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CHRISTINE MOUEZ-GOJON

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VICTOIRE BARRUCAND

VICTOIRE BARRUCAND

AUTO-PSY

Tu semblais pourtant en forme. Moins replet peut-être. Pas grand monde n’a remarqué que tu as un peu fondu ces derniers temps. Mais « fondu », tu l’as toujours été. Toi, le curieux, l’insolent, le provocateur, à l’humeur et à l’humour décalés. Le contexte économique t’a cloué le bec. Un titre de presse disparaît. On arrête les frais.

PAR CHRISTINE MOUEZ-GOJON

Je regrette qu’on me sépare de toi. On se connait depuis si longtemps. J’ai assisté à tes débuts. Maigrichon, tu as cancané, caqueté, nasillé avec quelques maladresses et hésitations. Mais tu n’as jamais battu de l’aile. Tes deux « mères nourricières » successives, énergiques et exigeantes ont formaté ton ADN. Tu as trouvé ton identité. Dans les starting-blocks sur la piste de décollage, tu es devenu connu, reconnu, attendu par toutes celles et ceux qui te tiennent en main, tournent tes pages émaillées de reportages, d’aventures contées, d’états d’âmes ponctués d’émotion… Une ligne rédactionnelle drolatique, truculente, sans tabou. Une performance chaque mois pour que le canard reste pimpant. La fin approche, et cela me déchire le cœur. C’est la première fois que je parle à un canard bientôt déplumé. De toute façon, je ne parle jamais aux canards… ça vous colle des puces à l’oreille. Cette aventure, tu l’as partagée avec une équipe de drôles de poulettes, et de quelques spécimens mâles, tous recrutés, pour leurs traits d’esprit acérés, leurs plumes affûtées, par une « meneuse de revue » en ébullition, audacieuse et espiègle. On t’en a fait voir de toutes les couleurs, mon Saturnin. Le bec hors de l’eau et les ailes trempées à l’encre noire, tu n’avais pas froid aux yeux. Pas canard boiteux : dans la tempête, tu te rebiffes, tu redresses ton cou avec vaillance. Tu ne finiras pas enchaîné, pas plus « laquais » à Pékin, ni puni dans un coin-coin. Dernier envol. Tu vas me manquer. Je me rappelle ces réunions de rédaction, les échanges volaient haut dans la basse-cour. Tu te demandais à quelle sauce tu allais être mangé au prochain numéro. On mettait tous notre grain de sel pour que la recette soit bonne. Pas question de rabattre ton caquet. Je garde en mémoire ces rubriques que je vous ai proposées chaque mois au cours de toutes ces années. Conseils et astuces pour vous faire belles, vous insuffler forme et énergie. Tandis qu’avec mes mots pour stéthoscope, j’ai joué au docteur sans ordonnance ni diagnostic. De la vulgarisation des maux, un exercice que j’ai pratiqué avec humilité, et grand plaisir qui, je l’espère, vous a intéressés, amusés, renseignés… Vous allez me manquer. Fin de l’histoire. « Voici la fin, la fin de nos plans raffinés… La fin de tout ce qui était debout » (« The End ». Jim Morrison.) Les portes se ferment avec les Doors.

© Téo Ja re/Jérôme Morin - Fou d’images Ton surnom : C’est Chris, mais je ne raffole ni des surnoms, ni des diminutifs qui sont souvent plutôt ridicules et qui ont tendance à donner des sonorités tout aussi incongrues. Ton activité dans la « vraie vie » : Journaliste Ton personnage de fiction : La fée Mélusine Ton objet fétiche : Une toute petite médaille de Notre Dame de Laghet (au-dessus de Monaco où je suis née) que m’a donnée ma mère, il y a très longtemps. Ton adage : “Less is more”. Il s’adapte et répond à toutes les circonstances de la vie. De toi, tu gardes : Mes pieds, ils me font avancer. De toi, tu jettes : Rien, par peur de manquer ! Dans 20 ans : Qui sait ?

Ado, quel poster figurait au-dessus de ton lit ?

Aucun. Juste des murs blancs. No disturb. Et aujourd’hui ? Un grand dyptique de Minh Tran, un peintre annécien d’origine vietnamienne. Et c’est tout. Aller à l’essentiel. Pas de fioriture. Le livre qui a tout changé ? « Le Meilleur des mondes » d’Aldous Huxley. Véritable chef-d’œuvre de la littérature d’anticipation écrit en 1931, qui décrit l’impossible à l’époque. Aujourd’hui, une réalité carrément envisageable ! À lire et à relire pour remettre les pendules à l’heure. Le film dont tu connais les dialogues par cœur ? Le dîner de cons. Une belle leçon sur le thème du dérisoire.

La dernière série que tu as bingée ?

Le jeu de la Dame. Quand le jeu est à l’aune de la folie... Ta première voiture ? Une fiat 500, toit ouvrant. Pas peu fière ! Un plaisir coupable ? Partager un vacherin coulant (le fromage, pas la glace !) avec l’amour de ma vie à 4 heures du mat’ avec un verre de Gewurtz en rentrant d’une soirée arrosée. Moment improvisé, moment parfait. Le mot de la fin ? Next

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