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Present: COLLABORATION AVEC LE SEMS

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COLLABORATION AVEC LE SEMS (SOCIÉTÉ SUISSE DE MÉDICINE DU SPORT ET DE L’EXERCISCE)

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ENTRETIEN AVEC BORIS GOJANOVIC

Interview: Patrizia Zanetti PHOTOS: 1 Alphafoto 2 Forum économique 3 romand et Boris Gojanovic Le Dr. Boris Gojanovic (49 ans) est directeur médical de la santé et de la performance à l’Hôpital de la Tour (Swiss Olympic) à Meyrin, Genève. Il occupe également le poste de vice-président de la SEMS. Gojanovic est un ancien joueur professionnel de basket-ball et un triathlète passionné.

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La SEMS jusqu’en 2019 la SSMS (Société suisse de médecine du sport) a pour but de promouvoir la médecine du sport et du mouvement. Elle a pour objectif de promouvoir la santé de la population suisse, des sportifs de haut niveau aux athlètes handicapés en passant par les enfants pratiquant un sport de masse. Elle conseille et prend en charge les athlètes en matière de prévention, de traitement conservateur et chirurgical et, si nécessaire, de rééducation.

Dans le cadre de la FMH (Foederatio Medicorum Helveticae), la SEMS assume la responsabilité de la formation continue et du perfectionnement en médecine du sport en Suisse. Elle organise des cours de formation continue, fait passer l’examen et délivre la formation approfondie interdisciplinaire en médecine du sport (SEMS).

De plus, elle est une organisation partenaire de Swiss Olympic et assume dans ce cadre la responsabilité technique de l’encadrement médico-sportif des sportifs suisses licenciés. La SEMS participe à la prévention du dopage et à la lutte contre le dopage.

Tous les médecins peuvent devenir membres ordinaires de la SEMS. Les personnes travaillant dans des domaines proches de la médecine du sport et de l’activité physique, comme les physiothérapeutes et les entraîneurs, peuvent devenir membres extraordinaires de la SEMS. Les institutions et les entreprises ayant des intérêts dans la médecine du sport et de l’exercice peuvent devenir membres collectifs de la SEMS.

SPORTFISI@: Quelle est l’importance de la collaboration avec le physiothérapeute dans ton quotidien ? Gojanovic: La réponse rapide que je donne souvent est celle-ci: «sans la physiothérapie, mon travail de médecin du sport n’est rien». Je m’explique: la rééducation et la récupération optimales des capacités et qualités physiques d’une personne (athlète ou non) blessée ne peut se faire qu’avec l’accompagnement réguliers des thérapeutes. Le rôle du médecin est d’établir un diagnostic initial (parfois incomplet), de mettre en route les investigations nécessaires, et d’orienter le patient/athlète vers une première voie de traitement et des thérapeutes. Jusqu’ici, on peut imaginer faire ce travail «seul», même s’il faut connaître la physiothérapie et les physiothérapeutes (pour savoir comment ils travaillent et ce qu’ils peuvent faire).

Par la suite, je dois réévaluer la progression ou revisite le diagnostic initial après une période de traitement. Dans cette phase-là, le dialogue entre les intervenants est fondamental. Une communication efficace permet de bien guider le patient et les éventuelles nouvelles investigations à réaliser, tout en précisant le prognostic de guérison.

Finalement, lors des décisions difficiles de retour au sport chez les athlètes, par exemple, il est idéal de pouvoir avoir un dialogue commun et une décision informée et partagée avec l’athlète. Dans quelle mesure travailles-tu en étroite collaboration avec le physiothérapeute ? J’ai la chance incroyable de travailler dans une structure qui a été pensée avec une philosophie de collaboration étroite et construite pour la faciliter. Ainsi, je peux passer auprès des physiothérapeutes, et des patients en cours de rééducation, au quotidien. Concrètement, plusieurs fois par jour je prends les quelques marches d’escaliers et 30 mètres qui me séparent de notre grande salle de rééducation pour être au cœur de l’action et échanger avec les collègues. En plus de cela, nous avons un système simplifié de transmission bilatéral des informations essentielles (impression de consultation, résultats d’examens, progression du traitement) par courriel.

Cette collaboration est renforcée par les échanges lors de colloques communs, de projets de développement intégrant les deux professions, en plus des coaches, psychologues, diététiciennes et physiologistes du sport. En résumé nous vivons une réelle interdisciplinarité pour le patient/athlète, qui souvent commence par le binôme médecin-physiothérapeute.

Quelles sont les traitements en physiothérapie que tu considères comme particulièrement efficaces ? Il n’y a pas de «magic bullet». Les physiothérapeutes disposent de différents outils de par leur formation de base et continue. La clé est d’appliquer ces techniques ou outils adéquatement. Ce qui est primordial pour moi, c’est l’approche sur le modèle de l’évaluation objective et subjective, l’intervention ciblée et la réévaluation (test-treat-retest). La physiothérapie s’est beaucoup développée dans ce sens ces dernières années, tant dans le domaine de la recherche, que dans l’application quotidienne de ces principes de prise en charge.

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Y a-t-il des traitements physiothérapeutiques à l’égard desquelles tu es critique ? Voilà une question provocative! Je pourrais répondre: les ultrasons «thérapeutiques», mais j’espère qu’en 2022 nous sommes tous d’accord pour dire qu’ils sont inutiles. Je mets une forte valeur sur le travail d’éducation thérapeutique, sur l’explication au patient et sur l’encouragement à la participation active dans le processus thérapeutique. Ceci dans un but d’autonomisation du patient. Beaucoup de pathologies (surtout dans le domaine non traumatique) récidivent par manque de compréhension de la problématique. Parfois, certains traitements passifs aident le patient transitoirement (ce qui est positif), mais n’empêchent pas la récurrence. Ceci peut engendrer une forme de dépendance au thérapeute qui appliquerait uniquement des méthodes passives qui ne contribuent pas à la récupération physique fonctionnelle (musculaire, tendineuse, proprioceptive, etc.). Quant à la liste de ces approches thérapeutiques, je vous laisse l’imaginer, elle peut être longue.

En médecine du sport, utilise-t-on en général plus rapidement l’imagerie médicale (IRM, scanner, etc.) par rapport à la prise en charge de patient lamda, selon la devise : «traitement le plus rapide et le meilleur possible». Le développement de l’imagerie médicale donne des possibilités incroyables et il nous appartient de les utiliser correctement. Chaque présentation clinique est investiguée de la même manière: anamnèse précise (dans le cas du sport, cette partie est beaucoup plus détaillée que ce que nous apprenons en médecine générale: type et quantité d’entrainement, historique des blessures, contexte de la pratique, niveau, objectifs, etc.), un examen clinique détaillé et l’utilisation des examens complémentaires (laboratoire, imagerie médicale, avis spécialisé) si cela est indiqué. Le contexte sportif va parfois accélérer l’usage de l’imagerie si celle-ci peut potentiellement aider à la prise en charge et au pronostic.

Il est vrai que nos patients, et surtout les athlètes, ont aujourd’hui souvent l’attente de faire une IRM pour le moindre problème. Notre expertise est là pour décider si et quand elle est utile. Nous utilisons beaucoup l’échographie au cabinet en médecine du sport, ce qui permet, à moindre frais, d’amener une dimension visuelle supplémentaire dans le processus diagnostic et de suivi.

Selon toi, les résultats de l’imagerie médicale permettent-ils toujours de prendre de meilleures décisions concernant le traitement d’un sportif ? En aucun cas! Il est très fréquent que je passe du temps à expliquer aux patients ou athlètes pourquoi nous n’allons pas faire d’IRM. Ces examens nous montrent des détails qui ne correspondent souvent pas à ce qui provoque la dysfonction ou la douleur ressentie. La littérature regorge d’exemples (hernies, atteintes méniscales, etc…). Une fois les images faites et les mots posés sur des anomalies anatomiques dont la signification n’est au mieux qu’incertaine, il est difficile de sortir de l’idée que «la protrusion discale paramédiane dégénérative du disque L4-5» est responsable des douleurs lombaires. L’effet nocebo du language radiologique descriptif est réel et doit être évité. Dans ce sens-là, il est aussi primordial que nos partenaires dans la prise en charge, en premier lieu les physiothérapeutes, n’insufflent pas ces mots terribles dans l’oreille du patient: «je pense qu’il faut faire une IRM, demandez donc à votre médecin…. ».

Il est très important de ne pas baser ses conclusions sur l’imagerie uniquement. Tant au niveau du diagnostic que du pronostic. Si certaines pathologies nécessitent une imagerie avancée pour voir l’étendue des lésions, souvent le traitement en soi n’est pas modifié par les images. D’autre part, l’imagerie ne permet en général pas de définir la guérison de nombreuses blessures. Elle ne doit pas être utilisée pour le retour au sport, en dehors de situation claires comme par exemple la recherche d’une consolidation osseuse radiologique.

La technologie se développe rapidement, et il est possible que de nouvelles applications viennent bouleverser certaines pratiques, nous devons rester ouvert à celle-ci.

En ce qui concerne l’accès direct à la physiothérapie (sans prescription médicale) : Quel est ton avis à ce sujet ? Encore un point qui pourra soulever de longs débats. Avant toute chose, j’aimerais rappeler que la prise en charge est une affaire d’équipe. On ne travaille pas seul. L’ordre dans lequel les choses sont faites doit suivre une logique clinique. Une évaluation initiale avec intervention brève est souvent bénéfique dans le domaine des plaintes musculo-squelettiques. Dans les milieux du sport, nous avons l’habitude que le physiothérapeute soit en première ligne, effectue un triage et un premier traitement. Parfois le médecin doit être impliqué.

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Cela fonctionne très bien lorsque la communication est efficace et alignée. La généralisation de l’accès direct peut poser problème dans l’identification de problématiques médicales masquées par les symptômes musculo-squelettiques. La formation médicale est différente et bénéficie de l’usage d’autres outils d’évaluation, que ce soit par l’examen médical, ou l’usage des examens complémentaires.

Je pense que l’accès direct doit être envisagé dans un certain nombre de présentations cliniques, avec un système interdisciplinaire en place pour pouvoir fonctionner en équipe. Nous fonctionnons souvent ainsi dans le quotidien. Quant aux aspects médico-légaux, il appartient à nos instances de santé de définir les responsabilités, les opportunités et les limites d’un tel système.

Quels sont les objectifs et les visions de la SEMS ? Comment la spécialité médecine du sport pourrait-elle évoluer au sein de la médecine (collaboration entre physiothérapeutes et médecins) ? La médecine du sport et de l’exercice est en évolution constante, et nous avons de nombreux défis devant nous. La SEMS travaille sur plusieurs fronts:

• La formation (de base et continue) est notre cheval de bataille, et de nouvelles thématiques se dessinent avec des besoins d’éducation (safeguarding, santé mentale, coordination interdisciplinaire, commotion cérébrale, RED-S, médecine du sport pédiatrique et de l’adolescence, lutte contre la sédentarité, etc.). Nous disposons à ce titre d’un journal qui permet de transmettre des connaissances aux membres, et nous organisons un congrès annuel de deux jours.

• Le positionnement de la médecine du sport et de l’exercice dans le système de soin reste un autre combat constant. C’est notre rôle de promouvoir le rôle de nos médecins dans la promotion, le maintien et la récupération de la santé complète et mobile, quel que soit le niveau de mobilité (allant de la sédentarité aux Jeux Olympiques).

• L’importance de la préservation de la santé des athlètes, en particulier dans les âges de développement, fait partie des messages que nous véhiculons dans nos échanges avec les instances nationales du sport de haut niveau (Swiss Olympic) et les organisations sportives régionales. L’expertise de la médecine du sport reste insuffisamment utilisée dans les aspects de prévention.

• Ces dernières années, la SEMS a facilité l’éclosion de la nouvelle génération, qui, sous l’impulsion du Dr Justin

Carrard, puis de la Dre Anne Cornevin, a fondé la Junior SEMS. Une association qui regroupe les étudiants et les jeunes médecins passionnés par le sport et l’exercice pour la santé. La jeunesse nous pousse à revisiter les certitudes et j’espère que nous saurons suivre leur élan dans le futur. Le domaine du sport et de la santé bénéficiera de la mise en place de systèmes de communication interdisciplinaires. Aujourd’hui, la digitalisation des dossiers est à l’âge de pierre. Le sport de haut niveau donne des modèles d’agrégation des informations (médecins, physiothérapeutes, données d’entrainement et de performance), et nous devrions nous en inspirer pour le fonctionnement avec nos patients. Le sport d’élite a toujours été un laboratoire d’où sont sorties des innovations intéressantes, il est temps que ce modèle soit répliqué dans la pratique clinique. Pour cela, il faut pouvoir valoriser le travail de tous les intervenants et surtout le temps nécessaire à la coordination et la communication. S’il est accepté (et un peu remboursé) que les médecins passent du temps à échanger avec d’autres professionnels, cela n’est pas le cas des physiothérapeutes. C’est un grand frein à la vraie interdisciplinarité.

Pour travailler bien ensemble, il est utile, voire nécessaire, de connaître les compétences des autres professions. La meilleure façon de le faire et de participer à des formations dans les autres branches, ou mieux encore de développer des formations communes, comme nous avons eu l’occasion de le faire en 2018 avec le congrès conjoint Sportfisio et SEMS. Il serait intéressant de poursuivre dans cette voie.

Il y a quelques années, un de mes étudiants à fait une étude sur le contenu des ordonnances de physiothérapie dans le cas de pathologies de l’appareil locomoteur. L’étude a montré que les indications fournies par le prescripteur étaient souvent peu détaillées et insuffisamment pertinentes pour le thérapeute. D’un autre côté, les thérapeutes avaient rarement contact avec le prescripteur, ce qui laissait parfois le patient dans une sorte de no man’s land entre les deux professionnels. Ceci doit changer, et peut-être que la première étape serait de revoir le système de prescription, au sens pratique, avec un outil de communication à deux voies qui intégrerait la prescription et le feedback pour combler ce déficit identifié. Pour cela, médecins et physiothérapeutes doivent travailler ensemble.

En décembre 2021, nous avons organisé le premier symposium sur le safeguarding en Suisse, ensemble avec la physiothérapie, la nutrition et la psychologie du sport. Cette union logique entre les soignants du sport se révèle enrichissante pour tous et nous comptons bien continuer sur cette voie, qui présente de nombreux défis dans les années à venir.

Dans tous ces projets, un point doit rester le focus de nos actions : la meilleure prise en charge possible pour nos patients et athlètes, intégrant les compétences jointes de nos deux professions, en respectant l’autonomie et le bienêtre physique et psychique de tous (y compris les soignants).

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