Architecture in Wonderland

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R9 AAP - Samuel Rimbault - Mémoire de fin dʼétudes - Enseignants : J. Fol / Y. Rocher - ENSAPM 2010/2011

Architecture in Wonderland! A la poursuite de lʼaccident architectural dans le cinéma de Tim Burton.


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Sommaire Avant-propos

3

INTRODUCTION

5

I/ Définition(s) Notion(s) dʼaccident Accident(s) & Cinéma Accident(s) & Architecture

10 13 16

II/ A la poursuite de lʼaccident architectural Edward, ou lʼaccidentel contre le quotidien Big Fish : catastrophe et utopie Charlie et lʼaccident urbain

20 27 31

III/ Dans le terrier du lapin blanc (réflexions pendant la chute) Questions dʼéchelle Images du Réel

38 41

CONCLUSION

46

BIBLIOGRAPHIE

48

ANNEXES Fiches Techniques Esthétique de la disparition : fiche de lecture

49 53

2


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Avant-propos

Pourtant, il mʼarrivait parfois dʼentendre aborder, de la part dʼétudiants, dʼenseignants, de chercheurs et de conférenciers, la question de lʼaccident en

La recherche qui constitue ce mémoire repose sur deux domaines qui ont sollicité de longue date mon intérêt, et une intuition qui pourrait les relier.

architecture. Parallèlement à cette évocation, on fait généralement référence au rapport entre répétition et exception dans lʼélaboration du projet dʼarchitecture, à savoir quʼune création architecturale (mais aussi, par

Dans un premier temps, les films de Tim Burton, qui ont marqué mon

relations dʼéquivalences, toute création artistique) se révèle toujours être, au

enfance et mʼont accompagné tout au long de ma scolarité et de mes études

final, dʼun dosage subtil entre différence et répétition, entre norme et accident.

secondaires, autant par leur poésie à la fois tendre et cruelle que par les

Cependant, la notion restait vague. Comment peut-on définir lʼaccident en

formes graphiques quʼils ont imprimées dans mon esprit. Ainsi, lorsque jʼentrai

architecture ? Quelles sont ses formes ? Peut-on mettre en place une théorie

à lʼÉcole Nationale Supérieure dʼArchitecture de Paris-Malaquais, jʼavais en

de lʼaccident en architecture ?

tête de dessiner et de concevoir une architecture insolite, biscornue et expressionniste, à lʼimage des univers clair-obscurs du cinéaste. Mais,

Arrivé finalement au terme du Master dʼarchitecture, jʼai décidé de

sentant cette envie illégitime dans un contexte où Burton était considéré

réactiver ces deux portes dʼentrées qui définirent pour moi le début de mes

comme un faiseur dʼimage peu sérieux, je laissai cette idée de côté, préférant

études : Burton et lʼaccident. Et pour boucler la boucle, jʼai sollicité une

vivre une passion secrète pour son oeuvre grandissante pendant que

intuition, qui serait que lʼaccident architectural serait présent, sous différentes

jʼapprenais lʼarchitecture et ses problématiques spatiales à travers des

manifestations, dans les films du cinéaste.

cinéastes plus reconnus et mieux référencés. Ainsi, ce travail cherche dʼune part à définir et à expliquer comment Dans le même temps, les premières semaines de mon premier projet

« produire de lʼaccident » en architecture, ainsi que les significations quʼil peut

dʼétudiant mʼont amené à mʼinterroger sur la poétique de lʼaccident, plus

revêtir, et dʼautre part à accorder à Tim Burton une approche théorique des

spécifiquement dans le domaine de lʼarchitecture. Mais, faute de bagage

formes architecturales et urbaines quʼil représente dans ses films.

théorique, je dus une fois de plus remiser mon intérêt et apprendre plutôt à construire, à concevoir de manière rationnelle.

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« Dans toute création, quʼil sʼagisse dʼune idée originale, dʼun tableau ou dʼun poème, lʼerreur cohabite toujours avec lʼadresse. Mais lʼadresse nʼy est jamais présente seule, il nʼy a jamais dʼadresse, de talent créateur, sans erreur. » 1

1

John Berger, cité par Paul Virilio, in L’accident originel, Mayenne, éd. Galilée, 2005, p.30.

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Une question qui trotte comme un lapin blanc... Pour commencer, il faut expliquer la difficulté de travailler sur lʼoeuvre dʼun cinéaste comme Tim Burton lorsque lʼon souhaite parler dʼarchitecture. Burton a récemment soulevé un grand intérêt médiatique, dʼune part parce quʼil était invité à exposer au MoMA (Museum of Modern Art) de New York, du 22 novembre 2009 au 26 avril 2010, sous la forme dʼune rétrospective consacrée à lʼaspect pictural de son travail : au total, plus de 700 dessins qui furent à lʼorigine de la plupart de ses créations étranges, magiques et parfois morbides2 . Cette même année 2010, Burton inaugurait le 63e festival de Cannes en temps que président du jury, place occupée précédemment par des réalisateurs comme Sean Penn (2008), Emir Kusturica (2005), David Lynch (2002) ou Clint Eastwood (1994). Également, avec la sortie de Alice in Wonderland, son 14e long métrage en tant que réalisateur, adaptation très personnelle du roman éponyme de Lewis Caroll, Tim Burton a fait très souvent la couverture des magazines en cette année 2010. Si lʼintérêt pour ce réalisateur atypique prend de plus en plus dʼampleur dans les milieux artistiques, cʼest certainement parce quʼil développe, au long de ses créations, un univers qui lui est propre, avec une esthétique très personnelle et relativement constante, qui trouve ses lettres de noblesse en empruntant à lʼimagerie populaire des films dʼhorreur à petit budget des années 50, autrement dit à un imaginaire collectif réinterprété par un esprit créatif.

2

Les Monstres de Tim Burton au MoMA, Le Monde, 14 avril 2010. 5


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Mais aussi parce que ses films ne répondent pas au modèle

groupe dʼindividus nourrissant des envies et des convoitises, et sont ainsi en

hollywoodien, qui recherche plutôt une succession dʼimages léchées, truffées

réaction contre lʼordre établi, ennuyeux et potentiellement dangereux (car

de têtes dʼaffiches et agrémentées dʼeffets spéciaux dernier cri autour dʼune

sujet à lʼexpression des pires défauts de lʼhumanité).

intrigue qui garde en éveil à défaut dʼêtre vraiment approfondie. Burton, lui, se sert du média filmique pour faire passer ses idées, ses

Cependant, dans cette multitude dʼinformations et de recherches

images, ses angoisses, ses critiques. En cela, le cinéma de Burton prend des

scientifiques concernant Burton, il nʼexiste aucune documentation critique

allures de cinéma dʼauteur.

dans le domaine de lʼarchitecture, quʼil sʼagisse de considérer une partie ou la totalité de son travail.

La critique artistique et cinématographique a par ailleurs commencé à questionner les films de Burton et à produire quelques ouvrages intéressants sur son œuvre, comme la biographie analytique et critique proposée par Antoine de Baecque en 2005 3 ou les entretiens orientés de Burton avec Mark Salisbury traduits en 2009. 4

Pourtant, lʼunivers créatif de Burton, en grande partie pictural, présente plusieurs aspects de lʼarchitecture, dans ses modèles comme dans ses contre-utopies, que nous tenterons de présenter et dʼanalyser dans les pages qui vont suivre. Néanmoins, on observe une chose étonnante : Burton ne fait que peu

On constate également une présence dʼarticles et dʼessais analytiques

allusion aux décors de ses films. Seuls ses décorateurs, le plus souvent lors

de plus en plus important (dus à sa notoriété croissante) sur son oeuvre, mais

des interviews mercantiles enregistrées pour la télévision et les sections

la plupart sont tournés sur lʼaspect social et/ou politique qui transparaît à

« making of » des DVD, abordent la question et parlent de leur travail en lien

travers ses films. En effet, au-delà de lʼesthétique mobido-comique des films

avec lʼunivers particulier du cinéaste.

de Burton émerge un aspect engagé, un regard critique sur le monde actuel (en particulier le monde occidental, capitaliste et américain) et les monstres quʼil met en scène sont des créatures marginales mais pleines de vie, de sensibilité et parfois de bon sens sous une couche de naïveté enfantine. Elles sont exactement des incarnations de lʼinhumain, ou plutôt du contre-humain, en tout point en opposition avec ce que représente lʼhumanité en tant que

Plus étonnant encore, les dessins de pré-production de la main même de Burton, qui servent de base visuelle pour exprimer les ambiances de ses films, ne décrivent quasiment jamais des architectures, mais principalement des personnages ou des mécanismes complexes. Et malgré cela, certaines figures architecturales récurrentes transparaissent dans ses films : le moulin

3

Antoine de Baecque, Tim Burton, Farigliano, éd. Cahiers du Cinéma, 2005.

4

Tim Burton in M. Salisburry, Tim Burton par Tim Burton, traduit de lʼanglais par Bernard Achour, Paris, éd. Sonatine, 2009, p.109.

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(ou le manoir) isolé, en référence directe à Frankenstein (Frankenweenie, Edward aux Mains dʼArgent, Sleepy Hollow), la banlieue paisible, qui peut être vue comme un monde normé, presque carcéral (Edward..., Charlie et la Chocolaterie), une douce utopie qui peut à tout moment basculer en une triste ville fantôme (Beetlejuice, Big Fish) ou encore un espace-tampon servant à séparer deux « monuments dignes dʼintérêt », comme autant « dʼaccidents urbains » dans une ville trop bien rangée (Charlie et la Chocolaterie, Edward...). Dʼailleurs, lʼaccident, chez Burton, est presque toujours au centre de lʼintrigue ou de lʼunivers ; le schéma de base de toutes ses histoires (et donc de tous ses films) est le suivant : un personnage ordinaire dans une situation extraordinaire (Charlie et la Chocolaterie…), ou sa réciproque, un personnage extraordinaire dans une situation ordinaire (Edward aux mains dʼargent…). Dès lors, peut-on définir le cinéma burtonnien comme étant un cinéma de lʼaccidentel ?

Illustration dʼambiance et indication de décor pour Sleepy Hollow : la figure du moulin, de lʼisolement lugubre, tirée de Frankenstein, transparaît dans la plupart des films de Burton. (Image tirée du catalogue de lʼexposition Tim Burton au Museum of Moder Art, New York, 2010)

Le corpus de référence est constitué de trois films de Tim Burton dont

Burton « se nourrit des signes de la stabilité puisque tout y naît

certaines séquences se font écho, et qui présentent un certain nombre de

souterrainement du calme et de lʼharmonie, dont les petits villes gentillettes

plans montrant de lʼarchitecture et induisant la notion dʼaccident à différentes

[...] sont comme des symboles accortes. » 5

échelles (intérieurs particuliers, vues dʼensemble, contextes urbains). Ce corpus, Edward aux Mains dʼArgent, Big Fish et Charlie et la Chocolaterie, a

La dimension sociale de lʼoeuvre du cinéaste proposerait-elle donc des

été constitué à partir dʼune analyse complète de la filmographie du réalisateur

problématiques urbaines et architecturales ? Et si, comme le démontre

et du nombre de séquences mettant en scène une qualité urbaine ou

Antoine de Baecque, Tim Burton est bel et bien un cinéaste politique 6, quel

architecturale de la notion dʼaccident, comme définie précédemment.

regard porte-t-il sur la ville et sur les entités qui la constituent ?

5

Ibid., p. 187.

6

Ibid., pp.186-188.

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Compte tenu du caractère extraordinaire et hors-norme des récits et des situations mises en scène par le réalisateur, on peut émettre lʼhypothèse que, si ses films recèlent une réflexion ou une prise de position architecturale, celle-ci aurait à voir avec lʼaccidentel, lʼimprévu, la rupture. Ce qui emmène par conséquent à se questionner sur la notion même dʼaccident : quʼest-ce qui le provoque ? Quelles sont ses conséquences ? Et en quoi lʼaccident, apparemment présent chez Burton, pourrait-il être architectural ? Comment peut-on définir lʼaccident en architecture ? Quelles sont ses formes ? Peut-on mettre en place une théorie de lʼaccident en architecture ? Nous nous intéresserons donc tout dʼabord à cette question de lʼaccident, par sa définition théorique et philosophique, puis nous nous interrogerons plus spécifiquement sur son émergence et ses conséquences dans la création, dʼabord cinématographique, puis architecturale. Ensuite, nous partirons à la poursuite de lʼaccident architectural, à travers une analyse de séquences tirées du corpus filmique présenté plus haut. Nous tâcherons de mettre en évidence la manière dont Burton met en scène lʼaccident et ce quʼil peut avoir dʼarchitectural ou dʼurbain, avant dʼen explorer les possibles applications. Enfin, dans une spirale réflexive, nous tenterons dʼétablir une typologie et une définition de lʼaccident architectural et urbain, tout en cherchant dans les images du réel des applications tangibles de celui-ci.

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I - Définition(s)

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Notion(s) dʼaccident

lʼentité) et par la vue (sa forme), à toutes les échelles de la perception (de lʼatomos invisible aux planètes hors de portée). En définissant la substance

Quʼest-ce que lʼaccident ? Du latin accidens « ce qui arrive », ou encore de lʼitalien accidere « survenir », le mot accident signifie à la fois lʼévènement

comme constituant et image du Réel, Aristote suggère lʼuniversalité de lʼaccident.

imprévisible qui fait passer brusquement un corps, une situation, dʼun état à un autre, mais aussi ce changement dʼétat lui-même. Il y a donc deux faces à

On considère alors lʼaccident comme une résultante probable dʼun état

lʼaccident, deux côtés liés qui ne pourraient exister lʼun sans lʼautre : lʼun se

dans un contexte spécifique, et la nature de lʼaccident est inextricablement

rapportant au Réel, et lʼautre à lʼimmatériel.

liée à la nature même du sujet sur lequel il intervient. Un accident de voiture nʼest pas un accident météorologique. Pour autant, une substance peut

Depuis les origines de la philosophie, lʼHomme sʼest interrogé sur le statut de lʼaccident, questionnant son sens le plus profond. Le philosophe

conserver son état initial sans quʼémerge lʼaccident qui la modifiera, même temporairement ; nous retournons à la dimension incertaine de lʼaccident.

grec Aristote, dans un des ouvrages constituant sa Métaphysique, définit

Incertaine, mais pas forcément néfaste. Le changement « accidentel »

lʼaccident comme inhérent à un sujet, un évènement ou un caractère qui ne

peut être un évènement heureux, bénéfique, voire même parfois contrecarrer

pourrait exister sans le sujet. « L'Être se dit de l'être par accident ou de l'être

les effets négatifs dʼun accident passé ; en ce sens, le « miracle biblique »

par essence. » 7 Lʼaccident désigne donc l'idée, assez générale, d'un attribut

peut être considéré comme un accident (lʼhomme paralysé retrouve son état

qui n'est pas essentiel à la chose à laquelle il appartient, sa « substance. » Et

initial dʼhomme qui marche, mais la fonction de la marche nʼest pas

cette substance est définie par Aristote selon trois sens :

essentielle à la condition dʼhomme ; la marche et la paralysie sont tous deux accidents de la substance « homme »)

« La substance c'est en premier sens, la matière, c'est-à-dire ce qui par soi, n'est pas une chose déterminée ; en un second sens, c'est la figure et la

Plus récemment, Paul Virilio a relancé le questionnement de lʼaccident,

forme suivant laquelle, dès lors, la matière est appelée un être déterminé, et,

notamment à travers sa réflexion sur la vitesse, le progrès et la guerre. Sa

en troisième sens, c'est le composé de la matière et de la forme. » 8 En

« définition de lʼaccident est ce qui survient inopinément, lʼaccident est ce qui

somme, la substance est le réel, à la fois sollicité par le toucher (la matière, 7

ARISTOTE, Métaphysique, Ä, 7, 1017 a, 6.

8

ARISTOTE, De l'âme, II, 1.

9

Paul Virilio & Giairo Daghini, Dromologie : logique de la course, Multitudes web, 2004, p.10.

se produit sans que lʼon ait pu le prévoir. » 9

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des évènements concrets, dʼune entité métaphysique. Il y a un lien direct de Il y a donc malgré tout une certaine peur dans ce côté imprévu de

cause à effet pour chaque accident, chaque catastrophe, quʼelle soit naturelle

lʼaccident, une angoisse pouvant tendre à la paranoïa, une crainte de

ou domestique : ce nʼest autre quʼune brimade plus ou moins sévère de la

lʼinconnu. Car lʼaccident peut survenir à tout moment, sans jamais sʼannoncer.

part dʼune volonté supérieure omnipotente et omnisciente. De ceci découle

Ses conséquences comme son occurrence ne sont jamais prévisibles ni

également une crainte de la catastrophe finale, dʼune suite dʼaccidents

envisageables, et lʼon peine bien souvent à rétablir lʼordre après que celui-ci

annonçant la fin du monde. La religion a donc, avant le terrorisme historique,

soit perturbé par lʼétat accidentel. Dʼune certaine manière, lʼaccident est

instrumentalisé lʼaccident et la peur quʼil provoque (notamment par son

lʼévénement à éviter, ou tout du moins celui que lʼon souhaite éviter.

caractère inattendu et incertain)10 comme outil de pouvoir, de maîtrise des

Lʼaccident est donc en marge, ou du moins il constitue une marge par

foules par la crainte (eschatologie). rapport à lʼétat « normal » des choses. La dimension sociale de lʼaccident est

Une autre explication de lʼaccident, plus tardive et plus rationnelle,

importante, dans le sens où il génère des « accidentés », des êtres

repose sur les capacités dʼobservation des faits et lʼanalyse de résultats,

marginaux, des monstres, des éclopés, des originaux, des individus dʼautant

permettant de prévoir, ou plutôt de prévenir dʼéventuels accidents. Ces

plus individuels quʼils sont incongrus, tous issus dʼaccidents. Accident de

capacités dépendent principalement des avancées scientifiques et

parcours ou encore de naissance, accident de la route, rescapés divers, tous

technologiques, et au fil du temps, les innovations dans des domaines

sont dans cette marge des « accidentés » qui sont à la fois témoins et preuve

spécifiques permettent dʼêtre de plus en plus précis à propos de lʼétude des

vivante de la nature imprévisible et potentiellement néfaste de lʼaccident.

accidents. Ainsi, en guise dʼexemple, la sismologie permet non seulement

Même sʼil revêt des allures naturelles et indomptables, lʼaccident a toujours une cause, une explication. Historiquement, il existe tout dʼabord un rapport religieux à lʼaccident : comme en témoigne la Bible (par exemple), la catastrophe est divine, elle se justifie par le fait que lʼHomme a commis un

aujourdʼhui dʼenregistrer les signes avant-coureur dʼun séisme, de prévenir les autorités locales et de mettre en œuvre un plan dʼévacuation si nécessaire, mais elle offre aussi une capacité dʼadaptation de lʼarchitecture aux contraintes sismiques dʼun environnement autrement hostile.

crime, un péché, et a par conséquent mérité un juste courroux du ciel, qui

On pourrait penser que la technologie et le savoir, en arrachant

sʼabat sur lʼindividu, la communauté voire lʼhumanité toute entière, sous des

lʼaccident à lʼobscurantisme religieux et en lʼexposant sous la lumière

formes diverses, allant dʼune pluie durant 40 jours et 40 nuits à des nuées de

rationnelle de la science, lʼauraient quasiment réduit à néant, relégué à un

sauterelles. Sʼinstalle alors dans lʼesprit des hommes une crainte, justifiée par

simple contretemps, un inconfort passager. Pourtant, du naufrage du

10

Peter Sloterdijk, Ecumes, Sphères III, traduit de l’allemand par O. Mannoni, Paris, éd. Hachette Pluriel, 2006 (2003), plus particulièrement l’Introduction : Tremblements d’air, pp.79-230.

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théoriquement insubmersible Titanic aux attentats traumatisants du 11

dʼAristote dont il est question étant « la substance est absolue et nécessaire,

septembre 2001, lʼHistoire regorge dʼaccidents exemplaires, de ceux que lʼon

lʼaccident est relatif et contingent » 13, interrogeons donc lʼessence même de

ne pouvait éviter, que lʼon ne pouvait pas même imaginer.

ce qui fait lʼaccident, sa substance, à savoir dans un premier temps le cinéma,

La raison, énoncée par Paul Virilio, est que la question de lʼaccident est inhérente à la technique, à lʼévolution technologique : « Inventer un objet technique, physique, physico-chimique, veut dire

avant de tenter dʼétablir un pont entre cet art et lʼarchitecture. Nous essayerons ainsi de comprendre et de définir les accidents spécifiques du cinéma et, espérons-le, de lʼarchitecture.

inventer un accident spécifique. […] Par exemple, quand on a inventé le train, on a inventé un moyen qui permettait dʼaller plus vite, un moyen de transporter des marchandises et des personnes en grande quantité mais, en même temps, on a inventé la catastrophe ferroviaire. » 11 Lʼaccident est donc lié au progrès et à la vitesse (dans le sens où lʼaccélération augmente le risque, et diminue les possibilités dʼesquive pour un esprit humain), à la technologie et à lʼinnovation ; de ce fait, toute invention serait indissociable de la catastrophe…

Alors, depuis les temps immémoriaux où lʼHomme a « inventé » lʼarchitecture, a-t-il inventé lʼ « accident architectural » ? Certainement ; mais quel est-il ? Et où faut-il le chercher ? Virilio préconise « de sʼinterroger sur la "substance" et sur lʼ"accident", au point que la phrase dʼAristote devrait être renversée » 12. La phrase

11

Paul Virilio & Giairo Daghini, Dromologie : logique de la course, op. cit., p.10.

12

Ibid.

13

Aristote, cité par Paul Virilio in Dromologie : logique de la course, op. cit., p.10.

12


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Accident(s) & Cinéma

Il est avéré depuis longtemps quʼil existe une relation dʼinfluences à double sens entre le cinéma et lʼarchitecture, en témoignent les ouvrages publiés sur des cinéastes tels que Jacques Tati, Ziga Vertov, Terry Gilliam ou David Lynch (pour nʼen citer quʼun échantillon) ou, plus récemment, le cycle de conférences Architecture & Cinéma organisé par le département AAP à lʼENSA Paris-Malaquais en 2010. De même, il existe un lien marqué, physique et historique, entre le cinéma et lʼaccident. Dʼune certaine manière, ce qui définit le cinéma, et qui le différencie du film documentaire ou de lʼart vidéo, cʼest la maîtrise de lʼaccidentel. Le cinéma, comme le théâtre, est un médium de mensonge, dʼillusion.

Illustration de Tim Burton pour le décor du manoir dans Edward Scissorhands. Lʼexpressionnisme du trait accentue la surprise du trou dans la toiture, ouverture vers le monde accidentelle mais plus imposante que la fenêtre. (Image tirée du catalogue de lʼexposition Tim Burton au Museum of Modern Art, New York, 2010)

Les images qui défilent sur lʼécran ne reflètent pas la réalité, les acteurs jouent des sentiments et des sensations quʼils ne ressentent pas réellement, une explosion est prévue et paramétrée, une mort répétée. Lʼagencement même des évènements scénaristiques, sʼils sont bien écrits, fait alterner scènes dʼexpositions et rebondissements perturbateurs, comme autant dʼaccidents dans la normalité dʼune situation décrite. De même quʼau théâtre, ce mensonge est nécessaire pour le public, ayant effet de catharsis, comme dans les antiques tragédies grecques. Et lʼaccident, lʼélément perturbateur qui

14

va modifier la condition initiale du récit, provoque aussi bien un intérêt quʼun plaisir (parfois morbide) chez le spectateur.

14

Les explosions, la vitesse, les scènes dʼaction ou de catastrophes, les coups de théâtre, les retournements de situation jusquʼau célèbre «cliffhanger» final (littéralement «agrippé à la falaise», situation mettant le personnage principal en difficulté en clôture du métrage, laissant la fin ouverte

Paul Virilio, Esthétique de la disparition, Paris, éd. Galilée (poche), 1989 (1979), p. 66.

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aux interprétations quant à lʼissue de cette difficulté), sont autant dʼaccidents

témoignent des simulacres dʼaccidents qui deviennent de véritables

écrits et mis en scène pour le plaisir de lʼaudience. 15

catastrophes à lʼéchelle du plateau17, soit pour des raisons climatiques, soit pour des raisons temporelles ou économique (pas le temps / pas les moyens

Le cinéma de fiction, tel quʼon peut le définir aujourdʼhui, a certainement vu le jour à la fin du XIXe siècle, sous lʼœil mécanique de la machine

de les répéter lʼeffet), soit encore pour des raisons de compétence, la maîtrise du dispositif échappant complètement à lʼéquipe technique.

enregistreuse de Georges Méliès : alors quʼil tournait un plan fixe de la place de lʼOpéra Garnier pour enrichir son catalogue de plans, le mécanisme de sa

Mais il sʼagit là de cas marginaux par rapport à la grande industrie du

machine se bloque accidentellement. Après quelques secondes, et

cinéma mondial. Par conséquent, en opposition avec le cinéma originellement

lʼintervention de Méliès, la machine repart ; le résultat filmé présente une

accidenteI, il serait intéressant de savoir comment, au sein de lʼénorme

ellipse accidentelle de ce qui se passait sur la place, à savoir des passants

machine bien huilée dʼHollywood, lʼaccident peut encore survenir. Comment,

ayant changé de position et un fiacre « magiquement » changé en corbillard.

dans le cadre de films au projet maîtrisé de A à Z (ou presque - budget, temps

Cet effet involontaire est en fait la première « création » dʼeffets spéciaux :

de tournage) lʼaccident peut-il sʼexprimer, sinon par lʼillusion, une fois de plus,

cʼest également, dʼune certaine façon, la naissance du cinéma et de ses

mais cette fois-ci de lʼillusion picturale des effets spéciaux ? Et aujourdʼhui,

illusions

16,

avec sa temporalité et ses trucages propres (différents de ceux du

théâtre).

avec la généralisation de lʼimagerie numérique, peut-on encore attendre un débordement accidentel des effets spéciaux en cours de tournage ? Pour revenir à Virilio, la pratique du numérique comme innovation

Les effets spéciaux, justement, sont extrêmement intéressants du point de vue de leur paradoxe sur lʼaccidentel : dʼune part, nous lʼavons vu, ils

cinématographique induit-elle un accident spécifique qui se traduit à lʼécran ou dans le processus de création ?

résultent à lʼorigine dʼun accident générateur, mais ils sont en substance le moyen de créer, ou plutôt de recréer à loisir des conditions dʼaccident

En vérité, il faut bien dire que lʼaccidentel a gardé sa place dans

maîtrisées. Néanmoins, on note que les accidents de tournage, ceux qui

lʼindustrie du cinéma, y compris dans lʼunivers ultra-prévoyant dʼHollywood,

nʼapparaissent pas à lʼécran mais qui prennent place dans la réalité de la

en cela quʼil reste imprévisible peut survenir à nʼimporte quel moment sans

fabrication dʼun film, résultent souvent des conditions dʼexécution des dits

jamais sʼannoncer. Une tempête de sable peut toujours endommager des

effets spéciaux. Plusieurs réalisateurs en marge du système hollywoodien

décors en extérieur, un comédien peut toujours se casser bras ou jambe en

15

Ibid.

16

Evénements rapportés par Paul Virilio, in Esthétique de la disparition, op. cit., p. 18.

17

cf. à ce propos les entretiens Hitchcock/Truffaut, Turin, éd. Ramsay Poche Cinéma, 1983, et le Roman, de Roman Polanski, Paris, éd. Robert Laffont,1984.

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dehors du studio, et même une équipe dʼanimateurs 3D peuvent faire face à

Lʼaccident apparaît donc intrinsèquement lié à la pratique et lʼécriture

des bugs et des erreurs de programmation quʼil sera toujours temps de

du cinéma : truc-accident, scénario-accident, fin-accident, catastrophe comme

rétablir en allongeant les délais de production ou en embauchant dʼautres

objet de plaisir ; mais aussi à la nature même du médium cinématographie,

équipes. Cependant, dans la machine de production américaine, cet accident

dans la discontinuité évidente et pourtant imperceptible entre les images

revêt plus aisément des allures de « contretemps » que de catastrophe, en ce

projetées et les images perçues.

sens que les gros producteurs peuvent débloquer plus de moyens, économiques et matériels, pour rattraper les aléas (à condition bien sûr que le projet offre à leurs yeux la promesse de copieuses rentrées dʼargent en retour). À tous les niveaux, lʼaccident apparaît dans le processus générateur dʼune œuvre cinématographique. Mais il se trouve également dans la forme

Reprenant à présent les liens qui rapprochent lʼarchitecture et le cinéma, il convient de sʼinterroger sur lʼimportance de lʼaccident dans lʼunivers architectural, sachant que dʼaprès Virilio « la question nʼest […] plus aujourdʼhui de savoir si le cinéma peut se passer dʼun lieu mais si les lieux peuvent encore se passer de cinéma » 19, et par conséquent, si les lieux, les espaces, peuvent se passer du caractère accidentel inhérent au cinéma.

même du cinéma, dans son essence, qui et la capture dʼimages réelles (ou plutôt imitant, pastichant le Réel), recomposées selon une histoire et projetées sur un écran pour lʼoeil du spectateur. Ces images ne sont que des fragments dʼun Réel modifié, une séquence fluide et animée nʼest en fait quʼune succession dʼimages fixes.18 Le cerveau humain croit voir du mouvement alors quʼil ne sʼagit que dʼune succession de 24 images fixes qui défilent sous nos yeux lʼespace dʼune seconde. Le spectacle projeté sur la toile dʼun cinéma est donc irréel, accidentel. Constitué de lumière impalpable, de souvenirs réels imprimés sur pellicule par des acteurs jouant une autre réalité.

18

cf. Gilles Deleuze, Cinéma 1 – LʼImage-Mouvement, Paris, éd. de Minuit, 1999 (1983) et Cinéma 2 – LʼImage-Temps, Paris, éd. de Minuit, 1995 (1985).

19 Paul Virilio, Esthétique de la disparition, op.cit., p. 71.

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Accident(s) & Architecture ?

Et dans le paramétricisme, avec la création de scripts programmatiques qui interviennent sur la forme et sur la séquence générative dʼune architecture,

Sans pour autant chercher à répondre déjà précisément à la question principale de ce mémoire, à savoir en quoi lʼaccident peut être architectural et

lʼarchitecte tient compte dʼun nouveau paramètre jusquʼalors absent dans le processus créatif : la maîtrise relative du temps dans le logiciel en temps réel.

quelle typologie dʼaccident peut provoquer la pratique de lʼarchitecture, il

Mais ce nʼest pas tout : dans une conférence donnée par Alain Bergala

convient à présent dʼexplorer, à travers le prisme dʼabord théorique puis

à lʼENSA Paris-Malaquais dans le cadre du cycle Architecture & Cinéma

cinématographique, les liens qui rapprochent lʼaccident à lʼarchitecture.

évoqué plus haut21 , le réalisateur présentait les points communs et les

Dans un premier temps, notons que la discipline architecturale emprunte souvent au vocabulaire cinématographique : cadrage des vues, séquence urbaine, mise en scène, scénario dʼactivités (programme)... Par ailleurs, le processus de création architectural passe par des étapes analogues à celles propre au cinéma : pré-projet et pré-production, phase de chantier et tournage, finitions et montage, synchronisation... Virilio lʼaffirme : lʼarchitecture est cinéma, la forme est communication, image, effets spéciaux...20

différences entre sa pratique et celle de lʼarchitecte. Selon lui, lʼarchitecte comme le cinéaste se heurte à deux formes du Réel : celui du Monde et celui du matériaux, ou autrement dit la pensée de lʼensemble (le projet / le film) et la pensée du détail (les matériaux / les séquences). Néanmoins, là où lʼarchitecte peut produire une forme simulée et objective de son projet (tant par la maquette physique que par le modèle numérique), le cinéaste est condamné au détail (il faut tourner les séquences sans avoir, à part en fin de parcours, la vue dʼensemble objective du film). Et dans les deux approches, il y a bien entendu des imprévus, des contretemps.

De plus, il est à noter que, dans la communication de lʼarchitecture comme dans la génération de formes, et plus particulièrement pour

Nous lʼavons vu, lʼarchitecture emprunte au cinéma un vocabulaire de

lʼarchitecture paramétrique, on utilise aujourdʼhui des logiciels informatiques

forme et de fond, tant au niveau de la conception que dans la manière de

dont les fonctionnalités sont proches de ceux développés pour lʼanimation et

présenter et de raconter la ville et les bâtiments qui la constitue. Intéressons-

pour lʼédition dʼeffets spéciaux. Lʼarchitecte prend en compte des paramètres

nous maintenant au caractère accidentel de lʼarchitecture, ou plutôt à son

comme la lumière naturelle, les flux humains ou aquatiques, lʼacoustique,

aspect spontané. Et, restant dans la continuité du cinéma, centrons sur la

comme le ferait un modeleur 3D des studios dʼanimation Pixar, par exemple.

20

Paul Virilio, Esthétique de la disparition, op. cit., pp. 71-72.

21

Conférence du 2 décembre 2010.

16


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notion de lʼintérêt, de lʼentertainment que lʼon retrouve dans lʼarchitecture,

construction du Luna Park à Coney Island. Frederick Thompson, lʼarchitecte

notamment dans la conception des parcs dʼattraction.

qui donna forme à ce parc sensé être construit sur la surface de la Lune,

Rem Koolhaas, lorsquʼil aborde la genèse de New York par le biais des développements urbains sur Coney Island, « Manhattan embryonnaire » 22,

imagina de hautes tours et minarets éclairés, jalonnant au hasard la surface et le skyline du parc ; il explique sa démarche ainsi :

fait directement un parallèle entre la construction des parcs à thèmes, lieux de

« Puisquʼil sʼagissait dʼun lieu réservé au divertissement,

divertissement et dʼexotisme, et lʼérection des formes architecturales qui

jʼai éliminé toutes les formes classiques et conventionnelles […]

donneront à la ville de New York son apparence actuelle. En tissant un lien

il est étonnant de constater à quel point lʼexploitation

entre une entreprise de spectacle et dʼentertainment et une planification

architecturale de quelques lignes très simples a le pouvoir de

urbaine et architecturale, Koolhaas amorce un premier rapprochement,

stimuler les émotions humaines. »

néanmoins indirect, entre lʼindustrie du cinéma et lʼarchitecture. Car ces parcs dʼattractions ont pour objectif, mis à part lʼaspect lucratif de ce genre dʼexploitation, de créer un univers propre, déconnecté du quotidien, où les clients peuvent sʼoublier, sʼamuser, rêver. Cʼest également, dʼune certaine manière, un des rôles du cinéma.

Lʼaccident comme rupture entre le quotidien sans surprise et lʼonirique inconnu, le principe du cinéma de Burton ? Définir le cinéma comme un vaste Luna Park sur Coney Island ? Lʼimage, la narration, le cinéma doit surprendre de manière inopinée : dʼoù lʼimportance de lʼaccident. Parallèle à Edward Scissorhands, imbrications dʼaccidents pour installer lʼhistoire, présenter les contrastes sociétaux, et bien entendu introduire un personnage qui à la fois Et pour parvenir à cet objectif, de créer lʼillusion dʼévasion du monde réel, il fallait détourner, réinterpréter les formes et les images existantes, tout

personnifie et provoque des « accidents » matériels et moraux au sein dʼune communauté sans relief.

en gardant en tête la mise en œuvre concrète dʼune « architecture » spécifique et inédite, mais toujours inscrite dans le Réel.

« Le génie de Thompson a consisté à laisser ces aiguilles

Lʼexemple le plus représentatif, à ce sens, de cette « poursuite de

proliférer au hasard, à faire un spectacle architectural de leur

lʼirrationnel avec des moyens strictement rationnels » 23 est celui de la

lutte frénétique pour lʼindividualité, et à voir dans ce combat de

22

Rem Koolhaas, New York délire, traduit de l’anglais par C. Collet, Marseille, éd. Parenthèses, 2002 (1978).

23

Ibid., p.34.

17


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tours lʼindice certain de lʼappartenance à un monde extraterrestre, la marque dʼune autre planète. » 24

Lʼaccident serait donc une individualité dans la masse, une part dʼextraordinaire dans une trame ordinaire. Quelles sont les conséquences de cette individualité ? Nous allons tenter de les observer et de les mesurer, en partant à la poursuite de cet accident architectural dans lʼœuvre cinématographique de Tim Burton.

24

Ibid., p.41.

18


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II - À la poursuite de lʼaccident architectural

19


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Edward, ou lʼaccidentel contre le quotidien

trop naïf et socialement maladroit, va malgré lui commettre un cambriolage et blesser un enfant. Poursuivi par une foule qui soudainement, par jalousie ou

Edward aux Mains dʼArgent (Edward Scissorhands), sorti en 1990, est

par méfiance du hors-norme, lʼont fait passer du cabinet des curiosités à la

le quatrième long-métrage de Tim Burton, et le premier dont le scénario est

chambre des horreurs, Edward va retourner trouver refuge dans son manoir

adapté dʼune de ses propres histoires.

et, avec lʼaide de Kim (Winona Ryder), la jeune fille quʼil aime, va se faire passer pour mort.

Le film retrace lʼhistoire dʼun homme étrange, artificiel, et de ce fait inhumain, Edward (Johnny Depp) créé par un vieux scientifique aux allures de

Les citoyens sont rassurés, la «chose» nʼest plus, tout le monde peut

gentleman (Vincent Price). Mais lʼinventeur, très âgé, meurt avant dʼavoir pu

retourner à son quotidien paisible. Mais Edward, qui semble ne pas vieillir,

porter la touche finale à sa création, et Edward se retrouve alors incomplet («

continue tous les ans à faire neiger des copeaux de glace sur la ville, et Kim,

pas fini » comme il le dit lui-même), affublé dʼun complexe mécanisme de

devenue grand-mère, raconte à sa petite-fille quʼelle ne lʼa jamais oublié.

lames et de ciseaux à la place des mains. Dès lors, Edward vit terré dans lʼimmense manoir délabré de lʼinventeur, et occupe son temps - qui semble

Elevé à Burbank dans les années 70, une banlieue pavillonnaire de Los

infini - en taillant les arbres du jardin en formes fantaisistes. Jusquʼau jour où

Angeles où ont poussé la plupart des studios-hangars dʼHollywood, Tim

Peg Boggs (Dianne Wiest), représentante en cosmétiques, fait sa découverte

Burton, adolescent taciturne et créatif, vivait très mal lʼambiance dʼhypocrisie

et le ramène dans le « monde réel », une banlieue américaine dans laquelle il

polie et paranoïaque qui régnait dans les suburbs californiens. « Ce qui est

va détonner dès son arrivée.

intéressant dans la promiscuité liée au voisinage, cʼest que tout le monde connaît tout le monde [...] il y a dans la banlieue une perversité [...] que jʼai

Dʼabord fascinés par Edward et par ses talents créatifs (il taille les

toujours sentie de manière diffuse autour de moi. » 25

haies en forme de monstres ou de danseurs, il se fait coiffeur styliste pour canidés puis pour leurs maîtresses, et à lʼapproche de Noël il sculpte la glace,

Il sʼinventa un personnage dont le toucher pouvait aussi bien créer que

projetant en tous sens des flocons épais dans une ville où il ne neige jamais),

détruire, et qui ne trouve pas sa place dans le monde ; il dessina pour la

les banlieusards vont progressivement rejeter le «monstre » lorsque celui-ci,

première fois Edward. 26 Bien des années plus tard, après le succède de Pee-

25 Tim Burton in M. Salisburry, Tim Burton par Tim Burton, traduit de lʼanglais par Bernard Achour,

Paris, éd. Sonatine, 2009, p.109. 26 Ibid., p.108.

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Weeʼs Big Adventure, premier long métrage absurde tournant autour du personnage télévisuel Pee-Wee Herman (Paul Rubens), il sʼattèle à la mise en forme visuelle et animée de ce malaise suburbain quʼil avait ressenti plus jeune.

Pour ce faire, il met en place à lʼécran une réplique « de mémoire » de la banlieue qui lʼa vu naître, en caricaturant légèrement lʼuniformité de ce paysage urbain. La séquence dʼintroduction dʼEdward aux Mains dʼArgent le montre dans un premier temps sous forme de maquette survolée par la caméra : alignements de maisons aux dimensions semblables, surfaces de parcelles offrant toutes le même jardin, tracé viaire régulier.

Dans cette première séquence, Peg, nʼayant pu se résoudre à rentrer bredouille de sa journée de porte à porte, pars tenter sa chance dans le manoir de lʼinventeur. Lʼaccident est amené progressivement par une série de petits imprévus, dʼincroyables, savamment disséminés. Dans un premier temps, on voit que Peg est enfermée dans une situation routinière qui ne lui rapporte plus de satisfaction depuis longtemps. En effet, comment vendre des cosmétiques tous les jours dans la même ville à des personnes qui sont des voisins et qui, par conséquent, nous connaissent ? Mais au-delà du «malaise» individuel de Peg, cʼest un «malaise» général, bien quʼinconscient, de tous les habitants de cette banlieue : il ne sʼy passe plus rien de nouveau, tout le monde connaît tout le monde, il manque la nouveauté. « Grandir dans ces banlieues, cʼétait grandir dans un univers sans histoire, sans culture, sans passions. » 27

27 Ibid., p.110.

Un accident topographique au milieu dʼune banlieue lisse et bien rangée devient berceau dʼun accident architectural (le manoir) et à lʼintérieur, dʼun accident scientifique/biologique (la création dʼEdward, être artificiel et inachevé). (Edward Scissorhands : 7min48 - 8min11)

21


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Et cette nouveauté, cʼest donc Peg qui va lʼapporter, en provoquant un accident, sans le vouloir. En pivotant son rétroviseur, elle voit apparaître dans son champ de vision comme dans sa conscience le manoir sombre et menaçant de lʼinventeur, image improbable dans une banlieue si uniforme. Elle décide alors de sʼy rendre : un plan plus large nous montre sa voiture faire route vers un impressionnant accident topographique, un immense monticule pierreux au sommet duquel est posée la sombre masure. Comment cette aiguille rocheuse est-elle survenue dans ce qui semble être une plaine sans aléa ? Elle évoque un volcan, un monstrueux glissement de terrain, une catastrophe passée ; et tout en haut, lʼaccident gothique et hérissé, sombre et antique qui sʼoppose fortement à la rigueur pastel des préfabriqués en contrebas.

Ce manoir est donc dʼabord présenté comme un cas isolé, à part, une curiosité révélée par le cercle du rétroviseur, dénué de tout contexte, comme extrait dʼun autre monde, passé à la loupe comme révélé de lʼinvisible, de lʼindiscernable.

Lʼaccident est déjà là ; il se montre donc en opposition avec lʼhabitude, les couleurs, les matières, la position dans la ville ; jusque dans son intérieur, où les espaces présentés à lʼécran font directement référence à lʼexpressionnisme allemand du début du XXè siècle et à ses représentations cinématographiques telles que Nosferatu de Friedrich W. Murnau (1922) ou même certaines scènes du Metropolis de Fritz Lang (1927). Il est difficile dʼimaginer une fonction à ces lieux tout à la fois immenses et tortueux, de même quʼune cartographie des différentes pièces est difficile pour ne pas dire impossible : le hall dʼentrée semble être aussi bien lieu de passage,

Lʼespace intérieur du manoir, au-delà du cliché des films dʼépouvante, est à la fois vaste et labyrinthique, inhabitable et organique, rempli de mystères et théâtre dʼaccidents passés ; il éveille la curiosité, invite à la découverte, et change pour temps le quotidien du personnage, et peut-etre aussi du spectateur. (Edward Scissorhands : 11min46 - 12min11)

22


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cathédrale et laboratoire incongru. Mis à part les machines poussiéreuses de

dire quʼil est un accident, dans le sens dʼélément unique dans la population

lʼinventeur, pas de trace de mobilier.

humaine (dʼautant plus que, comme décrit plus haut, sa conception a été interrompue et que son existence, sans lʼintervention fortuite de Peg, devait

Lʼescalier majestueux et irrégulier, sʼélève menaçant dans un coin de la

se cantonner au domaine du manoir qui lʼa vu « naître »).

pièce qui nʼen est pourtant pas un, et débouche, au terme dʼun dédale aérien qui donne lʼillusion de desservir des salles qui nʼapparaissent pas, dans le

Il appartient donc à cette communauté en marge de lʼhumanité, celle

vaste grenier au toit défoncé, là où vit Edward. « Se cache » serait un terme

des accidentels et des accidentés, celle des monstres. Cependant, il a une

plus approprié, étant donné que le manoir nʼest en aucun aspect un lieu de

particularité qui lʼinscrit dans une sorte de sous-catégorie : il est un « monstre

vie. Cʼest bien cette absence de vie qui inscrit ce lieu comme décor, au sens

gentil », à lʼinstar du Elephant Man de David Lynch (1980)28 ou des bêtes de

cinématographique : il donne à voir des vues réfléchies, définies, dessinées

foire du Freaks de Todd Browning (1932). Incapable de faire du mal et animé

par avance (cf. lʼillustration de Burton en p.13), et par conséquent loin de

essentiellement dʼun désir de découverte et de création, Edward, ne peut

lʼaccidentel. Et pourtant, le spectateur est intrigué, tout comme Peg, et

blesser autrui à dessein. De plus, en dépit de son apparence cadavérique et

cherche à aller plus avant dans cette architecture étrange, il se questionne

dangereuse, il ne repousse personne et est accepté étrangement rapidement

sur lʼusage de ces robots rouillés aux ventres rebondis, sur lʼissue

par les citoyens, qui du reste trouvent bien vite moyen dʼexploiter les talents

labyrinthique des volées de marches déformées ou encore sur la cause

créatifs dʼEdward. Et en cela, il se révèle être à nouveau un accident dans

possible du large trou qui offre à Edward une vue sur le monde depuis sa

cette catégorie des « monstres ».

soupente... Edward va tenter de contaminer la ville à son double accident, Edward est quant à lui, en tant quʼindividu, un double accident. Dʼune

intervenant sur lʼhabitus de chacun : il taille les haies et coupe les cheveux de

part, cʼest un monstre, dans le sens où il est inhumain, ou plutôt non-humain :

manière extrêmement créative, fait parler de lui, passe à la télévision, est

là où la naissance de lʼHomme est régie par le hasard, Edward a été prévu,

adoré, puis craint, puis détesté. Chacun réagit différemment à lʼarrivée de cet

conçu et façonné selon des plans pensés et établis par lʼInventeur ; et si

original. On lʼaura compris, cʼest bien là lʼenjeu du film que dʼillustrer par le

lʼorigine de sa fabrication ou les matériaux qui le constituent et lui donnent la

décalage social et par lʼintervention de lʼaccident, les faiblesses de la société

vie sont inconnus, il nʼen est pas moins évident que son artificialité explicite

américaine basée sur lʼidéal controversé de lʼ« american dream ».

fait de lui une créature qui nʼappartient pas au monde humain. On peut donc À propos des lien entre la figure monstrueuse d’Edward et de Joseph Merrick (Elephant Man), se référer au doctorat de Viola Rondeboom, American Beasts, The Cinematic Revision of Beauty and the Beast in The Elephant Man and Edward Scissorhands, Université d’Utrecht, 2006, consultable notamment via Google Scholar. 28

23


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La monotonie architecturale et sociale des banlieues américaines caricaturées par Burton (Edward Scissorhands : 25min18 - 25min35 - 25min49)

Lʼaccident sert donc dʼélément narratif dans la structure de lʼhistoire, mais aussi dʼélément visuel, comme nous lʼavons décrit jusquʼà présent. Et le

normalisé, [...] à ces maisons « qui ressemblent à des boîtes à chaussure ». » 29

récit étant avant tout social (comme tous les contes et autres oeuvres fantastiques), lʼaccident sʼexprime davantage dans lʼarchitecture et dans les

Dans cette autre séquence, illustrant le contraste social et spatial entre

pratiques de lʼespace, privé ou urbain, que dans les personnages qui y

le monde dʼEdward quʼil a quitté et lʼunivers suburbain dans lequel il est

évoluent.

arrivé, la caméra presque immobile à quelques mètres au-dessus de la rue principale de la ville, laisse voir la fausse diversité des habitations et des vies

Ce décalage savamment mis en scène est également lʼoeuvre du

des voisinage. Alors que la journée commence, tous les hommes (notons au

décorateur Bo Welch, qui a, par un habile jeu de maquettes, rendu possible

passage ce cliché social de lʼhomme au travail et de la femme au foyer)

lʼimprobable, lʼintrouvable, le caractère incongru de la rencontre de deux

quittent leurs maisons aux couleurs pastels pour monter respectivement dans

univers, tels que décrits par Burton. « Le château dʼEdward exprime [...]

leurs voitures aux teintes assorties et sʼengager dans la rue princiaple de la

lʼisolement du héros déchu mais innocent, en réaction contre lʼarchitecture

ville, selon un rythme décalé qui nʼest pas sans rappeler un ballet.

des banlieues, à cet univers communautaire et solidaire, et pourtant

29

Antoine de Baecque, Tim Burton, op. cit., p. 64.

24


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Nous sommes ici en présence de ce qui semble être un contre-

Pourtant, cette ville possède bel et bien un contexte : au long du film,

exemple de lʼaccident ; en effet, cette séquence entre « rêve américain » et

on découvre un centre commercial avec ses galeries commerçantes, une

contre-utopie, résulte dʼun processus filmique calibré, répété, excluant tout

banque imposante, une école (ou du moins une salle de classe) et même un

paramètre accidentel. Alors pourquoi lʼavoir sélectionné ?

plateau dʼémission télévisée locale. Mais tous ces lieux de vie, ces lieux de ville, où sont-ils exactement ? Burton nous les impose en cut-up, il nʼy a pas

Peut-être parce que, justement, cette absence totale dʼaccident dans

de cheminement, pas de déambulation, ses personnages sont soit ici, soit là-

un environnement de vie, dans un environnement humain (par définition

bas, tant et si bien que sa ville suburbaine semble finalement aussi isolée que

instable) est en soi un accident que met en scène Burton. La

le manoir dʼEdward ou que la maison de Beetlejuice. Et cʼest peut-être là

déshumanisation de la banlieue pourrait être un accident à la fois spécifique

lʼillustration de lʼaccident urbain, qui est inextricablement lié à lʼaccident social

et inéluctable : en groupant des individus, en leur offrant les mêmes moyens,

qui marque lʼhistoire dʼEdward.

en leur proposant une vie propre et bien rangée, en éloignant les risques de criminalité et dʼaccidents (commerces et entreprises dans dʼautres quartiers),

On peut émettre lʼhypothèse que Burton, enfant de banlieue, cherche à

on les condamne à une monotonie progressive pour laquelle la comparaison

démontrer le caractère à la fois utopique et malsain de ces développements

avec un quelconque élément « vivant » (en lʼoccurrence Edward) est à la fois

urbains qui foisonnent aux États-Unis, de grouper des individus dans un un

marginale, fascinante et dangereuse. Lʼabsence de vie, dʼaccident dans le

quartier ayant une seule fonction ; un quartier dortoir, un lieu déjà en marge

quotidien urbain, est tellement anormal quʼelle en devient accidentelle.

de la ville, la vraie, équipée et dynamique, vivante ; un quartier où chacun se sent chez soi parce quʼil est à la fois nulle part et partout ; un quartier où lʼon

Encore quelques mots sur cette ville « banlieue » que dépeint Burton

vit les uns à côté des autres, à la fois ouverts aux autres et fermés sur ses

dans ce film : à lʼimage de la montagne et du manoir dʼEdward, elle semble

secrets, sans forcément pouvoir maîtriser la limite entre les deux. Finalement,

elle aussi avoir jailli de nulle part, ne posséder aucun contexte véritable. Les

peut-être que Burton illustre, par cet univers à la fois réel et fantasmé, la

vues dʼensemble que le réalisateur donne de cette ville (dont le nom, bien que

célèbre théorie de Christopher Alexander : « une ville nʼest pas un arbre » 30,

jamais mentionné dans le film, apparaît sur le scénario comme étant

cʼest à dire quʼune organisation urbaine ne peut se concevoir de manière

Suburbia...), ne présentent que des ensembles pavillonnaires, un tissu de

arborescente, avec des quartiers aux fonctions exclusives et spécifiques

maisons régulières, de jardins confortables et de voies sinueuses.

(résidentiel, industriel, commercial, loisirs...)

30

Christopher Alexander, A city is not a tree, Architectural Forum, Vol 122, N°1, Avril 1965 (Part 1) et Vol 122, N°2, Mai 1965 (Part 2).

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En résumé, dans Edward aux Mains dʼArgent, lʼaccident a une importance narrative qui entraîne des représentations spatiales, et plus particulièrement urbaines et architecturales. En cela, il illustre les fragilités dʼune société, les travers dʼune façon de faire la ville, de faire la vie. En revenant à Aristote, on pourrait sʼinterroger sur la substance de cet accident urbain, autrement dit la « matière » qui est perturbée par le phénomène Edward : est-ce la ville, lʼespace urbain pensé de manière communautaire et néanmoins orienté vers la propriété privée (transformation des jardins, arrivée de la neige, services offerts à chacun), ou bien lʼhumain qui le peuple (centre dʼintérêt, sujet de discussions, attrait et convoitise, puis rejet) ?

Et du point de vue de Virilio, sensiblement la même question : est-ce la manière de penser la ville qui entraîne un choc social, ou bien la manière dont les autres lʼhabite ? Quelle innovation, soit dans la conception urbaine, soit dans les mœurs sociales, contient en elle lʼaccident Edward, le choc qui va perturber cet environnement sur les deux niveaux ?

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Big Fish : catastrophes et utopies Big Fish, quant à lui, met en abîme lʼimaginaire narratif de son personnage principal, Edward Bloom (Albert Finney et Ewan McGegor, en fonction des temporalités), gros poisson dans un trop petit océan, qui romance sa vie depuis toujours à partir de faits réels. Mais vers la fin de sa vie, son fils William (Billy Crudup) veut régler ses comptes avec son père mythomane et savoir enfin la vérité. Vérité quʼil découvrira de lui-même, et qui nʼest finalement pas si éloignée que ça des histoires de son père.

Au long du récit du vieux Edward, on croise un géant, un nain, un directeur de cirque loup-garou, un poète maudit, une sirène, des chanteuses chinoises siamoises, une sorcière... en bref, toute une galerie de portraits de « monstres », de marginaux, dʼ« accidentés ».

Au delà du message primaire qui est que toute fiction sʼinspire du réel, Burton met en scène un univers narratif où tout devient possible (ou presque) entraînant ainsi une série de représentations de lʼaccident, quʼil soit humain, social, et même urbain et architectural (par exemple, la maison penchée de la « sorcière » - voir illustration ci-contre).

Big Fish permet de poursuivre le questionnement urbain entamé dans Edward..., notamment à travers cette première séquence dʼanalyse : le jeune Edward Bloom, ayant quitté sa ville natale, sʼégare dans une forêt menaçante et finit par déboucher sur la rue principale de Specter (« Spectre » en V.F.),

(Big Fish : 1h32min54 - 1h35min57)

une ville qui devient quasiment un personnage à part entière dans la mémoire 27


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fantaisiste du vieux Edward. Elle se présente au spectateur comme aux yeux du héros par une artère verdoyante bordée de clôtures, puis de jardins, et enfin de maisons blanches, éclatantes, avec en point central de cette perspective une église immaculée.

Alors que le héros sʼengage sur lʼherbe de la rue, les habitants viennent progressivement à sa rencontre. Edward comprend alors que cette ville, qui nʼapparaît sur aucune carte, est en fait une communauté qui vit en autarcie, en marge du monde, coupé de la civilisation, dans ce qui semble être une harmonie avec la nature, tous les résidents vivant nus pieds, ayant laissé dès leur arrivée leurs souliers à lʼentrée de la ville, suspendus en hauteur sur un câble tendu à lʼorée de la forêt, comme une promesse de non-retour à la civilisation extérieure.

Specter évoque, peut-être de manière inconsciente, lʼUtopie de Thomas More. Dans ce livre, publié pour la première fois en 1516, lʼhumaniste anglais pose les bases de ce qui servira de référence aux grands projets communautaires et utopistes à venir, quʼils soient urbains, architecturaux ou sociaux. La ville présentée dans Big Fish se rapproche même au plus près de la description dʼUtopia, aussi bien dans sa forme que dans son fonctionnement, avec notamment la présence importante des jardins et de la végétation.

On peut également y voir une sorte de réponse au problème social et urbain décrit dans Edward aux Mains dʼArgent : Specter résulte dʼune

(Big Fish : 29min42 - 32min26)

communautarisation des marginaux, dʼun rassemblement des accidentés parmi lesquels la créature non-humaine du film précédemment cité ne ferait 28


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pas fausse note. Et ainsi, la ville communautaire et indépendante, se plaçant dans une marge, devient accident sociétal, et se crée des codes urbains différents du reste du monde.

Pas de route, pas de véhicule, pas de technologie (à part pour lʼéclairage extérieur, manifestement électrique), et une communauté croyante fortement croyante au vu de lʼorganisation spatiale de la ville (même si la religion nʼest jamais clairement abordée dans le film, du moins en ce qui concerne Specter) ayant néanmoins des coutumes improbables (le lancé de chaussure comme intronisation dans la vie autarcique) sont, en terme de forme urbaine, plus quʼune exception, une curiosité qui pourrait aussi évoquer certaines tribus rescapées de civilisation anciennes. En somme, un accident, une marge du monde capitaliste, urbain et fortement interconnecté, un mode de vitesse dépeint par Virilio.

Plus tard dans le film, Edward est amené à retourner à Specter, dʼune manière aussi rocambolesque quʼil y était venu la première fois : un soir dʼaverse diluvienne, il doit renoncer à rentrer chez lui faute de visibilité sur sa route. La pluie tombe tant et si bien que lʼeau commence à recouvrir sa voiture ; à travers le pare-brise, il voit passer une sirène ; lorsque la pluie cesse enfin, au matin, son véhicule est perché au sommet dʼun arbre, et par terre, en contre-bas, il découvre la clé de Specter, quʼil avait perdu lors de son départ, bien des années auparavant. Cherchant alentours, il retrouve la route qui mène au cœur de la ville. (Big Fish : 1h13min37 - 1h39min09)

Specter a bien changé, et porte désormais bien son nom. Les maisons sont à lʼabandon, en vente pour la plupart ; la grande rue jadis verdoyante a 29


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été transformée en route de bitume ; les habitants se sont ouverts au monde, et la ville en est morte.

Bien que les raisons de ce déclin ne soient pas clairement expliquées dans le film, on constate dans cette séquence la fragilité dʼune utopie face aux aléas de la vie, du développement, de lʼinnovation. Tandis quʼEdward a fait sa vie et profité du capitalisme pour engranger de lʼargent qui lui a permis dʼaccéder à son propre « rêve américain » (une belle maison « blanche avec une clôture » à laquelle il fait plusieurs fois allusion et que lʼon voit à deux occasions dans le long métrage), ce même régime économique a ravagé la ville en marge. Lʼirruption dʼun autre univers de pensées, dʼun autre monde social et économique dans un système utopique de vie simple et marginal, symbolisé par la route menant vers lʼextérieur, est bien un accident supplémentaire qui lui est issu de la substance même de Specter.

Nous avons donc vu ici lʼubiquité paradoxale de lʼaccident à lʼéchelle urbaine et sociale : dʼun côté une utopie fragile mais prometteuse, pouvant sombrer à tout moment dans une désolation catastrophique. Mais comme toujours pour lʼaccident, un changement dʼétat de la substance nʼest pas définitif en ce sens quʼil peut lui-même être perturbé par un nouvel accident. Mais quʼen est-il de la ville du Réel, de lʼautre côté de la marge ? Une grande ville, comme Londres, par exemple, peut-elle abriter son lot dʼaccidents ? Et si oui, de quelle nature seraient-ils ? Cʼest ce que nous allons tenter dʼexplorer dans lʼanalyse suivante.

30


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Charlie et lʼaccident urbain En 2005, Burton signe une adaptation du célèbre roman de lʼécrivain britanno-norvégien Roald Dahl, Charlie and the Chocolate Factory (1964). Dans ce conte pour enfants à la fois merveilleux et cruel (et pourtant encore assombrie par le réalisateur), le jeune Charlie Bucket (Freddie Highmore) vit pauvrement avec sa nombreuse famille (ses parents et ses grands-parents maternels et paternels) dans une petite maison biscornue en marge dʼune ville anonyme qui pourrait néanmoins être située quelque part en Angleterre.

Le rêve de Charlie, cʼest de pouvoir un jour entrer dans la mystérieuse et colossale chocolaterie de lʼénigmatique Willy Wonka (Johnny Depp), qui surplombe la ville. Lʼusine est par ailleurs fermée au public, aucun ouvrier nʼy entre ni nʼen sort, et personne nʼa vu Wonka depuis des années. Mais les choses vont changer : un communiqué du plus grand chocolatier du monde annonce lʼouverture dʼun concours qui permettra aux gagnants de visiter la fabrique pendant une journée, et peut-être de remporter un cadeau surprise en fin de parcours.

De par le monde, cinq enfants trouvent chacun un des cinq tickets dʼor cachés dans les tablettes de chocolat Wonka, et se présentent donc aux portes de la chocolaterie, accompagnés dʼun membre de la famille. Parmi eux on compte Augustus Gloop, un enfant obèse et glouton, Violet Bauregard, ivre de compétition et ne supportant pas de ne pas être la première en tout, Veruca Salt, une petite fille pourrie-gâtée, Mike Teevee, intoxiqué aux jeux

(Charlie and the Chocolate Factory : 04min28 et 1h32min06)

vidéos et bien sûr Charlie Bucket qui se présente comme un enfant parfait 31


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face aux « tares » des autres gagnants.

monde où le système orthogonal nʼexiste pas. Comme dans le film précédemment étudié, la construction devient un accident et lʼon pense aux

Willy Wonka les accueille donc et entame la visite promise, révélant un univers fantastique où tout est comestible, où les rivières coulent en chocolat

murs et poteaux diagonaux de certains véritables projets dʼarchitecture, ainsi quʼaux images fortes du cinéma expressionniste.31

et où lʼon peut téléporter des confiseries directement dans un téléviseur. Au cours du film, Wonka apparaît comme un personnage ambigu et dérangé, qui

Mais aussi, et surtout, on remarque que la ville, masse compacte et

voit les accidents de parcours survenir dʼun oeil mi-inquiet mi-amusé. Les

uniforme, semble ne pas avoir dʼautre rôle que de séparer les deux points

enfants vont un par un être éliminés de lʼusine en fonction de leur vice, à

dʼintérêts que sont la maison et lʼusine. De même que la banlieue pastel

chaque fois sur une chanson bien à-propos du personnel miniature de la

dʼEdward aux Mains dʼArgent peut être considérée comme une vaste coquille

fabrique, les Oompa Loompa (Deep Roy, acteur numériquement multiplié à

vide abritant une existence tellement monotone quʼil faut se tourner vers

lʼinfini). Seul restera Charlie (et son grand-père) qui aura donc le privilège de

lʼétrange pour re-dynamiser ses habitants, la ville de Charlie... est en fait un

prendre la succession de Wonka à la tête de la Chocolaterie.

espace-tampon. Dʼailleurs, les quelques rares séquences dans la ville le démontrent bien : le vivre ensemble et le contexte urbain nʼintéressent pas

Dès le générique dʼouverture, Burton suit à la fois lʼélaboration

Burton. Comme dans ses autres films, cʼest lʼisolement quʼil donne à voir.

improbable des barres de chocolat Wonka et les cinq tickets dʼor qui y sont cachés, avant de nous faire suivre la sortie de lʼusine des camions qui iront

Ainsi, peut-être propose-t-il une manière de considérer la ville par ce

disperser dans le monde ses marchandises. Lors de cette longue séquence

quʼelle recèle dʼétrange, de hors norme, allant jusquʼà proposer à ses

où se côtoient plans numériques, maquettes physiques et décors en studio, le

personnages, et donc au spectateur, de sʼapproprier ces étrangetés comme

réalisateur nous promène dans lʼarchitecture particulière de la Chocolaterie,

autant de portes de sortie, dʼéchappées au monde réel, au quotidien terne et

avant de la révéler comme un monument posé au coeur dʼune ville uniforme.

banal, vers lʼailleurs.

Un peu plus tard, il nous présente la famille Bucket, dʼabord par un plan

De fait, il est à noter que la version de Burton de Charlie et la

large situant leur maison par rapport à la ville et, surtout, à lʼimposante

Chocolaterie propose quelques modifications par rapport au livre originel et

cathédrale du chocolat. Le foyer des Bucket nʼest pas sans rappeler la

au premier long-métrage de Mel Stuart avec Gene Wilder (1971). Lʼune dʼelle,

maison de Jenny dans Big Fish : elle semble avoir été construite dans un

sûrement la plus importante, apporte de lʼépaisseur à lʼhistoire et au

31

Antoine de Baecque, Tim Burton, op. cit., p.117.

32


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Dʼune trame urbaine rigide et répétitive surgit lʼaccident : dent creuse, espace vacant, porte ouverte vers lʼinconnu, invitation au voyage. La situation inverse, lʼapparition de cet élément sériel dans un environnement vide lui offre une originalité quʼil nʼaurait jamais eu autrement : lʼaura magique et accidentelle des destructions urbaines ? (Charlie and the Chocolate Factory : 1h19min22 - 1h19min58 - 1h39min18)

personnage de Willy Wonka : celui-ci, qui dans le texte de Dahl passait pour

récit. Le dernier de ces flashbacks et la séquence de « dénouement »

un riche excentrique à qui tout a réussi, devient sous lʼoeil de Burton une

peuvent être mis en parallèle, à la fois en terme de récit et dʼimage.

sorte de monstre, un esprit dʼenfant dérangé dans un corps dʼadulte, qui possède un passé, lourd de mauvais souvenirs quʼil tente dʼensevelir.

Dans le dernier souvenir que Burton nous donne à voir, le jeune Willy Wonka se rebelle contre son père (un dentiste qui porte en horreur toute

Cet aspect de Wonka est révélé par la présence timide de Charlie qui,

forme de sucrerie, interprété par Christopher Lee) et quitte lʼappartement pour

en archétype de gentil garçon bien élevé, humble et peu intéressé, ne pose à

« faire le tour du monde et ouvrir une chocolaterie ». Alors que lʼenfant sort

Wonka que des questions relatives aux parents du chocolatier de génie

dans la rue, un plan fixe expose une série de petits immeubles en brique,

(quand les autres enfants ne sʼintéressent quʼà la manière de remporter le

dʼinspiration anglaise, dont la différenciation nʼest possible que par la couleur

prix mystérieux qui les attend peut-être en fin de visite).

des portes dʼentrées. On peut voir par-là une autre représentation de la banlieue uniforme et prétendument sans histoire que Burton mettait déjà en

Ainsi, les souvenirs de Wonka, pure création burtonnienne,

scène dans Edward aux Mains dʼArgents.

apparaissent en flashbacks au long du film, et permettent au réalisateur de faire un détour de style avant dʼarriver finalement à la clôture originale du

Un peu plus tard mais toujours dans cette même séquence, Wonka retourne sur ses pas et rejoint la maison. Burton adopte sensiblement le 33


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même cadrage, mais en lieu et place de lʼimmeuble que lʼenfant venait de

Nous abordons ici un autre aspect de lʼaccident, qui est finalement

quitter sʼétend à présent un terrain vague à perte de vue, alors que le

assez proche de sa définition artistique : lʼaccident est ce qui perturbe, ce qui

voisinage semble inchangé (la couleur des portes, une fois encore, permet

interroge. Ce qui crée un intérêt chez le regardeur. Lʼabsence dʼun élément

lʼidentification des immeubles de part et dʼautre).

dans une continuité sérielle, la différence entre (trop) plein et vide, la disparition soudaine de ce qui était là, avant.

Il y a là un premier accident à noter, à la portée de lʼarchitecture. Ce qui se dessine au-delà de ce linéaire de façades monotones, cʼest un paysage

Vers la fin du film, Burton réactive cette image, cette « esthétique de la

délaissé, camouflé, ignoré, qui se trouve révélé par lʼabsence soudaine et

disparition » en envoyant son héros à lui, Willy Wonka, conduit par Charlie, le

inexpliquée, même inexplicable, dʼune architecture (comment en lʼespace

héros officiel, retrouver son père et son foyer quʼil avait quitté des années

dʼune journée au plus lʼimmeuble entier a-t-il pu disparaître ?). La rupture

auparavant. Au milieu dʼun désert de neige se dresse lʼimprobable bâtisse qui

inattendue dʼune série ouvre vers un ailleurs, un au-delà, un imprévu, un

sʼétait évaporée dans son enfance. Inchangé (toujours une porte vert olive,

impensé pour le promeneur. Une envie dʼévasion, également, comme pour le

toujours le même cadrage) mais cette fois-ci isolé, lʼimmeuble autrefois banal

jeune Wonka qui, de fait, continuera à arpenter le monde plutôt que de

devient ici un point dʼintérêt particulier. Cʼest comme si Burton illustrait cette

chercher à rentrer chez lui.

sentence de Virilio quant à la vitesse et au caractère déjà accidentel de la disparition : « lʼurbanisme dérive, lʼarchitecture se déplace constamment, la

Se pose aussi la question de la démolition, des remaniements urbains.

demeure nʼest plus que lʼanamorphose dʼun seuil. » 32

Même si ces remaniements sont planifiés, il en résulte un parfum dʼaccident dans la continuité urbaine, une forme dʼimprévu pour celui qui sʼattendait à

Profitons de ce retour à Virilio pour reprendre un instant sa définition de

trouver une continuité dans lʼespace dʼun déplacement. À lʼimage de cet

lʼaccident. Partant du principe que chaque innovation technologique entraîne

extrait où le jeune Wonka ne comprend pas ce quʼil est advenu de sa maison,

un accident spécifique. Quel pourrait être lʼaccident lié à lʼarchitecture ?

une parcelle en friche dans la ville entraîne lʼinterrogation du flâneur : quʼy avait-il avant à cet endroit ? Pourquoi ce terrain est-il vague ? Quʼest-ce qui va se mettre en place, se construire ici ?

Peut-être trouverons-nous une piste de réponse dans cette anecdote tirée de Charlie et la Chocolaterie : le grand-père de Charlie lui raconte les légendes liées au mystérieux Willy Wonka. Lʼune dʼelle fait état dʼun prince indien qui avait demandé à Wonka, déjà maître chocolatier, de lui bâtir un

32 Paul Virilio, Esthétique de la disparition, op. cit., p. 71.

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Une innovation matérielle (mais fictive) entraîne une catastrophe architecturale encore inédite : un palais indien construit entièrement en chocolat fond intégralement au soleil peu de temps après sa construction (Charlie and the Chocolate Factory : 8min47 - 9min12 - 9min25)

palais entièrement fait de chocolat, de la structure aux parements en passant

coeur du Sahara, pour des raisons similaires et évidentes, on peut admettre

par la plomberie. Ce que Wonka fit, en précisant néanmoins que sous un tel

que lʼutilisation dʼun matériau nouveau dans la construction peut toujours

climat (à priori aux alentours de Pondicherry) la construction ne ferait pas long

réserver des surprises à plus ou moins long terme, des imprévus, des

feu. Et effectivement, le palais tout entier se mit à fondre peu de temps après

accidents.

que le prince sʼy fut installé. Cette anecdote digne dʼun conte de fée (Charlie et la Chocolaterie était à lʼorigine un livre pour enfant) offre à Burton la

Nous avons donc vu à travers les séquence de ce film, dʼune part

possibilité de mettre en image un catastrophe chocolatière à grande échelle,

comment lʼaccident à lʼéchelle architecturale pouvait avoir des répercussion à

qui se traduit à lʼécran par une séquence hallucinante où lʼon peut voir la

lʼéchelle de la ville et des habitants, complétant ainsi les points abordés dans

majesté dʼune architecture iconique fondre littéralement et sʼeffondrer sur elle-

lʼanalyse dʼEdward... et de Big Fish, et nous avons exploré lʼaccident

même à la manière dʼun film catastrophe.

technique spécifique intrinsèquement lié à lʼarchitecture. Reste un dernier point à aborder ici, entrʼaperçu dans lʼanalyse dʼEdward..., qui est la question

Par là, on peut appliquer le concept de lʼaccident induit par

de lʼaccident dans les espaces intérieurs.

lʼinnovation : lʼusage dʼun matériau de construction non conventionnel a entraîné une détérioration spécifique et inédite dans le domaine de

La Chocolaterie est intéressante en ceci que cʼest un lieu idéal,

lʼarchitecture. Et même si lʼon ne tente pas de construire un igloo en plein

fantasmé par son créateur excentrique Willy Wonka (et à travers lui, Tim 35


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Burton). Son intérieur recèle à la fois une usine pleine de machines, de laboratoires et de bureaux, des paysages fragments du monde (rivière de chocolat, prairie jonchée de friandises, montagne de sucre glace), et une ville multidirectionnelle équipée de services tel quʼun hôpital et une administration globale. Le complexe est à ce point démesuré que les déplacements des visiteurs se font rapidement par un ascenseur de verre qui se meut verticalement, horizontalement et même en diagonale.

On retrouve donc ici un univers communautaire, peuplé dʼune multitude dʼoccurrence du même individu, lʼOompa Loompa, et ayant par rapport au monde extérieur un fonctionnement indépendant et hermétique. Cette question de lʼautarcie ayant déjà été évoquée dans les analyses des films précédents, on peut à présent sʼinterroger sur la qualification accidentelle de lʼisolement, jusque dans son fonctionnement. Après tout, la présence dʼune ville dans la ville revêt un caractère accidentel dans le sens où elles se situent en marge lʼune par rapport à lʼautre, mais aussi parce quʼil est difficile de saisir quelle forme urbaine résulte de la présence de lʼautre.

Quant à la Chocolaterie à proprement parler, son accès se fait par un couloir dʼapparence démesurée aboutissant sur une porte. Alors que les personnages sʼen approchent, on constate que le couloir est en fait conçu en perspective forcée, ce qui fait que la porte dʼentrée devient lilliputienne lorsque tout le monde est arrivé devant (sorte de préfiguration des jeux dʼéchelle dʼAlice au Pays des Merveilles). Par un premier accident influent sur les sensations des visiteurs (et des spectateurs), Burton intrigue et propose de nouveau une ouverture vers un monde différent, une marge dans la marge

Usage de la perspective forcée : une mise en scène de lʼaccident dʼéchelle dans la droite lignée du pays des Merveilles de Lewis Carol... (Charlie and the Chocolate Factory : 36min29 - 38min48)

de la Chocolaterie, une digression vers toujours plus de fantastique. 36


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III - Dans le terrier du lapin blanc (réflexions pendant la chute)

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Question de lʼéchelle Dans lʼanalyse de Charlie et la Chocolaterie, nous émettons lʼidée dʼun lien entre lʼaccident architectural et la question de lʼéchelle (notamment dans la séquence de lʼarrivée dans la chocolaterie lorsque la porte est manifestement plus petite que le public qui doit la franchir). De ce lien découle la question de la maquette en architecture.

La maquette, le modèle réduit, ne serait-il lui aussi pas un accident architectural ? La création dʼun bâtiment en tout point réalisable, réel et concret, mais qui ne peut remplir sa fonction principale dʼarchitecture : servir dʼabri, que ce soit pour des hommes ou pour des programmes spécifiques aux hommes et/ou à leurs activités.

Sur cette question de lʼéchelle, on notera également la séquence dʼintroduction de Beetlejuice (1988) : le film ouvre sur un long travelling audessus dʼune ville américaine paisible et boisée, bien loin des banlieues déshumanisées que Burton mit en scène plus tard dans Edward... ou dans Charlie... Tout au long de ce survol, on note que le paysage qui se déroule sous nos yeux ressemble à un modèle réduit, et on pense donc aux effets spéciaux qui permettent de mettre en scène un territoire fictif. Mais au terme de cette séquence, qui carde sur la maison qui sera le lieu principal de lʼaction, une énorme araignée survient et révèle alors la taille réelle de la représentation. Un plan plus large montre un des deux héros (Alec Baldwin) qui saisit la créature arachnéenne : la ville est bel bien une maquette, située dans le grenier de la maison.

Beetlejuice, ou la rupture dʼéchelle comme perte de repère : quʼest-ce qui réel ? Quʼest-ce qui est image ? Et dans quel espace vivons-nous ? (Beetlejuice : 2min24)

Un peu plus tard, une séquence similaire présente le survol réel de cette même ville, suivant cette fois-ci le trajet du couple de héros vers lʼaccident de voiture qui marquera le début de leur existence de fantôme et donc le sujet principal du film : comment hanter sa maison et se débarrasser des vivants qui en ont pris possession après notre mort.

Mais cette mise en abîme que propose Burton ne se limite pas aux premiers instants du film. En effet, les changements dʼéchelles sont fréquent entre le monde « réel » et la maquette du grenier, notamment par la présence du rôle-titre, Betelgeuse (Michael Keaton), un mort-vivant qui assume le 38


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fonction de bio-exorciste, et qui réside dans le cimetière miniature de la maquette. Systématiquement minuscule et de taille humaine, Betelgeuse interroge sur la réalité et les rapports dʼéchelle, ainsi que sur le statut de la maquette, provoquant une série dʼaccidents dʼéchelle pour les protagonistes qui se trouvent à leur tour rétrécis dans un univers immense ou bien géants confrontés à des formes si petites quʼelles en deviennent hors dʼatteinte.

Cette mise en abîme est également présente dans Charlie et la Chocolaterie, ailleurs que dans la scène de la perspective forcée que nous avons étudiée plus haut. Charlie rêve tellement de découvrir la chocolaterie de Willy Wonka quʼil en fabrique une réplique en maquette, quʼil complète soigneusement et patiemment avec les bouchons défectueux de tubes de dentifrice que son père (Noah Taylor) lui rapporte de lʼusine où il travaille.

Ici, lʼaccident est sublimé par de multiples échelles : tout dʼabord, cette maquette issue dʼun accident du destin (sans lequel il nʼy aurait pas dʼhistoire) faisant que Charlie, appartenant à une famille extrêmement pauvre, ne peut pas même approcher lʼobjet de ses désirs ; puis, le rapport dʼéchelle transformant soudainement une immense cathédrale machinique surplombant la ville, véritable accident urbain en elle-même, en un modèle réduit enfantin et de fait accessible ; et enfin, le fait que ce qui constitue cette maquette est une somme dʼaccidents industriels, de raté, dʼimprévus dans les morceaux de plastique destinés à fermer des tubes de dentifrice mais désormais incapable dʼassumer leur fonction première et reconvertis en image dʼarchitecture.

Dʼailleurs, ne serait-ce pas une nouvelle application de lʼaccident architectural que lʼutilisation constructive de matériaux qui à lʼorigine nʼavaient

Utilisation de la maquette : Charlie Bucket récupère les bouchons de tubes de dentifrice « accidentés » pour produire un modèle très réaliste de la chocolaterie quʼil rêve de visiter, laquelle, par son échelle démesurée, se révèle être un nouvel « accident » urbain dans le skyline dʼune ville sans nom (supposée être Londres). (Charlie and the Chocolate Factory, : 10min27 - 5mins38)

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pas cette vocation ? Même si cette utilisation se fait à dessein, la présence dʼune structure en sacs de sable (Bellastock), en bouteilles plastiques (construction au Brésil, recherche rapide à faire...) ou en canettes dʼaluminium (PFE de Cyrille Faubert, ENSAPM 2008) de part son côté imprévisible et étonnant aux yeux de lʼusager, du spectateur dʼarchitecture, constitue une forme dʼaccident lié à lʼarchitecture.

Quant à la mise en abîme suggérée par Burton, peut-être peut-on en trouver un écho dans Synecdoque New York (2010) de Charlie Kaufman, où un metteur en scène de théâtre décide de monter une pièce sur sa vie, sur toute vie, en recréant un quartier de New York en décor dans un immense hangar situé dans la ville réelle, et ce décor propose donc une réplique exacte de ce hangar, dans lequel se trouve le même décor de quartier avec un comédien qui joue le rôle du metteur en scène et qui recrée donc un autre décor de la ville dans le hangar du décor...

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Images du Réel

Dans un premier temps, considérons le restaurant "Sakasa Resuto" (qui peut se traduire approximativement par « Restaurant la tête en

Recherchons à présent, en dehors du cinéma et de la théorie

bas »), à Matsumoto au Japon. Dʼemblée, on constate un renversement des

philosophique, des exemples réels dʼarchitecture, ou dʼurbanisme, qui

standards de lʼarchitecture : le symbole de la maison traditionnelle avec

pourraient illustrer la notion tant recherchée de lʼaccident.

toiture à double pente se trouve ici couchée sur le côté, gisant au bord de la route comme par accident (on lʼimagine comme résultat des effets dʼun

Dans un premier temps, on pourrait considérer chaque expression

séisme ou dʼun tsunami, tous deux fréquents sur lʼarchipel nippon), et invitant

architecturale comme accident vis-à-vis de la nature, de la terre, au sens que lʼétat initial de la substance « territoire » se change en « ville » sous lʼeffet dʼune série dʼaccidents architecturaux qui surviennent. Cependant, la question de la spontanéité disparaît en regard de lʼhistoire des civilisation : le choix dʼun emplacement que choisissent des nomades pour se sédentariser ne doit rien au hasard, et est même particulièrement complexe : il dépend des ressources naturelles à disposition, ainsi que de la topographie, du climat... Sans compter que le processus constructif est suffisamment planifié pour ne pas pouvoir être qualifié de « spontané ».

Alors, peut-être que lʼaccident se manifeste et se formalise, comme évoqué plus haut, par une marginalisation de lʼarchitecture, ou encore par une conception, une forme ou un choix qui sort à tel point de lʼordinaire quʼil perturbe le Réel, ou tout du moins sa perception par un certain public, qui soit regardeur dʼarchitecture. Voyons donc quelques exemple de ces incongruités proches de lʼaccident.

Le «Sakasa Resuto», restaurant renversé à Matsumoto au Japon : intérieurement, mis à part le mobilier collé au plafond pour préserver lʼillusion, les planchers sont parallèles au sol et les murs perpendiculaires, jouant sur lʼambiguité du caractère accidentel de lʼensemble.

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les passants et les touristes à sʼy arrêter, au moins pour la regarder et la prendre en photo.

Les couleurs (blanc et rose) renforcent lʼaspect irréel de cette « maison », lʼinscrivant dans lʼunivers des jeux dʼenfant (la maison de poupée) qui auraient ici grandement changé dʼéchelle (on envisage alors un enfant géant qui nʼaurait pas rangé sa chambre et qui aurait négligemment laissé traîné ses jouets). On peut également y voir une allusion aux contes, la dimension extraordinaire dʼune maison qui sʼenvole (Le Magicien dʼOz), qui voyage, qui se déplace (Charlie et la Chocolaterie)... En cela, cette image pourrait presque être issue dʼun film de Burton.

Mais elle est aussi une architecture-logo, évolution improbable de

Christine Rusche, Deuce, 100 m2 x 6 m, ALLES NUR GETRÄUMT?, Württembergischer Kunstverein, Stuttgart (D), 2005.

lʼarchitecture-canard définie par Robert Venturi33 : le bâtiment devient un symbole qui provoque sa popularité, un accident désiré et maîtrisé dans le

porte vers un autre univers, un monde noir et blanc situé au-delà des murs,

paysage urbain et dans lʼimaginaire collectif.

au-delà du quotidien.

Concernant lʼaspect intérieur, voici un exemple, plus plastique

Cependant, ce dernier exemple nʼétant pas le fait dʼun architecte, nous

quʼarchitectural, mais ayant des effets sur lʼespace et sur la manière dont il

pouvons nous interroger sur ce quʼun bâtisseur dʼexpérience pourrait

est perçu. Le travail de lʼartiste allemande Christine Rusche consiste en une

proposer comme forme et comme fond à lʼarchitecture, autrement dit, quel

peinture « explosive », représentant un agencement chaotique de figures

bâtiment récent serait en mesure dʼexprimer un ou plusieurs aspects de

géométriques, un jeu sur les formes transformant la notion de perspective

lʼaccident. Et plus particulièrement, pour reprendre à nouveau Virilio, quelle

pour le spectateur qui se trouve dans la pièce où se situe lʼœuvre.

architecture témoignerait dʼun aspect de lʼaccident spécifique à la technique

Rapidement, le corps perd ses repères dans cet espace modifié, le regard se

architecturale ?

perd le long des lignes aiguës et fuyantes, canalisé comme à travers une

33

Robert Venturi, Learning from Las Vegas, 1972.

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Mais ce nʼest pas tout. Au-delà de lʼallure même du bâtiment, qui évoque assez directement lʼexpressionnisme Burtonnien et ses bizarreries architecturales biscornues et torturées, cette réalisation extrême peut elle aussi être considérée comme représentation physique de ce que lʼarchitecture peut provoquer dʼaccidentel. Dans le cadre dʼune exposition universelle, le pavillon représentant dʼun pays se doit dʼêtre une vitrine de ses valeurs, de ses idéaux, mais aussi de sa maîtrise des innovations technologiques.

L'utilisation de matériaux recyclables tels que l'acier, le verre, et le bois ou encore lʼacier Corten, ayant la propriété dʼêtre constamment recyclable car François Valentiny, Pavillon du Luxembourg à lʼExposition Universelle de Shanghai en 2010, photo prise sur le chantier.

il ne nécessite pas de traitement anti-corrosion, permet dʼune certaine manière dʼaller au-delà de la temporalité de lʼarchitecture : chaque matériau a une triple existence (une vie avant, une vie pendant, une vie après le

Le Pavillon du Luxembourg à lʼExposition Universelle de Shanghai

bâtiment). Cʼest donc un accident, dʼune certaine manière, dʼaller chercher ce

2010, de lʼarchitecte François Valentiny, possède également un caractère

qui a déjà été exploité pour en changer, voire en détourner son utilisation, et

cinématographique, et laisse les esprits vagabonder quant au sens de sa

imaginer encore un autre...

forme. Des dires même de son concepteur, « le pavillon peut représenter une grande maison familiale, un château, un temple chinois... Lʼimagination

Et enfin, dans un autre registre, on peut dresser un parallèle entre la

humaine nʼa aucune limite » 34. Sommes-nous à nouveau, comme dans

séquence du flashback dans Charlie et la Chocolaterie (où lʼimmeuble semble

Charlie... en présence dʼune porte de sortie du quotidien ? Cʼest en tout cas

avoir été déplacé) et un fait historique particulièrement étonnant. En Russie,

un objet dʼintérêt, de curiosité.

sous lʼimpulsion du plan directeur de Staline de 1935, la plupart des bâtiments et monuments de la rue Gorki à Moscou (actuelle rue Tverskaya) ont été « déplacés » : séparés de leurs fondations et montés sur des vérins

34

François Valentiny, sur le site internet officiel du Pavillon du Luxembourg : www.luxembourgexposhanghai.com/fr/.

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hydrauliques pour rejoindre leurs nouveaux emplacements. Les logements étaient encore habités et les systèmes de plomberie étaient fonctionnels durant le déplacement35.

Cʼest à lʼarchitecte communiste Arkady Mordvinov que cette mission particulière a été confiée, on ne peut donc pas dire que cette opération revêt le moindre caractère spontané. Et pourtant, nous sommes certainement encore en présence dʼun accident : ici, cʼest la nature même de lʼarchitecture sédentaire qui se trouve « accidentée », la ville fluctue, les quartiers changent, les tracés évoluent, mais étrangement les immeubles sont les mêmes, comme si lʼon redistribuait les cartes pour tenter une nouvelle expérience urbaine.

Le caractère incongru de cette anecdote historique, couplé aux possibilités spatiales surprenantes quʼelle peut offrir quand à lʼappréhension de la ville, en font donc un exemple unique dʼaccident architectural.

Déplacement de logements sur la rue Gorki, à Moscou (source : englishrussia.com)

35

http://englishrussia.com/index.php/2010/05/19/thats-how-houses-move/

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Conclusion

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Arrivant au terme de cette recherche et poursuite de lʼaccident en

Lʼaccident existe et survient de manière importante dans le domaine du

architecture, il est temps de revenir étape par étape sur cette recherche et

cinéma, et plus particulièrement du cinéma de fiction : images fortes,

définir, enfin, ce quʼest ou que pourrait être la définition architecturale de

impression de Réel, sollicitation de lʼimaginaire du spectateur, effets spéciaux,

lʼaccident, et aussi dʼenvisager les accidents spécifiques découlant de cette

catharsis de la catastrophe, rebondissements scénaristiques, situations

pratique.

narratives, imprévus de tournage, etc.

Au cours de la première partie, nous avons vu que lʼaccident est à la

Les liens qui se tissent entre le cinéma, art de lʼimage à dimension

fois le constat dʼun changement dʼétat de la matière, du sujet, sa résultante, et

sociale qui sʼinscrit dans lʼespace et qui le représente, et lʼarchitecture ne sont

lʼévènement inopiné, imprévisible, qui provoque ce changement. Il intervient

aujourdʼhui plus à démontrer, comme en témoigne le vocabulaire emprunté

sur la substance, sur ses trois niveaux : la matière qui la constitue (le

dʼune discipline à lʼautre (cadrage des vues, travelling urbain, scénario de

matériau), sa forme (lʼobjet en lui-même), et lʼaddition des deux (sa fonction).

programmation, espaces publics « théâtres de la vie »...) Il est bien souvent

Bien quʼil possède une forte connotation négative, il peut aussi être

observé que des problématiques urbaines et spatiales se manifestent dans

bénéfique, et apporter de nouvelles qualités à une entité, une situation.

des oeuvres cinématographiques, et les travaux de certains réalisateurs (Tati,

Lʼaccident est également moteur de lʼimaginaire : provoqué, il éveille la

Vertov, Godard, Lynch, Guilliam...) alimentent la réflexion architecturale, et

curiosité, met en danger, interroge ; et non maîtrisé, il peut générer de

vice-versa.

nouvelles dispositions, solutions et perspectives à sa substance perturbée. Il est donc possible, dans une certaine mesure, de définir la part Lʼaccident est donc spécifique à sa substance ; la nature même de

accidentelle de lʼarchitecture à travers le cinéma, et plus spécifiquement à

lʼaccident dépend dʼelle, et les innovations (création de nouvelle substance,

travers les films de Tim Burton, dans lesquels lʼaccident est prépondérant, à

nouveaux matériaux, nouvelles fonctions) entraînent par conséquent

différents niveaux.

lʼémergence dʼun nouveau type dʼaccident. À travers les séquences analysées, il ressort que lʼaccident Sʼil existe un accident spécifique à chaque innovation, celles liées à

architectural, au-delà des catastrophes naturelles et constructives qui

lʼarchitecture (et lʼarchitecture elle-même, que lʼon peu considérer comme une

provoquent la destruction des formes urbaines et architecturales, est une

innovation entre lʼétat de nomadisme humain et la sédentarisation sociale)

rupture par rapport à une situation devenue monotone (banlieue ordonnée,

provoquent immanquablement un « accident architectural. »

contexte social lisse...), un événement, un signal qui éveille à la fois la curiosité et lʼintérêt. Un monument, en lui même, est une forme dʼaccident à 46


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lʼéchelle urbaine, surpassant la trame de la ville et faisant converger vers lui les flux humains, sociaux et intellectuels.

Mais à plus petite échelle, le traitement dʼune façade ou lʼinvention dʼune forme architecturale qui, dans son contexte, marque une différenciation notoire ; un « bâtiment-accident » provoque chez le flâneur, qui est peut-être le meilleur regardeur dʼarchitecture, un intérêt qui pour lui changera le statut de toute la rue, voire du quartier ou de la ville.

La rupture dʼéchelle est également un aspect de lʼaccident, abordable aussi bien dans les espaces extérieurs quʼintérieurs. La perte de repères spatiaux, le jeu dʼéchelle sont autant de possibles occurrences de lʼaccident dans lʼespace, créant une fois de plus un intérêt

Très certainement, ce travail de mémoire, de par son corpus, nʼaborde pas toutes les définitions de lʼaccident architectural, ou tout du moins nʼapporte-t-il quʼune partie des réponses quant à savoir comment produire de lʼaccident en architecture. Cependant, et cʼest lʼenvie principale qui a généré ces pages, si lʼon peut construire un discours analytique et théorique de lʼarchitecture par le biais du cinéma Burtonnien, alors lʼoeuvre de celui-ci doit pouvoir receler dʼautres problématiques elles-aussi propres à lʼarchitecture. Et devant le manque dʼécrits théoriques sur ce réalisateur dans le monde architectural, je souhaiterais ouvrir cette conclusion sur le potentiel encore non exploité des films de Tim Burton.

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BIBLIOGRAPHIE Articles Ouvrages de référence : MASSUMI, Brian, Introduction à la peur. Le quotidien américain, Multitudes web, 8 juillet 2004 ARISTOTE, Métaphysique BAEQUE (de), Antoine, Tim Burton, Farigliano, éd. Cahiers du Cinéma, 2005

NEYRAT, Frédéric, Biopolitique des catastrophes, Multitudes web, 12 mars 2007 VIRILIO, Paul, Dromologie : logique de la course, Multitudes web, 1 juin 2004

BARILLET, J., HEITZ, F., LOUGUET, P. et VIENNE, P. (sous la direction de), La ville au Cinéma, Arras, éd. Artois Presses Université, 2005 DELEUZE, Gilles, Cinéma 1 – LʼImage-Mouvement, Paris, éd. de Minuit, 1999 (1983)

Filmographie de référence :

DELEUZE, Gilles, Cinéma 2 – LʼImage-Temps, Paris, éd. de Minuit, 1995 (1985) DELEUZE, Gilles, GUATTARI, Félix, Mille plateaux, schizophrénie et capitalisme, Paris, éd. de Minuit, 1980 FRAGA, K. (sous la direction de),Tim Burton : Interviews, éd. University Press of Mississipi, 2005

Edward Scissorhands (Edward aux mais dʼargent), 1990 Big Fish, 2003 Charlie and the chocolate factory (Charlie et la Chocolatrie), 2005

GIRARD, Christian, Architecture et concepts nomades, Bruxelles, éd. Mardaga, 1986 KOOLHAAS, Rem, New York délire, traduit de lʼanglais par C. Collet, Marseille, éd. Parenthèses, 2002 (1978)

Sites internet :

POLANSKI, Roman, Roman, Paris, éd. Robert Laffont,1984 RONDERBOOM, Viola, American Beasts, The Cinematic Revision of Beauty and the Beast in The Elephant Man and Edward Scissorhands, Université dʼUtrecht, 2006 ROSA, Hartmut, Accélération, Paris, éd. La Découverte, 2010

christine-rusche.de luxembourgexposhanghai.com/fr/ englishrussia.com

SALISBURRY, Mark, Tim Burton par Tim Burton, traduit de lʼanglais par B. Achour, Paris, éd. Sonatine, 2009 SLOTERDIJK, Peter, Ecumes, Sphères III, traduit de lʼallemand par O. Mannoni, Paris, éd. Hachette Pluriel, 2006 (2003) SLOTERDIJK, Peter, La mobilisation infinie, vers une critique de la cinétique politique, traduit de lʼallemand par H. Hildenbrand, Paris, éd. Points Seuil, 2000 (1989) TRUFFAUT, François, Hitchcock, Turin, éd. Ramsay Poche Cinéma, 1986 (1983) VIRILIO, Paul, Lʼaccident originel, Paris, éd. Galilée, 2005 VIRILIO, Paul, Esthétique de la disparition, Paris, éd. Galilée (poche), 1989 (1979)

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Annexe I Fiches techniques des films du corpus (sources IMDb)

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Edward aux Mains dʼArgent (Edward Scissorhands)

Réalisation : Tim Burton

20th Century Fox Scénario : Caroline Thompson dʼaprès une histoire de Tim Burton Producteurs : Denise Di Novi et Tim Burton Production exécutive : Richard Hashimoto

Directeur de la photographie : Stefan Czapsky Chef décorateur : Bo Welsh Costumes : Colleen Atwood Musique originale : Danny Elfman Montage : Richard Halsey

Distribution : Johnny Depp - Edward Winona Ryder - Kim Boggs Dianne Wiest - Peg Boggs Alan Arkin - Bill Boggs Robert Oliveri - Kevin Boggs Anthony Micheal Hall - Jim Kathy Baker - Joyce Monroe Conchata Ferrel - Helen Sortie US : 14 décembre 1990

Caroline Aaron - Marge

Sortie France : 10 avril 1991

O-Lan Jones - Esmeralda

Budget : 20 000 000 $

Vincent Price - Lʼinventeur

Recettes mondiales : 83 400 000 $ Durée : 100 min. 50


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Big Fish (Big Fish)

Réalisation : Tim Burton

Columbia Pictures Scénario : John August dʼaprès un roman de Daniel Wallace Producteurs : Richard D. Zanuck, Bruce Cohen et Dan Jinks Production exécutive : -

Directeur de la photographie : Phiippe Rousselot Chef décorateur : Dennis Gasner Costumes : Colleen Atwood Musique originale : Danny Elfman Montage : Chris Lebenzon

Distribution : Ewan McGregor - Edward Bloom jeune Albert Finney - Edward Bloom Billy Crudup - Will Bloom Jessica Lange - Sandra Bloom Helena Bonham Carter - Jenny / La sorcière Alison Lohman - Sandra Bloom jeune David Denman - Don Price Marion Cotillard - Joséphine Matthew McGrory - Karl le Géant Sortie US : 9 janvier 2004

Steve Buscemi - Norther Winslow

Sortie France : 3 mars 2004

Danny DeVito - Amos Calloway

Budget : 70 000 000 $

Deep Roy - Mr. Soggybottom

Recettes mondiales : 122 919 055 $ Durée : 125 min. 51


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Charlie et la Chocolaterie (Charlie and the Chocolate Factory)

Réalisation : Tim Burton

Warner Bros. Prictures & Village Roadshow Pictures Scénario : John August dʼaprès un roman de Roald Dahl Producteurs : Brad Gray, Richard D. Zanuck Production exécutive : -

Directeur de la photographie : Phiippe Rousselot Chef décorateur : Alex McDowell Costumes : Gabriella Pescucci Musique originale : Danny Elfman Montage : Chris Lebenzon

Distribution : Johnny Depp - Willy Wonka Freddie Highmore - Charlie Bucket David Kelly - Grand-Papa Joe Noah Taylor - M. Bucket Helena Bonham Carter - Mme Bucket AnnaSophia Robb - Violet Beauregard Julia Winter - Veruca Salt Jordan Fry - Mike Teavee Phillip Wiegratz - Augustus Gloop Sortie US : 15 juillet 2005

Christopher Lee - Dr Wonka

Sortie France : 13 juillet 2005

Deep Roy - Oompa Loompa

Budget : 150 000 000 $

Danny Elfman - voix des Oompa Loompa

Recettes mondiales : 474 968 763 $ Durée : 110 min. 52


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Annexe II Fiche de lecture

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Paul Virilio, 1979, éd. Galilée, réedition de 1989 par Le Livre de Poche, Paris. 124 pages 15,5 x 12,7 cm

Résumé du livre (quatrième de couverture, par Paul Virilio)

Réflexion sur le visible, le mouvement, la vitesse et le temps, bref sur la réalité " comme elle va ", Esthétique de la disparition bouleverse nos idées sur les choses et conduit au terme de leur logique les propositions suggérées par la science contemporaine. Si le Temps c'est le cycle de la lumière, si le visible n'est que l'effet de réel de la promptitude de l'émission lumineuse et si ce qui passe de plus en plus vite se perçoit de moins en moins nettement, alors il faut nous rendre à l'évidence : ce qui est donné à voir dans le champ visuel, l'est grâce au truchement de phénomènes d'accélération et de décélération en tout point

Esthétique de la disparition

identifiables aux intensités d'éclairement. Conséquences : le semblant c'est le mouvant, les apparences sont des transparences momentanées et trompeuses, et les dimensions de l'espace ne sont que de fugitives apparitions, au même titre que les choses données à voir dans l'instant du regard.

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Contexte :

Né en 1932 à Paris, Virilio garde le souvenir de la guerre et des

Notions clés :

Absence - Picnolepsie (Epilepsie fréquente) - Effet de réel - Photographie -

bombardements de Nantes qui lui fait naître un intérêt pour la guerre et pour

Cinéma - Mouvement et perception, regard - Voyeurisme-voyage - Vitesse -

lʼinquiétude de la fragilité du monde urbain.

Progrès - Accident, catastrophe

En 1958, après avoir participé comme appelé à la guerre dʼAlgérie, il commence une étude phénoménologique sur les territoires militaires, en particulier sur les bunkers du Mur de lʼAtlantique, qui aboutira en 1975 à la

Plan :

publication de son premier essai Bunker Archéologie. Maître verrier de formation, Virilio sʼassocie avec lʼarchitecte Claude

Pas véritablement de plan, mais quatre chapitres :

Parent pour former le groupe Architecture Principe en 1963. Tous deux deviennent enseignant à lʼESA (Ecole Spéciale dʼArchitecture), où Virilio

1 « Lʼabsence survient fréquemment au petit déjeuner »

glisse de lʼarchitecture à lʼurbanisme tout en conservant son intérêt pour la

Première approche de la disparition par lʼabsence mentale et intellectuelle, le

technologie et la vitesse, dont il baptise lʼassociation de deux

cinéma, la photographie, le voyage (la vitesse)

« dromosphère » et quʼil explore dans des essais publiés notamment entre 1976 et 1978. Soulignant lʼintérêt social de lʼespace concret, celui que nous abordons tous les jours sans même nous en apercevoir, il dirige, depuis 1974, la

2 « On remet en cause actuellement les excès de la raison méthodique… » Psychologie, politique, accélération des techniques et des sciences, question de la vision, des points de vue, perception

collection LʼEspace Critique, aux éditions Galilée, dans laquelle a été publiée notamment Espèce dʼEspaces de Georges Perec et Lʼart de Vivre de Michel

3 « Dans la mesure où son thème principal… »

de Certeau.

Disparition scientifique à travers la guerre et la science fiction

Esthétique de la Disparition est son cinquième essai pubilé. 4 « Lʼhomme pressé de Paul Morand… » Disparition technologique par lʼaccident et le cinéma dʼaction

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Bibliographie (références collectées au fil des pages) Critique Un texte de Catherie Busquet, in Macroscopies, n°6 Walter Benjamin Mendelbrot, Les Objets Fractals, Flammarion Georges Sadou, Georges Méliès, Seghers E.J. Marey, 1830, 1904. Monographie pour lʼexposition de 1977 au Centre Georges Pompidou, Paris Samuel Trigano, « Midbar. Chemama », Traverses, n°9 Paul Virilio, L !insécurité du territoire, Stock, 1976 Jean Duvignaud, Le Jeu du jeu, Balland James Phelan, Howard Hughes, Editions Internationales Alain Stanké, 1977 G.E.R. Lloyd, Magic, reason and expérience, Cambridge University Pess, 1979 G.E.R. Lloyd, Les débuts de la science grecque. De Thalès à Aristote, Masperto, 1974 Mario Pernolia, « Logique de la séduction », Traverses, n°18 Paul Virilio, Vitesse et Politique, Galilée Alain Jaubert, « Electrochocs », Macroscopies, n°6 Paul Virilio, La dromoscopie ou la lumière de la vitesse, Minuit, 1978 Gaston Rageot, LʼHomme standard, Librairie Plon, 1928 P. Souvaistre et M. Allain, Fantômas. Un roi prisonnier, Laffont Lawrence Leshan, The medium, the mystic and the physicist toward a général theory of paranormal, Viking Press, New York Anthony Blunt, Artistic Theory in Italy 1450-1600 Paul Virilio, « Métempsycose du passager », Traverses, n°8 Dominique Pignon, Des risques dʼaccident dans les centrales nucléaires, Christian Bourgois Jules Verne, Les aventures du capitaine Hatteras (Les Anglais au pôle Nord – Le désert de glace), Hachette Claude Pichois, Vitesse et Vision du monde, Editions de la Baconnière, Neuchâtel Aldous Huxley, LʼArt de voir, Payot Léo Villa, Les Tombeurs de records, Hatier Heine, Lutèce, Michel Lévy frères, 1855 Raymond Chevallier, Les Voies Romaines, Armand Colin, 1972

Esthétique de la Disparition est un travail de recherches et dʼinterrogation sur les raccourcis opérés, souvent inconsciemment, par la vitesse, thème de prédilection de Paul Virilio. En cela donc, cet ouvrage est une bonne introduction au reste de son travail, dʼune part dʼun point de vue chronologique (une de ses premières publications) et dʼautre part par la diversité des notions abordées quʼil développera dans dʼautres ouvrages, articles ou expositions par la suite. Ce que lʼon pourrait en revanche reprocher à Virilio, du fait même de sa méthode recherche reposant sur lʼinterrogation constante, cʼest de nous perdre un peu en glissant dʼun thème à lʼautre, du cinéma de science fiction à la Seconde Guerre Mondiale ou de Jules César à Amanda Lear dans une continuité du discours déroutante. Couplé à lʼabsence de plan et de bibliographie en tant que telle, il est par conséquent parfois difficile de suivre la pensée de lʼauteur.

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Remerciements

Pour terminer ce travail, je souhaiterai remercier en premier lieu les enseignants Jac Fol et Yann Rocher, qui mʼont aiguillé dans ma recherche et dans lʼévolution de ma réflexion.

Ensuite, je tiens à adresser un chaleureux merci à mes collègues et « codétenus » de R9, en particulier à Nina Darrasse, Thomas Vongpradith et Arthur Tanner, pour lʼécoute quʼils mʼont successivement accordé et pour mʼavoir permis dʼordonner les idées dans les moments de perte totale de repère.

Enfin, jʼadresse de tendres remerciements à Anaïs, qui mʼa supporté (dans tous les sens du terme) au long de ce semestre douloureux, jusque dans ses prolongations, et qui mʼaccorde la patience de la relecture...


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