Le Maillon Sandrine Décembre Ecrit pour “La Bibliothèque Humaine” Ma Scène Nationale Montbéliard C'est essoufflée qu'elle arrive à l'Hotel Sponeck. Sa blondeur presque émouvante tranche alors avec sa peau rougie par l'effort d'une course folle après le temps, l'heure, les minutes, les secondes qui lui échappent de plus en plus souvent ces dernières années. Elle parait encore bien jeune pour ses 50 ans mais bien rouge toutefois. Elle franchie la porte d'entrée de cet Hotel Sponeck qui n'en est pas un plus essoufflée encore après avoir lutté contre la si lourde porte d'entrée de ce lieu devenu avec le temps un espace dédié à la culture et à la création théâtrale. Elle vient à l'instant de s'échapper du campus universitaire situé à une dizaine de minutes de cet hôtel. Elle est maître de conférence associée à l'Université de Franche Comté. Bref, elle enseigne l'expression communication.
Elle quitte à l'instant un amphithéâtre d'une centaine d'étudiants sympathiques à ses yeux et qui se destinent à travailler dans l'univers du Web. Elle enseigne en effet dans une section multimédia de l'université. Elle est essoufflée, rouge et enseignante. Elle est aussi baptisée : Marie Chardonnay. Marie s'enfonce dans cet hôtel aux murs blancs, épais et d'une hauteur presque étourdissante. La rencontre à laquelle elle doit participer se déroule dans un salon à droite au bout du couloir. Un salon surprenant par ses fauteuils de cuirs rouges, verts, jaunes, bleus, larges, profonds, confortables. Des fauteuils disposés en un large cercle pour l'occasion. Mais, les fauteuils sont vides. Il n'y a personne. Elle n'est presque pas en retard pourtant. Elle a aujourd'hui presque fini par rattraper le temps après lequel elle court depuis 49 ans, mais ce temps, encore une fois, vient de lui échapper. Essoufflée, rougie, bientôt cinquantenaire, elle s’effondre dans le fauteuil rouge. Elle réfléchit. A l'heure, Au lieu, Au temps qui passe. Elle sursaute. Car, voilà que résonne dans le couloir une voix grave, presque aussi profonde que les fauteuils de cette salle, presque aussi étourdissante que la course pour arriver essoufflée jusqu'ici et presque aussi cinquantenaire que l'âge atteint par Marie. Cette voix est grave, caverneuse, elle résonne dans le couloir de cet hôtel qui n'en est pas un mais plus encore elle résonne dans le corps d'un homme si largement que c'est à se demander si ce corps contient des organes vitaux indispensables à un être humain normalement constitué.
« Ce n'est pas un homme, pense telle. C'est un monstre ». Afin d'échapper à cet aspirateur de sentiments, de joies et d'espérances, elle tente de s'extraire de ce fauteuil profond avec pour objectif de faire face à son prédateur mais elle n'y parvient pas. Le voilà planté face à elle. Il est debout. Fier et tendancieux. Elle est assise. Emmurée et perdue. Elle est assise les jambes écartées car il est impossible de s'asseoir en croisant ou en serrant les jambes dans de si profonds fauteuils. Il est posté entre ses jambes. Il est à contrejour. Elle le ressent mais ne le voit pas. Et voilà qu'il s'exprime : « Ce n'est pas ici. Mais vous êtes là. C'est déjà ça. Je vais demander à mes trois collaborateurs de nous rejoindre. ». Sa voix puissante couvre le corps de Marie d'un filet composé de maillons fins. Marie est prisonnière. L'homme est sombre. A contrejour. Quant à faire elle aimerait bien voir son visage. Il appelle et ordonne aux trois interlocuteurs manquants de les rejoindre. Car ils manquent à présent. Il reste planté là. Face à elle. Hautain. Autoritaire. Il a exprimé son désir de mettre en scène une pièce de théâtre d'une durée de 8h30. Il ne vit plus que sur scène, pour son Art. Il explique à Marie ce qu'il attend d'elle et du déploiement de ses compétences au service de son œuvre.
Il détaille. Elle a pour interdiction d'exprimer son point de vue. Elle ne décrira que des faits. Marie enregistre. Il n'a toujours pas bougé. Imposant. Marie aimerait tenter de se défaire du filet composé de maillons en acier que sa voix a jeté sur elle mais elle n'en a pas la force. Elle reste enfoncée, emmurée entre les bras de ce large fauteuil. Elle est rose à présent. Toute rose. Elle a pour horizon un jean noir, une chemise noire et un homme . Voilà ce qu'elle voit à travers les maillons serrés du filet d'acier. Elle voit cet homme qui sent l'odeur du caprice. Elle l'imagine alors capricieux et colérique. Affamé de cris. De ses propres cris. De cris qui sortiraient de son corps afin d'ordonner l’exécution de ses caprices. Il est ainsi. Marie en est presque certaine. Elle en est sûre à présent. Il porte le nom de Baptiste Joua. Il est metteur en scène et il n'a pas bougé d'un centimètre depuis qu'il s'est emparé de tout l'espace. Merci à Jean Cagnard pour ses précieux conseils.