UN Rapport Room 2015

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TABLE DES MATIERES PREFACE ACCRONYMES I.

RESUME SOMMAIRE

II. 2.1. 2.1.1. 2.1.2.

INTRODUCTION Contexte du projet Contexte social Cadre juridique international et régional relatif à la protection des droits l’homme en période électoral 2.1.3. Contexte juridique interne 2.2. Méthodologie d’élaboration du rapport III. 4.1 4.2 4.3

APPELS ENREGISTRÉS Nombres et provenances Profil des sources Profil des victimes

IV.

VIOLATIONS ALLEGUEES ET ANALYSE DES CAUSES

5.1 5.2

Droit civil et Politique Droit économiques sociaux et culturels

V.

ACTIONS ENTREPRISES PAR L’OFFICE

VI.

CONTRAINTES ET DEFIS RENCONTRES

VII.

RECOMMANDATIONS ANNEXES

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PREFACE Il est désormais classique dans la gestion des conflits de mettre en relation l’alerte et la réponse précoces à travers divers mécanismes dont l’efficacité dépend assez souvent du profil, des capacités et de la volonté des institutions qui les mettent en place. Dans le domaine des droits de l’homme, il en va de même tant au niveau domestique qu’au niveau international. Plusieurs réseaux de collecte et de partage d’information se relaient pour exposer les méfaits et atteintes aux droits de l’homme qu’autrement l’ignorance et l’indifférence auraient pérennisés. Durant cette dernière décennie, l’usage des technologies de l’information et de la communication ont élargis les possibilités d’alerte et de réponses précoces aux violations massives des droits de l’homme, notamment avec l’introduction et l’utilisation innovante des réseaux sociaux. Dans le même ordre d’idée, la surveillance des élections selon les prismes des droits de l’homme a donné cours à l’émergence des centres d’analyse de la situation des droits de l’homme autrement connus sous le vocable anglais de ‘Situation Room’. Ailleurs sur le continent, la mise en place de ces centres est le résultat des efforts de réseautage des organisations de la société civile, appuyés dans certains cas financièrement ou techniquement par les entités onusiennes ou d’autres partenaires bi- ou multilatéraux. Au Burundi, l’Office du Haut-commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme a été proactif en établissant un centre d’analyse de la situation des droits de l’homme dès les premières heures de la crise électorale à la fin avril 2015. Ce centre était équipé de trois lignes vertes comme canal fiable de communication en kirundi, anglais et français. Il continue à fonctionner jusque maintenant même si le rythme a considérablement baissé. Cette réponse était nécessaire surtout pour les victimes des violences électorales dans un contexte marqué par la propension de rumeurs diverses consécutives à la fermeture de plusieurs media privés et l’exode massif de plusieurs défenseurs des droits de l’homme et journalistes vers l’extérieur, par crainte pour leur vie. Ce rapport d’activité en précise la logique, le mode de fonctionnement, l’impact et en relate les principales leçons. Ce rapport s’inscrit dans la série Partage de Bonnes Pratiques que l’Office initie sur divers aspects de son travail avec comme objectif capitaliser et enrichir la pratique des droits de l’homme sur le terrain à travers des expériences réellement vécues dans des contextes souvent difficiles. Je n’ai aucun doute qu’il ne manquera pas d’intéresser à la fois les organisations de la société civile, les institutions nationales des droits de l’homme de même que les entités onusiennes qui ont pour mandat la contribution à la protection et à la promotion des droits de l’homme au plan national.

Dr Patrice VAHARD Représentant 5


ACRONYMES CCT :

Convention Contre la Torture

CDE :

Convention sur les droits de l’enfant

CEDEF : Convention pour l’Elimination de toute forme de Discrimination à l’Egard de la femme

CINDH : Commission Indépendante Nationale des Droits de l’Homme

C.P :

Code Pénal

C.P.P :

Code de Procédure pénale

DESC :

Droits Economiques Sociaux et Culturels

OHCDH : Office du Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme

ODH : Officiers des droits de l’homme OSC : Organisation de la Société Civile PIDCP : Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques PIDESC : Pacte International relatif aux Droits Economiques Sociaux et Culturels Femme

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SNR :

Service National de Renseignements

SNU :

Système des Nations Unies


I. RÉSUMÉ SOMMAIRE L’élaboration du présent rapport est consécutive à la mise en place d’une cellule situationnelle dénommée «Situation Room» par l’Office du Haut-Commissariat aux droits de l’homme au Burundi, suite aux violences pré-électorales déclenchées par l’annonce de la candidature du président sortant à un troisième mandat. Cette initiative est inspirée d’une bonne pratique des organisations de la société-civile souvent appuyées par le Système des Nations Unies (SNU) et qui, pour accompagner le processus électoral et prévenir la dégradation du climat sociopolitique et sécuritaire, mettent en place un système allégé et accessible de collecte d’informations sur les risques de violences constatés sur le terrain. La collecte de ces informations permet de prévenir ou de résoudre les conflits électoraux et éviter leurs conséquences dramatiques en termes d’insécurité et de violations des droits de l’homme. Le but étant de mettre en place un mécanisme d’alerte précoce et de réponse rapide concernant les troubles éventuels ou autres formes de violences susceptibles d’intervenir à l’échelon national. Pour rendre fonctionnel ce mécanisme, l’Office a mis en place un dispositif comprenant une salle, des ordinateurs, deux numéros verts : un en français et anglais et un autre en Kiswahili et Kirundi1. Ces lignes ont permis aux populations d’alerter l’Office sur des violences ou risques de violence ainsi que des violations des droits de l’homme constatées sur le terrain. Dans l’idéal, le mécanisme devait comprendre outre la salle de veille où sont reçus les appels, - Un Groupe de Contact composé d’éminentes personnalités pour la médiation et la diplomatie préventive auprès des autorités, mais également - Un Groupe de Pression pour la sensibilisation et la mobilisation pour la paix et le respect de l’Etat de droit Cependant compte tenu du contexte et de la dégradation rapide du climat sociopolitique, ces groupes n’ont pu être mis en place. L’Office a trouvé une autre stratégie consistant à s’appuyer sur le groupe de monitoring chargé du suivi des cas de violation des droits de l’homme sur le terrain sur la base des rapports journaliers et hebdomadaires produits à travers les appels reçus. Par ailleurs, le Représentant et Directeur de l’Office, sur la base de ces rapports, a tenté de jouer à la médiation et à la diplomatie préventive en alertant et en sensibilisant les autorités, à chaque fois que l’occasion s’était présentée. Les informations recueillies ont permis d’élaborer le présent rapport qui relate les violences et violations des droits de l’homme ayant émaillé tout le processus électoral, (avant, pendant et après les élections) entrainant ainsi un climat d’insécurité qui se poursuit jusqu’aujourd’hui. 1

Langue locale du Burundi

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Le rapport est basé sur le recueil des informations reçues dans la Situation Room de la Mi-Mai jusqu’en fin Septembre 2015, mais également du suivi des cas effectué pendant cette période, même si les informations y relatives ont été reçues avant la mise en place de la Situation Room. Le rapport souligne que les principales violations alléguées sont relatives à des arrestations arbitraires, des exécutions sommaires et des cas de torture. Des atteintes à la liberté d’expression et à la liberté de circuler ont été également constatées. L’analyse des causes de ces violations montre que dans bien des cas les victimes appartiennent à des parties de l’opposition ou sont membres de la société civile. Il a été également noté des menaces portées sur des journalistes dans un contexte où la presse privée était interdite d’exercer. Les auteurs présumés de ces violations, selon les sources, sont principalement des jeunes partisans du pouvoir dénommés « imbonerakure2 » en premier lieu, suivi des policiers et de militaires dans de rares cas. Il a été rapporté également des actes de violence perpétrés par les populations sur des policiers et des imbonerakure3. Il est ressorti de l’analyse des informations reçues que les violences touchent principalement les quartiers défavorisés. Un modus operandi consistant à la coupure de l’électricité dans des zones où de graves violations des droit de l’homme ont eu lieu (assassinat ciblé, enlèvement) a été relevé. Le rapport conclut qu’une répression sévère et un usage abusif et excessif de la force publique a exacerbé les violences et rendu délétère le climat sécuritaire, ce qui a donné lieu à de graves violations des droits de l’homme. La Situation Room a reçu plusieurs appels alléguant de l’utilisation de balles réelles par des forces de défense et de sécurité pour réprimer les manifestations. Ceci a été corroboré par les conclusions de l’équipe de monitoring qui a constaté sur le terrain, notamment dans les hôpitaux, plusieurs cas de personnes blessées par balles. Le rapport recommande principalement : • Le respect de la loi et des règles de droit notamment dans la répression des manifestations ; • Le respect de la liberté d’expression et de mouvement selon les règles établies ; • La poursuite et la répression des auteurs de violations des droits de l’homme quel que soit leur appartenance professionnelle ou partisane pour lutter contre l’impunité.

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Mot qui signifie en Kirundi (langue locale) qui « qui voit très loin »

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Voir nombre d’appels reçu selon la Zone


II. CONTEXTE Le présent rapport est élaboré suite à un monitoring des droits de l’homme effectué par le bureau dans le cadre du processus électoral au Burundi à travers une cellule d’analyse appelée Situation Room. Cette initiative a été prise dans un contexte de crise où la tension politique était à son paroxysme entrainant ainsi de sérieux défis sécuritaires et de protection des droits de l’homme. L’objectif de cette initiative était, d’une part, de répondre aux sollicitations de plus en plus nombreuses des populations suite à la fermeture des media privés qui constituaient un canal de transmission de leurs préoccupations et messages et, d’autre part, de contribuer à l’apaisement du climat social par la prévention des violations des droits de l’homme dans la mesure du possible et le rapportage des violations à un niveau de décision. Outre ce mécanisme, le bureau, conformément à son mandat a mené parallèlement et continue d’ailleurs de mener, jusqu’à présent, ses activités de monitoring de manière plus large durant tout le processus électoral. Les fruits de ce travail sont consignés dans un rapport intérimaire qui reflète de manière globale toutes les actions entreprises par le bureau. Le présent rapport ne représente, par conséquent, qu’une partie du travail important que le bureau a effectué durant tout le processus électoral.

2.1.

Contexte socio-politique

2.1.1. Le Débat sur le 3ème mandat Dès janvier 2015, la problématique autour du troisième mandat du Président Pierre Nkurunziza a monopolisé le débat et généré des tensions politiques au Burundi entre, d’une part, ceux qui en étaient contre (composé majoritairement des membres des partis de l’opposition, l’Eglise catholique, et plus de 300 organisations de la société civile, ainsi que plusieurs dissidents au sein du parti au pouvoir CNDD-FDD) et, d’autre part, ceux qui en étaient favorables (notamment les membres du Gouvernement, le parti au pouvoir et ses anciens partenaires) Ceux qui étaient opposés au troisième mandat accusaient le président Nkurunziza de vouloir délibérément violer la Constitution et les accords d’Arusha signés en 2000 et qui ont mis fin à une guerre civile. Ces accords mentionnent clairement le nombre de mandat à briguer pour un président. Ceux qui étaient pour un troisième mandat interprétaient la Constitution et les Accords d’Arusha comme des textes permettant à Pierre Nkurunziza de se représenter pour une autre période de 5 ans, au motif qu’il n’avait pas été élu au suffrage universel pour son premier mandat.

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Le 05 mai 2015, la Cour constitutionnelle se prononça en faveur d’une possibilité de troisième mandat de Pierre Nkurunziza. Une décision vivement contestée. Le vice-président de la Cour qui était contre cette décision quitta le pays après des allégations de menaces de mort. 2.1.2. La violence pré-électorale et l’absence de dialogue politique La violence préélectorale a été amorcée le 26 avril 2015 avec la désignation de Pierre Nkurunziza comme candidat du part CNDD-FDD aux élections présidentielles. Cette décision conduisit à des protestations massives à Bujumbura et dans certaines provinces de l’intérieur du pays. Le 27 avril 2015, une manifestation jugée illégale par le gouvernement a été dispersée par la police utilisant des gaz lacrymogène, des citernes à eau et même des balles réelles. Les manifestants ont barré les routes avec des pneus brulés et des pierres dans certains endroits. Plus de 150 personnes ont été arrêtées et transférées au Commissariat Municipal, puis à la prison de Muramviya accusées de participation aux mouvements insurrectionnels, de rébellion à l’autorité publique, d’attaques à mains armées et de détention illégale d’armes. Malgré cela, les manifestations se sont poursuivies dans quelques quartiers de Bujumbura notamment à Musaga, Cibitoke, Mutakura, Ngagara, Nyakabiga etc. Les 13 et 14 Mai 2015, après la tentative de coup d’Etat manqué, alors que Pierre Nkurunziza participait à un sommet des chefs d’Etat des pays de la Communauté Est Africaine à Dar-Es-Salaam en Tanzanie, les affrontements ont repris de plus belle entrainant un climat d’insécurité dans tout le pays. De violents combats éclatèrent le 14 mai 2015 dans les alentours de la station de la radiotélévision nationale après un échec des négociations entre les militaires loyaux aux présidents et les leaders de la mutinerie. Les principales stations des radios privées furent attaquées en ce moment et détruites par des personnes non identifiées. Les manifestants ont également incendiés des véhicules et détruits des biens. Pendant cette période, des allégations d’assassinats ciblés et des menaces de mort perpétrés par des forces de l’ordre et des Imbonerakure été rapportés. Beaucoup d’autres personnes surtout des membres des partis de l’opposition, des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme prirent la fuite. Quelques organisations internationales et des missions diplomatiques présentes au Burundi décidèrent de rapatrier leur personnel non essentiel. En dépit d’une insécurité généralisée dans le pays et des appels pour le report des élections, le gouvernement décida de continuer seul avec les partis de sa mouvance selon le calendrier électoral proposé par la Commission Nationale

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Electorale Indépendante (CENI). Le 29 juin 2015, des élections législatives couplées aux élections communales, boycottées par presque toute l’opposition, ont eu lieu sous une grande présence des forces de sécurité dans les rues et dans les centres de vote. De nombreux coup de feu et détonations ont retentis dans la capitale à la veille de cette journée. Le 21 juillet 2015, les élections présidentielles ont suivi dans une atmosphère de sécurité éphémère, où des coups de feu et des explosions de grenades se faisaient entendre. Selon les résultats proclamés, Pierre Nkurunziza remporte les élections avec 69,44% des voix et son opposant principal, Agaton Rwasa, récolte 18,99% des voix. La tenue de ces élections n’a fait qu’accroitre la crise au Burundi, même si un calme précaire semblait régner pendant ces élections. Une série d’assassinats ciblés et des attaques sur les stations de police et dans les camps militaires ont été documentés. Avec l’arrêt des manifestations dû à un déploiement massif de la police et le bouclage des quartiers, la police et le SNR ont continué à faire une chasse aux personnes opposées au troisième mandat, en particulier ceux qui avaient pris part aux manifestations. Cependant, le camp du pouvoir n’a pas été épargné avec l’assassinat par des hommes armés non identifiés de certains membres du parti au pouvoir, mais également de policiers, des agents du SNR et des Imbonerakure. Les violences et violations des droits humains ont persisté, installant ainsi un climat de peur et une suspicion généralisée dans un Etat qui se remettait progressivement sur ses pieds après plusieurs années de crise. Le Pays s’était, en effet, inscrit dans la consolidation de l’Etat de droit en mettant en place un important arsenal juridique de promotion et de protection des droits de l’homme à travers l’adhésion aux principaux instruments juridiques internationaux et régionaux, mais également en mettant en place un cadre juridique interne et institutionnel conforme aux standards internationaux et régionaux.

2.2. Le Cadre Juridique et Institutionnel de promotion et de protection des droits de l’homme 2.2.1. Les Instruments Juridiques Internationaux et Régionaux signés et ratifiés par le Burundi Au Niveau International : Le Burundi, a ratifié ou adhéré aux sept principaux instruments juridiques internationaux des droits de l’homme notamment la Pacte International sur les Droits Civils et Politiques (PIDCP), le Pacte International sur les droits Economiques Sociaux et Culturels (PIDESC), la Convention sur

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l’Elimination de toutes les formes de Discrimination Raciale (CDR), la Convention Contre la Torture (CCT) et son Protocole y relatif, la Convention sur l’Elimination de toutes formes de Discrimination à l’égard des Femmes (CEDEF) , la Convention relative aux Droits de l’Enfant (CDE) et ses deux protocoles y relatifs, la Convention sur les Droits des Personnes Handicapées (CDPH) et son Protocol additionnel. En outre, le Burundi fait partie du statut de Rome instituant la Cour Pénale Internationale et la convention sur la Prévention et la Répression du Crime de Génocide. Le Burundi a également ratifié le deuxième protocole optionnel de la Convention contre la torture mais n’a a pas encore établit le Mécanisme National de Prévention (MNP). Au Niveau Régional : le Burundi a adhéré à la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples, à la Charte Africaine sur les droits et le Bien-être de l’Enfant et au protocole relative à la charte africaine sur les droits de l’homme et des peuples pour la mise en place de la Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples 2.2.2.

Le Cadre Juridique et Institutionnel Interne

Au plan législatif : La Constitution du Burundi adoptée le 28 février 2015 contient des dispositions relatives aux droits de l’homme (chapitre I, de l’article 19 au 61) notamment - Art.21 (droit à la dignité), Art.22 (consacre la non-discrimination et l’égalité de tous devant la loi ) , Art.23 – (la protection contre l’arbitraire), art.24 (droit à la vie) ; art.25( la liberté physique et psychologique des personnes et la protection contre la torture ; art.26 (l’asservissement) ; art.31(la liberté d’expression, de pensée, de religion et d’opinion); art.32(la liberté de rassemblement et d’association) et art.33 (la liberté de mouvement). En outre, l’article 19 de la Constitution stipule que “les droits et libertés proclamés et garantis notamment par la Déclaration universelle des droits de l’homme, les conventions internationales sur les droits de l’homme, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et la Convention relative aux droits de l’enfant font partie intégrante de la Constitution du Burundi. Ces droits fondamentaux ne pourraient être objet de restriction ou de dérogation, sauf dans certaines circonstances justifiées par l’intérêt général visant la protection d’un droit fondamental. Durant ces dernières années, le Burundi a fait un effort pour harmoniser sa législation avec ses obligations internationales. En particulier, le Burundi a amendé sa législation, y compris le Code pénal et le Code de Procédure pénale pour définir le crime de torture et en établir les sanctions correspondantes, ériger en infraction les violences domestiques, le viol, le

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harcèlement sexuel, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide. Le Burundi a par ailleurs abolit la peine de mort en 2009, mais il n’a pas encore ratifié le second protocole relative au PIDCP visant l’abolition de la peine de mort. Les droits de l’homme sont également protégés durant les processus électoral. En effet, le Code électoral adopté par acte no .1/20 du 03 juin 2009 garantit la liberté d’expression, art.26 ; la liberté de rassemblement qui a été soumise à la condition de simple déclaration, art.29, le droit à l’information et la liberté d’utiliser des media durant la compagne électoral, art.31 et l’interdiction des discours véhiculant la haine durant les compagnes électorales. Comme mesure politique, le Burundi a récemment formulé une politique nationale de droits de l’homme et un plan d’action y relatif. Au plan Institutionnel : En 2011, par l’acte no 1/04 du 05 janvier 2011, le Burundi a créé une nouvelle Institution Nationale des Droits de l’Homme, conformément aux standards internationaux. La CINDH a été dotée du mandat de protection et de promotion des droits de l’homme. Elle porte à l’attention du Gouvernement tous les cas de violations observées pour que des mesures correctives soient prises. Le Bureau de l’Ombudsman a été créé par l’acte no 1/03 du 25 janvier 2010. L’Ombudsman est mandaté pour conduire une médiation entre l’administration et les citoyens. Il reçoit des plaintes venant des individus en rapport avec les violations des droits de l’homme commises par les agents des services publiques officiels, ceux du système judiciaire, ceux de l’administration locale et d’autres individus investis d’un mandat public. La Commission Vérité et Réconciliation a été instituée par acte no1/18 du 15 mai 2014. Il a été mandaté pour enquêter sur de graves violations de droits de l’homme survenus entre 1962 et décembre 2008, en établir les responsabilités individuelles et celles de l’Etat ainsi que ceux des groupes individualisés et faire, enfin, des propositions sur un programme de réparation pour les victimes. Toutefois, il est à noter que le plein fonctionnement de cette Commission est entravé par l’adoption de la loi sur la protection des victimes et des témoins qui tarde encore à être adoptée. Cependant malgré tout cet arsenal juridique et institutionnel en faveur de la protection et de la promotion des droits de l’homme, de graves violations ont émaillé tout le processus électoral, d’où l’intérêt du présent rapport.

2.3. Méthodologie utilisée et Objet du rapport En vue de l’élaboration du présent rapport, l’OHCDH-Burundi, à travers la Situation Room, a documenté 804 appels pendant la période du 18 Mai au

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30 septembre 2015 dont 500 dans la semaine du 17 mai. La Situation Room est constituée d’une salle de veille où sont installés des téléphones avec les numéros verts. Ces numéros sont gérés par deux fonctionnaires chargés de répondre aux appels, du lundi au vendredi de 7h30 à 17h, en Kirundi et Kiswahili en français et en anglais. Après avoir répondu à l’appel et posé un certain nombre de questions consignées dans une check-list, les responsables des numéros verts remplissent, pour chaque appel, une fiche de renseignement4 mise à leur disposition à cet effet. A la fin de la journée, la coordonnatrice dresse un rapport journalier sur la base de ces fiches et rend compte au chef de l’Unité Monitoring et Reporting du bureau. Pour le suivi des cas, l’équipe de la Situation Room travaille en étroite collaboration avec l’équipe de monitoring chargée de faire le suivi des cas sur le terrain en se rendant sur les lieux de commission des actes de violence, les centres de détentions et les lieux de prise en charge comme les hôpitaux. Le mécanisme est supervisé par le Chef de l’Unité Monitoring et Reporting qui donne des orientations à l’équipe de monitoring sur la base des rapports de la salle de veille. Lors des entretiens aussi bien téléphoniques que sur le terrain, le principe fondamental de confidentialité est respecté. Chaque entretien a permis d’élaborer une fiche de renseignement portant sur l’identité des personnes, sous réserve de leur consentement (Nom, âge, adresse, sexe, profession) la cause de l’appel, le lieu de l’incident, l’identité de la /des victimes, les auteurs présumés, la violation alléguée5. Les cas urgents sont communiqués immédiatement au Chef de l’Unité Monitoring et Reporting et à l’équipe qui est sur le terrain pour suivi, tandis que les cas provenant des régions sont référés aux bureaux régionaux qui en font le suivi. Toutes les semaines, un rapport hebdomadaire rend compte des appels enregistrés avec une analyse sur les violations alléguées, le profil des sources, le suivi effectué ainsi que les recommandations. L’objet du présent rapport est, à travers une bonne pratique expérimentée par l’Office, de partager les constats et analyses faits par le bureau sur la situation des droits de l’homme durant le processus électoral et de formuler des recommandations à l’endroit des divers acteurs.

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Voir la fiche en annexe

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En annexe une fiche de renseignement

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III - APPELS ENREGISTRÉS ET ANALYSE DE LA SITUATION SECURITAIRE Pendant la période rapportée, la Situation Room a reçu environ 804 appels provenant de diverses localités du pays, dont près de 500 dans la semaine du 18 au 29 mai. Cette période a été caractérisée par des moments de forte sollicitation, compte tenu de l’ampleur des manifestations et la force de la riposte à un moment où la presse était interdite d’exercer. Le bureau était tellement submergé par les appels qu’il était même impossible au personnel qui recevait les informations de remplir les fiches de renseignement avec des détails précis. Ce qui explique l’absence d’un tableau détaillé pour cette période. Néanmoins, ces appels ont été pris en compte dans le tableau dessous.

3.1. Nombre et Provenance des appels Un compte rendu global du nombre d’appels pendant la période rapportée ne rendrait pas compte fidèlement de la situation sécuritaire selon les périodes, d’où l’option de procéder par un rapportage hebdomadaire pouvant permettre d’avoir une analyse exacte de la situation selon chaque étape. Le tableau et les graphiques ci-dessous montrent les tendances selon la période et la localité.

Tableau 1- Appels enregistrés pendant la période du 18 juin au 31 septembre

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3.1.1 Nombre et provenance des appels pendant la semaine du 25 au 29 Mai 2015 La Situation Room a totalisé plus de 109 appels durant la semaine du 25 au 29 Mai 2015 qui a été sa première semaine de fonctionnement. Durant cette semaine, la situation sécuritaire a été marquée par les faits suivants : • La persistance des manifestations dans la quasi-totalité des quartiers de Bujumbura, marquées parfois par des actes de vandalisme comme le barrage des routes et l’incendie des véhicules. • Des actes de violences perpétrées par la police et les Imbonerakure qui tiraient des balles réelles sur les gens dans les rues des quartiers de Bujumbura et projetaient des bombes à gaz lacrymogène dans le but de dissuader les manifestants. Ces actes ont été accompagnés des cas d’assassinats, de destruction de biens et des maisons ainsi que des cas de maltraitance des populations civiles. • Des cas d’intimidation et de harcèlement des membres des partis de l’opposition notamment les partisans du FNL de Rwasa Agathon ont été rapportés dans les provinces de Bujumbura rurale et Gitega. Les appels relatant ces faits viennent essentiellement des localités dessous : • Mairie de Bujumbura, notamment les quartiers de Kanyosha, Nyakabiga, Musaga, Buyenzi, Kinindo Kinama, Buterere et Cibitoke ainsi qu’au marché communément appelé « Chez Sion ». • Autres provinces, dans les communes de Matana et Mugamba en province de Bururi, Mubimbi et Mutambu en province de Bujumbura rural, Bukirasazi en province de Gitega et la commune de Ruhororo en province de Ngozi.

Tableau 2 - Appels de la semaine du 25 au 29 Mai 2015

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3.1.2 Nombre et provenance des appels enregistrés dans la semaine du 1er au 7 juin Durant cette période, la situation sécuritaire a connu une amélioration relative par rapport à la période précédente. Les manifestations ont semblé avoir été étouffées par de fortes mesures de répressions par la police. En outre, les conclusions du sommet des chefs d’Etats de la EAC6 en date du 31 mai 2015 à Dar-Es-Salaam demandant le report des élections d’au moins un mois et demi et donnant la possibilité d’un dialogue politique entre les parties prenantes au conflit, ont contribué à l’apaisement du climat socio-politique. Toutefois, des allégations de violations des droits de l’homme ont été rapportées à la Situation Room à travers les numéros verts. La salle de veille a ainsi enregistré 43 appels, dont 32 provenant de Bujumbura Mairie notamment de Kanyosha et Nyakabiga et les 11 autres dans les différentes provinces dont Bururi et Gitéga. Tableau 3 - Appels de la semaine du 1er au 7 juin 2015

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East African Community

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3.1.3. Nombre et provenance des appels enregistrés dans la semaine du 08 au 14 juin Durant cette période, la situation sécuritaire a encore connu une amélioration par rapport à la période précédente. Une diminution apparente des manifestations dans la capitale a été notée non pas parce qu’il y’ avait un apaisement social mais surtout à cause d’un important déploiement des forces de l’ordre dans les quartiers de Bujumbura pour étouffer ces mouvements dans l’œuf. Cela pourrait expliquer le fait que la «Situation Room» ait reçu plus d’appels en provenance des provinces de l’intérieur que des différents quartiers de Bujumbura. Sur 31 appels enregistrés, seuls 14 provenaient de la mairie de Bujumbura. Toutefois, un climat de suspicion et de méfiance latent continuait de régner.

Tableau 4 : Appels de la semaine du 08 au 14 juin Les appels enregistrés sont au nombre de 31 et provenaient essentiellement des endroits suivants :

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3.1.4. Nombre et provenance des appels enregistrés dans la semaine du 15 au 19 juin 2015 Durant cette semaine, il a été constaté que le nombre d’appels reçus par la Situation Room diminuait progressivement et considérablement, et certains appels revenaient sur des cas déjà relatés. Ce qui montrait que la situation sécuritaire s’améliorait en termes d’arrêt des confrontations dû toujours à la présence massive des forces de l’ordre qui auraient tirés des balles réelles sur les populations qui manifestaient. Tableau 4 : Appels reçus pendant la semaine du 15 au 19 juin

3.1.5. Nombre et provenance des appels enregistrés pour la semaine du 22 au 26 juin 2015 Durant la semaine sus-indiquée, la situation sécuritaire dans la ville de Bujumbura a été caractérisée par des attaques à la grenade lacrymogène et des tirs sporadiques de coups de feu qui s’étaient fait entendre dans différents quartiers. Bien que les auteurs de ces forfaits furent restés, pour la plupart, inconnus, la population les attribue à la police et aux imbonurakuré qui auraient pour objectif de décourager toute nouvelle forme de manifestation en gestation. Par ailleurs, une rumeur qui persistait concernant une probable rébellion en provenance de l’extérieur avait circulé, créant une panique chez les populations et entrainant des mouvements de populations vers les pays frontaliers. Un autre fait qui a perturbé la quiétude de la population de Bujumbura a été le départ en exil du deuxième vice-président de la République qui indiquait lui-même, craindre pour sa sécurité. Dans la voie de recherches des solutions à la crise burundaise, le dialogue politique inter-burundais avait repris, durant cette semaine, sous la médiation de l’Envoyé spécial du Secrétaire Général des Nations Unies. Ce dialogue a été néanmoins boycotté

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par le gouvernement, le parti au pouvoir et les partis qui lui sont affiliés en indiquant qu’ils ne prendraient part au dialogue qu’après les élections législatives du 29 juin 2015. Tableau 6 : Appels Enregistrés durant la semaine du 22 au 26 juin

3.1.6. Nombre et provenance des appels enregistrés de juillet à septembre 2015 Pendant cette période les appels ont connu une nette diminution, malgré les contestations liées aux élections présidentielles. Le pouvoir a pu mettre en place un dispositif sécuritaire très important pour étouffer toute velléité de manifestation. Néanmoins, beaucoup de cas d’assassinat, d’intimidations, de harcèlement et de détentions arbitraires, surtout à l’encontre des membres des partis politiques de l’opposition ont été rapporté. La Situation Room a enregistré 94 appels de juillet à Septembre 2015 Tableau 7 : Appels enregistrés de Juillet à Septembre

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3.2. Profil des sources Il a été difficile de refléter le profil exact des sources tenant compte de l’âge et de la profession. La plupart des sources, même s’ils ont accepté de décliner leurs identités, n’ont pas accepté d’aller plus loin pour donner leur âge et leur profession. Par conséquent, le graphique ci-dessous reflète le nombre de personnes qui a appelé. Ce nombre est désagrégé par sexe A travers ce graphique , on peut constater que les hommes appellent plus que les femmes et ceci pourrait révéler une plus grande implication de leur part dans les manifestations car constituant 701 contre 103 sur les 804 appels enregistrés.

Nombre total des appels désagrégé par sexe

Cette tendance est d’ailleurs corroborée par les constats de l’équipe de monitoring sur la présence relativement minime des femmes dans les lieux de détention.

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IV - VIOLATIONS ALLEGUEES ET ANALYSE DES CAUSES Il est ressorti du rapport que la plupart des victimes appartiendrait à des partis politiques de l’opposition, ou à des mouvements des jeunes qui manifestaient contre le 3ème mandat. Il a été également noté l’implication minime des femmes même si, pour quelques cas, des femmes victimes ont été enregistrées notamment une victime de viol et une autre victime de tentative d’assassinat. Cependant cette tendance notée au début a tendance à évoluer compte tenu du nombre de plus en plus élevé de femmes victimes. Les violations alléguées sont de plusieurs ordres et concernent principalement les droits civils et politiques et dans une moindre mesure les droits économiques, sociaux et culturels dont l’impact pourrait se ressentir plus tard et de manière plus profonde.

4.1

Les droits Civils et politiques

4.1.1 Violations du droit à la vie à la vie Plusieurs cas de violation du droit à la vie ont été rapportés à la Situation Room. Ces allégations ont porté sur des cas d’assassinat par des tirs à bout portant avec des balles réelles, ou des décès consécutifs à des tirs anarchiques pour réprimer les manifestations. L’usage des balles réelles pour réprimer les manifestations a été à l’origine de beaucoup de bavures entrainant des pertes en vies humaines. En outre des cas de décès consécutifs à des actes de torture ont été rapportés et des allégations de meurtre suivis de décapitation de la victime. Plusieurs appels ont fait état d’un modus operandi consistant à la coupure de l’électricité au moment des assassinats ciblés. Beaucoup de ces actes sont imputés par la population aux imbonerakure et aux policiers. Selon les allégations des personnes qui appelaient une liste dans laquelle seraient consignés les noms des personnes à éliminer étaient entre les mains des imbonerakure et des agents du SNR. Les personnes visées seraient les membres des partis d’opposition, les dissidents du CNDD-FD, les membres des organisations de la société civile et des journalistes. Cette situation a entrainé des vagues de migration vers les pays voisins par les personnes qui se sentaient menacées. Plusieurs cas d’arrestations par la police d’ex-manifestants ou de membres de l’opposition et dont les corps sans vie sont retrouvés le lendemain ont été enre-

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gistrés. Du 26 Avril au 30 Septembre ; l’Office a documenté 166 cas de décès dont 13 femmes et 14 mineur-e-s

4.1.2 Arrestations arbitraires et disparitions forcées La Situation Room a reçu plusieurs appels alléguant l’arrestation et l’enlèvement des présumés manifestants et ou des membres des partis de l’opposition par des éléments qui selon les sources appartiendraient à la police, au SNR ou même au mouvement des imbonérakure. Plusieurs de ces personnes enlevées ou arrêtées auraient été acheminées à des lieux inconnus. Ceci a été rapporté dans tous les quartiers où avaient été organisées des manifestations notamment à Muramvya ; Rumonge, au quartier Buyenzi dans la commune urbaine de Buterere. Du 26 avril au 9 octobre 2015, le bureau a documenté 2540 cas d’arrestations. Les infractions suivantes étaient retenues lors de la comparution des suspects devant l’officier de police judiciaire : • Participation à un mouvement insurrectionnel (articles 597-599 du CP) ; • Participation aux bandes armées (articles 593-596 CP) ; • Réjouissance pendant le coup d’état du 13 mai 2015 ou suite à l’assassinat du Général Adolphe Nshimirimana ; • Participation à une réunion politique ou à une manifestation illégale ; • Détention illégale d’armes à feu.

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Ces détentions dépassent souvent les délais légaux [délais dépassés de plus de quatre mois pour les putschistes, deux mois pour les manifestants et un mois pour les personnes accusées d’atteintes à la sécurité intérieur (mouvements rebelles)]. L’interrogatoire des nombreux suspects a été fait en l’absence de leurs avocats conseils. Des transferts illégaux ont été constatés comme le cas de certains détenus (arrêtés suite aux combats à Kayanza) qui ont été transférés au camp Muha avant d’être transférés au SNR, ou transférés des cachots de l’intérieur du pays vers le SNR (arrestations à Mwaro pour détention d’armes à feu) Les éléments de la Force de Défense Nationale qui étaient déployés dans les différents quartiers de la ville de Bujumbura pour aider la police à y ramener l’ordre n’ont pas beaucoup été cités dans les différentes violations rapportées. Toutefois, ils seraient accusés par les populations de ne pas intervenir, dans certaines situations, alors que la police et les imbonerakure les maltraitaient.

La situation Room a été informé du cas d’un congolais qui vivait dans les camps de Massa et qui aurait éré arrêté par le SNR au niveau de la gare du Nord de Kamengue au moment où il se rendait à Bujumbura pour rendre visite à un parent. Il serait accusé d’être parmi les rwandais qui entrainerait les forces rebelles. Ses proches prétendaient ne plus avoir de ses nouvelles depuis plus de 17 jours Les ODH, suite à cette information, se sont rendus au SNR et constaté la présence du Monsieur. Ils ont appelé son épouse pour lui permettre de communiquer avec elle et la rassurer du fait qu’il était vivant. L’OPJ en charge de son dossier prétendait qu’il y avait beaucoup d’éléments en charge contre le Monsieur, or rien n’a été consigné dans son dossier. En outre les investigations menées par les ODH avec l’appui du HCR ont confirmé le statut de réfugié du Monsieur. Ce qu’ils ont fait remarquer à l’OPJ qui l’a par la suite relaxé

4.1.3. Torture, traitement inhumain et dégradant Les cas de torture sont attribués, selon les victimes et autres témoins, à la police, aux agents du SNR et aux imbonerakure. Les plaignants affirment la difficulté qu’ils ont à faire la distinction entre la police et les imbonérakure. Ces derniers se comporteraient comme des policiers que ce soit pour l’arrestation de personnes, l’usage des armes à feu, ou le port de l’uniforme.

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Au total, plus de 90 cas de torture ont été recensés entre le 26 Avril et le 16 septembre 2015. Des cas de tortures emblématiques allégués ont pu être vérifiés par l’équipe de monitoring. Les auteurs présumés des cas de torture ou mauvais traitements semblent jouir d’une totale impunité. La plupart des victimes de cas de torture et de mauvais traitements sont intimidées et refusent parfois de porter plainte par peur de représailles. Il arrive souvent qu’une victime, après avoir raconté son histoire, se mette à supplier les officiers des droits de l’homme de ne pas en faire cas dans leurs rapports ou plaidoyer. Cela pose avec une grande acuité l’impérieuse nécessité et l’urgence à adopter la loi pour la protection des victimes et témoins d’atteintes aux droits de l’homme et à mettre en place le Mécanisme National de Prévention contre la torture, conformément aux recommandations du second protocole de la convention contre la torture que le Burundi a signé et ratifié 18 octobre 2013. Par ailleurs, les dépassements des délais légaux de garde à vue souvent notés permettent de faire disparaitre les traces de tortures et rendent ainsi plus difficile la possibilité d’en rapporter la preuve devant une instance d’enquête ou juridictionnelle.

4.2. Violation des droits économiques sociaux et culturels Le principe de l’indivisibilité et de l’interdépendance des droits de l’homme trouve ici tout son sens. Selon ce principe tous les droits de l’homme, qu’ils soient civils ou politiques, économiques, sociaux et culturels, ou collectifs, comme le droit au développement et à l’autodétermination, sont indivisibles, liés et interdépendants. L’amélioration d’un droit facilite le progrès des autres. De la même manière, la privation d’un droit à un effet négatif sur les autres. Le bouclage des quartiers, qui a privé les populations de la liberté de mouvement, a eu un impact négatif aussi bien sur le droit à l’éducation que sur le droit à la santé ainsi que plusieurs autres droits économiques sociaux et culturels. Par exemple au cours de la période susmentionnée, la police a procédé au bouclage pendant une journée ou deux jours de certains quartiers comme Musaga, Jabe, Mutakura empêchant les habitants à sortir pour aller au travail, au marché pour s’approvisionner en vivres et même pour aller se faire soigner.

4.2.1. Violation du droit à l’éducation Concernant le droit à l’éducation, il a été noté la fermeture durant une longue période (près de trois mois), de plusieurs écoles et universités dans les zones fortement atteintes par les violences, privant ainsi des milliers d’enfants et de

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jeunes du droit fondamental à l’éducation. A cela, s’ajoute des attaques et des violences contre certaines écoles. Il a même été allégué l’enrôlement d’écoliers à des mouvements de combattants. Certaines sources se sont plaintes de la perturbation de l’éducation de leurs enfants du fait qu’elles étaient obligées de quitter le pays pour aller dans les Etats limitrophes, sans possibilité d’inscrire leurs enfants à l’école dans ces Etats de destination. L’incarcération de mineurs, les empêchant de poursuivre leur cursus scolaire, constitue également une grave violation du droit à l’éducation.

4.2.3. Violation du Droit à la santé L’accès à la santé, y compris le droit à la santé de la reproduction, est un droit fondamental reconnu à travers le PIDESC, mais également la CEDEF et le protocole à la charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif à la femme. La plupart de ces instruments ont été signés et ratifiés par le Burundi qui en a même inclut certains, notamment la CEDEF, dans sa Constitution lui conférant ainsi une valeur constitutionnelle. Ainsi, quel que soit le contexte, l’Etat du Burundi devait prendre toutes les mesures appropriés pour permettre l’accès à la santé, en mettant les hôpitaux et centres de santé à l’abri de toute attaque et en assurant la sécurité des patients et du personnel de santé dans ces lieux. Cependant, il a été regrettable de constater que non seulement les populations avaient des difficultés d’accéder aux structures sanitaires du fait des bouclages des quartiers, mais surtout une fois dans ces structures leur sécurité n’était pas assurée. Il a été rapporté plusieurs cas de blessés qui ont été poursuivis jusque dans les centres de santé. L’Equipe de monitoring a pu constater la présence de forces de l’ordre au niveau des hôpitaux pour cueillir des blessées, surtout lorsqu’il s’agit de manifestants ou d’opposants au 3ème mandat. Des cas d’intimidation sur le personnel médical ont été également rapportés ainsi que des cas de harcèlement et de tentative d’enlèvement de blessés.

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Hôpital Prince Régent Charles, quartier Buyenzi et Hôpital Roi Khaled, quartier Kamenge


Hôpital Prince Régent Charles, quartier Buyenzi et Hôpital Roi Khaled, quartier Kamenge En date du 10 juin 2015, la police aurait fusillé une femme leader d’un parti d’opposition au quartier Buyenzi, mairie de Bujumbura. La victime aurait été conduite à l’hôpital Prince Régent Charles. La présence continue des policiers et des agents du SNR qui seraient venus la voir aurait inquiété les médecins et ses familles. Ces derniers auraient conseillé que la malade soit transférée dans un autre hôpital plus sécurisé. Elle fut conduite à l’hôpital Roi Khaled et placée dans une chambre de réanimation. Là aussi, les policiers auraient continué leurs visites dans la chambre de la victime. Inquiets de cette situation, les médecins auraient décidé de garder la chambre toujours fermée et y auraient limité l’accès. Les membres de la famille de la victime qui avaient des craintes pour la sécurité de la malade étaient venus exposer leurs inquiétudes à la Situation Room. L’Equipe du monitoring a eu à se rendre dans le quartier, puis au chevet de la femme. Le médecin traitant confirma que la Dame a reçu 4 balles, mais qu’elle était à présent hors danger. Il a été rapporté que depuis le passage remarqué des ODH, les visites suspectes n’avaient plus été remarquées.

Cet accès limité au droit à la santé affecte plus les femmes dont la vulnérabilité est accrue en période de crise. Les femmes enceintes sont parfois obligées d’accoucher à domicile avec tous les risques que cela peut comporter pour la santé maternelle et infantile. En outre, la prise en charge correcte des Violences Basées sur le Genre n’est pas assurée surtout lorsqu’il s’agit de violences sexuelles. Or des cas de viols qui auraient été perpétrés par des agents de police et des Imbonerakure ont été allégués. Par ailleurs, les tirs anarchiques et la projection de bombes à gaz lacrymogène ont endommagé plusieurs maisons et détruit des vivres. La Situation Room a reçu plusieurs appels alléguant des dommages causés par ces actes en termes de destruction d’habitation et de vivres, en sus de la restriction de la liberté de mouvement et des fermetures de commerce qui entravent le droit au travail.

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V - ACTIONS ENTREPRISES PAR L’OFFICE ET LEUR IMPACT L’objectif de l’office, en mettant en place ce mécanisme, était de pouvoir contribuer à l’apaisement du climat social par un système d’alerte précoce et de réponse rapide. A cet effet, malgré le contexte difficile et les problèmes rencontrés en un certain moment pour accéder aux autorités afin de leur rendre compte des violations constatées , l’Office a tout de même pris un certain nombre d’initiatives et mené des actions qui ont eu un impact positif.

5.1. Les actions entreprises • Descentes sur le terrain par l’Equipe de Monitoring A travers l’Equipe du Monitoring, des descentes ont été régulièrement effectuées sur les lieux des incidents, mais également au niveau des hôpitaux et des lieux de détention y compris le SNR. Ces descentes avaient un double objectif : - d’une part, la vérification de la réalité des faits allégués ; - d’autre part, une présence de l’Office sur le terrain avec un effet dissuasif sur les velléités de violation de part et d’autre.

La situation Room a rapporté l’arrestation d’une femme veuve ,directrice d’école au Quartier de Ngagara qui selon les sources était acheminée vers une destination inconnue, craignant pour sa sécurité, les voisins ont alerté l’office qui après avoir demandé des précisions s’est mise à la recherche de la dame qui a été retrouvée dans le cachot du Bureau Spécial de Recherche (BSR) avec les deux sentinelles qui gardaient l’école Selon les OPJ, des armes ont été retrouvés sur le toit d’une des classes de l’école lors d’une fouille perquisition par la police qui enquêtait sur l’assassinat d’un homme trouvé mort à côté de l’école dirigée par la dame. Après entretien avec le commissaire, les ODH ont constaté qu’aucune charge n’était retenue contre la dame et qu’il n’y avait aucune indice ou preuve que la dame pourrait être informée de la présence des armes dans l’école. Ils se sont entretenus avec le commissaire qui a finalement relaxée la dame en leur présence.

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• Intervention du Représentant auprès des autorités A l’issue de ces visites de terrain, l’équipe rend compte au chef de l’Unité Monitoring Reporting qui a son tour rend compte au Représentant qui a plusieurs moyens d’agir notamment en saisissant directement les autorités pour les informer des violations constatées. Ainsi, le Représentant a rencontré plusieurs fois les autorités pour leur rendre compte de ce qui a été constaté sur le terrain en leur demandant de prendre des mesures correctives. Ces recommandations ont été suivies dans une certaine mesure. • La production de Rapports La production de rapports fait aussi partie des stratégies du Bureau pour rendre compte à qui de droit (Haut-Commissaire, …) afin que des mesures appropriées soient prises. Ces rapports peuvent être internes ou partagés avec un certain nombre d’acteurs. En outre, ces rapports ont motivé certaines mesures comme le communiqué de presse du Haut-Commissaire pour dénoncer les violations des droits de l’homme. • Collaboration avec les autres acteurs Le Bureau a collaboré avec les différents acteurs sur le terrain pour apporter aux populations des appuis qui ne rentrent pas dans son mandat. C’est ainsi que la CICR a pu appuyer des regroupements familiaux, l’UNICEF est intervenu sur la protection des mineures et l’UNFPA et ONUFEMMES ont assuré la prise en charge des cas de VBG, notamment de viols. Des visites conjointes des hôpitaux ont été effectués avec ces acteurs cités. Un appel a été reçu à la Situation Room pour alerter sur l’arrestation de 10 jeunes à Mukike dans la province de Bujumbura Rural. Ces jeunes auraient été conduits à des destinations inconnues. L’information fut transmise à l’équipe de monitoring qui s’est rendu dans des lieux de détentions à la recherche de ces jeunes qu’ils ont retrouvé finalement dans les locaux du SNR. Lors des entretiens, les jeunes ont allégué des actes de torture à leur égard et l’équipe a pu constater que l’un d’entre eux était très mal en point et a demandé et obtenu le transfert de celui-ci à la clinique « Prince Louis Rwagasore » pour des soins. Un autre jeune de moins de 15ans avait été libéré sur les 10 suite au plaidoyer de l’équipe appuyé par l’UNICEF et la CINDH, qui rappelait les règles de droit selon lesquelles ce mineur de moins de15 ans n’était pas pénalement responsable. Puis l’équipe s’est assuré que les autres soient transférés à la prison centrale pour bénéficier d’une procédure normale Les ODH rappellent à chaque fois aux autorités judiciaires leurs obligations par rapport au respect de la procédure et des droits du détenu.

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5.2. Les Impacts Les impacts notés de ces actions sont de plusieurs ordres : • Au niveau des autorités : Un accès plus facile et une oreille plus attentive à l’endroit de l’Office et la mise en œuvre de certaines de ses recommandations (accélération des procédures judiciaires, enquêtes diligentées dans des cas d’exécutions sommaires ou extra judicaires….). • Au niveau des populations : Une reconnaissance de l’Office comme allié dans la protection de leurs droits permettant à celui-ci d’avoir des informations à temps réel et d’agir en conséquence , une possibilité de bénéficier d’une protection plus rapide et plus large avec les partenaires de l’Office. • Au niveau des acteurs judiciaires (OPJ, SNR, Procureur) une meilleure collaboration permettant à l’équipe de monitoring de faire le suivi des cas dans les lieux de détention pouvant entrainer une attention accrue au respect des règles de procédures et parfois la relaxe de détenus sur qui aucune charge ne pesait, ainsi qu’une accélération des procédures judiciaires.

VI - LECONS APPRISES : OPPORTUNITES, CONTRAINTES ET DEFIS Les opportunités identifiées à travers ce mécanisme Il s’agit notamment : • De la confiance des populations qui s’est renforcée vis-à-vis de l’Office ; • De l’appropriation des numéros verts par les populations et du reflexe développé d’alerter sans bourse délier ; • L’existence d’une source d’information plus élargie pour le Bureau ; • Un outil d’alerte précoce et de réponse rapide : La possibilité de collecter les informations au moment de la commission des faits et d’en faire le suivi immédiatement ; • Une opportunité plus grande offerte aux populations pour dénoncer les cas de violation des droits de l’homme.

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6.1. Les Contraintes et Défis La contrainte la plus importante notée est la difficulté d’apporter la protection attendue par les victimes : En général les populations qui appellent sont dans des situations de détresse et veulent des solutions immédiates (besoin d’hébergement parce que se sentant menacé, assistance judiciaire et/ou médicale, assistance pour fuir le pays, assistance psychologiques ….) or le Bureau ne dispose pas des ressources lui permettant d’assurer la prise en charge de ces besoins exprimés par les victimes en situation de détresse. • Le défaut de logistiques appropriées empêche l’équipe de se déplacer dans des lieux dits « chauds» au moment de la commission des actes (absence de voiture blindée, de gilets par balle…) • L’Insuffisance des ressources matérielles et humaines pour répondre à toutes les sollicitations. Il est souvent reproché au Bureau de rapporter des chiffres en deçà de la réalité des faits car il ne prend en compte que des cas qu’il a documentés. Or, compte tenu de ressources limitées, le Bureau ne peut se déployer que de manière très limité dans certaines zones. • Refus de coopération de la police et du SNR dans certains cas

VII - CONCLUSIONS ET RECOMMENDATIONS L’analyse de la situation des droits de l’homme au Burundi, pendant le processus électoral à travers la cellule d’analyse de l’OHCDH, a révélé des violations graves et massives des droits de l’homme à l’encontre de la population. En effet, le suivi des appels enregistrés dans la Situation Room ont permis de constater : • des cas d’exécutions sommaires et extra judiciaires ; • des cas d’arrestations et détentions arbitraires ; • des actes de violences et pressions sur les membres de l’opposition et des habitants des quartiers dits contestataires ; • l’usage abusif et excessif de la force publique pour réprimer les manifestations et, dans certains cas, soi-disant prévenir les manifestations. En outre, les descentes sur le terrain, notamment dans les lieux de privation de liberté, ont permis à l’Equipe du monitoring de constater :

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• une Impunité des auteurs de violence et un traitement discriminatoire des dossiers judiciaires ; • des actes de violence et une pression politique envers les acteurs judiciaires ; • le dépassement des délais légaux dans les traitements des dossiers judiciaires ; • une surpopulation carcérale dans tous les lieux de détention ; • Le non-respect des droits des prévenus dans l’instruction des dossiers ; • Des cas de tortures dans les lieux de privation de liberté ; Toutes ces violations de droits de l’homme ont été commises dans un contexte où l’Etat, seul détenteur de la force publique censé protéger les populations, est mis au banc des accusés. Cependant, le déni de la réalité adopté par certaines autorités publiques, même dans des cas où celle-ci est bien visible de tous et de toutes , n’arrange pas la situation et radicalise les populations qui face à l’impunité des auteurs de violence tentent de se faire justice eux-mêmes. Les recommandations du rapport sont adressées, au premier chef, à l’Etat du Burundi sur qui pèse l’obligation de protéger sa population eu égard aux engagements qu’il a pris tant au niveau international qu’au niveau interne, à travers des instruments juridiques mais également des politiques et programmes. Ces recommandations s’adressent également à d’autres acteurs comme la Commission Nationale Indépendante (CINDH) et les Organisations de la Société Civile. Certaines sont des actions et des mesures dont la mise en application immédiate ou à court terme est possible. Elles devraient retenir l’attention de la Communauté internationale dont l’assistance est incontournable pour une rapide mise en œuvre des mesures visant à promouvoir et protéger les droits de l’homme au Burundi. Pour apaiser le climat socio-politique et mettre fin aux violations massives des droits de l’homme constatées, le Gouvernement doit : • mener des enquêtes justes et impartiales sur les exactions commises aussi bien par les forces de l’ordre que par tout autre citoyen, sans discrimination aucune et sanctionner les crimes dans le strict respect de la loi ; • garantir la sécurité à chaque citoyen et réprimer tout acte d’intimidation, attaque et usage excessif et abusif de la force publique ; • lutter efficacement contre l’impunité ; • rouvrir les medias privés pour garantir le droit de la population à l’information ;

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• initier un dialogue politique avec toutes les forces vices de la Nation dans le but de dénouer la crise politique actuelle ; • prendre des mesures pour désengorger et humaniser les lieux de détentions ; • garantir à tous l’accès à la justice et à un procès juste et équitable ; • renforcer la collaboration avec la communauté internationale et solliciter leur concours pour réformer le secteur de la Justice et l’Administration pénitentiaire ; • prévenir les cas de violation de droits de l’homme en menant des programmes d’éducation de la population aux droits de l’homme en commençant par les forces de défense nationale et de sécurité. Pour l’INDH • communiquer sur son mandat pour permettre à la population de connaitre les prérogatives qui lui sont reconnus et de la saisir au besoin ; • diligenter des enquêtes sur les violences constatées; • visiter fréquemment les lieux de détention et dénoncer les cas de torture, le cas échéant ; • interpeller régulièrement le Gouvernement sur les violations constatées et lui mettre la pression pour la mise en œuvre de mesures correctives ; • collaborer plus étroitement avec les OSC. Pour les OSC : Jouer pleinement leur rôle de veille et d’alerte et avec l’appui des partenaires : • mettre en place des structures d’appui et de victimes de violation des droits de l’homme ;

prise en charge des

• renforcer le partenariat et le réseautage et travailler en synergie pour une solidarité agissante ; • renforcer la sensibilisation et la vulgarisation des droits de l’homme ; • collaborer plus étroitement avec l’INDH, • Mettre en place des programmes d’éducation aux droits de l’homme. « Il n’y aura pas pour l’Humanité...de la Sécurité sans Développement, du Développement sans Sécurité, de la Sécurité et du Développement sans respect des Droits de l’Homme »7 7

Rapport du Secrétaire général de l'ONU Banki Moon « Pour une liberté plus grande : développement, sécurité et respect des droits de l'homme pour tous » Mars 2005

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