvieDeferutm_campaign=profiletrackinge&utm_source

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d'autres productions. La fonderie a quant à elle été rasée en 2005 après sa fermeture. Les autres bâtiments, dont l'édifice historique ayant accueilli la production du premier moteur X de l'usine, a quant à lui été en grande partie démonté en 2016. Seuls deux mille mètres carrés sur les quarante-six mille seront conservés pour les activités du comité d'entreprise. Cela démontre bien la capacité de démontabilité et de reconfiguration de ces architectures. La piste de karting aurait déjà été revendue. Ce regroupement de l'activité dans ces quelques édifices reste un processus long. Il faut en effet déplacer certaines machines qui sont maintenues sur le site et en revendre d'autres. Par ce compactage de son espace, P.S.A va faire de nombreuses économies. Ces immenses superficies sont en effet coûteuses en terme d'entretien, avec l'éclairage, le chauffage, l'entretien des façades et des volumes intérieurs. Ces modifications profondes de l'espace usinier, qui se contracte, montre bien toute la capacité de ces bâtiments évolutifs à offrir des lieux flexibles, capables de s'adapter aux modifications de leur organisation, du fait de cette dépendance à l'activité économique et au marché.

2.4.2 L’opportunisme de la Société des Transmissions Automatiques

En 1980, les industriels chargés du développement de la Société des Transmissions Automobiles sont optimistes. L'usine s'étend et diversifie sa production par construction d'ateliers et extensions d'anciens. Des zones sont alors réservées pour les bureaux de la direction et des bâtiments « sociaux » sont implantés sur le site (réfectoire, salle de pause...). Dans un document intérieur au réseaux Renault dédié aux commerciaux que je me suis procuré lors de ma visite à l''usine, intitulé « l'automatisme par Renault » et datant de 1989, on apprend que le constructeur

français

souhaite

étendre

ces

ventes

de

automatiques et qu'il s’appuie sur les chiffres d'un marché à fort

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boîtes


L'optimisme du développement de la Société des Transmissions Automatiques en 1980, Aujourd'hui, le bâtiment A (à droite) est désengagé (Source : journal interne de l'usine, 1980 Archives de l'usine)

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potentiel.77 Les voitures des États-Unis sont donc, en 1988, équipées à quatre-vingt-dix pour cent par des boites automatiques. Je Japon est quant à lui passé d'un taux d'équipement de dix pourcents en 1970 à 70 pourcents en 1988. L'équipement européen paraît donc en retard mais devrait, selon les professionnels, augmenter dans les années à venir. Pourtant, les taux d'équipement de la boîte automatique sont particulièrement bas en Europe Occidentale. Les pays les plus équipés sont l'Allemagne et la Suisse avec respectivement neuf pourcents et douze pourcents. En France, cela ne représente que deux pourcents du parc automobile, devançant le pire taux européen, l’Italie, qui n'atteint même pas 0,5 pourcent. En réalité, la culture automobile européenne ne succombera jamais à cette automatisation partielle de sa conduite. René Filderman explique que la boite automatique pâtit en Europe de présupposés faux, comme l'augmentation de la consommation du véhicule. De plus, selon l'auteur, les automobiles équipées se vendent plus cher, la revente des véhicules d'occasion est très difficile et les « concessionnaires dissuadent les clients du fait de leur incapacité à entretenir les véhicules équipés. »78 René Filderman ajoute comme raison à ce refus de la boite automatique un choix « essentiellement culturel »,79 rappelant que notre culture automobile est fondée sur les courses automobiles, tandis que les américains ont toujours vu la voiture comme « un objet de consommation » et que les japonais n'ont jamais vraiment eu de « culture automobile ».80 Ainsi, encore de nos jours, le taux de boîtes de vitesse automatiques équipant les véhicules est très faible en Europe, sauf pour le haut de gamme. La Société des Transmissions Automatique

77 Document intérieur exclusivement réservé au réseau Renault-Direction Commerciale France-Méthode formation-imprimé en 1989 78 Filderman René, «commentaire du phénomène du rejet de la boîte de vitesse automatique en Europe », culture technique,automobile et progrès, n°25, Octobre 1992, p. 50-51 79 Ibid, p. 50 80 Ibid, p. 51

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Plan du taux de véhicules équipés de boîtes automatiques dans la Triade en 1988, (Source : fascicule : « Document intérieur exclusivement réservé au réseau RenaultDirection Commerciale France-Méthode formation-imprimé en 1989 ») -Le bâtiment de stockage de la Société des Transmissions Automatiques, Un bâtiment désengagé mais loué (Crédit photographique : Olivier Naveaux, Février 2018)

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se trouve dans un contexte économique particulier où une grande partie de sa production part pour les pays en voies de développement, notamment en Iran. Le constructeur français a de ce fait désengagé le bâtiment A, deuxième à avoir été construit sur le site, pour parvenir à cet objectif de compactage pour limiter ses coûts. Initialement, cet édifice était dédié au montage des boîtes de vitesses, avec une partie dédiée à ses bureaux. Aujourd’hui, ce bâtiment est loué pour une autre usine du constructeur, ce qui engendre des économies, notamment dans l'éclairage, le chauffage ou l'entretien. Selon Olivier Naveaux, cette redensification de l'activité dans les deux bâtiments restants n'a pas posé de problèmes. Ainsi le bâtiment B accueille, par cette réorganisation, l'étape de test des boites de vitesses. Nécessitant une « salle blanche », c'est-à-dire sans poussière, cet atelier a du être séparé du reste du volume. Des parois ont donc été aménagées, suivant la trame modulaire, pour fermer cet espace. Cette « cloison » est constituée de fins potelets métalliques fixés au sol et à la superstructure du bâtiment, avec un remplissage opaque fait de plaques métalliques fines. Ce remplissage est parfois constitué de plaques de plexiglas, pour permettre la vue sur le reste du volume de l'usine. Cette réorganisation interne du processus de production a aussi été un bon prétexte pour optimiser le placement des machines. L’exemple qui m'a été expliqué par Olivier Naveaux est celui des chaînes de production et d'assemblage de pièces. Ainsi, par le passé, certaines d'entre elles formaient une ligne droite ou un « L ». Après reconfiguration, ces lignes ont été aménagées sous la forme d'un « U ». L'avantage est alors double. Cela permet d'économiser de l'espace, pour accueillir d'autres productions, mais aussi cela permet d'optimiser les déplacement de l’opérateur, notamment dans la gestion des machines. Placé au centre du « U », cet opérateur peut ainsi contrôler deux points de la chaîne dans la même position.81 Cet exemple montre bien comment dans ces usines, la flexibilité de l'espace interne est primordiale. L'usine 81 Voir fiche récapitulative des visites des usines du 23 Février 2018 dans les annexes

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automobile

d'aujourd'hui

est

donc

fortement

dépendante

des

fluctuations de la conjoncture économique et du marché de l'automobile. L'adaptation de ces lieux de production doit être rapide et la flexibilité spatiale semble indispensable à sa « survie ». Pour conclure cette partie, il faut dire que ces différentes usines du corpus doivent, depuis leur installation, faire face à de nombreuses contraintes d'ordre divers. Leur pérennité est alors directement liée à la flexibilité de leur espace interne qui permet de faire face à ces mutations incessantes. A Robert Kronenburg de conclure : « Là où les problèmes fonctionnels ont nécessité un environnement construit réactif, l'architecture flexible a constitué au moins une partie de la solution »82

82 Op. Cit p.12

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III. Adaptation architecturale, une limite à la flexibilité ? L'état de l'art de ce programme industriel, notamment dans ce domaine automobile, conclut que l’espace usinier se doit d'être flexible pour faire face aux évolutions multiples du contexte, des outils et des besoins de la production. Finalement, peu d'auteurs s'attachent réellement à ce processus de fabrication, complexe et nécessitant des activités variées pour ces usines du corpus, ainsi que de l'impact spatial et architectural que cela représente. Jean-François Belhoste et Paul Smith apportent cependant une précision dans le fait que la flexibilité de ces usines s'applique dans « les secteurs où pouvait triompher l'organisation scientifique du travail, c’est-à-dire surtout ceux qui comportent une grande part d'activité d'assemblage et de montage, comme l'automobile et l’aéronautique ». Pourtant, l'activité d'assemblage et de montage ne constituent pas l'intégralité des activités et des ateliers présents dans les usines de ce corpus d'étude.

3.1 Des ateliers de production spécifiques 3.1.1 Une phase de presse-emboutissage isolée ?

Comme nous l'avons dit dans les parties précédentes, l'atelier d'emboutissage permet de passer des grandes bobines métalliques aux flancs de voitures (pièces qui seront assemblées pour la carrosserie), ce qui occasionne un certain nombre d'adaptations dans l'architecture et son espace. Ainsi, dans cet atelier sont utilisées des presses. Ces machines sont imposantes, hautes et larges de plusieurs mètres. Ainsi, en 1993, les techniciens Renault étudient l'acquisition d'une presse transfert pour la Maubeuge Construction Automobile. Cette machine, vendue par un fournisseur japonais, a obligé les « méthodes » de chez Renault à se rendre 7 fois dans la péninsule nippone, pour apprendre à la 96/178


Presse transfert de l'usine George Besse aux dimensions impressionnantes, 1996 (Source : Renault Douai, l'Histoire d'une montĂŠe en gamme) Adaptation spatiale et structurelle : sur-dimensionnement de l'atelier : comparaison entre le magasin (stockage) et l'atelier d'emboutissage (presses) de la SociĂŠtĂŠ des Usines Chausson, future Maubeuge Construction Automobile 1971 (Archives municipales de la Ville de Maubeuge)

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faire fonctionner et la réparer en cas de besoin. C'est par ailleurs de la même manière que fonctionnent les usines lorsqu’elles se revendent des machines

de

production.1Pascal

Audin,

chef

du

département

emboutissage de l'usine de Maubeuge, raconte : « Sur le plan industriel, c’est le projet le plus impressionnant auquel j’ai participé : tout était monumental, y compris l’acheminement de la presse, sa réception sur le port de Dunkerque, son montage… L’installation a été terminée en mai 1996, et il a fallu ensuite plus d’un an pour démarrer l’ensemble des outillages ».2 Cette presse occupe alors une travée entière sur les trois qui constituent l'atelier. Les deux autres sont occupées par des presses de tailles plus modestes bien qu'imposantes et des zones de stockage simplement délimitées par un tracé de peinture au sol. Ces machines sont dominées par des ponts roulants, capables de soulever plusieurs centaines de tonnes, et ayant pour fonction d'acheminer et de disposer des bobines de métal et différents composants nécessaires à cette étape d'emboutissage. L'espace est donc impacté par ces contraintes. Ainsi, La hauteur sous plafond de l'atelier d'emboutissage de la Maubeuge Construction Automobile est proche de quinze mètres, tandis que les autres ateliers culminent à une petite dizaine de mètres. La structure est alors différente du reste de ces ateliers. Les superstructures en treillis sont ainsi remplacées par des imposants portiques en acier laminé dont les âmes sont régulièrement renforcées par de la matière. L'assemblage de ces immenses portiques métalliques est aussi différent, puisque ces structures hyperstatiques sont soudées. La forme des poteaux reflète les efforts qui y sont appliqués. Plus fins en leur base, ces éléments porteurs s’épaississent à mesure que l'on approche de leur partie supérieure, pour rejoindre l'articulation avec la charpente. Ce choix structurel est en grande partie dû aux ponts roulants qui réceptionnent plusieurs tonnes. L'intérêt ici est de mutualiser la structure primaire porteuse du bâtiment 1 2

Voir fiches récpitulative du 19 Mars 2018 dans les annexes Diaporama de présentation de la Maubeuge Construction Automobile, fournit par Fiorentina Deca, chargée de communication

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Un structure adaptée aux exigences du processus d'emboutissage futur, L'usine George Besse de Douai en 1969 (Source : Renault Douai, l'Histoire d'une montée en gamme)

Un structure adaptée aux exigences du processus d'emboutissage, Le bâtiment C de la Société des Transmissions Automatiques de Ruitz en 1980 (Sources : Archives départementales du Pas-de-Calais à Arras)

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avec celle qui assumera le poids de ces ponts. Les poteaux du portique soutiennent en réalité d’épaisses poutres en acier laminé dans la partie de leur tiers supérieur, servant ainsi de rail au pont roulant qui s'y connecte. On pourrait décrire cet outil comme une poutre métallique mobile équipée de câbles et de crochets pour assurer leur fonction de déplacement de composants divers. Ainsi, dans les usines du corpus, ces ateliers d'emboutissage contrastent avec le reste du complexe usinier. Cette structure donne un grand effet de vide, l'espace du plafond ne recevant pas d'installations. Seuls quelques luminaires y sont pendus par des câbles, à des hauteurs différentes, pour apporter une lumière d'ambiance ou à une tache en particulier. Ces caractéristiques structurelles sont aussi appliquées à la Société des Transmissions Automatiques, bien que dans des dimensions plus modestes. De plus, ce n'est qu'une seule de ces travées de ce bâtiment C réservé à l'emboutissage qui est surdimensionnée en hauteur et même dans la surface, la maille (reflet de la trame) passant de quinze mètres par quinze mètres à quinze mètres par vingt. Par ailleurs, la zone de l'atelier d'emboutissage de la Société des Transmissions Automatiques possède une particularité, dans le fait que la structure en fer soudé ne s'élève que jusqu'aux rails des ponts roulants, le reste de la structure, et donc la charpente, reprenant le modèle structurel de tout le reste de l'usine avec cet emploi de poutres en treillis. De plus, l'espace du plafond n'est pas perceptible, une succession de panneaux suspendus à cette charpente filtrant la vue et ayant pour rôle d'apporter du confort acoustique. En effet, ce faux plafond phonique limite le bruit assourdissant que font ces machines d'emboutissage. Enfin, cette usine de Ruitz, pour ces mêmes raisons, est cloisonné par un système de fins potelets métalliques qui s'accrochent sur la structure principale et ferment l'espace par un remplissage en panneaux métalliques fins. Ces presses engendrent donc une succession d'adaptations spatiales, structurelles et architecturales et

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Un structure adaptée aux exigences du processus d'emboutissage futur, à la Société des Transmissions Automatiques : le pont roulant et le plafond acoustique (Crédit photographique : Olivier Naveaux, Février 2018)

Fosses prévues dans l'atelier d'emboutissage pour l'implantation des presses de la Société des Usines Chausson (future Maubeuge Construction Automobile), 1970 (Source : Archives municipales de la ville de Maubeuge)

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ne peuvent donc pas être installées ailleurs que dans ces zones spécifiques. Nous pouvons donc affirmer que la flexibilité et la liberté d'implantation de ces usines du corpus ne peut s'étendre à cet atelier d'emboutissage, du fait des contraintes de cette partie du procédé de fabrication.

3.1.2 Les ateliers de traitement thermique fixes

Un autre type d'atelier possède des caractéristiques particulières. A la Société des Transmissions Automatiques, on rencontre, dans le bâtiment B plusieurs étapes de la production des boîtes de vitesses, à savoir l'usinage, le traitement thermique, l'assemblage et le banc d'essai. Ce regroupement est dû au compactage effectué dans l'usine. Nous l'avons démontré précédemment, la flexibilité de l’espace et sa capacité d'adaptation ont permis au bâtiment de s'adapter à ces productions. Pourtant, on se rend compte que l'atelier du traitement thermique est resté au même endroit. Les opérateurs de cet atelier utilisent en réalité une machine qui s'apparente à un immense four et dans lequel les pièces, une fois formées (usinées), sont chauffés, pour améliorer leurs propriétés. De ce fait, des réserves sont creusées dans le sol sous les machines pour les faire fonctionner, remettant en cause leur éventuel déplacement. De plus, cet espace répond à des normes particulières. L'utilisation du feu pousse les techniciens, dans ce grand espace ouvert, à isoler et cloîtrer ce département. De fines cloisons légères ont été employées pour séparer la salle de test des boîtes de vitesses (salle blanche) du reste de l'usine, attestant de cette capacité adaptable de l'usine et cette possibilité de réorganisation interne future. Mais les normes incendie et de sécurité ne permettent pas, dans le cas de ces salles thermiques, de réitérer le procédé. De ce fait, des cloisons lourdes, qu'il faudrait plutôt appeler murs, ferment cet atelier au reste de l'usine.

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Le mur pare-feu fixe de la zone de traitement thermique de la Société des Transmissions Automatiques de Ruitz, une limite figée (Crédit photographique : Olivier Naveaux, Février 2018)

Effet de couloir dans l'atelier de peinture de la Maubeuge Construction Automobile, alors Société des Usines Chausson, années 1980 (Source : Archives de l'usine)

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Ces murs coupe-feu sont constitués, en partie basse, de parpaings qui s'élèvent à deux mètres du sol et surmontés d'un bardage en plaques de tôle ondulée dont les nervures apparaissent verticalement. Ces tôles disposées en panneaux « sandwich », qui recouvrent la tête de ce mur en parpaings, renfermerait une mousse spéciale isolante et anti-incendie. Cette méthode, économique, offre de ce fait des limites fixes. Il y a donc un contraste fort entre ce déploiement linéaire, plein et lourd de ce mur dans un environnement bâti dont la structure apparaît comme ponctuelle et légère. Les circulations qui longent les limites extérieures de cet atelier attestent de la permanence de cette disposition de l'atelier dans l'espace usinier. Ces murs ôtent donc tout espoir de flexibilité de l'espace, du moins de par des coûts faibles et des méthodes pratiques et rapides de réorganisation spatiale.

3.1.3

Des ateliers de peinture/mastic figés ?

Mise à part la Société des Transmissions Automatiques de Ruitz, les usines de ce corpus ont la particularité d'être montées sur deux étages. A l'usine Geroge Besse de Lambres-lez-Douai, on retrouve l'atelier de mastic au Rez-de-Chaussée, sous l'étage de l'atelier de montage. Cet espace est très particulier. En effet, un faux plafond en dalle abaisse la hauteur des lieux à une échelle humaine, presque domestique, contrastant avec sa fonctionnalité productive et les robots qui s'y déploient. Ce faux plafond apporte une lumière artificielle ciblée sur les ateliers d'application de mastic en y intégrant des néons. Nous entrons alors dans un espace avec un réel effet de couloir, le resserrement des lignes de montage et les nombreuses machines et bureaux de contrôle fermant les éventuelles échappées, même visuelles. Cet espace clos contraste totalement avec l'atelier de montage « ouvert ». Nous retrouvons le même effet sur des passerelles de demi-

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L'atelier de peinture, un couloir fermé, Usine George Besse de Douai, années 1990 (Source : Renault Douai, l'Histoire d'une montée en gamme)

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niveaux qui permettent d'accéder aux couloirs le long desquels se développent les lignes de peinture des caisses. Il est donc difficile d'imaginer le déplacement de ces nombreuses installations, machines, robots, bureaux et chaînes de montage de manière rentable, figeant finalement l'espace. Sa perception rompt alors avec les descriptions d'espace ouvert, souple et flexible des auteurs constituant l'état de l'art.

3.2 Une production discontinue ?

3.2.1 Des usines inadaptées ?

A priori, l'usine sur plusieurs niveaux n'est pas la disposition la plus pratique pour ce programme. Jean-François Belhoste et Paul Smith rappellent qu'il existe deux principaux types de bâtiments industriels : « à étages » et à «grande halle ».3 La deuxième est alors décrite par les auteurs comme : « destinées à abriter […] de gros équipements » mais aussi pour les ateliers de « transformation de métaux » ou « les chaînes de montage, qui réclament de grandes portées et des surfaces aussi dégagées que possible. »4 Tout porte à croire donc que les ingénieurs et architectes aient fait le mauvais choix lors de la construction d'usines à étages. Eric Brabant m'a quant à lui expliqué que ces usines sur plusieurs niveaux n'étaient pas pratiques pour la production de l'usine, notamment pour le passage des véhicules d'un atelier à l'autre. Les caisses peintes doivent par exemple passer par un monte charge pour accéder à l'étage du montage. Ce procédé est un obstacle à la liberté offerte par la flexibilité du plan. En effet, même si le monte charge et les rails de transport de voitures peuvent être déplacés relativement facilement, l’inconvénient de cette méthode se trouve dans le plancher Belhoste Jean-François et Smith Paul, Patrimoine industriel, cinquante sites en France, Paris, Éditions du Patrimoine Centre Des Monuments Nationaux, « Images du patrimoine », 1997, p. 14 4 Ibid, p.14 3

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L'usine à étages, un frein à la flexibilité spatiale, Société des Usines Chausson, 1971 (Source : Archives départementales du Pas-de-Calais à Arras)

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en béton ponctuellement percé. Ces niveaux impliquent donc des adaptations de l'architecture qui pourrait être qualifiée de frein à cette volonté de flexibilité de l'espace usinier. De plus, les étages bas ont une hauteur sous plafond moins haute, rejetant la liberté d'installer tout type d'activité dans ces espaces. Par ailleurs, la superficie des volumes et leur forme rectangulaire ne permet pas à ces étages bas de recevoir de la lumière naturelle. Il faut quand même nuancer les critiques de ces usines sur plusieurs niveaux, en rappelant que les concepteurs permettent à ces complexes usiniers de limiter leur étalement et de densifier leurs interventions. Ainsi, des économies sont réalisées, que ça soit pour l'entretien et les coûts de fonctionnement de ces volumes, comme pour les délais et trajets effectués pour le bon fonctionnement de l'usine.

3.2.2 Des complexes industriels obsolètes ?

On peut se demander en quoi l'organisation du travail a influencé la forme de l'usine en elle-même. Jean-Louis Cohen nous présente les projets d'usine de l'architecte spécialiste dans le domaine, Albert Kahn dans ces années très productives de la Seconde Guerre Mondiale. 5 L'historien décrit alors l'architecture de Kahn de cette époque de troubles : « -La vision des bâtiments industriels formée par Kahn est assez claire : il s'agit de volumes d'un seul niveau à structure d'acier-puis de béton lorsque ce métal est affecté à la construction navale-, éclairés par le haut et les cotés, et dont les annexes-vestiaires, réfectoires, cafétérias, toilettessont placés en sous-sol pour ne pas empêcher son extension, et pour servir éventuellement d'abris. Kahn insiste aussi sur l'importance du regroupement de toute la production sous un seul toit... » Jean-Louis Cohen, Architecture en Uniforme6

5

- Cohen Jean-Louis, Architecture en uniforme, projeter et construire pour la seconde guerre mondiale, Editions Hazan, Paris, 2011 6 Ibid, p.95

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Comparaison de l'usine Toyota de Valenciennes implantée en 1980 et de l'usine George Besse de Douai implantée en 1970 -Deux formes distinctes : l'usine japonaise est un volume continue, offrant un continuum spatial nécessaire à sa méthode de production contre l'usine française dont la forme éclatée reflète cette organisation parcellisée « Tayloriste » du travail, avec la séparation de ces différents volumes (ateliers) (Sources : Toyota : www.techne-ingenierie.fr/portfolio/toyota-onnaing/ Renault :https://www.delcampe.net/fr/collections/ )

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L'auteur revient alors sur un projet de Kahn construit en 1942, le Chrysler Tank Arsenal de Waren Township dans le Michigan. Ce premier rappelle que l'édifice possède une forme filaire pour répondre au fait que les « différentes étapes de la production se déroulent selon un processus linéaire ».7 La chaîne de montage est alors « alimentée latéralement en composants »8, chaque extrémité étant dédiée à la réception de matière première d'un côté et la sortie de l'objet fini de l'autre. Albert Kahn applique donc la méthode de production à la chaîne Tayloriste et la forme même du bâtiment en découle. Les usines étudiées répondent à ces formes d'usine linéaire. Parfois, la forme rectangulaire semble se rééquilibrer vers le carré, mais ce n'est dû qu'aux extensions qui permettent d'adjoindre d'autres lignes de production. C'est par ailleurs aussi le cas pour la dimension de « parcellisation du travail en tâches simples ». En effet, ces complexes usiniers du corpus d'étude sont composés, dans tous les cas de figure, de plusieurs volumes. Initialement, chaque volume abritait sa propre fonction, son propre atelier (emboutissage-usinage-montage pour les deux usines qui produisent des composants et emboutissage-ferrage-montage pour celles qui permettent l'assemblage des voitures). Aujourd’hui, avec la situation économique et les stratégies de compactage, les ateliers peuvent être plus ou moins regroupés. Nous l'avons vu précédemment, ces usines ont, depuis les années 1980, intégré certaines leçons du toyotisme. En ces temps économiques moins favorables, les géants de l'automobile française affirment la volonté de travailler en flux-tendus. Cependant, ces méthodes de production impliquent pour les ouvriers de s'attacher à plusieurs étapes de la production, à décloisonner finalement leurs tâches pour mener à bien la production en équipe d'une succession d'étapes de production. Pour comprendre, Je me suis intéressé à la forme des volumes des usines Toyota, notamment celle de Valenciennes. 7 Ibid, p.89 8 Ibid, p.89

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On peut ainsi voir que les différents ateliers sont regroupés et accolés, formant presqu’un seul et même volume. Il n'y a pas de voies de circulation entre les usines, ce qui spatialement permet cette réelle communication entre les différents ateliers et le passage, en équipe, d'une tâche à une autre. Par conséquent, on peut se demander si les usines de ce corpus d’étude sont capables d'accueillir ces méthodes nippones, connues pour leur grande rentabilité. Cette parcellisation des volumes est par ailleurs préjudiciable à cette volonté de flexibilité car elle ne permet pas de réorganiser l'espace de production selon les méthodes nippones, et les ateliers restent finalement enfermés dans leur fonction.

Certains espaces sont donc particulièrement adaptés à la phase de fabrication qui s'y développe, impliquant des espaces spécifiques finalement contradictoires avec cette dimension de flexibilité spatiale. La répartition des volumes et leur parcellisation semble aussi un frein quant aux possibilités de changer de méthode de production pour s'éloigner du taylorisme, moins rentable à notre époque. Néanmoins, la phase de compactage permet un premier pas de décloisonnement des ateliers de ces unités de production. Ces usines connaissent donc une certaine limite dans la capacité flexible et évolutive de leur espace de production. On peut alors se demander si ce morcellement des ateliers aura raison de la pérennité de ces édifices.

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