MARATHON D’ÉCRITURE SAINT-QUENTIN-LA –POTERIE GARD
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Le Marathon en images‌ Avec deux participantes de Livres et Palabres
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LE FACTEUR SONNE TOUJOURS DEUX FOIS… Et plus.
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Elle avait pour prénom… Luce et LAPIN était son nom Luce, oui, comme le dicton « A la sainte Luce , les jours grandissent du saut d’une puce ». Lapin, oui, comme l’herbivore au poil doux ,victime du Laguiole acéré dont le sang finissait jadis en onctueux civet devant des convives au teint couperosé et à la paisible bedaine. Luce Lapin j’ai bien dit, et Lapin n’était pas un sobriquet. C’était son vrai nom. Passé l’effet de surprise et l’inévitable question : « Lapin comme… lapin ??????, on finissait toujours par se dire que ce nom lui allait plutôt bien. Un nom doux, caressant même. « Lapine » aurait été offensant, objet de vannes et de lazzi, mais point Lapin. Luce Lapin comptait 77 au compteur de sa vie. Elle avait travaillé aux Impôts, sinon avec zèle, du moins avec un sérieux jamais démenti. Sa civilité honnête, engageante et guillerette l’avait mise à l’écart des discordances. Au travail comme dans ses relations personnelles, elle était plaisante à fréquenter. Ayant beaucoup ouvert livres et dictionnaires, elle faisait volontiers usage de formules joliment désuètes et raffinées, dites sans prétention ni volonté de distinction appuyée. Des tournures comme « faire aiguade » pour dire prosaïquement aller puiser de l’eau étonnaient. Ou bien encore : »J’ai mis mon pull rouge alézarine, (couleur garance), vu le temps de ce lundi , j’aurais bien dû lui préférer le bleu zinzolin ». Et ce n’était nulle invention. Ces pigments-là existent bien. Luce n’avait jamais connu de parcours à coups de griffes, pas d’insubordination chez elle. Pour autant, au service des Impôts, elle savait que beaucoup de ses clients étaient saignés par cet outil qu’ils jugeaient inique, à savoir l’impôt précisément. Devant leurs remarques et leurs supplications, elle affichait un silence de pudique commisération. Elle ne se plaignait jamais , se louait même du choix de cet emploi, comparé à celui d’une amie d’enfance qui exerçait à Orléans le métier de maîtresse de cérémonie dans une entreprise de pompes funèbres, une certaine Andrée dont elle plaignait de surcroît comme chez les Dominique et les Camille le caractère phonétiquement androgyne. Pas de manifestation d’insolent savoir chez elle. Une délicatesse enchantée pour aborder son prochain, et une façon sereine d’habiter la solitude. Car Luce était comme on dit en Bourgogne : « restée pour la façon de sa mère ». Formule bien alambiquée pour signifier simplement qu’elle n’avait pas trouvé ou cherché chaussure à son petit pied. Modestie, voire humilité, urbanité , un tiercé de choix. Vosgienne de naissance, elle réfutait l’ironie du journal satirique paraissant le mercredi qui avait un jour publié la devise de ce coin de l’hexagone : Travail , famille , patrie , ennui. Elle qui n’avait pas l’heur de fréquenter « les rivages ombreux d’un grand lit aux draps bleus, *», pour deux, chanson de François Béranger , n’avait pas compensé par des lectures de fictions nauséeuses. Grande lectrice avisée, elle optait pour celles qui lui donnaient l’occasion de sonder l’opacité de l’humain, et si possible avec des constructions robustes. Elle appréciait les auteurs qui avaient tout à la fois le sens du visuel et de la méditation. Côté culture encore, elle fréquentait les musées, leurs parquets cirés et leurs cimaises souvent trop encombrées à son gré. Les natures mortes de Chardin et les opulences de Rubens la comblaient , elle boudait par contre les œuvres rassemblées sous le label « art contemporain », synonyme pour elle de totale nullité plastique. Les œuvres de Boltansky, par contre, la remuaient.
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Elle habitait un quartier où l’on avait abusé de la véranda, où beaucoup passaient par le garage ou par la pièce où trônait l’installation de chauffage pour rentrer chez eux. Rue des bergeronnettes ou rue des colibris, avec plusieurs papys munis d’appareils pour respirer, posés sous les platanes sur le seul banc épargné par les vrais étourneaux. Pas vraiment des lieux vibratoires, comme elle le soulignait avec humour, du vide très plein. Une petite usine familiale déprimée au bout de la rue, fabriquant la blédine Saint –Jacques et plus loin, des terrains à betteraves. Les volets tirés à 6 heures du soir, comme à Chartres, en Eure et Loire. Et des volets en PVC. Mais aussi une odeur verte qui flottait dans l’air au-dessus des pelouses fraîchement tondues. Incontestablement les lieux nous travaillent , et Luce en était convaincue. Beaucoup de ses voisines « avaient opté pour une molle obésité » selon une expression chère à Daniel Pennac *, en tout cas pas elle. Son pèse-personne, d’un gris ineffable, acquis grâce à des points Casino dans les années 60, laissait entrevoir à chaque pesée un oscillement entre 40 et 41 kg. L’ancienneté de l’achat n’autorisait évidemment pas la mention de répartition scrupuleuse entre les muscles et les graisses, mais à quoi bon, s’agissant de Luce ? Pour ce qui est de la vêture, malgré son côté « souris », le gris n’avait pas prise sur elle, car le gris n’est pas la couleur de la vie. Elle aimait au contraire les couleurs au fort pouvoir d’évocation, brun cuivré, ambre, bleu de Pondichéry*. Une robe pie noire, le comble du glamour ! Elle savait par pure intuition quelle couleur faisait chanter telle autre. Ses chaussures étaient toujours impeccables, fruit d’un brossage et cirage qu’elle pratiquait avec une ardeur mono-maniaque. Son parfum, le même depuis ses vingt ans : « Soir de Paris de Bourjeois, avec un J comme joie ! » Son dressing n’était pas en surcharge, Dieu merci. Une petite tournée de fer à repasser avec lâcher de vapeur assurait chaque dimanche soir une tenue impeccable à ses chemisiers et chasubles. Le premier pli se faisait rituellement quand Marie – Pierre Planchon annonçait sur sa radio favorite, France Inter ,la météo marine : « German, Tamise, Vicking, Fisher ! »Et ce linge séché dehors qui sentait si bon… Hormis un coupe-vent qu’elle conservait mais qu’elle ne voulait plus mettre car il faisait trop de bruit à la messe vu la rugosité de l’étoffe, de marque St James pourtant , elle portait tout, assortissait diligemment. Non pas tout, c’est vrai , son pantalon beige était relégué au fond de la panière à linge, et pour cause : « il faseille » disait-elle, « et je déteste cela ». Du verbe faseyer qui signifie battre au vent. Nul doute que Luce aimait les mots. Il est vrai que sans être une as des cases, elle passait des heures devant ses mots fléchés. Il lui plaisait de surprendre aussi : « Je n’aime pas la framboise chansie »et de s’amuser du regard ébahi de son interlocuteur… « moisie quoi !!! ».Son facteur, qui l’avait en grande estime, disait qu’elle avait en plus une calligraphie « de greffière » ! Vieillir ne l’avait pas affectée plus que cela. Le corps , c’est un peu comme une rue que l’on fréquente depuis des lustres, et un jour, une devanture change, un pas-de-porte est à céder. Et puis il faut bien faire de petits arrangements avec la vie qui passe , la mémoire qui bascule, le fémur qui faille, la poudre miraculeuse en quoi nous nous changeons, la poussière quoi ! ou les mains tavelées, la peau comme les girafes disent les enfants, ou « les fleurs de cimetière »comme les appelle respectueusement le poète (disons-le , Daniel Pennac,* encore).
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Sans céder à une nostalgie vaine, elle aimait retrouver les objets de sa jeunesse, les inventorier, fière d’avoir su les tenir à distance de mains frénétiquement et abusivement jeteuses. Toute « la géographie familiale* » reprenait vie, du vrai Depardon , un moulin à légumes, un moule à gaufres estampillé Henri-Paul Schneider, lourd à souhait et dans lequel sa mère cachait des billets au cas où… du shampoing Dop , et même une dymo avec un ruban rouge, des pelures pour faire des doubles sur une ancienne machine à écrire Olivetti, la boîte noire permettant le tirage des photos , après y avoir mis fixateur et révélateur, l’œuf en pierre grise pour repriser les chaussettes. Au chapitre des relations, Luce avait des options franches. Aller aux enterrements, ça permet de causer… Et de juger sur pièce. Un petit carnet de toile noire lui permettait un inventaire, colonne des ressentis positifs côté recto et ressentis négatifs au verso. Elle le tenait à jour et le rangeait à l’abri des regards. Au verso , liste des « moins » : y figuraient, dans l’ordre de ses rencontres et contacts : 1.celles et ceux dont l’union ne se fait que par l’estomac 2.les venimeuses, les toxiques 3.les asphixiantes 4.les explosives 5.les comploteuses 6.les faiseurs et faiseuses d’excès de règlements 7.les patientes abusivement enveloppantes 8.les marqueurs et marqueuses d’hésitation chroniques 9.les enjôleuses à tendance gracile et fragile 10.les promoteurs de Cévennes « tutupanpan » 11.les frondeuses 12.les buveuses de thé vert à longueur de journée « t’en bois 1, t’en pisses 3 » 13.les incapables d’échappée belle 14.les rêveuses de mensuration 90/60/90 15.les porteurs et porteuses d’écouteurs squattant oreilles 16.les petits fauves de la finance 17.les usagères compulsives de naphtaline 18.les velléitaires qui commencent un tricot de couverture patchwork le 3 septembre pour 1 lit de 140 et l’abandonnent le 17 pour le coussin du chat 19.celles et ceux dont l’existence est essentiellement commémorative , fêtes familiales, patriotiques, religieuses, laïques, pas gratuites ni obligatoires 20. les socialement insignifiantes 21.les assèneuses de principes moraux… valables pour les autres 22.les arboreuses de naïve dignité de notable 23.les embarqueuses de petits pots de fleurs municipaux à la fin des manifestations 24.celles et ceux , intrigants et pas toujours nets, qui évoquent Compostelle, son chemin , sa coquille , gîte d’étape spartiate, rédemption recherchée 25.celles qui quêtent les secrets de familles cachés dans les veinures du granit, pour dénicher quelques intimités
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26.celles qui font le soir la liste de ce qu’elles devront faire pour avoir une longueur d’avance sur la journée du lendemain 27.celles et ceux qui s’obstinent à ne pas vouloir lire sur leur ticket de métro « au-delà de cette limite, votre ticket est toujours valable » La liste est longue et le féminin l’emporte, pour une fois. Le carnet de toile noire face recto la réconciliait avec le monde. Luce Lapin avait semble-t-il un faible pour : 1.celles et ceux qui respirent l’humain 2.les inventeurs de mots / énerveiller, poétager, drive-in-ité, marmitomane..* 3.celles et ceux qui boostent leur Q.I. 4.celles et ceux qui osent le burger dodu 5.celles qui aiment s’épanouir dans un SPA couleur lagon pour flemmardage intensif et séance ragots intégrée 6.celles et ceux qui se mobilisent pour des causes à la Hugo, qui réagissent aux déflagrations du monde 7.celles qui sont prêtes à tomber le tailleur pour faire de l’aviron dans l’Isère 8.celles et ceux qui rêvent d’espace taille XXL 9.celles et ceux qui ont l’imagination gambadante 10.celles qui pensent qu’un nouveau sac à poches peut changer leur vie 11.celles qui préfèrent au GPS une série de post-it collés sur le tableau de bord de la Twingo qu’un vent fripon emporte à la première ouverture de fenêtre 12.celles et ceux qui aiment les grands cyprès vert-bleu en écho aux marbres des concessions 13.celles et ceux qui ont une vitalité indestructible, inoxydable vous dis-je 14.celles et ceux qui ont le génie pour inventer , tout et n’importe-quoi, les talons de chaussures rétractables par exemple 15.celles et ceux qui s’affolent quand leur chat n’urine plus , signe de trauma félin, si, si ! ou qui tombent en arrêt devant un pissat de cheval 16.celles et ceux qui admettent qu’il y a de vieux cartons qu’il vaut mieux jeter sans ouvrir 17.celles qui accompagnent un ami complexé car sans permis de conduire, dans une vieille carcasse de voiture pour faire les quatre-heures à l’arrêt ,les dimanches de pluie, au fond d’un jardin 18.celles et ceux qui ,encore et toujours, regardent sans déplaisir les gloires cinématographiques hexagonales comme « Les nuits de la pleine lune » ou « Le genou de Claire » 19.celles et ceux qui font semblant de confondre le bruit du camion poubelle avec le Mmroourou… d’une tourterelle un lendemain de déménagement 20.celles et ceux qui portent haut le slogan « Travailler moins pour lire plus ! » 21. Celles qui s’intéressent au langage de l’éventail, portez ouvert de la main gauche = venez me parler 22.celles et ceux qui aiment passer leur vie au grand art 23.celles et ceux qui se soignent pour ne plus avoir mal aux mots 24.celles et ceux qui écrivent à l’encre bleu azur pour refouler les idées noires
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25.celles et ceux qui rient d’un homme dont la calvitie est en bataille(merci Michel Polac, et paix à votre âme) 26.celles et ceux qui enterrent les feuilles mortes de Jacques Prévert *, les souvenirs et les regrets aussi. 27.celles et ceux qui gagnent des bons de réduction pour enfin frapper de ratatinette *tous les emmerdeurs de ce bas monde Il restait une catégorie qu’elle n’avait su où placer , colonne des + ou colonne des – à savoir : celles et ceux « qui portent plainte contre le Père Noël, »( ah la judiciarisation à l’américaine !)et remplissent un imprimé qu’ils vont chercher Dieu sait où portant mentions à cocher : 1 -description du cadeau 2-motif de la plainte 3-pas à ma taille 4-couleur horrible 5-trop vieille pour moi 6-injuste – quelqu’un a mieux Qu’auriez-vous fait à la place de Luce ????? Ne sais. Mais un soir , foin des colonnes à remplir, des plus ,des moins. Luce Lapin s’est installée dans son grand sofa blanc. Ses mules à pompon rose posées sur un petit siège reposoir, lui aussi blanc comme neige. En vérité je vous le dis, elle avait comme chante le poète de Sète *un gros point du côté du poumon ; elle a rouvert son carnet de percaline noire, juste en son milieu, là où s’ajuste finement le fin ruban doré qui sert de marque-pages. Et elle a écrit, de son écriture de greffière toujours , en pleins et en déliés : « Cherche grand-père gentil et connaissant des turcs ». En fronçant les yeux sur son texte , elle a vu , mince alors, qu’elle avait interverti les lettres du dernier mot , quelle étourdie Luce !!! : « connaissant des trucs !!! « évidemment , pas « des turcs » ! car des idées , Luce, c’est sûr, elle n’en manquait pas , mais les croiser les idées , les affiner, les policer , les percuter avec un autre, à l’écriture de greffier peut-être… rire ensemble en se tenant les côtes, se faire à deux un petit souper aux chandelles…* Luce s’est levée , s’est dirigée vers le petit meuble en marqueterie du salon. En ouvrant grand les portes, elle a dégagé un vieux magnétoscope qui n’avait plus vu la lumière depuis bien longtemps. Elle a passé un petit coup de chamoisine sur la vitre qui recouvre la k7. Elle a attendu deux ou trois minutes, comme si elle tentait une apnée.de plongeuse. Elle voulait vérifier si la touche RESET lui permettrait à elle aussi de repartir à 0. Et tant pis si la bande allait grincer un peu. De son index un peu fripé , elle a appuyé, appuyé, appuyé…… Le facteur dut sonner longtemps ce matin-là, plus que deux fois, le 13 décembre justement. Luce n’apparut pas. Il fit le tour de sa maison. Approcha son front de la vitre du salon. Un petit carnet de toile noire était à terre. Quand la porte put enfin s’ouvrir ,il découvrit Luce ,privée de souffle ,et une petite chanson d’enfant au son éraillé disait « 13 décembre, Sainte Luce, les jours grandissent d’un
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saut de puce, Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce
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Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce Adieu Luce. Le médecin qui signa le permis d’inhumer appuya sur STOP.
Références citées, de mémoire : *Chanson de François Béranger : « Nathalie » *Daniel Pennac : »Journal d’un corps » NRF Gallimard *Michel Pastoureau : « Les couleurs de nos souvenirs » Seuil 2010 *François Bon « Autobiographie des objets » Seuil2012 *Jeux de mots-valises extraits de « L’anarchiviste et la biblioteckel »Alain de Créhange, Ed .1001 nuits *Isabel Otero , dépliant Aiguillon d’art, Association l’Etincelle, Lussan 2012 *Roald Dahl « Les deux gredins » Folio Junior Gallimard *Guide sur Lyon, avec catalogue de très bonnes idées. 2012 *Georges Brassens : Chanson “Histoire de faussaires” et “ La fessée” Saint Quentin La Poterie ,15 et 16 septembre 2012 Marathon d’écriture Sylviane Teillard
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LA TERRE ABANDONNテ右
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Chapitre 1
Il se réveilla en sursaut, pris d’un étrange effroi. Dans la cabine sombre, l’air était lourd, chargé de remugles. Il ne savait plus où il était et se sentait enfermé, prisonnier de ce cercueil d’acier. Il mit quelques secondes à réaliser : Encore en transit, comme toujours. Au gré du travail de ses parents. À devoir se faire de nouveau amis, s’adapter à d’autres modes de vies… Il avait l’impression d’avoir vécu cela tellement souvent, et pourtant, il n’avait que 12 ans ! Le volet du hublot se releva, l’atterrissage était proche. Quentin retira son masque et se dégagea moitié de la housse qui le ceinturait. Il se pencha, sans déranger sa petite sœur encore endormie à ses côtés. Impossible de deviner ce qu’il se cachait sous les nappes de nuages rougeoyants ; Il faudrait encore attendre un peu avant de découvrir son nouveau lieu de vie. Il avait entendu ses parents parler de cavernes d’acier, d’affrontements et de trafics, de pollution. Toujours la même histoire… Impossible pour la famille de débarquer dans un endroit agréable et tranquille ! Entre sa mère, Henriette Luvier, diplomate de la Confédération, et son père, Rémy Luvier, grand reporter, ils ne terminaient qu’au sein de mondes difficiles où régnaient la tension et la suspicion. Tous deux continuaient à vouloir sauver le monde, l’un tentant d’apaiser les différents et de trouver les compromis, l’autre traquant la corruption et les malversations. De vrais idéalistes ! Militants même ! Et pour quoi ? Pour qui ? Enfin, on verrait bien… L’important était que la famille soit réunie. Quentin se souvenait trop de ces longs mois à guetter les étoiles du fond du jardin de sa grand-‐mère, à languir l’effervescence des retours… Décidément, le réveil était mélancolique ! Dans la cabine, les gens commençaient à remuer, des murmures s’élevaient. Il n’arrivait pas encore à différencier ceux qui revenaient chez eux de ceux qui arrivaient. Il lui semblait que tous portaient le même regard las, soumis, résigné même. Il frissonna. Maintenant la lumière se faisait plus vive, une musique sirupeuse se fit entendre, devenant rapidement insistante. Une légère brise parfumée dissipa les odeurs du voyage et la gravité reprit ses droits. Il retrouva avec plaisir la sensation de lourdeur et son estomac sa place. L’excitation de la nouveauté montait, chassant les brumes de sommeil et le pressentiment qui l’avait envahi. Il se tourna vers Laureline. Celle-‐là, pour la réveiller, faudrait au moins un clairon ! -‐ Aïeuuuuu ! Pourquoi tu me pinces ? -‐ Hé, la Belle au bois dormant, bouge-‐toi. Tu es la dernière, comme d’hab ! -‐ Laisse-‐moi, je veux encore dormir. -‐ Je te préviens, cette fois-‐ci si tu te retrouves seule dans le sas, compte pas sur moi pour t’aider. -‐ Et bien moi je ne te servirai pas d’excuse pour éviter la douane et…
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-‐ Les enfants, ne commencez pas ! Vous feriez mieux de vérifier si vous avez bien rempli votre feuille d’immigration, coupa leur mère. Cette fois-‐ci, ils étaient bel et bien arrivés. Le tapis roulant se mit en branle, entraînant les passagers qui retrouvaient peu à peu leur liberté de mouvement. Arrivé dans le couloir de raccordement, un hublot à demi fermé. Quentin eu juste le temps de jeter un coup d’œil avant que le tapis ne l’entraîne. Des langues de brumes orangées tournoyaient au-‐dessus d’une terre désolée. Du coin de l’œil, il lui sembla entrapercevoir une silhouette qui se glissait vers le tarmac, longue et sinueuse, comme flouté par l’épaisseur de l’air. Sans réfléchir, Quentin sauta du convoyeur et se précipita vers la porte de secours derrière la barrière. Il ouvrit la porte et se retrouva soudain baigné de lumières chatoyantes. Il avança d’un pas. Tout devint noir.
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Chapitre 2 -‐ Ça y est, il reprend connaissance ! -‐ Mais qu’est-‐ce qui lui a pris, bon sang ? Les voix semblaient traverser un immense corridor plein de fumée et arrivaient assourdies. Quentin n’arrivait pas à ouvrir les yeux. « Il faut étouffer les monstres au berceau ». Pourquoi diable cette drôle de pensée lui traversait l’esprit ? -‐ Il faut que vous lui expliquiez que c’est dangereux. La prochaine fois, nous n’arriverons peut-‐être pas à temps ! À travers ses paupières poisseuses, Quentin distinguait maintenant le visage de son père penché anxieusement sur lui. -‐ qurrrrree Un chat semblait lui avoir labouré la gorge. Il s’énervait, n’arrivant pas à comprendre ce qui lui était arrivé -‐ Tiens, bois cela… Doucement… Cela devrait calmer la douleur Une combinaison vert fluo apparue dans le champ visuel de Quentin. Une main qui lui sembla énorme s’approcha, lui souleva la tête, tandis qu’un verre empli d’une substance bleue s’approcha de ses lèvres gercées. -‐ Il ne va pas mourir, hein ? La panique qui transparaissait dans la voix de sa petite sœur le fit réagir -‐ Rêves pas. Si tu crois que je vais te laisser tranquille… Ce n’était pas encore cela, mais apparemment, ses paroles devenaient plus compréhensibles ! Quentin se redressa. Il était au centre d’une pièce violemment éclairée, sous une tente transparente qui semblait se gonfler et se dégonfler au rythme de sa respiration. Des bandages recouvraient ses mains. -‐ Il n’y a en plus pour longtemps. Juste le temps que ton corps finisse d’évacuer le poison. Tu l’as échappé belle, mon garçon ! -‐ Que m’est-‐il arrivé ? -‐ Tu as eu beaucoup de chance. J’étais en train de nettoyer l’accès quand je t’ai vu t’effondrer. J’ai pu de suite te passer mon masque à oxygène et te tirer à l’intérieur. Sinon, nous n’aurions pas retrouvé grand-‐chose de toi… -‐ Mais enfin, tu peux nous dire ce qu’il t’est passé par la tête pour sortir comme cela ? Son père s’était approché, la colère prenait le pas sur l’inquiétude. « Je dois être tiré d’affaire », pensa Quentin. -‐ J’ai vu une ombre passer en courant. Cela m’a intrigué et je suis sorti pour voir où elle allait. Et puis c’était si beau dehors !
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-‐ Ne dis pas de bêtises ! Personne ne peut vivre dehors ici. Tu t’es encore laissé emporter par ton imagination. -‐ Non je t’assure, il y avait quelqu’un ! Et puis pourquoi il n’y aurait personne dehors ? Il y avait bien ce monsieur qui travaillait ! -‐ Oui, j’étais dehors, mais en combinaison étanche, avec un masque et pour 15 minutes maximum. On ne peut pas rester plus longtemps mon garçon, même bien équipé ! Alors courir… C’est juste impossible. Tu as dû te tromper. Les vapeurs toxiques créent souvent des illusions, tu sais. -‐ Non je suis sûr de moi. Mais je ne comprends pas. On ne peut pas aller dehors ? -‐ L'air de dehors est non seulement irrespirable mais en plus corrosif. C’est bien le problème d’Antarius, intervient alors sa mère. Mais on en reparlera tranquillement une fois arrivé à l’ambassade. -‐ Pas de problème, les voyants de contrôle sont revenus au vert et ce jeune homme peut galoper à nouveau… Tant qu’il reste à l’abri, n’est-‐ce pas mon garçon ? Mais je crois que tu as compris la leçon. -‐ Oh oui Monsieur, et merci encore, je vous dois la vie ! Laureline se jeta sur l’homme et l’enserra. -‐ Vous êtes son sauveur ! Devant l’effusion de l’enfant, l’homme sourit et se retourna vers les parents qui le remercièrent chaleureusement. -‐ J’ai un fils du même âge, Anthony. Il passera demain à l’ambassade prendre des nouvelles de votre garçon.
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Chapitre 3 Quentin et sa sœur ouvraient de grands yeux. Ils se trouvaient dans une bulle de verre qui filait au milieu de la ville. Au-‐dessus, la voûte d’acier semblait recouverte d’un voile feutré aux couleurs changeantes, laissant le regard se perdre dans l’infini, évitant la sensation d’enfermement. Autour d’eux, ce n’était qu’explosions de couleurs. Les pointes élancées de ce qui semblait être des immeubles, rutilaient de mille et une lumières. Les hommes et les femmes semblaient tous en partance pour un bal costumé, dont le thème aurait été l’arc-‐en-‐ciel ou Arlequin selon le soin apporté au vêtement. Quentin tentait de calculer les distances, les volumes, mais les reflets omniprésents perturbaient les sens et faussaient les perspectives. Quant à Laureline, elle ne pouvait s’empêcher de s’exclamer devant chaque tenue entraperçue. Les dangers du dehors semblaient oubliés, dépassés par les strass d’une ville de contes de fées. Arrivés à l’ambassade, plusieurs personnes les attendaient. Mais à peine s’être un instant ému des aventures de leur fils qu’elles entraînaient leurs parents dans des discussions professionnelles. Quentin et Laureline se retrouvèrent bientôt seuls, un peu perdus, au milieu de l’immense hall. -‐ C’est vous les Terremères ? Fit une voix flûtée derrière leur dos Quentin avait déjà entendu l’expression sur Moscalta, la colonie qu’ils avaient quitté l’année dernière. Elle désignait, souvent avec arrogance, ceux qui venaient de la terre, la planète mère. -‐ Ça te pose un problème ? -‐ Non, non, désolée. Je voulais juste être certaine que c’était bien vous que mon père m’avait envoyé chercher. Papa est le directeur du journal qui a contacté ton père, ajouta-‐t-‐elle. Ils en ont pour un moment et ta mère est déjà en train de faire le tour des services. -‐ Elle est belle, ta robe ? Fascinée, Laureline lissait le tissu soyeux -‐ Pas vrai, ces filles, grommela Quentin. Toujours à parler chiffon. -‐ Et le macho, je ne t’ai pas demandé si tu jouais au foot. Elle a bien le droit de demander. Cela m’étonnerait que l’on trouve cela chez toi, rajouta toute fière la fillette. -‐ C’est de la moire d’Antarius., reprit-‐elle à l’intention de Laureline. C’est une étoffe célèbre dans toute la confédération pour ses irisations ondoyantes rajouta-‐t-‐elle en se tournant vers Laureline. Si tu veux, je t’en prêterai une. Je m’appelle Valériane et j’ai 13 ans -‐ Moi, c’est Laureline et lui, c’est mon idiot de frère, Quentin. Il a presque le même âge que toi ! Vexé, Quentin se retourna et dit -‐ Et maintenant, on fait quoi ?
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-‐ Allez, venez. Je vous emmène dans le secteur des invités. Vous avez bien besoin d’une douche, fit-‐elle en se bouchant le nez d’un air moqueur. Valériane entraîna les deux enfants à travers un labyrinthe de couloirs aux parois tantôt opaques, tantôt translucides. -‐ Mais comment fais-‐tu pour trouver ton chemin? S’inquiéta Quentin. -‐ Il y a un truc ! Répondit avec un sourire espiègle Valériane, regarde à mon poignet. -‐ Quoi, cette montre ? -‐ Ce n’est pas une montre, c’est une boussole et cela fonctionne un peu comme le jeu « Tu brûles, Tu gèles ». Tu indiques l’endroit où tu veux aller et ensuite tu suis le vert. Vous trouverez les vôtres dans vos chambres. -‐ Et on ne voit jamais l’extérieur ? Vous ne regardez même pas dehors ? -‐ Pourquoi faire ? Dehors, c’est sinistre, malsain. Beurk ! Alors que nous avons illuminé notre quotidien et mis toutes les couleurs dans notre vie. Je ne vois vraiment pas pourquoi on s’embêterait avec autre chose ! -‐ Mais l’air que vous respirez, c’est quoi alors ? -‐ C’est toujours le même : recyclé, purifié, enrichit. On lui donne même des odeurs de fêtes pour les jours de congé. Et les jours de deuil national, c’est de l’air triste qui est diffusé. Quentin ne répondit pas. Il éprouvait un sentiment étrange devant le chatoiement de la ville et s’interrogeait sur ce monde si coupé de la nature. Son estomac gronda alors. -‐ Avec Laureline, on va se changer. On se retrouve après ? Comme cela, on mange ensemble. Enfin, si tu veux et si tu peux, Bien sûr, se reprit Quentin. Mais Valériane semblait ravie d’avoir de nouveaux amis et l’idée de leur faire découvrir son univers l’enchantait. Et puis, il n’était pas mal Quentin, même s’il était un peu jeune et un peu trop collet monté à son goût. Et Valériane dévala jusqu’à chez elle pour prévenir son père.
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Chapitre 4 Quand elle revint, un autre jeune garçon était avec eux. Un peu jalouse, elle demanda brusquement ce qu’il faisait là. -‐ C’est Anthony, répondit Laureline. Son papa a sauvé Quentin. -‐ Et il m’a dit de rester avec eux, histoire qu’ils ne recommencent pas à faire n’importe quoi, expliqua le petit garçon un peu fanfaron. -‐ Dis donc Tom Pouce, tu crois qu’un minus comme toi va me faire la leçon, s’emporta Quentin. -‐ Et tu crois qu’un nabot va faire mieux que moi, s’exclama Valériane Laureline regarda Anthony qui s’était fermé comme une huître et éclata de rire -‐ Record battu : moins de trois minutes, et tout le monde se dispute. Et même que je n’y suis pour rien cette fois-‐ci ! En même temps, reprit la fillette, faut pas exagérer, on n’est pas des bébés. Si nous ne sommes jamais venus ici, nous avons quand même déjà habité dans plein d’endroits différents. Nous n’avons pas besoins de gardes du corps, mais plutôt d’amis, ajouta la fillette à voix basse… Je ne connais personne ici à part vous. -‐ Tu as raison, on est idiot s’excusa Valériane tandis que Quentin prenait sa sœur dans ses bras. Il avait beau se chamailler tout le temps avec elle, il adorait ce petit bout de fille, bourrée d’énergie et de sensibilité et il aurait fait n’importe quoi pour elle. Elle le lui rendait bien, prenant souvent sa défense quand son frère, toujours un peu dans la lune et dans ses livres, se faisait rappeler à l’ordre. Les enfants se dirigèrent au centre de la tour principale, vers un immense escalator qui semblait monter tout droit jusqu’au ciel. Impressionnés, Quentin et Laureline ne perdaient pas une miette du spectacle qui s’offrait sous leurs yeux ébahis. Partout, une foule bigarrée, chamarrée, se croisait et s’entrecroisait sans jamais se heurter. Confinés dans un espace clos, les hommes avaient dû apprendre à vivre ensemble avec civilité, à respecter l’espace vital de chacun. -‐ Comment vous faites alors, s’exclama Valériane alors que Quentin s’étonnait de la courtoisie dont chacun faisait preuve. Si tu n’es pas polie, que tu ne fais pas attention aux autres, tu risques de les déranger, de les contraindre à faire un écart. Tout le monde s’énerve. On perd de la fluidité et là, c’est toute la zone qui se rigidifie. Tu imagines le tableau ? Non, Quentin n’imaginait pas bien. Il avait du mal à saisir l’importance de ce concept de fluidité. Cela le renvoyait à ces brumes qui s’entrelaçaient là, juste de l’autre coté des murs, comme si sur ce monde, se tissait une même danse, l’une faites de lumières artificielles, l’autre de couleurs mortifères. -‐ Au fait, j’y pense : puisqu’il n’y a rien dehors, où faites-‐vous pousser vos légumes ? Et où sont vos fermes ? À moins que vous ne soyez végétariens ? J’ai déjà vu ça dans certaines colonies. Et j’ai même mangé des sauterelles grillées et des larves, se vanta Quentin
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Laureline poussa un soupir d’exaspération. Ce que son frère pouvait être pédant parfois ! -‐ Que veux-‐tu dire ? Faire pousser des légumes ? C’est quoi ? Demanda alors Anthony -‐ Bécasseau ! Des légumes, tu sais, il faut en prendre au moins cinq différents par jour. Et puis des fruits. Et aussi des poulets, du cochon… Mon royaume pour du jambon et un camembert déclama Quentin -‐ Miam, poursuivit Laureline, du saucisson et des cerises bien rouges. Vous avez des cerises ? Anthony et Valériane les regardaient avec stupéfaction -‐ De quoi parlez-‐vous ? Demandèrent-‐ils enfin -‐ Ben, de nourriture. Vous mangez quoi ? -‐ Des alimédocs évidemment. C’était au tour du frère et de la sœur de ne plus comprendre -‐ Sur ta carte de cantine, il est marqué ce dont tu as besoin pour être en forme, et le distributeur te donne la ration exacte. Une fois, j’ai eu les oranges, avec les deux points noirs au milieu. C’était dégoûtant. Tu en as déjà eu demanda Anthony en se tournant vers Valériane. Elle ne répondit pas, songeuse. Elle se souvenait que son père lui avait parlé une fois, de choses qui poussaient dans la terre… Une rose, c’est ça ! Les roses sentaient bons mais elles avaient des épines qui piquaient. Quelle drôle d’idée ! Par contre elle ne se rappelait pas qu’il ait parlé de manger les roses. Avec les épines, comment faisait-‐on ? Elle était sur le point de demander à Quentin quand celui-‐ci s’arrêta brusquement, provoquant rapidement une file impatiente derrière lui. Elle le poussa sur le côté, s’apprêtant à lui rappeler vertement les règles à respecter quand elle vit son visage blême. -‐ Là ! C’est lui, c’est cet homme que j’ai aperçu dehors. Mais quand Valériane regarda dans la direction qu’indiquait Quentin, elle ne vit que la foule habituelle, indistincte, qui grimpait à l’assaut de la tour centrale.
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Chapitre 5 Rassemblés autour de leur plateau-‐repas, les enfants essayaient de comprendre ce qui avait mis Quentin dans un état pareil. Ce dernier mangeait ces alimédocs, d’un gris sombre, sans même s’en rendre compte. Il faut dire qu’il n’était pas particulièrement gourmand, ni même gourmet malgré sa tirade du matin. Au contraire de sa sœur qui regardait ses pilules rosâtres d’un air dubitatif. -‐ Je suis certain que c’est l’homme que j’ai vu dehors. C’est la même silhouette. Et puis il y a ce quelque chose de fuyant, d’ondulant que je reconnaîtrai entre mille. Je ne suis pas fou, dit-‐il d’un ton suppliant en levant les yeux vers ses amis. -‐ Ce que je ne comprends pas, c’est même en acceptant l’idée qu’un homme puisse avoir été dehors, à courir, et qu’il soit maintenant avec nous dans la tour, qu’est-‐ ce qui fait que ton regard soit attiré par lui ? Que tu le vois, lui, plus qu’un autre ? -‐ Je ne sais pas. Peut-‐être que ce sont les séquelles de ma sortie à l’air libre, essaya-‐ t-‐il de plaisanter. Quentin se tue. « Il faut étouffer les monstres au berceau ». Voilà encore que cette phrase énigmatique se glissait à nouveau dans son esprit. Il tournait et retournait ces mots dans la tête. Il se repassait les images de ces deux visions. Des visions. Ce n’étaient peut-‐être que cela, des visions… Pourtant, quelque chose en lui savait qu’il s’agissait de bien plus. Les enfants reprirent leur visite, un peu perturbés. Arrivés au sommet, Valériane les guida vers un petit escalier, un peu dissimulé, dans un passage plus sombre. -‐ Rares sont les personnes qui viennent ici. Nous n’aimons pas cela ; Mais je me suis dit que vous, vous aimeriez voir notre observatoire. La vue était en effet stupéfiante. Les larges baies vitrées donnaient sur une plaine morne, sans fin, noyée dans les vapeurs empoisonnées. La terre noire et stérile n’offrait nulle prise, nul endroit où poser le regard, nul espace de douceur ou de vie. En revanche, de véritables feux follets surgissaient de nulle part, mêlant leurs teintes rouges, jaunes, oranges, en un ballet hypnotisant. Des tornades de poussières se formaient, créant d’étranges figures avant de s’évanouir en un ultime nuage, tel un champignon vénéneux. Les enfants regardaient sans un mot, fascinés par ce territoire à la fois terrifiant et envoûtant. Laureline s’ébroua -‐ Ça manque un peu de verdure tout ça ! -‐ Raconte, lui demandèrent les deux Antariens -‐ Ah mes montagnes… Le vert des sapins, le blanc de la neige sur les sommets qui accrochent les nuages dans le bleu du ciel ; les champs de pissenlits au printemps, entièrement jaunes, le flamboiement de l’automne… Nous aussi, on a des couleurs. Moins vives peut-‐être que dans votre ville, mais ce sont des couleurs qui vivent, qui respirent, qui ont une odeur, un toucher… Et puis le bruit des cloches quand les vaches sont dans les alpages…
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Laureline avait les yeux fermés, faisant surgir de sa mémoire les images à partager avec ses amis. Ceux-‐ci l’écoutaient comme on écoute un conteur, sans être certains de bien comprendre, laissant les mots couler comme une rivière, porteurs de rêves et d’enchantements. -‐ Mon père m’a dit que parfois, les voyageurs gardaient sous leurs chaussures des traces de terre marron, humide encore malgré le trajet, et qui laissait une odeur forte qui imprégnait les doigts. Il en a même mis un peu dans sa bouche un jour, pour voir ! Anthony semblait incertain. -‐ Le mien m’a expliqué qu’autrefois nous avions nous aussi une terre cultivable, dit à son tour d’une voix songeuse, Valériane. Mais je ne voulais pas le croire. En fait, je n’imaginais même pas ce que cela voulait dire. -‐ Mais alors, comment en êtes-‐vous vous arrivés là ? -‐ Et surtout pourquoi personne ne fait rien ? Il y a forcément un moyen ! Les enfants retrouvèrent, un peu aveuglés, les lumières de la ville. Tout leur semblait clinquant, agressif, artificiel. Ils devaient retrouver leurs parents à l’ambassade, mais ils avaient encore le temps. Ils firent donc un détour par l’école d’Anthony. Celle-‐ci était située au cœur d’un immense domaine universitaire et ils parcouraient les allées dégagées, savourant la quiétude des lieux. Tout à coup, Quentin se précipita dans un petit bâtiment, un peu à part. -‐ Ce n’est pas vrai ! Voilà qu’il recommence, jura Laureline qui s’engouffra à son tour dans la bâtisse, suivie de près par Valériane et Anthony. Personne ! Une porte claqua au loin. Un bruit de course. Les enfants s’avancèrent lentement, jetant un coup d’œil dans chaque salle qui s’ouvrait sur le couloir. Le silence était désormais oppressant. Dans la dernière pièce, à moitié dissimulé par un bureau, Quentin gisait par terre, inconscient.
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Chapitre 6
-‐ Cette fois-‐ci il va falloir que tu t’expliques vraiment, menaça Rémy Luvier. Les quatre enfants se tenaient, penauds, dans la salle de rédaction. À la vue de son frère inanimé, Laureline s’était jeté sur lui en hurlant. Elle l’avait examiné en tous sens, cherchant une mare de sang, une plaie béante, quelque chose quoi ! Mais rapidement, Quentin avait repris ses esprits. Seule l’énorme bosse qui pointait allègrement à travers ses cheveux, témoignait de sa mésaventure. Ils s’étaient alors directement rendus au siège du journal, proche de la cité universitaire. Quentin, encore un peu chancelant, n’avait pipé mot sur ce qu’il lui était arrivé et les autres n’avaient osé insister. Mais là, face au regard courroucé de son père, il ne pouvait se taire plus longtemps. Alertée, sa mère avait accouru. Les parents de Valériane et d’Anthony complétaient le cercle accusateur qui entourait les enfants. -‐ On vous avait dit de faire attention, de les emmener visiter la ville et on vous retrouve en train de vous battre dans la zone de recherche ! -‐ On ne s’est jamais battu, objectèrent les enfants -‐ Alors vous chahutiez et il est tombé ? Vous n’avez rien cassé au moins ? -‐ La confiance règne, maugréa Valériane. -‐ Tu ferais mieux de ne pas faire ta maligne, répliqua sa mère. Tu es la plus grande et tu étais donc responsable du groupe. -‐ Ce n’est pas de sa faute ! Quentin prit la défense de son amie, C’est moi qui suis parti en courant sans rien dire. -‐ Alors que diable s’est-‐il passé ? -‐ Papa, que veut dire « Il faut étouffer les monstres au berceau » ? Interloqué, son père ne put que répondre : -‐ Qu’il faut remédier au mal dès qu’il apparaît. Mais qu’est-‐ce que cela vient faire dans cette histoire ? À ce moment-‐là, Henriette Luvier se leva et s’approcha d’un air grave de son fils. -‐ Quentin, où as-‐tu entendu cette phrase ? C’est important, je dois savoir ! -‐ Je ne l’ai pas entendu, elle s’incruste dans mon esprit depuis que je suis sorti. En fait, elle s’impose à moi chaque fois que je croise l’ombre. -‐ L’ombre ? Tu l’as revu ? Qui est-‐ce ? Le ton de Mme Luvier se faisait de plus en plus pressant -‐ Je ne sais pas Maman, je ne comprends pas ce qu’il m’arrive ni pourquoi je suis irrésistiblement attiré chaque fois que ma route croise la sienne alors que je suis terrorisé. Mais toi ? Cette phrase tu la connais visiblement. Alors ? Mme Luvier se rassit et regarda lentement tous les enfants et parents présents. Elle hésita une seconde puis se lança : -‐ Cette phrase est la devise d’extrémistes ; des conservateurs prêts à employer tous les moyens pour maintenir la colonie dans l’état de pollution dans laquelle elle se trouve. Vous le savez tous, continua-‐t-‐elle en se tournant cette fois-‐ci vers les adultes, la fédération a engagé des sommes colossales pour lancer un
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programme de décontamination. Mais rien n’avance. Et j’ai été envoyé ici pour justement comprendre ce qu’il se passe. On m’a averti dès mon arrivée de l’existence de ce groupuscule. -‐ Et toi, reprit-‐elle en direction de son fils, tu trouves le moyen de tomber directement sur eux à peine un pied sur la colonie ! -‐ Ce n’est pas tout, coupa M. Luvier Les deux journalistes s’étaient interrogés du regard avant de rajouter leurs informations. -‐ Nous enquêtons actuellement sur un trafic d’oxygène, de plantes. On ne sait pas encore quoi exactement. Mais, il semblerait que beaucoup de personnes soient impliquées. Les enjeux sont colossaux. Le père d’Anthony se tortilla sur sa chaise -‐ Je ne sais pas si c’est pertinent, mais il y a des containers spéciaux, qui arrivent régulièrement, destinés au centre de recherche. Et chaque fois, il y a un accident, une disparition. Cela m’a frappé et j’ai regardé de plus près. Pas une seule fois, ils ne sont parvenus à bon port ! Les enfants ne perdaient pas une miette de la conversation. Ils n’osaient plus bouger de peur que les adultes, réalisant leur présence, ne les chassent de la salle. Pourtant les questions se bousculaient dans leur tête. -‐ Il y a encore trop de points d’interrogations et pas assez de réponses. Les ramifications semblent profondes, mais je ne désespère pas de remonter à la source et reconstituer le puzzle, poursuivit de père de Valériane. -‐ Ce que je ne comprends vraiment pas, c’est ce que viennent faire nos enfants là-‐ dedans ? Questionna la maman d’Anthony. Tous les regards se tournèrent à nouveau vers eux, pensifs. -‐ En attendant, interdiction de sortir. Le ton de Rémy était sans réplique Les enfants se regardèrent, atterrés -‐ Mais vous pourrez accueillir vos copains, rajouta heureusement Henriette. Il n’y a encore pas école cette semaine, qu’en pensez-‐vous ? Demanda-‐t-‐elle aux parents. Devant l’acquiescement parental, les enfants filèrent sans demander leur reste
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Chapitre 7
Regroupés sur le lit de Laureline, les enfants jouaient à un « uno » dont ils réinventaient les règles au fur et à mesure de la partie. Mais le cœur n’y était pas. Deux jours s’étaient écoulés et les enfants commençaient à avoir des fourmis dans les jambes. Soudain Laureline bondit, éparpillant toutes les cartes, et s’écria -‐ Ce n’est plus possible. On va moisir, ici. Je vais demander à Maman si on ne peut pas quand même aller faire un tour. -‐ Et comment tu vas joindre maman, elle travaille, réplique Quentin -‐ Elle nous a laissé son numéro. -‐ C’est uniquement pour les urgences, tu le sais bien -‐ Et bien c’est une urgence ! J’ai le cerveau qui se liquéfie, les jambes qui sont devenues transparentes tellement les muscles ont fondu. -‐ Tu parles, tu es surtout en train de devenir énorme avec tous les gâteaux dont tu t’empiffres ! -‐ Et toi ta langue devient tellement fourchue que bientôt tu ne sauras plus que siffler comme une vipère. -‐ Oh ! Vous êtes pénible la fratrie, s’emporta à son tour Valériane -‐ Tu vois, c’est une urgence. Sinon, on va tous finir par se battre ! À ce moment-‐là, Judith, la tante de Valériane entra dans la chambre. C’était une grande femme blonde, l’air toujours effacée et apeurée. Mais cette fois-‐là, son grand sourire laissait présager de bonnes nouvelles. -‐ Allez les enfants, j’ai l’autorisation de vous emmener au musée -‐ Youpi ! Hurlèrent de joie les quatre en même temps En un rien de temps, la petite troupe était dehors et marchait d’un pas décidé vers l’édifice. Ils goûtaient pleinement le plaisir d’être dehors. Enfin, quand on dit dehors ! Pas enfermé entre les quatre murs de la chambre. Ils allaient bon train au milieu de ce fleuve de couleurs étincelantes. Les terriens se faisaient l’œil, repérant désormais les grands courants, les traverses plus paisibles, les aires de repos aux eaux stagnantes et même les torrents capricieux qui dévalent par à-‐coups, rebondissent et sautent. Il suffisait alors de se glisser dans l’onde, se laisser porter en son centre ou nager jusqu’aux berges. C’est vrai que toute la ville semblait couler, parcourue d’ondes frémissantes… Mais Valériane commençait à donner des signes de nervosité, à jeter de fréquents coups d’œil en direction des panneaux. Judith se retourna, empoigna le poignet de sa nièce et la pressa de continuer. À ce moment-‐là, Quentin se mit à pâlir et des gouttes de sueurs glacées perlèrent sur son visage. Mais déjà Judith avait bifurqué, ouvrant une lourde porte de métal d’une haute tour. -‐ Ce n’est pas le musée, tatie, protesta Valériane -‐ Oui, oui, ne t’inquiètes pas. J’ai juste une petite course à faire avant qu’on y aille. -‐ Mauvais plan, murmura Quentin. Cela me fait comme les autres fois, comme un battement qui résonne au fond de l’estomac. Et j’ai comme des acouphènes, de plus en plus violent !
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Anthony et Laureline, qui devisaient gaiement sans se rendre compte de rien, prirent enfin conscience du malaise général. Mais c’était trop tard. Au sommet des escaliers qu’ils avaient gravis quatre à quatre sous l’impulsion de Judith, se tenait un homme étrange. Il était immense, maigre comme un clou, avec un sourire en coin que lui mangeait une barbe poivre et sel. Sa blouse blanche flottait autour de lui comme une cape de héros de bandes dessinées. Des rides profondes durcissaient son visage tandis que ses mains étaient dissimulées sous d’épais gants. Son pantalon tire-‐bouchonnait sur de vieilles baskets avachies, mais il était cravaté. Tout en lui était contradiction et oppositions. -‐ Je suis content de vous rencontrer enfin, mes enfants dit-‐il d’une voix rocailleuse -‐ Qui êtes-‐vous ? -‐ Que nous voulez-‐vous ? -‐ Où sommes-‐nous ? -‐ Je vais le dire à mes parents ! D’un geste, il fit taire les enfants et congédia Judith qui s’éclipsa sans oser regarder sa nièce. -‐ C’est bien toi, Quentin, fit-‐il en fixant le malheureux garçon qui recula d’un pas devant l’intensité du regard. -‐ Tu l’as senti, n’est-‐ce pas ? Tu dois avoir une oreille remarquable, poursuivit l’homme en incitant les enfants à pénétrer dans la pièce. Un bourdonnement devient perceptible, une pulsation qui leur remontait le long des jambes et semblait s’écouler depuis le sommet du crâne pour se rejoindre douloureusement au milieu du ventre. Si ses trois compagnons exprimèrent un grognement de stupeur, le visage de Quentin, lui, s’éclaira. -‐ C’est donc cela que je sentais ! C’est en fait un courant électrique basse fréquence, n’est-‐ce pas ? Mais ce n’est pas logique, cela devrait se dissiper en moins d’un mètre. Attendez, cela vient de ce coffre ! -‐ Tu es décidément un garçon tout à fait surprenant s’étonna l’homme Mais déjà Quentin l’avait oublié, toute son attention tournée vers la forme étrange de l’objet. Il tendit la main pour l’ouvrir, mais l’homme la repoussa d’une brusque claque. -‐ Ne touche pas, c’est l’avenir de ce monde. Mais c’est aussi sa perte. Vous avez bien failli faire pencher la balance, jeune homme. Du bon ou du mauvais côté, je ne sais. L’équilibre est instable mais indispensable. Les enfants ne comprenaient plus rien. Le discours semblait totalement décousu. Avec des gestes précautionneux, il entrouvrit la boîte. Une douceur chaleur et lumière s’en échappèrent, ainsi qu’une forte odeur d’humus. -‐ C’est une serre ! Murmura émerveillé Quentin -‐ Pas tout à fait mon jeune savant, dit-‐il en refermant le coffre. C’est en fait un peu plus complexe, car ici, nous n’avons plus de matières à décomposer, plus de terre, plus rien. Ce que tu vois là, c’est la création à l’état pur, déclara-‐t-‐il avec emphase, c’est la main de l’homme devenu Dieu. Il était fou, ce n’était pas possible. C’est alors que l’homme se précipita hors de la pièce. Ils n’eurent pas le temps de faire un geste qu’ils entendirent la clé tourner dans la serrure. Ils étaient prisonniers !
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Chapitre 8
Quentin se précipita sur la porte qu’il se mit à tambouriner avec violence, tandis que Valériane se mettait à hurler au secours et qu’Anthony faisait le tour de la pièce, cherchant une issue. Laureline s’assit tranquillement devant le coffre, et l’ouvrit entièrement. Tout au fond, une minuscule tige vert pâle tentait de se dresser. Cela calma net la furie de ses compagnons. Ils s’approchèrent à leur tour pour contempler ce miracle de la vie. Les enfants retenaient leur souffle, émerveillés. -‐ Je n’en avais jamais vu. Que c’est fragile ! -‐ Mais pourquoi nous a-‐t-‐il laissés avec ce trésor ? C’est absurde ! -‐ Quand je reste au-‐dessus, je me sens toute bizarre… -‐ C’est vrai, moi aussi. J’ai la tête qui tourne -‐ Elle purifie l’air ! Ce que vous sentez, c’est l’oxygène. Vous vous rendez compte de ce que cela veut dire ? Si une pousse aussi minuscule que celle-‐ci est déjà aussi performante, imaginez des champs entiers de plantes d’un mètre de haut ! Quentin s’exaltait tout seul, avec de grands gestes comme pour mieux dessiner le rêve. -‐ Mais alors pourquoi il parlait aussi de la perte de l’homme ? Tempéra Anthony La remarque leur tomba dessus comme une douche d’eau glacée et les ramena à leur dure réalité. Des bruits de pas se firent entendre et des voix résonnèrent derrière la porte. Les enfants se serrèrent dans un coin en entendant la clé tourner. Trois hommes entrèrent, jetant un regard circulaire dans la pièce. Ils se désintéressèrent vite des enfants pour se ruer vers le coffret. Ils s’en emparèrent et repartirent aussi vite qu’ils étaient venus, laissant la porte béante. Un instant d’hésitation, et les quatre amis se précipitèrent à leur tour dans les escaliers, courant vers la liberté. Ce n’est que deux rues plus loin, qu’enfin ils ralentirent, le cœur battant encore la chamade. -‐ Quelqu’un comprend ce qu’il se passe ? Parce que moi, j’en perds mon latin, dit Laureline -‐ Parce que tu parles latin maintenant, se moqua son frère -‐ J’ai surtout la désagréable impression d’être un pion dans un jeu dont je ne connais aucune règle, se révolta Valériane. -‐ On a servi d’appât, j’en suis certain, lâcha alors Anthony. On s’est servi de nous pour attirer ces hommes jusqu’au coffret. Ils savaient exactement ce qu’ils allaient trouver dans la pièce avant même de l’avoir ouverte. -‐ En attendant, on a intérêt à rentrer vite fait. Car maintenant, je me demande si Judith avait vraiment l’autorisation des parents. Et si ce n’est pas le cas et qu’ils ne nous trouvent pas dans la chambre, on va avoir droit à une sérieuse remontée de bretelles ! -‐ Mais comment Judith a-‐t-‐elle pu faire cela ? Mes parents ne la fréquentent pas beaucoup, mais c’est quand même ma tante ! Quentin passa un bras protecteur autour des épaules de Valériane. « Va falloir que je les surveille ces deux-‐là » se dit Laureline. Mais Quentin enchaîna :
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-‐ Moi je ne rentre pas. Je veux comprendre ! Où est, à votre avis, le centre de recherche ? Et si vous vouliez faire disparaître définitivement quelque chose, comment vous y prendriez-‐vous ? Je ne vois pas de poubelles assez grandes pour y jeter le coffret -‐ Pour la première question, tu n’as qu’à te servir de ta boussole, gros malin. Pour la deuxième, c’est simple, nous balançons tout dehors ! Il y a un sas d’évacuation près de l’aérogare. -‐ Tout ? Mais c’est dégoûtant ! -‐ De toute façon, tout est dissous en quelques heures… On ne va quand même pas stocker nos détritus à l’intérieur, c’est répugnant ! -‐ J’ai l’impression que ce n’est pas gagné, la lutte contre la pollution, même avec des plantes miraculeuses, réalisa Quentin. Mais pour l’instant, le plus urgent est de sauver ce spécimen. Si nous les laissons faire, il n’y aura plus aucun espoir de guérir cette colonie un jour ! -‐ Je file au centre de recherche avec Valériane, continua-‐t-‐il, et toi, Laureline, tu pars avec Anthony à la décharge. Mais attention, vous repérez juste les lieux ! C’est là que tout a commencé et l’endroit semble particulièrement mal famé ! Alors pas de blague, vous ne jouez pas les aventuriers et vous êtes prudent. J’y serais bien allé, mais on doit faire vite et j’ai quelque chose que je voudrais vérifier pendant ce temps. On se retrouve à l’ambassade dans une heure ! -‐ Et évidemment, seule Valériane peut t’aider, n’est-‐ce pas ? Se moqua sa sœur. Et elle partit en courant avant que le coup de pied de son frère ne puisse l’atteindre, Anthony sur ses talons.
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Chapitre 9
Pendant que les deux plus jeunes filaient vers l’aérogare, Quentin suivait les instructions de sa boussole qu’il avait programmée, de façon un peu vaste, sur « Centre de recherche ». Il serait bien temps d’affiner une fois sur place. -‐ Qu’est-‐ce que l’on doit chercher ? Lui demanda Valériane. Tu penses à quoi ? -‐ Si le terreau a été importé, je suis presque certain que la plante a été créée ici, sur Antarius. Je n’y connais pas grand-‐chose en botanique, mais avec des propriétés aussi remarquables, j’en aurais au moins entendu parler. Valériane jeta un regard oblique à Quentin. Il était plus jeune, mais il l’intimidait presque parfois. On avait l’impression qu’il connaissait tellement de choses, toujours curieux et désireux de comprendre le monde. Bon d’accord, son côté Monsieur-‐Je-‐sais-‐ tout pouvait être exaspérant, mais en même temps, il était surtout heureux de partager ce qu’il savait. En attendant, elle ne voyait pas bien ce qu’ils pourraient faire. Ils n’étaient que des enfants quand même ! Ces deux-‐là, le frère comme la sœur, on avait l’impression que rien ne les arrêtait, que rien ne leur faisait peur. Plus encore, que rien ne les surprenait tout en gardant la capacité de s’émerveiller ! L’habitude de voyager, peut-‐être, de se fondre dans des mondes à chaque fois différents ? Son père lui disait que depuis que l’homme avait essaimé à travers l’univers, chaque colonie avait choisi des voies différentes, pris des options parfois radicalement opposées au point que l’on pouvait douter que tous descendaient de la même souche. Pour lui, cette diversité démontrait la richesse de l’humanité et expliquait son extraordinaire vitalité. Valériane n’y avait jamais vraiment réfléchi jusqu’à présent. Mais au contact de Quentin et de sa sœur, elle se mit à penser aux différences qui pouvaient existaient entre eux, et qui loin de les diviser, les rendait plus fort. -‐ En fait, quand on échange ce que l’on sait, chacun repart avec un peu plus. C’est comme si le savoir s’était multiplié par deux ! S’avisa-‐t-‐elle à voix haute. -‐ Si tu le dis, répondit Quentin, un peu surpris de la tournure des pensées de son amie. Mais pour l’instant, il faudrait surtout que tu me dises où est le département des sciences naturelles. -‐ La nature n’est pas vraiment au programme d’Antarius, s’esclaffa-‐t-‐elle, mais je vois ce que tu veux dire. Allons du côté des laboratoires d’ingénieries génétiques et du développement artificiel Ce fut au tour de Quentin d’éclater de rire, pensant au développement durable dont tout le monde se gargariser sur la terre, sans jamais vraiment en saisir la portée ou les implications. Redevenant sérieux, il se disait qu’un séjour à Antarius devrait être obligatoire pour chaque citoyen afin de mesurer les conséquences de l’irresponsabilité collective. Car malgré les paillettes, il comprenait maintenant l’air triste des Antariens revenant au pays, dans l’avion. Des êtres coupés de leurs racines, voilà ce qu’ils étaient ! Mais trêve de rêverie, le laboratoire se dressait devant eux. Au premier étage, des fenêtres étaient ouvertes. Il y avait du monde. Restait à savoir si c’étaient des gentils ou des méchants.
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Sans plus attendre, les deux amis poussèrent la porte. La porte du sas d’évacuation était dissimulée par deux pans de murs opaques, et Laureline et Anthony se tenaient devant elle, indécis. Il n’y avait personne. On voyait bien pourtant, à l’usure du sol, que les lieux étaient très utilisés. Peut-‐être parce que c’était l’heure de déjeuner. L’estomac de Laureline lui rappelait d’ailleurs bruyamment qu’ils auraient mieux fait de faire comme tout le monde, se mettre à table, même avec de frustrants alimédocs ! -‐ Allez, il faut aller voir, décida Laureline -‐ Tu es folle, s’écria Anthony, retenant son amie qui avait déjà la main sur la poignée, on ne peut pas entrer comme cela. Même dans le sas, des vapeurs toxiques peuvent pénétrer. Il faut s’équiper. Il y a ce qu’il faut dans ce placard. -‐ Super, quand on aura dix ans de plus, on pourra peut-‐être s’habiller avec ces combinaisons, soupira la fillette, découvrant la taille des vêtements. Mais en attendant, je ne vois pas bien à quoi cela nous servirait de porter ces trucs ! Ça suffit, on ne va pas rester les bras croisés espérant que le lapin nous apporte une tasse de thé pour grandir d’un seul coup ! On prend les masques, on ferme nos vestes le plus possible et on rentre les mains dans les manches, cela devrait suffire pour juste un coup d’œil, non ? Laureline avait déjà ajusté son masque, mis le dernier bouton, et se dirigeait d’un pas décidé vers le sas. Anthony essayait de suivre le rythme tout en se répétant, pour se donner du courage : « on ne va pas mourir là, on ne va pas mourir ! ». Et la porte se referma derrière lui avec un bruit désagréable de succion.
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Chapitre 10
Il avait fermé les yeux et se demandait ce qu’il ressentirait quand les toxines s’infiltreraient sous sa dérisoire protection. On lui avait tellement dit de ne jamais pénétrer là, ni même de s’en approcher. Le sas d’évacuation, c’était un peu le père fouettard d’Antarius, la menace d’une punition terrifiante pour ceux qui ne filaient pas droit. On disait du vaurien du quartier d’à côté « ah celui-‐là, il finira au sas » et les mères hochaient la tête d’un air entendu. Anthony passa sa langue sur ces lèvres desséchées. La sueur lui dégoulinait sur les yeux. D’un geste machinal, il passa la main. Son masque, bien trop grand pour lui, tomba. Il ouvrit la bouche pour lancer un long cri d’agonie, ouvrit les yeux… Et découvrit Laureline qui le regardait, au bord du fou rire. -‐ Si tu voyais ta tête, mon pauvre Anthony, je t’assure que pour le coup tu pourrais mourir… De rire ! Anthony était tellement stupéfait qu’il en oubliait de se vexer ! -‐ On n’est pas mort, finit-‐il par articuler -‐ Et bien si c’est la mort, ça me va. Encore qu’au niveau odeur, ce n’est quand même pas la joie. Il flotte une odeur de chaussettes mal lavées, c’est une horreur. On dirait la chambre de mon frère ! -‐ Mais, mais… -‐ Oh la chèvre, reprends tes esprits. Il ne faut quand même pas que l’on traîne. J’ai la tête un peu trop légère pour cela soit bien naturel. Cela ne te rappelle rien ? -‐ Si, dans le coffret. Mais je ne vois pas comment… -‐ Regarde, le coupa Laureline, derrière ces panneaux : on aperçoit le bout d’un coffret. Je suis certaine que le sas en est rempli. Mais ne nous attardons pas. J’ai hâte de raconter à mon frérot ce que nous avons découvert ! Le frère en question était au même moment en bien mauvaise posture : il s’était faufilé dans le laboratoire, tentant de déchiffrer les notes étalées ici ou là, de deviner le contenu des éprouvettes tenues au froid dans les frigos… Il furetait dans une salle emplie d’étranges appareils quand soudain la lumière s’alluma. Le laborantin venait contrôler les résultats. Quentin eu juste le temps de se dissimuler derrière un gros meuble de rangement. Hélas, l’homme semblait s’installer pour un long moment et Quentin ne voyait vraiment pas comment il pourrait sortir sans se faire remarquer ! Et Valériane, où était-‐elle ? Ils s’étaient séparés dès le début, Valériane préférant fouiller les bureaux. Elle avait décrété que les papiers devraient être plus compréhensibles à cet endroit pour une non scientifique comme elle ! Mais cela faisait déjà un bon moment, et Quentin craignait qu’elle ne débarque sans faire attention et tombe nez à nez avec le laborantin. Ce dernier continuait à faire ses relevés, sifflotant tranquillement. Cela plus tout autre chose exaspérait Quentin : Il ne se rendait pas compte que le sort du monde était en jeu. L’air, la matière la plus indispensable… Et l’autre qui prenait son temps… D’un seul coup, ce qu’il craignait arriva. Valériane, entra en trombe dans la pièce et se dirigea droit vers le laborantin !
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-‐ Salut. Dis-‐moi, tu peux me dire où sont les bilans des recherches sur la plante bouffeuse de toxines ? -‐ Mais, qui êtes-‐vous, que faites-‐vous ici ? Balbutia l’homme estomaqué -‐ Allez quoi, file-‐moi, un coup de main ! J’en ai marre, cela fait des heures que je cherche, que je ne comprends rien à ce qu’il se fait ici. Si je rentre bredouille, mon père va encore se moquer de moi. Elle s’était tournée, dos au mur, obligeant l’homme à s’éloigner de la porte et du coin où était réfugié Quentin. Admiratif devant le cran de son amie, Quentin en profitait pour s’extirper de sa cachette. -‐ Ben oui quoi, continuait Laureline en parlant à toute vitesse, noyant le pauvre laborantin sous un flot de paroles. J’ai parié avec mon père que je réussirai à savoir ce qui se tramait ici, sur quels secrets d’état vous travaillez. Il est journaliste mon père, et il aime bien aller fourrer son nez partout. Mais il dit que c’est un métier, que tout le monde ne peut pas mettre à jour les complots, et moi je lui ai… -‐ Mais grand dieu mademoiselle, calmez-‐vous ! Si votre père veut savoir ce que nous faisons, pas la peine de faire des coups tordus. Qu’il vienne, nous lui expliquerons tout, pas de problème ! -‐ Comment ça ? Ce n’est pas un labo classé top défense ? Pour la première fois, Laureline semblait décontenancé. -‐ Il a raison, fit alors une voix qu’elle reconnut aussitôt, terrifiée, Et vous jeune homme, relevez-‐vous. Un redresseur de torts comme vous ne peut se courber ainsi devant l’adversité, persifla le savant qui les avait kidnappés. Toujours aussi débraillé, l’homme se tenait devant la porte, ôtant toute idée de fuite. Il regardait les deux enfants avec un petit sourire indéchiffrable. -‐ Mon cher Victor, expliquez donc à nos deux invités sur quoi nous travaillons dans ce laboratoire. -‐ Bien patron. Eh bien c’est simple, nous étudions les différentes combinaisons possibles pour améliorer la consistance des alimédocs. Ce sont des recherches très importantes, s’anima le laborantin, car une étude démontre qu’à force de n’avaler que des pilules, les gens perdent l’habitude de mâcher. Les dents ne servant plus, elles finissent par se déchausser et tomber. Mais le plus grave, c’est que du coup la langue n’étant plus contenue, elle finit par prendre trop de place, l’élocution et la respiration s’en trouvent gênées. Et on se demande la perte du sens carnassier de nos congénères n’aurait pas une influence sur le fatalisme dont ils font de plus en plus preuves et si… -‐ Cela suffit, je crois qu’ils ont compris. Merci Victor. Allez jeunes gens, suivez-‐moi, il est temps que nous ayons une petite conversation.
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Chapitre 11
-‐ Décidément, vous êtes partout. En quelques jours vous avez mis une panique qui a mis de nombreuses personnes très en colère ! -‐ Qu’allez-‐vous faire de nous ? demanda d’une voix tremblante Quentin -‐ Il est bien temps de vous en inquiéter ! Vous n’êtes que de jeunes inconscients ! Mais qui avez réussi un sacré coup, vos parents peuvent être fiers de vous, se mit alors à rire le savant. Valériane et Quentin étaient complètement déboussolés, et leur stupeur augmenta encore quand le savant, qui les avait fourrés manu militari dans sa bulle, s’arrêta devant l’ambassade. Quelques minutes plus tard, tout le monde était réuni dans les salons privés du gouverneur. Il y avait les quatre enfants, leurs parents, mais aussi le savant et les trois hommes qui avaient dérobé le premier coffret et même Judith. -‐ Tout d’abord, commença Mme Luvier, je tiens à vous dire, les enfants, que nous sommes vraiment déçus de votre attitude. Les enfants baissèrent la tête de concert. Cela allait se gâter pour eux ! -‐ En effet, si nous vous avions demandé de rester dans votre chambre, c’était pour votre sécurité. Et vous nous avez désobéi ! -‐ Mais c’est Judith qui… -‐ Je sais, mais quand vous vous êtes échappés de la tour, vous auriez dû rentrer directement. Et toi, Quentin, comment as-‐tu pu laisser partir ta petite sœur toute seule ? Elle est rentrée dans le sas, te rends-‐tu compte ? -‐ Tu n’as pas fait ça, espèce de… Quentin s’était retourné vers sa sœur, réalisant ce qu’elle avait risqué. -‐ Il suffit. Cela étant, continua-‐t-‐elle, un sourire apparaissant sur son visage, il me faut bien reconnaître aussi que nous sommes tous très fiers de vous ! Vous ne l’avez pas fait exprès, mais vous avez mis le pied dans une fourmilière et mis une joyeuse pagaille ! -‐ Comment cela ? -‐ En fait, interrompit M. Luvier, il y avait plusieurs affaires qui s’entremêlaient et qui ne pouvaient se résoudre qu’en les prenant dans leur ensemble. La fluidité, songea Quentin, ici, tout est question de fluidité -‐ Tout est lié à la découverte de cette plante, dévoreuse de toxines. Mais comme toutes découvertes, c’est l’utilisation qu’en fait l’homme qui est véritablement importante. Il est évident que si cette plante peut changer non seulement la vie sur cette colonie, ses débouchés aussi ouvrent des perspectives absolument incroyables. Seulement voilà, un groupe de malfrats a décidé de s’approprier la plante pour un usage totalement commercial. -‐ « Il faut étouffer les monstres au berceau » s’écria Quentin.
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-‐ Non, bien au contraire. Cette association tentait lui de tuer toute possibilité pour un groupement privé de s’en emparer. -‐ Je ne comprends plus rien, s’énerva alors le garçon -‐ Réfléchis, reprit alors le père de Valériane. Imagine des gens détenant le pouvoir de créer des poches d’air pur, des zones à l’air libre, totalement dépourvue de contamination et les vendant aux plus offrants. Pire encore, ces mêmes hommes se rendant maîtres des circuits de recyclage et détenant ainsi pouvoir de vie et de mort sur la colonie entière. Que penses-‐tu qu’il se passerait ? -‐ C’est terrifiant, mais hélas tout à fait concevable, appuya Judith -‐ Mais le sas alors ? -‐ La meilleure manière de contre attaquer était de rendre publique et disponible tout de suite le fruit de ces recherches. Mais hélas, les choses étaient un peu embrouillées et tout le monde surveillait « Il faut étouffer les monstres au berceau ». -‐ Quelle idée de prendre un nom pareil, jura le journaliste. C’est d’un long et pas vraiment accrocheur. Comment tu veux placer ça trois fois dans le même papier ! -‐ C’est vrai qu’il faudra leur poser un jour la question, éclata de rire le savant. -‐ Bref, toujours est-‐il que ce sont eux que tu as surpris quand tu as débarqué. Ils ont commencé les plantations -‐ Il faudra quand même que les gens apprennent deux ou trois petites choses sur les déchets, ne put s’empêcher de glisser Quentin. -‐ Tu as raison, répondit en souriant le père d’Anthony. Ce n’est pas parce que nous avons une solution que cela va résoudre tous les problèmes ! Mais cela viendra, et un jour peut-‐être que je verrai mon fils courir dehors, ou mes petits enfants, il faut être patient pour panser les blessures infligées à notre terre. -‐ Et pourquoi nous avoir kidnappé alors ? -‐ Je reconnais que nous n’avons pas été très honnêtes avec vous, et que nous nous sommes servis de vous, admit Judith. Tout le monde surveillait tout le monde, et vous vous promeniez au milieu de tout cela. Nous ne l’avons pas prémédité, mais l’occasion était trop belle de faire passer à « Il faut étouffer les monstres au berceau » un nouveau plant,encore plus prometteur que les autres. -‐ Je le savais ! S’écria Anthony tout fier, je le savais que nous servions d’appâts ! -‐ Pas tout à fait, nous n’aurions jamais mis vos vies en danger. Mais, je reconnais que de vous savoir enfermé pendant quelques heures pouvait non seulement vous mettre à l’abri, mais aussi vous servir de leçon ! -‐ Oui, et finalement on a achevé de mettre le bazar partout : au labo, au sas. Comme quoi, ce n’est pas la peine de nous prendre pour des bébés, explosa Laureline. Tout le monde éclata de rire. La soirée se prolongea jusque tard dans la nuit, chacun voulant raconter sa version de l’aventure. Le puzzle était enfin assemblé et l’avenir s’annonçait sous les meilleurs auspices.
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Chapitre 12
Quentin et Laureline se dirigeaient lentement vers l’aérogare. Leur séjour s’achevait, et ils devaient repartir pour une nouvelle colonie. Le cœur lourd, ils guettaient un signe de leurs amis. Personne. Pourtant, leur aventure les avait rapprochés et ils avaient passé ces dernières semaines en permanence ensemble. -‐ Tu vois, faut pas s’attacher. On est toujours déçu, bougonna Laureline. -‐ Ce n’est pas vrai, il reste toujours quelque chose de beau. Mais je reconnais que j’espérais quand même… -‐ COUCOU ! Anthony et Valériane venaient de surgir, sautant dans les bras de leurs amis. -‐ On vous a fait peur, hein ? Vous pensiez que nous vous avions déjà oublié ! -‐ Et bien, pas de bol, vous allez nous supporter encore un peu -‐ Je ne comprends pas -‐ Je me demande combien de fois tu as dit cela depuis que tu es ici ? Remarqua Valériane. -‐ En fait, reprit Anthony, on voulait vous faire la surprise. On part avec vous pour quelques jours. Vos parents nous emmènent en vacances ! Le cri de joie des enfants résonna encore longtemps dans l’aérogare, alors que leur vaisseau s’était depuis longtemps arraché à l’attraction de la planète. Au bord du tarmac, une jeune pousse verte sortit timidement de la terre, comme nourrie par ce frisson d’amitiés. Marathon d’écriture les 15 et 16 septembre St Quentin la Poterie Sandrine Mosca
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