LIVRES La bibliothèque idéale pour briller en soirée intello cet automne
Dix opus pour dix ans de règne minutieusement contournés au nom d’une volonté de ne pas céder aux clichés et à la polémique. Les auteurs avancent la thèse d’une réforme en cours sous l’impulsion d’une « monarchie de proximité » avec la sacro-sainte voie d’équilibre calée entre maintien d’un traditionalisme au pouvoir et une modernisation des mœurs sociales. Nous ne sommes pas loin du chemin de traverse proposé par le Parti Authenticité et Modernité : l’adaptation au monde globalisé sans remise en cause du logiciel makhzénien du pouvoir central. Education et développement économique étant la clé de voute du modèle. Un peu court.
1. Officieux Au style assez emprunté, cette compilation de notes d’analyses se veut indépendante et critique. Pourtant, sous la houlette de Driss Alaoui M’Daghri, ancien ministre de Hassan II, universitaire et chaperon de l’Association marocaine d‘intelligence économique (AMIE), la lucidité dont elle se targue fini par s’estomper derrière le halo d’expertise de ses contributeurs, au point qu’au final, la radioscopie des différents chantiers engagés sous le règne de Mohammed VI ne retient que la thèse officielle de la dynamique politique, économique sociale et culturelle que connaît le Maroc depuis 1999, date de l’intronisation du roi. Elle se veut aussi une contribution au débat sur la nouvelle société marocaine en devenir, mais là, les sujets qui font réellement débat sur la nature du régime sont 60 LeTemPs.
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tialement en avril, le livre, très documenté et bien charpenté, n’était dans les rayons des librairies qu’à la veille des festivités marquant le 10ème anniversaire du règne de Mohammed VI, La Découverte ayant décidé de ne pas le télescoper avec celui d’Ali Amar, tout en abandonnant son titre initial « Le Nouveau Maroc ». Abondamment sourcé à partir de la presse marocaine, l’ouvrage propose d’expliquer pour quelles raisons le royaume n’a pas réussi à passer le cap de l’interrègne malgré les transformations en profondeur qu’a connue sa société. Le tour de vis sécuritaire après les attentats de 2003 et 2007, le choix technocratique de Mohammed VI, le maintien d’une classe politique laminée étant finement décryptés. Le pavé est cependant difficile à lire d’une traite. Il s’adresse essentiellement aux découvreurs du Maroc et non à un public averti. C’est sans conteste un ouvrage de bibliothèque à compulser au besoin. Un livre aussi de référence pour les étudiants de Sciences-Po, tant les séquences s’enchaînent sur le modèle d’une thèse.
3. Polémique 2. Académique Voici donc le second volet sur la transition marocaine signé Pierre Vermeren, professeur à La Sorbonne et ancien enseignant du Lycée Descartes de Rabat. Prévu ini-
Une bonne centaine d’articles au Maroc et dans la presse internationale ont été consacrés à l’essai du journaliste Ali Amar, sans parler d’une couverture radiotélévisée exceptionnelle en Europe et dans la blogosphère. C’est sans aucun doute le livre événement de l’année, déjà best-seller en France, où il s’est écoulé à plus de 30 000 exemplaires
1. Une ambition marocaine. Des experts analysent la décennie 19992009 , Collectif, Koutoubia/Le Serpent à plumes, juillet 2009 2. Le Maroc de Mohammed VI, une transition inachevée, Pierre Vermeren, La Découverte, juin 2009, 320 p. 3. Mohammed VI, le grand malentendu », Ali Amar, CalmannLévy, avril 2009, 340 p. 4. Le Maroc en marche », Collectif, CNRS éditions, juin 2009
grâce à une campagne guerrière de sa puissante maison d’édition affiliée au groupe Lagardère. Mais, c’est aussi l’ouvrage qui a provoqué le plus de remous dans le landernau politico-médiatique marocain. Son ton acerbe, ses anecdotes bien senties et ses révélations ad hominem, souvent critiquées, lui ont valu d’être indisponible dans les librairies du pays. Sa thèse épouse la ligne éditoriale offensive dont se réclamait l’auteur lorsqu’il dirigeait Le Journal Hebdomadaire. Elle pêche pour ses détracteurs d’un parti-pris jugé manichéen sur l’évolution du Maroc depuis l’accession au trône du roi Mohammed VI et d’un déficit d’exhaustivité. Mais, était-ce le but d’un essai qui ne prétend nullement à la performance académique ? Un livre de journaliste en somme, qui se lit comme un polar au style incisif, le genre étant inhabituel au Maroc, sauf lorsqu’il s’agit d’auteurs étrangers qui font de cet exercice une spécialité.
4. Diplomatique Un air de déjà vu qui confine à la propagande d’une autre époque pour cet ouvrage qui reprend les communications du colloque organisé le 29 juin dernier au Sénat sous le thème « le développement politique, social et économique du Maroc : réalisations (1999 -2009) et perspectives ». Il réunit les études d’une quinzaine d’universitaires, dont des juristes, politologues, sociologues, économistes, philosophes et experts sur
le développement politique, social et économique du royaume. On y retrouve les communications léchées et convenues de Christian Cambon et Jean Roatta, présidents respectivement des groupes d’amitié France-Maroc au Sénat et à l’Assemblée nationale, du doyen Michel de Guillenchmidt, professeur à l’Université Paris Descartes, de Dominique de Courcelles et Olivier Galland, directeurs de recherche au CNRS, de Florence Jean, professeur de droit ou encore de Charles SaintProt, directeur de l’Observatoire d’études géopolitiques (OEG). Ce dernier, proche des milieux monarchistes français a été chargé d’en faire la promotion sur les ondes françaises et dans Le Figaro avec le
soutien affiché de l’ambassade du Maroc. Une opération de marketing institutionnel et de réseaux diplomatiques qui souffre en raison de sa complaisance de l’étiquette « livre de commande ». Saint-Prot co-directeur du livre avait signé en 1988 un livre dans la même veine sur Saddam Hussein qu’il comparait à Charles De Gaulle.
5. Neutre Passé presque inaperçu, sauf sur le site communautaire Agoravox qui en a fait une fiche de lecture signée par l’auteur lui-même, universitaire basé en Belgique, le livre a adopté un ton neutre sur des sujets galvaudés. S’il a l’avantage de poser les bonnes questions sur le mode de
gouvernance choisi par le nouveau règne, l’ouvrage déçoit par une absence dommageable de propositions pour l’avenir. « Mohammed VI a-t-il réussi son pari, celui de faire entrer son pays dans l’ère de la modernité ? A-t-il réussi, comme il s’était engagé à le faire, à instaurer un véritable État de droit ? », promet la jaquette alléchante de l’éditeur. Mais dans ce travail d’une facture
4. Le Maroc en marche, Collectif, CNRS éditions, juin 2009 5. Mohammed VI, une décennie de règne , Youssef Jebri, Editions du Cygne, juin 2009, 140 p. 6. Politics of food in modern Morocco, Stacy E. Holden,University Press of Florida, Août 2009, 256 p. 7. Le prince qui ne voulait pas être roi, Ferran Sales Aige, Editions Catarata, Avril 2009, 224 p
inégale, Jebri ne fait pas au final la part des choses entre espoirs et doutes. Son analyse sur les dix premières années de règne de Mohammed VI demeure contenue et rétive à la critique directe. Trop de nondits auront dévalué un essai pourtant prometteur. Le rôle du monarque est sublimé et les tares du système sont réduites à l’inconstance des efforts consentis dans les domaines sociaux. Une belle bande-annonce sur les inquiétudes nées de la disparition de Hassan II, sans plus.
6. Culturaliste Voilà un livre qui risque de rester en travers de la gorge des Marocains. 100% décalé par rapport aux écrits classiques sur la monarchie alaouite, le livre qui nous vient tout droit de Floride se propose d’expliquer la longévité et la stabilité du régime marocain par …les papilles. Non, ce n’est pas un énième beau livre sur les délices de la cuisine marocaine, mais une tentative surprenante d’expliquer la politique. 18 | 09 | 2009 LeTemPs
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Holden suggère, tenez-vous bien, que le fond du problème n’est assurément pas de gloser sur l’avantage d’un régime démocratique sur celui d’un potentat autoritaire. Sans s’excuser des travers nés des abus de pouvoir d’une dictature aussi éclairée fut-elle, l’auteur prétend que la monarchie exécutive chère à Mohammed VI est la forme logique d’un gouvernement d’une nation au climat semi-aride appartenant au monde arabe et musulman. Pour étayer sa thèse pour le moins culturaliste (pour ne pas dire raciste), Holden propose une nouvelle interprétation de l’histoire récente du Maroc en arguant que la France coloniale avait failli à sa mission civilisatrice lorsqu’elle n’a pas pu endiguer la montée du nationalisme populaire pendant les périodes de sécheresses sévères. Aussi, à l’instar de l’époque du Protectorat, l’instabilité du pays ne pourrait être provoquée qu’en période de famine. Le premier des droits de l’homme est de manger à sa faim avait dit Chirac à Tunis. Les élites marocaines ne pensent-elles pas aussi que le peuple est immature ? Faut-il y ajouter que le Marocain n’est qu’un tube digestif ? Indigeste, ce livre !
7. Biographique « Le prince qui ne voulait pas être roi » (El principe que no queria ser rey), paru en Espagne le 23 avril, dresse le portrait de Mohammed VI. Un 62 LeTemPs.
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8. Vivre le changement. Regards croisés sur le Maroc 19992009, Sous la direction de Narjis Rehraye, Laïla Ouachi, Aoùt 2009 9. Francophone voices of the “ new” Morocco in film and print, Valérie K. Orlando, Palgrave McMillan, juillet 2009, 284 p. 10. Morocco in the 21th century, Guy Arnold, North South Books, juillet 2009, 220 p. 11. Morocco, challenges to tradition and modernity, James N. Sater, Routeledge, 208 p. A paraître en novembre 2009
livre dur, qui n’échappe pas aux raccourcis, écrit par un vétéran du journalisme au Maghreb et au MoyenOrient. Sa parution cette année est due à un simple hasard de calendrier tant l’ouvrage est loin d’être un exercice de bilan du règne de Mohammed VI. Et pour cause, l’auteur qui a exercé pendant de longues années au Maroc, a quitté le royaume au soir du règne de Hassan II. Il évoque en fait l’adolescence d’un prince héritier sous la tutelle d’un père jupitérien. Quelques anecdotes croustillantes que l’on dit très romancées agrémentent le récit. Le point culminant en est l’interview accordée au journaliste par Sidi Mohammed, racontée avec nostalgie et piquant. Une bonne moitié du livre est franchement sans intérêt : Sales analyse sans relief les réalisations politiques du nouveau roi et l’évolution du pays depuis dix ans. Pour les besoins de la rédaction du livre, le journaliste est retourné au Maroc en 2008 pour rencontrer d’anciens contacts qu’il avait à la fin des années 90, pour la plupart des acteurs politiques qui ne jouent plus aujourd’hui de rôle majeur. La presse espagnole, pourtant friande des affaires marocaines n’en a fait qu’un maigre compte-rendu.
nions publiques.
9. Iconoclaste
bilité des transformations dans le pays par la voix des personnes nominés par la journaliste Narjis Rehraye et la professionnelle des relations publiques d’Etat Laïla Ouachi, tient plus de la profession de foi pour le régime actuel que de la diversité attendue. Les « regards croisés » demeurent trop consensuels et emprunts d’un satisfecit trop criard pour être totalement
8. Subjectif L’idée est certainement finaude de proposer un florilège de témoignages d’acteurs de divers horizons sur les dix ans qui viennent de s’écouler. Mais l’exercice n’a pas réussi à éviter un écueil de taille : celui de présenter une fois de plus les opinions blanchies d’une brochette de personnalités trop souvent vues, lues et entendues. A la décharge des auteurs, la livraison de commentaires intimistes parlants qui arrivent parfois à toucher par leur émotion non feinte. La grandiloquence de certains, le maniement de la langue de bois et la réserve perceptible de notabilités bien en Cour est à l’inverse décourageante pour un lectorat envahi et excédé par les écrits insipides de la presse officielle. La lisi-
« Les voix francophones du ‘Nouveau Maroc’ dans le cinéma et l’écrit» décortique le sens des messages de la société à travers la littérature, le journalisme et la production cinématographique au Maroc depuis 1999. Une idée rafraîchissante et iconoclaste que l’on aurait voulu être dénichée par un auteur marocain. Certes la presse indépendante a souvent voulu croire en une Movida marocaine, mais pas au point d’en déchiffrer totalement le contenu .Valérie K. Orlando accepte pour postulat que le renouveau culturel et intellectuel perceptible chez la jeune génération d’écrivains, de journalistes, de poètes et de metteurs en scène a été encouragé par le nouveau règne. L’exploration socio culturelle, la prise de parole et le débat politique sont sans conteste plus foisonnants que sous Hassan II, mais l’auteur, professeur associée de littérature française à l’Université du Maryland, confond sans le vouloir, changement de règne et changement de régime. Elle escamote une vérité bien crue : la liberté de certains artistes et intellectuels n’a pas été octroyée, mais arrachée au prix de bien des sacrifices. Aussi, le ‘Nouveau Maroc’ qu’elle dépeint semble quelque peu fantasmé. Le thème du passage de la tradition à la modernité est simpliste sous sa plume et se résume trop superficiellement à la vision très américaine des clivages entre Orient et Occident après le 11 septembre.
10.
Hagiographique
crédibles, et ce, malgré des relents de sincérité avérés. Il manque assurément à cette douce musique des voix plus dissonantes qui auraient donné à cette compilation plus d’harmonie avec la réalité des opi-
Professeur à l’université anglaise de Surrey, Guy Arnold est un spécialiste des questions africaines et celles relatives à la coopération Nord-Sud. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, traitant notamment du continent africain, dont « Africa, a Modern History », qui traite de l’histoire contemporaine du continent de 1960 à 2000. Ceci
étant avancé, le reste, c’est à dire son dernier livre n’est qu’une vaste reprise de la version officielle de l’état du Maroc. Tout y passe, de l’INDH au plan d’autonomie du Sahara, des autoroutes à Tanger Med, de l’islam tolérant du royaume au CCDH, jusqu’à la thèse éculée du Maroc « passerelle entre le monde occidental, le monde arabo-musulman et l’Afrique de par sa position géographique stratégique ». Arnold, vieux routier et stakanovitch de ce genre de livraisons a déjà commis « Le Nigéria moderne » en 1977, « Le Kenya moderne » en 1981, « La nouvelle Afrique du Sud » en 2000 et surtout une hagiographie de Kadhafi en 1997. Son ouvrage au tirage confidentiel n’a plus disponible. Sans regrets.
11. A venir Pour nombre d’observateurs, le Maroc demeure un mystère écrit James N. Sater dans son livre à paraître en novembre. Cet ancien professeur à l’Université Al-Akhawayne qui enseigne aujourd’hui à la Faculté de Sharjah aux Emirats, signe son deuxième ouvrage sur le royaume après son essai très documenté sur les droits de l’homme paru en 2007. Il revient sur les contradictions qui écartèlent la société marocaine : des intellectuels progressistes qui critiquent l’autoritarisme du régime face à ce qu’il définit comme « une singularité et une authenticité » qui empêchent toute démocratisation véritable. L’auteur force le trait sur le gouffre social entre la classe des entrepreneurs nantis et l’immense pauvreté de la majorité de la population tandis que la classe politique élue fait allégeance sans conditions à une monarchie attachée à ses traditions. Un chapitre entier est dédié au regain de religiosité chez une jeunesse désabusée par le manque de perspectives et de débouchés. Rien sous le soleil que le commun des Marocains ne sache.