L'écrit-vin (le livret de l'animateur)

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Un Atelier d’Écriture proposé par Sandrine Mosca et Christian Nicolas

L’ECRIT-VIN 23 ET 24 AOUT 2014

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D’INCEPTITUDE EN VENT DES ANGES

ð Ivresse de l’écriture au milieu du vignoble de Christian La Roche de Glun, Drôme


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L E FI L ROU GE Ivresse de l’Écrit-vin, d’inceptitude en vent des anges 23 et 24 août 2014 Par Sandrine Mosca et Christian Nicolas Le temps de la vigne

1. Petit tour dans les vignes. On prend le temps de regarder les ceps, le raisin, on écoute Christian nous parler du travail de la vigne, de l’ouvrage à faire jour après jour. 15 mn 2. Arrivée sur les lieux de l’écriture, installation, présentation (prénom + habitude atelier) 3. Lecture du texte de Christian. 4. Nous allons maintenant écrire dans les pas du vigneron, au fil des saisons, œuvrant sur nos mots avec patience et minutie, avec au bout du compte, la promesse de textes enivrants. 5. Voici l’automne, le temps de l’incertitude, de « l’inceptitude » : on découvre et plante des mots inédits, incertains, en devenir… a. Dans le texte de Christian, la vigne est à la fois une naissance, un calendrier et une armée. On décline deux fois chacun de ces trois mots sur le pôle idéel : « qu’est-ce que ce mot cache ? » (dans le sens que vous voulez) => 9 mots à placer dans ma grappe de raisin Vous avez 5 mn b. On pioche chacun 3 bouchons. Sur chaque bouchon se trouve inscrit un mot de vigneron. Peut-être les connaissons-nous, mais sinon, laissons-nous guider par les sonorités et votre imagination… Décliner deux fois chacun de ces trois mots sur le pôle matériel, c.-à-d. en cherchant les mots qui se cachent à l’intérieur, en mélangeant lettres, syllabes, sonorités… (ex : soleil, sol, œil, oseille, île, etc.) => 9 mots à placer dans sa grappe de raisin Vous avez 5 mn c. On joue avec nos bouchons et on les aligne, tels des soldats, créant ainsi une expression => une expression à placer dans la grappe et que l’on recopie sur un sarment Vous avez 5 mn. d. Tous ensemble, nous rassemblons nos soldats jusqu’à en faire une armée, les bouchons s’alignent, dans l’ordre de nos sarments placés devant, jusqu’à la construction d’une phrase collective => une phrase à noter dans son champ. 6. L’hiver est là, et en ce temps de froidure, c’est le moment de l’entretien de la vigne a. On commence par la première taille. C’est aussi la part des anges, cette petite partie du vin qui s’évapore par les pores du bois durant son élevage en fût. Chacun reprend la phrase collective et enlève ce qui lui semble risquer de gêner le développement futur => une phrase taillée à noter dans son champ Vous avez 5 mn. b. Vient ensuite le carassonage, (entretien du palissage avec les crampillons, les tirants), le calage (attache des pieds au fil de fer) ou encore le pliage (courbure du bois sur le fil) et l’épeillonage (enlever les bourgeons à bois). Chacun pioche une contrainte différente qu’il devra appliquer à sa phrase => une phrase contrainte à noter dans son champ Vous avez 10 mn. 7. Le printemps est enfin revenu : les bourgeons deviennent pampres puis sarments, les boutons floraux apparaissent a. Je reprends ma grappe de raisin sur laquelle sont notés tous mes mots collectés, mon expression, la phrase collective qui a été taillée et entretenue. Je commence à former des expressions (entre 3 et 5), ce seront les sarments sur lequel poussera mon texte => 3 à 5 expressions à noter dans les sarments du printemps. Vous avez 5 minutes b. La floraison est à son apogée, il est temps de laisser un premier texte jaillir de cette terre gorgée de mots et d’idées. En 15 mn, laissez fleurir votre vigne => texte à recopier dans sa feuille de vigne. 8. L’été est là, le temps se ralentit, l’homme fait une pause, l’attente se nourrit du lieu ! a. Prenons le temps d’un petit verre de vin. Regardons, humons, goûtons tout en faisant quelques pas dans la vigne. Comparons ce que nous avons dans notre verre avec le raisin, mais aussi avec les textes et les photos qui ont été semés à travers les ceps. Dénichons ce qui est attendu, espéré derrière ce paysage porteur de promesses => Vous avez 15 mn. b. L’acidité est un ingrédient essentiel du vin. Sans elle, le vin serait simplement alcooleux (un peu), sucré (plus ou moins) ou tannique (plus ou moins). On parle plus souvent de « fraîcheur » que «


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d’acidité », mais c’est la même chose. Car l’acidité fait saliver, provoquant une sensation de fraîcheur sur les muqueuses. « Très frais » (voir « très sec ») veut donc bien dire « très acide ». Si vous voulez mesurer l’acidité d’un vin, concentrez-vous sur votre salivation, et vous verrez que même certains vins très sucrés peuvent aussi être très acides. Sans acidité donc, pas de bon vin ! Or chaque cep porte en lui l’acidité de tous les jours qu’il a traversé. Au lieu d’évaluer le degré d’alcool, cherchons notre « acidité du jour ». Prenons le temps d’écrire 10 lignes sur nos sensations et émotions => texte à recopier sur la photo du vignoble. Vous avez 10 mn c. Mais voilà déjà le temps du rognage, de l’écimage et de l’effeuillage. Nous allons retirer une expression de notre « acidité du jour ». On peut choisir de donner un joli sarment en cadeau, mais aussi d’enlever une feuille qui fait de l’ombre ou une grappe en trop afin que celles qui restent soient meilleures. Les expressions enlevées sont notées sur les étiquettes et placées dans la corbeille. Chacun piochera une étiquette qui ne soit pas la sienne. => Vous avez 5 mn d. Hélas, on est jamais à l’abri d’un coup de grêle. Secouer les dernières gouttes de son verre audessus de son premier texte. Tous les mots touchés sont à jeter si l’on ne veut pas que l’ensemble de la récolte soit contaminé => Barrer les mots touchés.

9. Septembre, le mois de la naissance et du vent des anges.

a. La récolte est proche. Laissez vous emporter dans un dernier texte qui intégrera vos deux premiers écrits et qui devra obligatoirement avoir l’expression « vent des anges » en titre ou en incipit. = Vous avez 30 mn b. Faisons quelques pas et écoutons ce que la vigne nous a inspiré. Vous pouvez lire votre propre texte ou bien celui de quelqu’un d’autre. Ceux qui veulent échanger, peuvent déposer leur texte dans le panier avant d’en piocher un autre. Vous avez 5 mn de préparation pour préparer votre lecture. Il s’agit de faire bien entendre, faire aimer chaque texte. c. Supplément possible le soir : repenser à son texte et décrivez-le comme vous pourriez décrire un grand cru, lui inventer un cépage, une robe…

Bibliographie • Dictionnaire amoureux du vin de Bernard Pivot • Le parler des métiers - dictionnaire thématique des métiers de Pierre Perret • Les ignorants: Récit d'une initiation croisée de Étienne Davodeau Sites • http://www.cepdivin.org • http://www.musee-virtuel-vin.fr/Pages/default.aspx • http://jybardin.wordpress.com/bestiaire/ •


PO UR COM M E NC E R Ce n’est pas facile de parler de ceps. Je suis sceptique. À partir d’octobre, je suis en enceptitude devant le cep. Inceptitude, lointain cousin de l’incertitude. Puis en janvier, je commence la taille. Le cep est alors comme un fœtus, comme une promesse de vie. Chaque année il y a renaissance et au 9e mois, en septembre, il y a une sorte d’accouchement, ça prend corps. Le chiffre 9 c’est la forme d’un fœtus. On en devine le cordon qu’il faut couper. Chaque année il faut couper le cordon de la vigne. Et le renouveler. Quoique le 9, on ne sait pas si c’est un 6 à l’envers. La vie commence en ambiguïté. C’est prématuré de dire que tout est limpide. Pour parvenir à ce corps, on part du cep. Le sol est rempli d’or : Or remplace le e du cep pour faire corps. Ainsi on donne du corps à un vin et une belle robe. L’aoûtement du bois, c’est la transformation du cep en corps. D’une couleur verte Au départ, on a une couleur jaune pale. Corps aoûté que l’on recherche : ah oû t’es ? Le corps sort du bois comme le loup. Il en sort à 12 degrés comme les apôtres, buvez la bonne parole, ceci est mon corps. Curieusement elle vient du septique. On ne peut convertir qu’un septique. Les ceps alignés sont comme des jours sur un calendrier. Quelques fois pour tailler un cep, il faut poser un genou, comme quand on est devant un jour férié ; l’ascension ou le 15 août. Si c’est le 14 juillet il vaut mieux rentrer la tête. Quand on a des rangées longues on peut dire que c’est une année. J’en ai 65 devant ma maison, il faut en conclure que je vais vivre jusqu’à 65 ans. Chaque cep nous raconte l’acidité d’un jour. La météo se contente du degré, c’est un instantané de notre humeur qui est conservé. À ciel ouvert. C’est un instant tanné par le soleil. Un jour sombre. Chaque jour est un instant pour le temps qui passe… À force de donner toutes ces naissances, on obtient quoi ? Une armée. On passe devant le champ et toutes ces rangées alignées sont comme autant de soldats d’une armée morte sinon immobile. Je suis le général de l’armée morte. J’ai 25 000 soldats répartis en 7 divisions de 4 000 soldats ou plutôt 7 hectares de 4 000 pieds. On a envie de leur dire de grâce ne faites pas le pied de grue, éparpillez-vous, ouvrez vos papilles et allez vous soûler. Christian Nicolas


CO L L E CT E E N GR AP PE

Expressions : les sarments du printemps …………………………………………… ……………………………………… ……………………………………… ……………………… ………………………… …………………………… Naissance Expression d’automne

……… Calendrier

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Phrase collective : Bouchon 3 ……… …………… ……… ……… ……………… ……… ……… …………………………… ……… …………………………… ……… Bouchon 1 …………………………… Armée ……… …………………………… ……………………………………… ……… ……… Phrase taillée :…………………………… ………………………………………………… ……… Bouchon 2 ………………………………………………… …………………………………………………………… ……… Phrase contrainte :…………………………………………………… ……………………………………………………………………………… ……………………………………………………………………………… ……………………………………………………………………………… ………………………………………………………………………………


L E S CA RT E S CO NT RA I NT E S 1. Réécrire la phrase en rajoutant un maximum de mots du champ lexical de l’odorat 2. Réécrire la phrase en rajoutant un maximum de mots du champ lexical de l’ouïe 3. Réécrire la phrase farcie d’adverbes 4. Réécrire la phrase en ajoutant au moins deux adjectifs par nom 5. Réécrire la phrase sous forme de conte 6. Réécrire la phrase sous forme de poème 7. Réécrire la phrase sous forme de dialogues 8. Réécrire la phrase farcie avec la lettre « s » 9. Réécrire la phrase farcie avec la lettre « a » 10.Réécrire la phrase avec « je » 11.Réécrire la phrase en rajoutant le plus possible de mots avec accents (aigu, grave, circonflexe ou tréma). 12.Réécrire la phrase en faisant en sorte que plusieurs mots aient un ou plusieurs mots dérivés dans le texte. 13.Réécrire la phrase en accumulant les verbes 14.Réécrire la phrase en utilisant plusieurs sens d’un même mot 15.Réécrire la phrase farcie du son [k] 16.Réécrire la phrase farcie du son [ul] 17.Réécrire la phrase en essayant de dire la même chose mais en employant le plus possible de mots de sens contraire. 18.Réécrire la phrase en style précieux et/ou avec emphase 19.Réécrire la phrase en lui rajoutant au moins trois des homonymes suivants « vin, vain, vingt, vainc, vint ». 20.Réécrire la phrase au passé simple

Réécrire la phrase en rajoutant un maximum de mots du champ lexical de l’odorat

Réécrire la phrase en rajoutant un maximum de mots du champ lexical de l’ouïe

Réécrire la phrase farcie d’adverbes


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M OT S D E L A V I GN E E T D U V I N Amaigri Aoûté

Qui s’est décharné lors de son vieillissement Se dit d'un végétal de l'année dont le bois s'est endurci, le rameau de la vigne est alors appelé sarment. Balthazar Bouteille d'une contenance de 12 litres. Bourru Vin nouveau qui sort de la barrique Calage Attache des pieds au fil de fer Carassonage Opération de contrôle et d’entretien des piquets et des fils qui constituent le palissage qui soutient les pieds de vigne. Cépage Type de plant de vigne caractérisé par des particularités propres : la forme des feuilles et des grappes, la couleur des raisins à maturité, la composition des raisins, etc. Chapeau Parties solides du raisin (peaux, rafles, pépins, etc) formant une croûte à la surface de la cuve de fermentation. Chasse-cousin Vin médiocre qui éloigne les insectes Chaussage Labour d'automne par lequel on ramène de la terre contre et entre les ceps formant la rangée de vignes. Coulure Le mauvais temps, à l'époque de la floraison de la vigne, provoque parfois l'absence de fécondation des fleurs. Celles-ci se déssèchent et tombent. Coursons Sarments de l'année, taillés court généralement et tous les ans, issus des branches ou charpentes et destinés à porter la récolte. Débourbage Étape de la vinification consistant à enlever, juste avant la fermentation, un grand nombre de particules en suspension dans le moût et qui, sans cela, pourrait apporter un mauvais goût au vin. Demoiselle Bouteille d'une contenance de 62 centilitres soit deux fillettes Douciné Goût sucré Douelle Planche en chêne fendu(merrain) ou scié formant avec d'autres le corps d'un tonneau. Ecimage Réduction des rameaux après la floraison. L'opération consiste à les pincer ou à les couper pour les réduire de 10 à 20 cm. Ecrivain Insecte parasite de la vigne Effeuillage Consiste à enlever les vieilles feuilles afin de favoriser l'éclairement des grappes. Cela permet une meilleurs maturation des baies et diminue les risques d'apparition de certaines maladies cryptogamiques. Entre-coeur Pousse réduite issue des prompts-bourgeons généralement éliminée lors de l'éclaicissage. Filope Grappe improductive Gélivure Sous l'action du gel, éclatement provoquant des fentes dans le bois du pied de vigne. Gouleyant Se dit d'un vin désaltérant, se buvant facilement parce qu'il est tendre, agréable, souple et coulant. Gourmand Rameau herbacé poussant directement sur le vieux bois, souvent très vigoureux, ne portant habituellement pas de grappes. Gueille (la) Morceau de toile de jute rond, placé autour de la bonde pour mieux fermé la barrique Involuté Se dit lorqu'une feuille de vigne se referme vers le haut rappelant quelquefois une assiette. L'aspect contraire se dit révoluté Jambe Filet de liquide gras dû au glycérol qui apparaît sur les parois d’un verre de vin après un léger mouvement de rotation. Développe les arômes et souligne la richesse


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Lavé

Vin qui a une expression aromatique tellement faible et dilué que l’on a du mal à en percevoir les senteurs Lie Dépôt jaunâtre ou rougeâtre se déposant au fond de la cuve ou du tonneau. A l'inverse des grosses lies que le vigneron retire au moment du premier soutirage, les lies fines sont conservées pour les vins blancs afin de leur procurer plus de gras et de complexité. Limbe Partie distale des feuilles, des pétales et des sépales. Terme couramment employé pour une feuille de vigne. Mâche (a de la) Tellement de corps et de chair en bouche pour parler d'un vin que sa plénitude ferait croire qu'on pourrait le mâcher. Marcottage Mode de multipication de la vigne consistant à enterrer, sans le détacher de la souche mère, un sarment qui produira des racines et plus tard des fruits. Méchage Opération consistant à provoquer le dégagement d'anhydride sulfureux en faisant brûler du soufre à l'intérieur d'un fût ou d'une cuve. Millerandage Fécondation des fleurs faite de façon inégale (sur la grappe, certains grains resteront, même petits et sans pépins) Moût Jus de raisin avant que démarre la fermentation alcoolique. Nabuchodonosor Bouteille d'une contenance de 15 litres. Nouaison Cycle végétatif de la vigne intervenant aussitôt la floraison terminée et se traduisant par l'apparition des petits grains de raisin Ouillage Opération consistant à refaire à chaque fois le niveau d'une cuve ou d'un fût pour compenser l'évaporation. Passerillage Raisins laissés sur souches au delà de la maturation normale. Ils se déshydratent et prennent un aspect flétri. Paulée Repas de fin de vendnges offert par le propriétaire (Bourgogne) Pédicelle Situé entre la rafle et le grain de raisin. Les pédicelles des fruits et les diverses ramifications de la grappe dans l'ensemble constituent la rafle. Piccolo Bouteille d'une contenance de 20 cls. Pigeage Opération consistant à enfoncer le chapeau, formé au dessus de la cuve de fermentation, dans la partie liquide (moût) afin que les tannins et les parties colorantes entrent bien en contact. Pliage Courbure du bois sur le fil Pruine Sorte de poussière fine, cireuse, recouvrant la peau du raisin s'effaçant quand on frotte les grains. Queue de paon Succession de saveurs qui s’étalent en bouche Rafle Grappe de raisin sans ses grains. Révoluté Se dit lorqu'une feuille de vigne se referme vers le bas. Robe Couleur donnée au vin à la suite de la fermentation alcoolique. Rognage Raccourcissement des rameaux trop longs afin de conserver une surface foliaire équilibrée. Afin d’améliorer l'aération de la vigne et de faciliter le passage des engins agricoles. Salmanazar Bouteille d'une contenance de 9 litres. Soutirage Passage du vin d'un contenant à un autre pour l'aérer et éventuellement le débarasser de ses lies. Terroir Ensemble des facteurs naturels (climat, sol, sous-sol, hydrologie, ...) et humains (usages et savoir-faire) qui président à la culture de la vigne et à l'élaboration du vin. Turbidité État du vin encore chargé de ses impuretés. Véraison Moment où le raisin devient translucide et commence à se colorer.


L E S CA RT E S E C R I TUR E S

Effeuillage

Expression cadeau

AciditĂŠ du jour


L A V I GN E E T L E V I N E N PE I NT UR E

Renoir

Nicolas Poussin

Fresque - Naples

Matisse

Charles Le Brun

Chagall

Grandes heures de Rohan

Alexandre-Franรงois Desportes

Van Gogh


L E B E STI A I RE D E L A V I GN E PHOTOS DE JEAN-YVES BARDIN


CI T AT I ON S


PO E ME S E T E XT RA I TS Chanson J'ai rompu pour mon déjeuner Un petit pain d'orge et de miel, Et ma cruche de vin lampée, Aussi puis je en me délassant Faire résonner à présent ; La guitare que j'aime bien, Avec la fille à qui plaît Le plaisir et que j'aime bien, A la fois chanter et danser. Anacréon Les propos de table chez le voisin Lorsqu'on perce chez mon voisin Un tonneau, de bon sidre plein Ou de bon vin, Me semble qu'on me fiance : j'ay bonne espérance D'en boire une souspirance Soir ou matin. Il se plaist d'ouir un cas nouveau, Quelque romant ou conte beau De mon cerveau J'en forge et lui en vais faire, Pour avoir manière De faire tirer à boire De son tonneau. Mon voisin je tiendrois un an Sur le vin, lorsque du grand Cham Ou du Soudan Je lui conte quelque fable, Qu'il croît véritable, Ou que je parle à sa table Du Prestre Jean. Luy et moy, si c'est en hyver, Nous nous mettons près le fouyer A deviser Du temps de son feu grand-père, Sans cesser de boire, Comme j'en vais la manière Vous demonstrer. C'est ainsi comme nous faisons, Luy et moi, quand nous devisons Près des tisons ; Detestant melancholie Et chicanerie, Qui puisse être forbannie De nos maisons. Olivier Basselin (Les Vaudevires)

La bouteille et le verre Verre vide ! foyer sans flamme, Vile matière, corps sans âme, A quoi sert-il ? à rien, à rien. Mais du jus divin de la treille Qu'on le remplisse, il fait merveille ; C'est un puissant magicien. Eh ! verse, frère ; Remplis ton verre !... C'est bien, c'est bien ; Courage, frère ! vide ton verre ! C'est bien, très bien. On trouve le suprême bien Au fond du verre. Quoi ! tu rougis auprès des belles, Ton esprit n'a pas d'étincelles, Et la tristesse est dans ton coeur ! Veux-tu bientôt, la tête altière, Apparaissant dans la carrière, De tes rivaux être vainqueur ? Eh ! verse, frère ; Remplis ton verre !... C'est bien, c'est bien ; Courage, frère ! vide ton verre ! C'est bien, très bien. On trouve le suprême bien Au fond du verre. Quel feu s'empare de ton être ? 0 délire ! en toi je vois naître L'esprit, l'audace, la gaîté, A tes voeux il n'est plus d'obstacle, Quoi donc a produit ce miracle ? Eh ! c'est le vin, en vérité ! Eh ! verse, frère ; Remplis ton verre !... C'est bien, c'est bien ; Courage, frère ! vide ton verre ! C'est bien, très bien. On trouve le suprême bien Au fond du verre. Pierre Lachambaudie (Poésies nouvelles, 1865)


Colette : La Vigne, le vin de Prisons et Paradis (1932). « La vigne, le vin sont de grands mystères. Seule, dans le règne végétal, la vigne nous rend intelligible ce qu’est la véritable saveur de la terre. Quelle fidélité dans la traduction ! Elle ressent, exprime par la grappe les secrets du sol. Le silex, par elle, nous fait connaître qu’il est vivant, fusible, nourricier. La craie ingrate pleure, en vin, des larmes d’or. Un plant de vigne, transporté par delà les monts et les mers, lutte pour garder sa personnalité et parfois triomphe des puissantes chimies minérales. Récolté près d’Alger, un vin blanc se souvient ponctuellement, depuis des années, du noble greffon bordelais qui le sucra juste assez, l’allégea et le rendit gai. Et c’est Xérès lointaine qui colore, échauffe le vin liquoreux et sec qui mûrit à Château-Chalon, au faîte d’un étroit plateau rocheux. De la grappe brandie par le cep tourmenté, lourde d’agate transparente et trouble, ou bleue et poudrée d’argent, l’œil remonte jusqu’au bois dénudé, serpent ligneux coincé entre deux rocs : de quoi donc s’alimente, par exemple, ce plant méridional qui ignore la pluie, qu’un chanvre de racines retient seul suspendu ? La rosée des nuits, le soleil des jours y suffisent – le feu d’un astre, la sueur essentielle d’un autre astre – merveilles… Quelle journée sans nuage, quelle douce pluie tardive décident qu’une année de vin sera grande entre les années ? La sollicitude humaine n’y peut presque rien, là tout est sorcellerie céleste, passage de planète, taches solaires. Rien qu’en nommant par leurs noms nos provinces et leurs villes, nous chantons la louange des vignobles révérés. Il est profitable à l’esprit et au corps – croyez-m’en – de goûter le vin chez lui, dans un paysage qu’il enrichit. Quelle surprise ne vous réserve pas un pèlerinage bien compris ? Vin jeunet, tâté dans le jour bleu du chai, – « fillette » angevine, décoiffée sous une tonnelle poudrée à blanc par un après-midi d’été bien orageux, – reliquats émouvants découverts dans un vieux cellier, en Franche-Comté, je m’enfuis comme si j’avais volé un musée… Une autre fois, le mobilier boiteux, vendu aux enchères sur une placette de village, comportait, entre la commode, le lit de fer et les bouteilles vides, six bouteilles pleines : c’est là que je fis, adolescente, la rencontre d’un prince enflammé, impérieux, traître comme tous les grands séducteurs : le Jurançon. Ces six flacons me donnèrent la curiosité de leur pays d’origine plus que n’eût fait un professeur. J’accorde qu’à ce prix les leçons de géographie ne sont pas à la portée de tout le monde. Et ce vin glorieux, un jour, dans une auberge, si noire que nous n’avons jamais su la couleur du vin qu’elle nous versait… Ainsi une voyageuse garde le souvenir d’une surprise nocturne, de l’inconnu sans visage qui ne se fit connaître que par son baiser… Le snobisme gastronomique suscite une levée d’hostelleries et d’auberges telles qu’on n’en vit jamais. Il révère le vin. D’une fois mal éclairée, confessée par des bouches, hélas, que blindèrent cocktails, apéritifs vénéneux, foudroyants alcools, la sapience renaîtra-t-elle ? Souhaitons-le. L’âge venant, j’offre, pour ma petite part, l’exemple d’un estomac sans remords ni dommages, d’un foie tout aimable, d’un sensible palais conservé par le vin probe. Emplis donc, vin, ce verre que je tends. Verre fin et simple, bulle légère où jouent les feux sanguins d’un grand ancêtre de Bourgogne, la topaze d’Yquem, le rubis balais, un peu mauve parfois, du bordeaux au parfum de violette… Vient un temps de la vie où l’on prise le tendron. Sur un rivage méridional on me garde un chapelet de rondes dames-jeannes clissées. Une vendange les gorge, la vendange suivante les trouve vides, et les remplit à son tour. Ne dédaignez pas, détenteurs de fines bouteilles, ces vins à courtes échéances : c’est clair, sec, varié, cela coule aisé du gosier aux reins et ne s’y arrête guère. Encore qu’il soit de tempérament chaud, nous ne regardons pas, là-bas, si la journée est torride, à une grande pinte de ce vin-là, qui délasse et laisse derrière lui un double goût de muscat et de bois de cèdre… »


La vigne de Philippe Thivet (23/02/2009) Ce n'est pas du bois mort Une forêt éteinte Pas un triste décor Ni un grand labyrinthe C'est bien plus que du bois Sur le flanc du coteau Plus que ça croyez-moi Ce qui pousse là-haut Ces branches biscornues Que l'hiver met à nu Aurais-je ou non raison En parlant de raisin Ou bien serait-ce en vain Si je parlais de vin Car déjà je devine Qu'on parle de la vigne Ce n'est pas un jardin Ou d'étranges broussailles Pas l'ombre d'un sapin Ni même d'un bonzaï Ce ne sont pas des roses Sur le flanc du coteau Non, c'est tout autre chose Ce qui pousse là-haut

Ce bois tout de travers Que l'été met au vert Aurais-je ou non raison En parlant de raisin Ou bien serait-ce en vain Si je parlais de vin Car déjà je devine Qu'on parle de la vigne C' n'est pas du jus d'orange Ni du sang de navet Une potion étrange Ni du café au lait Rien de tout ça vraiment Sur le flanc du coteau Vous savez maintenant Ce qui pousse là-haut Ces grappes sont si bonnes Lorsque revient l'automne Oui j'avais bien raison En parlant de raisin Ce n'était pas en vain Que je parlais de vin Car chacun le devine Nous parlons de la vigne

Ces rameaux de la treille Que le printemps réveille Aurais-je ou non raison En parlant de raisin Ou bien serait-ce en vain Si je parlais de vin Car déjà je devine Qu'on parle de la vigne Ce n'est pas une haie Un perchoir à moineaux Un paravent discret Ni un champ de roseaux Ce n'est pas un secret Sur le flanc du coteau C'est bien plus qu'un bosquet Ce qui pousse là-haut

Orgye Sus, sus, enfans ! qu'on empoigne la coupe ! Je suis crevé de manger de la soupe. Du vin ! du vin ! cependant qu'il est frais. Verse, garçon, verse jusqu'aux bords, Car je veux chiffler à longs traits A la santé des vivants et des morts. Pour du vin blanc, je n'en tasteray guère ; Je crains toujours le syrop de l'esguière, Dont la couleur me pourroit attraper. Baille moi donc de ce vin vermeil : C'est Iuy seul qui me fait tauper, Bref, c'est mon feu, mon sang et mon soleil. 0 qu'il est doux ! J'en ay l'âme ravie, Et ne croy pas qu'il se trouve en la vie Un tel plaisir que de boire d'autant : Fay-moy raison, mon cher amy Faret Ou tu seras tout à l'instant Privé du nom qui rime à cabaret. Saint-Amant (1638)


La bouteille Bouteille, Merveille De mon coeur Ta liqueur Vermeille Me séduit M'enchaine, M'entraîne, Agrandit mon esprit, L'enflamme Et produit Sur mon âme Le bien le plus doux ! Au bruit de tes glouglous Quelle âme ne serait ravie ! Tu sais nous faire supporter Les plus noirs chagrins de la vie, Et des tourments (plus affreux) de l'envie Par des chemins de fleurs tu sais nous écarter. Loin de toi qui pourrait encore trouver des charmes A tes coups séduisants, qui pourrait résister, Quand le puissant amour à tes pieds met ses armes Pour accroître sa force, et mieux blesser après Les coeurs indifférents qui bravent ses succès Et les heureux effets que produit ton génie ?... Mais combien de mortels ont chanté mieux que moi Mieux que moi célébré ta puissance infinie, Et fait de te chérir leur souveraine loi ! Piron, Collé, Panard, Vadé, Favard, Sedaine, En adorant ton culte, ont illustré la scène Et nous ont tous appris à n'oublier jamais Que le feu des plaisirs qui circule en nos âmes, Besoin d'aimer, d'éteindre douces flammes, Sont les moins grands de tes bienfaits. Pierre Capelle

Profusion du soir de Paul Valery (1875-1945) Du soleil soutenant la puissante paresse Qui plane et s’abandonne à l’œil contemplateur, Regards !…Je bois le vin céleste Et je caresse le grain mystérieux de l’extrême hauteur. Ce vin bu, l’homme bâille, et brise le flacon. Aux merveilles du vide il garde une rancune ; Mais le charme du soir fume sur le balcon Une confusion de femme et de flocon…


Bacchus Viens, ô divin Bacchus, ô jeune Thyonée, Ô Dyonise, Evan, Iacchus et Lénée ; Viens, tel que tu parus aux déserts de Naxos Quand tu vins rassurer la fille de Minos. Le superbe éléphant, en proie à ta victoire, Avait de ses débris formé ton char d'ivoire. De pampres, de raisins mollement enchaîné, Le tigre aux larges flancs de taches sillonné, Et le lynx étoilé, la panthére sauvage, Promenaient avec toi ta cour sur ce rivage. L'or reluisait partout aux axes de tes chars. Les Ménades couraient en longs cheveux épars Et chantaient Evoé, Bacchus et Thyonée, Et Dyonise, Evan, Iacchus et Lénée, Et tout ce que pour toi la Grèce eut de beaux noms. Et la voix des rochers répétait leurs chansons, Et le rauque tambour, les sonores cymbales, Les hautbois tortueux, et les doubles crotales Qu'agitaient en dansant sur ton bruyant chemin Le faune, le satyre et le jeune sylvain, Au hasard attroupés autour du vieux Silène, Qui, sa coupe à la main, de la rive indienne, Toujours ivre, toujours débile, chancelant, Pas à pas cheminait sur son âne indolent. André Chénier Le vin Longtemps, dans l'atmosphère humide des caveaux Sous la voûte profonde et de nitre imprégnée ! Sous la poussière et sous les toiles d'araignée Le jeune vin vieillit dans des flacons nouveaux. Il faut que dans le calme et l'ombre des tombeaux La sublime liqueur dure plus d'une année, Avant que d'accomplir la noble destinée D'exalter un instant nos coeurs et nos cerveaux. Ainsi, Chaze, il en est de la pensée humaine, C'est par un très secret et très lent phénomène Qu'elle se plie enfin au rythme harmonieux. Un doux sonnet mûrit comme un bordeaux suave Et tu fais bien, ami, qui né dans une cave, De lire des beaux vers en buvant tes vins vieux. François Coppée

La vigne et la maison Ecoute le cri des vendanges Qui monte du pressoir voisin ; Vois les sentiers rocheux des granges Rougis par le sang du raisin. Regarde au pied du toit qui croule : Voilà, près du figuier séché, Le cep vivace qui s'enroule A l'angle du mur ébréché. Autrefois, ses pampres sans nombre S'entrelaçaient autour du puits ; Père et mère goûtaient son ombre ; Enfants, oiseaux, rongeaient ses fruits. Il grimpait jusqu'à la fenêtre ; Il s'arrondissait en arceau ; Il semble encor nous reconnaître Comme un chien gardien d'un berceau, Sur cette mousse des allées Où rougit son pampre vermeil, Un bouquet de feuilles gelées Nous abrite encor du soleil. Alphonse de Lamartine (Les Recueillements poétiques,1839) Mieux vaut le vin que la vue Le vin qui trop cher m'est vendu, M'a la force des yeux ravie, Pour autant qu'il m'est défendu, Dont tous les jours m'en croît l'envie. Mais puisque lui seul est ma vie, Malgré les fortunes senestres, Les yeux ne seront point les maistres Sur tout le corps, car, par raison, J'aime mieux perdre les fenestres Que perdre toute la maison. Clément Marot (1546) Buvons ... Buvons, mes chers amis, buvons, Le temps qui fuit nous y convie ; Profitons de la vie Autant que nous pouvons. Quand on a passé l'onde noire Adieu le bon vin, nos amours ; Dépêchons-nous de boire, On ne boit pas toujours. Laissons déraisonner les sots Sur le vrai bonheur de la vie ; Notre philosophie Le met parmi les pots. Les biens, le savoir et la gloire N'ôtent point les soucis fâcheux ; Et ce n'est qu'à bien boire Que l'on peut être heureux ! Molière (Le Bourgeois gentilhomme, 1660)


Couplets à mon verre Antoine Desaugiers (Chansons et poésies, 1808)

Quand je vois des gens ici-bas Sécher de chagrin et d'envie, Ces malheureux, dis je tout bas, N'ont donc jamais bu de leur vie ! On ne m'entendra pas crier Peine, famine, ni misère, Tant que j'aurai de quoi payer Le vin que peut tenir mon verre. Riche sans posséder un sou, Rien n'excite ma jalousie ; Je ris des mines du Pérou, Je ris des trésors de l'Asie, Car sans sortir de mon taudis, Grâce au seul Dieu que je révère, Je vois et topaze et rubis Scintiller au fond de mon verre. Tout nous atteste que le vin De tous les maux est le remède, Et les dieux n'ont pas fait en vain Un échanson de Ganymède, Je gage même que ces coups Que l'homme attribue au tonnerre Sont moins l'effet de leur courroux Que du choc bruyant de leur verre. Chaque jour l'humide fléau Des cieux ne rompt-il pas les digues ? Si les Immortels aimaient l'eau Ils n'en seraient pas si prodigues ; Et quand nous voyons par torrent La pluie inonder notre terre, C'est qu'ils rejettent en jurant L'eau que l'on verse dans leur verre. Le bon vin rend l'homme meilleur Car du monarque assis à table Vit-on jamais le bras vengeur Signer la perte d'un coupable ?

De son coeur le courroux banni N'obscurcit plus son front sévère. Armé du sceptre, il l'eût puni ; Il lui pardonne, armé du verre, Je ne sais par quel vertigo Ou quelle substance extrême, Narcisse, en se mirant dans l'eau, Devint amoureux de lui-même : Moi, fort souvent je suis atteint De cette risible chimère Mais lorsque je vois mon teint Pourpré par le reflet du verre, Dieu du vin, dieu de l'univers, Toi qui me fis à ton image, Reçois ce tribut de mes vers : Et, pour couronner ton ouvrage, Fais jusqu'à mes instants derniers Que dans ma soif je persévère, Et qu'à ma mort mes héritiers Ne trouvent plus rien dans mon verre.

Il faut se rendre... Il faut se rendre à ce palais magique Où les beaux vers, la danse, la musique, L'art de tromper les yeux par les couleurs, L'art plus heureux de séduire les coeurs, De cent plaisirs font un plaisir unique. I1 va siffler quelque opéra nouveau, Ou, malgré lui, court admirer Rameau. Allons souper. Que ces brillants services, Que ces ragoûts ont pour moi de délices ! Qu'un cuisinier est un mortel divin ! Chloris, Eglé, me versant de leur main D'un vin d'Aï dont la mousse pressée, De la bouteille avec force élancée, Comme un éclair fait voler le bouchon ; I1 part, on rit ; il frappe le plafond. De ce vin frais l'écume pétillante De nos Français est l'image brillante. Le lendemain donne d'autres désirs, D'autres soupers et de nouveaux plaisirs. Voltaire (Le Mondain, 1736)


Ode au vin Ah ! si la Seine était de ce bon vin de Beaune Et que mon ventre fût large de plusieurs aunes, Je m'en irais dessous un pont, M'y coucherais tout de mon long. Et je ferais descendre La Seine dans mon ventre Et si le roi Henry voulait me la reprendre, Implorant ma pitié, plutôt que de la rendre, Je lui dirais : " Bon roi Henry Gardez, gardez votre Paris, Paris avec Vincennes... Mais laissez-moi la Seine." Emile Goudeau (Poèmes parisiens,1896) Renonce, renonce à tout dans ce monde : fortune, pouvoir, honneurs. Ecarte tes pas de tout chemin qui ne te conduira pas à la taverne. Ne demande rien, rien ne désire hormis du vin, des chansons, de la musique, de l'amour ! Noble et beau jeune homme, saisis l'outre, empoigne la coupe. Bois ! Mais, prends garde ! Ne sois pas frivole, tâche de ne point parler à tort et à travers... Bois du vin doré ! il est pour l'esprit le seul repos, baume incomparable pour le coeur blessé. Si tu te vois partout traqué par la meute des chagrins, Si tu te sens près d'être englouti par le déluge des tristesses, accroche-toi sans peur au délicieux vin doré. C'est la seule manière de te sauver. Omar Khayyam

A Maynard Pourquoi se donner tant de peine ? Buvons plutôt à perdre haleine, De ce nectar délicieux, Qui, pour l'excellence, précède Celui même que Ganymède Verse dans la coupe des dieux. C'est lui qui fait que les années Nous durent moins que les journées ; C'est lui qui nous fait rajeunir, Et qui bannit de nos pensées Le regret des choses passées Et la crainte de l'avenir : Buvons, Maynard, à pleine tasse, L'âge insensiblement se passe, Et nous mène à nos derniers jours ; L'on a beau faire des prières, Les ans, non plus que les rivières, Jamais ne rebroussent leur cours. Le printemps, vêtu de verdure, Chassera bientôt la froidure ; La mer a son flux et reflux ; Mais, depuis que notre jeunesse Quitte la place à la vieillesse, Le temps ne la ramène plus. Les lois de la mort sont fatales Aussi bien aux maisons royales Qu'aux taudis couverts de roseaux ; Tous nos jours sont sujets aux Parques ; Ceux des bergers et des monarques Sont coupés des mêmes ciseaux. Leurs rigueurs, par qui tout s'efface, Ravissent, en bien peu d'espace, Ce qu'on a de mieux établi, Et bientôt nous mèneront boire, Au-delà de la rive noire, Dans les eaux du fleuve d'oubli. Racan (1635)


Tout se mêle en un vif éclat de gaieté verte Ô le beau soir de mai ! Tous les oiseaux en choeur, Ainsi que les espoirs naguère à mon coeur, Modulent leur prélude à ma croisée ouverte. Ô le beau soir de mai ! le joyeux soir de mai ! Un orgue au loin éclate en froides mélopées; Et les rayons, ainsi que de pourpres épées, Percent le coeur du jour qui se meurt parfumé. Je suis gai! je suis gai ! Dans le cristal qui chante, Verse, verse le vin ! verse encore et toujours, Que je puisse oublier la tristesse des jours, Dans le dédain que j'ai de la foule méchante ! Je suis gai ! je suis gai ! Vive le vin et l'Art !... J'ai le rêve de faire aussi des vers célèbres, Des vers qui gémiront les musiques funèbres Des vents d'automne au loin passant dans le brouillard. C'est le règne du rire amer et de la rage De se savoir poète et objet du mépris, De se savoir un coeur et de n'être compris Que par le clair de lune et les grands soirs d'orage ! Femmes ! je bois à vous qui riez du chemin Ou l'Idéal m'appelle en ouvrant ses bras roses; Je bois à vous surtout, hommes aux fronts moroses Qui dédaignez ma vie et repoussez ma main ! Pendant que tout l'azur s'étoile dans la gloire, Et qu'un rythme s'entonne au renouveau doré, Sur le jour expirant je n'ai donc pas pleuré, Moi qui marche à tâtons dans ma jeunesse noire ! Je suis gai ! je suis gai ! Vive le soir de mai ! Je suis follement gai, sans être pourtant ivre !... Serait-ce que je suis enfin heureux de vivre; Enfin mon coeur est-il guéri d'avoir aimé ? Les cloches ont chanté; le vent du soir odore... Et pendant que le vin ruisselle à joyeux flots, Je suis gai, si gai, dans mon rire sonore, Oh ! si gai, que j'ai peur d'éclater en sanglots ! Émile Nelligan, L a romance du vin, 1899

Les Caramels Fous Les gais vendangeurs Nous sommes les gais vendangeurs Prêts à reprendre le labeur Après la joie de ces agapes Nous sommes les gais vendangeurs Travailler ne nous fait pas peur Quand on ne nous tient pas la grappe {Refrain:} C'est pourquoi, légers, nous repartons vendanger Après manger, lorsque le patron nous fait signe Quand on a bien déjeuné, quel plaisir d'aller dénicher La grappe sous la feuille de vigne ! La belle grappe pulpeuse Gorgée de soleil, généreuse Sacré bon dieu ! Comme nous les aimons Les grappes de notre patron Qui roulent dans nos mains expertes Dieu comme nous les aimons Les grappes de notre patron Cachées dessous les feuilles vertes ! {au Refrain} {x2:} Et, gais vendangeurs, chantons tous en chœur Et, gais vendangeurs, chantons tous en chœur Chantons tous en chœur notre bonheur d'être gais et vendangeurs Chantons en chœur notre bonheur Tous en chœur, tous en chœur Tous en chœur, tous en chœur Ah quel bonheur, ah quel bonheur ! Ah quel bonheur, ah quel bonheur ! {au Refrain} Sous la feuille de vigne Sous la feuille de vigne


La bouteille Que mon Flacon Me semble bon ; Sans lui L'ennui Me nuit, Me suit ; Je sens Mes sens Mourants Pesants. Quand je le tiens Dieu que je suis bien ! Que son aspect est agréable ! Que je fais cas de ses divers présents ! C'est de son sein fécond et de ses heureux flancs Que coule ce nectar si doux, si délectable, Qui rend dans les esprits tous les coeurs satisfaits, Cher objet de mes voeux tu fais toute ma gloire, Tant que mon coeur vivra de tes charmants bienfaits Il saura conserver la fidèle mémoire. Ma muse à te louer se consacre à jamais, Tantôt dans un caveau, tantôt sous une treille, Répétera cent fois cette aimable chanson : Règne sans fin ma charmante bouteille Règne sans cesse, mon cher flacon. Panard

Prise d'Anacréon La terre les eaux va boivant, L'arbre la boit par sa racine, La mer éparse boit le vent, Et le soleil boit la marine ; Le soleil est bleu de la lune, Tout boit, soit en haut, soit en bas ; Suivant ceste reigle commune Pourquoy donc ne boirons-nous pas ? Pierre de Ronsard (1587)

Sonnet Je veux, me souvenant de ma gentille amie, Boire ce soir d'autant, et pour ce, Corydon, Fay remplir mes flacons et verse à l'abandon Du vin pour resjouir toute la compagnie. Soit que m'amie ait nom ou Cassandre ou Marie, Je m'en vais boire autant que de lettres a son nom ; Et toi, si de ta belle et jeune Madelon, Belleau, l'amour te poinct, je te pri' ne l'oublie. Qu'on m'ombrage le chef de vigne et de lierre, Les coudes et le col ; qu'on enfleure la terre Des roses et des lys, et que dessus le jonc On me caille du lait rougi de mainte fraise. Et n'est-ce pas bien fait ? Or sus ! commençons donc, Et chassons loin de nous tout soing et tout malaise. Pierre de Ronsard


La chanson de liang zhou

"Beau vin de raisin dans la coupe de clarté- nocturne, J’allais en boire, le cistre des cavaliers m’appelle, Si je tombe ivre sur le sable, ne riez pas de moi ! Depuis le temps combien sont-ils revenus des guerres" La chanson de liang zhou - WANG han Poême chinois traduit par François CHEN Que j'aime le cabaret Que j'aime le cabaret, Tout y rit, personne n'y querelle... Jetons nos chapeaux et nous coiffons de nos serviettes, Et tambourinons de nos couteaux sur nos assiettes, Que je sois fourbu, châtré, bègue, tondu, cornu, Que je sois perclus, alors je ne boirai plus. Que le vin nous enivre D'agréables fureurs ; C'est dans lui qu'on noie Les plus grandes douleurs. 0 Dieu, qu'il est bon ! Prenons-en par-dessus la tête, Aussi bien, chez nous, vomir est chose fort honnête. Scarron


Le vin nouveau (Chalosse) Le soleil s'était bien installé dans les vignes de Chalosse, face aux Pyrénées toutes bleues et au-dessus des grandes landes toutes noires. Le soleil, entre les branches, frisottait sa barbe rousse. - Comme ces paysans travaillent bien, pensait-il, c'est un véritable régal. Ils sont hardis et vaillants. Je vais les récompenser, ils le méritent tant. Je vais donc rester dans leurs vignes jusqu'à la vendanges. Le soleil resta donc dans les vignes de Chalosse, alors qu'on l'appelait de tous côtés. À Bordeaux par exemple, ou en Espagne. Rien n'y fit. Il se sentait délicieusement bien en Chalosse. Le soleil resta donc dans les vignes de Chalosse, depuis la naissance des grains jusqu'à leur maturité. - Qu'ils aient du bon vin, se disait le soleil, qu'ils chantent gaillardement et l'hiver prochain, ils se rappelleront de moi. Patiemment, il caressa les vignes, protégea les raisins qui devinrent de petits soleils miniatures, joufflus, transparents, chauds et juteux. Abeilles et vignerons étaient satisfaits : le vin nouveau serait un vin de paradis. Mais il y avait Yanot, le vigneron de Chalosse, qui aimait le plus le vin, sans jamais d'ailleurs être ivre. Il aimait surtout les vignes où jouait le vent et sur lesquelles, dès le mois de septembre, passaient les vols bleus des palombes. Il passait au moins quatre jours de la semaine à vagabonder dans ses vignes, dormant dans de petites maisons de pierres sèches qu'il s'était construites. Yanot était tombé malade. - Faites, priait-il, que je ne quitte pas cette terre avant d'avoir bu le vin nouveau. Ce ne serait pas juste, il va être si bon. Laissez-moi boire un seul verre. Eh non, cela ne fut pas possible. Yanot mourut deux jours avant la vendange, la tête tournée vers ses vignes, la bouche ouverte. Le surlendemain, le vin commença a couler dans le pressoir. On ne chanta pas comme de coutume et l'on pensa au pauvre Yanot, mais l'on ne put s'empêcher de boire le vin nouveau : il était si parfumé, si sucré ! Ah oui ! le soleil s'était vraiment bien appliqué ! Ah ! si Yanot en avait bu quelques gouttes à peine, il ne serait pas mort. Non, non, ce n'était pas juste. Vers minuit, alors que l'on achevait de presser les grappes, Marceline, la fille de Yanot, poussa un cri. Qui donc, là-bas, dans l'ombre avait remué ? Elle avait cru voir comme une ombre blanche et puis la porte toute seule avait remué. - Qu'est-ce que tu as ? lui demanda son frère. - Peut-être, dit-elle toute tremblante, Yanot est revenu. Tous les autres qui étaient là ne dirent rien. S'ils étaient aujourd'hui saint Pierre, pour sûr qu'ils auraient laissé Yanot sortir du paradis pour aller faire un petit tour sur terre. On offrit un nouveau verre à la fille de Yanot. - Allez, bois encore un peu de vin. - Pose le verre sur cette pierre plate, j'attendrai un moment. La porte, poussée par un petit coup de vent, s'ouvrit et éteignit les chandelles. Pendant quelques secondes, tous gardèrent le silence et l'on entendit comme quelqu'un qui buvait. Quand la lumière revint, le verre, sur la pierre, était vide. Le lendemain, Marceline en faisant la vaisselle se rendit compte que le verre était un peu fêlé. Mais elle ne dit rien. Pour elle, comme pour les autres, Yanot, ce soir-là, était revenu.


En 1973 la bourguignonne Anne Sylvestre compose la chanson La Romanée-Conti dans l'espoir d'obtenir une bouteille du vin mythique. Son vœux fut exaucé par Aubert de Villaine, co-gérant du domaine. J’ai bu, et je m’en vante Des cent et des cinquante Bouteilles du meilleur Que Bordeaux me pardonne J’appartiens au Bourgogne En lui, cuve mon cœur J’en ai connu de braves De tendres, de charmeurs J’en ai connu de graves De couronnés, de tout en fleurs Mais je voudrais pas crever Avant d’ l’avoir goûtée Ah ! Sûr que j’ voudrais pas mourir Avant d’avoir vu ses rubis Couler dedans mon verre C’est ma seule prière Ah ! Laissez-moi boire à genoux La reine des vins de chez nous La Romanée, la Romanée, la Romanée-Conti {x2} Sa splendeur est si grande Qu’elle est une légende Bien plus qu’une boisson Boire par ouï-dire Est un supplice pire Que la pire prison Que ceux qui la récoltent Dans leurs caveaux secrets Comprennent ma révolte Je doute, enfin, qu’elle soit vraie Et j’ voudrais pas crever Avant d’ l’avoir goûtée Ah ! Sûr, qu' j’arrêterai pas mon cœur Avant d’avoir senti ses fleurs Me réjouir la tête Non, c’est vraiment trop bête D’avoir préparé mon palais Pour qu’elle n’y vienne jamais La Romanée, la Romanée, la Romanée-Conti {x2}

Il serait malhonnête De prétendre que cette Chanson ne vise pas À provoquer un geste En ma faveur, du reste Pour en boire avec moi Je jure sur mon âme Qu’il faudra bien m’aimer Je serai monogame Pour ne pas devoir partager Et j’ voudrais pas crever Avant d’ l’avoir goûtée Ah, non ! J’ finirai pas mes jours Sans avoir senti son velours Me réjouir la gorge Si on vous interroge Dites que je veux bien ramper Pour la plus petite lampée De Romanée, de Romanée, de Romanée-Conti {x2}


Léo Ferré/On n'est pas des saints On n'est pas des saints Pour la béatitude On n'a qu' Cin... zano Pauvres orphelins On prie par habitude Pour notre Per...nod

Si tu vis longtemps C'est pas de Vichy-fraise Mais d'un différent Avec le Père Lachaise Dans l' zinc ou dans l' bois Un mort, ça boit pas !

Monsieur le curé Se signe quand on passe Comme s'il voyait Le diable dans sa glace Nous, on n' a rien dit On n'est pas d'ici

On n'est pas des loups Mais dans la bergerie On file où ? Lonlaine Pauvres manitous On manie tout c' qui brille Tout passe à la semaine

Des boîtes à chansons Que l'on nourrit d'oseille Et d'accordéon Et puis le patron Qui montre sa bouteille Pour des picaillons

On est des chrétiens Mais faut pas nous la faire Sacré nom d'un tien Vaut mieux qu' t'auras la paire Chacun ses ennuis On n'est pas d'ici

Des clients par-ci Qui arrosent leur peine Des clients par-là Qui boivent leur quinzaine En zinc ou en bois Au comptoir, on boit

Ah ! Le joli son Qui monte des bouteilles Sonnant du bouchon Comme un vieux clairon Sur le champs des merveilles Sonne du canon

On a le bras long Le long des demoiselles Qu'on met sur le dos On fleurit le long Le long de leurs dentelles Qui font le gros lot

C'est vers les midis Que se gagnent les guerres Quand on introduit Le caporal Sancerres Dans notre paradis Qui n'est pas d'ici

On se lève tard Au soleil des caresses Vers midi moins l' quart Juste après la grand-messe On tire comme on peut Le diable par la queue

Quand on sera des saints On foutra tout, lonlaire Ici, là ou là On sera tous copains Et dans le ministère On fera la java

Quand le beaujolais Au Café du Commerce Vide ses coteaux Qu'on soit beau ou laid Le soleil vous transperce Comme un fin couteau

Monsieur le curé Entre deux vobiscum Ira s' rhabiller À la façon des hommes C'est c' qu'on lui dira Quand on radinera {x2}


Les vendanges (fragment) Hier on cueillait à l'arbre une dernière pêche, Et ce matin, voici, dans l'aube épaisse et fraiche, L'automne qui blanchit sur les coteaux voisins. Un fin givre a ridé la pourpre des raisins. Là-bas, voyez·vous poindre, au bout de la montée, Les ceps aux feuilles d'or, dans la brume argentée ? L'horizon s'éclaircit en de vagues rougeurs, Et le soleil levant conduit les vendangeurs. Avec des cris joyeux, ils entrent dans la vigne ; Chacun, dans le sillon que le maître désigne, Serpe en main, sous le cep a posé son panier. Honte à qui reste en route et finit le dernier ! Les rires, les clameurs stimulent sa paresse ! Aussi, comme chacun dans sa gaîté se presse ! Presque au milieu du champ, déàà brille, là-bas, Plus d'un rouge corsage entre les échalas ; Voici qu'un lièvre part, on a vu ses oreilles ; La grive au cri perçant fuit et rase les treilles. Malgré les rires fous, les chants à pleine voix, Tout panier est déjà vidé plus d'une fois, Et bien des chars ployant sous l'heureuse vendange, Escortés des enfants, sont partis pour la grange. Au pas lent des taureaux les voilà revenus, Rapportant tout l'essaim des marmots aux pieds nus. On descend, et la troupe à grand bruit s'éparpille, Va des chars aux paniers, revient, saute et grappille, Prés des ceps oubliés se livre des combats. Qu'il est doux de les voir, si vifs dans leurs ébats, Préludant par des pleurs à de folles risées, Tout empourprés du jus des grappes écrasées ! Victor de Laprade (vers I860)

Au cabaret Quand, au cabaret, assis sous la treille, J'ai mon verre plein à côté de moi, Sans mentir je suis plus heureux qu'un roi ; Si le vin m'endort, l'amour me réveille. Holà ? Jean Lemoine, il sonne midi A mon estomac ; lève-toi, mon brave. Va·t'en voir s'il reste au fond de ta cave De ce rejinglard de l'autre jeudi. Jean Lemoine est lent comme une écrevisse. Mais Dieu ! que sa fille a bonne façon, Lorsqu'elle vous dit : " Mon gentil garçon, Que faut-il c"ans pour votre service ? " Son rire d'enfant, sa douce beauté N'ont pas leurs pareils dans notre commune. Elle efface tout comme un clair de lune Pâlit en regard du soleil d'été. Sa vertu d'ailleurs n'est pas trop farouche.

Ballade à boire Ces gourmandises de bouteilles Débaucheraient le plus têtu Oh ! les belles gouges vermeilles Qui vous font de l'oeil impromptu ! Tant pis pour qui ne l'a point eu, Le bonheur profond et céleste Qu'offre leur ventre court vêtu ! Bois d'autant. Siffle sur le reste. Je bois. Si tu m'en déconseilles, Je te dirai turlututu, Et, me bouchant les deux oreilles, J'attendrai que tu te sois tu. Prends plutôt ce verre pattu Et le vide d'une main preste. Afin de noyer ta vertu, Bois d'autant. Siffle sur le reste. Bois. Les bouteilles sont pareilles A des tétons au bout pointu. En les suçant tu t'ensoleilles, Ton nez fût-il sale et tordu, Rongé de pleurs, triste, battu Par les flots d'un destin funeste, Il devient clair et beau si tu Bois d'autant. Siffle sur le reste. Jean Richepin (Mes paradis,1894) Envoi Prince, à ce nez rouge et rétu, S'il a l'air d'un membre immodeste, D'un gobelet fais un tutu. Bois d'autant. Siffle sur le reste. Jean Richepin (Mes paradis,1894)

Un baiser, Dieu sait, est bientôt donné, Et quand le vieux Jean a le dos tourné, On peut l'embrasser en plein sur la bouche. Rien ne vaut cela dans tout l'univers. Oh ! le joli vin qui sent la framboise Et le fin morceau que cette matoise Qui m'a déjà mis la tête à I'envers ! Que faut-il pour être heureux en ce monde ? Avoir à sa droite un pot de vin vieux, En poche un écu, du soleil aux yeux, Et sur les genoux sa petite blonde. Gabriel Vicaire (Emaux bressans, 1884)


Le débauché Nous perdons le temps à rimer, Amis, il ne faut plus chômer; Voici Bacchus qui vous convie A mener bien une autre vie ; Laissons-là ce fat d'Apollon, Chions dedans son violon ; Nargue du Parnasse et des Muses, Elles sont vieilles et camuses ; Nargue de leur sacré ruisseau, De leur archet, de leur pinceau, Et de leur verve poétique, Qui n'est qu'une ardeur frénétique ; Pégase enfin n'est qu'un cheval Et pour moi je crois, cher Laval (1) Que qui le suit et lui fait fête Ne suit et n'est rien qu'une bête. Morbleu ! comme il pleut là dehors ! Faisons pleuvoir dans notre corps Du vin, tu l'entends sans le dire, Et c'est là le vrai mot pour rire ; Chantons, rions, menons du bruit, Buvons ici toute la nuit, Tant que demain la belle Aurore Nous trouve tous à table encore. Loin de nous sommeil et repos ; Boissat, lorsque nos pauvres os Seront enfermés dans la tombe, Par la mort, sous qui tout succombe, Et qui nous poursuit au galop, Las ! nous ne dormïrons que trop. Prenons de ce doux jus de vigne ; Je vois Faret qui se rend digne De porter ce dieu dans son sein, Et j'approuve fort son dessein. Bacchus ! qui vois notre débauche, Par ton saint portrait que j'ébauche En m'enluminant le museau De ce trait que je bois sans eau ;

Par ta couronne de lierre, Par la splendeur de ce grand verre, Par ton thyrse tant redouté, Par ton éternelle santé, Pat tes innombrables conquêtes, Par les coups non donnés, mais bus, Par tes glorieux attributs, Par les hurlements des Ménades, Par le haut goût des carbonnades (2), Par tes couleurs : blanc et clairet, Par le plus fameux cabaret, Par le doux chant de tes orgies Par l'éclat des trognes rougies, Par table ouverte, à tout venant, Par le bon carême prenant, Par les fins mots de ta cabale, Par le tambour et la cymbale, Par tes cloches qui sont des pots, Par tes soupirs qui sont des rots, Par tes hauts et sacrés mystères, Par tes furieuses panthères, Par ce lieu si frais et si doux, Par ton bouc paillard comme nous, Par ta grosse garce Ariane, Par le vieillard monté sur l'âne, Par les satyres tes cousins, Par la fleur des plus beaux raisins, Par ces bisques si renommées, Par ces langues de boeuf fumées, Par ce tabac, ton seul encens, Par tous les plaisirs innocents, Par ce jambon couvert d'épices, Par ce long pendant de saucisses, Par la majesté de ce broc, Par masse, tope, cric et croc... Reçois-nous dans l'heureuse troupe Des francs chevaliers de la coupe, Et, pour te montrer tout divin, Ne la laisse jamais sans vin. (1) Le marquis de Laval. (2) Grillades. Saint-Amant (1638)


Il était une fois en Périgord ... un grand vin ! L'ignorant : Pécharmant "Château Corbiac"? Tiens ! Un vin vous dites ? Connais point ! Une de ces productions parasites, Sans doute, sans titre aucun, ni qualités ! Coupage ! Bâtardise ! Quelle moralité ! Le poète : Ah non ! C'est un peu court jeune homme, on pouvait dire Grand Dieu, bien des choses, sans toutefois médire ! Laissez moi plutôt vous conter ce joyau, Autre rubis digne des ornements royaux. Il est en Périgord, ne vous déplaise, Là où les gourmands vont, viennent à leur aise ! Par simple contraction, les mots Pic et Armant, En patois d'Oc, ont donné ce nom charmant. Du vert Bergeracois, il domine les lieux, Couvrant, au Nord, ses coteaux sablo-argileux. Du matin jusqu'au soir, inondés de soleil, Les cabernets, merlots et malbecs, sur la treille, Y mûrissent, puisant dans ce sol, ce bouquet Tant apprécié et recherché des fins gourmets ! L'ignorant : Point, sur ses qualités, ton coeur ne s'épanche ! Le poète : Elles vous comblent. . . mais gare que ne flanche Votre mémoire, si vous y prenez trop goût ! Sans excès, il accompagne fort bien : ragoûts, Terrines, gibiers, confits et grands fromages, A la grande joie des gourmets de tout âge. Pour ce breuvage, rendons grâce au Créateur Qui harmonise 1'ouvrage du viticulteur, Du terroir, de Phoebus sur ces ceps... L'ignorant : Mais, poursuis ! Le poète : Margaux ne puis, Cheval Blanc ne daigne, Corbiac suis ! Louis de Velors

FRANÇOIS RABELAIS (1494-1553) LA DIVE BOUTEILLE

Ô Bouteille Pleine toute De mystères, D’une oreille Je t’écoute : Ne diffère, Et le mot profère Auquel pend mon cœur. En la tant divine liqueur, Qui est dedans tes flancs reclase, Bacchus, qui fut d’Inde vainqueur, Tient toute vérité enclose. Vin tant divin, loin de toi est forclose Toute mensonge & toute tromperie. En joie soit l’âme de Noach close, Lequel de toi nous fit la temperie. Sonne le beau mot, je t’en prie, Qui me doit ôter de misère. Ainsi ne se perde une goutte De toi, soit blanche, Ou soit vermeille. Ô Bouteille Pleine toute De mystères, D’une oreille Je t’écoute : Ne diffère. (Aventures de Pantagruel )


JOACHIM DU BELLAY (1522-1560) D’UN VIGNERON À BACCHUS Ceste vigne tant utile, Vigne de raisins fertile, Toujours coutumière d’être Fidèle aux vœux de son maître, Ores qu’elle est bien fleurie, Te la consacre, et dédie Thenot vigneron d’icelle. Fais donc, Bacchus, que par elle Ne soit trompé de l’attente, Qu’il a d’une telle plante : Et que mon Anjou foisonne Par tout en vigne aussi bonne. (Les Antiquités de Rome) JOACHIM DU BELLAY (1522-1560) DU PREMIER JOUR DE L’AN AU SEIGNEUR BERTRAN BERGIER Pourquoi ne te réjouis-tu Avec ces filles quelques fois ? Les vins, l’amour consolent Le triste cœur de l’homme : Les ans légers s’en volent, Et la mort nous assomme. Je te souhaite pour t’ébattre Durant ceste morte saison, Un plaisir, voire trois, ou quatre, Que donne l’amie maison : Bon vin en ton cellier, Beau feu, nuit sans souci, Un ami familier, Et belle amie aussi, Qui de son luth, qui de sa voix Endorme souvent tes ennuis, Qui de son babil quelquefois Te face moins durer les nuits, Au lit folâtre autant Que ces chèvres lascives, Lors qu’elles vont broutant Sur les herbeuses rives. (Vers lyriques)

les F leurs du Mal de Charles Baudelaire Le vin des chiffonniers Souvent, à la clarté rouge d'un réverbère Dont le vent bat la flamme et tourmente le verre, Au coeur d'un vieux faubourg, labyrinthe fangeux Où l'humanité grouille en ferments orageux, On voit un chiffonnier qui vient, hochant la tête, Butant, et se cognant aux murs comme un poète, Et, sans prendre souci des mouchards, ses sujets, Épanche tout son coeur en glorieux projets. Il prête des serments, dicte des lois sublimes, Terrasse les méchants, relève les victimes, Et sous le firmament comme un dais suspendu S'enivre des splendeurs de sa propre vertu. Oui, ces gens harcelés de chagrins de ménage, Moulus par le travail et tourmentés par l'âge, Éreintés et pliant sous un tas de débris, Vomissement confus de l'énorme Paris, Reviennent, parfumés d'une odeur de futailles, Suivis de compagnons, blanchis dans les batailles, Dont la moustache pend comme les vieux drapeaux. Les bannières, les fleurs et les arcs triomphaux Se dressent devant eux, solennelle magie ! Et dans l'étourdissante et lumineuse orgie Des clairons, du soleil, des cris et du tambour, Ils apportent la gloire au peuple ivre d'amour ! C'est ainsi qu'à travers l'Humanité frivole Le vin roule de l'or, éblouissant Pactole ; Par le gosier de l'homme il chante ses exploits Et règne par ses dons ainsi que les vrais rois. Pour noyer la rancoeur et bercer l'indolence De tous ces vieux maudits qui meurent en silence, Dieu, touché de remords, avait fait le sommeil ; L'Homme ajouta le Vin, fils sacré du Soleil !


BEAUMARCHAIS (1732-1799) APPROCHE-TOI DE MON OREILLE Certes, si tu le veux mériter, mon fils, oui, Et voici. Laisse aller l’ignorance indécise De ton cœur vers les bras ouverts de mon Église Comme la guêpe vole au lis épanoui. Approche-toi de mon oreille. Épanches-y L’humiliation d’une brave franchise Dis-moi tout sans un mot d’orgueil ou de reprise Et m’offre le bouquet d’un repentir choisi.

BEAUMARCHAIS (1732-1799) Bannissons le chagrin, Il nous consume : Sans le feu du bon vin Qui nous rallume, Réduit à languir, L’homme, sans plaisir, Vivrait comme un sot Et mourrait bientôt. (Le Barbier de Séville, I, 1)

Puis franchement et simplement viens à ma table, Et je t’y bénirai d’un repas délectable Auquel l’ange n’aura lui-même qu’assisté, Et tu boiras le Vin de la vigne immuable Dont la force, dont la douceur, dont la bonté Feront germer ton sang à l’immortalité. Puis, va ! Garde une foi modeste en ce mystère D’amour par quoi je suis ta chair et ta raison, Et surtout reviens très souvent dans ma maison, Pour y participer au Vin qui désaltère, Au Pain sans qui la vie est une trahison, Pour y prier mon Père et supplier ma Mère Qu’il te soit accordé, dans l’exil de la terre, D’être l’agneau sans cris qui donne sa toison, D’être l’enfant vêtu de lin et d’innocence, D’oublier ton pauvre amour-propre et ton essence, Enfin, de devenir un peu semblable à moi Qui fus, durant les jours d’Hérode et de Pilate Et de Judas et de Pierre, pareil à toi Pour souffrir et mourir d’une mort scélérate ! Et pour récompenser ton zèle en ces devoirs Si doux qu’ils sont encor d’ineffables délices, Je te ferai goûter sur terre mes prémices, La paix du cœur, l’amour d’être pauvre, et mes soirs Mystiques, quand l’esprit s’ouvre aux calmes espoirs Et croit boire, suivant ma promesse, au Calice Éternel, et qu’au ciel pieux la lune glisse, Et que sonnent les angélus roses et noirs, En attendant l’assomption dans la lumière L’éveil sans fin dans ma charité coutumière, La musique de mes louanges à jamais, Et l’extase perpétuelle et la science, Et d’être en moi parmi l’aimable irradiance De tes souffrances, enfin miennes, que j’aimais. (Sagesse)

les F leurs du Mal de Charles Baudelaire Le vin des amants Aujourd'hui l'espace est splendide ! Sans mors, sans éperons, sans bride, Partons à cheval sur le vin Pour un ciel féerique et divin ! Comme deux anges que torture Une implacable calenture, Dans le bleu cristal du matin Suivons le mirage lointain ! Mollement balancés sur l'aile Du tourbillon intelligent, Dans un délire parallèle, Ma soeur, côte à côte nageant, Nous fuirons sans repos ni trêves Vers le paradis de mes rêves !


les F leurs du Mal de Charles Baudelaire Le vin de l'assassin Ma femme est morte, je suis libre !

- Me voilà libre et solitaire ! Je serai ce soir ivre mort ; Alors, sans peur et sans remords, Je me coucherai sur la terre,

Je puis donc boire tout mon soûl. Lorsque je rentrais sans un sou, Ses cris me déchiraient la fibre.

Et je dormirai comme un chien! Le chariot aux lourdes roues Chargé de pierres et de boues, Le wagon enragé peut bien

Autant qu'un roi je suis heureux ; L'air est pur, le ciel admirable... Nous avions un été semblable Lorsque j'en devins amoureux !

Écraser ma tête coupable Ou me couper par le milieu, Je m'en moque comme de Dieu, Du Diable ou de la Sainte Table !

L'horrible soif qui me déchire Aurait besoin pour s'assouvir D'autant de vin qu'en peut tenir Son tombeau ; - ce n'est pas peu dire: Je l'ai jetée au fond d'un puits, Et j'ai même poussé sur elle Tous les pavés de la margelle. - Je l'oublierai si je le puis ! Au nom des serments de tendresse, Dont rien ne peut nous délier, Et pour nous réconcilier Comme au beau temps de notre ivresse, J'implorai d'elle un rendez-vous, Le soir, sur une route obscure. Elle y vint ! - folle créature ! Nous sommes tous plus ou moins fous ! Elle était encore jolie, Quoique bien fatiguée! et moi, Je l'aimais trop ! voilà pourquoi Je lui dis: Sors de cette vie ! Nul ne peut me comprendre. Un seul parmi ces ivrognes stupides Songea-t-il dans ses nuits morbides A faire du vin un linceul ? Cette crapule invulnérable Comme les machines de fer Jamais, ni l'été ni l'hiver, N'a connu l'amour véritable, Avec ses noirs enchantements, Son cortège infernal d'alarmes, Ses fioles de poison, ses larmes,

les F leurs du Mal de Charles Baudelaire L'âme du vin Un soir, l'âme du vin chantait dans les bouteilles : « Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité, Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles, Un chant plein de lumière et de fraternité ! « Je sais combien il faut, sur la colline en flamme, De peine, de sueur et de soleil cuisant Pour engendrer ma vie et pour me donner l'âme ; Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant, « Car j'éprouve une joie immense quand je tombe Dans le gosier d'un homme usé par ses travaux, Et sa chaude poitrine est une douce tombe Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux. « Entends-tu retentir les refrains des dimanches Et l'espoir qui gazouille en mon sein palpitant ? Les coudes sur la table et retroussant tes manches, Tu me glorifieras et tu seras content ; « J'allumerai les yeux de ta femme ravie ; A ton fils je rendrai sa force et ses couleurs Et serai pour ce frêle athlète de la vie L'huile qui raffermit les muscles des lutteurs. « En toi je tomberai, végétale ambroisie, Grain précieux jeté par l'éternel Semeur, Pour que de notre amour naisse la poésie Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur ! »


les F leurs du Mal de Charles Baudelaire les F leurs du Mal de Charles Baudelaire Le vin du solitaire Le regard singulier d'une femme galante Qui se glisse vers nous comme le rayon blanc Que la lune onduleuse envoie au lac tremblant, Quand elle y veut baigner sa beauté nonchalante ; Le dernier sac d'écus dans les doigts d'un joueur ; Un baiser libertin de la maigre Adeline ; Les sons d'une musique énervante et câline, Semblable au cri lointain de l'humaine douleur, Tout cela ne vaut pas, ô bouteille profonde, Les baumes pénétrants que ta panse féconde Garde au coeur altéré du poète pieux ; Tu lui verses l'espoir, la jeunesse et la vie, - Et l'orgueil, ce trésor de toute gueuserie, Qui nous rend triomphants et semblables aux Dieux !

Le Poison Le vin sait revêtir le plus sordide bouge D'un luxe miraculeux Et fait surgir plus d'un portique fabuleux Dans l'or de sa vapeur rouge, Comme un soleil couchant dans un ciel nébuleux. L'opium agrandit ce qui n'a pas de bornes Allonge l'illimité, Approfondit le temps, creuse la volupté, Et de plaisirs noirs et mornes Remplit l'âme au-delà de sa capacité. Tout cela ne vaut pas le poison qui découle De tes yeux, de tes yeux verts Lacs où mon âme tremble et se voit à l'envers... Mes songes viennent en foule Pour se désaltérer à ces gouffres amers. Tout cela ne vaut pas le terrible prodige De ta salive qui mord, Qui plonge dans l'oubli mon âme sans remord, Et, charriant le vertige, La roule défaillante aux rives de la mort !

ENIVREZ-VOUS Il faut être toujours ivre. Tout est là : c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous. Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est ; et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront : « Il est l'heure de s'enivrer ! Pour n'être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. » Baudelaire, Le Spleen de Paris


L’Odeur des vignes Renée Vivien « Études et Préludes » 1901 L’odeur des vignes monte en un souffle d’ivresse : La pesante douceur des vendanges oppresse La paix, la longue paix des automnes sereins. Voici le champ, meurtri par les longues cultures, L’enclos tiède, où le fruit livre ses grappes mûres, Comme une femme offrant l’ambre de ses deux seins. Un spectre de Bacchante erre parmi les treilles. Sa rouge chevelure et ses lèvres vermeilles, Ses paupières de pourpre aux replis somptueux, Brûlent du flamboiement des anciennes luxures, Et, dévoilant sa chair aux sanglantes morsures, Elle chante à grands cris le vin voluptueux. Les baisers sans amour sur les lèvres stupides, Les regards vacillants dans le fond des yeux vides Sortiront, enfiévrés, de l’effort du pressoir. L’air se peuple déjà de visions profanes, De festins où fleurit le front des courtisanes… Les effluves du vin futur troublent le soir… L’odeur des vignes monte en un souffle d’ivresse : La pesante douceur des vendanges oppresse La paix, la longue paix des automnes sereins. Voici le champ, meurtri par les longues cultures, L’enclos tiède, où le fruit livre ses grappes mûres, Comme une femme offrant l’ambre de ses deux seins.

François Augé Vigne, éditions L’harmattan, 2008. Vigne la caresse du premier souffle l'équation du temps perdu la vie élémentaire l’ ombre alliée à la lumière la coulée intemporelle d'une pensée le tableau disparu d^une vie sauvage les racines infinies de la nuit les fleurs blanches de l'aube les raisins opulents du zénith le vin carmin de la maturité la cave vespérale aux fragrances envoûtantes Vigne le livre ouvert de mes souvenirs le songe élégant d'une nuit d'été les larmes d'un enfant sous la puissance du ciel la contemplation de la beauté offerte la naissance d'une rive en poésie l'herbe vivace au milieu d'un jardin l'alchimie des métamorphoses le chant sorcier de la terre guerrière la puissance d'une liane ancestrale la douceur d'une rivière légendaire la madère inconsciente de ma chair

Le lierre et la vigne Antoine Laurent de Jussieu (1748 – 1836) Sur le mur d’un vieil hermitage, Un lierre avec orgueil étalait son feuillage. Une vigne, tout près de lui, Grimpait modestement le long du même appui. De son inutile verdure Fier et vain comme un sot, le lierre, sans égard, Repoussait sa voisine et couvrait la masure. La pauvre vigne, sans murmure, Se retirait toujours, cherchant place à l’écart. Mais chacun eut son tour, et justice fut faite. Un jardinier s’avance, armé de sa serpette ; Il vient pour réparer le manoir délaissé. Sans peine on devine le reste. L’orgueilleux inutile, arraché, dispersé, Laisse le mur débarrassé A la vigne utile et modeste.


Vignes et morceaux de Jean-Paul Creissac La vigne est un corps dont l’homme est la tête et Le vin l’esprit Vous avez oublié dans l’hiver de vos mains la poigne D’autres mains fraternelles Vous êtes allés par chemins et sentiers désorientés, Etrangers à vous-mêmes La parole claire qui s’élève est un chant qui te prend Et t’ensorcelle La vigne est un grand corps étendu, couvert d’un drap Bigarré au c?ur de l’été Ta peau caleuse m’écorche les mains, les doigts ensanglantés Ne sentent plus le froid Contre vent et marée, inondation et tempête, tu es là Debout devant le mas, la chienne lèche tes mains De siècle en siècle se passe entre hommes Ce sentiment profond d’appartenance à la terre Accord de joie et de douleur Ce corps caressé te donnera les fruits les plus beaux Les grains les plus mûrs, le moût le plus fort Dans la haie, l’olivier, sauvé des broussailles et du feu Par les mains de ton père La terre te parle Les paroles cependant s’éteignent Nous restera-t-il seulement la mémoire ? Pour les Croqueurs de mots, poésie du jeudi d’Aloysius Bertrand (1807-1841) Quand le raisin est mûr, par un ciel clair et doux, Dès l’aube, à mi-coteau, rit une foule étrange : C’est qu’alors dans la vigne et non plus dans la grange, Maîtres et serviteurs, joyeux, s’assemblent tous. A votre huis, clos encor, je heurte. Dormez-vous ? Le matin vous éveille, élevant sa voix d’ange : Mon compère, chacun, en ce temps-ci, vendange. Nous avons une vigne : eh bien ! Vendangeons-nous ? Mon livre est cette vigne, où, présent de l’automne, La grappe d’or attend, pour couler dans la tonne, Que le pressoir noueux crie enfin avec bruit. J’invite mes voisins, convoqués sans trompettes, A s’armer promptement de paniers, de serpettes. Qu’ils tournent le feuillet : sous le pampre est le fruit.


La vigne et le vigneron Les fables de Abbé Joseph Reyre La vigne se plaignait un jour au vigneron De ce qu'il lui coupait maint et maint rejeton, Dont le feuillage épais et le bois inutile, Loin de la rendre fertile, Auraient épuisé sa vigueur. "Eh ! pourquoi donc, lui disait-elle, Me traitez-vous avec tant de rigueur ? Pour mon bien vous montrez du zèle ; Je suis l'objet de vos sueurs ; Vous m'aimez ; cependant vous m'arrachez des pleurs. L'amour est-il donc si sévère ? - Que vous pénétrez peu dans mon intention ! Lui répondit alors le prudent vigneron. Vous croyez que ces coups partent de ma colère ? Ah ! connaissez mieux mon dessein. Dans le mal que j'ai pu vous faire. Votre intérêt a seul conduit ma main. Si je coupais point tout ce bois inutile, Bientôt vous deviendriez stérile ; Vous ne produiriez plus ni des fruits ni des fleurs ; Au lieu qu'en vous faisant répandre quelques pleurs, Je vous rends beaucoup plus fertile, Et de Bacchus sur vous j'attire les faveurs." C'est à vous, jeunes gens, que ma fable s'adresse ; Connaissez à ces traits l'amour et la sagesse De ceux qui veillent sur vos moeurs, S'ils vous font quelquefois éprouver leurs rigueurs, Ce n'est pas que pour vous ils manquent de tendresse : Ils cherchent seulement à vous rendre meilleurs.

Hiver

François Augé Vigne, éditions L’harmattan, 2008. Sous le soleil d’hiver la vigne nue irradiait de tous ses membres osseux comme une vieille femme au seuil de sa vie. Accrochée sur le coteau caillouteux sa force en racines s'offrait en simplicité aux yeux du marcheur ébloui. Vaste tableau vivant sous les rayons obliques la belle vigne de mon enfance retrouvait ses couleurs intenses pleines de présence dans le gris des sarments couchés au fond des sillons leur peau desséchée ayant éclaté au vent.

Dans ce chemin de rive mille fois parcouru je reprenais mes couleurs et mes sens je respirais au plus profond de mes entrailles et de mon âme. Je retrouvais les cailloux de silex et l’argile grasse, collante sous mes semelles.

“Vigne” de François Augé, L’Harmattan Le froid en vagues glacées se répand sur la vigne endormie la terre se durcit les pierres s’enracinent les arbres se changent en statues de silence les ceps se muent en gisants à la peau pelée la vie se fige sous le ciel de cristal le soleil de midi effleure la têtes des piquets puis s’allonge dans les longs sillons pour illuminer les silex aux arêtes vernies la lumière inonde le regard.


Après-midi de calme. “Vigne” de François Augé, publié chez L’Harmattan en 2008. Je suis allé retrouver la vigne de mes jours d'enfance. Celle de mes souvenirs ; de mes images amassées au long des années, engrangées dans un coin de mon crâne. Je suis là, devant elle, presque intimidé par sa nature offerte à moi seul. Je réalise qu'elle est simple, modeste d'apparence, sans apprêt particulier - je la voyais plus impressionnante - presque une révélation de la réalité, de sa vérité. La vigne est là, incluse dans le paysage, immuable pour le passant occasionnel. Elle est belle dans son dénuement, dans sa pauvreté silencieuse. Tout autour d'elle, les bois ; les arbres, nus aussi : chênes, charmes et châtaigniers dressés et serrés, formant une masse protectrice, enveloppante comme un berceau ancien. Seule, la tête verte des pins noirs émerge dans le ciel d'hiver, montrant de grosses bouitlées herbacées aux cheveux raides et collants. Le soleil de février traverse mes vêtements et réchauffe mes épaules encore endeuillées par des nuits hachées d'orages noirs. Chaleur douée, promesse du printemps proche ; de branches à nouveau verdoyantes, bruissantes du chant du merle, Sur l’heure impensable métamorphose. Les arbres se taisent hormis un grand charme dont les feuilles sèches frémissent sous le souffle court d’un vent léger. Quelques troncs enlacés de lierre, à la manière d’une vigne vierge, semblent muets sous cette chape entortillante. Combien de fois mes pas ont arpenté le berceau instable de ses sillons pierreux mes mains frôlant les bois à nu. Le bois respire et son souffle parfume la vigne d’une haleine nourricière tissée d’arômes sauvages. Dans le débas, près du ravin, je suis dans la grande chainte : mon regard en contre-plongée contemple la vigne sexagénaire, vivace, ses ceps délestés des bois inutiles. Dénuement pour mieux repartir. Plongeant sur ma droite, la vallée m'offre ses champs labourés, vides de toute végétation ; leur terre semble éteinte sous l'air réchauffé ; usée par des hommes de peu de douceur. Les vignes m'entourent, comme on accompagne,comme on protège un être aimé. Je passe près du grand pin noir qui marque une courbe amie. Je deviens léger, imprégné par la réponse sensuelle de la terre herbeuse. Terre souple, agréable et vivante ; elle réagit à mes pas comme la chair d'un bras sur lequel on appuie. Le plaisir de marcher monte le long de mes jambes, de mes muscles. Je retrouve la terre des rangs de vigne, si présente sous mes semelles, avec ses cailloux qui ressortent et me picotent. L'empreinte des engins à moteur a remplacé depuis longtemps le dessin en hémicycle des sabots des chevaux (avec le fer marquant un croissant épais dans le sol). Dans cet univers qui intègre le passé et le présent, je me retrouve, je reprends les marques de mes pas anciens, si facilement, que j'ai le sentiment de les avoir abandonnées la veille. Je me sens étrangement bien, comme si j'étais un autre. …


La vigne est là, immobile ses milliers de ceps figés comme des soldats usés par les pluies et les vents les gelées, les soleils de plomb. Ses épaules semblent percluses de douleurs elle est nue, sans apprêt, sous le ciel hivernal. Elle n'a pas d'âge, elle vient des âges des temps anciens nantis vivaient déjà des huns; elle vivait comme une liane sauvage. Quand le jour commencera à baisser insensiblement, elle tendra ses longs bras secs pour s'abreuver à la nuit noire les cheveux de ses racines fouilleront la terre profonde, mystérieuse saturée de myriades d’étincelles La vigne reste à jamais celle de mon enfance impassible sous la neige de coton univers d’avant les humains Cette parcelle sous mes yeux m'envoie du fond de ses rêves anciens des formes des couleurs qui raniment mes forces. Je marche en longeant les piquets de chainte enfoncés par un maillet de bois dur mon pied droit frappe des silex des mottes de terre séchée la semelle du chemin berce mes et mesure le temps qui s'est enfui. Combien de lois je l'ai embrassée du regard cette vigne près de la maison cette terre de cailloux et de racines combien de fois mes pas ont arpenté le berceau instable de ses sillons pierreux mes mains frôlant les bois à nu. Majestueux dans leur silence hiératique les vénérables chênes,les châtaigniers protègent ses rives si fragiles.


La vigne a changé : les feuilles, larges et épanouies, abritent des bourgeons aux blanches ailes dépliées, laissant augurer une grappe à la voilure de légende. Le trèfle dans la chainte se marie avec le violet rugueux de la fleur de chardon ; autour, des taches jaunes : petits pétales de millepertuis. De chaque côté des ceps, la terre a été retournée, découvrant alors l'attache qui rythme la jonction avec les profondeurs ; fine comme une cheville de femme, sa nudité offerte éclaire le regard ; apparition de la beauté antique, immortelle. Toute la vigne est retournée, et ses bouillées d'herbes séchant au soleil déjà vif du printemps, font penser à des entrailles animales étalées sur Taire, à des viscères arrachés par un poignet vigoureux, à des peaux d'une intimité luisante, alanguies sous la violence sensuelle du ciel. Vérité d'extrême puissance. Je me sens de trop dans cet univers découvert, où les mystères affleurent comme autant de révélations qui broient l'estomac. Le bois a pris de l'étoffe, et semble étouffer la vigne en croissance verte ; mais c'est le contraire qui advient : ceinture boisée respectueuse, elle protège sa taille de vigne printanière d'un cercle d'air fluide, rempli d'échanges subtils et bienfaiteurs : alliance exemple de servilité, intelligence profonde de leurs humeurs. Chênes, châtaigniers et cerisiers sauvages sont les piliers de cette osmose aérée. Les merles et les geais entament un chant improbable avec le coq réveillé à l'idée de frais matins enchanteurs. Devant cette vie ouverte à la lumière, je demeure fasciné.

Les ceps, de bistre, gisants debout dansent sous le vent radieux du soir dansent sous la douce lumière tombante. Au-dessus des fils de fer tendus les tiges déjà hautes, lianes souples tendent leur col pour aspirer un souffle nouveau. La verte chevelure au vent baigne dans le soleil couchant de juin tout se calme, tout s'éteint doucement, la paix... Le soir s’allume de mystère ma vigne aimée, ma terre chérie tu es ma source et mon berceau, mes racines. Loin de toi, je suis orphelin mes rêves sont vains, stériles, impuissants impossible est ta capture ; impossible quête. Ta force, c'est ta liberté et mon amour pour toi ne cesse de croître vigne inaltérable de mon enfance. Je ne sais pas la profondeur de ton secret je l'imagine dansant dans la lumière telle une femme sensuelle.


Christian Pastre, né en Minervois a vécu son enfance au cœur de la civilisation de la vigne et du vin. Professeur d’histoire, écrivain, auteur de pièces de théâtre, de romans, Les arbres de l’égalité, La fleur de bûcher, Vendanges amères, L’apôtre des vignerons… a écrit ce poème “Le sang de la terre” qui m’a beaucoup ému et que je vous invite partager. La vigne a bu le suc des nécropoles antiques. Un cyprès, raide et sec comme un vieux vigneron, Plante sa flèche sombre dans un azur sans âge. Sur le chemin rocheux, les soirs de vent salé, L’ornière sonne au pas d’un cheval solitaire. Vendanges : amours immémoriaux de l’homme et de la terre. Chair de l’air épaissie par les feuilles mûries et l’effluve des grappes. Bacchus, dans le feuillage, fait offrande au soleil des fruits de son désir. Des filles aux bras cuivrés pressent dans leurs mains vierges Le jus sombre et collant des grappes recueillies. Vigneron de toujours, lève la tête hors de ta souche ! Regarde, au loin, le vent marin pencher une voile latine. De l’amphore à la machine, toujours la même terre rouge. Pieds plantés dans l’argile friable, joues sculptées au soleil et au vent, Bois le sang de la terre à l’abri d’une combe hérissée de garrigue ! Dans les caves en pierre, l’ombre sent le tonneau imprégné d’ancien vin. Sous les arcs métalliques des caves cathédrales, Les cuves en béton se fardent aux couleurs de la peau de raisin. L’odeur du moût monte en encens vers les hautes toitures. Des hommes nus, couverts de rafle, naissent, en s’étonnant, du ventre d’une cuve. Le soleil, dans le verre, allume le couchant, Le fruit mûr et la pierre et le bruit des charrettes. Mains de femmes rugueuses à la table de fête. Ceci est notre sang ! Le sang de la terre.


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