ROMA
Cinq jours Ă Rome
UED7 : Le voyage comme connaissance Samuel RIMBAULT Enseignante : Caroline MANIAQUE - ENSAPM 2010
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Jeudi 15 octobre 2009 (prémices) Voilà déjà cinq ans que je fréquente Paris, et je ne lui suis pas toujours resté fidèle. Je l’ai souvent trompé pour d’autres villes, plus belles, plus chaleureuses ou au contraire plus froides mais plus riches. Je ne sais pas si je suis un bon amant des villes ; en tout cas, de la poussière séculaire de Venise aux charmes ambigus d’Amsterdam, en passant par la moiteur torride de Pampelune, je suis toujours revenu fouler les pavés de Paris, ma capitale, en rejoignant la Seine immature dans son lit mouillé pour me faire pardonner. Mais aujourd’hui, je convoite avec intérêt une nouvelle amante, aussi riche et âgée que mon aimée. On raconte que les italiennes ont le charme ténébreux et la caractère bien trempé, que leurs courbes pleines et déliées sont comme une invitation au 5
voyage, mais que leur tempérament inflammable a déjà réduit en poussière bien des hommes. Alors, sachant tout cela, que peut-on dire de la Reine des italiennes ? Que dire de Rome ? Le soleil y est-il aussi pesant qu’à Pampelune, la fière Reine Basque ? Les pigeons y déambulent-ils insouciant comme des pachas en toisant les hordes de touristes venus visiter la Perle Venise ? Recèle-t-elle des secrets, des mystères attrayants dans les replis de sa robe millénaire, avec la majesté d’Amsterdam ? Doit-on y remuer la poussière comme on époussète un antique joyau pour lui redonner son éclat, comme à Bruxelles ? Au-delà des idées fantasmées, je préfère me forger une première opinion, un premier aperçu de Rome à travers les yeux d’un autre. Dans les photographies rapportées de Rome par 6
tre voyageur... u a n u , ge a y o v e vestige d’un autr aginaire im l’ s n a d é im r p im
mes parents il y a près de six mois, la ville se révèle comme une succession de ruines disséminées à travers les rues et les pâtés d’immeubles ; un peu comme le témoignage muet de l’antique splendeur de l’Empire Romain. Ce voyage a laissé des images claires, du soleil éclatant, et des ruelles aux contrastes marqués ; cette lumière méditerranéenne que j’ai archivée dans un coin de ma mémoire. 7
Lundi 2 novembre 2009 (préparatifs) Sachant qu’un voyage se prépare et que l’on ne peut observer que ce que l’on sait déjà, je me suis penché sur la documentation, quitte à y plonger, sombrer et peut-être m’y noyer au bout du compte. Première étape : constituer mentalement une image de Rome ; que représente-t-elle pour moi ? Avant tout, les ruines. L’histoire marquée d’un antique empire, attirant les artistes, architectes et penseurs de toute l’Europe au cours des siècles. Mais le romantisme à ce jour n’est plus qu’un souvenir, et l’attrait que j’avais pour les vestiges croulants m’a quitté au sortir du lycée, un peu comme on laisse derrière soi les lambeaux d’un passé oublié. 8
Astérix et les lauriers de César, premiers contacts entre «Rome» et mo i. La ville révèlera-t-elle autant de sp lendeurs lorsque je la verrai en vrai ?
Non. Les images mentales qui s’échafaudent derrière mes yeux lorsque je pense à la cité millénaire, c’est bien le cinéma. Mussolini avait créé Cinecittá, la cité du cinéma, pour servir sa propagande. Au XXè siècle, Rome devient la ville du cinéma par excellence, concurrençant même le géant Hollywood. Dans tous les sens du terme. Les cinéastes du XXè siècle ont poursuivi l’œuvre des voyageurs et des romanciers des siècles précédents. 9
Mercredi 4 novembre 2009 (arrivée) Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien. Mais ça fait partie du jeu. Je pars sans rien savoir, avec juste quelques images mentales, des clichés fantasmés d’une ville marquée par l’histoire, d’une ville jonchée de vieilles ruines, ici le Panthéon, par là-bas le Colisée et devant nous le Vatican. Un peu comme l’image que je me faisais de Paris il y a quelques années…
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Après un vol au-dessus des nuages, qui ne me permet pas d’apercevoir un seul des bâtiments mythiques, j’atterris dans une banlieue qui, mis à part un palmier devant l’aéroport signalant un changement de climat, pourrait se trouver partout et nulle part. A travers les vitres du bus se déroule un paysage italien, tant au niveau des plantations que des bâtiments. Et ça et là apparaissent les premières ruines périphériques de Rome, poussant comme des champignons dans une nature de plus en plus urbaine. En chemin, je repense à mon arrivée en train à Venise, après une nuit détestable sur une étroite couchette. La magie de Venise, je crois, repose sur cette curieuse théâtralité qui fait se réveiller à pleine vitesse au beau milieu de la lagune, avant d’atteindre, au fil de l’eau, le cœur même de la ville… Cette théâtralité semble ne pas exister à Rome ; du moins pas pour moi. 11
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La gare de Termini ressemble à grand bloc de béton posé dans la ville. C’est un bon repère visuel, surtout depuis l’hôtel, situé sur la via Cavour. Une fois installé, direction le Foro Romano, histoire d’affronter d’emblée les ruines et de ne plus y repenser.
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Ce qui est curieux avec ces ruines, révélées au sein de la ville par des excavations successives dans l’histoire, c’est que leur disposition, pourtant dictée par un urbanisme impérial, semble aujourd’hui être le fruit du hasard, un peu comme si un dieu éméché les avait jeté sur terre sans aucun discernement…
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Rome, au hasard des ruines ?
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Jeudi 5 novembre 2009 (les gens) Finalement, les ruines de Rome, attrayantes pendant des années pour les voyageurs en quête de savoir et de connaissance, me semblent aujourd’hui bien fade. Pour comprendre une ville, il ne faut pas s’intéresser qu’à son histoire. Les gens qui la fréquentent, qui l’habitent ou qui la traversent sont aussi importants.
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Dans la foule hétéroclite de romains, d’italiens et de touristes tels que moi, je déambule à travers les rues et les places, frôlant des yeux les histoires et les individus. Dans une cour, à l’abri des regards et du tumulte des rues (qu’il est dangereux de tenter de passer d’un trottoir à l’autre !) je m’installe pour dessiner un fronton d’église, me mêlant sans trop l’avoir voulu à un groupe d’étudiants en art venus faire presque la même chose que moi. Je laisse mon crayon dériver pour finalement figer leurs attitudes et leurs visages plutôt que les vieilles pierres. Depuis la terrasse d’un café, face à l’ambassade française, sur la piazza Farnese, je remplis une page, avec tout ce qui passe. Les romains et les romaines ont la réputation de savoir s’habiller, toujours à la dernière mode. Une sorte d’extravagance vestimentaire au niveau des couleurs et des formes, parfois à la limite du mauvais goût... 16
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Vendredi 6 novembre 2009 (la Rome baroque) Tôt le matin, sous la clarté glaciale d’un frêle soleil d’hiver, la piazza Navona n’est pas encore remplie de touristes. Je dessine la fontaine de Borromini, en pensant à cette scène mythique de la Dolce Vita, où l’actrice danse dans le bassin de la fontaine de Trevi. Une fois le dessin achevé, je consulte mon plan et me mets en route vers la fontaine. Loin des images oniriques de Fellini, la fontaine de Trevi reste imposante et magnifique, offrant son spectacle exceptionnel de pierre et d’eau à une foule de badauds armés d’appareils photo, foule au milieu de laquelle je me tiens.
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Etrangement, je trouve que cette multitude de personnes gâche la magie du lieu, la magie de la ville. Plus j’y passe de temps, moins je la trouve attirante ; son charme figé dans la pierre et ses hordes avides d’images et de souvenirs me déplaisent ; je n’arrive pas à établir de relation privilégiée avec Rome, je ne supporte pas de devoir la partager. 20
Peut-être que la Rome que je cherche, que je poursuis, est plus celle entrevue, devinée dans les films. Peut-être que, comme Fellini, la Rome que je recherche n’existe plus que par des images sur pellicule ou des décors de cinéma. Je partirai en quête de cette Rome-là dans la sublime Cinecittá, la ville illusoire dans la ville réelle. 21
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Dimanche 8 novembre 2009 (Cinecittá) Sorti du métro, j’arrive directement devant les portes de la mythique cité du cinéma Romaine. Juste en face du large fronton étalant ses grandes lettres rouges s’étend un curieux paysage de fin d’urbanisation et de début de ruralité. Je trouve frappant qu’une opération de cette taille et de cette prétention se trouve si loin de la ville. Les grilles sont fermées, et le gardien à l’entrée (qui parle un anglais trop bon pour être vrai) me fait comprendre que je ne peux pas entrer visiter les studios en dehors des circuits programmés. Je ne resterai pas assez longtemps dans la capitale
e Cité du Etrange face à face entre la mythiqu banlieue Cinéma et le paysage alentours, mi.. lointaine, mi-campagne naissante. 23
italienne pour voir enfin de l’intérieur les locaux et les décors de la grande usine à propagande mussolinienne. Par conséquent, je dirige mes pas vers le quartier qui jouxte les studios. Les rues sont désertes. Les immeubles décrépits. Une boutique affiche fièrement sur sa porte close qu’elle est ouverte tous les jours, même le dimanche. On dirait qu’elle n’a pas ouvert depuis des mois. Marchant sur les trottoirs détrempé, j’enjambe des étoiles en pierre rousse, frappées de noms d’acteurs romains qui me sont totalement inconnus. Sale et couverts d’une couche graisseuse de feuilles mortes, ces noms peinent à reluire de leur splendeur passée.
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Après quelques heures à errer sous la pluie me vient l’étrange impression de déambuler dans une de ces villes fantômes américaines, comme celles que l’on voit dans les westerns spaghetti. J’en suis presque au point d’espérer croiser un cow-boy solitaire dans ces rues silencieuses. Je finis par retourner au métro. Où est passée la légendaire splendeur de Cinecittá ?
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Lundi 9 novembre 2009 (départ) Après une nuit passée à errer dans les rues nocturnes, arrosé par une pluie diluvienne, je fais mes adieux à la ville. En attendant le bus, adossé à la gare de Termini fermée, au milieu des autres errants de Rome, voyageurs et vagabonds, je ne ressens aucun « mal de la ville » ; j’ai l’impression de quitter Rome comme j’y étais venu : sans histoire dans mes bagages. Avec une légère déception en plus…
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« Puisque Rome est une mère, elle est la mère idéale dans son indifférence. C’est une mère qui a trop d’enfants et qui ne peut donc pas s’occuper d’un seul, elle ne réclame rien, elle ne s’attend à rien. Elle t’accueille lorsque tu viens et te laisse partir quand tu t’en vas, comme au tribunal de Kafka. » Federico Fellini, in Fabrizio Borin, Federico Fellini, Voyage sentimental dans l’illusion et la réalité d’un génie, traduit de l’italien par Marylène Di Stefano, avec la collaboration de Blanche Bauchau at Martin Capdevielle, éd. Gremese, 1999
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Mercredi 11 novembre 2009 (réminiscences) Fatigué d’errer sur les pavés de Paris Et lassé de tourner en rond durant des mois, J’avais laissé le Poète parler pour moi Disant « Partons, mon âme, ce pays m’ennuie » Et je suis venu à toi, sans aucune crainte, Comme un enfant égaré se cherche une mère Et abandonne un foyer devenu amer Sans verser de larmes et sans pousser de plainte. J’ai recherché des repères dans tes dédales, J’ai frôlé sans toucher ta beauté lancinante, J’ai sombré loin dans tes mirettes envoûtantes, J’ai aussi goûté tes déluges sans égal.
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Je me suis blotti près de tes jupons de pierre Ignorant que ton immense cœur de Madone Ne reçoit de ses enfants pas plus qu’il ne donne Et renvoie au pays les esprits de chimères, Et aujourd’hui revenu de ce long périple, Dans le réconfort de ma vieille capitale, Je saisis un papier et ma plume bancale Et j’étale pour toi mes souvenirs multiples. Cité étincelante aux accents effrayants Qui déroula sous mes pieds son goudron fasciste, Je ne chercherai pas à établir la liste De tes parts d’ombre ou de tes charmes arrogants, Je préfère grader au creux de ma mémoire Les timides sursauts glanés au fil des rues, Des places obscures ou des rues incongrues Que tes promesses ou tes charmes illusoires. 29
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adieu, Rome...
...et à bientôt, peut-être.
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