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LE FOOT
from Sparse 40 (Décembre 2022)
by Sparse
INTERVIEW L’INSTIT’ L’INSTIT’
ÉLISE BUSSAGLIA, DU FOOT À L’ÉCOLE.
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4 championnats de France, 5 Coupes de France, le championnat allemand, la Coupe d’Espagne, 188 sélections en équipe de France, une demi-finale de Coupe du monde, 2 finales de Ligue des Champions, un but en quart de finale de Coupe du monde entré dans la légende, Barcelone, Lyon, le PSG... Élise Bussaglia est un mythe du foot et elle a choisi de finir sa carrière à... Dijon. Dingue. Rencontre avec une fille qui s’apprête à retourner à sa vie d’institutrice après avoir contribué à construire l’histoire du foot féminin.
Par Chablis Winston, à Dijon (21) Illustrations : Loïc Brunot
Comment t’as vécu le fait d’être une fille dans un «sport de mecs » dans les années 90 ?
Je l’ai bien vécu. J’étais la seule fille jusqu’à mes 15 ans. J’étais un peu protégée et comme je jouais mieux que la plupart des garçons... En général les gens étaient surpris : « Oh, y’a une fille. On va gagner ». Quand ils me voyaient jouer, le discours changeait. En plus, j’ai toujours donné des coups. Mon père m’a appris à ne pas me laisser faire sur le terrain. Donc, ça m’a jamais perturbée d’en recevoir non plus. Ça fait partie du jeu. Surtout au milieu du terrain (son poste, ndlr).
À 15 ans, t’es repérée pour aller à l’INF Clairefontaine, (institut national du football - centre de formation national), alors que tu n’as encore pas joué dans une équipe féminine.
Je ne jouais qu’avec des garçons en club, mais en sélection du département ou de la région. Il y avait quelques équipes de filles, c’est là que j’ai été repérée. D’ailleurs c’était difficile pour moi les sélections féminines, le niveau... Certaines filles ne savaient pas jouer. À cette époque-là (fin des années 90, ndlr), y’a pas beaucoup de clubs féminins et pas beaucoup de bonnes joueuses. Chez moi dans les Ardennes, y’en a que 2 ou 3 qui savent jouer. C’est une autre époque. Par contre, quand je suis arrivée à Clairefontaine, j’ai vu qu’il y avait un gros niveau, avec des joueuses bien plus fortes que moi. Ça m’a motivée.
Donc à 15 ans, t’es à Clairefontaine près de Paris la semaine, et le week-end, tu reviens jouer au foot chez tes parents ?
Heureusement que mes parents étaient là pour tous les trajets. Quand on jouait à l’extérieur, je rentrais chez mes parents juste pour repartir illico avec l’équipe ailleurs en France, comme on était en première division quand même. J’ai ce rythme-là depuis que j’ai 15 ans. Là, j’arrive sur la fin, donc je vais pouvoir prendre du temps.
On a l’impression que ta carrière a évolué en parallèle du foot féminin français. Dans les années 90, y’a très peu d’équipes, puis dans les années 2000, le foot n’est encore pas pro. Finalement, en 2019, on sort d’une Coupe du monde en France, le sport est médiatisé, certaines footballeuses sont des stars. T’es consciente d’avoir participé à ça ?
Oui, j’ai un peu tout connu. Quand je jouais au foot, petite, je savais même pas qu’il y avait une équipe de France féminine. J’avais pas de référence. Marinette Pichon (la joueuse la plus connue des années 90 – jamais passée pro, à l’époque ça n’existait pas, ndlr), je l’ai découverte quand j’ai eu 15 ans, en jouant avec elle, à St-Memmie. Quand je débarque, ce qui m’intéresse, c’est le niveau de jeu, pas de devenir professionnelle. J’imaginais même pas ça puisse
exister. Marinette Pichon, c’etait la meilleure et, pourtant, à côté, elle bossait pour la mairie de la ville. Donc, pour moi, c’etait logique de continuer les études. J’allais pas en faire un métier. C’est bien plus tard (au milieu des années 2000, ndlr) que le Président Nicollin a commencé à investir à Montpellier et à faire quelques contrats. Le Président Aulas a suivi à Lyon. Moi j’ai pris le train en marche. Au début, je faisais des petits boulots en plus pour payer mon loyer, comme tous les étudiants.
Tu as un diplôme d’instit’ ?
Oui, après mon diplôme, j’ai fait une année scolaire, pendant que je jouais au PSG. Ensuite, je me suis mis en dispo quand on m’a proposé d’être pro à Lyon, en 2012.
Comment on s’organise quand on est instit’ en plus d’être une joueuse de haut niveau ?
C’est intense. Y’a pas de temps mort. Le matin, je vais à l’école avec les enfants, ça passe à une vitesse folle. En fin d’après-midi, je prépare mes cours, le soir, je vais au foot, je rentre, je me couche. Y’a rien d’autre. Et le week-end, y’a match. Mais ce qui est bien, c’est que tu te nourris de l’énergie des enfants. Je pense que j’aurais pas pu continuer comme ça plusieurs années. C’est pas compatible avec le sport de haut niveau.
La fin de ta carrière, c’est dans quelques mois, à la fin de la saison. Tu vas refaire instit’ ?
Bien sûr. C’est la suite logique. C’est un métier qui demande aussi beaucoup d’efforts. Ça va être intense.
Elise Bussaglia à Dijon, c’est un peu comme si Paul Pogba signait à Dijon pour faire le parallèle. T’es un peu une légende du foot français. Tu passes par Lyon, Paris, Barcelone, Wolfsburg, Montpellier et tu te retrouves à Dijon. C’est pour avoir du temps de jeu ?
Oui, tout simplement. Je voulais faire la Coupe du monde et je jouais pas beaucoup à Barcelone. J’avais des propositions en Angleterre et en Suède. Pour être honnête, continuer l’aventure à l’étranger, ça me tentait plus, mais la coach de l’équipe de France (Corine Diacre, ndlr) m’a dit qu’à 6 mois de la Coupe de monde, ce serait mieux que je signe en France si je voulais être sélectionnée. Donc moi, ce que je veux, c’est du temps de jeu. Je voulais finir ma carrière sur le terrain, et pas sur un banc. Et tant qu’à faire, autant ne pas être loin de mes parents qui vivent à Sedan.
Tu as pas mal bourlingué pour une joueuse de ta génération : Espagne, Allemagne...
Ouais. Je voulais voir d’autres cultures, au-delà du foot. Je l’ai fait grâce au foot, c’était plus simple. J’aurais pu finir ma carrière à l’étranger.
Wolfsburg, comme ça, ça fait pas rêver…
Même quand on y est, ça fait pas rêver. (rires) La ville de Volkswagen, Autostadt... La ville fait pas rêver mais dans le foot féminin, ça fait rêver. C’est un des plus gros clubs du monde.
Le top de ta carrière, tu considères que c’est quand ?
Je dirais 2011-2012. Y’a le trophée de meilleure joueuse du championnat de France, le but en Coupe du monde.
Ce but en quart de finale en 2011, c’est le plus beau moment de ta carrière ?
Oui, c’est un de mes meilleurs souvenirs. Même si j’aurais bien gagné une Coupe du monde ou une Ligue des champions.
Y’a toute une génération avec toi qui arrive en fin de carrière, qui a mené l’équipe de France jusqu’au dernier carré de la Coupe du monde en partant de rien: Camille Abilly, Gaetane Thiney, Louisa Necib. T’es confiante pour la suite ?
Oui, plus il y’aura un football de masse chez les filles, plus y’aura de bonnes joueuses. À l’époque, c’était facile de faire ta liste des 23 parce qu’il n’y avait pas tant de joueuses que ça qui avaient le niveau. Maintenant, c’est plus compliqué. c’est très bien pour le foot féminin.
Même ma mère, elle sait qui est Elise Bussaglia, alors qu’il y a 10 ans, le nom des footballeuses, personne ne les connaissait. T’es consciente d’avoir participé à ça ?
Non, pas vraiment. On me dérange pas dans la rue, y’a pas grand monde qui me reconnaît si je suis pas dans un contexte sportif. J’ai pas l’impression d’être une légende du foot...
Quel regard tu as sur le DFCO, toi qui est arrivée depuis 1 an ?
C’est un club jeune, surtout la section féminine. Mais le club peut viser beaucoup plus haut. Y’a des personnes vraiment investies, impliquées. Et par rapport aux filles, bien sûr, il faut mettre des moyens. Financiers et aussi matériels. Les conditions d’entraînement... Aujourd’hui, on s’entraine sur un terrain synthétique, on n’a pas de vestiaires dédicacés (sic) seulement à l’équipe féminine... C’est des petites choses. Et on a encore des joueuses qui bossent à côté, ça nous empêche de nous entrainer la journée… Il reste des choses bancales, mais ça évolue dans le bon sens.
L’égalité salariale dans le foot ?
(rires) Ahah ! On en est loin ! Mais ça évolue dans le bon sens, quand même. // C.W.