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Premières pierres

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AVANT PROPOS

AVANT PROPOS

Premières pierres

A l’origine, il était un amas d’atomes. Froid et austère, on l’appelait Terre. A des milliers de kilomètres du Soleil qui commençait à réchauffer sa surface, de l’eau s’en est extraite, nourrie de ses minéraux. Et l’inerte a laissé place à la vie. Des volcans ont poussé, importés du fond des âges, de la lave a coulé, suintant des brèches terrestres. Et plus tard, des roches compressées et fusionnées des îles ont fleuri, la terre a tremblé, formant monts et marées, continents et notamment la Méditerranée. C’est en partie autour de cette mer, que le calcaire est apparu, ce même calcaire que nous avons décidé d’explorer. Calcaire blanc, rose, tendre ou violacé, coquillé ou granulé, il en existe des dizaines de milliers, mêlant dans leur gangue quartz et joyaux ambrés. Un calcaire aux milles aspects, un calcaire picoré, utilisé par les Hommes de Néandertal, employé dans les cathédrales.

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Cette roche est là. Toute proche, pourtant à des kilomètres de nos existences, de nos 300 000 années d’humanité. Si les roches, granits et minéraux gloussaient, on ne les entendrait quand même pas. Car si l’on parlait de l’âge Hadéen, cela ne nous évoquerait vraiment rien. Première intervalle des temps géochronologique (appelés « éons »), les formations minérales ont l’âge de la planète, soit 4,5 milliards d’années. A en faire frissonner l’humanité toute entière,

3 Paroles de la chanson Terre Mère n’est pas à vendre, Keny Arkana, 2017 d’une peur intrépide, fascinée par la puissance de ces sous-sols inconnus, de cette planète indomptable, et de ses entrailles minérales. Après tout, c’est peutêtre ça un tremblement de terre, comme si la Terre nous rappelait :

« Pacha Mama, c’est nos racines qui sont en toi, tout notre amour sera plus fort que notre désarroi, Pacha Mama, ton vase rempli à ras-bord, ils nous ont condamné à mort ! De toutes part s’élèvent nos voix, allez leur dire d’avance, que malgré leur mauvaise foi, Terre Mère n’est pas à vendre ! »3 .

Figure 4 : carte géologique du monde, Atlas ENS Lyon

a. Formation géologique des roches sur

Terre

Au cours des plus des 4 milliards d’années qui ont formé notre planète, des phénomènes naturels qui dépassent notre imagination, ont comprimé, fondu et altéré atomes et ions. La couche terrestre en est le résultat le plus passionnant pour les géologues. Car si la roche et plus largement nos sous-sols sont considérés comme inertes, ils regorgent pourtant d’une myriade d’informations et de traces de vies passées.

Toutes les roches présentes sur Terre sont classées scientifiquement en trois grandes catégories : les roches magmatiques, les roches sédimentaires et les roches métamorphiques.

De manière générale, les roches magmatiques sont issues de l’activité volcanique de la planète : elles se cristallisent une fois le « magma » sorti à la surface donnant alors naissance à la lave ; ou bien restent à l’état liquide sous terre. Un exemple courant de roche magmatique est le granit.

Les roches sédimentaires, que nous étudierons un peu plus longuement, sont issues comme leur nom l’indique, du phénomène de sédimentation. Ce phénomène se déroule sur des millions d’années et est le résultat de l’accumulation et de la décomposition de

4 Pression issue de la somme de la pression atmosphérique et de la masse du volume d’eau présent dans un lieu donné. Ainsi, plus la dépôts de matières organiques amenés par l’eau et le vent. Ces roches se trouvent principalement dans les fonds marins et dans les régions lacustres qui sont les lieux

Figure 5 : carte des carrières calcaire françaises. Source : BRGM

de dépôt courants. Les matières organiques s’y déposent et se solidifient sous leur propre poids et la pression sousmarine4 .

Les roches métamorphiques sont quant à elles issues de l’une et ou de l’autre des deux catégories précédentes. Elles sont la « métamorphisation » de ces roches sédimentaires/ magmatiques sous l’effet de très hautes pressions et ou de très hautes températures. Le marbre est une

profondeur est importante et plus la pression sousmarine sera élevée.

roche métamorphique très réputée pour sa dureté mais pourtant issu de roches calcaires recristallisées. C’est cette allure cristalline qui fait du marbre un calcaire précieux et atypique.

Si les roches sédimentaires ne constituent que 5% du total des roches présentes sur Terre, elles correspondent à 75% des roches à la surface du globe, dont 70% des mêmes 75% sont submergés au fond des océans.

L’origine organique de ces roches sédimentaires est plurielle. Elles proviennent autant de végétaux décomposés que de micro-organismes et autres corps organiques présents sur Terre il y a des millions d’années. Ainsi, de par leur formation chaque fois unique et sur un temps très long, les roches sédimentaires se trouvent être d’une très grande diversité.

Figure 6 : coupe schématique représentant différents gisement de roche, extrait du travail de Guillaume Crétin.

b. En savoir un peu plus sur les roches calcaires

Nous nous concentrerons donc sur certaines de ces roches sédimentaires que sont les calcaires et qui sont sont les plus employés dans l’architecture de pierre massive en France. En effet les calcaires constituent 68% des roches extraites dans les carrières françaises5

La spécificité de ces roches calcaires est leur haute teneur en carbonate de calcium et en carbonate de magnésium. On les appelle aussi roches carbonées, suite à leur composition chimique. Ces roches sont des pierres denses mais peu dure, appelée « pierres tendres ».

Ces pierres sont dites « tendres » notamment pour leur faible dureté6 (45/10) et donc leur facilité de taille qui rend la main d’œuvre et la transformation de la pierre moins pénible et moins coûteuse.

Chaque type de roche sédimentaire a un nom spécifique, le calcaire en est un et il connait lui-même des sous classifications. Pour exemple, les calcaires coquilliers du Sud de la France sont issus de la sédimentation d’un fond marin alors présent. Mer qui s’est peu à peu retirée sur les côtes méditerranéennes que l’on connaît aujourd’hui. Cet aspect « coquillé » de certains calcaires du sud de la France est le témoin de ces vies, de ces espèces oubliées, de l’âge incommensurable de notre planète.

Si les calcaires sont innombrables, certains sont plus connus que d’autres comme c’est le cas en France pour la pierre de Cassis réputées pour ses vasques et

Figure 7 : maçon tailleur de pierre en train de poser et caller les blocs de pierre d’un futur mur, Sénas, Sept. 2020. Photo : Simon Reynaud

5 Source : site web du SNROC 6 Capacité d'un matériau à résister à l'abrasion et à la rayure. La roche la plus dure avec une dureté de 10 est le diamant, composé de carbone pur.

éviers dits incassables et d’une teinte allant du beige à l’ocre. La pierre de Saint-Leu est aussi un exemple historique d’un illustre calcaire pour avoir été l’élément principal de la construction du Château de Versailles avec sa patine blond doré.

Certains scientifiques ont fait des classifications des roches carbonatées, comme la classification de Folk ou celle de Dunham. Ces classifications entendent trouver des caractéristiques communes aux calcaires en analysant leurs compositions chimiques.

Figure 8 : classification des différentes roches sédimentaires, Guillaume Crétin.

Gardiens de la Pierre

Ebloui tout à la fois par la pureté de la pierre et ses impuretés, par ses aspérités comme sa capacité à être lissée, je n’ai pas tout de suite eu conscience de ce goût prononcé pour ce matériau, car vivant dans le bassin sud-est méditerranéen, j’étais constamment entouré de ce minéral. Quelque endroit que ce soit, où que je me ballade, les villes et villages en étaient tous constitués, comme l’essence même du bâti, comme si « construction » ne pouvait exister sans « pierre » autant que « humain » ne peut vivre sans « oxygène ».

Travailler un mois dans l’entreprise Proroch dans le Luberon, à Maubec m’a fait découvrir beaucoup de choses de ce secteur. A la fois dans le bureau d’étude avec les ingénieurs et en atelier avec les tailleurs. Je voyais comment le métier avait évolué, comment la technique et l’informatique avait modifié ce milieu communément idéalisé du fait de ses sublimes créations. Mais la pierre reste la même. J’ai passé des heures avec ces tailleurs de pierre. Je tentais de m’extraire du bureau d’étude dès que je le pouvais, lieu où j’étais cantonné pour mes compétences de dessinateur-projeteur. J’étais ici pour la matière, pour les mains caleuse des artisans poussiéreux, pour les ampoules sur mes paumes, au contact des outils. Et l’univers tout entier de l’artisanat de la pierre s’ouvrait devant moi, vaste et vertigineux. Ces artisans à l’âme chaleureuse, ont la langue gelée, l’humour pinçant et les mains acérées. Loin des cliquetis des claviers des ingénieurs, les mots sont rares, impulsifs et joyeux.

C’est avec ces gens-là que j’ai découvert la matière, cette pierre calcaire du Luberon aux teintes de l’enfance. Ces artisans dégageaient une lourdeur de vivre. Ils avaient la même vision que moi de la pierre, étant pourtant de 20 à 40 ans mes aînés. Ils avaient même pu le vivre, cet âge où la pierre n’était pas « électrisée » pour des questions de rentabilité, où ils avaient tout le temps de travailler leur pièce, équerre, ciseaux et maillet à la main. Ils s’étaient retrouvés là par confort d’être employés, et avaient perdu par la même occasion un peu de leur intimité avec cette pierre calcaire. Mais ils en étaient conscients, et trop fiers, ne se plaignaient pas.

C’est dans ce paradoxe entre tradition et modernité que la pierre évolue, se modernise, aux marges de l’architecture. Aujourd’hui, les textes normatifs appellent « maçonnerie traditionnelle » les modes de constructions en parpaings de béton. C’est parfois dans les termes que l’on perçoit certaines réalités et que se révèlent des incohérences. Un maçon est originellement un artisan qui construit « tous les ouvrages où entre en compte de

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