PAIN
Adriano Farano
POUR UN QUI FAIT DU BIEN ! Comment l’industrialisation a-t-elle empoisonné notre pain ? Pourquoi le pain est-il devenu un problème de santé publique ? Comment lui redonner la place qu’il mérite dans notre alimentation ? Il y a trois ans, Adriano Farano est parti à la recherche du pain. Pas du pain « mutant » dopé et dangereux pour la santé, non, du véritable pain, celui qui fait du bien, ce mélange simple et parfait de farine-eau-levain que l’homme partage et vénère depuis le Néolithique. Il nous livre son enquête qui remonte le fil de l’histoire, de la cueillette à l’éprouvette, et navigue dans les eaux troubles de l’industrie agroalimentaire et des pratiques boulangères « modernes ». Il dessine aussi, en vingt propositions concrètes, les contours du pain de demain, un pain bon pour l’homme et bon pour la planète. Ancien journaliste, Adriano Farano est le fondateur de Pane Vivo, une boulangerie naturelle à Paris.
X-20 00 € ISBN : 978-2-8126-2113-0 www.lerouergue.com
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Adriano Farano
Création graphique de couverture et illustrations : Atelier Zemonsta - Audrey Abbal-Duteille (avec la participation de Serena Pavoni pour la page 63) Graphisme et maquette : Cédric Cailhol Photographie de quatrième de couverture : © Bruno Démelin © Éditions du Rouergue, 2020 www.lerouergue.com
Adriano Farano
À mes enfants Lorenzo, Chiara et Luca qui ont su rallumer en moi l’étincelle de la vie. Pour qu’ils sachent la garder au fond d’eux-mêmes et la léguer aux générations à venir.
Avant-propos Elle avait été catégorique avec sa tirade anti-gluten. Ma réponse ne le fut pas moins : « Ma che dici ! Vraiment ? Tu veux dire : • plus de tagliatelle au ragù qui mijote le dimanche ; • ni de spaghetti aux vongole veraci cuites vivantes, Chez Zaccaria à Amalfi ; • plus de pizza aux fleurs de courgette et anchois, cuite au feu de bois dans mon four en argile ; • ni de bruschetta aux tomates du Vésuve qu’on laisse mûrir, accrochées à un mur, suspendues, jusqu’à ce qu’on meure d’envie de les manger ; • fini ce parfum enivrant de ma madeleine de Proust à moi : cette treccia, brioche tressée que j’allais chercher tous les matins à la « Boulangerie », un lieu magique de ma ville natale, Cava, près de Naples, au nom pourtant bien français ; • et bien sûr, plus de profiteroles fourrées à la crème pâtissière parfumée aux zestes de citrons de Sorrente enveloppées dans une voluptueuse crème de limoncello ; 9
ou alors plus de babbà, ce baba au rhum, que les monzù, ces « messieurs » cuisiniers venus de France au XIX e siècle, concoctaient pour leurs maîtres napolitains : tellement succulent que les Napolitains n’hésitent pas à emprunter ce même mot pour nommer leur chéri(e) : « tu es un baba » ! • plus de grosses miches de pain au levain non plus, préparées avec de la semoule de blé dur : une véritable tradition dans les villages du sud de l’Italie, avec leur croûte épaisse, pouvant se garder plusieurs semaines ; • plus de… pain, tout simplement : ce pilier de notre civilisation méditerranéenne, mais aussi de la chrétienté, et bien sûr de tout régime politique européen : du panem et circenses des Romains au pain, ou plutôt à son manque, qui provoqua les émeutes de la Bastille en 1789. » •
Je refermai les pointes des doigts de ma main droite vers le haut que j’agitai ensuite dans une gesticulation * qui exprimait ma réaction, à la fois étonnée et contrariée. Non, en tant qu’Italien, je ne pouvais pas me résigner au « sans gluten ». Je ne pouvais pas basculer du côté obscur de la force boulangère, au risque d’être sans doute déchu de ma nationalité. C’était en 2016 : l’annus horribilis de l’entrée de Donald Trump à la Maison-Blanche. Mais également une année charnière pour moi et ma famille puisque nous nous apprêtions à accueillir notre troisième enfant, à l’hôpital de Stanford, dans cette Silicon Valley où nous habitions depuis six ans déjà. * Il faut dire que je maîtrisais le sujet… En 2020, ma proposition visant à en faire un emoji avait été approuvée. Voir https://www.unicode.org/L2/L2019/19159pinched-fingers-emoji.pdf. 10
Cette amie me conseillait d’éliminer le gluten en réponse à mon désir d’améliorer le régime alimentaire de notre famille, fraîchement élargie, dans un pays où le bien manger est loin d’être une évidence. Peu sensible à mes arguments patriotico-gastronomiques, elle m’encourageait à me pencher sur la question. Après tout, si on avait laissé Paris pour Stanford, c’était parce que j’avais gagné une bourse de recherche en journalisme en 2010 grâce à Café Babel, un média fondé dix ans plus tôt après des passages au Figaro, au Courrier International et à Radio France. Au fil de lectures et de rencontres passionnantes, je découvre alors que le problème est immense : la vaste majorité du pain que nous achetons dans nos boulangeries, y compris en France, est complètement néfaste pour la santé humaine : • les blés sont issus de variétés modernes, fruits d’un processus d’hybridation génétique dont le but ultime est une plus grande rentabilité ; • les farines sont devenues blanches et raffinées ; • l’emprise de la levure industrielle sur la fermentation du pain est presque totale. Non, le problème n’est pas le gluten, mais plutôt la manière dont l’industrie agroalimentaire a bouleversé la filière blé-farine-pain. Je décide alors d’approfondir mon enquête et… de mettre la main à la pâte ! Une pâte qui, loin des écrans tactiles auxquels j’étais habitué, levait, sous mes doigts, à la suite du mariage de trois ingrédients : • eau ; • sel ; • farine… 11
… Oui, mais pas n’importe laquelle : une farine de blés anciens, une farine qui donne lieu à un pain au gluten enfin digeste et qui est même en mesure de renforcer notre système immunitaire au lieu de le compromettre. Au fil du temps (très long !) de la fermentation, je perçais mon propre voile d’ignorance non sans difficulté, le sujet étant plutôt absent des médias traditionnels et surtout des médias sociaux où triomphent toujours ces miches alvéolées qui trahissent l’utilisation de farines indigestes et pourtant bien « instagrammables ». L’esthétique et le goût : voilà les obsessions de la boulangerie moderne, sans se soucier ni de notre santé ni de celle de notre planète. Frustré par ce statu quo, je fonde alors Pane Vivo. Le but ? Fabriquer un pain qui fait du bien au palais, bien sûr, mais également à la biodiversité et à notre organisme. Pour comprendre ce vaste sujet qu’est le pain, il faut d’abord se plonger dans son histoire, de la cueillette du blé sauvage à l’éprouvette des laboratoires génétiques modernes. Comment Homo sapiens avait-il pu bouleverser l’intégrité génétique du blé après l’avoir domestiqué – voire vénéré sous plusieurs formes – il y a 10 000 ans ? En cause, les mécanismes modernes d’appauvrissement de nos régimes alimentaires en amont de la filière, dans les champs de blé, et, en aval, des pratiques boulangères opaques et souvent contestables. Il faut ensuite saisir l’urgence d’un problème de santé publique : 99 % du pain qui sort, tous les jours, du four de près de 30 000 soi-disant « artisans » boulangers en France est un pain au gluten indigeste, à l’indice glycémique stratosphérique, trop salé et dopé aux additifs. Cette enquête m’a mené beaucoup plus loin que je ne l’imaginais. Trois ans à chercher des réponses à mes 12
questions, puis à passer à l’acte en suivant un chemin sensoriel d’abord, entrepreneurial ensuite et scientifique enfin, qui m’a conduit à esquisser les contours du pain du futur. C’est ce chemin que j’ai eu envie de partager ici. Tout au long de ce livre, je me servirai d’études scientifiques, d’interviews exclusives, voire d’analyses microbiologiques, pour démontrer qu’il est urgent de changer de pain si nous voulons changer de monde. Bien sûr, il s’agit d’une critique virulente du pain moderne, mais également d’un plaidoyer pour un pain qui fait du bien. Comme le dit si bien Carlo Petrini, fondateur du mouvement Slow Food : « Manger est un acte politique ! » Et à l’heure du changement climatique et des pandémies, il est urgent que nous, humains, consommateurs et citoyens, nous nous réconciliions avec notre planète, que nous nous intéressions de très près à l’air que l’on respire, à l’eau que l’on boit et… au pain que l’on mange ! L’équilibre de la nature n’est pas seulement compatible avec celui de notre santé ; il en est indissociable. Il incombe alors au pain, cet aliment si essentiel et central dans l’histoire de l’humanité, de montrer la voie.