Sara Feki_Rapport de mémoire de fin d'études partie 01

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Dédicace

Je dédie le fruit de mes Cinq ans d’études à tous ceux qui ont cru en moi et tous ceux qui ont fait de moi la personne que je suis aujourd’hui...

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Remerciements

Je tiens à remercier mes encadrants, monsieur Andène Ben Néjma , Monsieur Moncef Fourati et Madame Safa Cherif pour leur encouragement et leur efforts .

J’adresse ma gratitude à ma famille pour leurs sacrifices ainsi que leur confiance en moi .

Je remercie mes amis qui ont contribué de près ou de loin à l’élaboration de ce mémoire.

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2 Sommaire Dédicace 2 Remerciements ............................................................................................................................. 1 Introduction ................................................................................................................................... 4 Problématique 5 Méthodologie ............................................................................................................................... 6 PARTIE I: ....................................................................................................................... 7 A LA QUÊTE DE LA MÉMOIRE, l’OUBLI ET L’ÉCRITURE ............................. 7 Introduction 7 Chapitre I : la dichotomie mémoire/oubli :. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 I.1.La phénoménologie de la mémoire/oubli ........................ 8 I.2.le paradoxe du devoir de la mémoire/oubli collectif .............. 10 Chapitre II : l’écriture de l’oublié . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 II.1. Le souvenir, écriture immatérielle de la mémoire/oubli : ......... 17 II. 2. De la mémoire orale à la mémoire écrite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18 II.3. L’écriture comme acte mémorial ............................ 19 Conclusion ................................................. 31 PARTIE II: LE PATRIMOINE OUBLIE .................................................................. 32 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 Chapitre III : le patrimoine national, victime d’oubli ........... 33 Chapitre IV : le site archéologique de Pheradi Majus . . . . . . . . . . . . 35 IV.1.Le justificatif du choix du site ............................... 35 IV.2.La mise en contexte du site . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 Conclusion 54 PARTIE III : LA RÉÉCRITURE DE PHERADI MAJUS. ...................................... 55 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 Chapitre V : la Stratégie de l’intervention ..................... 56 V.1. à l’échelle urbaine 56 V.2. à l’échelle architecturale ................................... 57 Chapitre VI : les esquisses de l’écriture ....................... 62 Conclusion 87 Conclusion générale ................................................................................................................... 88 Bibliographie............................................................................................................................... 91 Annexes 96

Introduction

Le passé, le présent et le futur, est une trilogie qui est sans limite clairement définit. Ainsi submergé du doute, l’homme se demande sur son orientation au sein de ces trois temporalités, mais une tel questionnement semble être intempestif surtout dans une époque où nulle réalité est constante ou déterminée. Néanmoins, il a schématisé ces instants selon un ordre chronologique et les a représentés par un trait fléché formé par des points correspondant à ceux de l’axe du temps. On les coïncidant avec des temporalités l’homme visualise ainsi le regard vers le passé comme régression, l’attachement au présent comme signe de vacuité projective et le futur comme étant une rêverie. Mais une telle abstraction risque de le désorienter d’une part et risque de défigurer une réalité, en perpétuel changement, au point de la contredire d’une autre part. En effet et bien que le futur soit rêvé, sa construction et sa formation ne peuvent pas être établie en se détachant des époques précédentes. Sa conception débute dans le passé, poursuit dans le présent et recommence de nouveau dans le futur. Dans ce cas on peut affirmer que jeter un clin d’œil vers le passé est loin être rétrograde mais bien au contraire c’est une action progressiste, car homme a besoin de se référer au passé, composer avec et l’interroger à travers la lecture de ces traces laissées par ces ancêtres. Ces traces vont constituer une base et un support pour se projeter dans le présent et dans et futur. Nonobstant, l’homme continue de marcher une voie unidirectionnelle. Sous l’apparente volonté d’évoluer, cette marche n’a plus de nom et mènera guère à l’atteinte du progrès qui ne pourra surgir que dans et la coexistence et la réconciliation entre le passé, le présent et le futur.

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Problématique

La question de la mémoire et de l’oubli a été évoquée et traitée dans divers domaines et champs de recherche. Plusieurs artistes, auteurs et philosophes se sont penchés sur cette question. Certains pensent que la mémoire est l’une des facultés d’arracher à l’oubli des histoires enfouies dans le silence, de mettre au clair des images refoulées et de les faire ressortir de l’obscurité, contrairement à l’oubli qui a toujours été perçu comme étant une faille, une défaillance et une incapacité qui a le gout de la marginalité et de l’insignifiant.

Suite à une telle confrontation avec ces deux forces majeurs, l’homme se trouve perdu et confus entre ce qui est vrai et ce qui est faux et remet en question l’existence même de ces deux notions en abordant cette dichotomie. Il est contrarié, à la fois, par sa capacité et son incapacité cherchant à instaurer un équilibre entre remémorer et oublier.

Il s’est avéré que l’homme aurait besoin de la mémoire comme de l’oubli ; Entre le besoin et le devoir de mémoire, l’homme se souvient de ce qu’il juge important dans son histoire afin d’assimiler son passé, maîtriser son présent et se projeter surement dans le futur ; «Le souvenir est un trait qui lie le présent au passé» Pierre Szalowski

En dépit de son importance, on remarque une certaine insouciance envers le passé, le plongeant dans l’oubli, un phénomène auquel la société Tunisienne n’a nullement échappé.

Cet oubli destructeur, dissocie et sépare l’homme de son passé. La mauvaise gestion et prise en charge de nos sites patrimoniaux, qui sont la traduction de notre passé et de notre histoire, en sont le témoignage de cette volonté d’oublier voir d’effacer ; Des actes inconscients vis-à-vis de ces traces porteuses du vécu humain ; Une inconscience qui est due, aussi, à un déficit en matière d’exploitation et de gestion de ces sites et en une absence de politiques et de stratégies d’intégration de ce legs dans une dynamique socio-économique locale, régionale et nationale.

A quelques exceptions près comme les sites de Carthage, Dougga ou Kerkouane, la majorité de nos sites archéologiques sombrent dans l’oubli ; Jektis, Cillium, Haidra, Pheradi Maius et plusieurs autres sites qui ont meublé l’histoire la Tunisie et qui ont fait de notre pays un berceau des civilisations se trouvent aujourd’hui voués à leur propre sort, ignorés et oubliés ; Un oubli qui ne modifie guerre le passé mais qui affecte le présent de l’homme, perturbe son appartenance et menace son ancrage culturel.

Comment faire pour remédier à cet oubli et stimuler l’action de se souvenir ? Par quels moyens peut-t-on réactiver l’acte de se souvenir ?

Pheradi Majus en est un exemple frappant. Ce site archéologique qui a marqué et façonné l’his-

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toire du sahel et de la Tunisie demeure aujourd’hui méconnu et délaissé.

Cette cité autrefois prospère, dotée d’une grande renommée à l’époque préromaine pour son activité agricole et industrielle et le trésor découvert sur les lieux en est une preuve, a amplement participé à la création et au développement d’un savoir-faire haussé au niveau du génie humain se trouve, aujourd’hui, complètement oubliée.

Comment peut-t-on réécrire le souvenir oublié de Pheradi Majus, réinvestir et intégrer ce lieu dans une dynamique socio-économique sans perturber son authenticité et le réinscrire dans la mémoire individuelle et collective ?

Comment l’Architecture pourrait stimuler la mémoire et faire éviter l’oubli ?

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Méthodologie

Ce mémoire est axé autour de trois volets:

La première partie : A la quête de la mémoire, l’oubli et l’écriture

Dans cette partie on se propose dans un premier temps de comprendre la phénoménologie de la mémoire , décortiquer la notion de l’oubli et on cherche à comprendre leurs caractères et la nature de leur relation sous différents angles et sur divers plans. Dans un deuxième temps, on se propose d’examiner la notion de l’écriture, voir son rapport avec le souvenir collectif et son apport vis-à-vis ce dernier. On cherche également à analyser ses formes et ses manifestations.

La deuxième partie : le patrimoine oublié

Dans cette partie on se propose de positionner le patrimoine dans le souvenir collectif de la société ainsi que celui de l’État et déterminer à quel point s’agit-t-il d’un souvenir oublié. Dans un deuxième instant on cherche à mettre l’accent sur l’importance de se souvenir du patrimoine à travers le choix d’un cas d’étude d’un patrimoine archéologique qui est le site archéologique Pheradi Majus. On vise également à analyser ce site afin de dégager ses potentialités et ses limites.

La troisième partie : la réécriture de Pheradi Majus

Dans cette partie on cherche à décortiquer et dévoiler les caractéristiques de la réécriture de Pheradi Majus, une écriture nouvelle qui doit instaurer son souvenir dans la mémoire individuelle et collective. Pour cela on va se baser sur l’analyse de quelques références afin de dégager les concepts avec lesquels on va travailler notre intervention.

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PARTIE I:

A LA QUÊTE DE LA MÉMOIRE

l’OUBLI ET L’ÉCRITURE

Introduction

Voyager dans une temporalité passée c’est admettre en quelque sorte que le temps passé existe encore et qu’il n’est pas encore passé. Rendre possible l’impossible demeure faisable dans le cadre de la fiction par le biais de la machine à remonter le temps. Estomper toute limite frontière et temporelle nous offre l’opportunité de revisiter, revivre et expérimenter à nouveau notre histoire et celle de nos ancêtres. Elle nous transporte âme et corps à travers un voyage spatio-temporel dans l’univers des émotions et des sensations afin de raviver notre souvenir,créer d’autres nouveaux,réécrire notre histoire et la préserver contre l’oubli.

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Chapitre I : la dichotomie mémoire/oubli :

I.1.La phénoménologie de la mémoire/oubli

Plus les mots sont simples, plus le questionnement sera complexe, en apparence les mots mémoire et oubli paraissent des mots familiers dont la définition semble très facile, elles désignaient les deux bornes de l’intervalle variant entre la capacité et l’incapacité. Les deux notions avaient une valeur symbolique jusqu’ à être personnifiées dans la mythologie grecque, Léthé ou oubli ,désigne d’une part, la fille d’Eris ,la déesse de la discorde, et d’une autre part le fleuve Léthé, l’un des Cinq fleuves d’enfers dit fleuve de l’oubli. D’après le mythe, les âmes étaient prisonniérs depuis longtemps aux enfers et elles ont obtenu la faveur de redevenir sur terre à condition qu’elles boivent des eaux du Léthé qui assurent la suppression des souvenirs de leur ancienne vie. La mnémosyne la déesse de la mémoire, inventaire du langage et des mots. Quant’à Platon il l’avait mythifié en un ‘‘savoir prénatal’’ dont on est séparé suite à l’inauguration de l’âme dans le corps. Dans ce sens, retrouver le souvenir c’est réapprendre ce qui a été oublié. Mais cette répétition du fait d’apprendre nous mène quelque part vers ce qu’on appelle l’habitude.

Le souvenir et l’habitude sont deux manifestations de la mémoire et c’est pour cela qu’on peut distinguer deux formes de mémoire ‘‘la mémoire habitude’’ et la ‘‘mémoire souvenir’’, les deux ont un rapport direct avec le temps, il s’agit d’acquisition et de stockage d’informations dans un moment passé et bien déterminé, la différence réside par contre dans le mode de marquage tempore

La mémoire habitude, est une mémoire qui nous renvoie à ce qu’on a l’habitude de faire, à des faits appris ou vécus tel que la lecture, l’écriture, la pratique sportive ou même la rencontre d’autrui. Ces actes sont incorporés dans notre vie quotidienne et ne font pas référence à l’antériorité, autrement dit, ils sont marqués dans notre présent. La formation de cette mémoire est basée sur deux axes majeurs : le premier axe c’est le caractère répétitif de l’objet, qu’il soit tangible ou pas, tel que l’illustrent les répétitions symphoniques, les répétitions dans un terrain de foot ou encore l’appréhension et la mémorisation d’un cours d’histoire.

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figure 1:La mémoire habitude (source: illustration personnelle).

Le deuxième axe vise la mêmeté de l’apparition et de la réapparition car «choses et gens ne font pas qu’apparaître, ils réapparaissent comme étant les mêmes.»1 Pareillement les noms propres , les chiffres ou encore l’alphabet qui ne changent pas et qui gardent leur même caractère et signification. Dans le cas de figure d’une sortie ou une rencontre, qu’on a l’habitude de programmer chaque dimanche, on ne peut pas parler du caractère de la mêmeté car elle change en fonctions des personnes, du cadre spatio-temporel et autres, donc le critère change en un caractère d’unicité ou de similarité. Formant une unité indépendante la mémoire et l’habitude, sont liées l’une à l’autre et elles se complètent afin de fournir la continuité du phénomène mnémonique.

Contrairement à la mémoire habitude, la mémoire souvenir, fait référence à un évènement vécu ou une acquisition dans le cadre d’une temporalité antérieure autre que celle actuelle, elle est déclarée comme passée. Le fait de se remémorer de ses souvenirs, et de parcourir notre cerveau pour retrouver certains tel une expérience spécifique, une réussite scolaire, ou un accouchement, semble être similaire à l’acte de regarder un album de photos souvenirs ,on parle d’image, d’eikon dans la culture grecque. Une transposition du réel sans le défigurer, il s’agit bien d’ «une représentation, et une représentation seulement »2 une représentation de ce qui a été présent auparavant , c’est à cette mémoire qu’on va s’intéresser. Dans le but de comprendre son association avec l’oubli qu’on ne peut nier l’existence

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1Paul Ricœur, la mémoire, l’histoire, l’oubli, Édition du seuil, pg 28. figure 2:La mémoire souvenir (source: illustration personnelle). 2 Henri Bergson, Matière et Mémoire, p226 figure 3:La comparaison de la mémoire habitude / souvenir (source: Schéma personnel).

La mémoire et l’oubli sont deux notions intrinsèquement liées, comme le «Yin et Yang»,comme «ombre et lumière, court et long, noir et blanc ne peuvent être connus que dans une relation de l’un à l’autre…il n’y a pas d’opposés ,uniquement des relations et des degrés.» 3. En vue de déchiffrer cette énigme phénoménale et comprendre le processus de formation des souvenirs, on doit mener une analyse simultanée sur les deux concepts, découvrir celle ou celui qui est à l’origine de l’autre et dévoiler la nature de la relation qui les unit.

L’oubli peut être à l’origine de la mémoire car il précède le phénomène de mémoration. En effet la formation des souvenirs ne se découle que suite au processus de l’oubli si on peut se permettre de le qualifier ainsi. On peut constater l’existence d’une action de simultanéité entre les deux : La mémoire est toujours oubliée sans cesse pour être refaite, et refaite pour être oublié à nouveau.

Peut-t-on dire que l’oubli est un souvenir, un souvenir d’oublier qui n’a jamais été oublié ?

Peut -t-on affirmer que garder la mémoire c’est garder l’oubli ?

Évoquer l’unicité du couple mémoire/oubli, ou encore la percevoir comme « la force plastique par excellence »4 comme le considère Nietzsche, témoigne d’une relation de complémentarité où l’un agit en fonction ou en faveur de l’autre. La preuve c’est que les souvenirs «…sont façonnés par l’oubli comme les contours du rivage par la mer »5 .L’oubli est la facette cachée de la mémoire, par le bais du souvenir, la mémoire fait appel à un objet qui est tout de suite présent comme signe de son absence dans l’instant présent.

L’oubli est loin d’être alors un vide, un trou de mémoire ou encore le négatif de la mémoire. Les deux sont combinés astucieusement pour assurer le fonctionnement du système cérébral, l’un a besoin de l’autre pour accomplir le déroulement du phénomène mnémonique pour satisfaire et combler les besoins de l’être humain.

figure 4:La limite entre la mémoire et l’oubli (source: illustration personnelle).

4 Nietzsche, la généalogie de la morale, 3eme Edition, SOCIETE DV MERCVUE DE France.

5 Marc Augé,les formes de l’oubli.

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3 J.R Dos Santos, la formule de dieu ,HC éditions, pg499.

Pourquoi l’homme a autant besoin du déroulement du phénomène mnémonique ?

Est-ce que c’est un besoin de mémoire ou un besoin d’oubli ?

Un équilibre, une combinaison de mémoire et d’oubli pour le bien-être de l’homme. La mémoire est l’unique et le seul outil qu’on dispose pour nous renseigner sur le passé car « Nous n’avons pas mieux que la mémoire pour signifier que quelque chose a eu lieu »6. Grâce à elle on peut se rappeler de nous-même c’est-à-dire de notre identité, des bons moments passés dans un présent triste, de nos ancêtres et de leur expérience pour en tirer des leçons et ne pas reprendre leurs erreurs. C’est à l’échelle de l’individualité que la mémoire se transforme, en quelque sorte, en un moyen de réconciliation avec le présent et le passé lui-même.

Perçue à l’échelle de la collectivité, la mémoire a un rôle important dans la construction identitaire, En effet c’est la base et l’assise fondamentale de l’histoire, elle est à son tour construite grâce aux souvenirs collectifs et aux témoignages vérifiés et non falsifiés. Bien que la mémoire se dévoile parfois trompeuse et non fiable, l’homme éprouve une nécessité envers elle et cherche toujours sa perfection.

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6 Paul Ricœur, la mémoire, l’histoire, l’oubli, Édition du seuil, pg26. figure 5:La formation du souvenir (source: pinterest+travail personnel). figure 6: La mémoire collective (source: schéma personnel).

C’est un cas extrêmement dangereux pour la mémoire, où l’oubli est absent. C’est une mémoire destructrice, imaginez que vous ne pouvez pas oublier, que votre cerveau est toujours en état de fonctionnement et il se rappelle de tout comme est le cas pour le personnage, Faune, de la nouvelle fantastique«Funes the Memorious»7, un personnage qui a été affecté par une malédiction de se rappelle quasiment du tout . Ici la mémoire est loin d’être une capacité miraculeuse, au contraire il s’agit bien du «syndrome hyperthymésique»8. Il faut que la mémoire maintient toujours le dialogue avec l’oubli, un oubli conçu par Nietzsche tel que ‘un pouvoir’ et ‘une faculté d’enrayement’.

En dehors de toute perspective historique, cette capacité trouve sa place parmi les pivots du bonheur. En effet l’abstraction de certaines émotions malheureuses, qui nous surgissent suite à la mort, la maladie ou l’échec, nous accorde l’opportunité de s’évader et de s’épanouir tout en profitant de l’instant présent. Cette évidence apparait plus claire en comparant l’existence humaine à celle animale. On voit que l’inaptitude de l’animal à créer des souvenirs ou de se rappeler qu’il risque la mort à chaque instant, lui permet de vivre dans la sérénité absolue.

A la différence de l’animal, l’être humain se trouve dans l’obligation ainsi que le besoin de se rappeler de telles ou telles choses malheureusement pour lui, ce qui n’est pas toujours le cas. Peut-être c’est pour ça qu’on dit qu’« il y a quelque chose qui fait que le bonheur est un bonheur : la possibilité d’oublier...»9.Dans cette situation, l’oubli semble être une temporalité, une force d’habiter le présent et ne pas se soucier du passé malheureux. Bien que l’oubli est omniprésent et qu’il est une nécessité incontournable, notre ancrage au présent reste tributaire du passé, ce passé qui est à la fois mémoire et histoire.

7 Funes the Memorious est une nouvelle fantastique de l’ écrivain argentin Jorge Luis Borges (1899–1986).

8 Désigne une condition psychologique extrêmement rare caractérisée par une capacité exceptionnellement supérieure à accéder à des souvenirs autobiographiques(wikipédia)

9 Nietzsche, la généalogie de la morale, 3eme Edition, SOCIETE DV MERCVUE DE France, pg80.

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figure 7:La différence entre l’homme et l’animal (source: illustration personnelle).

L’histoire est une forme de mémoire, qui doit être au service de la vie et non pas l’inverse, il faut partir de la force du présent pour entrevoir le présent et le futur. C’est dans cette mesure que l’oubli est envisageable, il nous offre l’opportunité d’agir en faveur des nouvelles générations, il nous accorde la possibilité d’action tout en nous délibérant de nos instincts et du poids par lequel on est toujours accablé, celui de nos coutumes et de nos traditions. En revanche cet oubli peut se transformer en une faiblesse et une lacune, il devient destructeur s’il affecte la totalité de notre passé ou de notre présent, où l’homme devient atteint de «la fièvre historienne»10, il cède complètement à l’homme historique à l’intérieur de lui et demeure son prisonnier pas le bais de la mémoire anarchisante.

L’homme devient ainsi incapable de mieux faire du passé au bénéfice du présent Pour que ‘l’homme devient homme’ il doit témoigner d’historicité et d’an-historicité à la fois, il est redevable d’une part de trouver l’équilibre entre son héritage historique et son utilisation à l’instant présent, d’autre part il est redevable d’envisager ‘‘l’oubli momentané de l’oubli’’ parmi ses stratégies d’action car « Il arrive pourtant parfois que cette même vie qui a besoin de l’oubli exige la destruction momentanée de l’oubli »11 Cette perception assure la bonne compréhension de l’histoire enracinée dans son présent et elle a comme but l’amélioration et non pas sa momification.

10 Nietzsche ,considérations inactuelles I et II, Gallimard.

11 Nietzsche, la généalogie de la morale, 3eme Edition, SOCIETE DV MERCVUE DE France, pg101.

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figure 8:Entre la mémoire et l’oubli(source: schéma personnel).

I.2.le paradoxe du devoir de la mémoire/oubli collectif

La mémoire/oubli collectif est à l’origine une création purement individuelle et personnelle, propre à chaque personne. Comment peut-on alors envisager la mémoire/oubli sous l’angle de la collectivité et même parler d’un devoir? Comment la transition de l’échelle individuelle à celle collective est-elle assurée? L’homme est un être social par excellence, il ne peut ni résister à l’exil ni vivre éloigné des autres, c’est sur cette base que la création du souvenir prend forme. L’émergence d’un souvenir est impossible en dehors de tout cadre spatial, temporel et surtout social.

Au mépris de son caractère individualiste, le souvenir témoigne de la collectivité c’est-à-dire qu’il est visualisé dans le temps et dans l’espace, en présence des autres, entre eux, avec eux et par rapport à eux. Cela justifie bien évidement que nos pensées et « nos idées, nous viennent des autres. »12. Mais ça n’empêche pas que le souvenir a un caractère personnel car sa perception doit obligatoirement passer par la subjectivité de l’individu et d’ailleurs il se souvient en fonction de ce qu’il est. On peut citer à titre d’exemple la religion ou encore la nationalité comme preuve du caractère individuel et collectif de la mémoire.

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figure 9:L’émergence du souvenir (source: illustration personnelle. figure 10:Le souvenir collectif (source:: illustration personnelle).

En dépit de l’importance de la mémoire et de l’oubli individuels, l’instance collective ne peut pas échapper à un statut de besoin et de nécessité pour le bien et la santé d’un peuple. Cette entité collective, oscillant entre la mémoire et l’oubli, permet au peuple de justifier sa vision en se référant au passé, de fournir des preuves et des alibis à ses actions. Elle l’aide à tisser son identité en reconnaissant ses antécédents et à faire partie de celle de ses précédents. La collectivité doit se remémorer, de tous ceux qui ont été là, à la faveur du progrès humain elle doit être reconnaissante à leur pouvoir et leur génie, car elle est ici aujourd’hui, quelque part, grâce à eux. La connaissance de leur histoire va illuminer le chemin vers la réécriture de la nôtre. Une nouvelle histoire écrite sous l’ombre de celle passée tout en regardant vers le futur, une histoire qu’on tend à immortaliser. Sous l’action de la mémorisation et l’oubli, des souvenirs restent et d’autres s’envolent. L’homme est redevable d’immortaliser la mémoire des souvenirs qu’il juge importante, de la protéger contre l’oubli. C’est ce qu’on appelle le devoir de la mémoire/oubli.

figure 11: Le devoir de l’homme (source: schéma personnel).

Un tel besoin approuvé par la collectivité, peut se transformer en un devoir imposé dans la mesure où il devient couplé d’un but politique ou idéologique. C’est-à-dire que la mémoire demeure anesthésiée et manipulée, elle se trouve dans l’obligation de se remémorer des faits et d’en oublier d’autres sans être nécessairement consciente. Peut-t-on dire qu’il s’agit d’une mémoire abusée ?

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A cause du doute et de la vulnérabilité provenant du rapport entre le souvenir d’une chose absente, sa présence dans le présent et sa représentation, la Mémoire devient sujette à des formes d’abus, par conséquent l’oubli : « Trop de mémoire, dans telle région du monde, donc abus de mémoire - pas assez de mémoire, ailleurs, donc abus d’oubli. ». 13

En se référant à Paul Ricœur on peut distinguer deux types de mémoire/oubli abusées, la mémoire/oubli manipulée et la mémoire commandée /l’oubli institutionnel.

La mémoire manipulée est une mémoire maniée sur le plan idéologique par ceux qui détiennent le pouvoir tel que l’état par exemple, c’est une mémoire imposée dans le sens où elle est enseignée par cette dernière. Elle a pour but non pas la quête de la vérité mais plutôt le bien : légitimer les autorités du pouvoir en place, ou établir la paix sociale. C’est « une manipulation concertée de la mémoire et de l’oubli par des détenteurs de pouvoir. » 14 comme la considère Paul Ricœur.

Cette manœuvre est basée principalement sur le détournement au niveau de la fonction narrative d’un récit ou d’une histoire constitutive de la mémoire. Le tour est joué lors du passage de l’histoire officielle à l’histoire apprise jusqu’à atteindre celle célébrée, c’est « Un pacte redoutable se noue ainsi entre Remémoration, mémorisation et commémoration. »15

13 Paul Ricœur, la mémoire, l’histoire, l’oubli, Édition du seuil, pg 98.

14,15, ibidem, pg 97.

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figure 12:La vulnérabilité du souvenir (source: illustration personnelle).

La mémoire dans ce contexte deviendra un point faible et fragile face à la question de la constitution de l’identité qui est mise en jeu à l’égard de l’idéologisation de la mémoire à travers le récit dispose d’une fonction sélective qui nous a permis de remémorer quelques faits signifiant la gloire pour les uns et certainement l’humiliation pour d’autres, en revanche, cette fonction a balisé le chemin vers l’oubli : s’il y a une histoire remémorée et commémorée, il y aura par conséquent une autre oubliée car « Raconter un drame, c’est en oublier un autre.

» 16

La mémoire manipulée trouve sa contrepartie dans l’oubli manipulé qui se manifeste sur deux niveaux : l’oubli passif qui désigne le trop peu de mémoire par rapport à quelque chose, et l’oubli actif qui est en rapport avec la volonté d’ignorer le passé traumatique tel est le cas pour les guerres. Cette mémoire est dangereuse, elle joue le rôle d’une part d’un frein à la construction de l’identité et d’une autre part d’un moteur d’obsession comme le cite Henry Rosso dans son livre « le syndrome de vichy » où il a parlé de l’obsession de la France de son passé et comment vichy, ce régime politique instauré en France, durant la seconde guerre mondiale, demeure un sujet d’actualité jusqu’à aujourd’hui.

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ibidem, pg 104
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figure 13:Le récit sélectif (source: illustration personnelle). figure 14:La mémoire/oubli manipulé (source: schéma personnel).

Contrairement à la mémoire manipulée, la mémoire est dite obligée dans le cas où l’état oblige et force son peuple à l’oubli ou à la remémoration d’un fait afin de mettre fin aux désordres civils. La mémoire obligée trouve sa contrepartie dans l’oubli institutionnel commandé où ce qu’on appelle l’amnistie. D’origine grec, le terme amnistie désigne une notion pénale basée sur l’oubli des faits du passé et l’interdiction de leur évocation. Ça peut être bénéfique dans certaines situations mais ça peut aussi se tourner en une catastrophe dans la mesure où cet oubli conclut de graves désordres politiques affectant la paix civile, épisodes révolutionnaires, changements violents de régimes politiques, que«l’amnistie»17 est censée interrompre.

figure 15:La manipulation(source: illustration personnel).

Cette obligation se transforme parfois en un devoir, un « devoir de rendre justice, par le souvenir, à un autre que soi. »18 qui intègre à la fois et la notion de justice et celle de dette vu qu’on est redevable à ceux qui ont été pour ce qu’on est aujourd’hui.«Devoir de mémoire …entretient le sentiment d’être obligé à l’égard de ces autres dont nous dirons plus loin qu’ils ne sont plus mais qu’ils ont été. Payer la dette, dirons-nous, mais aussi soumettre l’héritage à inventaire.»19.

Quelles sont les finalités de cette amnistie, est ce que c’est la recherche du pardon, de vérité ou de la raison d’état ?

17 Acte du législateur qui efface rétroactivement le caractère punissable des faits auxquels il s’applique (lAROUSSE)

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Aristote, éthique à Nicomaque, livre V.
Paul Ricœur, la mémoire, l’histoire, l’oubli, Édition du seuil,pg108.
figure 16:Le récit sélectif (source: schéma personnel).

On remarque que l’obsession est le point commun entre les deux mémoire/oubli abusés, la différence réside dans la manière de faire : la mémoire manipulée procure cette obsession du passé à travers la manipulation idéologique en se basant sur la sélectivité narrative tandis que la mémoire obligée la procure à travers la direction de la conscience.

Le détournement du vrai sens du devoir de mémoire, est un abus de la mémoire/oubli dont la finalité maléfique est l’obsession commémorative. A ce stade la légitimité de ces constructions est remise en question.

Est ce qu’ils sont vraiment le résultat d’une mémoire/oubli collective vérifiée et approuvée ou plutôt le fruit d’une mémoire/oubli collective où les souvenirs du passé ont été sélectionnés et rectifiés ?

Loin de toute opération de falsification ou de détournement du but de la remémoration du passé sous le prétexte politique idéologique, le devoir de mémoire/oubli reste un besoin indispensable au progrès de l’humanité.

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figure 17:La mémoire et l’oubli abusés (source: schéma personnel).

Chapitre II : l’écriture de l’oublié

II.1. Le souvenir, écriture immatérielle de la mémoire/oubli :

Attaché à une temporalité, un cadre spécial, un cadre sociétal, et loin de toutes formes d’abus, le devoir de la mémoire/oubli exercé par la collectivité a pour finalité la formation d’un héritage collectif immatériel. La mémoire dans ce cas est loin d’être un simple réceptacle, mais plutôt elle se réapproprie les évènements du passé d’une manière volontaire et les réinterprètent.

Cet héritage est une série d’images mentales, il est visualisé sous forme d’une histoire dont le personnage principal est un souvenir provocateur d’autres souvenirs et c’est entre leur réalité et leur fantaisie, leur succession et leur enchevêtrement que cette histoire prendra forme. C’est un récit qui ne peut pas être écrit sous l’absence de la trace, la trace qui désigne à la fois l’alpha et l’oméga, le perceptible et le non perceptible et la cause et la conséquence.

C’est dans cette mesure qu’on parvient alors à dire que le souvenir collectif est une écriture, une écriture intangible et immatérielle. Elle est perçue, donc dans ces conditions, comme étant une finalité, un but atteint suite à l’exercice d’un devoir en dehors de toute manipulation. Derrière cet acte de remémoration, se dessinent des enjeux multiples. En effet et en dépit de l’infaillibilité absolue, ce souvenir joue un double rôle vis-à-vis de l’homme et de l’humanité, on désigne là par l’humanité le verseau culturel qui peux régresser ou progresser.

D’une part, ce souvenir procure un sentiment d’appartenance et de sérénité à l’individu et d’une autre part c’est le télescope temporel de l’humanité qui leur accorde la possibilité d’assimiler le passé et de prévoir le présent et le futur. Un souvenir oublié du passé ne change pas le passé mais perturbe bien évidement le présent, c’est dans cette mesure qu’il doit être sauvé de l’oubli. Nonobstant l’importance de ce souvenir collectif, il doit son inscription dans la limite de l’oralité, la transmission, l’intergénérationnel et le morcellement territoriale. Le caractère immatériel de ce dernier fait de lui un otage de la collectivité qui le fabrique, il risque la disparition ou le changement avec la mort de cette communauté tant qu’il reste dans ce cadre de l’intangibilité. Même en ignorant cette hypothèse, sa transmission est toujours remise en question car la simple audition ne garantit guère ni sa légitimité ni sa persistance sous sa version authentique.

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En outre il est prisonnier du contexte socio-géographique dans lequel il s’inscrit et sa connaissance ne se fait pas en dehors de ce dernier, sa perfusion et sa diffusion semblent être difficiles ou même impossibles. Dans cette éventualité, la concrétisation de ce souvenir collectif parait être une des meilleures tentatives exécutées par l’homme.

Comment l’homme a-t-il pu réécrire ce souvenir collectif et par quel moyen il l’a matérialisé dans l’intention d’assurer sa compréhension, garder sa légitimité, maintenir sa transmission et le faire ressortir de l’oubli ?

L’homme essaye de répondre à ce mystère d’écriture cérébrale par le biais de l’écriture en elle-même. Dans ce cas de figure, l’écriture a une double vocation, à la fois moyen et finalité, problème et solution, ou encore question et réponse à l’oubli collectif d’un souvenir. C’est ce qu’on appelle la réécriture. L’immortalisation d’un souvenir collectif se réalise à travers la réécriture de ce dernier sous une nouvelle forme , une forme qui se repose sur les piliers de la matérialité. Ce nouveau aspect d’écriture va le situer ou encore le graver dans un axe social , spatial et temporel bien défini et par la suite tracer son chemin vers l’éternité.

La corrélation entre l’écriture et le souvenir semble être évidente, néanmoins son fondement sur le pouvoir de la mémoire, celui de stocker et d’agencer les informations, nous renvoie à la noblesse de cette écriture et nous dévoile progressivement sa deuxième facette cachée, celle de son aptitude à raconter une histoire et à fournir un vécu, celle d’une capacité qui est loin d’être un pouvoir inerte.

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figure 18:Les limites du souvenir (source: travail personnel).

Par le biais de sa réécriture, la mémoire sera écartée de son statut d’archive, elle ne sera plus réduite à des informations emmagasinées et à une simple transcription et transposition d’un passé refroidi et contrairement à l’écriture mnémonique, l’écriture dans ce sens prévoit la mise en scène du souvenir ainsi que sa continuité extra-corporelle.

Une fois concrétisé et réécrit, ce souvenir collectif n’est plus remis en question, bien qu’il ne soit pas dénoué totalement de la subjectivité de celui qui l’évoque, le souvenir sera réapproprié et matérialisé dans un rapport objectif. En outre, l’objectivité trouve ses origines dans le fait qu’on peut apercevoir et examiner tout changement ou redéfinition du souvenir de la collectivité vu qu’on a une référence matérialisée au préalable qui témoigne de la version première, et les risques de manipulation seront minimisés. figure 19:Les formes de l’écriture (source: illustration personnelle).

L’écrit dote la trace mémorielle d’une dimension perceptible, atemporelle et universelle, des dimensions que l’oralité certainement n’en dispose pas. Cet écrit intervient au niveau de la médiation, transmission et la persistance temporelle, il facilite l’accès à ce souvenir enfoui contrairement à la mémoire qui se manifeste parfois inapte de se rappeler de telle ou telle chose. En disposant d’un support écrit, les traces immatérielles seront conservées et exploitées en faveur de ceux et celles qui les méritent, les traces matérielles seront enrichies et renouvelées en permanence.

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La réécriture est une arme à double tranchant elle doit être présente au service et en faveur de la mémoire, c’est une mémoire secondaire qui tend à augmenter nos capacités mémorielles et diminuer celles de l’oubli sans pour autant remplacer la mémoire biologique, ni l’atrophier ou la défigurer. Elle est redevable d’être présente mais sous le prétexte d’une annexe. Bien que la réussite d’une écriture reste tributaire de sa pertinence en premier lieu, elle revient en deuxième lieu à la collectivité et à sa capacité de lire.

figure 20:Les caractéristiques de l’écriture matérielle et immatérielle (source: schéma personnel).

Jusqu’à maintenant l’écriture a été évoquée au sens le plus large du terme, elle se manifeste surement sous des formes et des aspects variables. Comment peut-t-on réécrire le souvenir et quelles seraient les formes d’écriture les plus adéquates qui nous aideront à se remémorer d’un souvenir collectif oublié ?

II.2. L’écriture comme acte mémoriel

Durant les dernières décennies, l’homme a souvent laissé une trace derrière lui volontairement ou accidentellement, et il a essayé de prolonger la vie de son souvenir en dehors de tout oubli à travers une visualisation extra-corporelle. Le souvenir a une double vocation, il est à la fois la base de l’écriture et le résultat de celle-ci. On écrit en se référant à des souvenirs et on écrit également dans le but de les conserver et les protéger contre l’oubli. L’écriture s’étale sur un champ très vaste et elle se manifeste également sous diverses formes.

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II.2.1. L’écriture de l’histoire :

L’homme a utilisé le langage pictural à l’égard des peintures, des gravures, des «pictogrammes» 20et des «idéogrammes»21 C’étaient les fondements des pratiques de l’écriture.

L’écriture est définie comme étant un système de signes, une forme de communication orale médiatisée et matérialisée et un mode alphabétique dont le résultat est un texte. L’apparition de cette novation figure parmi les causes d’un changement radical en faveur de l’humanité, une grande révolution, un repère déterminant dans l’axe du temps et séparant la période préhistorique de celle historique. Elle est devenue une arme indispensable au progrès humain et devient un facteur constitutif d’un point de vue social qui a largement participé à la structuration d’une civilisation.

L’histoire n’existait que grâce à la mémoire en premier lieu, mais elle ne persistait que grâce à l’écriture. En dépit de leur ressemblance en terme de faculté de conservation des traces du passé, il ne faut pas confondre histoire et mémoire. Bien qu’elles soient étroitement liées l’une à l’autre, on peut distinguer entre Clio la muse de l’histoire et sa mère Mnémosyne déesse de la mémoire dans la mythologie grecque.

Quel est le rapport entre la mémoire et l’histoire ?

figure 21:L’histoire et la mémoire (source: illustration personnelle).

L’histoire n’est qu’un aspect de la mémoire, une extension de celle-ci, elle trouve ses racines dans les témoignages et les souvenirs d’une collectivité. L’historien, qui ne cesse de la sculpter et de la réécrire en fonction des données concrètes et des faits scientifiques. Ainsi, l’histoire acquiert sa légitimité et sa scientificité. Bien qu’elle soit une interprétation d’un souvenir consubstantiel parfois subjectif et fictif, elle a fait preuve de certitude et d’inconvertibilité de certains faits et ne se soumet pas aisément à la manipulation.

20 Dessin figuratif ou symbolique reproduisant le contenu d’un message sans se référer à sa forme linguistique (Larousse) 21 Caractère graphique qui, dans certains systèmes d’écriture, dénote un morphème entier non décomposé en phonèmes.(Larousse)

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L’histoire aussi, joue le rôle d’un ‘‘aide-mémoire’’, le fait qu’elle soit concrétisée, par le biais de l’écriture, fait d’elle persistante et perceptible. Comme l’a défini «Patrick Boucheron»22, dans l’une de ses interviews, l’histoire est « une couche profonde du temps mais toujours active dans le temps où nous sommes ».

Contrairement à l’histoire, la mémoire est limitée par son oralité où la parole s’épuise dans son acte même, c’est ce qui justifie sa qualification parfois d’absente ou encore d’oublieuse. Cette oralité est aberrante, malgré ces limites, elle est constamment meilleure que l’écriture, car il s’agit d’une transmission de gré à gré qui dispose à la fois de la voix et de la tonalité.

Il est préférable que l’histoire soit présente mais son absence ne justifie pas une transposition inerte de l’histoire, car l’écriture elle-même est porteuse de messages, elle est révélatrice d’une histoire chargée d’émotions grâce à la mise en scène qu’elle prévoit, l’intérêt qu’elle accorde à tout contexte et son souci dans la mesure du possible, du moindre détail. L’histoire dans ce contexte est loin d’être distincte d’un récit cupide, c’est un hors texte, un audelà du texte exigeant un lecteur perspicace qui répond aux attentes de cette dernière.

L’histoire est impressionnante, mais qu’est ce qui fait d’elle indispensable et primordiale à l’humanité?

Est-ce qu’on a besoin d’écrire l’histoire dans l’objectif de garder l’espoir ou de se protéger contre l’illusion du futur ?

L’histoire est un point d’appui, une référence mais son aspect virtuel la dote d’un caractère universel, qui reste insuffisant pour justifier sa dérivation en un besoin céleste.

22 Patrick Boucheron, né le 28 octobre 1965 à Paris, est un historien français. Spécialiste du Moyen Âge et de la Renaissance, particulièrement en Italie.

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figure 22:la comparaison entre l’histoire et la mémoire (source: schéma personnel).

Certains disent que l’écriture de l’histoire est un devoir, un acte de reconnaissance et ils pensent qu’il ne faut pas nier les liens de paternité qu’on doit honorer car on justifie nos actions en se réfèrent à nos ancêtres dans divers domaines, science, mathématique, philosophie ou autres, On agit parfois à leurs noms et en fonction de leurs expériences afin de procurer les meilleures réponses.

L’histoire écrite nous renvoie vers notre passé, une part de notre identité. Grâce à elle on a pu conserver notre langue, rencontrer les icônes les plus célèbres, découvrir les théorèmes fondamentaux de toutes les sciences, apprécier les principes sociétales et politiques tel que la liberté et la démocratie. Son apport ne demeure pas, uniquement, dans la recherche des écarts entre passé et présent mais aussi dans la recherche d’une possibilité de leur rencontre.

Le rapport, le plus intense, de l’humanité avec l’histoire est lorsque ce qui n’a pas été fait dans le passé devient possible dans le présent, comme si le rêve devient réalité. Sa vraie symbolique réside dans sa transmissibilité active, une transmissibilité qui oscille entre son écriture et sa lecture, c’est à ce dialogue de garantir sa compréhension convenable.

L’histoire «semble vivante, mais n’est en vérité qu’une morte et inerte»23 c’est ce qu’affirme Platon dans Phèdre. Elle est ignorée par une majorité de l’humanité qui parait indifférente face à elle.

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23 Platon, Phédre figure 23:L’apport de l’histoire (source: illustration personnelle).

Est-ce que la présence apparente de l’écriture camoufle l’absence de sa vacuité?

Pourquoi l’histoire est morte-vivante ?

Le paradoxe c’est que cette écriture de l’histoire préserve trop le passé, elle est reproductive, intouchable, inactive et improductive ce qui engendre la momification de son souvenir.

Bien que l’écriture communique avec ceux qui peuvent lire à travers et en dehors de ses lignes, le caractère interactif reste absent. Ce rôle d’émetteur qu’elle joue puise son pouvoir de conservation de souvenir car la conservation ne se fait que par le dialogue persistant entre l’émetteur et le récepteur. On a besoin de réquisitionner notre manière à apercevoir, concevoir ou encore concrétiser l’immatériel qui risque d’être oublié, on doit le réécrire sous une nouvelle forme. Une réécriture universelle, sensorielle et interactive.

Comment peut-on s’en servir de cette écriture en faveur d’une réécriture plus adéquate?

Sous quelle forme la nouvelle écriture va-t-elle se manifester ?

II.2.2.l’écriture architecturale :

L’un des arts inventés par les grecs et qui semble être méconnu, est «l’art de la mémoire»24, un art basé sur la mnémotechnique. Il s’agit d’une technique qui permet de stimuler la mémoire et aider à sauver le souvenir de l’oubli en l’associant à l’architecture. Lorsqu’il s’agit de raviver la mémoire d’une histoire, on parcourt mentalement les lieux architecturaux et on demande à leurs gardiens ce qu’on y a déposé. Le souvenir se dote d’une dimension spatiale qui semble être aussi importante que doter l’architecture d’une dimension mémorielle. Certainement, cette mémorisation par spatialisation n’est pas décisive en terme de conservation du souvenir, la preuve c’est que si l’architecture cesse d’exister le souvenir demeure présent et même si elle est présente parfois le souvenir demeure quand même absent.

24 L’art de la mémoire fut inventé au Ve siècle avant J.-C par le poète grec Simonide de Céos, puis développé par l’illustre Cicéron et par un maître de rhétorique romain inconnu.

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figure 24:La spatialisation du souvenir (source: illustration personnelle).

Mais ce n’est pas seulement grâce à la simple association à l’architecture que le souvenir est sauvé de l’oubli. C’est plutôt par le biais des sensations et des émotions que nous éprouvons envers et à travers ce lieu architecturé que le souvenir se forme dans un premier temps et demeure de moins en moins confronté à l’oubli dans un deuxième temps.

L’être humain se souvient en fonction de ces émotions. En effet il se rappelle de son désir, son amour, son étouffement ou son malaise dans certains lieux mais il ne se rappelle pas forcement des détails de ces lieux. Pour cela le lieu architecturé dans ce cas de figure, doit être la résultante d’une combinaison harmonieuse entre un espace matériel habité par le corps et un espace charnel habité par l’âme pour pouvoir préserver le souvenir.

figure 25:L’architecture sensible (source: illustration personnelle).

Pourquoi les grecs ont eu recours à l’écriture architecturale plutôt que celle de l’histoire pour créer l’art de la mémoire ?

Les deux écritures sont importantes et indispensables à l’art de mémoire et d’ailleurs elles sont étroitement liées. On ne peut parler de l’une sans aborder l’autre. L’architecture est à la fois porteuse et génératrice, support et réceptacle, contenant et contenu de l’histoire. Le lieu architectural est le support de création de toute histoire. Comme elle est inscrite dans un cadre temporel, l’histoire est enracinée dans un cadre spatial où nécessairement l’architecture était présente et c’est à elle de nous renvoyer vers le souvenir dont elle a été témoin. Ruskin affirme que « nous pouvons vivre sans architecture, adorer notre dieu sans elle, mais sans elle nous ne pouvons-nous souvenir. »25.

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25 John Ruskin, Les sept lampes de l’architecture,La lampe du souvenir pg243 figure 26:L’architecture génératrice et porteuse (source: illustration personnelle).

L’architecture est une sorte d’écriture de soi et d’autrui dont le soubassement est le souvenir; le souvenir de la collectivité ou l’histoire d’une société qui est concrétisée par le bais de l’architecture, sa forme, sa fonction, et sa structure. Cette écriture trouve ses racines dans le souvenir collectif et le souvenir individuel de celui qui l’a construit. Jusqu’où peut-t-on dire que l’œuvre architecturale appartient à la collectivité et à quel point peut-t-on affirmer qu’elle est la réécriture d’un souvenir collectif plus qu’un souvenir individuel ?

La légitimité de l’architecture est remise en question, son rôle de réécriture de l’histoire collective risque d’être menacé. Tant qu’elle est exercée par l’architecte, elle renferme en elle une part de son identité, elle témoigne de son souvenir individuel et transpose une partie de son âme. Dans ce cas elle est ‘‘un travail de mémoire’’ individuelle comme la conçoit Peter Zumthor. Certes l’œuvre appartient à l’architecte en tant que concepteur lors de sa construction, mais au moment où elle est finie elle appartenait à la fois à la collectivité et à lui mais en tant que membre de celle-ci. Néanmoins, cette réécriture reste toujours une expérience qu’on ne peut la dissocier de la subjectivité, mais ça n’empêche qu’elle est objective aussi.

L’objectivité trouve sa force et sa place dans le réel, le contexte, la vérité du fait pour lequel le projet architectural a été exécuté. L’architecture est objective lorsqu’elle prend appui sur les faits véritables, réponds au besoins de l’utilisateur et prends en considérations tout contexte. Elle s’immerge dans l’essence de la totalité de ces données pour en faire une écriture nouvelle dont la manifestation formelle ne peut être que subjective.

Jusqu’à maintenant, dénuées d’objectivité totale, l’écriture de l’histoire et celle architecturale se persuadent sur le même pied d’égalité, toutes les deux ont pour but la réécriture d’un souvenir collectif et sa persistance dans le cadre spatio-temporel.

Où réside l’altérité de l’écriture architecturale ?

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figure 27:le double caractère de l’architecture (source: schéma personnel).

Quoique histoire et architecture fassent surgir des émotions indispensables à la remémoration d’un souvenir, il est question de deux écritures différentes. Une première propre à l’historien qui utilise les mots comme langage, et une deuxième propre à l’architecte qui opte pour les volumes comme jargon et l’espace comme support. L’assimilation d’une histoire collective ne peut être optimale qu’à travers la rencontre entre le sujet et l’objet. A cet égard, deux cas de figures se présentent, soit une altercation fictive avec l’histoire écrite nécessitant un savoir conscient d’action qui est la lecture, soit une altercation réelle avec et dans l’architecture présumant un savoir conscient de réaction. L’une fait preuve d’intelligibilité tandis que l’autre d’interaction.

Les deux écritures, font une partie intégrante de notre identité et jouent un rôle dans sa détermination. Elles nous façonnent, chacune à sa manière, en même temps que nous les façonnons. L’histoire semble être parfois réduite à un statut d’objet, de texte écrit et de document illustratif seulement, alors qu’en contrepartie l’architecture va généralement au-delà de l’objectivation. Elle ne se contente pas uniquement de l’ordre visuel tel que l’histoire mais le dépasse jusqu’à atteindre la totalité de l’ordre du système de réception et de perception d’où sa qualification de sensorielle. Ce caractère lui permet de rendre l’histoire plus visible, tangible et parfois nous offre l’occasion de l’expérimenter dans le cadre de l’atemporalité.

L’architecture suscite en nous ‘‘ quelque chose autre que cette pensée linaire que nous procédons’’ Lors de notre lecture de l’histoire. C’est une réconciliation entre les opposés : le tangible et l’intangible, le matériel et l’immatériel et le plus important un dialogue entre le passé et le présent. Elle est parlante grâce à son langage universel et provocatrice par son aspect sensible.

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figure 28:la comparaison entre l’architecture et l’histoire (source: schéma personnel).

Elle est le cadre parfait à toute personne pour jouir de plaisir, un plaisir de voyager de l’espace physique vers l’espace mental et l’inverse. C’est l’occasion pour expérimenter une sensation d’ivresse à travers ces va et vient entre l’instant présent et celui passé.

On peut dire qu’elle fait fantasmer tout visiteur qu’il soit Architecte qui rêvait de laisser son empreinte ou un simple citoyen qui veut la visiter. En tant que collectivité, cette écriture nous fait rencontrer nos souvenirs, fabriquer d’autres nouveaux et se remémorer de ceux tombés dans l’oubli.

Quelles sont les manifestations de cette réécriture architecturale du souvenir collectif ?

figure 29:le voyage à travers l’architecture (source: illustration personnelle).

Pour garder le souvenir de l’histoire, l’homme, dans un premier temps, l’a doté d’un caractère spatial, c’est-à-dire qu’il lui a donné une forme architecturale qui dans un deuxième temps doit avoir un caractère mémoriel et doit demeurer génératrice d’émotions. C’est grâce à ce rapport entre le tangible et l’intangible que le souvenir se crée et se conserve. La réécriture du souvenir collectif est faite à travers l’architecture par le biais de diverses réalisations .

figure 30:Le rapport architecture/souvenir(source: schéma personnel).

Comment ces réalisations parviennent-t-elles à générer la dimension mémorielle ?

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Parmi ces constructions ont peut citer les musées,les mémorials et les centres d’interprétation. Ces derniers soulèvent de nombreuses questions surtout par rapport à leur désignation, leur différence, leur similitude et leur aptitude à raviver la mémoire. On les retrouve à la fois indépendantes et associées par exemple sous forme de musée mémorial, de centre commémoratif ou de centre d’interprétation muséographique. Bien qu’elles soient différenciées au niveau de leur nomination, elles se chevauchent parfois dans la mesure où chacune d’entre elle renferme implicitement les spécificités de l’autre. Leurs finalités ne sont pas tout à fait superposables, mais ces constructions ont un but en commun qui est la transmission et la sauvegarde de l’histoire et une limite partagée qui est la dénaturation de cette dernière.

figure 31: Les similarités entre les trois constructions (source: schéma personnel).

Le mémorial, sous ses formes matérielles diversifiées, a pour but d’honorer la mémoire d’une personne, un lieu ou d’un évènement et d’entretenir le souvenir d’une histoire. Contrairement au musée, le mémorial assure son rôle en dehors de toute forme, éducative ou didactique d’exposition. Néanmoins, la notion d’exposition trouve sa place dans un mémorial dans l’ordre où il est son propre œuvre d’exposition, il est à la fois le contenant et le contenu, le réceptacle et l’objet de l’exposition.

En outre la dimension de présentation, celle de l’interprétation est omniprésente et malgré son absence dans le terme ‘‘mémorial’’ elle est incorporée dans sa dialectique. Le mémorial s’apparente parfois comme un centre d’interprétation car L’histoire ne demeure accessible à ceux qui ne l’ont pas vécu qu’à travers l’interprétation sensorielle de ses évènements vécus et ses sensations expérimentées.

Le musée est un outil de réécriture de l’histoire, il permet de la divulguer en l’exposant au large public et la faire ressortir de l’écrit livresque grâce à l’exposition. Quelle que soit sa typologie, sa configuration et sa localisation, cette instrumentalisation a pour but de cultiver le sentiment national et le patriotisme en s’appuyant sur l’exposition de l’héritage matériel et immatériel et

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elle essaye de rappeler son souvenir. Ce rôle de conservateur de mémoire nous permet ainsi de qualifier ce musée d’un ‘‘mémorial’’.

Le choix d’une collection d’objets bien déterminée ainsi que sa muséographie et sa mise en scène constituent une sorte d’interprétation de l’histoire. Le recours à une telle stratégie se dévoile comme arme à double tranchant car elle réduit la mémoire de l’histoire à un ensemble de pièces muettes et figées d’où le risque de la mauvaise interprétation et la mauvaise compréhension de cette dernière.

A quel point la collection est déterminante dans l’interprétation, l’exposition et la remémoration ?

Pour répondre à cette question on peut prendre à titre d’exemple le musée juif de Berlin, un musé qui raconte l’histoire oubliée de la culture juive à travers l’interprétation de sa continuité avec l’histoire allemande, l’immigration et l’holocauste. Bien qu’il soit un musée, il est dépourvu de toute collection, son architecture devient un moyen de narration et de provocation de sensations diverses.

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figure 32:le musée juif de Berlin (source: Archdaily+travail personnel).
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figure 33:La concrétisation des émotions dans le musée juif de Berlin (source: Archdaily+travail personnel).
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figure 35:Concepts utilisés par l’architecte dans le musée de l’acropole d’athéne (source: Archdaily+travail personnel).
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Ce musée a réussi à faire sentir les visiteurs l’espoir des juifs et leur perdition dans une période bien déterminée mais avec l’absence de collection et d’indication se pose la question de l’apport minimum d’informations pour certains visiteurs qui ne savent quasiment rien sur cette histoire. La collection joue-t-elle un rôle plus important que les sensations dans la remémoration ?

Dans un autre cas de musée d’histoire, on trouve celui qui a comme point d’appui le patrimoine archéologique, où la collection peut poser un problème. Une fois coupée de son contexte et utilisée en tant qu’objet d’exposition, elle risque d’être mal interprétée et comprise par le visiteur.

En effet, cette fragmentation et démembrement de la ruine archéologique et sa transposition dans un musée ne revient pas à présenter l’histoire ou à réécrire la mémoire mais plutôt à exposer une ruine de la ruine. Certes il est impossible de préserver la totalité des pièces sur leur site, mais en ignorant son appartenance au réel et en voyant en elles une simple valeur esthétique, ces pièces perdirent leur sens, leur aura et leur vraie valeur historique.

Cette muséification classique est visible en Tunisie, dans le musée de Nfidha, le musée de Chemtou ou autres. Cette attitude a pour inconvénient de ne pas forcément bien répondre aux besoins de la collectivité, on doit permettre à celle-ci de continuer à évoluer. Pour cela il ne faut pas ignorer la collection, mais il faut savoir l’exploiter dans la mesure du possible et garder un contact avec le patrimoine archéologique.

Dans le musée de l’acropole d’Athènes, la collection est loin d’être destructive de la mémoire car l’architecte a prévu une mise en scène bien étudiée. Il a essayé de garder le contact visuel avec le site archéologique. Pour éveiller le souvenir de l’acropole, l’architecte profite du fait que le musée soit implanté à 300m de ce dernier et le contact entre l’homme et la ruine est assuré par le biais de l’architecture qui établit elle-même un contact visuel et matériel avec l’archéologie.

figure 34:Coupe schématique(source: Archdaily+travail personnel).

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Conclusion

Le phénomène mnémonique est assuré par une action combinée de la mémoire et de l’oubli. Suite à cette opération et au sein d’un cadre humain et spatio-temporel se forme une écriture immatérielle du cerveau dite le souvenir. Etant donné qu’il est le moyen dont l’homme dispose pour regarder vers le passé, vivre dans le présent et prévoir le futur, le souvenir occupe une position centrale dans la construction de l’identité et joue un rôle important dans la formation de l’héritage ce qui fait de son appropriation et sa conservation en dehors de toute forme d’abus et de manipulation un besoin ou encore un devoir envers l’humanité,.

Cette écriture immatérielle risque de tomber dans les failles de l’oubli vu qu’elle est limitée dans le temps, dans l’espace et elle est conditionnée par son oralité. Afin de la préserver contre l’oubli, assurer sa compréhension, sa transmission de génération en génération, et protéger sa légitimité, l’homme a essayé de la réécrire sous une nouvelle forme en la dotant d’un caractère tangible et matériel qui garantit sa persistance, non seulement dans le temps et dans l’espace mais encore dans la mémoire collective.

Cette matérialisation trouvait ses racines dans l’écriture de d’histoire, une écriture qui en outre le caractère perceptible qu’elle offre au souvenir, le dote d’un caractère universel et le fait ressortir des limites de l’oralité. Mais l’histoire demeure en un premier lieu, périlleuse, réduisant le souvenir à un statut d’objet sacré intouchable et en un deuxième lieu, insuffisante pour se rappeler de ce dernier vu qu’elle est inactive et improductive. Il s’avère alors que la matérialisation seule est loin d’être suffisante pour la remémoration du souvenir. Elle doit être active, génératrice d’émotions et de sensations pour qu’elle soit réussie étant donné que l’homme est un être émotionnel qui se souvient en fonction de ses sentiments.

Bien que l’écriture de l’histoire soit provocatrice d’émotions, l’architecture est le siège de celles-ci. L’écriture architecturale est plus sensorielle et interactive, c’est une spatialisation conservatrice et formatrice aussi du souvenir qui suscite l’homme âme et corps à la fois. Mais ça n’empêche que l’architecture peut être victime de la limite de la subjectivité et l’ «Objectalisation»27.L’écriture architecturale ne remplace pas l’écriture de l’histoire et opter pour l’architecture ne dénie pas l’importance et l’utilité de l’histoire, bien au contraire cela présume une relation de complémentarité et solidarité entre les deux écritures.

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27 Le fait de donner un caractère d’objet à.

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