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TRUFFES EN HAUTE-PATATE

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ÉDITO

ÉDITO

« Oui, je suis le père de Daniel Craig ». I l nous accueille dans son atelier avec son regard de gamin malicieux. Les pianos l’entourent, complices. Joël Jobé est accordeur ET restaurateur de piano. Il aurait pu être l’un ou l’autre, mais ce serait mal connaître le personnage. Joël Jobé vit de perfection.

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Il restaure, il écoute, il dialogue. Il traite la mécanique comme l’esprit des pianos. Il se nourrit de chaque instrument pour mieux le sublimer, faisant d’un détail la substantifique moelle. Maniaque à l’extrême, généreux et passionné, Joël Jobé nous parle de lenteur et de beauté et nous, comme des gosses, on se laisse envoûter.

L’APPRENTISSAGE

Rien ne prédestinait Joël à devenir un orfèvre de la restauration. Quoique... Issu d’un milieu prolétaire, ouvrier, de Montbéliard, dans sa famille il était néanmoins de bon ton d’apprendre la musique. « J’ai pris des cours de piano

à l’âge de 5 ans et pendant 5 ans. Des années de labeur, horribles ». Le piano fut oublié, jusqu’au lycée. C’est là que tout a commencé… « J’ai été viré, ça m’a porté chance. Je devrais remercier le proviseur. Mon père m’a dit qu’il ne voulait pas de fainéant à la maison et que je devais aller bosser, alors j’ai bossé ». Passionné par la facture instrumentale, ce « bois qui devient instrument », et par la richesse sonore du piano, il se lance dans l’apprentissage en 1978. Le piano sera son Saint Graal. La formation se fait en trois ans : trois pour accordeur, trois pour restaurateur. Il en fera six, pour suivre les deux. « Pour moi, l’un ne va pas sans l’autre ».

« Préparer un piano pour un concertiste, c’est de la haute couture »

En 1986, à 25 ans, son diplôme et son expérience d’apprenti en poche, il roule sa bosse puis ouvre son entreprise. Ses maigres économies lui permettent de louer un local au square SaintAmour, à Besançon, et de s’acheter un piano, le moins cher qui soit, trouvé par petites annonces. « J’ai restauré ce piano et je l’ai vendu. Avec l’argent, j’ai acheté deux pianos que j’ai restaurés et vendus. Avec l’argent de ces deux pianos, j’en ai acheté trois... et ainsi de suite. Un jour, quelqu’un m’a demandé un piano neuf, j’ai fait pareil ». La petite entreprise devient grande, l’ancien apprenti se fait un nom, représente des marques de piano, se déplace avec des clients sur les lieux de fabrique en Allemagne, en Autriche.

LES STUDIOS D’ENREGISTREMENT & LE CONSERVATOIRE

Les talents de Joël ne passent pas inaperçus. Un studio d’enregistrement le repère, lui demande d’accompagner des concertistes et d’accorder leurs instruments en studio et en tournée. Défi, exigence, haut de gamme. Il n’en fallait pas plus. Joël se lance. « Préparer un piano pour un concertiste, c’est de la haute couture. Il faut savoir exactement ce qu’il veut. On est dans un travail sur mesure, sans filet. J’ai fait ça pendant 10 ans, c’était passionnant. J’ai voyagé partout ». L’évolution du marché du disque mettra fin à cette mission. À partir de 2008, Joël poursuit au Conservatoire de Lausanne « usine à musiciens » où il accorde un parc de 150 pianos qui doivent en permanence être parfaits. « Quand on en a fini un, on passe à un autre. On parle de mécanique, de cordes tendues, d’adaptation aux exigences des

L’ATELIER BOURGUIGNON

Retour à la restauration. Depuis plusieurs années, Joël avançait doucement vers la Bourgogne, dans le Clunysois précisément. Il a créé un atelier dans lequel il va finalement s’installer. Un cabinet pour pianos malades. Certains arrivent pour restauration, d’autres ont été sauvés de la déchetterie, d’autres encore servent de réservoirs à pièces introuvables. Les fameuses pièces introuvables, obsession permanente de Joël. Pour comprendre, il faut « Un piano arrive entrer dans la tête du bonhomme et appréhender son mode opératoire. Sa à l’atelier. Il faut devise : se rapprocher au maximum de l’objet original, « quoi qu’il en coûte ». l’ausculter, « Un piano arrive à l’atelier. Il discuter avec lui, comprendre les soins dont il a besoin » faut l’ausculter, discuter avec lui, comprendre les soins dont il a besoin, échanger avec son propriétaire, constituer un dossier sur l’instrument ». Les préliminaires passés, vient le passage à l’acte. Joël démonte le piano et ses 6000 pièces. Tout est répertorié, inventorié, classé. Vis par vis, corde par corde. « Il vaut mieux être ordonné ». Chaque pièce est passée au crible. Comment la rendre la plus proche possible de la pièce originale ? Comment redonner à l’instrument son lustre et le son d’antan ? Il faut étudier des pianos d’époque similaire, dresser une fiche, se documenter. Chaque détail compte, l’opération frise le sublime. « Si je change des feutres de marteaux, il faut que je retravaille la matière actuelle pour retrouver le son de l’époque. Si le timbre est trop acide, il faut travailler sur la texture du marteau et donc du feutre qui garnit la tête. On pique la tête pour obtenir tel ou tel timbre, on l’assouplit avec des aiguilles. Ça arrondit le son, ça le rend

Herta. Ne passons pas à côté des choses simples

plus doux. A l’inverse, pour un son trop cotonneux, on va appliquer le feutre sur une surface chaude pour le resserrer et rendre le son plus dynamique ». Avant de travailler le feutre et les cuirs, encore faut-il les trouver… car Joël ne se contentera pas de n’importe quelle matière. Il lui faudra la matière ultime, celle qui se rapprochera le plus possible de l’originale. Exemple : la restauration d’un piano à queue Pleyel. L’entreprise utilisait des croûtes (cuir doux des deux côtés) couleur rouge sombre. Où trouver des croûtes rouge sombre aujourd’hui ? Horreur et damnation, elles restent introuvables chez les fournisseurs. À force d’enquêtes, Joël trouve de la croûte rouge sombre de 1,3mm d’épaisseur à Romans sur Isère. Sauvé. Pour cette fois, car la quête ne s’arrête pas là. Elle semble sans fin. Après le feutre, les vis. Elles n’existent plus dans les magasins de bricolage. Joël s’efforce de reconstituer des collections, à force de pianos sacrifiés et de vide-greniers. Son trésor : des caisses de vis de différentes époques. Des vis qu’il va décaper et repolir une par une. Des vis invisibles du public, parfois même du pianiste, mais dont il sait, lui, qu’elles sont là. Livrer un piano avec des vis tâchées, marquées par le temps serait un sacrilège, un blasphème quand le diable se cache dans les détails. « Ça joue parfois sur des pièces que personne ne verra. Il faut aller au bout, au fond. Quand on arrive à ce niveau-là, on remonte chaque fois le degré, on ne peut plus s’arrêter. Il faut être un peu taré ». Un jour, un journaliste demanda à Georges Mallory pourquoi il tenait tant à vaincre l’Everest, l’alpiniste lui répondit « parce qu’il est là… ». Joël Jobé regarde ses pianos comme son Everest, une évidence, hissant 100 fois le haut de son sommet. Il se plonge dans la restauration jusqu’à l’immersion. Les tables d’harmonie sont décapées, vernies avec une gomme laque érable. « Je ne peux pas faire le boulot à moitié. J’ai besoin d’exigence, de respecter l’instrument. Quand on effectue une restauration, on pose sa

«Et là, mawashi geri !» signature. C’est quoi votre signature ? Ce n’est pas anodin ». Joël Jobé passe en moyenne 400 heures sur chaque piano, parfois plus, parfois moins. Tout dépend du piano et de sa taille. Quelle que soit la restauration, le processus est le même : retrouver l’âme de l’objet quitte à en perdre le sommeil. « Il m’est arrivé de ne pas toucher un instrument plusieurs jours car je n’étais pas prêt. Quand c’est un jour sans, je vais promener le chien. Si un truc ne va pas, ça jure, c’est pas possible. Quand chaque détail est parfait et que l’on additionne tous les détails, alors ça donne quelque chose de magnifique ». La restauration pose de nombreuses questions. Que faire, par exemple, d’un piano plusieurs fois restauré et dépareillé ? « Il faut trancher, effacer les restaurations antérieures, retrouver l’harmonie du piano. Sur celui-ci par exemple dit-il en montrant un travail en cours j’ai décidé de passer de l’acajou au mat ». Il faut se rapprocher de l’objet original ou le magnifier et pour se décider, parler avec l’instrument, l’observer, vibrer à l’unisson avec les pianos.

LE REFUGE POUR CONCERTISTES

Joël entame aujourd’hui la « Il m’est arrivé de ne pas toucher sixième étape de sa vie. Accolé à son atelier, il a aménagé un gîte. Un gîte pour tout public, mais surtout concertiste, pour profiter du dépaysement et de un instrument fabuleux instruments. Avec les chambres, l’hôte propose une salle plusieurs jours de musique avec 3 pianos (piano à queue de concert Steinway car je n’étais pas modèle D, piano à queue Yamaha C5, piano préparé). Le pianiste prêt. Quand c’est un jour sans, je vais promener le chien » en résidence ou villégiature peut s’isoler et jouer sur des pianos exceptionnels aux vis décapées et lustrées. Joël nous a emmené dans cette salle de musique. Il a posé avec émotion ses doigts sur un clavier et a commencé à jouer. Il a murmuré : « vous entendez, vous entendez ce son ? ». Il jouait avec l’émotion de l’homme qui a gravi l’Everest, qui sait que derrière chaque note se cache un bout de feutre rouge sombre de Romans- sur-Isère et des vis décapées. L’émotion du labeur. Doucement mais sûrement. Chi va piano va sano.

le planté de bâton le planté de bâton

immersion

Entraînement musclé en compagnie des championnes du monde de twirling bâton, à côté de Besançon.

« Il n’y a aucun rapport entre le twirling les majorettes ! À part le bâton. Les majorettes sont en bottes, jupettes et chapeaux et elles suivent les fanfares » me dit tout de go Karine, la présidente du club en entrant dans le gymnase. Effectivement, j’ai l’impression que cette comparaison hâtive est un sujet sensible et que l’amalgame est vite fait. Heureusement que j’ai pris mon short et mes baskets pour apprendre, à la dure, ce qu’est le twirling bâton avec le club de Beure, un village à côté de Besançon.

Par Franck Le Tank Photos : Julien Lasota

Le twirling naît aux USA en 1978. Pas étonnant quand on sait que « to twirl », ça veut dire tournoyer en LV1 anglais (encore un verbe que tu as zappé car il était régulier). Pendant que l’Amérique s’émerveille pour le disco en se remettant de sa gueule de bois au Vietnam, le twirling bâton se développe dans les collèges aux USA. Si on regarde un peu plus loin, il semblerait même que cette pratique aurait pour provenance les îles Samoa et le SIAM, où le

bâton était alors pratiqué comme une danse religieuse à l’aide de longues cannes. En Europe, la pratique serait, quant à elle, arrivée avec des équipes de basket comme les Harlems Globe Trotters, qui, lors de leurs tournées de démos enflammées seraient venus avec des équipes de twirling bâton et de cheerleaders universitaire. En tout cas la pratique existe depuis un moment en France, en atteste Karine : « le club existe depuis 21 ans. Je l’ai fondé avec ma cousine mais avant on en faisait déjà. On a commencé à partir de 8 ans dans un club qu’il y avait à Besançon et qui n’existe plus. On s’est finalement lancée pour créer le nôtre ». Aujourd’hui le sport est bien organisé, il existe deux fédérations françaises la FFTSB (Fédération Française de twirling bâton) et la fédération dissidente, la NBTA ( National Baton Twirling Association) dont je vous passerais les embrouilles ici. Le sport est pratiqué dans le monde par environ 3 millions de personnes, ce qui représente l’équivalent de la population du Quatar ou de la Bourgogne Franche Comté. Comme je le disais en préambule, je suis attendu pour l’entraînement afin de voir si le twirling bâton est un sport fait pour moi. On l’a dit, pas de majorettes qui tiennent ici, mais plutôt un mélange de GRS, de patinage artistique et de danse, c’est pas gagné pour moi mais je me mets au diapason auprès de Cindy, l’entraîneuse du jour, et qui plus est, championne de France en solo en 2016. On commence par le commencement : un échauffement

en musique. On prête ici attention au tempo entre les exercices et tout y passe. En gros, on se met une ambiance sportive abdos, squats, étirements et violence du quotidien comme dans Gym Direct sur C8. Mon niveau physique moyen me fait tout de même me rendre compte que je suis en nage assez vite. Je tiens le coup (principalement pour garder la face) et j’abandonne à deux mètres du bol de sangria lors du passage au grand écart. La souplesse et moi n’étant pas de très bons potes, je décide d’opérer un retrait stratégique à ce moment-là. La préparation dure une vingtaine de minutes, et je suis désormais chaud bouillant et prêt à me saisir du bâton. C’est plutôt léger et c’est composé de deux extrémités différentes : la balle et le tip. C’est le poignet qui fait tout dans le mouvement, on pourrait comparer le mouvement de base à du nunchaku, ce qui donne cet effet d’optique de rotation. Bien sûr, ça, c’est la base et je comprends vite que la pratique demande une dextérité accrue ainsi que des heures de travail. Cindy me le confirme : « C’est un sport qui demande beaucoup de rigueur, d’entraînement et de répétition pour les mouvements. Il y a énormément de petites qui se découragent assez vite ». Effectivement c’est chaud et Karine me le confirme : « l’âge fatidique c’est 14 ans, c’est soit les copains et le scoot soit le bâton ». Avec deux entraînements par semaine, ça ressemble effectivement à un sacerdoce pour performer comme dans pas mal d’autres sports et ce n’est pas Émilie qui va me contredire. Elle est championne du monde en duo avec sa sœur

en 2019 : « J’ai commencé à 8 ans et je pratique le twirling depuis près de 22 ans ». Émilie continue, tandis que sa sœur lâche le twirling au sommet avec son titre en poche.

C’est un sport où il y a de plus en plus de mecs.

Le monde Chico et tout ce qu’il y a dedans

Je délaisse le bâton pour m’entretenir avec Émilie concernant cette coupe du monde 2019 remportée en duo avec sa sœur. C’était à Limoge : « chaque pays fait une sélection : des solos, des duos, des équipes, des groupes. Moi j’étais en duo avec ma sœur. C’était notre première participation ». Avant d’en arriver là, Émilie a convaincu les jurys à Paris lors du week-end de sélection : « Il y avait un énorme gymnase coupé en 4, tout le monde avait la même musique et des figures imposées. Les jurys notent l’artistique, la chorégraphie ainsi que les mouvements avec le bâton qui sont divisés en 3 catégories : « il y a le lancer, le rouler (quand le bâton est sur la nuque ou qu’il roule sur le corps) et le maniement (le bâton est près du corps mais dans l’espace). On doit présenter 3 roulés, 3 maniements et 4 lancés dans un programme ». Ça m’a donné envie de faire quelques lancés et quelques roulés mais l’échec est cuisant, je pense que je suis encore plus raide que le bâton… Je demande à Émilie si ce sont les USA les stars de la catégorie : « Le Japon c’est les plus balaise, toutes les équipes sont en Elite (le plus haut niveau du Twirling ndlr). Après c’est la France, et les USA. ». J’apprends Allez ! Vous m’en faites encore 200.

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