Stardust Memories # 34

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Stardust Memories €

# 34 - DECEMBRE 09

SPIKE JONZE SELECTION DVD

AVATAR JAMES CAMERON

VINCERE MARCO BELLOCHIO




Stardust Memories www.stardust-memories.com

Une publication de: ASSOCIATION STARDUST MEMORIES c/o Daniel Dos Santos 11 rue Erard 75012 Paris RÉDACTION Directeur de la rédaction : Daniel Dos Santos Rédacteurs : Claire Babany, Sébastien Cléro, Daniel Dos Santos, Suzanne Duchiron, Anne Grall Sabatier, Florence Valero. ADMINISTRATION Directeur de publication : Daniel Dos Santos Administration : Daniel Dos Santos Publicité : Daniel Dos Santos Conception maquette : Daniel Dos Santos Abonnement : 15 € pour 1 an (8 numéros) Chèque à l’ordre de STARDUST MEMORIES À envoyer à : STARDUST MEMORIES - C/o Daniel Dos Santos 11 rue Erard 75012 PARIS Crédits photographiques Couverture : Where the wild things are © Warner bros p 4 : Max et les maximonstres © Maurice SendakEditions L’Ecole des loisirs p 5, 6, 8, 9, 10, 11, 12, 13 : Where the wild things are © Warner bros p 14, 15 : Avatar © Twentieth century Fox p 16, 17 : Vincere © Ad Vitam p 18 : Hadewijch © Tadrart Films p 19 : Un conte finlandais © Epicentre films p 20 : La Domination masculine © UGC Distribution p 21, 25 : Up © Walt Disney studios p 22, 24 : Watchmen © Paramount pictures p 26 : Ponyo sur la falaise © Walt Disney studios p 27 : Synecdoche New York © Oceans films

Images et photos sous copyright et/ou libres de droits. S’adresser (ou pas) aux auteurs, mais les citer, toujours. C’est plus cool.

ISSN: 1957-2956 Dépôt légal à parution. Imprimé chez Promoprint (Paris). STARDUST MEMORIES est publié mensuellement (jusqu’à ce que mort s’en suive) par STARDUST MEMORIES (association loi 1901), chez Daniel Dos Santos, 11 rue Erard, 75012 Paris. Contact : stardustmemories.magazine@gmail.com La rédaction décline toute responsabilité quant aux opinions formulées dans les articles, celles-ci n’engageant que leur auteur. Nous même, nous ne les approuvons pas. D’autre part, toute reproduction, intégrale ou partielle, fait sans le consentement de l’auteur, ses ayants-droits ou ayants-cause, est illicite (loi du 11 mars 1957, alinéa 1er de l’article 40) ou bien doit être faite très discrètement. Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 du Code Pénal et toute la fin de la Bible.


Art from adversity La condition humaine dans toute sa simplicité. En cette fin d'année, on nous propose deux films attendus tout deux depuis la fin du millénaire dernier. Avatar de James Cameron. Et Where the wild thing are de Spike Jonze. Deux blockbusters ? Pas vraiment, puisque le film de Spike Jonze est freiné dans sa distribution par divers conflits qui lui firent rater tous les festivals (on aurait, semble-t-il parlé de Cannes), le poussèrent à un remontage (alors que Spike Jonze avait, par contrat, droit à son final cut), puis enfin le retardèrent dans sa sortie, l'oublièrent dans sa promotion, le minimisèrent dans sa distribution. Tout est relatif évidemment. Le film de Jonze coûta 100 Millions de dollars ! Sauf justement qu'à ce prix-là, la stratégie du film est suicidaire. Les studios décident de la vie et mort d'un film. Where the wild things are fut envoyé au pilori. Avatar au contraire, a bénéficié d'une promotion qui tourne à la propagande, au lavage de cerveau. Comme si Avatar n'était plus qu'un produit de consommation idéal, parfait, un aboutissement commercial d'un système qui se perfectionne depuis une vingtaine d'année : Hollywood. Parce qu'après tout, l'évolution du cinéma comme de toute forme de progrès naît du conflit entre deux systèmes économiques. Blockbusters contre systèmes de diffusion alternatifs. L'exemple d'Avatar nous fait alors suspecter un conditionnement politique du cinéma par rapport à ses moyens de production et diffusion (vaste sujet à débattre). Comme si le cinéma en tant qu'industrie conditionnait le cinéma en tant qu'art. Car Where the wild things are, qu'on aurait tendance pour des raisons totalement légitimes à classer dans la même catégorie de films qu'Avatar (économiquement, c'est un blockbuster hollywoodien, structurellement, c'est une utopie, esthétiquement, c'est un film fantastique) est ontologiquement différent du film de James Cameron. Que ce soit dans son propos (le film de Spike Jonze s'oppose à toute hiérarchie politique, celui de Cameron prône le pouvoir du juste chef) dans son esthétique (le film de Jonze reproduit une esthétique documentaire, celui de Cameron prône un contrôle et une précision absolue), sa morale politique enfin (Spike Jonze n'ambitionne pas de transmettre un "message", Cameron use de métaphore simplistes). D'un côté, Where the wild things are est un film foisonnant, ouvrant l'horizon politique des possibles. De l'autre côté, Avatar, s'autoproclamant révolutionnaire, est en tout point un film foncièrement fasciste. En cette fin de décennie, la profondeur de l'expression "art from adversity" reste parfois insoupçonnée. La soif de contrôle et la volonté de domination de James Cameron est à l'opposée de la simplicité du Max de Where the wild things are. Car chez Max, elles sont toujours mises en doute, contestées (et Max court le risque de se faire dévorer) alors que chez Cameron, tout est hiérarchie, personne ne court le risque de défier le réalisateur et son égo, sans doute de peur de se faire dévorer. DANIEL DOS SANTOS

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Film du mois …………… 8 Max et les maximonstres

Interview ……………… 12 Carol le maximonstre

Autres Critiques ………… 14 Avatar Vincere Hadewilch Un conte finlandais La domination masculine

Selection dvd …………… 21 Watchmen Up Ponyo sur la falaise Synecdoche New York 7


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MAX ET LES MAXIMONSTRES Des années en gestation, l‟adaptation du best-seller de Maurice Sendak Where the wild things are par Spike Jonze sort enfin en salles après moult péripéties. Jugé trop sombre, trop agressif, trop triste pour un public pour enfant, le film a subit en amont ce que le livre avait subit en aval lors de sa sortie. Mais est-il seulement pertinent voir chez Max et les maximonstres uniquement comme un film pour enfant ?

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r Réalisé pnaze o J Spike

Catherine Records, avec Max, James Gandolfini Keener

lles sortie en sare 09 16 décemb

Ce n‟est pas parce que la psychanalyse s‟est emparée de la littérature, ou le cinéma, pour enfant comme schéma d‟étude des pulsions enfantines que tout livre, ou film, traitant des pulsions de l‟enfant est nécessairement un film appelant une lecture psychanalytique. D‟emblée, la question : quel film-pourenfant est Max et les maximonstres ? est une mauvaise question. Car évidemment, le terme est péjoratif. Qu‟est-ce qu‟un film pour enfants ? Un film qui par sa conception simple peut toucher directement des êtres d‟âge et expérience réduits ? Dans ces cas-là, Spike Jonze propose de révolutionner le genre, de dynamiter ses codes. L‟économie tout entière du film tourne autour d‟une simple proposition esthétique : l‟univers créé, cette île des maximonstres est une île faite de forêt d‟arbres morts, de falaises, de déserts… pas de couleurs, pas de féérie, et cet univers tout entier est, tout comme le monde réel, filmé caméra à l‟épaule, comme un reportage. L‟idée étant de soustraire tous les artifices et toute la fantaisie que l‟on associe généralement à

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“Happiness isn't always the best way to be happy.” l‟enfance. Donc : plans courts, montage cut, éclairage naturel tant que faire se peut, et créature faites de gros costumes poilus (donc matérielles et non numériques). De l‟artisanat mais pas d‟artifice. L‟histoire est celle de Max, un jeune garçon très seul. A l‟heure du dîner, il monte sur la table et dit à sa mère : « Femme. Nourris-moi ! ». Sa mère se fâche, il menace de la manger puis la mord. Elle l‟envoie dans sa chambre sans dîner. Mais Max s‟enfuit, court dans la nuit jusqu‟à une petite barque abandonnée qui le mènera sur l‟île des maximonstres. Par de nombreux aspect, le Max… de Jonze serait le pendant masculin et épicurien à l‟Alice… de Carroll, auquel il fera de nombreuses références directes. Surtout, Jonze partage avec Carroll un même sens du ludisme, une passion pour les jeux où les règles sont incapables de construire un équilibre pouvant départager gagnants et perdants. Pour Carroll, le jeu n‟a pas de règle, mais pour Jonze, le jeu n‟a pas de structure ni de fin. Rares sont à ce titre les films pour

enfants mettant en scène le jeu pour luimême, en dehors d‟une économie d‟apprentissage (dans la majorité des Disney, on ne joue que pour apprendre, ou bien on joue en chantant, c‟est-à-dire au sein d‟une organisation stricte et chorégraphiée). Il est connu que Françoise Dolto déconseilla vivement la lecture du livre de Sondak aux enfants. Les monstres seraient des manifestations brutales et horribles de l‟inconscient de l‟enfant, qui l‟effraieraient ou l‟aideraient au mieux à assouvir ses désirs de puissance. Le récit d‟initiation échoue si le personnage n‟acquiert aucune connaissance. Renversement structurel. Max et les maximonstres aurait à première vue tout d‟un Bildungsroman classique. Le jeune Max s‟enfuit dans un monde imaginaire car il est incapable de faire face à une réalité qui lui est hostile (soit une « rupture entre une âme pleine d'idéaux et une réalité qui résiste » selon les mots de Jürgen Jacobs). Là-bas, il apprendra à faire face à la réalité selon une évolution déterminée. Enfin, c‟est la


prétendue immaturité de l‟enfant qu‟il s‟agit là de renverser en la confrontant à ses responsabilités et, in fine, en le réconciliant avec le monde. Seulement voilà, rien de tout cela n‟aura lieu et au cours de son périple, Max sera confronté à des personnages qui auront moins d‟expérience que lui. Résultat : l‟initiation est renversée, c‟est Max qui va apprendre aux monstres, leur apporter ses connaissances, son expérience… et non l‟inverse. Max et les maximonstres n’est pas un éveil spirituel mais au contraire une régression, un repli sur soi. Il échappe au schéma type de ce genre de film. Pas d‟aventure, pas de danger, pas de menace. Uniquement du jeu. Plaisir ici supérieur à un bonheur ontologique. Alors, un bouleversement des rapports (très Carrollien) s‟opère à plusieurs niveaux : A un niveau purement visuel, les dimensions s‟affolent en pénétrant dans l‟île des maximonstres. Tout d‟abord, les monstres sont simplement bien plus grands que Max alors pourtant que celui-ci s‟impose comme roi. Ceci initie un jeu visuel sur la perspective et les échelles de grandeur : Max est un géant au milieu du micro-village construit par le monstre se prénommant (justement) Carol, dans le désert passe en arrière-plan un chien mais dont les dimensions sont encore bien supérieures à celles des maximonstres, enfin lorsque Max explique à Carol qu‟un jour le soleil va mourir, ce dernier lui répond : « Look at me, I’m big ! How could guys like us worry about a tiny little thing like the sun ! » Au niveau des rapports sociaux enfin. Et c‟est là que le film est vraiment subversif. Le film remet en cause l‟autorité parentale en générale (et l‟autorité féminine en particulier, Max n‟ayant pour famille que sa soeur et sa mère) et la renverse.1 Max se veut une figure autoritaire et lorsque sa réalité sociale est incapable de le voir comme tel, il fuit. Mais il fuit pour devenir roi chez les maximonstres, feignant alors un pouvoir illimité pour établir son ordre à lui. Il reproduit alors un schéma patriarcal avec ses monstres, alors même qu‟il est un enfant sans père. Plus profondément encore, Max élabore l‟organisation politique d‟un éternel présent, absout de toutes responsabilités autres que cette question « qu‟est-ce qu‟on fait maintenant ? ». Le roi décide de quoi faire. Et le roi veut jouer car jouer lui permet d‟assouvir ses pulsions destructrices. Il fait l‟expérience, malgré lui, du politique et de la communauté. Et la conclusion à laquelle il arrive est à la fois poétique, idéaliste et concrète. Les maximonstres n‟ont pas besoin de père, de roi, ils n‟ont besoin que d‟euxmêmes (la seule raison pour laquelle ils avaient besoin d‟un roi était « d‟éloigner toute la tristesse », ce qu‟ils ne peuvent faire qu‟en restant ensemble). Le système politique qui prévaut dans le film, c‟est l‟anarchie. Un univers sans ordre, sans autorité, une communauté des égaux. Plus aucune domination. Max et les maximonstres se révèle plus comme un essai sur l‟anarchie qu‟un simple récit d‟initiation. Et d‟un point de vue strictement politique, Max et les maximonstres est bien plus passionnant comme tentative poétique d‟établir un schéma structurel au sein d‟un microcosme social que comme l‟assouvissement simple de pulsions enfantines contradictoires. Après tout, Max et les maximonstres n’est peut-être qu’une splendide oeuvre de résistance, (résistance au monde, à l‟injustice…) sous l‟apparence d‟un film autiste, immature, contradictoire, enfantin, méchant car il ne pense qu‟à jouer, se bagarrer, et au final, qu‟à être protéger (par des igloos, des forts…) du seul mal existant ici : la tristesse. DANIEL DOS SANTOS 1. D’autant plus qu’à la fin du film, Max rentre chez lui, accueillis par sa mère et il mange, symbole qu‟il a enfin réussi à affirmé son autorité sur sa mère qui l‟avait auparavant privé de dîner.

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L INTERVIEW Bonjour Carroll, tout d‟abord j‟aimerais vous posez une question sur le scénario du film : comment s'est passé pour vous le passage du livre à l'écran ? Grrr... dans le livre, au moins, on ne voyait pas à quel point on peut se sentir triste et seul. Le livre ne laissait pas le temps de nous connaître, nous, les maximonstres. On ne voyait même pas grandchose de l’île où nous vivons. Pour Maurice Sendak, c’était une forêt luxuriante, très verte, pour Spike Jonze c’est un désert, des rochers, des forêts mais avec des arbres morts ou presque morts. Un paysage moribond.

Cela vous mettait mal à l‟aise de vous dévoilez autant ? Pff... moi, non ! C’est juste qu’on apparaît différent, méchant différemment. Grrrr... Apparemment, plus gentils, mais fondamentalement plus méchants. Dans le film, on ne donne plus l’impression à chaque instant qu’on s’apprête à manger Max, mais en même temps, on ment, on se dispute, on se bat... et puis, en fait, on mangeait des petits enfants, on a mangé nos anciens rois. C’est plus, mais c’est autrement. C'est un autre forme de Mal, qui naît par le mensonge. Et le mensonge est lié à une forme de malaise, donc il engendre conflits, tristesse, etc. Je pense que c'est à ce moment-là où l'on passe les limites de l'histoire pour enfants, à celle pour adulte. Ce qui caractérise fondamentalement une histoire pour enfant, c'est une seule et unique chose : l'absence de mensonge. C'est tout. Maintenant, il faut dire que le livre de Sendak a ceci de génial qu'il soulève la question de l'honnêteté des maximonstres, sans y répondre. Le livre est trop court. On ne sait pas vraiment si nous sommes capables de mentir ou non.

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Il me semble que le plus menteur de vous tous, ça reste Max, non ? Evidemment, mais il faut aussi savoir nous apprécier à notre juste valeur et voir l'équilibre que nous formons avec Max. Ce n'est pas parce qu'on fait preuve de franchise que l'on est honnête. Transmettre et partager n'est pas tant un effort de celui qui donne que les futures chaînes de celui qui reçoit. Cela créé une certaine obligation. Et c'est précisément ce rapport-là qui se renverse au court du film dans notre relation avec Max. Il arrive parmi nous avec toutes ses histoires et ses idées, il arrive parmi nous comme notre roi. Mais bientôt, c'est nous qui lui faisons partager notre univers et lui qui peu à peu n'arrive plus à assimiler. On voit bien alors que faire rentrer quelqu'un dans son intimité, c'est entretenir sur lui un rapport de domination, en faisant croire à une certaine vulnérabilité et donc, une certaine confiance. Or, l'intensité du lien que l'on entretient avec une personne ou un monstre ne se mesure pas à ce que l'on veut bien lui transmettre. Mais au contraire à ce qu'on en lui dit pas. Ce qu'on choisit de ne pas lui dire se justifie par notre vulnérabilité face à certaines choses, certaines situations.

Paradoxalement vous êtes très expressif dans le film, notamment dans vos actes, vous détruisez beaucoup de choses, alors que dans le livre non. Détruire ! Grrrr.... Dans notre île, seuls, on apprend à être sage. Et on apprend à se laisser aller. Quand on sait ou qu’on pense qu’on ne peut faire de mal à personne, quand vous pensez que vous ne touchez plus personne, vous basculez. Rage, violence, destruction sont souvent très positives, vous pouvez au moins jouer avec. La destruction a quelque


chose de très ludique aussi. C’est un ludisme un peu désespéré je l’entends, mais il donne l’illusion bienfaisante d’exprimer pleinement ce qu’on ressent lorsque ce ludisme destructeur est lui-même généré par des sentiments qu’on ne peut pas contrôler et donc souvent, pas exprimer non plus. Evidemment, vous me direz que c’est une sorte de folie… [silence] Vous me direz que c’est une sorte de folie n’est-ce pas !

...Non, non, euh… si vous voulez détruire, détruisez. Grr... Ce qu’on appelle folie, c’est une sagesse primale. La folie ne s’oppose pas à la sagesse dans le sens où Erasme l’entendait.

Vous avez lu Erasme ? Vous avez des livres sur votre île ? Grr... On les a tous mangé, comme les impertinents qui posent des questions idiotes !

Euh… vous disez qu‟Erasme avait tord. Oui, il sous-estimait, malgré tout, la folie. Sûrement que la sagesse, pour lui, c’est le cartésianisme. Eh ben, moi, je serais plutôt bergsonien. Et si j’ai envie de détruire c’est que peut-être j’ai une raison et peut-être que je ne suis même pas sûr d’avoir une raison. Mais d’une, ça ne change rien à l’action – et casser des arbres et des maisons, ça peut être plutôt marrant – et de deux, on se sent mieux après quoi qu'il en soit, ou du moins on se sent comme si on avait accomplit quelque chose. La destruction est une forme de création. C'est une évolution, par définition créatrice. Alors, on peut nous appeler des sauvages [wild things] mais

moi je me dis que l’art est aussi une forme de sauvagerie. Après tout, si un sauvage est un créateur, un artiste, alors peut-être qu’un artiste, c’est aussi bien un sauvage.

Parlez-moi un peu de l‟organisation sociale de votre île. Comment vous cohabité ensemble, vous les maximonstres ? Rrrr... vous voulez parler de la métaphore politique du film. Ce serait idiot de simplifier ça pour vous alors que moi, j'ai vécu le politique. Mais les choses sont simples. La monarchie, c'est simplement le révélateur de notre volonté profonde d'anarchie. Nous ne voulons plus être triste. C'est tout. C'est poru ça que nous avons besoin d'un roi. Au début du film, c'est notre désir communautaire qui est incertain. Comment vivre ensemble ? Comment ne plus être triste ? C'est ça la vraie question ! Max est arrivé comme notre roi, notre sauveur. Mais ce qu'il nous a ordonné de faire pour nous sauver, c'est faire n'importe quoi. En gros, son autorité devient très vite inutile. Tout ce qu'il nous apporte (mais c'est l'essence même de notre organisation) c'est une conscience politique. C'est déjà beaucoup. Nous n'avons besoin que de nousmêmes. Nous n'avons besoin de personne. Ni de roi, ni de chef. Nous nous suffisons. Et il n'y a rien que nous ne puissions accomplir par nous-mêmes. Nous sommes tous les fragments d'un même coeur nourri d'histoires tristes, d'amour et d'imagination.... à l'infini. Nous sommes ensemble. Nous sommes unique. Nous sommes immortels.

PROPOS RECUEILLIS ET TRADUITS PAR DANIEL DOS SANTOS

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r Réalisé paeron m James Ca ,

on Worthingt avec Sam ey Weaver... rn Sigou

lles sortie en bsare 09 em éc 16 d

Depuis quelques années, James Cameron prépare Avatar son autoproclamé film révolutionnaire, film ouvrant une nouvelle ère, film inaugurant de nouvelle technique de prise de vue, film le plus cher de l’histoire du cinéma promotion inclue… Mais c’est oublié que James Cameron est un pour toujours cinéaste des 80’s, (période déjà en majorité regressiste, fascinée par les 50’s). Spectaculaire tape à l’oeil, propos manichéen au programme. Les chiens ne font pas des chats.

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« L‟esthétique industrielle du Hollywood contemporain est intrinsèquement politique, puisqu‟en vidant le cinéma de sa consistance et de son effectivité, elle conduit la domination culturelle et économique des Etats-Unis : comme esthétique de la clôture, elle est esthétique impériale. En même temps l‟industrie américaine trouve dans ses grosses productions cinématographiques l‟esthétique qui lui convient : vider les images de leur réalité pour mieux contrôler les réseaux de leur circulation, clore les films sur eux-mêmes pour mieux fermer la perception et imposer un modèle dominant d‟appréhension du monde. »1 L‟image en relief s‟érige en pure apparence, puissance explicite du faux, d‟autant plus qu‟Avatarjuxtapose prises de vue réelles et animation, humains et humanoïdes mimétiques, dont le tout vise à former une cohérence dans sa tromperie manifeste, sa capacité à se faire passer pour le réel, sans pour autant (filouterie du film) s’en revendiquer pleinement. Concrètement, Avatar n‟a aucune consistance. Esthétiquement, il est obsolète (le film est dans la logique esthétique du Hollywood du début des années 80, soit très laid, coloré, simple, caricatural, et surtout aujourd‟hui très conventionnel, Cameron sera toujours un cinéaste des 80‟s). Il donne à avoir une somme de détails inutiles, farfelus, incohérents pour former un mélange très inspiré notamment par les cultures asiatiques et particulièrement japonaises sans pour autant être capable de supporter un récit ou un propos. A chaque image, le film affirme sa fausseté tant et si bien qu‟il ne peut très rapidement plus entrer en résonnance avec la réalité et ne peut plus affecter la perception qu‟en a le spectateur. C‟est ainsi un cinéma qui ne renvoie qu‟à lui-même et perd toute possibilité d‟ouvrir la perception, son esthétique est fondamentalement une esthétique de clôture. Quels sont donc les enjeux d‟un tel film ? Outre le défi technologique (c‟est-à-dire de nouveaux programmes informatiques à créer, de nouveau systèmes de codage à mettre en place… nombre de choses passionnantes donc), c‟est l‟histoire d‟une utopie que Cameron tente d‟articuler. Et à cause de cet aspect utopique, la métaphore politique d‟un tel film est d‟un ordre différent de celle de films « coloniaux » tels Danse avec les loups, Le Nouveau monde, Le Dernier des Mohicans… auquel Avatar est très facilement comparable. La ferveur de Cameron à réaliser le programme utopique, qui s‟exprime à travers la conception ultra-détaillée de la planète Pandora, (informations d‟ordre géologiques et biologiques) et la maigre élaboration de structures sociales (information de l‟ordre du politique) est symptoma-

tique du concept d‟Avatar. Il n’est pas question d’alternative politique mais d‟alternative au politique. Le film se trouve alors entre deux lignes de descendance de l‟Utopie de Thomas More. D‟un côté, il est bien déterminé à réaliser le programme utopique. Il sera systémique et englobera la pratique politique révolutionnaire (le monde-cosmos des Na‟vis). D‟un autre côté, il poursuit un élan utopique plus caché mais omniprésent, qui se manifeste sous les formes de la diplomatie, la paix, un rejet des chimères commerciales…2 (les colons terriens) Ici, l‟utopie sert clairement d‟amorce à l‟idéologie (l‟espérance étant aussi, après tout, le principe des plus cruels abus de confiance et l‟arme principale du totalitarisme via la propagande). Avatar est un film pour la paix, contre la guerre, pour la nature, contre la destruction de la nature pour un profit commercial, pour la biologie, contre la technologie… Les grands cinéastes (ou simplement les intelligents) savent éviter un manichéisme propre à inspirer le doute sur leur perception même du monde ou la moralité de leur propos. Et il apparaît même clair qu‟Avatar prône délibérément un totalitarisme. Il s‟articule comme un film de propagande, montre le totalitarisme sous ses aspects soi-disant positifs. Le film cherche ainsi à promouvoir un système moral, un code de conduite, un « exemple », qui paradoxalement invitera le spectateur à abandonner son humanité pour devenir complètement Na‟vi : virtuel, trompeur, aux fausses valeurs, une imitation, une répétition, un être sans consistance et doté d‟une substance intrinsèquement programmée. Un être déréalisé au coeur d‟un monde qui n‟existe pas, suivant les désirs raisonnés qu‟il n‟a pas, esclave éternel de l‟ici et maintenant. Cet être, c‟est aussi bien Jake Sully, protagoniste du film, qui se transférera définitivement dans le corps de son avatar à la dernière image du film3, que le spectateur, plongé malgré lui dans un univers, sans issue, sans cette caractéristique fondamentale de l‟être humain : sa capacité à faire erreur. DANIEL DOS SANTOS 1. Vincent Amiel, Pascal Couté, Formes et obsessions du cinéma américain contemporain, Paris, Klincksieck, 2003, p. 39. 2. A ce titre la subtilité de Cameron à inventer de nouveaux noms touche le fond : le minerai que les humains cherchent à extraire du sol de la planète Pandora, ce minerai inobtenable s‟appelle l‟Unobtainium 3. Oups ! …le dernier plan du film est celui de l‟oeil de l‟avatar de Jake Sully qui s‟ouvre, symbole concret de sa renaissance en Na‟vi !

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r Réalisé paochio ll e B Marco o, orn

gi nna Mezzo avec Giovahilippo Timi P

lles sortie en sare 09 25 novemb

C‟est la brève description que l‟on rencontre un peu partout. Sans en savoir vraiment davantage, mis à part que Bellocchio est un réalisateur d‟un certain âge, reconnu, on pourrait croire qu‟un tel film chercherait à mêler histoire et glamour, en rendant plus humain Mussolini le dictateur par le récit de son histoire personnelle et sentimentale. En réalité ce n‟est pas du tout de cela qu‟il s‟agit. Certes, Mussolini est bien présent et puissamment incarné, en tout cas pendant la première partie du film. C‟est un jeune homme ténébreux, fougueux, dont la détermination séduit et fascine au-delà de toute mesure la jeune et élégante Ida, propriétaire d‟un salon de beauté – intelligemment présenté par une alternance d‟images d‟archives de canons féminins de style début de siècle et de séquences filmées par Bellocchio. Donnant à voir Mussolini par le regard admiratif, et même soumis, de sa maîtresse, le film pourrait risquer de sublimer le monstre. Il n‟en est rien, car le scénario contourne cet obstacle de manière très habile. Ida personnifie l‟Italie toute entière, tombée sous le charme du dictateur ; elle fut la première, depuis Trente en passant par Milan, et en périra. Séduite et abandonnée du jour au lendemain par un jeune Mussolini assoiffé d‟ambition, la jeune femme réalise progressivement et avec horreur ce qui lui arrive, et en rend compte dans l‟un des moments les plus poignants du film : « Futur, quel futur ? L‟homme qui est mon mari et auquel je dois un fils m‟a complètement effacée de son passé. Je ne suis même pas un fantôme, je n‟existe plus », dit-elle en substance, d‟une voix anormalement calme, au psychiatre qui tente de l‟aider.

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Vincere Sans qu‟elle en soit informée, Mussolini en a épousé une autre. La découverte de cette trahison est magistralement mise en scène par Bellocchio : à la rédaction du journal Il Popolo d’Italia (fondé par Mussolini avec l‟aide de l‟argent d‟Ida, et moteur de la propagande fasciste), Ida, écartée sans ménagement, aperçoit par l‟entrebâillement de la porte, d‟un regard horrifié et que les spectateurs n‟oublieront pas de sitôt, Mussolini embrasser sa femme et sa fille comme si de rien n‟était. Le retournement de situation est d‟ampleur, puisque les premiers développements de leur relation, à l‟apparence passionnelle, avaient réellement de quoi faire illusion –si ce n‟était le regard fixe de Mussolini, détourné d‟Ida au cœur même de leurs étreintes. D‟autres indices, obscurs au début du film, s‟expliquent : les visages hagards apparaissant de façon presque subliminale, au détour d‟une scène, ponctuant les premiers moments de la liaison entre Ida et Mussolini. C‟est une manière techniquement audacieuse pour Bellocchio d‟annoncer la suite, qui participe d‟une certaine audace formelle caractérisant le film. Quoi qu‟il en soit, c‟est la première étape explicite du glissement d‟Ida vers la mise à l‟écart forcée et l‟oubli. La guerre a éclaté, Mussolini est blessé. Tandis qu‟au début de sa carrière il prônait le socialisme et le pacifisme, il a sans états d‟âme retourné sa veste pour devenir le plus fervent des militaristes. Même chose pour la religion : anticlérical (comme il le confie d‟un air dédaigneux à Ida à la vue d‟un prêtre), il finit par parvenir à un compromis avec l‟Eglise symbolisé par les Accords du Latran, faisant du catholicisme la religion d‟Etat. Derrière le lit d‟hôpital de Mussolini blessé, la Passion du Christ, la religion omniprésente. Ida se débat pour garder l‟attention de Mussolini et échapper à la misère qui la guette, elle et son fils, ne réussissant qu‟à provoquer de vains scandales.


Tout comme il a tourné le dos à ses idées anciennes, Mussolini a renié Ida et son enfant.

Ida se retrouve donc seule, avec son fils, qu‟elle a également nommé Benito (Albino), et auquel elle répète jour et nuit qu‟il est le fils légitime de son père. Elle ne se résout pas à son triste destin, réclame son dû, veut crier la vérité : elle écrit au Pape, à Mussolini lui-même, aux plus hautes autorités du pays. Autant s‟adresser au Père Noël. Non seulement ses lettres demeurent sans réponse, mais elle est mise à l‟écart dans un asile psychiatrique. La condition d‟Ida est ambiguë, et ce grâce à la formidable interprétation de Giovanna Mezzogiorno. Est-elle simplement obstinément combattive, ou franchement dérangée ? Son obsession première avec Mussolini, qui ne lui a jamais véritablement rendu ses regards passionnés et déjà inquiétants, pouvait laisser présager de son destin. Mais lorsqu‟elle parle avec lucidité de son sort, il est difficile de la condamner. Lors de cette seconde partie marquée par ce glissement vers la folie, l‟atmosphère est toute autre : les regards hagards d‟Ida, ses mouvements incohérents et déments, le désordre de sa coiffure, la pauvreté de sa mise, font contraste avec la jeune femme élégante et souriante des débuts. C‟est le déclin d‟une femme, et celui d‟un pays. Magnifiques scènes hivernales, lorsque Ida escalade les barreaux de sa prison, laissant échapper en vain ses lettres, qui s‟égarent dans le vent et la neige, et qui font d‟elle un personnage à la fois pathétique, mais aussi poétique, duquel se dégage une beauté glaçante. Le propos devient plus large, et c‟est là où l‟on prend pleinement conscience de la richesse de l‟œuvre. Tout comme Michel Foucault et d‟autres l‟ont signalé, il est difficile de circonscrire la folie, purement médicalement du moins. Le spectateur ne sait pas si Ida est réellement folle ou non, tant le scripte et le jeu de Giovanna Mezzogiorno entretiennent l‟ambiguïté, mais là n‟est pas tellement la question. Ce qui est sûr, c‟est que le pouvoir politique, en l‟occurrence les fascistes, en ont décidé ainsi. Les institutions psychiatriques ont ici une fonction sociale indéniable : c‟est là où se retrouvent les gens différents, ceux qui gênent, ceux qui pour une raison ou pour une autre doivent être mis à l‟écart du reste de la société. Dans Changeling, Clint Eastwood traitait également ce thème. Christine Collins (interprétée avec force par Angelina Jolie) refusait de reconnaître que le petit garçon qui lui avait été remis par la police était son fils. Ses déclarations étaient gênantes pour le pouvoir en place (la police, les médias) ; elle s‟est donc retrouvée mise à l‟écart –à l‟asile. Ida Dalser et Christine Collins sont des personnages différents, mais ont en commun cette lutte isolée et désespérée contre le pouvoir dominant.

La bande originale (composée par Carlo Crivelli) accompagne et

met en valeur les moindres scènes comme les grands tableaux. Ida marche à la rencontre de Mussolini dans les bureaux de la rédaction du journal Avanti!, auquel il participait avant de fonder Il Popolo d’Italia. Une musique à la fois alerte et inquiétante laisse présager du danger qui pèse sur la jeune femme ; elle veut voir Mussolini, mais toutes les portes se ferment, elle doit escalader le mur pour l‟apercevoir. Déjà, ses ambitions et sa propre folie le séparent d‟elle. La musique est associée avec intelligence au cinéma, à l‟intérieur même du film. Dans une scène digne du cinéma muet des années 1920, en particulier allemand, alors que Mussolini et Ida sont au cinéma, Mussolini se prononce avec passion en faveur de la guerre. S‟ensuit un affrontement entre bellicistes et pacifistes, tandis que le pianiste continue d‟accompagner de manière presque démente les actualités diffusées sur le grand écran. A d‟autres moments, des airs d‟opéra donnent au film une tonalité lyrique qui sied particulièrement au récit.

L‟Histoire est omniprésente, et s‟invite au travers d‟images d‟archives allant de l‟attentat de Sarajevo jusqu‟aux discours de propagande du Duce devant le peuple italien. Cet entremêlement du documentaire et de la fiction, à un rythme effréné, donne l‟impression d‟une fuite en avant du récit de Bellocchio et de l‟Histoire, qui n‟est pas sans rappeler le mouvement futuriste –dont au cours du film Mussolini loue la vitesse et le mouvement. Bellocchio lui-même qualifie son film de « mélodrame futuriste », associant le futurisme à la montée en puissance du dictateur, et le mélodrame au déclin d‟Ida. Le film épouse le point de vue de cette dernière, dans la mesure où une fois mise à l‟écart, Mussolini ne sera plus vu que par la lentille officielle, les images d‟archives, de propagande. Le personnage fictif de Mussolini disparaît en même temps que l‟amant, il n‟est plus qu‟une figure publique, seulement représentée par le documentaire. L‟acteur Filippo Timi ne refait surface que pour interpréter Benito fils, puisque le père est devenu cette figure abstraite et politique, cet homme écumant aboyant devant les foules –dont le fils renverse le buste, comme pour se débarrasser de cette paternité écrasante. Il n‟y parvient cependant pas, et devient une caricature grotesque du père, dont il imite les discours fulminants. Ainsi, Marco Bellocchio signe un film sombre à la structure intelligente et captivante, à l‟atmosphère sonore et visuelle impressionnante et poétique. Le rythme est maîtrisé et la fin saisissante, avec la déclaration de guerre du Duce à la France et à la Grande-Bretagne devant les foules, contenant l‟exhortation et le titre du film : « Vincere ! » (« Vaincre ! » en italien). Vincere est l’histoire d’Ida Dalser, et en creux celle de l’Italie toute entière ; Ida Dalser, qui s‟est jetée dans un amour passionné et destructeur, et dont le destin fut anéanti par Mussolini, tout comme celui de tant d‟autres individus. Elle fut cependant coupable, d‟avoir délibérément et entièrement remis son sort entre les mains d‟un tel personnage –tout comme, malheureusement, tant d‟autres individus. CLAIRE BABANY

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ar Réalisé pm ont u D Bruno herine

Cat Records, avec Max, James Gandolfini er Keen

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HADEWIJCH

La tactique extatique de Bruno Dumont Rien que par son nom, elle se fait remarquer. Hadewijch, toute jeune postulante dans un couvent de religieuses du Nord de la France, est une jeune fille en mal de reconnaissance, d‟amour et d‟affection. Sa ferveur religieuse masque son manque de foi, car dans l‟amour qu‟elle croit porter à Dieu, c‟est ellemême qui se regarde. Cette illusion, les vieilles soeurs l‟on bien remarqué. Elle refuse les règles, s‟inflige pénitences et mortifications, un comportement qui dénonce un orgueil bien éloigné de l‟humilité et de l‟abaissement sacerdotal. Le film commence donc par le renvoi de la postulante dans le monde, afin que cette dernière éprouve sa foi en toute liberté. Des campagnes humides nous voici alors dans les rues pavées de l‟île St Louis, et de la cellule étroite du cloître, Céline arrive dans l‟immense et luxueux appartement de ses parents. Paris est alors l‟occasion de

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rencontres, dans cette ville sans frontières, où la jeune fille entre dans un café, passe du comptoir à la table de trois banlieusards maghrébins, puis des quais de Seine dans un décor au clair de Lune aux cités des banlieues et jusqu‟au Moyen-Orient. Ces pérégrinations spatiales illustrent bien le cheminement intérieur de la jeune femme en quête de l‟amour de Dieu mais aussi d‟exotisme, qui répond sincèrement à l‟appel divin mais ne parvient pas à recevoir la simplicité de son message. Car en fait d‟abandon au Seigneur, la jeune Céline est sans cesse dans l‟exigence et la provocation. A la recherche de manifestations sensibles du divin, elle passe à côté de l‟amour du Christ tout en déplorant de ne pas le trouver. Bruno Dumont décrit dans ce film l‟illusion religieuse qui naît de la recherche de sensations, de

ce narcissisme humain à vouloir sentir la présence de Dieu. L‟héroïne ira même jusqu‟au terrorisme, et jusqu‟au mal scandaleux de l‟attentat pour éprouver son besoin de secousses. Le cinéaste filme la fragilité humaine au travers de cette frêle et délicate personne, au verbe rare et au regard timide, et pourtant déterminée et sans peur. En manque d‟affection, en mal de reconnaissance, elle cherche à se faire une place, et trouve refuge auprès d‟un Dieu qu‟elle invente plus qu‟elle ne cherche. Antagonisme vivant, fragile et dure à la fois, d‟une scène à l‟autre elle est petite fille à son chienchien ou adolescente rebelle qui insulte son père, femme ouverte aux cultures étrangères ou butée dans des convictions intégristes. Ces variations pourtant jamais ne sonnent faux, tant l‟héroïne de Dumont semble perturbée et en recherche. Le paradoxe, c‟est que Céline a besoin d‟amour mais se refuse à l‟amour. Céline refuse d‟admettre que Dieu est là, comme l‟affirme Khaled, un jeune musulman

qui s‟est approché d‟elle au café ainsi que Jésus aborda la Samaritaine près du puit. Assoiffée de Dieu, notre héroïne se trompe de source car elle ne parvient pas à voir le Christ dans son prochain, alors qu‟il lui tend pourtant les bras à chaque instant. Le jeune Khaled, dans sa naïveté et dans ses faiblesses, est bien plus proche de Dieu que Céline qui se croit pure, car il est à l‟écoute, il s‟excuse, et il aime spontanément. Les scènes d‟intimités entre Céline et Khaled sont bouleversantes de vérité. La justesse des dialogues et de leur interprétation font de ces moments de véritables perles de cinéma, dans lesquels le désir des personnages est prégnant tandis l‟objet reste indéfini, puisque l‟une semble tendre vers l‟amour désincarné et l‟autre vers l‟amour terrestre. Khaled est franc dans ces hésitations mêmes, Céline reste fuyante, secrète. Inaccessible aux hommes, elle ne peut accéder à Dieu. Refusant le jugement, elle est persuadée d‟avoir raison, d‟être digne d‟un


amour exceptionnel et d‟être la seule à le comprendre. Mais en repoussant Khaled au bord du fleuve, elle répugne en fait à se mouiller : elle se soustraie au baptême, et à l‟eau qui la purifiera finalement. Car en dépit de sa ferveur religieuse Céline doit bien admettre qu‟elle est malheureuse. Lorsque Nassir, le grand frère féru de théologie de Khaled, lui parle de l‟invisibilité du Seigneur, elle pleure de douleur, car elle ne supporte pas cette absence de manifestation. En suivant le parcours de la jeune fille en quête de spiritualité, on comprend alors que le divin se manifeste dans le caché, car il est partout, et qu‟on ne peut le dissocier du réel comme souhaite le faire Céline. Pour la jeune fille, Dieu est dans les symboles : dans son chapelet,

sa croix, la musique sacrée qu‟elle écoute à l‟église. Mais n‟est-il pas aussi dans cette musique rock écoutée sur les quais de Seine, dans l‟affection que lui porte Khaled, dans les propos maladroits de son père qui la questionne sur sa journée ? Dumont transforme en effet chacun de ces moments – le concert de rock, les rendezvous avec Khaled, le trajet en voiture de la jeune fille avec son père – en véritables séquences d‟adoration, où le temps est suspendu, et la réalité extérieure occultée. L‟environnement est utilisé comme un décor rigide qui met en valeur l‟évènement qui est en train de se dérouler sur la scène. Chaque élément de l‟intrigue s‟insère ainsi dans le grand spectacle du monde, et entre dans le schéma de

contemplation de l‟attitude chrétienne. Seul le regard de la jeune fille est étriqué dans une vision égocentrique et misérablement humaine. De retour au couvent, sous une pluie diluvienne, les gouttes d‟eau offrent au regard de Céline une vision déformante du réel, vision qu‟elle s‟est construite pour échapper à la dureté du monde. Mais on ne peut être seul avec Dieu, découvre-t-on par l‟expérience de Céline. Il lui aura fallu une bonne douche pour s‟apercevoir qu‟on n‟est avec Dieu que lorsque l‟on est avec les autres, et que l‟on s‟abandonne, comme dans cette séquence finale où elle est sauvée de la noyade par cet ouvrier, délinquant récidiviste travaillant sur le chantier de réparation du couvent. Comme Khaled, David est humble et

pauvre de cœur. A sa deuxième sortie de prison, il garde confiance, et promet à sa mère de se tenir sage et « d‟avancer ». De même que Khaled après qu‟il ait volé un scooter, il n‟est pas fier. Il est pécheur, mais il s‟en repend. Heureux les pauvres de coeurs, le Royaume des Cieux est à eux. Ces âmes simples rencontrées en chemin sont des témoignages vivants de l‟amour du Christ, ils sont la vie, l‟espérance humaine. Khaled a compris mieux que Céline que Dieu était là pour tous, que Dieu était parmi les humains, et non dans les exercices spirituels de haute voltige auxquels elle désire se livrer. Dans les bras du criminel, c‟est finalement Céline qui est repêchée.

gie des personnages. Attachants dans leurs faiblesses, leurs hésitations, et le côté puéril qu‟ils semblent conserver de leur amitié initiale, les trois hommes jouent en une soirée leur vie elle-même, et, tels l‟enfant de Noël, renaissent ici dans leur virginité originelle.

nages trouvent le bonheur dans la charité. Ce sont tous des pères Noël.

SUZANNE DUCHIRON

r Réalisé pisamaki r u a K Mika ine

Cather Records, avec Max, James Gandolfini Keener

lles sortie en bsare 09 em 23 déc

Un bébé qui naît la veille de Noël, trois amis d‟enfance qui se retrouvent après des années de séparation… Nos Roi Mages finlandais arrivent en portant avec eux rancoeur et haine, mais finiront par ouvrir leur coeur et offrir en cadeau leur humanité à partager. Dans ce film sans effets ni esthétisme, peinture réaliste et terne d‟une société misérable, le frère du réalisateur de L’homme sans passé, étudie des personnages accablés par le poids de leur histoire, au seuil de la cinquantaine et relisant le sens de leur vie. Ces anti-héros exercent pourtant

des métiers qui font rêver : acteur, photographe et commissaire de police, Rauno, Erkki et Matti sont trois radiographes de leur existence, l‟un par la répétition, l‟autre par l‟observation, et le troisième par l‟investigation. En quasi huis clos dans un bar karaoké désert, tandis que les verres se vident et se remplissent, le trio va se faire du bien et se faire du mal, dans un ballet doux-amer et plein de charme. Porté par la performance de ses acteurs, le film compose un grand travail sur la psycholo-

La présence de la chanson donne beaucoup de charme au film. Quand ils chantent, les personnages se mettent à nu, se révèlent dans leur fragilité, et font le don d‟eux-mêmes. Mika Kaurismäki nous présente un film très humaniste, voire même chrétien : les person-

Alors que la mort rode, que la jalousie pointe dans les regards méfiants, que la rancoeur est tenace et que la vengeance et la violence sont prégnantes, pourtant, les trois comparses vont finalement rester amis. Tout est bien qui finit bien, et c‟est pour ça que c‟est un conte, mais un conte de Noël, n‟est-ce pas un miracle bien réel ? Mika Kaurismäki a réussi ici à rendre la vie magique et la magie réalité… SUZANNE DUCHIRON

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lles sortie en bsare 09 em ov 25 n

Voici un film dont le titre avait des odeurs de Premier sexe d’Eric Zemmour et qui a en fait le goût d‟une grenouille farcie. Cette grenouille princière si on l‟embrasse à des saveurs de poulet. Petit coq touchant de fragilité, lorsque nous voyons à l‟écran ce membre du mouvement canadien anti-féministe, interviewé avec son caniche géant et qui se plaint de la femme qui a tout selon lui. La femme d‟aujourd‟hui aurait donc l‟enfant, la toge de l‟avocate, des gros seins et les clefs de la bagnole. Plus besoin de l‟homme. L‟homme au caniche a d‟ailleurs dessiné un magnifique portrait représentant une terrible Joconde aux hottentotes pour illustrer ses peurs. Pourtant un autre homme, Patrick Jean, le réalisateur du film, voit les choses autrement, et exerce l‟avantage que lui donne son sexe : l‟impartialité. Une œuvre sur le même sujet écrite par une femme n‟aurait peut être pas eu le même recul sur les choses, cela confère en tout cas au propos une certaine crédibilité. Selon P. J., les féministes d‟aujourd‟hui ne se battent plus contre des aberrations concrètes qui leur ont été infligées par le passé : animaux soumis, reclus à la maison, qui n‟ont ni

le droit de vote ni la possibilité de bien gagner leurs vies. Car ces combats ont été gagnés sur le papier, et leurs victoires promulguées par des lois, aujourd‟hui elles peuvent même entrer à Polytechnique ! Oui, mais le film revient sur l‟affaire « Marc Lépine » à Montréal, où 15 femmes, si elles ont pu intégrer la prestigieuse école, n‟en sont pas sorties vivantes, fusillées dans une atroce Colombine/connerie misogyne. En effet, le 6 avril 1986, à l‟école Polytechnique de Montréal, un certain Marc Lépine a fusillé 15 femmes avant de se donner la mort. Le film revenant sur la lutte finalement « sanglante » qui a amené la femme à l‟égalité, nous dit aussi qu‟aujourd‟hui elle doit lutter contre l‟invisible domination masculine. Lutte invisible ou soumission silencieuse au joug ? Car que fait-elle notre avocate/ Joconde, lorsque l‟oeil torve, elle prononce le mot : « pâtisserie », dans un speed dating déprimant. La domination est donc partout : chez Toys „R‟ us où les lego et la dînette sont dos à dos dans les interminables rayons, dans l‟imagerie des livres pour enfants, où la petite fille rêve, tandis que le petit garçon construit, agit. On voit

la femme qui attend toujours et encore et cette autre du speed dating qui explique avec petit geste de main de bas en haut rustique et typique que l‟homme doit être au dessus socialement, celle qui annonce avoir à offrir sa gentillesse, sa patience, celle qui attend que l‟homme soit sûr de lui. Le film miroir pas si déformant et pourtant alarmant de ce que peut être la féminité d‟aujourd‟hui fait beaucoup rire, et dit des vérités, cruelles pour tous. Et les rapports hommes/ femmes dans tout cela ? Il est ici beaucoup question de satiété et d‟art ménager et peu de sexe d‟ailleurs. Car l‟art ménager est bien la seule qualité artistique que Leo Ferré attribue à la femme dans un extrait qui lui est consacré. D‟autres archives documentaires y supputent que la femme est la femme de ménage de l‟homme, car quel outil « rabote, coût, nourrit et avec le sourire » c‟est encore et toujours la femme ! Quelle merveille. Cette égalité nouvelle est perçue par certains, comme une indigne perte de pouvoir, et c‟est compréhensible. Si j‟entendais dire un jour qu‟il fut un temps, où un individu pouvait rentrer chez lui trouver son linge repassé et le couvert mis, et que cet individu appartenait

à mon genre, je ferais tout pour regagner ce pouvoir perdu. Alors, ne blâmons pas les misogynes, il n‟est qu‟humain que de vouloir profiter d‟un droit ancestral ! Non, ce qui est plutôt regrettable en fait, c‟est pourquoi personne ne se demande ce qui fait que les relations entre les sexes doivent se cristalliser autour d‟une chemise mal raboté ou du droit à mal se comporter avec une personne parce qu‟elle ne ramène pas assez d‟argent à la maison ? Il est difficile de comprendre dans ce discours ce que cela peut avoir à voir avec un quelconque rapport avec une relation entre deux êtres humains quasi civilisés et qui plus est animaux ! Car les animaux ne font pas le ménage. Non ! Le progrès n‟arrêtera pas la domination masculine. La plus habile des machines soutenant l‟art ménager n‟y fera rien ! Celle-ci cessera peut-être le jour ou nous reviendrons à la sauvagerie qui fait de nous des faunes égaux. Le capitalisme a tué l‟amour. La domination masculine. Un film qui suscite de multiples interprétations et débats, à voir absolument. Tout ce qui est raconté plus haut et bien plus encore… ANNE SABATIER

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Dossier

Dvd

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Au-delà de la profonde poésie de ses corps et de ses figures, de l’intensité émotionnelle et esthétique qu’il déploie, Watchmen (probablement le film le plus passionnant qu’on ait vu depuis plusieurs années) représente l’aboutissement d’une réflexion historique sur l’Amérique du XXe siècle à travers tous ses maux politiques, sociaux, psychologiques et psychosomatiques… Un film-ogre donc, qui raconte l’histoire d’un groupe de super héros à la retraire qui se font décimer un à un.

NIGHT HOWL II

– What happenned to the american dream ? THE COMEDIAN

– It came true. You’re looking at it !

Réalisé par

Zach Snyder avec Malin Akerman, Billy Crudup... Editeur

Paramount Home Entertainment Sortie en dvd / blue-ray (édition ultimate)

le 01 décembre

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« La dernière chose que j’irais promettre, ce serait d’“améliorer” l’humanité. » Friedrich Nietzsche Watchmen problématise le rapport de l’Amérique à la guerre. Ça a l‟air assez commun, dit d‟entrée de jeu, mais au moins on pourra contourner un temps la question pénible (et souvent partisane) : à quoi sert l‟uchronie ? ou dans notre cas : à quoi cela sert, qu‟est ce que cela veut dire de placer l‟histoire de Watchmen en plein milieu des années 80 ?1 « Je n'érige pas de nouvelles « idoles » ; que les anciennes apprennent d'abord ce qu'il en coûte d'avoir des jambes d'argile. Renverser ces idoles (mon mot pour « idéaux »), ce serait plutôt là mon affaire. La réalité a été dépouillée de sa valeur, de son sens, de sa véracité à un degré égal à la fabrication d’un monde idéal … Le « monde réel » et le « monde apparent » – pour être exact : le monde fabriqué et la réalité … Le mensonge de l’idéal a jusqu’ici été de jeter l‟anathème sur la réalité, et à travers cela l‟humanité elle-même est devenue mensongère et fausse jusqu‟à ses plus profonds instincts – jusqu‟au point de célébrer les valeurs inverses à celles qui seules pouvaient lui garantir prospérité, avenir, et le droit exaltant à un futur. »2 Voilà qui pourrait présenter exactement la nature de Watchmen. Le film est l’exagération des idéaux américains, une histoire exacerbée de l‟Amérique, une réalité fabriquée mais idéale. Les super-héros sont évidemment les idoles parfaites pour appuyer une telle réflexion. Le super héros a d‟ailleurs toujours fait parti d‟un imaginaire guerrier, les principaux (les plus célèbres) super-héros des comic-books américains sont nés dans un monde instable et belliqueux, c‟est-à-dire à la veille et le plus souvent pendant les grandes guerres américaines (respectivement, la seconde guerre mondiale pour les héros de DC Comics et la guerre du Viêt-Nam pour ceux de Marvel) et représentent avant tout un fantasme glorieux de victoire par la force. On se rappelle peut-être que le héros de DC Comics Captain Amarica (une des sources d‟inspiration du héros « Dollar bill » ainsi que dans une moindre mesure du « Comedian ») n‟hésita pas à mettre son poing dans la figure d‟Hitler et à mener les troupes américaines à la victoire. Et c‟est bien cette question absurde et paradoxale que pose le film : et si c‟était vrai ? et si le rêve américain, tel qu‟il est exprimé à travers sa pop culture, son inconscient collectif, se réalisait ?

Évidemment, le film est bien plus complexe qu‟on ne pourrait le croire. Il ne se contente pas de simplement d‟expliciter le fait que morale et justice ne se confondent pas (la grande majorité des films de superhéros, au mieux, en arrive à ce point). Il problématise le rapport des super-héros à l‟Histoire. Mieux, les héros de Watchmen somatisent à eux seul tous les désirs de l‟Amérique, ils sont les fragments éclatés d‟un modèle unique impossible à reconstituer. Le générique (sublime et passionnant) nous introduit parfaitement à ce modèle. Fondamentalement, il y a deux façons de traiter formellement, narrativement l‟uchronie. D‟abord, à partir d‟un événement clé, le cours de l‟histoire (la réalité) diverge radicalement de celle que nous connaissons : l‟approche classique. L‟autre approche, plus déconstrutioniste (qui porte certainement l‟héritage du Maître du Haut château de Philip K. Dick autant qu‟une influence certaine de la dystopie), consisterait à créer un cours du temps parallèle mais dans lequel pourrait se dérouler, plus épisodiquement des événements tels que nous les connaissons. De ce fait, la question de l‟origine est en soi un nouveau problème (où commence l‟uchronie ?) qui entraînera avec lui la question essentielle (et ce sont là les enjeux d‟une telle histoire) de la valeur de la réalité. Ici, l‟origine de l‟uchronie est assez évidente. Elle commence avec l‟apparition des premiers héros masqués, à la fin des années 30. Donc voilà ce que le film nous propose : concevoir la naissance de la réalité fictionnelle au même moment que son apparition en tant que fiction (en tant que signes) dans la réalité. Il s‟agira en gros de s‟attaquer à la dernière grande mythologie américaine à travers la figure du super-héros. Nous nous trouvons face à un effacement des frontières entre l‟art (art ici de la pulp culture en premier lieu) et la vie. Mais le film a l‟intelligence de ne pas rejouer la reprogrammation du mythe des super-héros (ce que fait par exemple Incassable de M. Night Shyamalan), au contraire il le déprogramme. Et là encore, le premier réflexe serait d‟élever le film de superhéros à la sphère de la « haute culture » (rappelons d‟ailleurs que Time magazine compte le roman graphique Watchmen de Alan Moore et Dave Gibbons parmi les plus grand roman de langue anglaise du 20ème siècle) ce qui viserait à déconnecter

Watchmen de sa source, son sujet, et enfin à le légitimer comme un futur classique, pour de mauvaises raisons, au nom de principes rétrogrades. Les composants du post-modernisme selon Mike Featherstone comprennent entre autre : « La chute d‟une distinction hiérarchique entre haute culture et culture populaire ; une promiscuité stylistique favorisant l‟éclectisme et le mélange des codes ; parodie, pastiche, ironie, jeu et la célébration de la surface “dépourvue de profondeur” de la culture ; le déclin de l‟originalité/du génie de l‟artiste ; la supposition que l‟art ne peut être que répétition »3 C‟est dans le but de créer cette étrange schizophrénie culturelle et artistique que Zach Snyder (qui semble depuis 300 vouloir pousser à ses limites un pop-art cinématographique) met en place une promiscuité de références artistiques qui sont autant de signes dépourvus d‟un sens clair, autant de simulacres dépourvus d‟une réalité cartographiable (les références à la peinture de Léonard de Vinci ou Michel-Ange sont évidentes et reconnaissables par tous mais que disent-elles de la réalité ? quels liens entretiennent les musiques de Bob Dylan, Simon & Garfunkel, Mozart, Wagner et The Philip Glass Ensemble entre elles et avec le film ?). Et qui finalement ne nous dit que cela : la réalité n‟est plus, et l‟Histoire du monde n‟est plus qu‟un amas de signes impossible à décrypter, d‟événements impossible à vivre. Et c‟est bien là la force extatique du film : ne jamais permettre d‟identifier des symboles reconnaissables et amputables à un discours fermé, être plutôt dans la mélancolie des systèmes et des idéologies. L‟enjeu esthétique serait alors de créer un musée-univers de toute la culture (classique, moderne, contemporaine) et finalement d‟en faire le tombeau. En s‟approchant de plus près de la figure du super-héros, on voit évidement que le travail de démystification (qui se produit par l‟insertions de signes du réel, par exemple : Dollar Bill est un super-héros avec un cape rouge que l‟on retrouve mort par balle ; sa cape étant restée coincée sur une porte tournante, il a été pris au piège) est un travail aussi bien sur les corps (il n‟y aura qu‟un seul super-héros doté de pouvoirs, Dr Manhattan, tous les autres n‟étant que des gens « ordinaires » portant des costumes avoués ridicules) qu‟un travail social (ces héros masqués sont des

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sociopathes, schizophrènes, psychopathes… et regroupent à eux seuls une large étendue de toutes les psychopathologies connues) qu‟un travail moral et plus vastement éthique (ces fous sont des tueurs, violeurs, terroristes… et la notion même de justice fait problème devenant elle aussi une idée illisible. Il est question de détruire non seulement la représentation canonique du super-héros (esthétique, plastique) mais aussi sa valeur et notamment sa valeur de modèle (ici il ne semble y avoir que des modèles mais tout est simulacre). A ce titre, il est intéressant de se pencher sur le seul personnage doté de réels pouvoirs, Dr Manhattan, et de voir comment il est traité, quels problèmes historiques il soulève, quelles contradiction il met à jour, ce dont il est l‟allégorie4. Sous des traits qui font de lui une sorte d‟homme de Vitruve bleu (et l‟homme de Vitruve, qui constitue ici la deuxième et moins explicite référence à Léonard de Vinci, a les proportions d‟un homme normal, ce qui est la seule mesure de normalité du personnage du Dr Manhattan) il est l‟allégorie d‟une culpabilité atomique américaine. Il soulève d‟abord un problème phare, une hypocrisie certaine au cœur de toute diplomatie : toute dissuasion, même au nom de la justice, est fondée sur la peur et donc sur une forme (mentale) d‟oppression. Comme il est l‟arme ultime, il pousse, il est le moteur inépuisable de la course à l‟armement de l‟URSS (et donc indirectement des États-Unis) ce qui entretient la menace d‟un holocauste atomique. La fin du film (absolument brillante et quelque peu différente du roman graphique) confirmera sa responsabilité (indirecte mais certaine) dans l‟holocauste inévitable provoqué au nom de la paix. Dr Manhattan finira d‟ailleurs par réduire en cendres la seule personne assoiffée de vérité (personnage dont nous tairons le nom mais qui dira plus tôt : « même face à face avec l‟Apocalypse, je ne ferais jamais de compromis ») et l‟image de ces cendres s‟inspire directement des photos des corps calcinés d‟Hiroshima dont il ne restait plus que des traces sombres, des ombres ensanglantées sur le sol. L‟allégorie que véhicule Dr Manhattan va, sur le plan personnel, réunir l‟idée maîtresse de la destruction de la figure archétypale et patriarcale du héros. Deux personnages, un homme et une femme débout et nus au milieu d‟un désert s‟embrassent. Derrière eux une explosion atomique. Cette femme,

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Laurie Jupiter, c‟est la petite amie du personnage de Dr Manhattan depuis une quinzaine d‟année. Cet homme, Dan Dreiberg, est un ancien héros masqué faisant parti du groupe des Watchmen quand celui -ci existait encore. Outre la menace pour les personnages d‟une présence atomique qui lointainement rappelle la présence même de Dr Manhattan (rappelons qu‟après chaque tromperie de sa petite amie, il est présent), l‟homme, Dan Dreiberg a des problèmes d‟érections (qui n‟ont a priori rien d‟occasionnel) qu‟il ne peut résoudre que par la stimulation que provoque chez lui les costumes de super-héros. Dans ce rêve, son rêve, les deux personnages nus s‟arrachent la peau, sous celle-ci il y a leur costume, et alors le rapport sexuel est possible. Cet exemple trahit l‟idée générale que tous ces personnages sont avant tout atteints de désordres sexuels. Ils ne s‟insèrent pas du tout dans une logique conservatrice de la famille. Il y a évidemment quelque chose de fétichiste à vouloir se costumer. Et outre des problèmes d‟impuissance, nos héros fétichistes (voire sadiques ou masochistes) ont simplement abandonné toute idée de rapports sexuels (et ce pour deux raisons, nous y reviendrons) ou sont bien souvent homosexuels. De toutes les façons, l‟idée même de reproduction est une idée abandonnée (il n‟y a donc pas de futur possible) et la nostalgie d‟une famille idéale (qui n‟existe simplement pas dans l‟univers du film) hante chacun des personnages comme un exemple de normalité inatteignable. Si l‟idée de rapport sexuel est abandonnée c‟est à cause d‟une autre menace, cette foisci microscopique, le SIDA, dont divers signes viennent nous rappeler le danger. N‟oublions pas d‟ailleurs que l‟histoire se déroule dans les années 80 où l‟on prend connaissance de l‟existence du virus (que l‟Eglise pensait la punition aux mauvaises mœurs). Le seul personnage d‟ailleurs à avouer avoir ce « cancer qui ne se soigne pas » est un ancien « super-vilian » homosexuel. Le personnage de Dr Manhattan s‟enfuit sur Mars après qu‟un journaliste lui dit qu‟il provoque le cancer chez les gens qu‟il aime. Sur Mars, il crée une gigantesque horloge elle-même à l‟image des clichés du VIH (sorte de sphère couverte de pics ou aiguilles), etc. Les signes sont multiples, et il serait intéressant de considérer le court extrait de Nietzsche cité en début de texte comme une menace sur toutes les mœurs sexuelles réprimandables

par l‟Eglise. Si on ne considère plus ce paragraphe comme programme esthétique mais programme moral, les mêmes mots viennent condamner, entre autre mais surtout, l‟homosexualité (insistons là-dessus histoire de faire taire des débats sans fonds depuis 300 autour de l’idée que le cinéma de Zach Snyder est un cinéma sur l‟homosexualité latente ou au contraire prône l‟homophobie et la misogynie ; évidemment, ce n‟est ni l‟un ni l‟autre). Rappelons d‟ailleurs que dès le générique du film, l‟héroïne lesbienne est sauvagement assassinée avec sa maîtresse, les mots « Lesbian Whores » étant écrits avec leur sang sur le mur au dessus de leur lit. C‟est avant tout l‟idée d‟un monde stérile que le film matérialise. Si tout devient simulacre, si tout est copie du réel, quelle vérité représenterait la copie d‟une copie ? et sans vérité où va le monde ? que représente la paix ? L‟idée sublime du film c‟est de fonder son histoire, sa peur de l‟autoanéantissement par le mensonge, sa peur du vide de sens, sur une nostalgie du passé. Le désir du film entier est de revenir à une matrice des valeurs sociables correctes, justes ou pieuses de l‟Amérique. Sauf qu‟évidemment, l‟Amérique a construit son Histoire dans et par la violence, l‟injustice et l‟oppression. Il n‟y a jamais eu dans l‟histoire du peuple américain (c‟est-à-dire des émigrants européens) de Paradis Perdu. Tout est violence. Tout a toujours été violence. Tout sera toujours violence. DANIEL DOS SANTOS 1. Notons que Daren Aronofsky, qui devait auparavant réaliser Watchmen voulait mettre à jour l‟histoire pour l‟adapter à notre époque. Principe intéressant mais ô combien différent. 2. Friedrich Nietzsche, Why I am so wise, Op. cit., p. 4. Traduction personnelle. 3. Mike Featherstone, Consumer Culture and Postmodernism, London, Sage, 1991, pp. 7-8. Traduction personnelle. 4. Nous concevons l’allégorie en ce sens : « Au cinéma, le plus souvent, les personnages représentent des cas et des valeurs : la loi, la révolte, la normalité… Il s‟agit alors d‟emblèmes ou d‟archétypes mais pas d‟allégories, au sens où l‟allégorie suppose une construction conceptuelle précise. Au principe de reconnaissance, de déjà vu et de déjà su sur lequel spécule l‟archétype, s‟oppose l‟élaboration conceptuelle, parfois complexe et neuve, de l‟allégorie. C‟est en ce sens peut-être que Walter Benjamin affirmait : “L‟allégorie est l‟armature de la modernité.” » Nicole Brenez, Abel Ferrara. Le mal mais sans fleurs, Paris Editions Cahiers du cinéma, 2008, p. 17.


Rien de bien surprenant mais l‟événement fut nouveau. Cette année, le Festival de Cannes s‟est ouvert non seulement avec un film d‟animation mais un film en 3D (à la grande jubilation d‟une petite foule en costume et robe de soirée se réjouissant par avance de devoir porter d‟épaisses et laides lunettes 3D pour profiter du spectacle). L‟effet fut plaisant, d‟autant plus que le film, Up de Pete Docter et Bob Pterson, s‟y prête. Non pas à cause de sa manière de filmer (la 3D reste surtout impressionnante quand elle reconfigure des plans de vue subjectifs, ce dont Docter et son comparse n‟abusent pas), mais plutôt pour la luminosité du film qui aide à faire ressortir la 3D d‟autant plus que les lunettes 3D obscurcissent l‟écran (qui par conséquent, lui, est plus lumineux que pour une projection ordinaire). D‟un point de vue technique, Up est une brillante réussite. Up débute dans les années 30 (dont il gardera l’esthétique et l‟esprit) avec le timide petit Carl, 8 ans, rêvant de devenir exploreur. Il rencontre dans une maison abandonnée un énergique garçon manqué du nom d‟Ellie qui entretient elle aussi une passion pour l‟exploration. Elle lui fait promettre de partir avec elle pour les « chutes du paradis ». Débute alors un séquence elliptique (teintée de la musique de Michael Giacchino, à qui l‟on doit déjà la formidable musique de Star Trek il y a quelques mois), musicale mais muette, qui suivra leur vie à deux, leurs espoirs brisés les uns à la suite des autres (stérilité, accidents, manque d‟argent, vieillesse, maladie, puis mort sont autant de briseurs de rêve). Carl se retrouve veuf, seul, affaibli dans la vieille maison où il a rencontré Ellie pour la première fois. En somme, pour une fois, Pixar nous plonge dans l‟espace intime de ses personnages. Le Studio nous avait plutôt habituer à un va et viens entre sphère professionnelle et sphère personnelle, notamment dans de détestables entreprises communautaires qui sont quasiment des rêveries congénitales (à peu près tous les Pixar précèdent, Ratatouille en moins), la surprise est si agréable que le film tout entier est hanté par cette séquence. Malheureusement, passé cette première séquence et sa suivante, la nature profonde de Pixar (favoriser le rêve devenu réalité plutôt que la réalité comme rêve) refait alors surface. Et face à une

morale bien pensante (vive l‟entraide, vive le bien, vive la liberté), ce sont les rapports humains qui ne devienne réellement que des échanges. Tout rapport humain y est motivé par l‟échange de valeur (je t‟aide pour ceci, mais tu m‟aideras pour cela) ce qui transforme les films-guimauves de Pixar en bourses des sentiments dont les objets de spéculations sont aussi divers que récurrents : animaux mignons, méchant obsédé, enfant débrouillard, gentil vieux grincheux. Le tout suivant la logique implacable de Nietzsche lorsqu‟il mettait à jour l‟agressivité inhérente au principe de charité (je m’assure de la gratitude des autres, et j’affermis mon emprise sur eux en les traitant bien). Simple principe de domination narcissique et infantile. Brique de plus dans la conception d‟un imaginaire qui cache sa nature violente et dominatrice derrière de bonnes intentions. Évidemment, on peut s‟émerveiller des prouesses techniques du film, sa musique, son esthétique (l‟harmonie géométrique des personnages notamment : le vieux carré, l‟enfant rond, le méchant filiforme…)… et en réalité, l‟engouement pour les films Pixar (on pourrait presque parler d‟adhésion de principe tant la presse est systématiquement unanime) vient de là. Avec un si bel emballage, pourquoi ouvrir le cadeau ? DANIEL DOS SANTOS

Film d’animation Réalisé par

Pete Docter & Bob Peterson Editeur

Walt Disney Studio Home Entertainment Sortie en dvd / blue-ray

le 09 décembre

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« Je suis arrivé à un âge où je peux compter sur mes doigts les années qui me restent à vivre. Bientôt, je retrouverai ma mère. Que vais-je lui dire quand ce moment arrivera ? » H. Miyazaki

Qu‟arrive-t-il à un cinéaste qui sent la fin venir ? Se réfugie-t-il dans une œuvre totalisante où surgit dans la moindre image le spectre de la référence, où chaque plan est filmé comme le dernier ? Disons à juste titre que Hayao Miyazaki n‟est pas Agnès Varda, que ses collages à lui sont des dessins et que la naïveté de son trait refuse l‟atrophie nostalgique du tout en un. Myazaki éluderait alors le film testament ? Pas sûr. En se réappropriant notre petite sirène occidentale, le réalisateur annonce bien qu‟il sera difficile de voir au-delà de Ponyo sur la falaise. Mais au lieu de chercher l’adieu dans la rétrospective, il le trouve dans un refus de la régression. Cette fois, la toutepuissance du conteur, immortel, qui laisse à son imaginaire le loisir d‟enrailler les lois de la réalité, découvre ses limites. Du moins les met-il en abyme. Le désir de raconter de Miyazaki est certes toujours là, brûlant, hérissé de mutations larvaires, mais il est davantage spéculaire que dépaysant. L‟artiste se regarde faire, le voile de la fiction ne suffit plus. En un tour de main les métamorphoses se veulent métaphores. Paradoxalement, le film en devient des plus littéraux : Ponyo, une question de vie et de mort. La vie d’abord : Ponyo, profil d’embryon qui grandit à mesure que sa toute-puissance psychique se tarie, enfant venue de la mer, homonymie si démonstrative qu‟il ne faut pas chercher loin l‟univers intra-utérin. Au cas où cela vous échapperez cependant, la métaphore arrive à point nommé dans cette séquence où une femme, géante couleuvre, se love dans les flots et sculpte la course du monde. Bien sûr, tout le monde aura compris qu‟il s‟agit de la « maman » de Ponyo et sans détournement elle sera ensuite désignée comme la mère de la mer. Seconde et non moins flagrante métaphore, distribuée par un contrechamp des plus analogique, celle de Ponyo face à un bébé blotti dans les bras de sa mère. Dans sa soif d‟introjecter le monde, la rondeur innocente du visage de Ponyo fond presque sur le nourrisson observé, et quelque temps après, elle ira même se frotter contre lui, happant ses larmes.

Ponyo. Sur son requin Pèlerin, tel Wotan, le chef des dieux de l‟opéra Wagnérien dont s‟est inspiré Miyazaki, il refuse la fin du monde. On le voit s‟acharnant à rétrécir Ponyo, la ramenant sans cesse dans les langes de l‟océan. Si elle grandit, elle lui échappe, elle devient vulnérable et sera promise à la plus humaine des finitudes. Mais la volonté régressive de Fujimoto, comme la vague qui se retire, s‟estompe et se tait. Quand Fujimoto laisse Ponyo aux mains de Sosuke, la déchirure familiale se double du plus éclatant mouvement de vie : la descendance. Le père doit délaisser l‟héritage et se consacrer aux héritiers, de même, les retraitées sentant leur fin venir ne s‟en soucient plus, célébrant l‟union formée par la jeunesse. Si une déchirure advient dans le tissu du monde, il y aura toujours quelqu‟un pour la ressouder. Et si jamais Myazaki, dans cet appel conscient et serein, coupe court au fil de ses métamorphoses, sa pâte traditionnelle sera reprise par ses cinéfils. La pyrotechnie numérique regarderait davantage ce dessin d‟enfant, regard le plus proche du conte, qu‟elle n‟en serait pas moins desservie. Aller de l‟avant mais quelquefois rebrousser chemin, régresser un peu de temps en temps, un chalenge de plus en plus audacieux pour un cinéma qui, en vertu d‟impressionner et de démontrer, ne doit pas oublier qu‟il est là pour raconter. FLORENCE VALÉRO

La petite sirène de Disney est un bébé sirène, un nouveau-né gouverné par le principe de plaisir. Pourtant, à l‟âge des babils les plus prononcés, elle éprouve du désir pour son compagnon, un désir mûri, qui n‟est pas celui de l‟enfant aux zones multiérogènes, mais celui d‟un amour complexe. Perd-elle également le pouvoir sur les choses quand un être s‟empare d‟elle. Elle grandit vite, décline aussi très vite lorsque le monde devient entité étrangère, en dehors de son contrôle. Par le biais de son personnage et sa croissance éclair, Miyazaki se cogne alors au principe de réalité que le conteur refuse, et la magie souveraine craint désormais sa déchirure. Elle advient. La mort ensuite : non loin du foyer utérin (celui de Ponyo), familial (celui de Sosuke, le petit garçon) s‟érige un dernier foyer, le Sunflower, fief de retraitées en fauteuil roulant. Si l‟une des pensionnaires est hostile à son entourage, notamment au petit Sosuke, c‟est parce-que cette vieille mère redoute au fond la proximité de la mort, qu‟elle assimile à l‟océan voisin, gangue de tsunamis, s‟insurge-t-elle à un moment donné. Ainsi, le sillage amniotique de la mer serait aussi celui de la mort. En ce point de chute apparaît soudain le seul personnage qui pourrait incarner le retrait imminent et conscient du cinéaste Miyazaki : Fujimoto, le père de

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Film d’animation Réalisé par

Hayao Miyazaki Editeur

Walt Disney Studio Home Entertainment Sortie en dvd / blue-ray

le 24 décembre


“I’m just a little person (…) Of many little people (…) Maybe somewhere far away I’ll meet a second little person And we’ll go out and play” (Extrait de la chanson Little Person, écrite par Charlie Kaufman et Jon Brion)

Réalisé par

Charlie Kauffman avec Philip Seymour Hoffman, Catherine Keener... Editeur

TF1 Vidéo Sortie en dvd / blue-ray

le 07 octobre

Oublions un instant l‟atypisme de Charlie Kaufman dans le cinéma indépendant américain. Délaissons toute spéculation sur cet univers génial qui n‟appartient qu‟à lui. Ne nous réfugions pas dans l‟attitude auteurisante qui consisterait à placer sa première œuvre en tant que réalisateur dans une continuité mentale et artistique… Percevons simplement le film tel qu‟il est. Que l‟on apprécie ou pas le travail scénaristique antérieur de Kaufman (Being John Malkovitch, Adaptation, Eternal Sunshine of the spotless mind) ne change rien à l’affaire. Synecdoche, New York, malgré ses défauts, demeure une belle métaphore de ce que sont le processus et l‟angoisse de la création. L’art de la vie, théâtre. L‟intrigue initiale a un air de déjà vu. On se croirait dans un film de Woody Allen, où les inquiétudes de l‟artiste se mêlent aux tracas quotidiens les plus banals. Caden Cotard (Philip Seymour Hoffman), metteur en scène de théâtre à la fois brillant, névrosé et hypocondriaque, voit sa vie s‟écrouler : sa famille ne lui donne pas l‟attention et la reconnaissance qu‟il attend, sa femme le quitte pour une carrière de peintre en Europe, emmenant leur fille Olive, sa liaison avec la jeune Hazel (Samantha Morton) échoue lamentablement… Lorsque Cotard obtient une bourse au mérite, il décide alors de réaliser, dans un gigantesque hangar de New York, une pièce dont l‟ambition démesurée n‟est autre que mettre en scène la vie quotidienne. Un passage résume l‟étendue peu réjouissante du projet. S‟adressant à sa troupe d‟acteurs, le dramaturge révèle notre lot à tous : nous savons que nous tendons vers l‟inévitable épreuve de la mort, mais nous pensons secrètement le contraire, nous

faisons semblant de ne pas en avoir peur, de ne pas en être conscient… L‟art de la vie repose exclusivement sur cette conscience inavouée, cette imposture que l‟on s‟impose à soi-même, cette fausse innocence. C‟est ce que cherchera à montrer Cotard dans sa quête créatrice. Le cercle artistique est donc celui du théâtre. En tant qu‟espace où se confrontent vie réelle et comédie, la scène conçue par Cotard forme un véritable microcosme architectural, sociétal, sentimental, mortuaire… Il est, en somme, la vie elle-même. Recréée, re-présentée mais non pour autant simulée, comme s‟il s‟agissait de rendre à travers le prisme théâtral toute l‟intensité et la vérité de l‟existence. Pourtant, un problème persiste. Le public : Quel est-il ? Où est-il ? « Quand auronsnous enfin un public ? » demande un comédien au metteur en scène, après 17 ans de répétitions ! Là est le paradoxe : il ne peut qu‟être absent puisqu‟il fait partie intégrante de la représentation. Kaufman l‟a bien compris, le seul public possible au final, c‟est le spectateur de cinéma, qui devant le miroir écranique, assiste à ce qui est à la fois le spectacle envisagé par Cotard et son making of. L’idée en elle-même est tellement forte qu‟on pardonne volontiers au film ses quelques maladresses et sa faiblesse visuelle. La vie de l’art, synecdoque. En prenant la vie comme sujet, le personnage de Caden Cotard emprunte une figure qui donne son titre au film : la synecdoque, trope tenant ses origines de la littérature, et qui consiste à prendre la partie pour le tout ou le tout pour la partie. De prime abord, toute pièce de théâtre peut être une synecdoque (Mort d’un commis-voyageur d’Arthur Miller, la

pièce mise en scène au début du film, peut se lire comme révélant l‟essence tragique de toute existence). Seulement, l‟originalité créatrice de Cotard réside dans le fait que la vie est prise aussi comme forme interne de mise en scène : la partie est elle-même le tout, le tout la partie. La pièce évolue peu à peu, et prend un tournant décisif lorsque Cotard fait le choix de s‟inspirer de sa propre vie, à la fois comme homme et comme créateur. On voit se dessiner toute la complexité du récit tissé par Kaufman : la synecdoque en question se trouve mise en abîme à l‟infini. Seul le mystérieux personnage de Millicent Weems, sublimement incarné par Dianne Wiest, parviendra à prendre la place de Cotard et à lui donner le « rôle » dont il a tant besoin pour achever son œuvre (mais n‟en révélons pas plus). L‟ingéniosité de Kaufman, à défaut de rythme parfois (mais comme on le sait, Kaufman débute comme réalisateur), se double d‟un dénouement des plus pessimistes : l‟ultime tragédie humaine, c‟est celle de notre inéluctable ascension vers la mort. Paradoxalement, c‟est de cette trop fatale issue, vécue à la fois en tant qu‟homme et en tant que personnage, que naît le chef d‟œuvre dramatique de Caden Cotard. La boucle est bouclée, et sa fin (le mot est bien évidemment à double-sens) sera sans doute son plus bel épanouissement artistique. Derrière l‟écran, un autre petit conteur d‟histoires joue sa propre partie, avec ses petits techniciens, ses petits comédiens. Tour à tour il nous séduit, nous bouscule, nous enivre. Nous restons sans voix, et nous savourons… SÉBASTIEN CLÉRO

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