6 à pâques par les Trousseurs Textuels

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6 à Pâques



6 à Pâques Nouvelles Pour lecteurs de plus de 16 ans Ouvrage dirigé par Isabelle Bruhl-Bastien & Isabelle Lorédan Mise en ligne de Sandrine Décembre

Les Trousseurs Textuels (collectif d'auteurs)


Crédit couverture et 4ème de couverture Isabelle Bruhl-Bastien ©Les Trousseurs Textuels décembre 2015 5 rue des écorces 70290 Plancher-Bas Toute reproduction, même partielle, interdite.


Le chêne de Pâques Isabelle Bruhl-Bastien

C’est la première fois que je ne passe pas le jour de Pâques avec mes proches. Mes deux fils, dix-sept et dixneuf ans n’ont depuis longtemps plus l’âge d’aller chercher les œufs en chocolat dans le jardin. Quant à partager des moments conviviaux, à table avec la famille, ça ne les intéresse plus, du moins pour le moment. Mais je les comprends, entre une mère qui manque honteusement d’enthousiasme, un père qui a perdu tout sens de communication humaine et des grands-parents paternels sans cesse dans les reproches, je pense que j’agirais de la sorte si j’étais à leur place. Cette année, nous avons décidé de vaquer chacun à nos occupations. Pour être honnête, cela m’arrange. Aujourd’hui, j’ai quelque chose de nettement plus excitant à faire. Adolescente, j’étais mal dans ma peau, je me trouvais laide, trop grosse, stupide. Avec les garçons, c’était un désastre. Ils m’effrayaient. Pourtant, maintes fois, j’étais tombée amoureuse. Je me faisais des scénarios des plus


romantiques aux plus coquins. Lorsque je croisais ceux qui me faisaient vibrer, bien entendu d’une manière platonique, je rougissais et baissais les yeux. J’étais cependant certaine qu’ils ne me remarquaient pas. Ils n’avaient d’yeux que pour Valérie, la bombe du lycée. Il faut dire qu’elle était superbe. Elle abusait de ses charmes, la bougresse ! Je me souviens qu'elle a dû sortir avec la plupart des garçons de ma classe, mais pas seulement. Une rumeur s’était propagée. La belle aurait eu une liaison avec l’un de nos enseignants, ainsi qu’avec le père de l’une de ses amies. Ces potins ne semblaient pas la perturber. En cours d’année scolaire, ce devait être en janvier, « IL » est arrivé et a traversé la cour. Son blouson de cuir ouvert sur un pull beige, col en V. Les cheveux bruns, ébouriffés. Un petit côté voyou, sans pour autant en être un. Bien au contraire. Nous nous sommes toutes retournées sur son passage. Imaginez la scène au ralenti, avec la musique qui va bien, en fond sonore. Un peu cliché, je vous l'accorde, mais c’est ainsi que cela me revient en mémoire. Ma première pensée a été pour Valérie. « Encore un qui va finir dans son lit ! » me suisje dit. Cette idée me minait. J’en crevais de jalousie. « IL » avait quelque chose de plus que les autres. Un regard ténébreux, un je ne sais quoi qui faisait que mon corps tout entier s’est mis à trembler. En sortant des cours, je me suis réfugiée sous le chêne à cinq cents mètres de la sortie du village. Cet arbre était mon ami, mon confident. Il était entouré de champs, mais caché par un bosquet. Je me sentais sereine à ses côtés, car il


avait le don de m’apaiser. Ce soir-là, assise contre son écorce, je pensais à ce garçon. Je rêvais qu’IL me prenait dans ses bras avant de m’embrasser, me déshabiller, me susurrer des mots pas seulement doux au creux de mon oreille, et de me faire l’amour. Mais, persuadée qu’IL ne serait jamais pour moi, je m’étais mise à pleurer toutes les larmes de mon corps, encore frémissant des caresses imaginaires. Les jours, les semaines, les mois ont passé. Le jour de Pâques, comme le voulait la tradition, j’étais en famille. Ma cousine est arrivée avec son petit ami. Elle était radieuse, folle de bonheur. J’étais heureuse pour elle et pourtant je dois avouer aujourd’hui, car il y a prescription, que j’avais mal aux tripes, tant je l’enviais. Prétextant des révisions pour le baccalauréat, je me suis éclipsée. En fait, j’ai pris la fuite. Il me fallait retrouver au plus vite mon arbre-fétiche. J’ai ainsi laissé derrière moi la maison familiale, ses bruits, ses rires, ses éclats de voix. Il faisait frais. Dans la précipitation, j’étais sortie en robe légère, sans prendre la peine de mettre une veste. Comme chaque fois, je me suis assise au pied du chêne, les genoux repliés sur ma poitrine. Soudain, un craquement s’est fait entendre derrière moi. Je n’osais plus bouger. Ma respiration était saccadée et je frémissais d’angoisse. - Bonjour Marie ! En un bond, je me suis retrouvée debout, devant LUI.


Je pouvais entendre mon cœur battre dans ma poitrine. - Désolé, je ne pensais pas t’effrayer ! Son regard, Mon Dieu ! Comme son regard était perçant. Il me semblait qu’il pouvait lire dans mes pensées. Je devais être écarlate. Aucun son ne pouvait sortir de ma bouche. Que devait-il penser de cette fille insipide, laide, niaise, qui lui faisait face ? Le souvenir reste intact dans ma mémoire. - Ma… Marc ! Que fais-tu ici ? Un sourire se dessinait sur son visage. Ses yeux pétillaient. Sa bouche était irrésistible. Mon trouble s'est accentué. Comme j’aurais aimé être aussi téméraire que Valérie ! - Je suis venu te dire au revoir ! - Au… au revoir ! Mais pourquoi ? Mon cœur s’affolait. Mes jambes peinaient à me soutenir. Je sentais des larmes brouiller mon regard. - Je repars à Paris. Tu sais c’est de là que je viens. En fait, j’arrête mes études. Je viens d’avoir 18 ans et j’ai trouvé un boulot là-bas.


- Pourquoi es-tu venu me l’annoncer ? Et comment savais-tu que je serais là ? - Parce que tu es la seule que j’apprécie dans ce bled et dans ce bahut d’ailleurs. Pour répondre à ta deuxième question, je te suis régulièrement. J’avais remarqué que tu venais te réfugier sous cet arbre. Honteuse, j’ai détourné mon regard. Je songeais aux nombreuses fois où mon corps, possédé par des rêves osés, avait répondu aux gestes polissons de mon amant imaginaire. A-t-il été témoin de mes actes sensuels. Je me suis appuyée contre le chêne. IL s’est approché de moi, tout près de moi. Je pouvais sentir son odeur, sa chaleur, son souffle. Mes yeux emplis de larmes se sont portés sur son visage. Ses lèvres frôlaient les miennes. Une vague de désir m’a alors assaillie. Bousculant mes principes, j’ai pris les devants. Je l’ai embrassé langoureusement, goulument. Son corps contre le mien me brûlait la peau sous ma robe. Il me serrait dans ses bras. Nos langues jouaient, se poussaient, s‘attiraient dans nos bouches. Je sentais sa main glisser dans mon décolleté et caresser mes seins dont les pointes se dressaient. Submergée par le désir, mes doigts, déboutonnaient sa chemise, caressaient son torse, avant de descendre au niveau de son ceinturon. Soudain, il s’est écarté, les yeux en larmes. - Je suis désolé, je dois te laisser ! Sois heureuse ma petite Marie ! Si tu savais comme je suis fou de toi !


Il est parti en courant, sans se retourner. Je suis restée là, seule contre mon arbre, ma robe défaite sur ma poitrine ainsi exposée à la fraicheur ambiante. Pourquoi me faire autant souffrir ? S’était-il payé ma tête ? Allait-il raconter ce qui venait de se passer à ses amis ? Ou pire, à Valérie ? Peut-être même l’avait-elle envoyé pour m’humilier ! Je ne contrôlais plus les larmes qui ruisselaient sur mes joues, ni les sanglots qui secouaient mon corps. En reprenant les cours, j’ai eu confirmation, que Marc était parti. Aucun des autres élèves de la classe ne semblait être au courant de rien. Je redoutais d’entendre des rires, des chuchotements sur mon passage, mais rien de tout cela ne s’est produit. IL ne m’avait donc pas piégée. J’ai souffert durant des années. Puis j’ai fait semblant d’oublier. Je me suis mariée. Très vite, j’ai eu mes deux garçons. Je me croyais heureuse, jusqu’au jour où, par un réseau social, il m’a recontactée. Nous avons échangé sur différents sujets. Il a fini par m’avouer sa honte de m’avoir tant fait souffrir. Il ne m’a jamais oubliée. Cette histoire était stupéfiante. Je songeais très souvent à lui. Ses lèvres, sa langue, son corps avaient laissé une empreinte indélébile dans ma bouche et sur ma peau. Je lui en ai tellement voulu de m’avoir abandonnée ainsi, après ce langoureux baiser. Selon lui, il était totalement tombé amoureux de moi et me respectait trop pour me « salir » alors qu’il savait très bien qu’il ne pouvait rien me promettre pour la suite. Nos chemins s’étaient donc croisés à cet instant, le jour de Pâques sous le chêne de mon adolescence. Le chêne de Pâques, c’est


ainsi que je l’avais surnommé. Il m’arrive d’y retourner parfois. Je m’assieds au pied du bel arbre et je revis mes premiers émois. Il y a quelques jours, voici ce que j’ai reçu : « Si tu le souhaites, rendez-vous au même endroit, même jour, même heure, afin de reprendre là où nous en étions restés ». Imaginez alors ce que j’ai pu ressentir en lisant ce message. La petite Marie, l’adolescente de 17 ans, allait revivre ses premiers frissons, vingt-cinq ans plus tard. Partagée entre colère, crainte et excitation, j’ai pourtant décidé de me rendre au pied de mon chêne. J’ai passé du temps à me préparer. Mon corps a changé, je me suis affinée, malgré mes deux grossesses, mais je n’ai plus la fraîcheur de l’époque. Je suis un peu fanée. Je n’ai jamais trompé mon mari. Cependant, la perspective de cet écart de conduite m’excite. Je ne me pose aucune question, je ne souffre d’aucune culpabilité. D’ailleurs, il se peut que rien ne se passe entre LUI et moi. Peut-être qu’il ne sera pas au rendez-vous. Cette idée me mine bien sûr, je la chasse aussitôt de mes pensées. J’habite désormais à dix kilomètres du chêne, je prends donc mon véhicule. Je me gare à proximité d’une autre voiture. Peut-être est-ce la sienne. Je marche jusqu’à l’arbre et m’assieds, comme autrefois. Je ferme les yeux quelques instants. J’entends des pas derrière moi, puis une voix. Je frissonne. - Bonjour Marie !


Je me lève d’un bond, le dévisage. Il a pris un peu d’embonpoint, mais il est toujours séduisant. Je reconnais ses yeux, son sourire. Il est mal rasé et ses cheveux, grisonnants sur les tempes, sont ébouriffés, comme à l’époque. Mon cœur tambourine dans ma poitrine. Comme aimantés, nous nous avançons et nous prenons dans les bras. Il retire la pince qui maintient mes cheveux en arrière. - Marie, tu es si belle ! Si tu savais comme j’ai envie de… Ses dernières paroles sont englouties par nos bouches qui se mêlent, nos langues qui jouent ensemble. Le désir encore plus intense nous fait frémir et gémir. Je sens son bassin se frotter au mien. Marc dégrafe mon chemisier, sans délicatesse, tout en m’accompagnant sur le sol où je me laisse choir. Il caresse mes seins, puis descend la tête à leur niveau et les embrasse, mordille les mamelons qui se durcissent. Son autre main caresse l’intérieur de mes cuisses. En ce jour de Pâques, je me sens belle dans le regard langoureux de mon amant. Je déboutonne sa chemise. Ses doigts s’aventurent sous mon slip. Je gémis de volupté, et me cambre en caressant son torse velu. J’exulte ! Je suis vivante ! Sentant son membre gonflé dans son jean, je le libérer en ouvrant sa braguette. Nos geignements s’accentuent. Je désire tant qu’il me pénètre. Nos sueurs se mêlent. Jamais je n’ai ressenti autant de désir pour mon mari. Je chavire, me cabre encore et encore et lui crie :


- Viens, mon amour ! - Coupez ! C’est bon Sophie ! Tu as été géniale, comme d’hab ! Christophe aussi, rien à dire ! Eh les enfants, c’est bon je vous dis ! C’est pas un porno qu’on tourne là ! Éclats de rire autour des deux comédiens. Le preneur de son se bidonne et fait trembler le micro suspendu à la perche. Le réalisateur s’approche du caméraman, suivi par son assistante. - Bon les tourtereaux, vous allez vous reposer un peu pour vous remettre de vos émotions, j’aimerais reprendre la scène avec les deux ados. Mathilde, tu te remets assise sous l’arbre. N’oublie pas, tu as ta petite robe et tu as froid. Thomas, tu arrives derrière et tu t’adresses à elle ! Ok ? Tout le monde est en place ? C’est parti ! Moteur ! Les comédiens quarantenaires laissent la place aux deux jeunes gens et partent dans le van qui leur sert de loge. Ils n’osent pas se regarder. Après un long silence, Sophie prend la parole : - Je suis désolée Chris, je ne sais pas ce qui m’a pris. L’homme vient derrière elle, pose la main sur son épaule. Elle frissonne. Son visage s’empourpre.


- Ne t’inquiète pas, je me suis laissé emporter moi aussi ! Disons, que nous sommes d’excellents comédiens au point de vivre la scène comme si nous étions les personnages du scénario. Sophie sent le regard de son partenaire sur sa nuque. Elle lève les yeux sur le miroir et le voit derrière elle. Il lui sourit. Ses yeux en disent long. Ils pétillent de malice. Elle peine à réajuster son maquillage. Il poursuit : - Et pour être honnête, c’était très agréable. Elle sourit timidement. - Il s’est passé un truc étrange sous cet arbre en fait. Comme si… comme si, ce n’était plus un rôle. J’avais la nette impression d’être cette Marie. - Je suis déçu. Je pensais que c’était à toi que je faisais cet effet-là et pas à Marie ! - Si bien sûr, enfin je ne sais plus. Laisse tomber ! - Non ! La jeune femme se retourne, sans comprendre. - Comment ça, non ?


- Je n’ai pas envie de laisser tomber. J’ai ressenti quelque chose de très fort sous l’arbre. Un désir fou pour toi Sophie. Et ce désir est toujours intense. Il fallait que je te le dise. - C’est l’arbre qui veut ça. Par contre, tu connais la fin du scénario. - C’est vrai, ce n’est pas terrible comme dénouement ! Il acquiesce, s’assied aux côtés de sa partenaire, prends son visage entre ses mains et l’embrasse. Elle se laisse aller encore chamboulée par tous les messages de son corps perçus quelques minutes auparavant. - Nous continuerons plus tard, dès que tout le monde aura quitté les lieux. J’ai tellement envie de toi ! Le soir, toute l’équipe du tournage partie, les deux comédiens retournent sous le chêne de Pâques. Ils sentent le désir chatouiller à nouveau leurs corps. Ils font l’amour, se donnant l’un à l’autre, sans tabou, espérant ne pas terminer comme Marie et Marc, assassinés par le mari jaloux.



La résurrection de l’assassin Sandrine Décembre

Je vous ai laissé à Noël. Souvenez-vous. J’avais fui cet homme une nuit. J’ai vécu cette nuit-là un coup de foudre cérébral libératoire. J’ai subitement vu en lui la froideur et l’absence totale d'empathie. Il a suffi d’un regard. Un seul. Et l’esquisse d’un sourire au bord de ses lèvres de chanteur. Je vous rappelle qu’il exerce le métier de chanteur et que la France entière l’aime et le lui fait savoir. Mais revenons à cette nuit. Celle de ma fuite. J’ai fui, car j’ai compris en un regard, que j’étais en danger de mort. Un assassinat silencieux, prémédité et sans aucun témoin, aucune preuve se préparait sous mes yeux. Il me tuait à petit feu. Car lorsqu’il aime, il tue. En douceur, mais ces heures


ne sont pas si douces. Son mode opératoire est pervers à souhait. Il vous “suicide”. Et pourtant, avant que je ne croise son regard vide cette nuit de fuite, je le trouvais gourmand, alors qu'il était tout simplement détestable. Il me semblait gourmand en effet parce qu'il aimait lire, composer et parce qu'il faisait se succéder concert après concert, créations sur créations, passage en studio sur passage en studio, écriture d'un recueil de poésies puis, préparation d'un recueil de nouvelles. Il me bluffait et me bluffe encore. Il entretenait aussi des rapports proches et lointains à la fois avec ses admirateurs. Il communiquait avec eux d'une bien étrange façon. Lui qui n'avait jamais aimé les moyens de communication offerts par internet s'était tout à coup passionné pour les médias sociaux. Toutefois, il ne communiquait pas sous son propre nom, mais il s'était créé des profils et des identités numériques nombreuses. Il se désincarnait alors au fil du temps délivré de sa propre identité pour échanger avec ses fans sous les profils d’identités numériques empruntées dans une infidélité presque troublante à lui-même. Voilà l'homme étrange et le génie de la poésie et du chant avec lequel je vivais. Voilà aussi celui que j’ai quitté à Noël.


Voilà aussi celui que je rejoins à Pâques. Car cet homme qui joue si bien avec les mots s'est immiscé en moi au plus profond de mon âme, de mes désirs, de mes hormones, de mes ovaires. Et de tout le reste. Je ne pensais pas que les mots puissent faire autant de bien et de mal à la fois. J'ai appris avec lui que lorsqu'ils sont utilisés si justement et précisément ils peuvent tuer dans un pouvoir égal à celui des coups assénés par un homme violent, fâché, capricieux. Cet homme génial inconsciente, émerveillée.

et

troublant,

je

l'aimais

Son corps avait fini par me plaire presque autant que les mots qu’ils glissaient à mon oreille pour m’engourdir afin de mieux me posséder. Une nuit je me suis donc réveillée en sursaut. Je venais de comprendre à quel point cet homme était un monstre. La révélation fut brutale. J'ai été arrachée de mon sommeil par le fantôme d'une femme. Je n'ai jamais su qui elle était. Elle ne ressemblait en rien à son ancienne compagne. Suicidée. Le lendemain de cette révélation brutale, j’ai quitté Biarritz pour rejoindre Belfort afin de m’éloigner de lui


par 999 km qui sont autant de façons de me protéger de son emprise. Du jour au lendemain, ma vie a changé, protégée par ce fantôme féminin. J'ai repris avec difficulté l'exercice de mon métier d'enseignante à l'université. Je me réveille en effet de façon douloureuse et je me couche chaque soir, inquiète, vide et frustrée par une solitude affreuse. Mais je suis vivante. Puis, voilà que Pâques approche. Nous allons nous revoir. Un projet nous réunit. Une interview est prévue. Nous allons devoir nous exprimer sur ce projet. Un livre commun. Nous allons écrire des nouvelles. Ensemble. Notre duo surprend. Comment un chanteur tatoué de la tête aux pieds choisit-il en effet d’écrire à distance avec une universitaire ? Car personne n’a eu vent de notre histoire “d’amour”, personne n’a su que nous avions partagé le même toit. Et, derrière votre écran d’ordinateur, vous vous demandez peut-être pourquoi j’ai accepté de travailler avec lui, à distance ? Je vais rapidement vous l’expliquer. Car notre interview est dans dix minutes et je vais donc devoir vous laisser. J’ai accepté parce que je suis une proie et une victime. Je le sais.


Je ne suis pas née pour l’être, mais j’ai grandi auprès d’un être froid, manipulateur et pervers. Elle m’a utilisée, détruite et le seul amour que j’ai eu n’est pas de l’amour. J’ai connu des gestes glaciaux, un regard froid, des manipulations, son insatisfaction permanente que j’ai tenté en vain de combler. Je suis une enfant blessée. Je ressemble à ces femmes battues lorsqu’elles étaient enfants. Nous sommes de celles qui ne connaissent qu’une mauvaise et unique définition de l’amour. Nous recherchons donc les coups sans savoir pourquoi. Puis un jour, j’ai compris que je fonctionnais ainsi. Je me suis crue un instant sauvée. Mais ce n’est pas si simple. La blessure est profonde. Je n’ai en effet aucun repère, aucune idée de ce que peut être un amour véritable. Mon corps et mon âme sont donc attirés par ce que j’ai connu de l’amour d’une mère perverse narcissique. Cet amour unique, mais odieux, je n’aurai donc de cesse de le reconnaître et de le rechercher. Je serai donc attirée par cet amour destructeur et séduite par des assassins manipulateurs dont les meurtres sont invisibles à vos yeux. Et si ce n’est pas lui, il sera remplacé par un autre. J’ai donc choisi de me laisser piéger à nouveau par lui. J’ai fait de mes faiblesses, un sujet de reportage. Je suis sa proie. Il est mon prédateur. Je me sonde. Je le sonde. J’étudie mon naufrage et son crime. Je travaille donc avec lui. Mais à distance. Je vous laisse à présent. Le journaliste est arrivé. Je l’entends rire aux mots d’humour de Bernard. Je vais le rejoindre en ce lundi de Pâques. Car après tout, si je dois


perdre la vie, je préfère que ce soit auprès de lui, car cet assassin-là a au moins du talent.


Panique à Pâques Daniel Durand

Comme tous les matins, Pamphile Labruyère se leva à six heures quinze. Dimanche de Pâques ou non, la traite des vaches doit se faire à des horaires réguliers et pour Branchette, c'était six heures trente et dix-huit heures trente. Cinq minutes de retard seulement suffisaient à faire pousser des meuglements angoissés à cette brave bête pourtant très placide. À croire qu'elle avait un mécanisme d'horlogerie dans la tête. Une toilette sommaire sur l'évier de la cuisine -en ce début des années 1950, la salle de bain était encore un luxe réservé aux demeures bourgeoises- avant d'enfiler rapidement chaussettes, chemise et pantalon, un bol de café au lait agrémenté d'une petite lichette de goutte distillée maison pour se donner du cœur à l'ouvrage, et direction l'étable. Pamphile n'était pas paysan, mais ouvrier dans une des nombreuses usines textiles de la région. Simplement,


en ce temps-là, mis à part les citadins ne pouvant disposer d'aucun petit bout de terrain, les gens subvenaient par eux-mêmes à la majeure partie de leurs besoins alimentaires. Un champ permettait la culture des pommes de terre dont on consommait annuellement à l'époque entre cent vingt-cinq et cent cinquante kilos par personne. Le potager, quant à lui, fournissait la quasitotalité des autres légumes et les épices : haricots verts, petits pois, carottes, tomates, choux, salades, concombres, oignons, aulx, échalotes, cornichons... Quelques lapins pour la viande, trois ou quatre poules et une cane pour les œufs, et si l'on disposait d'un pré suffisamment grand pour lui permettre de pâturer, une bonne laitière. Sur la vingtaine de litres produits chaque jour par la Branchette, Labruyère en conservait trois pour la consommation familiale, et le reste était vendu à des voisins n'ayant pas la chance de pouvoir, comme lui, élever une Montbéliarde. Peut-être n'est-il pas inutile d'expliquer le nom pour le moins curieux dont cette vache était affublée. Lorsque Pamphile l'avait ramenée de la foire, il avait dit à sa femme : - Vu qu'elle est brune, on l'appellera Brunette. La Léontine avait écarquillé les yeux. - Parce que tu la vois brune, toi... ?


- Ben oui. Brune, avec de grosses taches blanches. La femme avait haussé les épaules. - N'importe quoi ! Comme toutes celles de sa race, cette bête a de grosses taches, oui, mais brunes. Sa couleur dominante, c'est le blanc. Alors, ce sera Blanchette. Son mari avait ricané : - C'est ça, comme la chèvre de Monsieur Seguin. - D'abord et d'une, la chèvre de Monsieur Seguin, elle s'appelle Blanquette, pas Blanchette. Et de deux, tu vois une vache blanche s'appeler Brunette, toi ? Ce serait totalement ridicule. - C'est vrai. Comme Blanchette pour une vache brune. - Elle est blanche ! - Elle est brune ! - Elle est branche ! Prenant tous deux conscience au même moment du lapsus de Léontine, ils avaient éclaté de rire.


- Eh bien, lui avait dit son mari, je crois que le sort a décidé pour nous. Ce sera un mélange des deux noms : Branchette. Alertée de sa venue par le grincement de l'anse du seau destiné à la traite, la vache était déjà levée à l'arrivée de Pamphile. Comme à l'accoutumée, l'homme lui adressa quelques mots, tout en lui frottant le mufle d'un poing affectueux. - Alors, ma belle, on est prête à donner tout son bon lait ? Il commença par nettoyer la mamelle de l'animal, installa son tabouret, avant de placer le récipient sous le pis puis de commencer, fermement, mais sans brutalité, à tirer les trayons. Après la traite, il se rendit au poulailler pour récolter les œufs de la veille. Le local était dépourvu de fenêtre et on n'y voyait pas très clair, mais les poules pondaient toujours au même endroit. Ce matin-là, le premier qu'il empoigna lui parut avoir une texture bizarre. Il sortit pour l'examiner à la lumière, et écarquilla les yeux. - Ça alors... C'est un œuf en chocolat ! Cette constatation amena un sourire à ses lèvres.


- Pour sûr, c'est une blague des garnements du pays. Sans doute les fils au Finfin Lambert. Toujours à faire des farces, ces deux-là. À Pâques, le boulanger pâtissier du village, Séraphin Lambert, proposait également à la vente de superbes réalisations en chocolat, œufs, poules, lapins ou cloches. À n'en pas douter, l'objet provenait de sa boutique. Le commerçant était le père de Blaise et Marcelin, des jumeaux d'une douzaine d'années, deux chenapans à la recherche permanente d'un bon tour à jouer. Par exemple, ils avaient un soir enfermé l'âne du père Mathieu dans l'église. Au matin, entendant des braiments déchirants en provenance du lieu saint, la bonne de Monsieur le Curé avait conclu tout de bon que Satan avait pris possession de l'édifice. Il lui avait fallu toute la journée pour se remettre de sa frayeur. Une autre fois, ils avaient subtilisé le canari de l'institutrice et avaient mis un chaton à sa place dans la cage. Bien entendu, ils n'avaient fait aucun mal à l'oiseau chanteur, restitué par la suite, mais la pauvre demoiselle avait bien cru un moment que son petit compagnon à plume avait servi de casse-croûte au chasseur de souris. Pamphile pénétra à nouveau dans le poulailler et découvrit deux autres œufs, en chocolat également.


- Quand même, pensa-t-il, ces galopins auraient pu les emballer, ils risquent d'être maculés de crotte de poule et ne seront même pas mangeables. C'est alors qu'il prit conscience d'une bizarrerie. Normalement, il aurait dû entendre de menus bruits : un caquètement, un gloussement, ou un petit battement d'ailes... Et aujourd'hui, rien. Comme si ses pondeuses avaient déserté les lieux, chose impossible puisque le local était fermé la nuit. Labruyère appela : - Petit, petit, petit... Aucune réaction. De plus en plus intrigué, il retourna à la maison pour en revenir muni d'une lampe de poche dont le faisceau lumineux lui permit de découvrir la raison du silence inhabituel. À l'endroit où elles se réfugiaient pour passer la nuit, il y avait bien quatre poules, mais elles aussi étaient... en chocolat ! Pamphile se renfrogna. La blague commençait à devenir moins drôle.

- Les œufs, les poules... D'ici qu'ils m'aient fait le même coup pour les lapins, y a pas des kilomètres.


Prenant une gallinacée sous le bras, il se rendit au clapier d'un pas rapide. Bingo ! Dans les cages trônaient trois fauves de Bourgogne, un papillon, un bélier français, et un magnifique géant des Flandres, tous en chocolat. Pourtant, quelque chose clochait. Coulées dans des moules, les gourmandises de Pâques représentent une silhouette stylisée, relativement éloignée malgré tout de celle du modèle. Or là, le Géant des Flandres, par exemple, était d'un tel réalisme que si on l'avait placé à côté d'un animal vivant, il aurait sans doute fallu attendre que ce dernier bouge pour pouvoir les différencier. Labruyère s'approcha de la porte grillagée à presque la toucher. C'était absolument ahurissant. Tout y était, les moustaches fines comme un cheveu, les longues griffes, la touffe de poils de la queue. Mais alors, les poules... Eh oui ! À y regarder de près, celle qu'il avait emportée offrait la même précision dans le détail. C'était la copie parfaite, avec même un doigt en moins à la patte gauche et une plume qui rebique à l'aile droite, de sa pauvre leghorn tirée un jour, non sans ce petit dommage, de la gueule d'un chien errant affamé. Pamphile sursauta violemment, comprenant soudain l'épouvantable vérité. Même pour le plus habile des maîtres chocolatiers, il était absolument impossible d'obtenir un tel résultat. Conclusion, ce qu'il tenait en


main n'était nullement une reproduction de sa poule, mais l'animal lui-même dont les plumes, les os, la chair, la crête s'étaient transformés en chocolat...! Il secoua la tête comme un boxeur groggy. La nature était-elle devenue folle ? Ou alors, excédée par la prétention des hommes à vouloir la singer de si maladroite façon, voulait-elle leur donner une leçon en leur montrant à quel point ils étaient loin de pouvoir l'égaler avec leurs œufs, leurs poules, leurs lapins et leurs cloches si grossièrement imités...? Et elle aurait choisi pour ça la date symbolique de Pâques... Œufs, poules, lapins, et... cloches ? Non, tout de même pas ! Labruyère se précipita à l'église et grimpa quatre à quatre les marches permettant d'accéder au clocher. Las, ses craintes étaient fondées. Si le poutrage de soutènement était toujours de bon bois et la corde en chanvre torsadé, le noble airain dans lequel avaient été coulés l'instrument et son battant avait subi le même sort que les animaux de basse-cour. Certes, sur son pourtour, on lisait encore clairement son nom -Bernadette- ainsi que celui de ses parrain et marraine et la date de son baptême*, mais tout ceci était à présent gravé dans du chocolat. Pamphile retourna chez lui d'un pas lent, ruminant des pensées moroses. Avant d'aller prévenir sa femme de la


malédiction qui frappait le village -ou peut-être la terre entière, allez savoir- il repassa à l'étable pour récupérer le lait de la traite. En empoignant le seau, il poussa une sorte de râle. Du lait, ce liquide brunâtre ? Non... du cacao... ! Il lâcha l'anse du récipient et jeta machinalement un regard à la Branchette. Il sentit ses genoux fléchir et dut s'appuyer au chambranle de la porte. Si la Montbéliarde avait toujours sa belle robe blanche et brune, c'était parce qu'il existe aussi du chocolat blanc... Complètement paniqué, il se précipita à la maison. Il avait besoin de mettre Léontine au courant de cette épouvantable catastrophe, d'en parler avec elle. Aucune lumière. Apparemment, elle n'était pas encore levée. Décidément, rien n'était normal aujourd'hui. À peine avait-il poussé la porte de la chambre à coucher qu'il poussa un grand cri. Ce n'était pas son épouse qui reposait dans le lit. Ou plutôt si. Elle, mais...EN CHOCOLAT ! Tombant en pleurs à genoux à côté de la couche, il remarqua de petites taches brunes sur les draps. - Évidemment, vu la température régnant dans la pièce, la pauvre commence à fondre, il faut que je la mette dans un endroit frais. Qui sait ? Cette situation n'est peut-être pas irréversible, elle va redevenir comme avant, reprendre vie.


Il saisit sa conjointe dans ses bras, mais en se retournant, se prit les pieds dans la descente de lit et s'étala de tout son long, lâchant son précieux fardeau qui s'écrasa au sol, se brisant en de multiples morceaux. Pamphile poussa un hurlement démentiel et se mit à courir à travers la pièce en criant : - Au secours, j'ai cassé ma femme ! J'ai cassé ma femme... ! Il se sentit soudain violemment bousculé et eut l'impression de tomber dans un puits sans fond. Ouvrant les yeux, il constata qu'il se trouvait dans son lit, aux côtés de Léontine en train de le secouer comme un prunier. - Mais tu deviens complètement fou, mon pauvre bonhomme ! Qu'est ce qui te prend de brailler comme ça, à trois heures du matin, que tu m'as cassée ? Ah, je vois, Monsieur a fait un cauchemar gratiné. Monsieur n'a pas voulu m'écouter quand je lui disais de ne pas se goinfrer de chocolats comme il l'a fait hier soir sous prétexte que c'est Pâques. Alors, le résultat de sa gourmandise lui pèse sur l'estomac, et en voilà les conséquences. Eh bien ! j'espère qu'en plus tu auras une bonne crise de foie pour t'apprendre à me gâcher ma nuit.


Le cadeau de Pâques Nathalie Faure-Lombardot

Le week-end de Pâques, je l'aime autant que je l'exècre. Pourtant, depuis tout petit, les fêtes de Pâques étaient pour moi synonymes de joie, de retrouvailles. Toute la famille se réunissait dans la ferme de mes grandsparents, nous nous retrouvions tous les douze, mes deux frères, mes cinq cousines, mes quatre cousins. Nous n'avions que quelques années de différence : quand j'avais douze ans, l'aîné, un de mes frères, avait seize ans, et la plus jeune, ma jolie cousine, en avait huit. Nos grands-parents nous concoctaient une immense chasse au trésor qui nous prenait la journée. Nous courrions, fouillions le moindre taillis, faisions semblant de ne pas voir tous les œufs pour que la petite Nina en trouve aussi. Nous rentrions en fin d'après-midi, des paniers remplis de chocolat, que nous n'avions parfois plus la force de déguster… enfin, le jour même, car le lendemain déjà, nos provisions avaient allègrement diminué. C'était le bonheur. Puis nous nous séparions, demandant quand


nous nous reverrions, et papy répondait invariablement, avec sa voix de ténor : "Si Dieu le veut, à Pâques ou à la Trinité !". Sincèrement, je ne comprenais pas vraiment ce que Dieu venait faire là-dedans. Les années ont passé, nous avons grandi, puis vieilli, mais Pâques restait notre point de ralliement sur le calendrier. Puis un jour, quinze ans plus tard, un dimanche de Pâques, je suis entré dans cette pâtisserie, au coin de la rue. J'étais à la bourre et je n'avais pas pris le temps d'acheter le moindre chocolat pour mes neveux, ni le moindre dessert pour mes parents. Je me suis trouvé face à une jeune femme qui a bouleversé ma vie, toi : ma petite étudiante qui arrondissait ses fins de mois en vendant des trucs sucrés, comme tu le disais en riant. Je ne sais plus ce que j'ai acheté ce jour-là, je ne suis même pas sûr d'être parvenu à aligner une phrase correctement. Je bégayais, balbutiais, j'étais fasciné. Je crois même que tu aurais pu me vendre le fonds de commerce à ce moment précis. Je me souviens juste que tu m'as vendu quelques œufs surprise d'une qualité supérieure et d'un prix exorbitant. Je t'ai demandé si nous pouvions nous revoir, et tu m'as répondu, le plus simplement du monde : "Allez savoir ? Peut-être à Pâques ou à la Trinité…". J'ai littéralement fondu devant ton sourire. J'ai donc forcé mes parents à se goinfrer de pâtisseries tous les week-ends suivants, juste pour le plaisir de te revoir. Je me languissais toute la semaine, ne rêvant qu'à la promesse du vendredi : t'approcher de nouveau, te parler. Ah, je m'en suis tapé des Paris-Brest, des figues et


des tartelettes aux fraises, jusqu'à ce qu'enfin, j'aie l'immense plaisir de goûter à ton fruit défendu… et sacrément défendu, d'ailleurs, car au cas où tu l'aies oublié, tu m'as fait galérer un moment. Nous avons connu les affres des premiers rendez-vous, la passion des premières nuits d'amour, le plaisir de se retrouver tout simplement, de nous sourire sans même nous parler. Cette complicité, qui nous surprenait au début, est devenue une réalité de tous les jours. J'ai souhaité que tu viennes t'installer dans mon appartement, et tu me répondais : "On verra… À Pâques ou à la Trinité… On a toute la vie devant nous ". J'avais envie de te hurler que la vie est courte, qu'il ne faut pas perdre de temps, même si le temps que nous passons à nous attendre, à nous désirer n'est jamais vraiment du temps perdu. Pâques est arrivé : tu ne m'avais pas menti ! Au lieu de trouver un lapin devant ma porte, ce dimanche-là, j'ai découvert mon étudiante préférée, une valise dans chaque main. Je n'osais y croire… - Bonjour, je viens m'installer chez Malo, est-il là ou serait-il parti avec les cloches ? M'as-tu interpellée, hilare et moqueuse. Ce fut le point de départ d'une année fantastique, merveilleuse, emplie de joie, de satisfaction, de réussite. Tu as obtenu tes examens, trouvé un emploi dans la foulée. Tu te sentais à l'étroit dans ma garçonnière, tu


disais que tu avais besoin d'espace pour assouvir ta passion, que je ne partageais pas vraiment à l'époque. Mais comment te refuser quoi que ce soit ? Il suffisait que tu me fasses ta moue d'enfant battue, tu sais ? Celle avec tes grands yeux tristes et ton petit sourire en coin, qui laissait présumer déjà de ta victoire. Alors nous avons cherché la maison de nos rêves. Oh, rien d'exubérant ou de tape-à-l'œil, plutôt un petit nid douillet, chaleureux, dans lequel nous espérions enfermer notre bonheur, de peur qu'il ne se sauve. Nous avons donc trouvé cette petite maison au fond d'une impasse, avec un joli terrain arboré, entouré d'une barrière blanche et nous l'avons achetée sans négocier, sans même hésiter. Nous avons emménagé… une semaine avant Pâques ! Quelle rigolade quand nous nous sommes rendu compte que chacun à notre tour, nous avions caché des œufs dans le jardin, à l'attention de l'autre. Peu à peu, tu as évoqué le fait que la maison te semblait souvent vide, il y manquait quelque chose. J'évitais le sujet, ne sachant que te répondre, et n'en ayant d'ailleurs pas envie. Quand tu insistais, je répondais laconique : « Qui sait ? Peut-être à Pâques ou à la Trinité… » Comment pouvais-je imaginer que tu me prendrais au mot ? Pâques revint, avec ses cloches, ses lapins, ses poussins, ses œufs… Ceux que je découvris cette fois, devant notre porte, dans un charmant petit panier de paille tressée, me stupéfièrent, paralysant mes sens, mes membres, mon cerveau : il s'agissait d'un œuf bleu et d'un


œuf rose. Les lettres dorées dansaient devant mes yeux sans que je comprenne d'abord leur sens : sur l'un était noté Léo, l'autre portait la mention de Léa. J'ai d'abord cru à une plaisanterie, mais j'ai vite déchanté devant ton regard sérieux. D'abord ces prénoms… un peu tirés par les cheveux, non ? Et puis deux ? Un plus un ? Ce n'était pas ainsi que j'avais imaginé les choses… Enfin, ce sont des sujets qui se discutent, qui se décident à deux justement ! J'avais vraiment l'impression d'avoir été mis au pied du mur. D'ailleurs n'était-ce qu'une impression ? Bon, je n'avais plus le choix de toute façon. Et puis tu en avais tellement envie, tu semblais tellement heureuse. Il allait juste falloir s'organiser. Se faire à l'idée, s'y préparer et… s'organiser. Dire que je n'appréhendais pas, aurait été un mensonge. Je n'étais pas prêt, je n'en avais pas vraiment envie. On était tellement bien tous les deux. Ça voulait dire aussi, se préoccuper d'autres que soi, d'autres que toi. En étais-je seulement capable ? Tu prenais tout l'espace, aussi bien dans ma vie que dans mon cœur. Il n'y avait plus de place disponible, plus de temps à leur consacrer sans te sacrifier. Et toi ? Ne me négligerais-tu pas à leur profit ? Étais-je jaloux ? Pas vraiment, mais inquiet, oui, sûrement. Et pourtant, dès leur arrivée à la maison, j'ai compris que tu avais gagné, qu'un cœur n'est jamais trop plein. Ils étaient si adorables, un peu différents, mais tellement débordants de vie, de douceur, de ressources. Comment de si petites choses pouvaient prendre tant de place dans


une vie ? C'était tellement grisant, mais aussi terrifiant, de se rendre compte à quel point un être vivant pouvait dépendre de vous. Très vite, je me suis demandé comment nous avions fait pour vivre sans eux. Et bizarrement, ils nous ont encore rapprochés, si tant est que nous nous soyons éloignés. Puis Pâques est revenu : les cloches sont parties, mais ce n'est pas le lapin de Pâques qui est venu frapper à ma porte, ce samedi-là. Ce sont des messieurs en uniforme bleu, avec des têtes pas titulaires du tout. Je ne comprenais pas ce qu'ils disaient, je ne voulais pas comprendre. Je leur ai expliqué que tu étais partie en ville, chercher les chocolats que nous avions commandés pour le lendemain, que tu n'allais pas tarder. Je ne comprenais pas pourquoi ils me parlaient de camion, pourquoi ils voulaient que je les suive à l'hôpital, que je m'assoie peut-être un peu ? Je n'avais jamais imaginé qu'on puisse passer du bonheur total au vide sans fond, du blanc au noir, sans la moindre nuance, pas de gris, pas de degré intermédiaire, pas de solution miracle, que la douleur, la perte de repère, le vide, puis le questionnement. Bizarrement, les seules questions qui tournaient en boucle dans ma tête étaient : pourquoi toi ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi à Pâques ? Cette fête m'avait tout donné et venait de tout me reprendre… enfin pas tout. Il me restait Léo et Léa, sortis d'œufs rose et bleu. Ils ont réagi mieux que moi, et plus rapidement


surtout. Ils t'ont cherchée bien sûr, tu leur as tellement manqué, tu leur manques encore aujourd'hui, certainement. Mais ils n'ont jamais rien lâché, surtout pas moi. Ils ont su me tirer du néant, me forcer à avancer. Combien de fois ont-ils accumulé les pitreries jusqu'à ce que je sourie, voire que j'en rie. Et quand malgré tout, ils n'y parvenaient pas, ils venaient se blottir contre moi, soupirant à qui mieux mieux, partageant ma détresse et ma tristesse, me démontrant ainsi que je n'étais pas seul à souffrir. Quand je me sentais au bord du gouffre, il suffisait que je croise le regard profond d'un des deux, pour relever la tête et retrouver mon équilibre, et je sens, je sais aujourd'hui que tu me parles à travers eux. Petit à petit, j'ai retrouvé ma sérénité. La douleur est toujours là bien sûr, mais je l'ai enfouie au fond de moi, comme si j'avais peur qu'on me la vole... Tu me disais en parlant d'eux qu'ils nous emmenaient chaque jour dans "un petit coin de paradis"… Ils font bien plus que ça en fait, ils diffusent de la douceur, de la tendresse, du bonheur pur et simple. Il suffit que je me laisse tomber dans le canapé pour qu'ils me sautent dessus, qu'ils se pelotonnent contre moi, qu'ils me câlinent comme personne ne saurait le faire, pour que le brouillard se dissipe et que je retrouve un peu de ciel bleu. Aujourd'hui, c'est dimanche… dimanche de Pâques, je les regarde qui trépignent devant la baie vitrée, ils me jettent des regards plein d'envie, plein d'angoisse : va-t-il ouvrir ? Ils savent, ils sentent que des friandises sont cachées un peu partout dans le jardin. Je voulais oublier


cette tradition, mais je n'ai pas pu : elle me colle aux basques. Et puis tu serais tellement déçue, n'est-ce pas ? Je m'approche de la porte vitrée, je pose la main sur la poignée : la tension est à son comble… J'ouvre et je les regarde s'élancer comme des dératés : ils sont magnifiques, plein de noblesse, d'agilité, leurs longues oreilles au vent. Ils sont magnifiques, Léo et Léa, mes deux… pardon, nos deux Cavaliers King Charles, découverts dans des œufs rose et bleu.


Pâques pas comme les autres Mélodie Lombardot

À ce moment précis, je me suis dit que j'avais peut-être raté quelque chose. C'était un de ces moments où je faisais un genre de bilan : c'était donc ça, ma vie… Bon, d'accord, le moment du bilan était un peu mal choisi. Je veux dire, ça vous arrive souvent de faire le point sur votre existence au beau milieu d'une course poursuite, dans la rue, en pleine nuit ? Il faut croire que ça m'arrive, à moi. Et tandis que j'étais là, au milieu de la route, propulsé par mes puissantes pattes de lièvre, la truffe et les oreilles au vent, les voitures freinant et dérapant autour de moi pour ne pas me cartonner, la cible toujours plus loin devant moi, ça m'a frappé : encore une super journée pour le Lapin de Pâques… Moi, c'est Lucien. Lucien le Lapin (je sais, ne dites rien). Le Lapin de Pâques. Si, si, celui qui apporte les œufs en chocolat aux marmots, tout ça… Mon prédécesseur, Germain, était plus trognon, il faut l'avouer, et il


prenait son rôle de lapinou très à cœur. Un peu trop, d'ailleurs, puisqu'il a fini par prendre sa retraite pour se reconvertir dans la carotte. Quand c'est arrivé, ça a pris l'Agence des Fêtes et Mythes Populaires au dépourvu, et ils n'ont pas eu d'autre choix : ils ont engagé Pete. C'est moi, Pete, c'est mon nom aux États-Unis. Pete the Rabbit. Allez savoir pourquoi, je trouve que la conversion en français est tout de suite moins classe… Bref, j'ai remplacé Germain à patte levée. Même si je fume trop et que mon blouson en cuir sont autant de « mauvaises images pour les enfants ». D'abord, en réalité, je suis un lièvre ! J'évite de le rappeler, c'est vrai, les Français seraient capables de m'appeler Geneviève (ou Guenièvre) le Lièvre… Oh, vous savez, il y a des avantages à faire ce travail : onze mois de congés payés, défraiement, tickets restau… Et surtout, je bosse avec Carrie. Ah… Carrie, ma jolie, ma mimi, ma sexy petite souris… Oui, oui, Carrie la petite souris des dents, pourquoi cette question ? Bon, peu importe. Il y aussi les autres collègues : il m'arrive de croquer deux ou trois beignets et de boire quelques pintes avec Arlequin, le chef du Département « Carnaval », et Patrick, le Leprechaun de… la Saint Patrick. De temps en temps, on invite Jérèm', Père Noël stagiaire au département « Fêtes de fin d'année ». Je mène la belle vie, quoi ! En dehors du mois d'avril, où il faut se remettre au boulot… Et la course poursuite ? Ah oui. Il va falloir que je vous en raconte un peu plus pour que vous compreniez. Quand on m'a filé le poste, on m'a confié la Cloche. Non, ce n'est pas une secrétaire, c'est une petite cloche en argent, que je fais teinter après chaque livraison d’œufs. Elle me téléporte illico chez les gosses suivants…


en plusieurs exemplaires ! C'est pas mortel, ça ? Sans elle, je ne pourrais jamais assurer toute la livraison de Pâques, ce serait impossible. C'est un objet auquel je tiens un peu, voyez-vous. Or, plus tôt ce matin… - Faut que j'aille m'acheter des clopes, grommelai-je en tâtant les poches de mon blouson dans l'espoir de trouver une petite rescapée à griller. Eh, les mecs, vous n'avez pas vu ma Cloche ? Patrick grogna quelque chose d'inintelligible d'une voix pâteuse, écrasé sur le divan de mon bureau. - Patrick, on te l'a déjà dit, les pintes, c'est à la Saint Patrick ! réprimanda Arlequin de sa jolie voix chantante. - Et alors ? - Et alors c'est déjà passé, ignoble ivrogne vert ! - Come on, se moqua Patrick, tu l'as dit sans bafouiller, cette fois ! - La Cloche, les gars ! insistai-je, agacé. Arlequin, hilare comme à son habitude, haussa les épaules devant mon regard noir. Appuyé dos au mur, il tenait une boîte de beignets, dont il s'empiffrait


allègrement. Ce que ce type peut avaler sans prendre un gramme ! La porte claqua à ce moment-là. Cupidon débarqua comme une flèche dans mon bureau. Surpris, Patrick lâcha une jolie éructation sonore. - Mes chéris, c'est la panique, expliqua posément Cupidon. Mon humeur ne s'allégea pas. Comprenez-moi : un type en jupette débarque chez moi pour m’appeler « chéri »… - Allons bon, quoi encore ? soupirai-je. - Tu ferais mieux de ramener ton croupion de lapin à la fabrique, et pronto, répliqua Cupidon, sèchement, si tu ne veux pas te faire sonner les cloches… On a un gros problème. Assurément, ça sentait le civet. J'ai donc décidé de suivre le type en jupette, jusqu'à la fabrique de chocolat, tenue par M. Wonka. Un regard bref suffit à Arlequin pour qu'il comprenne et me suive. Il en fallut plus pour Patrick. Mais il en faut toujours plus pour Patrick. - Salut les garçons, où vous courez, comme ça ? Je freine immédiatement le pas, et je me jette audevant de Carrie. En lissant mes oreilles vers l'arrière, mine de rien.


- Eh, eh, salut poupée, comment ça va ? - Bof, trois molaires et une incisive en une nuit, sans compter les cadeaux à livrer : les mômes sont de plus en plus gâtés pourris. Je suis lessivée, mais tu sais ce que c'est. Cupidon se racla la gorge, brisant le charme. Décidément, celui-là ne m'aidera jamais avec Carrie, c'est un comble ! Il doit avoir une dent contre elle… L'urgence me revint en mémoire. Carrie décida de nous accompagner à la fabrique, curieuse. Lorsque nous arrivâmes là-bas, l’infâme odeur du chocolat fondu, brassé par tonnes, nous attaqua les narines. Et sans nous laisser de répit, Jérèm' nous courut sus, se jeta à mes genoux en joignant les mains et en hurlant : - Oh, bon sang, Lucien, tue-moi tout de suite ! Achève-moi ! - Minute… j'aime bien savoir pourquoi je massacre les stagiaires. Qu'est-ce qui… ? Sous mes yeux tous ronds tous trognons, dans un raffut de tous les diables, d'énormes œufs en chocolat sortent de la machine. Ils ne sont pas très… appétissants. Disons que, outre le fait que ces œufs en chocolat étaient… VIVANTS, la plupart d'entre eux était pourvue de pattes de crabes ou d'insectes, ou de tentacules dégoûtants, certains d'ailes de chauve-souris, et tous


ouvraient une immense gueule pleine de crocs. Je craquai un peu : - Jérémy, mon chou… QU'EST-CE QUE T'AS FOUTU ? - Attends, je vais t'expliquer ! On m'a collé à la fabrique d’œufs de Pâques cette semaine. Et j'ai été débordé ! On a tous été débordés ! Alors j'ai demandé un peu de renfort… C'est le fils du Patron qui m'a envoyé des mecs… mais je crois qu'il avait changé un peu trop d'eau en vin pour fêter la Résurrection… Parce qu'il m'a envoyé des gars du Département du « Mythe de Cthulhu » ! Regarde le résultat ! Et… Lucien, je suis désolé… Pour être partout à la fois, je t'ai emprunté la Cloche… Mais je l'ai lâchée dans le baril de chocolat, parce que je suis qu'une gourde ! Maintenant, en plus d'être super effrayants, les œufs peuvent se téléporter et se dupliquer ! - Tu avais raison, Jérémy… JE VAIS TE MASSACRER ! Je saisis le père Noël stagiaire par le col et je lui secouai la tête à en décrocher son cerveau. - C'est pas ma faute ! piailla-t-il en se dégageant. Le Père Noël m'a dit qu'un traîneau de fonction et des repas compris à la cantine, c'était déjà pas mal pour


un stagiaire ! Il n'a pas voulu me prêter sa chaussettetéléporteuse. C'est méchant, non ? geignit-il en se massant le cou. C'est pour ça que je t'ai piqué… Je ne l'écoutais déjà plus. Il fallait agir vite, si je voulais sauver Pâques ! (Et mon job…). - Arlequin, trouve-moi le Poisson d'Avril, qu'il saute dans ce baril de chocolat, et qu'il me sorte cette foutue Cloche ! Cupidon, fais diversion auprès du Patron et de Wonka : il ne vaut mieux pas qu'ils apprennent ce qui se passe ici... Carrie et Pat, avec moi : Arlequin, tu nous retrouves au traîneau de fonction. Et toi, mon gars, tu vas venir avec nous… J'attrapai Jérèm' par la capuche rouge de Père Noël qu'il portait, avant qu'il ne s'esquive sur la pointe des pieds. - Que le personnel stoppe la production immé-diatement et mette de l'ordre dans ce bazar ! Les Chtulhu, vous rentrez dans votre département. Et que ça saute !! Et qu'on m'apporte un café… Carrie me tendit un café, en me dévisageant de ses jolis petits yeux noirs, avec un sourire coquin. - J'adore quand tu joues les chefs, mon lapin…


Grrr… Oui, bon, on n'a pas le temps de batifoler ! Nous quittons la fabrique d'un pas décidé, et nous nous dirigeons vers le parking souterrain de l'Agence, où attend le traîneau de fonction. Petit traîneau rouge tiré par quatre petits rennes. J'arque un sourcil (si on peut dire…). - Ben quoi ? se vexe Jérèm'. Tu pensais qu'ils me refileraient la huit rennes de mon chef ? Je suis stagiaire, je te rappelle : S-T-A-J-I-R ! Oui, passons aussi. Arlequin nous ayant rejoint, nous pouvons décoller. Façon de parler. Un quatre rennes ne vole pas. La ville était déjà dans un triste état… Des œufs en chocolat, géants et monstrueux, sillonnaient les rues ou les survolaient, et les plongeaient dans le chaos. L'un d'eux, doté d'une paire d'ailes ridiculement petite, voleta de-ci, de-là, et alla s'écraser contre une façade. L'explosion nous ébranla, nous vrilla les tympans et nous roussit le cuir. - Sérieusement ? souffla Arlequin, les yeux écarquillés. - Le type des effets spéciaux a eu la main lourde, lâcha Patrick. Je me disais aussi… Le traîneau s'arrêta en dérapant


sur les pavés de la place centrale. Autour de nous, les gens fuyaient en hurlant, les bras au-dessus de la tête pour se protéger des œufs volants, les voitures freinaient dans des crissements de pneus suraigus, ou leurs alarmes antivols piaillaient à m'en percer les oreilles. Nous semblions invisibles dans ce chaos, et nous étions sidérés par cette scène. - Eh ben alors, les mecs ? nous invectiva Carrie. Sous nos yeux écarquillés (et ceux bovins et vitreux de Patrick), Carrie plongea les mains sous sa veste, pour les ressortir serrées sur deux énormes flingues. - C'est l'heure de la chasse aux œufs, lâcha-t-elle sur un ton digne de Rambo. Ça, c'est ma souris ! Et elle avait raison. Enfin réveillés, nous nous décidâmes à nous armer. Patrick sortit de son grand chapeau vert un lance-bière et Arlequin se servit de ses talents de magicien pour tirer de la poche de son pantalon en soie bariolée un délicat bazooka. Jérèm' sortit de son traîneau un fusil à fléchettes calmantes : pour quand ses rennes se font la malle, nous explique-t-il sobrement. Ainsi parés, nous pouvons commencer. Les œufs explosent sur notre passage, répandant leur chocolat sur les trottoirs. Plus gore qu'une pub pour Chocapic. Je vous passerai les détails, mais en résumé, nous n'y sommes pas allés de main (patte?) morte ! Et le type des effets spéciaux non plus. Il nous fallut venir à bout de centaines d'œufs, encore et encore, qui tentaient


de nous mordre, de nous étrangler de leurs tentacules… ! Ce fut une sacrée bagarre. Quand nous pensâmes que c'était terminé, nous nous jetâmes des regards ravis et brillants de joie guerrière, haletants. Quand tout à coup, je sentis un truc me grimper dans le dos. Carrie poussa un cri. Patrick aussi : - Bouge pas !! Vous vous êtes déjà pris dix litres de bière en jet dans la figure ? C'est moins marrant que ça en a l'air. Je déconseille. La force du flux me projeta contre un mur, et l'œuf monstrueux éclata en mille morceaux dans mon dos. J'étais trempé de bière et de chocolat, bonjour le mélange. Tandis qu'Arlequin invectivait Patrick, que Jérèm' se tordait de rire et que Carrie m'aidait à me relever, une voix nous interpella : - Alors, les gars ? Comment ça se passe ? On s'éclate ? Nous levons les yeux vers le porche de la mairie. Phil, le Poisson d'Avril, se tient devant nous, droit dans ses écailles. Il a l'air drôlement content de lui, le bougre. - Comme tu peux voir. Merci pour le coup de main, ironise Arlequin. Phil éclate de rire, faisant naître quelques bulles qui flottent en l'air avant d'éclater.


- Je savais que vous aimeriez ma blague… POISSON D'AVRIL !! - C'est toi qui as monté ce désastre ?! s'indigne Carrie. Phil entame une petite danse de la joie pour confirmer. J'apprendrais plus tard que Phil avait profité de ce que le Fils du Patron fêtait copieusement la Résurrection pour lui glisser l'idée d'envoyer les Cthulhu aider à la fabrique de chocolat. Il trouvait ça très, très drôle… Tout ça… Tout ce cirque… Une blague ?! Je vis rouge. Lui arracher les écailles une par une… Lui faire bouffer ses branchies ! - Lucien ? s'inquiéta-t-il devant ma trogne de lapin tueur. C'était qu'une vanne, Lucien, détends-toi ! - YAAAAH ! - Aaaaaah ! hurle-t-il en s'enfuyant. Et voilà où nous en sommes. Course poursuite, bilan, tout ça. Croyez-le ou non, mais un poisson qui risque de finir en friture, ça court drôlement vite ! Pour finir, même avec ma vitesse de lièvre de compète, je n'ai jamais réussi à le rattraper. Ce lâche a bondi dans une rivière. Mais on dit que l'histoire a vite été étouffée et que le Fils du Patron a viré Phil pour le remplacer par Bill. Tout est bien qui finit en queue de poisson. Il ne me restait plus qu'à me doucher.


Arlequin proposa une réunion dans son département, pour lever un verre à notre réussite, et au mois d'avril pourri qui s'annonçait. Heureusement que ma Cloche avait été retrouvée… Je n'avais toujours pas eu de cigarettes, tiens… Jérèm' déclina l'offre : - Cette histoire a fait de moi un homme, nous dit-il, et j'ai pris une décision. Je vais déclarer ma flamme à Marie-Noëlle. C'était la fille du Père Noël. - Et tant pis si elle me préfère Jean-Balthazard ! C'était le fils du Père Fouettard. Jérèm' nous salua sur ces bonnes paroles. - Je lui donne un quart d'heure avant de revenir en pleurs, fit Pat. - Amen ! renchérit Arlequin, en s'envoyant un beignet. Cupidon, toujours en jupette, entra sur ces entrefaites (entrefêtes ?), et se lança dans un glorieux discours pour nous féliciter. Je profitai qu'il accapare toute l'attention des autres pour me tourner vers ma petite souris. - Tu sais, Carrie, maintenant que tout est rentré dans l'ordre, il faut que je te pose une question…


Une question que je mourais d'envie de lui poser, depuis des jours, maintenant. Je plongeai mon regard dans le sien, et d'une voix suave, lui demandai : - C'est quoi le rapport entre Pâques et la RÊsurrection ?



La belle Ondine Isabelle Lorédan

Perle de notre beau pays, la vallée du Dessoubre est un lieu incontournable et chargé de mystère. Les eaux vives et pures s’écoulent dans un paysage invitant au rêve et à la méditation. Lecteur, je t’invite, à travers mes mots, à laisser voguer ton imagination et à entrer dans un monde fabuleux…

Il fut un temps, pas si lointain, où les habitants de cette vallée vivaient en parfaite harmonie avec la nature. Ils vivaient de la terre, qu’ils cultivaient et dont ils nourrissaient leurs bêtes, et de l’eau, généreuse, qui leur fournissait bon nombre de poissons délicieux, et autres écrevisses. L’hiver, qui était long et rigoureux, ils s’enfermaient dans leurs fermes, où ils fumaient dans les thuyés saucisses et jambons, mais où ils travaillaient


aussi le bois. Meubles et objets divers naissaient ainsi de leurs mains calleuses mais au combien habiles. Nombreux étaient aussi moulins et scieries, qui faisaient la richesse du pays. C’est dans cette vallée qu’habitait une pauvre femme. Veuve depuis de longues années, elle vivait chichement de son lopin de terre, aidée par son fils, Louis. « Le Louis », comme on l’appelait ici, était un solide gaillard de vingt ans. Travailleur acharné, il ne renâclait pas à la tâche, allant se louer de ferme en ferme, pour aider sa pauvre mère. De distractions il n’avait point, trop épuisé pour aller danser le dimanche comme les jeunes de son âge. Son seul plaisir, c’était le soir, lorsqu’il allait flâner le long des berges du Dessoubre. Parfois, il pêchait, à la main, et ramenait des truites pour le dîner. C’était alors fête à la maison, car l’ordinaire était souvent constitué d’un brouet et de pain noir. C’est le long de ces rives qu’il l’aperçut pour la première fois, resplendissante dans le soleil déclinant. Une beauté sauvage qui ne ressemblait en rien à ce qu’il avait déjà pu voir. Un corps filiforme et souple, une longue chevelure noire qui tombait à la taille, un visage aux traits fins qu’illuminaient des yeux aux reflets d’or. Jamais Louis ne l’avait vue et pourtant, il pouvait dire qu’il connaissait chaque âme de la vallée, qu’elle soit d’homme ou de bête. Ne se sachant pas observée, la jeune femme dansait, pieds nus dans l’herbe tendre, sous le regard envoûté de son spectateur caché.


Glissant sur une branche morte, Louis se retrouva d’un coup aux pieds de la jeune fille amusée. - Eh bien joli monsieur, tu es en bien mauvaise posture ! Voilà ce qu’il en coûte d’épier les honnêtes filles ! Rouge de honte, Louis s’excusa et se présenta à la belle inconnue. Il était bien maladroit, n’ayant point l’habitude des femmes. Oh ! Certes, il agaçait parfois les filles de la région, mais ils avaient grandi ensemble, et étaient quasi frères et sœurs. Là, rien de comparable. Du coup, il n’avait plus de repères… - S’cusez mam’zelle. Je suis le Louis, j’habite la fermette un peu plus haut. Ne voyez point de mal, mais vous étiez si belle ! Jamais de ma vie, je n’ai vu quelque chose d’aussi beau j’vous jure. Un éclat de rire cristallin lui répondit aussitôt. - Quelque chose ? Serais-je donc une chose ? Voilà qui est nouveau… Répondit-elle en s’esclaffant. On m’appelle Ondine, et je vis ici et ailleurs, fille du ciel et de l’air. Heureuse de faire ta connaissance Louis. Je vois peu de monde dans cette vallée, mais ça me va bien. J’aime la solitude, comme tu as pu le remarquer.


Ils bavardèrent ainsi un long moment. Ça n’est que lorsque Louis vit le soleil se coucher, qu’il prit conscience de l’heure tardive. La mère devait se demander où il était, ça n’était pas dans ses habitudes de rentrer si tard, et qui plus est bredouille. - Reviens ici demain, je t’y attendrai. J’aime ta compagnie, tu es franc et sincère, et ça me plaît bien. N’oublie pas surtout… Dit Ondine en agitant la main pour un dernier au revoir. C’est le cœur battant que Louis regagna la ferme ce soir-là. Comme il s’y attendait, la mère se rongeait les sangs de ne pas le voir revenir, et il dut faire preuve de persuasion pour la rassurer. De sa rencontre, il ne parla point, gardant son doux secret pour lui. La nuit venue, il rêva de l’envoûtante jeune femme. À n’en point douter, il était amoureux, ce qui était nouveau pour lui. Durant ce temps, sur les berges du Dessoubre baignées par la lumière surnaturelle d’une lune pleine, une scène peu ordinaire se déroulait. Une étrange créature, au long corps recouvert d’écailles et aux ailes déployées, serpentait sur l’herbe fraîche. Sa tête dressée fièrement illuminait l’endroit d’un éclat particulier. En effet, une escarboucle de rubis et d’or l’ornait majestueusement, formant un œil unique sur son visage. La Vouivre, car c’était bien d’elle qu’il s’agissait, regarda alentour, s’assurant que nulle présence humaine ne rôdait dans les parages. Puis de ses pattes courtes et griffues, prit le


joyau, et le déposa précautionneusement sur le rivage, avant de gagner les eaux froides qui étaient son domaine réservé. Elle y nagea longuement, avec un plaisir non dissimulé. Comme chaque soir, elle se ressourçait dans les eaux vives. C’est aux premières lueurs du jour qu’elle en sortit, reprenant sa parure avant de disparaître, s’envolant par-delà les futaies. Le lendemain, Louis ne pensait plus qu’à une chose, retrouver sa belle amie après sa journée de travail. Il mit encore plus d’ardeur, pressé qu’il était de terminer sa tâche. En un rien de temps, cette femme avait chamboulé sa vie. Après de longues heures de labeur, il fut enfin l’heure du rendez-vous. Il arriva essoufflé, tant il s’était hâté. Ondine l’attendait, assise dans l’herbe, jouant à faire tourner une fleur entre ses longs doigts. - Bonjour mon ami. Sais-tu que j’ai compté les heures, tant j’avais hâte de te revoir ? T’ai-je manqué au moins, lui demanda-t-elle. - Pour sûr que tu m’as manqué ! Tu es une magicienne, car je ne me reconnais plus depuis hier. J’ai, comme qui dirait, la tête à l’envers. Quel sort m’astu jeté pour me chambouler ainsi ? - Sort ? Me prends-tu donc pour une sorcière ? Point de sort ici mon cher Louis. Mais je comprends ce


que tu veux dire, moi aussi je me sens étrange depuis notre rencontre. Le soleil était encore haut dans le ciel, et l’été finissant offrait une chaleur bienfaisante. D’un commun accord, ils décidèrent de se baigner. Louis s’écarta, à l’abri des buissons, pour se défaire, ne gardant que son caleçon. Il reçut un coup au cœur, lorsque, reparaissant, il découvrit Ondine dans la plus grande nudité, ses longs cheveux d’ébène coulant sur sa poitrine. - Allez, viens donc avant qu’il ne soit trop tard ! L’eau est bonne je t’assure… Mais… Je te fais peur, que tu n’oses avancer ? - C’est que… tu es… - Nue ? C’est donc cela qui te gêne ? Mais dans quelle tenue veux-tu que je me baigne grand nigaud ! Fais donc comme moi ! A-t-on idée d’aller à l’eau vêtu, s’esclaffa Ondine, amusée par la gêne de son ami. Maladroitement, il obéit et bientôt tous deux s’ébattirent gaiement dans l’eau vive, nageant, plongeant. Le rire cristallin d’Ondine retentissait entre les roches, faisant écho aux chants des oiseaux. Mais alors qu’ils s’amusaient, Louis fut pris dans un tourbillon et disparut. Ondine partit aussitôt à sa recherche, inspectant les fonds. In extremis, elle le trouva entre deux eaux, inconscient. Sa tête avait heurté un rocher. Elle le ramena


à la rive, et l’allongea sur les pierres chaudes. Il était blanc, respirait à peine. Sa peau blanche était marbrée de bleu. Il fallait le réchauffer, sinon le pire était à craindre. Elle avait trop vu d’hommes, passer de vie à trépas, de cette façon. Méticuleusement et avec ardeur, elle entreprit de frictionner de ses mains chaque parcelle de son épiderme, collant son corps contre lui pour lui transmettre un peu de sa chaleur. Louis, reviens… Ce n’est pas l’heure pour toi de quitter ce monde ! J’ai besoin de toi l'exhorta-telle, tout en continuant ses frictions. Au bout de quelques minutes, il ouvrit enfin les yeux, découvrant le beau visage au-dessus du sien, sentant les mains parcourir son corps. Doucement, il la prit dans ses bras. Leurs bouches s’unirent en un baiser passionné. Émerveillés, ils découvrirent leurs corps et surtout les délicieuses sensations qu’ils leur procuraient. - L’heure est avancée Louis, il te faut rentrer ou ta mère va encore s’inquiéter. Tiens, j’ai péché cet après-midi, ramène donc ces poissons, ça lui fera plaisir. Je t’attendrai ici tous les jours mon amour… Tu me manques déjà ! Il partit la mort dans l’âme, malheureux qu’il était d’abandonner sa belle. Il mangea peu ce soir-là, surprenant sa mère.


- Si c’est point malheureux ! Pinailler ainsi sur une aussi belle truite ! Tu gâches, mon gars. T’es pas dans ton assiette, je l’vois ben, dit la mère. Louis, perdu dans ses pensées ne l’entendait même pas, ce qui la fit râler d’autant plus. - C’est-y point Dieu possible d’voir ça ! Il écoute même pas sa mère ! Si tu n’manges point, vas t’occuper des bêtes, au lieu de rêvasser ! C’est point l’ouvrage qui manque. La vieille était en colère. Son fils ne l’avait pas habituée à cela. Il y avait du jupon là-dessous, elle en était sûre. Quoi d’autre ? Il était déjà parti. Après un passage à l’écurie, pour panser les bêtes, il décida de retourner à la rivière. Il courut à travers bois, dévalant les pentes rocheuses qui menaient à la berge. De loin, il aperçut une lueur étrange, avant de découvrir un spectacle auquel il ne s’attendait pas. La Vouivre était là, ailes déployées, posée sur la rive. L’escarboucle illuminait la nuit du rouge vif de son rubis. Il la reconnut de suite, elle ressemblait trait pour trait au personnage de la légende qu’on racontait, lorsqu’il était enfant, le soir à la veillée. Jamais il n’aurait pensé la rencontrer. Émerveillé, il contempla le spectacle qui s’offrait à lui durant un long moment. Il faudrait qu’il en


parle à Ondine, il ne pouvait garder pour lui seul ce secret fabuleux. Il regagna la ferme fort tard, épuisé de trop d’émotions, ignorant que sa mère l’avait précédé de peu. Lorsqu’elle l’avait vu quitter l’étable, elle avait décidé de le suivre, pour percer le mystère de son changement soudain. Les jours passèrent ainsi, les rendez-vous se succédèrent, renforçant le lien amoureux qui unissait désormais Louis et Ondine. Il lui avait parlé de ce qu’il avait découvert, lui faisant jurer de n’en parler à personne. Elle avait ri avant de reprendre son sérieux et de lui faire une confidence. La créature qu’il avait découverte au bord de la rivière, c’était elle. Louis était incrédule et pourtant… La Vouivre avait bel et bien deux vies. L’une de femme, tant que le soleil brillait, et une autre de créature serpentine ailée dès que la nuit tombait. L’escarboucle était alors son œil, celui qui lui permettait de voir en toute chose, en toute âme, la vérité du monde. Dès les premières heures du soir, elle regagnait son royaume, en se coulant dans les eaux vives de la rivière. - Toi seul sais la vérité Louis. Je t’aime, et j’ai confiance en toi. Depuis des siècles, je me protège de la cupidité des hommes, qui n’ont de cesse de s’emparer de mon trésor. Mais tu n’es pas comme les autres. Tu es pur et droit. Tu ne me trahiras pas.


Louis lui fit maints serments d’amour et de loyauté. Jamais il ne trahirait celle qu’il aimait, elle pouvait en être sûre. Mais c’était compter sans la mère, qui voyait là l’aubaine tant attendue pour sortir de la misère. Secrètement, elle avait décidé de retourner à la rivière, et de profiter du bain de la créature pour s’emparer du trésor. Ça serait la fin de leurs soucis, une belle vie d’assurée ! C’est par une nuit sans lune qu’elle passa à l’action. Elle rejoignit le Dessoubre par des chemins détournés, prenant soin de ne faire aucun bruit. À l’abri des taillis, elle attendit patiemment que la créature arrive. Un bruissement d’ailes annonça son arrivée. Elle plana, s’assurant que tout était tranquille, puis se posa sur la berge. Méticuleusement, elle observa, puis se départit de son joyau, qu’elle posa, comme à son habitude dans l’herbe tendre. Puis son long corps écailleux se coula jusqu’à l’eau fraîche. La vieille, qui n’avait pas perdu une miette de la scène, attendit qu’elle soit loin du rivage, puis sortit de sa cachette et s’empara avec avidité de l’escarboucle avant de fuir à travers bois. Un long cri lugubre fit trembler toute la vallée. Celui de la Vouivre à qui l’on avait volé son trésor. Elle surgit de l’eau, ailes déployées, toutes griffes dehors, et survola les


rochers boisés, à la recherche de celle qui l’avait dépouillée. La retrouvant, elle l’emporta dans ses serres, jusqu’au sommet d’un rocher surplombant la rivière, et lui reprit son œil, qu’elle remit aussitôt en place. - Qu’as-tu fait, malheureuse ! Sais-tu que d’ordinaire, tu devrais être morte, pour avoir ainsi cédé à ta cupidité ! C’est le sort que je réserve depuis la nuit des temps aux gens de ton espèce. Mais je ne peux te tuer… Une part de moi est aimée de ton fils, et je l’aime en retour. C’est donc à lui que tu dois la vie. Te tuer, serait tuer notre amour, et je ne puis m’y résoudre. Mais de ton acte, tu devras te repentir. Il n’est point de vie plus misérable que celle obtenue par le vol. La vieille tremblait de tous ses vieux membres, le regard baissé, honteuse de ce qu’elle avait eu l’audace d’entreprendre. - J’vous d’mande ben pardon la Vouivre ! J’savions plus c’que j’faisions. Tant d’misères, tant d’peines m’ont fait perdre la tête. J’vous jure que j’recommencerons plus, sur la sainte bible ! » marmonna-telle - J’ai la faiblesse de te croire. Mais ça ne me suffit pas. Je veux une garantie que tu ne t’opposeras pas


à ce que ton fils prenne épouse, et quitte ta ferme. Je veux que tu respectes son choix, et que tu honores sa femme, comme si elle était ta propre fille. » Rajouta la Vouivre - J’jure, sur tout c’que j’ai de plus cher, lança la vieille, trop heureuse de s’en tirer à si bon compte. - Bien. Je vais te ramener près de chez toi, et je ne veux plus te voir la nuit hors de ta maison. Elle se saisit de la vieille et s’envola jusqu’au petit bois jouxtant la fermette, où elle la libéra. - N’oublie pas ta parole ! Je ne pardonnerai pas deux fois, dit la Vouivre avant de repartir dans un bruissement d’ailes. Quelques semaines plus tard, Louis et Ondine étaient officiellement fiancés. Aux premières heures du printemps, un beau jour de Pâques, on célébra les noces, dans la petite église du village. La jeune épousée avait mis dans la corbeille de mariage, un joyau de toute beauté. Un énorme rubis serti d’or. Lorsqu’elle le donna à Louis, elle lui déclara : - Aujourd’hui, puisqu’il me faut choisir, la Vouivre cède sa place à la femme. Cet œil ne lui sera plus utile, mais il est important qu’il ne fasse pas le mal-


heur des hommes. Je te le donne, pour qu’en un lieu secret, il soit à jamais enfoui. Ensemble, ils décidèrent de le mettre à l’abri, aux fins fonds de l’une des nombreuses grottes de la vallée. Ne me demandez pas laquelle, je vous vois venir, avides que vous êtes… Sa belle lueur rouge n’illumine désormais plus que les entrailles de la Terre, et plus personne ne s’entre-tue pour le posséder. De mémoire d’homme, plus jamais la Vouivre n’est apparue à personne, sinon aux petitsenfants à qui l’on raconte toujours la légende.



Les Trousseurs Textuels

Les Trousseurs Textuels est un collectif d'auteurs francscomtois. Son but est de promouvoir l'écriture, la lecture et les talents régionaux au travers d'événements divers et variés (lectures publiques, publications d'ouvrages collectifs...) Six auteurs ont participé à ce second ouvrage collectif. Vous trouverez leurs courtes biographies dans les pages qui suivent.

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Isabelle Bruhl-Bastien est sophrologue depuis plusieurs années. Cette ancienne infographiste, originaire du Pays de Montbéliard, vit dans un petit village du Territoire de Belfort. Créatrice dans l’âme, elle s’est essayée à la peinture, mais c’est dans l’écriture qu’elle trouve sa passion. Elle est l’auteur de deux romans à intrigue « Résurgence » et « Les secrets du cylindre » parus aux éditions du Citron Bleu. Elle a participé à l’écriture du recueil collectif de nouvelles « Noirs flocons » Editions du Citron Bleu. En alliant psychologie des personnages, suspens et mystères de la vie, elle fait voyager ses lecteurs sur les routes de France, notamment en Franche-Comté. Isabelle a participé au premier recueil collectif de nouvelles des Trousseurs Textuels « Cinq nuances de Père Noël ». Site de l'auteur http://isabellebruhlbastien.e-monsite.com/


Sandrine Décembre est conférencière et consultante en communication. Elle est spécialisée dans la gestion de la visibilité en ligne des artistes et des auteurs. Elle travaille sur le “Chantier” des Francofolies, programme d'accompagnement de jeunes artistes. Elle est aussi à l'origine du Collectif A4 qui vient en soutien aux petites salles de concerts. Enfin, Sandrine est Commandant Réserviste Citoyen chargée de la diffusion d'informations en ligne et d'ingénierie de projets culturels. Elle travaille actuellement à l'écriture d'un recueil d'histoires courtes autour de la Perversion Narcissique. Sandrine a participé au premier recueil collectif de nouvelles des Trousseurs Textuels « Cinq nuances de Père Noël ».

Site de l'auteur http://sandrinedecembre.tumblr.com/


Né en 1947 dans les Vosges, Daniel Durand a été atteint très jeune par le virus de l'écriture puisqu'il a composé ses premiers alexandrins dès l'âge de 10 ans. C'est pourtant un demi-siècle plus tard seulement qu'il se décide à aborder la prose, explorant avec un égal bonheur des registres aussi différents que la politiquefiction « Un si long sommeil » le roman policier « La vedette » – « Homicide par insouciance » l'humour « L'extraordinaire semaine de Monsieur Fluet » le fantastique « Aux limites de l'étrange » et même la parodie avec un «faux San-Antonio » très apprécié par les amateurs.


Nathalie Faure Lombardot est originaire de la région de Montbéliard, technicienne de prestations, investie dans la vie associative culturelle et sportive, amoureuse de la race canine, elle est auteur de plusieurs romans à suspens, tels « La fille de l'ombre », « Au nom d'Elisa », « Amnésie », « L'autre », « Sans illusion », elle s'essaie à un nouveau genre d'écriture : la nouvelle. Site de l'auteur : www.nathaliefaurelombardot.jimdo.com


Née en 1994, Mélodie Lombardot, étudiante en psychologie à Besançon, écrit depuis ses plus jeunes années. Auteur de nouvelles fantastiques « Blanche-colombe » parue dans le recueil Abominations, « Divine », ou encore « la Malepeste » et des deux premiers tomes d'une trilogie fantastique « Les Anges de Lucifer » et « La Dulcinée du Diable », elle livre ici une nouvelle à la fois loufoque, absurde, fantastique et humoristique. Site de l'auteur http://mellombardot.jimdo.com


Isabelle Lorédan est l'auteur de nombreuses nouvelles érotiques publiées chez divers éditeurs (Blanche, Musardine ou Dominique Leroy). En 2015, elle a signé un livre témoignage traitant de violence conjugale « Les Bleus au corps », paru aux éditions Take Your Chance. Elle est également chroniqueuse et correspondante locale de presse pour un hebdomadaire hautsaônois. Isabelle a participé et dirigé le premier recueil collectif de nouvelles des Trousseurs Textuels « Cinq nuances de Père Noël » Site de l'auteur http://isaloredan.wordpress.com



INDEX 

Le chêne de Pâques - Isabelle Bruhl-Bastien

La résurrection de l’assassin - Sandrine Décembre

Panique à Pâques - Daniel Durand

Le cadeau de Pâques - Nathalie Faure Lombardot

Pâques pas comme les autres - Mélodie Lombardot

La belle Ondine - Isabelle Lorédan





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