Stardust Memories #10

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s e i r o m e M Stardust 6 # 10 / Juin 200

Numéro Spécial



Edito Une publication de: Association Stardust Memories c/o Daniel Dos Santos 11 rue Erard 75012 Paris RÉDACTION Directeurs de la rédaction : Daniel Dos Santos, Mikaël Gaudin-Lech Rédacteurs : Sam Bischoff, Daniel Dos Santos, Mikaël Gaudin-Lech, Akdov Telmig. Correction des textes : Mikaël Gaudin-Lech. ADMINISTRATION Directeur de publication : Daniel Dos Santos Administration : Daniel Dos Santos Publicité : Daniel Dos Santos, Mikaël Gaudin-Lech Conception maquette : Daniel Dos Santos Abonnement : 15 € pour 1 an (10 numéros) Chèque à l’ordre de STARDUST MEMORIES À envoyer à : STARDUST MEMORIES - C/o Daniel Dos Santos 11 rue Erard 75012 PARIS Crédits photographiques Couverture : Marie Antoinette © Sony Pictures Entertainment p 4 : Max et les maximonstres © Maurice SendakEditions L’Ecole des loisirs p 5, 6, 8, 9, 10, 11, 12, 13 : Where the wild things are © Warner bros p 14, 15 : Avatar © Twentieth century Fox p 16, 17 : Vincere © Ad Vitam p 18 : Hadewijch © Tadrart Films p 19 : Un conte finlandais © Epicentre films p 27 : Synecdoche New York © Oceans films Images et photos sous copyright et/ou libres de droits. S’adresser aux auteurs. ISSN: 1957-2956 Dépôt légal à parution. STARDUST MEMORIES est publié mensuellement (jusqu’à ce que mort s’en suive) par STARDUST MEMORIES (association loi 1901), chez Daniel Dos Santos, 11 rue Erard, 75012 Paris. Contact : stardustmemories.magazine@gmail.com La rédaction décline toute responsabilité quant aux opinions formulées dans les articles, celles-ci n’engageant que leur auteur. Nous même, nous ne les approuvons pas. D’autre part, toute reproduction, intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur, ses ayants-droits ou ayants-cause, est illicite (loi du 11 mars 1957, alinéa 1er de l’article 40) ou bien doit être faite très discrètement. Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 du Code Pénal et toute la fin de la Bible.

En dix mois, Stardust Memories a défendu divers cinémas et diverses cinématographies. Il est vrai toutefois que le cinéma américain et notamment contemporain possède une place centrale dans les sujets que nous traitons et si Cannes se veut éclectique et riche en cinématographies nationales très variées, indéniablement, pour nous, le cinéma américain attise chez nous une curiosité toute particulière. Sans négliger l’indéniable qualité des films européens présentés et primés à Cannes cette année (notamment Flandres et Volver), les impertinences de films comme Marie-Antoinette ou plus encore de la fable apocalyptique du surdoué Richard Kelly avec Southland tales sont à décrypter, et à estimer, car c’est vers ces films contemporains là que se tournera le jeune public cinéphile (et non, comme on pourrait croire de prime abord) pas des masses populaires désintéressées avides de cinéma américain. Celles-ci au contraire se ruent sur les plus grosses sorties nationales et plus particulièrement celles dont le nom du réalisateur n’est pas celui d’un auteur à part entière. C’est-à-dire les films dont l’attrait promotionnel reste cette entité tellement 20ème siècle: la vedette. Contrairement à l’artisan, l’artiste effraie. Il semble nous menacer par son intellect, sa sensibilité réfléchie ou du moins organisée, et ainsi nous détourner d’une divertissement soi-disant pur, uniquement physique et donc purement mécanique et industriel. Nous avons pu aussi nous en rendre compte en comparant les chiffres de blockbusters comme X-men the last stand et Marie-Antoinette. Le grand public est en manque d’auteurs car l’appareil promotionnel ne met pas en valeur ceux-ci autrement que dans l’opposition. Et le cinéma européen a d’ailleurs rarement des moyens équivalent à la promotion de ses auteurs qu’Hollywood. Alors, le Festival de Cannes est sûrement le moyen le plus efficace pour cette promotion. Espérons qu’il touche sa cible et que le grand public suive (mais toujours en questionnant) l’avis de ses professionnels, et tout en gardant en tête, on l’espère, les quelques films d’auteurs américains plus ou moins négligés cette année. Daniel Dos Santos



numé e é ro spé e cial F C estival de

Sommaire Marie-Antoinette Southland Tales Babel Le Caïman Les Lumières du Faubourg Les Climats Da Vinci Code Shortbus Court-Métrages Cannes

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annes


En compétition cette année à Cannes, deux films au moins rendent directement hommage au mélodrame classique américain. Ce sont d’ailleurs deux des films les plus attendus de cette 59ème édition. Volver et MarieAntoinette, chacun à leur façon, se tournent vers cette esthétique particulière qu’est celle du mélodrame, l’utilisant pour établir un rapport nouveau aux conventions familiales et idéologies contemporaines. Mais lorsque Volver semble plus directement sirkien (et trouve son originalité par son intrigue qui veut fleureter avec le fantastique ou le policier), Marie-Antoinette de Sofia Coppola semble s’attaquer plus clairement à la critique (par l’observation) de tout un mode de vie. Ambition d’autant plus paradoxale qu’elle s’attachera à filmer des moments fugaces, éphémères (c’est-à-dire l’événement) et non plus uniquement des moment représentatifs, donc porteur d’une force symbolique.

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Fleeting joy & hidden death

Rapport au mélodrame dans Marie-Antoinette Marie Antoinette, rebel without a cause 1 Ce qui détermine les personnages sofiacoppolien, c’est leur incertitude, leur indécision, leur laisser-aller. Les personnages sont incapables de communiquer leurs sentiments intérieurs. Même dans l’intimité. C’est d’ailleurs cela même qui intéresse Sofia Coppola : cette apparente (mais bien sûr fausse) superficialité, qui cache secrètement une insondable mélancolie. Ici, le personnage de Marie-Antoinnette représente en un sens la somme des personnages de Lux (Virgin suicide) et Charlotte (Lost In Translation) : son environnement social bride sa faculté d’expression aux conventions de son entourage et l’environnement qui l’entoure la prive de tout repère (d’autant plus que les communications avec son ancien univers, sa mère, comme pour Charlotte dans Lost In Translation, sont des conversations de sourdes.) Il y a très peu de dialogues dans Marie-Antoinette, comme dans les précédents films de Sofia Coppola. La communication se fait par le geste qui a une importance primordiale car le geste, plus que les mots, peuvent être irréfléchis, de purs réflexes, inconscient donc libres, vrais, non corrompus. Ici, la majorité des mots sont plus des sons que des dialogues et sont émis par la cour de Versailles comme railleries ou rumeurs blessantes ; ils ne sont pas destinés à la communication. Dans ces conditions de retenues dues à l’impossible communication, M-A plonge dans l’excès. D’un côté, elle fuit vers la réclusion, la solitude, l’enfermement, le masque (comme l’illustre le morceau des Strokes What ever happened dès ses premières paroles, lors d’une de ses « escapades spirituelles » où elle contemple le monde de sa calèche : « I want to be forgotten, And I don’t want to be reminded »). Dans l’incapacité de s’accaparer un espace à elle au milieu de la cour, elle va s’enfermer sur ellemême et de plus en plus (d’abord dans les pièces secrètes du Châ-

“Le mélodrame se préoccupe de confiner et de contrecarrer la fuite ; il commence par et exprime l’anxiété qu’apporte un nouvel univers effrayant dans lequel le traditionnel schéma de l’ordre moral ne fournit plus d’adhésif social nécessaire.” Peter Brooks

teau, puis au Petit Trianon, jusqu’à son hameau). De l’autre côté, elle multiplie les fêtes et rassemblements, les sorties, les jeux, les vêtements, le champagne… M-A est un personnage mouvant car incapable de s’intégrer, sa nature s’opposant aux rituels d’une Cour française statique et codifiée, incompatible avec son désir de mouvement, de spontanéité... : au théâtre, les gens n’applaudissent jamais une performance ...de leur plein gré (toute forme de communication devant être exprimée selon des codes précis)

Bigger than life 2 Ben Singer disait que les films de Sirk se concentrent sur « le disfonctionnement et le matérialisme de la famille américaine d’aprèsguerre, couplé par une tendance à l’excès stylistique. » Cette phrase semble s’associer parfaitement au cinéma de Sofia Coppola qui, de Virgin Suicides à Marie-Antoinette, s’attache à l’esquisse de la famille américaine contemporaine (même si ses films se déroulent à différentes époques et différents pays) pour mettre en avant les valeurs morales d’aujourd’hui, valeurs morales américaines dans un monde globalisé. Le matérialisme de Marie-Antoinette est d’ailleurs proche de celui des films de Sirk (les diverses fourrures de M-A ne rappellent-elles pas le manteau de Lana Turner dans Imitation of life) ou encore de Ray (une fois de plus par le défilé de vêtements colorés et luxueux on peut penser à Bigger than life) principalement pour leur recours à la couleur, les tons intenses et surréalistes. Et si, plus généralement, des films tels que Imitation of life et Bigger than life annoncent la fracture du cinéma américain de l’époque à l’aube du Nouvel Hollywood par le disfonctionnement des valeurs morales, la création artificielle d’un monde imaginaire, d’un excès qui ne peut exister ou être toléré ; Marie-Antoinette se veut le reflet d’un matérialisme, d’une superficialité, d’une forme totalement séparée du fond. L’ambition subversive de Coppola est d’éviter de coller à une méthode bien connue du biopic, qui consiste à confronter l’image publique (superficielle) et l’image privée (profonde) de son personnage. Sofia Coppola détruit complètement ces partages structurels mais simplistes en se concentrant sur l’image privée de son personnage, tout en voulant lui conférer une apparente superficialité. Cette superficialité est bien sûr un masque, une réaction à l’hypocrisie d’un monde qui se juge selon des codes de conduites.

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M-A vit dans un monde différent d’elle, hypocrite. C’est cette hypocrisie de la Cour de France qui fait souffrir M-A comme celle qui est à la fois sa Némésis et son double désinvolte, la Du Barry. Cette dernière représente clairement l’effet de la vie de Cour envers quelqu’un qui n’appartient pas à celle-ci (c’està-dire qui n’y a pas dès sa naissance appartenu à celle-ci). Du Barry est agressive, provocatrice même mais cette agressivité et provocation viennent toujours d’un sentiment de défense. En outre, Du Barry symbolise celle que voudrait être M-A par sa liberté et son appétit sexuel mais aussi celle qu’elle risque d’être par le danger de son excès : méprisée des autres et ayant le sentiment de n’appartenir à rien ni personne. Une entente se forme pourtant entre les deux femmes. Seules celles-ci comprennent la phrases de M-A à Du Barry « there’s a lot of people in Versailles today ». Les deux personnages qui ne se confondent pas dans cette foule sont ces deux femmes. Si cette phrase insinue qu’il y a des gens en trop à Versailles, ce sont alors ces deux femmes. Par ailleurs, le regard que porte Du Barry lorsqu’elle est chassée de Versailles s’adresse très directement à M-A, c’est un regard de colère mais empli de compassion et d’une certaine tristesse, renvoyant à M-A l’aspect prémonitoire de cette scène qu’elle finira par vivre à son tour dans d’autres conditions.

Imitation of life 3 « Le héros passif ou impuissant est devenu le protagoniste de ce qu’on appelle le mélodrame. Le contraste actif /passif est, inévitablement, traversé par un autre contraste entre masculin et féminin. » Geoffrey Nowell-Smith. Il n’est rien de plus vrai pour les personnages sofiacoppoliens où l’homme est toujours considéré comme passif ou impuissant. Dans Virgin Suicides, le personnage de Josh Hartnett prend peur après avoir couché avec Kirsten Dunst et abandonne celle-ci, qui

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deviendra nymphomane, se tournant elle aussi vers l’excès. Le personnage de Bill Murray dans Lost in translation se voit supplier une prostituée payée par la compagnie de whiskey qui l’emploie de partir alors qu’elle se livre à lui, et lorsque celui-ci se trouve dans un club de strip-tease, il se trouve loin de l’action, regardant les danseuses de loin. Dans Marie-Antoinette, le personnage de Louis XVI est presque une caricature de la timidité insinuant l’impuissance voire l’homosexualité (il est présenté en compagnie d’hommes dans la seule scène où on le verra totalement décontracté). Son regard est sans cesse fuyant, il parle très peu ; en présence d’un conseil politique, il est facilement influençable. Sa principale activité est la chasse, sport dans lequel il peut prouver sa virilité ; son hobby est de fabriquer des clés, activité dont la symbolique sexuelle fut abondamment commentée, soit créer et astiquer seul ses engins. Mais ces occupations ne seront montrées que furtivement ou pas du tout car le point de vue pour lequel opte Sofia Coppola est celui de M-A. Ainsi, visiblement, l’attitude et la gestuelle du roi le féminisent (en contraste par exemple à l’attitude du roi Louis XV lui-même, symbole de virilité). En opposition à la féminisation du personnage masculin, l’équilibre se tiendra par la masculinisation du personnage féminin. A la mort du roi Louis XV, M-A s’émancipera de son mari et, comme dans Lost in translation (ou Virgin suicides avec la figure père), cette émancipation se matérialisera par l’ivresse, la fête comme si ces états et situations excessives pourront définir à ses yeux plus clairement sa propre identité, comme si par l’excès elle serait capable de définir la norme.

« Gradually, we must disintegrate » 4 Comme l’écrit Thomas Schatz : « Le mélodrame trace l’ultime abandon des principes aux restrictions traditionnelles sociales et familiales ». Sirk ne fait bien sûr pas exception, il en est le meilleur exemple, et ce qu’il appelait « happy, unhappy ending » n’a jamais eu


autant d’intensité mélodramatique qu’aujourd’hui dans MarieAntoinette. Car au final la Reine, bien qu’elle quitte enfin le lieu de tous ces malheurs, bien qu’elle semble enfin assumer son rôle d’épouse de mère et de reine en risquant sa vie pour rester aux côtés de son roi, bien qu’elle ait gagné intégrité, dignité, sagesse et honneur ; elle perd l’univers auquel inconsciemment elle s’est attaché, elle perd ce qui la définissait c’est-à-dire sa liberté et elle s’apprête à perdre la vie elle-même. « Dans les films de Sirk, une énergie fondamentalement innocente et sans compromis est graduellement détournée d’un simple et direct accomplissement par l’émergence d’une conscience, un sentiment de culpabilité et responsabilité, ou la conscience d’une complexité morale. » Ici, le même effet a lieu. L’approche d’un peuple en colère, l’intrusion dans le cocon que s’est créée M-A du monde extérieur (par la presse d’abord puis par le peuple lui-même), ajusteront les valeurs morales de M-A, cibleront ses principaux désirs : non pas son cocon (les derniers dialogues de M-A répondent d’ailleurs à la question de Louis XVI « Are you admiring your lime blossom path ? » par « I was just saying goodbye » : son environnement n’est plus primordial d’un simple point de vue esthétique ou matérialiste, elle accepte son destin) mais sa famille et même son peuple (l’image magnifique de M-A faisant la révérence au peuple en colère est clairement un sacrifice, un don de soi au peuple). Le sang froid de M-A comme celui du roi Louis XVI (qui dans une image sublime va lever son bras et le garder tendu pour protéger sa famille, se plaçant pour la première fois dans une position vulnérable) les emplissent de responsabilité, peut-être même parce qu’ils étaient encore trop jeunes pour avoir cessé d’être naïfs (à la mort du roi Louis XV, le dauphin ne dira-t-il pas « God protect us, ‘cause we are too young to reign »). En cette fin de film, le roi et la reine réalisent qu’ils doivent inévitablement retourner vers leur rôle et assumer leurs responsabilités sociales comme politiques. Ils acceptent leur destinée.

« Mélodrame = musique + drame » 5 La musique (et ses paroles) représente la continuation du langage gestuel de la reine et aide à franchir les barrières créées par les limitations d’un langage verbal conventionnel en même temps qu’elle génère une intensité émotionnelle qui prend le spectateur en complice. Car cette musique, extradiégétique, c’est la musique de la reine, celle qu’elle a en tête et qui exprime ses sentiments intemporels. La musique est donc elle aussi intemporelle et ne peut donc être que personnelle, plutôt que totalement anachronique. Pour cette audace, l’incroyable et formidable bande-annonce conçue comme un clip d’un morceau de New Order nous préparait déjà puisque, comme Kubrick pour Eyes wide shut, celle-ci est bien plus provocante que le film (si bien que dans les deux cas, se créé un gouffre entre les attentes des spectateurs et le film lui-même). Mais la musique rock est aussi intradiégétique au film dans une séquence de bal masqué qui prend alors une valeur irréelle. Dans cette fête interdite à laquelle le couple royal se rend au milieu de la nuit, M-A s’amuse pour la première fois, sourit et séduit, elle rêve. Seuls deux personnages ne portent pas de masques : le personnage interprété par Matthieu Amalrich qui rêve de « déflorer la dauphine » et le Compte Fersen qui deviendra plus tard l’amant de celle-ci. Ces deux personnages bien qu’ils n’entrent pas tout deux en contact avec M-A (seul le Compte Fersen lui parlera) s’identifient comme de potentiels amants. Le bal masqué prend alors la valeur d’un fantasme de M-A, puisque cette scène repose sur une symbolique sexuelle explicite.

“It’s about things being disconnected and looking for moments of connection” Sofia Coppola La musique rock, que l’on identifie à la Reine puisque reflétant son caractère, symbolise aussi sa liberté. Ici, elle révélera le chemin vers lequel M-A se tournera et qui est, à cet instant, sa plus grande frustration : le sexe, qui sera pour elle la « consommation » de sa liberté, puisque la concrétisation d’une relation amoureuse qui symbolisera l’échappatoire à une vie claustrophobique.

Age of consent 6 « Un metteur en scène est quelqu’un qui sait plier l’histoire à son propos » dixit Douglas Sirk. Marie-Antoinette fume des joints, boit du champagne, a des Converse bleues, danse sur Siouxie and the banshees, passe ses après-midis avec le groupe Phoenix qui lui jouent de la guitare dans son petit Trianon, elle joue à la roulette le soir, ses initiales brillent sur des néons dans le jardin… A priori, Sofia Coppola se fiche complètement de toute vérité historique. L’histoire est faite par ceux qui ont le pouvoir, lorsque Sofia Coppola s’intéresse à l’indépendance de son personnage. Marie-Antoinette est plus un film sur le Versailles fantasmée par Sofia Coppola, qu’une biographie filmique d’un personnage historique (celui-ci même n’est que ce qu’on pourrait appeler en psychanalyse un transfert, soit une jeune fille américaine d’aujourd’hui). C’est là sa grande force, celle de ne pas adapter un fait historique qui serait le simple reflet symbolique de problèmes contemporains (combien de films horribles portent à l’écran des faits historiques qui se veulent le reflet de notre actualité et donc veulent nous pousser, dans un élan démagogique, à la réflexion forcée sur notre présent par le prisme idéologique qu’ils nous fournissent) mais de s’en soustraire. A travers les anachronismes du film (qui sont aussi plus subtilement dans les décors et costumes), Sofia Coppola ne cherche pas à choquer, ni exprimer son indépendance, elle cherche au contraire à éviter une cohérence qui serait le vaisseau idéologique de son film. Les anachronismes sont injustifiés, ils insèrent la surprise au sein du film, ils permettent en fin de compte qu’un personnage comme MarieAntoinette puisse exister en dehors de toute justification historique. Elle n’est pas l’objet de l’Histoire, l’Histoire est son objet. Ambition radicale et sublime. Daniel Dos Santos

1. Film de Nicholas Ray (1955), dont le personnage de Jim n’est pas sans rappeler celui de Marie-Antoinette 2. Film de Nicholas Ray (1956) & définition de l’univers du film de Sofia Coppola 3. Film de Douglas Sirk (1959) - pourrait ici définir la vie de Marie-Antoinette 4. Aveu de George Sanders dans Summer storm (1944) de Douglas Sirk 5. équation étymologique de Douglas Sirk 6. Titre du morceau de New Order que l’on entend dans la bande-annonce clipesque (et muette) de Marie-Antoinette, & illusion de notre époque.

Réalisation Sofia Coppola Avec Kirsten Dunst, Jason Schwartzman, Judy Davis, Asia Argento Sortie en salles 24 mai 2006

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La surprise de la compétition cannoise est sans nul doute le second film de Richard Kelly, Southland tales. D’abord parce qu’il fait rupture avec tous les autres films de la compétition : Southland tales est un film de science-fiction apocalyptique avec au casting : l’ancien catcheur the Rock, les stars de slashers ou comédie populaires pour adolescent Sarah Michelle Gellar et Sean William Scott, le chanteur pop Justin Timberlake, le kitsch Christophe Lambert… Avec ce film Richard Kelly fait preuve d’un culot encore plus gigantesque que celui de Tarantino en 1994 avec Pulp fiction et c’est bien là le problème. Dans l’excès perpétuel et avec cette folle audace, Richard Kelly ne possède pas le goût de la provocation de Tarantino, si bien que le film n’a pu être que boudé (ou sifflé) par le public cannois. « Trop long, trop risqué, trop virtuose, trop cynique », trop brillant ? Au final Southland tales est peut-être le seul film véritablement brillant de cette 59ème édition. 12

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Réalisation Richard Kelly Avec Dwayne ‘The Rock’ Johnson, Sarah Michelle Gellar, Sean William Scott Sortie en salles 20 décembre 2006

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Memory Gospel

We saw the shadow of the morning light The shadow of the evening sun ‘til the shadow and the light were one Perry Farreil Frontières et concentration Epopée mythique Southland tales n’en reste pas moins une évocation des frontières de l’Amérique d’aujourd’hui s’appuyant sur le danger venant de l’extérieur et prophétisant la destruction venant de l’intérieur. Los Angeles est une Babylone symbolique délimitée d’un côté par l’océan (sur lequel se basera le générateur d’énergie de la compagnie allemande US-ident) de l’autre côté par le désert (au milieu duquel se trouvent les ruines d’une explosion atomique) soit délimité de tous côtés par « le négatif de la surface terrestre et de nos humeurs civilisées ». Clairement, les frontières de Los Angeles représentent les limites de la civilisation américaine, et de ces limites, personne ne doit ou ne peut sortir. L’océan et les plages sont surveillés par des gardes munis d’armes surpuissantes, le désert est un endroit radioactif sans vie, dangereux, où l’on ne peut physiquement survivre. Mais Southland tales est une critique de la centralisation économique et politique de la mégalopole américaine (et plus précisément du cas particuliers de Los Angeles) de manière que la destruction de l’ordre établi par les foyers révolutionnaires venant des frontières de la ville n’est possible qu’au centre même de cette ville. Le film conte cette convergence d’individus en un seul point, point symbolisant le négatif de la création originelle. Toute la structure du

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film est construite de manière à reproduire à l’opposé la « singularité initiale » de la création du monde (c’est-à-dire le Big Bang auquel TS Eliot fait référence dans l’extrait du poème1 que Richard Kelly citera en incipit du film), selon l’hypothèse scientifique d’une destruction de l’univers comme étant l’exact inverse de sa création. A l’expansion s’oppose la concentration. La fin du monde sera donc le miroir de son début (et Richard Kelly modifiera « à des fins satiriques »2 la chute du poème de TS Eliot dans son film) : « Southland tales vous emmène sur un tout autre chemin. Celui qui se termine par un «boum»3 ». La fin du monde est une explosion, un contre-BigBang.

Refoulement et identité Si cette destruction du monde en un contre-Big-Bang est possible, c’est parce que l’Histoire est oubliée. Donc la destruction du monde est, consciemment, phénoménologiquement unique. Dans la conscience collective, ce n’est pas la répétition d’un acte passé. Southland tales exprime cette menace : l’oubli de l’Histoire menant à la potentialité d’une destruction du monde. Le film n’est que la mise en images à l’échelle de l’individu comme à celle de l’Etat, du phénomène de refoulement. Plus concrètement, c’est au traumatisme de la seconde guerre mondiale que le film fait d’abord référence, celui-ci même qui

ne fut quasiment jamais traité par le cinéma américain à travers son histoire (hormis par les films faits durant la période même de cette guerre et donc omettant les conséquences de celle-ci, les films de propagande et contrairement aux innombrables critiques de la guerre froide, de la menace nucléaire ou de la guerre du Viêt-Nam). Ainsi l’aide allemande providentielle est possible et le pouvoir que celle-ci s’octroie est accepté puisque volontaire. Tous conflits passés sont oubliés. De même, l’explosion atomique du début du film se base sur la théorie de l’« Hiroshima américain », c’est-à-dire la théorie selon laquelle Al-Quaïda préparerait une attaque terroriste d’ordre nucléaire ciblant des villes américaines de taille moyenne (donc où la défense anti-terroriste n’est pas poussée) près de la frontière mexicaine. Donc faisant référence au drame japonais tout en matérialisant les peurs américaines post-2001. L’individu, rouage commercial de la civilisation américaine, reproduit ce refoulement du passé directement. Les personnages-clés de Boxer Santaros et des jumeaux Taverner sont très directement marqués par le refoulement de leur passé, de leur propre identité. « Cette masse énergique préformelle qui constitue le chaos originel des Grecs (gr. « ouverture béante », « gouffre ténébreux ») est associé à l’idée de l’inconscience »4


D’un point de vue scientifique, ces pertes de mémoire des personnages sont dues à un phénomène précis : la passage en un lieu régi par d’autres lois physique, un point zéro brisant le mur entre « espace classique » et « espace quantique », entre « temps réel » et « temps imaginaire ». Développement imaginatif (bien qu’évidemment impossible) des théories d’Hawking dont il s’était déjà directement inspiré dans Donnie Darko, Richard Kelly créé un espace hybride basé sur la superposition de la métrique lorentzienne et euclidienne provoquant un point où espace et temps se mélangent et donc où le voyage temporel serait possible sans avoir à briser la limite de la vitesse de la lumière5. Ce lieu, c’est cette ouverture béante, ce gouffre ténébreux, cette association à l’inconscience : les ruines atomiques. Ce voyage dans un passé proche, dédoublera l’individu en même temps qu’il provoquera l’oubli du phénomène chez celui-ci. Le dédoublement soudain est un traumatisme qui sera refoulé. L’individu sera par la suite perdu, incapable d’agir seul. La présence féminine (symbolique d’un point de vue psychanalytique de l’image de la mère) sera le guide des personnages de the Rock et Sean William Scott. D’un côté, l’actrice porno incarnée par Sarah Michelle Gellar héberge et s’occupe du personnage qu’interprète the Rock, d’un autre la rebelle néo-marxiste incarné par Cheri Oteri contrôle littéralement Sean William Scott. Ces images symboliques de la mère révèlent le désir des personnages d’un retour aux origines, soit la réappropriation de leur identité. Car le phénomène de dédoublement est une division de l’individu et ceux-ci chercheront donc inconsciemment à redevenir « entiers ».

The Rock s’identifiera au personnage fictionnel qu’il aura lui-même créé pour tenter de se multiplier. Ceci étant dû au phénomène de manque. Les jumeaux Taverner chercheront à se ressembler, à littéralement ne devenir plus qu’un, même si les conséquences de ce phénomène non-naturel seraient un phénomène physique menant l’univers à sa destruction.

Création /destruction Mais la fin du monde n’est pas une fin en soi. Comme l’insinuait déjà le personnage de Jake Gyllenhaal dans Donnie Darko, la destruction est une forme de création (« They just want to see what happens when they tear the world apart. They just want to change things.» dira-t-il). C’est ce que prône Richard Kelly : la destruction de Los Angeles, de l’Amérique, de la Terre, de l’Univers comme symbole et opportunité. Symbole comme critique d’un ordre établi totalitaire à anéantir et opportunité comme croyance en un nouveau départ bénéfique où les erreurs du passé ne se reproduisent pas si chacun prend conscience de ce passé. Cette critique politique est traitée par Richard Kelly avec beaucoup d’ironie. Tout d’abord, grâce à son ambitieux choix de casting : Kelly réunit les acteurs-produits de l’Amérique soit des acteurs populaires du petit écran, et souvent comiques (Sarah Michelle Gellar, Sean William Scott, Justin Timberlake et Cheri Oteri sont des habitués du Saturday Night Live). Il créé une esthétique publicitaire par l’image, sa perfection technique, l’idéologie nationaliste qu’elle véhicule (créant une surabondance de drapeaux américains quasiment dans chaque séquence). La dérangeante dés-

incarnation de tout comme de tous, les procédés modernes mais conventionnels d’une esthétique populaire jusque dans sa perfection, dans son rythme, sa musique, son ambiance font de Southland tales l’inconcevable critique de l’Amérique par son centre, de Hollywood par son cinéma, œuvre d’autant plus subversive qu’elle respecte les impératifs du spectacle. Daniel Dos Santos N.B. La sortie du film en décembre prochain sera précédée par la sortie de préquels sous la forme de trois romans graphiques écrits par Richard Kelly et illustrés par Brett Weldele. Le film étant divisé en trois parties (Part IV – Temptation waits ; Part V – Memory gospel ; Part VI – Wave of mutilation) basé sur le schéma des trilogies Star Wars, les préquels s’intitulent : Part I – Two roads diverge ; Part II – Fingerprints ; Part III – The macanichals. 1. C’est ainsi que finit le monde. C’est ainsi que finit le monde. C’est ainsi que finit le monde. Non par un boum, mais par un gémissement TS Eliot extrait du poème les Hommes creux (1925) 2. Expression empruntée à Richard Kelly dans sa lettre du 25 Avril 2006 (dossier de presse) 3. idem 4. Jacques de la Rocheterie, La symbologie des rêves 5. Pour plus de détails, se référer à Une brêve histoire du temps et La nature de l’espace et du temps de Stephen Hawking

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Réalisation Alejandro Gonzalez Inarritu Avec Brad Pitt, Cate Blanchett, Gael Garcia Bernal Sortie en salles 11 octobre 2006

Babel le babil sur babel Parfois, dans des microcosmes, zones cachés et inconnues du monde, des réalisateurs parviennent à monter de véritables Babels du cinéma, faites d’un langage d’une force si universelle, qu’elle perce les yeux jusqu’au fond du crâne de chaque mortel qui y jettera un œil. Le caractère bien rare de ces réalisateurs se manifeste par l’utilisation de codes spécifiques, de gestes typiques et de physiques inimitables ; qui n’exclut pas une émotion, un pathos tout à fait exportable, visible à l’étranger. C’est le cinéma. Inarritu est au dessus de tout cela, et par forcément pour le mieux ; car la synthèse d’espaces et de cultures radicalement opposés peut parfois affadir. Affronter et mettre côte à côte les différences peut parfois ramollir, tout simplement parce que les pays du film sont montrés à égalité. Certes, ils sont narrativement à égalité, mais esthétiquement, politiquement, n’est t-il pas naïf de les montrer par la même durée, emportés par la même tension ? Les gardes frontières américains sont aussi idiots que sont violents les policiers Marocains; la gentillesse de la mère mexicaine pareille à celle du tendre père tunisien, bonne comme le père japonais. Immédiatement, à travers le monde, les schémas du bon et du méchant sont identiques, la jeunesse incomprise ou inconsciente est à même niveau. Est-ce cela Babel : le consensus du cinéma mondial ? Le refus de la confrontation, de l’inégalité apparente ? Ou dans un sens légèrement plus caché, Babel, explorerait-il les petits rien, qui isolent les personnes les unes des autres, la langue, le visage, les mains ; ou le sexe de la jeune nippone découvert subitement, qui lui est vecteur d’une véritable Babel, celle du sexe, de tous points communicable ! En passant d’une zone de tension, ou d’action d’une partie du monde à une autre (je veux dire qu’un enjeu est toujours présent), Inarritu construit un film à bout de souffle, haletant, mais uniforme,

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presque symétrique en deux coins de la terre, et un peu déséquilibré, du côté du Japon. Autre courant majeur du film, probablement dû au scénariste Guillermo Arriaga, les histoires sont comme reliées par un fil invisible. Façon de dire qu’il n’y en a qu’une et qu’elle est inévitable. On retrouve en sourdine ici un air de destin comme dans 21 grammes. Encore, on pense au récent Trois enterrements de Melquiades Estrada, où Arriaga est aussi scénariste, film conçu au début sur la répétition, sur le temps remâché et dilaté. Ce procédé semble être une figure de style pour donner du poids à un récit, réactivant un évènement sous plusieurs angles différents, tel Babel. Mais si le film se veut être un assemblage le plus fonctionnel possible, il réussit dans cette voie de contraste de formes, lumières et sons. Nul ne reste insensible au choc du désert de l’Atlas, sec et sauvage et de l’architecture aiguë et domestiquée de Tokyo. L’air et sa lumière n’y sont pas les mêmes ; les distances et la profondeur de champ d’une nature opposée. Le sentiment de claustration se répète trois fois, une fois le couple Pitt/Blanchett isolé, rejeté de ses congénères touristes dans un village. Une seconde fois, dans l’une des plus belles scènes du film, quand la jeune nippone, sous l’emprise de la drogue tourbillonne dans un dédale de boîte de nuit. Une dernière fois, quand la terre vide du désert et son soleil emprisonne la mère mexicaine. L’utilisation de trois histoires simultanées donne une Babel intense et bigarrée, signe peut être de l’envie de concentrer le cinéma en une sorte de diamant, taillé en épure. Définitivement, Babel captive par son style, ou ses styles (à voir selon les pays), qui deviennent le cadre d’histoires interchangeables. Malheureux cosmopolitanisme des histoires et candeur altermondialiste ? Sam Bischoff


le Caïman Caïman : n.m. Crocodile de l’Amérique centrale et méridionale à museau court et large, et dont le cuir est recherché en maroquinerie.

l’art de la récupération Le nouveau film de Nanni Moretti s’ouvre sur un hommage à un cinéma qui sait être politique ou social, la série B, avec la projection d’un sombre polar d’exploitation, avec blonde héroïne et ninjas vengeurs au compteur. Ce sont ces histoires-là qui fascinent les enfants : les malversations économiques et autres magouilles financières ne les intéressent pas, c’est bien connu, et Silvio Orlando, beau héros du Caïman, l’apprendra bien vite. A moins que… ce récit d’une ascension politique devienne une histoire de mafieux. Dès cet instant opère la récupération. Série B, Le Caïman n’en est pas tout-àfait une. La trame est celle d’une comédie dramatique, avec un producteur de cinéma pour qui tout va de mal en pis, dont le mariage prend l’eau, dont la boîte fait faillite. A moins qu’une petite protégée fasse le succès dont il a besoin au box-office. Mais elle, intransigeante, ne cède sur rien, refuse les propositions qu’on lui fait, néglige le succès possible de son pamphlet. Résultat : on lui coupe les vivres de moitié, alors que le vieux réalisateur qui a viré de bord, avec ses péplums qui sentent le carton-pâte, pourra tourner son film dans des conditions confortables, bénéficiant d’une star de premier plan qui a aussi senti le vent tourner (hilarante scène de tournage sur la plage). Récupéré, lui aussi. Reptile, fuyant, comme le caïman, à sa manière.

Réalisation Nanni Moretti Avec Silvio Orlando, Jasmine Trinca Sortie en salles 22 mai 2006

Avec le cuir des caïmans, on fait des sacs, des portefeuilles, des gants. Le caïman est récupérable, mais moralement, il ne l’est plus depuis longtemps. C’est parce qu’il cache sa vraie nature qu’on lui fait confiance. Il peut récupérer une valise de billets grâce à son sourire, ses costumes rutilants et sa jolie femme, billets qu’il peut ensuite transformer en opération immobilière, pour asseoir un peu plus son pouvoir, sa fortune, sa réputation. Dans ce film, même Moretti sait se travestir. Il incarne d’abord un acteur qui refuse le rôle de Berlusconi, sous prétexte que sur lui, tout a déjà été dit. On annonce à la gauche ce qu’elle veut entendre, comme l’homme de tous les pouvoirs italiens montre aux potentiels électeurs de droite ce qu’ils veulent admirer, une image lisse et glissante, une carapace, une peau de reptile. C’est en fin de film que Moretti apparaît finalement sous les traits de Berlusconi. Il ne lui ressemble absolument pas mais aucune importance, il n’en incarne pas l’image mais l’idée. Celle-ci, comme on s’en doute, est celle d’un manipulateur habile et séduisant, qui retourne le système qui l’accable contre ceux qui le dirigent. Retourner le pouvoir contre ceux qui l’exercent, c’est créer la pagaille, l’inévitable chaos, la ruine des institutions mêmes (police, justice) que le caïman parvenait jusqu’ici à duper.

Le dernier plan du film, très impressionnant, est le seul à tolérer un réel rapprochement avec l’esthétique et le formalisme de la série B. Les personnages fuyants, faux, envieux et parvenus du film, se rassemblent tous en la figure proprement diabolique de ce caïman-là, qui révèle enfin sa propre nature. Dans la voiture, l’homme politique savoure ce qu’il a pris non pas comme une défaite mais comme une victoire sur un peuple qu’il continue de mystifier. Le noir complet se fait dans l’habitacle du véhicule : l’homme disparaît derrière un rideau de ténèbres qui l’engloutit à jamais -le film se terminant sur cette image. Méchant puni par le tribunal, film dans le film mené à bien, fin heureuse ? Non, car apparaissent des flammes dans le fond de l’écran, à travers la vitre de la voiture, en provenance des marches du tribunal. Ces flammes sont les conséquences de la fureur de la foule, à l’encontre des jurés qui ont puni le caïman. La Justice attaquée, son emblème est mis à mal : c’est bientôt tout le tribunal qui est en feu. Le Caïman s’achève sur cette vision d’apocalypse, le feu qui dévore toute l’image et ne semble plus pouvoir s’arrêter. La défaite des institutions, la défaite de la justice, récupérée en instrument de mensonge et de corruption. Et le caïman de filer, avec un sourire ironique, tapi dans sa longue voiture noire. Mikael Gaudin Lech Stardust Memories #10

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les Lumières du Faubourg

Réalisation Aki Kaurismaki Avec Janne Hyytiäinen, Maria Heiskanen Sortie en salles 25 octobre 2006

Une certaine intensité : les lueurs du faubourg Décroché de la lignée des deux films précédents, Les lumières du faubourg opère un durcissement, qui affine la trilogie, la complète de manière précise et pointue. Dans un découpage toujours aussi simple des histoires, Kaurismäki tire le linéaire, au point de ne garder presque plus d’éléments d’accroche. Le burlesque hagard cède ici la place à une gravité taillée à la serpe, directe. Un ensemble liminaire, qui enlève le superflu de films déjà rarement surchargés. Le corps de l’acteur est lui à charge ; sensé représenter toute une âme, un état dans une concision extrême. A deux reprises avec un calme inchangé des hommes viennent et frappent sans surprise. Et le sentiment nous vient peu à peu que ce travail d’orfèvre chasse l’humour, les ressorts comiques. La solitude est sans surprises, le film aussi. Pourtant, apprécié d’un bloc, le film peut se vivre dans un ressenti de vide absolu, de pointes décoratives et colorées, garnissant la solitude tenace d’un seul homme. Il faut attendre trente minutes de film pour voir que le film se déroule en 2005, et pour une des premières fois, les voitures de notre époque jurent avec la décoration fifties du film.

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Je me rappelle avoir lu une critique du film, écrite par quelqu’un qui l’avait vu très tôt à Helsinki. Le critique était déçu, sa faim n’était pas comblée. L’épure peut-elle créer de la distance ? La forme maladroite ou inaccomplie au cinéma est elle plus poignante ? Un film peut il se décourager ? Mais celui-ci parait peu vulnérable, trop bien arrangé. Quand à la fin de Juha, le fermier court vers le port, deux balles dans le cœur, quand le lyrisme et la dramatisation tordent l’écran, la mort arrive comme une suite logique, conclut un film et une idée du cinéma. C’est tout autre chose dans Les lumières. L’homme Koistinen s’échoue contre la roue d’un tracteur, meurt ou ne meurt pas, il ne résout rien. Le dernier film de Kaurismäki se joue dans la réalité, la plus froide et la plus sèche. Il est ponctué encore ça et la d’éléments extérieurs et poétiques comme les clochards russes qui dissertent sur la littérature de leurs pays. Donc Koistinen meurt peut être et puis vit sans véritable impact émotionnel pour le spectateur. Le film se fait si réel qu’il en devient surréel, on regarde l’image lisse de l’écran au lieu de l’émotion de l’image.

C’est le grand changement. Ce n’est finalement pas un film affadi ou répétitif, c’est un troisième film déroutant. Dans une tendresse et des gestes, langueurs élégiaques le second (l’homme sans passé 2002) brûle tel une torche, le premier (Au loin s’en vont les nuages 1996) fait lui face au temps tel une construction magistrale. Ce qui empêche ce film de rejoindre le panthéon des grands films de Kaurismäki est systématiquement le manque d’amour fou et absurde qui émane de ses films. L’ennui n’est plus qu’ennui, feu la dialectique cynique et tendre du perdant. Quand Koistinen est seul, il l’est sans espoir. Quand, il se laisse prendre, il ne nous donne aucun sursaut. Lymphatique, il l’est du début à la fin, sans les sursauts et tétanies prodigieuses qui habitent parfois les acteurs Kaurismäkien. La beauté de ce troisième élément du triptyque est sa simplicité, son rythme qui se glace peu à peu, pour qu’une histoire, un monde, s’enténèbre. Et ralentit pour se clore et devenir encore plus photographique que l’Homme sans passé. Sam Bischoff


les Climats

Météorologie du souvenir La température du souvenir semble déterminer la ferveur que l’homme donnera pour son amour futur. Si les espaces vides sont légions, c’est que l’histoire se déroule à la fin de l’été, déjà consommée, puis pervertie dans la mélancolie pluvieuse de l’automne et clôt par le froid de l’hiver. C’est là l’itinéraire d’un sentiment qui s’étiole, d’une incompréhension galopante. Fabienne Vonier, la productrice du film, parle des connexions entre ce film et ceux d’Antonioni. On retrouve les thèmes communs de l’incommunicabilité entre deux êtres qui ont pu s’aimer. La profondeur de champ devient le signe de la solitude. Car la vraie solitude au cinéma se compose toujours. Le film est conçu par recoins, un bout de plage, le flanc d’une montagne, un site archéologique, un tas de neige et une camionnette. Ces petits endroits sont le reflet d’une charge bien plus écrasante, celle du cosmos, celle que ressent l’homme en haut de la montagne, énième personnage à la Caspar David Friedrich. Nuri Bilge Ceylan est assurément très occidental en se plaçant lui-même évoluant dans un site archéologique, et en suggérant encore à nos esprit une peinture de Friedrich, montrant un monastère coincé dans la montagne comme un monumental cimetière gothique. Le monde agit sur le personnage, dans une alternance jour/nuit, suivi d’une nuitée avec un tiroir comme oreiller. L’humanité de ce film est un couple passif, dont les périodes, la rupture et les retrouvailles sont scandées par la météo et la géographie. Deux personnages font le film, ou plutôt un. L’homme, dans ses tourments du cœur, de l’âme et du sexe. Tous (ou presque) les autres personnages du film sont des mobiles, au service du double je (auteur réalisateur et acteur) du personnage principal. Mais les éléments naturels en premier plan, rendent imperméables les perceptions et flous les sentiments de l’homme. La présence des acteurs à

Réalisation Nuri Bilge Ceylan Avec Nuri Bilge Ceylan, Ebru Ceylan Sortie en salles 17 janvier 2007

l’écran se fait plus souvent par le biais de décadrages, jeux de mise au point, d’intelligente organisation formelle qui coupe toute nécessité de dialogue. La grande surprise du film réside dans la formidable adéquation de la nouvelle technologie de caméras Haute définition et de l’apparition du monde jusque dans ses petits détails liquides ou minéraux. La finesse dans les changements de luminosité, le grain de l’image, précis puis aussitôt liquide prouve que le numérique n’est définitivement pas plat, saisissant aussi bien des grains de sable, que des flocons de neige. Mu par un grand sentiment individualiste, parfois machiste, le personnage principal pousse le film à gravir les échelons d’un amour peut être idéaliste. Monter et descendre, il y a fossé, fouille, balade sur un site archéologique, passé. Puis la remontée vers l’immédiateté, le sexe brutal avec une ancienne maîtresse. C’est cette relation décevante, sans entente, qui pousse Isa (l’homme) à repartir chercher Bahar (la femme). Les relations suivent alors ce mouvement, de prise et de perte, du saisir et du lâcher. Mari et femme dans la vie, le couple du film se retrouve dans un bus, endroit crucial, qui vient démontrer que tout le film se déroule dans la même boîte, celle cachée du couple. C’est un film secret, intime, qui ne dévoile rien. Un film qui ne laisse au spectateur que les traces apparentes d’une histoire irrémédiablement intérieure. Les Climats c’est l’incurable sensation du temps qui passe et de ses souvenirs qui s’étirent comme guimauve, pour finalement ne plus rien dire un matin neigeux dans une chambre d’hôtel grise. Les Climats c’est aussi l’audace d’une fresque du lendemain qui brille par ses manques et ses absences ; le vide d’une histoire et la ténacité d’un amour inépuisable. Sam Bischoff

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The « Pourquoi Jésus n’aurait pas été père et accompli tout de même tout ces miracles ! »

L’accueil cannois Ces dernières années, la presse spécialisée s’est plaint ça et là des films d’ouverture du Festival de Cannes, prétextant que la qualité de ceux-ci n’est pas à la hauteur de celle des films des sélections officielles, et qu’ils ne feraient qu’attirer l’attention du grand public sur le Festival. Da Vinci code est alors pour le Festival le film rêvé. C’est dans une vague de sifflements (succédant aux occasionnels rires) que s’acheva la première projection du film, quelques heures avant la montée de marches, temps des costumes-nœuds papillons et de la politesse hypocrite. Seulement voilà, la politesse a ses limites. En présence de l’équipe, lorsque le film s’achève, pas un bruit, pas un applaudissement même sournois, un silence encore inédit pour le Palais des Festival. Gêné, Gilles Jacob en personne commence à claper des mains, seul. Le bruit résonne dans le gigantesque théâtre Lumière mais le seul écho fut quelques sifflements. Gêne ! Désastre ! Audrey Tautou, dit-on, se met à pleurer, Ron Howard se lamente, l’air de dire « what have I done ! » le reste de l’équipe fait comme si de rien était et fixe avec intérêt la sortie. La conférence de presse et toutes les interventions des acteurs et de l’équipe aura clairement une stratégie défensive (Audrey Tautou ne répondra-t-elle pas à la question « comment s’est déroulé le tournage ? » par « Désolé, mais sans langue de bois, tout s’est très bien passé ! »). Seul l’homme d’affaires Dan Brown, à l’air de yuppie new-yorkais, venu pour l’occasion sur la Croisette, était souriant, l’air vainqueur. Il a bien raison : faire lire à 40 Millions de personnes le plus mauvais roman policier jamais écrit, roman adapté avec le plus grand sérieux et beaucoup d’argent par un grand studio hollywoodien est un exploit sans précédent dans l’histoire de la culture mondiale (même si le mot « culture » ne convient pas tout à fait ici). Il y a bel et bien de quoi être fier.

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Da Vinci Code


L’art de dire n’importe quoi de n’importe quoi par n’importe qui Ron Howard ne sort pas de la cuisse d’Orson Welles. Ce premier n’a jamais accompli un seul film décent d’ailleurs. Par contre, il est probablement le seul réalisateur sur cette planète assez mercenaire pour accepter un scénario pareil et une telle équipe sans se poser de questions. En effet, the Da Vinci code est probablement la seule adaptation littéraire qui peut prendre plus de temps à voir qu’à lire. Le but simple des 2h30 de film est d’arriver à la conclusion-révélation sans aucune ellipse dans le développement. Mais voilà, ce mécanisme simple qui est de poser l’opération avant d’obtenir le résultat soulève plusieurs problèmes. Tout d’abord, il révèle l’inutilité de l’opération elle-même en faveur du résultat, soit grossièrement il nous oblige à voir 2h25 de film pour découvrir quelque chose que l’on aurait pu connaître en arrivant 5 minutes avant la fin de la projection précédente. Mais ensuite (et nous attaquons un problème encore supérieur s’il est possible) l’opération est mal faite. Une quantité de détails incohérents et anachroniques s’enchaînent, détails d’autant plus ridicules qu’ils se veulent scientifiques, soit totalement dépourvus de la dérision d’un Indiana Jones par exemple. En effet, comment expliquer que Leonardo Da Vinci connaissait le secret du Graal, son emplacement et ait caché la carte menant à celui-ci dans un boîtier s’ouvrant uniquement grâce à un code, code se révélant faire référence à Isaac Newton, ayant vécu pourtant deux siècles après Da Vinci, code qui fait référence plus précisément au globe manquant du système solaire se trouvant au-dessus du tombeau de Newton soit, non pas un astre, une planète, un satellite, mais une pomme ?1

roule dans l’obscurité la plus complète, mais les visages et corps des personnages « en action » sont constamment flous. L’hypothèse que Ron Howard se soit passé de directeur de la photographie et de pointeur serait probablement à considérer plus sérieusement, d’autant que l’on a beaucoup vanté la rapidité du réalisateur sur ce projet. Car réalisateur il y a bien ici. L’empreinte créatrice de Ron Howard (s’il en est) ne se vérifie uniquement que dans des séquences de flash-back où la petite Sophie Christ se souvient en pseudo-super-8 de son enfance il y a une trentaine d’années tout en la racontant simultanément donc en anéantissant son intérêt3. Mais ces scènes de « home movie » ne s’arrêteront pas là : reproduction conforme de l’exécrable Kingdom of heaven ou stock-shots volé à Ridley Scott, des plans de croisades sont incorporés ça et là et traités de la même façon que précédemment : le dialogue répétant l’image inutile et laide, mal exposée et floue mais assurément incroyablement coûteuse. Comment recevoir alors ces images très brèves ? Hallucinations des personnages ? Délire de l’auteur ? Fantasme du spectateur ayant zappé pour un autre programme ? Ou bien l’un des Croisés aurait-il filmé (et mal filmé) ces séquences grâce à sa caméra primitive ? C’est pourtant bien dans ces courtes séquences qu’est passé la plus grande partie du budget du film et le plus grand intérêt de ses créateurs.

De son côté, Ron Howard se fiche des incohérences. Il n’essaie même pas de les justifier. Il se fie au script comme à la Sainte Bible et suivra les élucubrations de Dan Brown capable de découvrir en Sophie Neveu la descendante du Christ grâce à une mauvaise traduction2 et un arbre généalogique de notre chère Sophie s’arrêtant pourtant à l’époque des mérovingiens. Avec ces faibles preuves, il est vraiment difficile d’arriver à la conclusion qu’Audrey Tautou puisse ressusciter Lazare. Ne répondra-t-elle pas elle-même à la découverte de son hérédité par « c’est pas possible ? » ? Le spectateur pense irrémédiablement la même chose mais avec plus de sincérité et de préoccupation.

1. Le fameux Da Vinci code, c’est donc « apple » soit « pomme » ! L’autre hypothèse que le code a été conçu non pas par Leonard De Vinci mais par Jean-Pierre Marielle ne déboucherait que sur une autre impasse et d’autres contradictions.

La difficulté à suivre la narration, qui n’est peut-être due qu’à l’adaptation de la, hum, prose de Dan Brown, est loin d’être le seul problème. Le film à 125M de $ (soit presque autant que M :I : 3, insistons sur ce point) est techniquement très discutable. En effet, si l’on considérait que la noirceur du sujet abordé et le flou de la narration se répercuteraient esthétiquement sur le film, fond et forme seraient en parfaite osmose. Car non seulement la majorité du film se dé-

Mais malgré toutes ces incohérences, idioties, erreurs, contradictions… le Da Vinci code n’arrive même pas au niveau de plaisir coupable. Trop de culpabilité, pas assez de plaisir. Akdov Telmig & Daniel Dos Santos

2. Fascinante transformation venant de « Holy Grail » traduit en français par « Saint Graal » puis en vieil anglais (?) par « Sangreal » séparé en « sang /real » puis traduit du latin en français pour arriver à « sang royal ». Pourtant l’étymologie de « Graal » est « vase », que penser ? 3. Il n’est bien sûr pas question ici de super-8 mais le traitement de l’image 35mm se réfère très directement à un « home movie » filmé du point de vue d’un personnage censé être interne à l’intrigue mais qui en réalité n’existe pas. Silent Hill utilisait déjà récemment ce contresens, les grands esprits semblent se rencontrer.

Réalisation Ron Howard Avec Tom Hanks, Audrey Tautou, Jean Reno, Paul Bettany Sortie en salles 17 mai 2006

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que ire nts a l sco nfa s car . Les e ng bu t e r s o s, es b élè ain le l le c méric lbus, de prè ls ou e u e o uit téri s et voq ts A ho » é s peti t le Sc ui le s carac orme re. s u rtb s le ten t, q nts rs-n uliè Sho nt tou prun s cour enfa nt ho partic « x e » em plu o ion nom iss , au i s Le onna maux tbus, capés ux qu attent r c i r o e ce «no Le Sh hand tous d’un x ,à n . i u e a o s n s jau servé doué nt be o ré x sur au es all ns 6 e e 200 rti So bre o t n oc oh n J chell tio sa n Mit ali Ré ero oko m l Ca ec S , Pau say d Av Lee , Lin Yin wson h Da amis Be

Le Sexe

dans tous ses Les contours alleniens D’abord dans leurs descriptions et interconnections, les personnages du dernier film en date de John Cameron Mitchell ne sont pas sans rappeler le squelette descriptif du personnage allenien typique. Ancrés dans de multiples fils narratifs reproduisant la structure des films des 80’s de celui-ci, ces personnages sont soit thérapeutes, soit artistes en tout genres et ont donc tous la même impossible mais simple ambition : comprendre le monde qui les entoure, comprendre l’autre et soi-même. Comme chez Allen, Shortbus est un mélange de vies et d’éléments tournés vers une communication paliée sur trois grades : la parole, l’art et l’action. Mais ici entre inévitablement en jeu le sexe puisque John Cameron Mitchell filme un grand nombre de scènes de sexe non simulées. Mais celles-ci, dénuées d’un quelconque érotisme, servent au contraire à carac-

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tériser les personnages de façon franche et immédiate, car elles sont directes et réalistes et dénuées d’une quelconque esthétique pouvant détourner le propos en faveur de la mise en scène, mais en défaveur des personnages. L’acte sexuel est alors à rapprocher plus de la parole que de l’action ordinaire. L’acte sexuel est comme la parole un moyen de se réévaluer par rapport à l’autre et de se confronter. La confrontation des couples et le schéma narratif de leur évolution est très directement inspiré de Husbands and wifes (film que Mitchell citera comme principale influence pour le style et ton parmi Annie Hall et Hannah and her sisters toujours de Allen ou encore Minnie and Moskowitz de Cassavettes, King of comedy de Scorsese, les Nuits de Cabiria de Fellini et surtout Un chant d’amour de Jean Genet, « le précurseur de tous les films intéressants sur la sexualité ») soit deux couples : d’un

Etats

côté Sook-Yin Lee /Raphael Barker, comme double du couple Woody Allen /Mia Farrow dans leur imitation de relation amoureuse saine mais dépérissante intérieurement, enfermés sur eux-mêmes ; de l’autre les Jamies soit Paul Dawson et PJ DeBoy figurant Sydney Pollack et Judy Davis et désireux de changements bénéfiques, tournés vers d’autres personnes (prônant ici comme solution le ménage à trois) et bouleversant leur relation établie.

– You have no values. Your whole life, it’s nihilism, it’s cynicism, it’s sarcasm, and orgasm. – Y’know, in France I could run on that slogan and win. Deconstructing Harry


Rapport au présent Hedwig and the angry inch était déjà éminemment politique, questionnant les rapports humains après la chute du communisme, les mélanges et disparités. Hedwig était un être somme homme/femme est/ouest esclavage/liberté pont/mur, et Hedwig and the angry inch était à ce titre un film sur l’origine et la division. A son tour Shortbus est très explicitement politique et questionne les effets du 11 septembre sur les habitants de New York, mettant en valeur leurs rapports intrinsèques, leurs qualités communautaires et faisant de Shortbus un film sur le lien. « It’s like the 60s but without the hope ». Par cette phrase, le club appelé Shortbus est défini dans le temps, comme une tentative de retour en arrière gâchée, une fantaisie. Quoiqu’il en soit, le Shortbus est un échappatoire au monde présent, au New York d’aujourd’hui, celui-ci ayant pris naissance le 11 septembre 2001. Dans une des premières scènes du film, un client bo-bo demande à la prostituée sadomasochiste ce qu’elle ressent en regardant Ground zero en bas du building dans lequel ils se trouvent1. Compassion ? Culpabilité ? Sympathie ? Colère ? Est-ce que cette scène la fait pleurer ? ou lui donne envie de pleurer ? Elle ne répond pas et lui ordonne violemment de se taire. Sa réaction décrit parfaitement le motif du film. Il n’est pas question de cohabiter avec le présent, la réalité, mais d’exprimer sa présence éphémère au sein d’un monde constant. Cette idée même trouvera sa plus pure image dans celle du sperme giclant sur une peinture abstraite aux airs de Jackson Pollock. Le sperme se fond dans cette toile pour disparaître mais sans cesser d’exister. Ainsi l’orgasme est le phénomène prouvant l’existence. Pour Sook-Yin Lee, interprétant le personnage dénommé Sofia (savoir, sagesse en grec) paradoxalement sex-therapist n’ayant pas connu l’orgasme, le film est une quête d’existence. Elle est à rapprocher du personnage de Marion (Gena Rowlands) dans Une autre femme de Woody Allen car comme elle l’éviction durable du présent s’accompagne du soulignement de sa présence charnelle. Si Gena Rowlands avait (à une exception près) l’exclusivité du gros plan, Sook-Yin Lee possède elle aussi la majorité des gros plans. Le gros plan est

ici un instrument d’isolement, le personnage ne laisse pénétrer personne dans l’espace du cadre qu’il occupe. Les personnages de Sofia comme de Marion souffrent d’un excès d’émotivité et de la désertion dans laquelle les tient le désir des autres. Non pas qu’elles n’ont pas de répondant sexuel d’ordre biologique, mais elles n’arrivent pas à se mettre en accord avec le désir de l’autre et perdent le leur dans cette tentative. Sofia comme Marion tentent alors chacune de se trouver un modèle de désir pour s’approprier ses connaissances. Ce sera Hope (Mia Farrow) pour Marion et Dominatrix (Lindsay Beamish) pour Sofia. Leurs échanges seront exclusivement intimes, elles seront isolées du monde. Pour cela, le Shortbus est, dans son architecture, l’environnement parfait car non seulement il isole (il y a de nombreuses pièces étroites dont l’accès ressemble à des passages secrets) mais il rapproche aussi (certaines pièces communes rassemblent plusieurs dizaines de personnes autour d’activités diverses, artistiques ou sexuelles. Le Shortbus est donc en cela un lieu exutoire et fantasmagorique puisqu’il se modèle et s’adapte à ses arrivants.

« Ces pervers qui ont renoncé à prendre la moindre part à la procréation » (Sigmund Freud) D’une subjectivité totalement réductrice, Freud associe tout rapport sexuel qui se distancie de la procréation à la récréation qui semble pour lui inutile. Ce que John Cameron Mitchell prône, c’est peut-être plus simplement la création. Shortbus critique alors ce New York détruit habité par des gens en manque d’amour et repliés sexuellement (comme le montre magistralement la séquence d’auto-insémination secrètement observé définissant deux caractères solitaires et perdus). Car le sexe n’aboutit pas au plaisir sans un processus créatif personnel et original et même celui-ci n’aboutit pas nécessairement au bonheur. Car si John Cameron Mitchell éparpille ses personnages qu’il fait se perdre dans leur univers, c’est pour mieux qu’ils se retrouvent in the end2, comme l’illustre son personnage de James cinéaste suicidaire et misanthrope qui reprend goût à la vie après avoir pensé y mettre fin rejoignant ainsi celui de Mickey (Woody

Allen) dans Hannah and her sisters. Le Shortbus se fait alors le véhicule de l’immortalité puisqu’il est une source révélatrice (voire créatrice) d’amour. Ceci vérifiant alors les thèses d’Ernest Becker dans son livre the Denial of death3 selon lesquelles les deux principales stratégies humaines pour éviter la mort sont la sexualité et la croyance en Dieu, soit deux phénomènes d’amour. Si ce deuxième cas est totalement évincé du film de Mitchell, celui-ci ne prône pas moins le rapprochement entre création sexuelle, création artistique et leur rapport direct à l’immortalité, ou plus concrètement à la survie de l’homme moderne dans un New York en ruine.

Sex is comedy Le rapprochement le plus direct qu’il puisse être établi avec Woody Allen reste tout de même l’aspect comique, celui qui dirige toutes les névroses des personnages à contresens du pathos et n’hésite pas à les regarder avec dérision voire même à les ridiculiser. Les personnages s’enrichissent d’une humanité supplémentaire grâce à ce point de vue simplement dépourvu de toute censure ou autocensure. L’aspect festif des salles sexuelles du Shortbus ressemble en ce sens esthétiquement aux premières peintures de Breughel et ont cette même qualité de défiance joyeuse. Le point de vue de John Cameron Mitchell en Dieu ironique et tout puissant d’un microcosme de personnages maladroits n’est donc jamais vulgaire, le sexe, par trop plein d’humour et donc d’humanité, évacue tout érotisme ou pornographie. Les plaisirs comiques ou sexuels se mélangent alors pour libérer une tension et créer une énergie, soit se ridiculiser et trouver le bonheur et jouir alors de tout ce dont New York et le monde peuvent offrir. Daniel Dos Santos 1. Scène en plusieurs points comparable à celle très semblable de the 25th hour de Spike Lee. 2. titre de la chanson interprétée par un orchestre (et son public) à l’intérieur du Shortbus et mené par la figure de la scène underground anglaise Justin Brond ici patron du club. 3. The Denial of death de Ernest Becker est le livre qu’offre Woody Allen à Diane Keaton dans Annie Hall, celui-ci ne lui offrant que des livres contenant le mot « death » dans le titre.

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Le Court-métrage s’invite à Cannes

elle court, elle court, la croisette Un certain regard jeté sur trois courts métrages, présentés au sein de trois anthologies différentes à Cannes cette année. Car le court-métrage est aussi, en-dehors de la Compétition et des sélections parallèles, l’occasion de découvrir sur la Croisette une autre forme de cinéma, parfois décevante, souvent audacieuse et passionnante. Tout d’abord, le court-métrage Les Signes réalisé par Eugène Green (d’une durée de 32 minutes). Ce film fut présenté lors d’une séance spéciale comprenant plusieurs formats courts récemment tournés par de prestigieux metteurs en scène : on y visionna Sida de Gaspar Noé, The Water Diary de Jane Campion, Un lever de rideau de François Ozon et Stanley’s girlfriend de Monte Hellman. Ensuite, le film court Sync de Marco Brambilla (d’une durée de 2 minutes), faisant partie de l’anthologie Destricted, divagation polymorphe sur la pornographie et le sexe signée Gaspar Noé, Matthew Barney, Larry Clark, Richard Prince, Marina Abramovic et Sam Taylor-Wood. Enfin vient le court-métrage de Tom Tykwer (épisode du Faubourg Saint-Denis) intégré au projet Paris, je t’aime, film de groupe rendant hommage à la capitale parisienne, comprenant notamment des œuvres de Gus Van Sant, Joel et Ethan Coen, Wes Craven, Olivier Assayas, Alexander Payne, Christopher Doyle ou Nobuhiro Suwa.

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Les signes - Eugène Green Clarté et précision admirable de la photographie de Raphaël O’Byrne. Le nouveau film d’Eugène Green, Les Signes, s’ouvre au monde là où Le Pont des Arts se fermait vers la nuit. La lumière entre par tous les pores de l’image, le vent souffle par tous les ports du Pays Basque. Les regards, comme toujours chez Green, comme chez Ozu, s’échangent mais ne se croisent. La caméra, plein face dans la gueule de ses acteurs, enregistre la non-présence de l’autre, qui n’est pas son absence, mais son impossibilité à atteindre la conscience de l’autre. Dès à présent, chaque corps existe pour soi et seulement pour soi-même. Ici l’unique est la norme qui caractérise le point de vue. Malgré le langage commun à tous (la langue y est liaisonnée, comme pour mieux raisonner, mieux résonner), les personnages sont seuls face à leur propre espace. Communiquer revient à échanger un dialogue de sourds, un langage de(s) signes. C’est déjà un autre langage (Tintin, en basque, n’est déjà plus


Tintin). A qui parler, alors ? Aux absents. Et à la mer. La lampe à pétrole entre en liaison avec l’inconnu, l’unconnu, le marin dont on parle tant, l’unique, le disparu qu’on ne peut oublier, qui est encore un peu présent à force d’en parler. L’épouse, comme toutes les femmes de marin, attend son mari, l’homme de la mère. Mais le seul sage de l’histoire, celui qui sait, celui qui a connu, qui a vu, est aussi celui qui en est revenu, du large. Amalric, autre marin, homme de la mer. Comme les récits basques, Les Signes est une histoire de famille. Une histoire qui est un peu comme une légende à transmettre de père en fils. Tous ces personnages sont en quelque sorte des fantômes. Ils ont vu passer le train de l’existence, mais ne l’ont pas pris à temps. Dorénavant, condamnés à attendre, ils veillent.

Sync - Marco Brambilla Marco Brambilla revient avec un petit film expérimental sur le pouvoir de fascination érotique qu’exerce Hollywood sur ses spectateurs. D’origine italienne, réalisateur d’un improbable Demolition Man avec Stallone en 1993, Brambilla a quasiment disparu des écrans depuis lors, et, avouons-le, personne ne s’en est plaint. Pourtant, au-delà des apparences qui le feraient passer pour un enième barbouillage expérimental d’étudiant en cinéma, Sync est un réservoir accéléré d’images qui relance LA grande question de ce 59ème festival de Cannes, année du cuni et du bouche-à-derge, celle de la contamination entre la pornographie et l’érotisme au cinéma. Sur quel principe repose Sync ? Celui d’un zapping accéléré de deux minutes, présentant une centaine d’images liées entre elles par un morphing exécuté à vive allure. Chaque image présente un couple dénudé en train de faire l’amour, dans une attitude ouvertement sexuelle, à ce que l’on peut en deviner, bien que la rapidité du film empêche d’entrevoir autre chose que des corps nus se frottant l’un à l’autre. Ce petit collage de vues sensuelles ne serait rien d’autre qu’un brillant exercice de style, si ce n’était la nature même des images présentées. Car aux images d’acteurs de cinéma traditionnel hollywoodien (par exemple, Jane March et Bruce Willis dans Color of Night, Marlon Brando et Maria Schneider dans Le dernier tango à Paris, reconnus dans la mêlée) succèdent des vues d’acteurs et actrices de cinéma pornographique, dans un même mouvement qui en embrasse indifféremment les participants. Trois films au moins procédèrent de la même démarche cette année à Cannes. Les anges exterminateurs déshabille des comédiennes qui a priori n’en demandaient pas tant sous couvert d’une visée artistique, Shortbus introduit l’acte sexuel non simulé dans le terrain du cinéma indépendant américain, et On ne devrait pas exister présente la tentative d’un hardeur en demande de « vrai » cinéma commercial, traditionnel et narratif. Trois formes de pénétration d’un milieu dans un autre. Une narration, Sync n’en possède guère, mais le film de Marco Brambilla franchit le pas proposé par ces trois autres films, donnant à voir la représentation d’un acte sexuel à partenaires multiples (version hard du sempiternel jingle du Cinéma de minuit de France 3), et à penser la réconciliation entre érotisme et pornographie, entre respectabilité du mainstream hollywoodien

et décontraction revendiquée de l’industrie du cul, comme une hypothèse possible. Une nouvelle façon de penser le sexe au cinéma, en somme ?

Paris, je t’aime Segment de Tom Tykwer Un jeune garçon apparaît à l’écran, en gros plan. Il s’avère qu’il est aveugle. La sonnerie du téléphone retentit, il décroche, c’est sa petite amie. A peine a-t-il le temps de répondre qu’elle lui lance au visage une réplique longue et triste, une déclaration d’amour mort, sa décision de rompre avec lui. Alors, comme pour Lola il y a quelques année, Tykwer dé-monte son récit et plonge dans la psyché du garçon. A toute allure défilent les images du bonheur perdu. La première rencontre sur un air de quiproquo, lui qui la croit en colère, elle qui joue la colère, lui qui ne la voit pas mais qui pourtant la guide jusqu’à son audition. Déjà, une histoire se construit, un lien se tisse. Nous allons en suivre l’évolution, et comprendre les raisons qui ont conduit à cette annonce fatale qui ouvre le récit. Dans ce tourbillon d’instants, rafale de souvenirs, les rires et les pleurs sont enchaînés à la vitesse de la vie, les soirées entre amis et les moments intimes, de la première étreinte aux jours de colère, des petits exploits aux grosses déceptions, et l’amour qui naît, l’amour qui se développe, et s’enracine entre les deux jeunes gens, Tom Tykwer nous en donne à voir le germe et la pousse. « Et le temps passait… » explique le jeune homme, emportant avec lui les joies et les peines. Chaque sentiment est exacerbé par le peu de secondes qui lui est accordé, chaque émotion semble comme décuplée par le montage qui, loin de la comprimer par son incessant vacillement, semble lui donner son souffle, son autonomie propre. Incroyable Nathalie Portman, qui toujours touche, impressionne, emporte. Stroboscopie des formes, coït ininterrompu des mouvements, le film déroule son cours avec sûreté mais bouillonnement. Déjà on ne sait plus bien ce qui est extase ou déprime, jour de fête ou marche funèbre : les sentiments s’altèrent-ils ou sont-ils au contraire décuplés par le passage du temps? Ce couple vit-il ces derniers instants, un soubresaut avant la fin, ou bien… L’instant d’y répondre vient avec les dernières images. Passée la farandole de l’amour, on arrive à son point de chute, qui est aussi le point de départ du film. Le héros, suspendu au combiné du téléphone, s’accroche aux paroles de celle qu’il ne voit pas, qu’il ne voit plus, il en respire le sens et peut-être, ne veut, pas encore, y croire. Il a raison car il a tort. Et nous, pendus aux lèvres de celle que l’on ne voit pas, avec les mêmes oreilles que celles de l’aveugle amoureux, aussi, nous croyons, mais au fond nous espérons. Il s’agissait juste d’une nouvelle répétition, comme au temps de leur première rencontre. Retour de l’amour, le cœur reprend sa course, la vie continue, le film s’arrête. Mikael Gaudin Lech

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Cannes Couverture : avec ou sans frontière Inutile de dire que Cannes est le plus grand festival de cinéma au monde. Inutile de dire qu’un programme aussi riche que celui de Cannes planifie irrévocablement des journées complètes (plus de 80 films de tous les coins du monde y sont projetés en exclusivité). Mais à Cannes, les frontières existent et sont visibles. Délimité en sections, accessible à différents degrés selon la couleur de son badge, l’imprenable Palais surnommé « le bunker » pour sa forme assure aussi la fonction du surnom qu’on lui prête et ralentit considérablement l’absorption d’image des journalistes et festivaliers, devant sans cesse changer de programme pour cause de salle comble ou inaccessible (la priorité de l’accès aux salles étant hiérarchisée selon la couleur du badge possédé, ce qui oblige à une attente plus ou moins longue, possiblement pour rien). Donc plutôt qu’une vague analyse de tous les films de la compétition que je (ni nous) n’ai pas pu tous voir, je m’attarderais sur des aspects plus périphériques mais tout aussi cruciaux pour les cinéphiles et festivaliers.

Dossier 1 : la sélection Jeunesse, sexe, révoltes et conflits pourraient très bien définir les films sélectionnés à Cannes cette année. La moitié des cinéastes présentant leur film en compétition ont réalisé leur premier long-métrage il y a moins de dix ans (S. Coppola, Kelly, Dumont, Giannoli, Sorrentino, Iñàrritu, Ceylan, Arnold, Lou, Caetano) sans parler des réalisateurs hors compétition qui confirment cette tendance au sang neuf que semble vouloir assumer la 59ème édition du Festival de Cannes. On peut s’enthousiasmer pour un tel choix qui semble s’opposer au choix des vétérans de l’année passée (Van Sant, Cronenberg, Jarmusch, Von Trier, Wenders…) Cannes aurait-il préféré la jeunesse ? On remarque aussi que les films de cette édition ont souvent visé cette cible-là. La présence de Sony avec trois blockbusters de très grande ampleur le montre (Marie-Antoinette, X-men 3, The Da Vinci code), le cinéma asiatique d’action ou d’horreur le confirme (Soie, Election 2), les comédies pour enfants ou adolescents l’assume (Nos voisins les hommes, Clerks 2). Bien heureusement, l’omniprésence d’un cinéma francophone parfois mal placé se fait, grâce à ces choix, plus

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discrète (un quart des films en compétition sont francophones). C’est à ce moment précis que s’engageaient les folles prédictions sur le Palmarès, avant la remise des prix et avant même la projection des films. Récompensera-t-on un(e) jeune cinéaste ? Révélera-ton un nouveau Kusturica ou Tarantino ?

Dossier 2 : le Palmarès Cannes étant le plus grand festival de cinéma au monde et ses récompenses les prix les plus prestigieux, la remise des prix entraîne irrémédiablement d’éphémères discussions, des commentaires appuyés, et parfois même des colères. Des deux côtés du miroir, c’est la même chose, chaque réalisateur ne rêve que de la Palme au mépris des autres prix (Haneke n’avait-il pas dit l’an dernier « on vient au Festival pour gagner la Palme », phrase qui aurait tout aussi bien être prononcée par Von Trier qui se déplace rarement puisque exclusivement en camping-car et qui s’était rendu à Cannes l’an dernier). Comme en 1999, Almodovar reçut cette année un prix « mineur » pour son film, cette fois-ci Volver. Almodovar ne participe pas à un Festival où il n’est pas sûr de gagner, entendon dire. Chacun aura donc interprété sa froideur comme une sorte de mécontentement comme on interprétait celle de Spike Lee en 1991 pour Jungle fever, interprétation souvent très (ou trop) subjective. Quoi qu’il en soit, Ken Loach est l’heureux détenteur de la Palme d’or 2006 à la surprise de tous. Estce réellement le meilleur film du festival ? Le vent se lève est assurément moins osé que Southland tales, Marie-Antoinette voire Fast food nation et l’éternelle question d’un couronnement de carrière revient, quelques années après la Palme qui récompensait le Pianiste de Roman Polanski, (un des films les plus complaisants de son auteur comme il peut sembler aussi pour le film de Ken Loach) ou bien L’éternité et un jour de Théo Angelopoulos. Dans tous les cas, le 59ème festival de Cannes nous aura offert probablement les meilleurs films de l’année comme ce fut le cas l’an dernier, même si le cru 2006 affiche uen qualité quelque peu inférieure (rappelons tout de même que le 58ème festival a accueilli a History of violence, Last days, Match point et Free zone). Daniel Dos Santos

Cannes, paradis perdu Souvenirs d’éphémère, d’images en tous genres, de paysages de soleil couchant sur la méditerranée, de stars éparpillées et peutêtre aussi seules ou solitaires que moi, l’événement du cinéma n’est que le décor d’un puissant ressentiment, au-delà de toutes les fatigues dues à la maigre quantité de sommeil, aux soirées arrosées dont la fameuse soirée à 1 Millions de dollars : Marie-Antoinette. Cette fête est le parfait résumé de la vie cannoise et le film de Sofia Coppola en est le plus vibrant écho. Solitude désemparée, foule qui sépare, Michael Stipe, Daniel Bruhl, Elodie Bouchez ou Frédéric Mitterand seuls ou ennuyés, Francis Ford Coppola qui ne lâche pas un instant Eléanor sa femme et fière maman de Sofia, cette dernière vite échappée de sa soirée de même que Kirsten Dunst, Jason Schwartzman, Steeve Coogan ou encore Robin Williams. Cannes rassemble les films, réunis les gens mais sépare les individus. Face à soi reste une vue si magnifique sur la mer illuminées ça et là des lumières de prestigieux yachts alors que le monde disparaît l’espace d’un instant et le cinéma prend vie à nouveau. D.D.S.


Palmarès

59ème Festival de Cannes

Le vent se lève

réalisé par Ken LOACH GRAND PRIX

Flandres réalisé par Bruno DUMONT

PRIX DU JURY

Red Road réalisé par Andrea ARNOLD

1. Un lever de rideau 2. Changement d’adresse 3. Flandres 3. Les Climats

Florence Maillard

Penélope CRUZ, Carmen MAURA, Lola DUEÑAS, Blanca PORTILLO, Yohana COBO, Chus LAMPREAVE dans Volver réalisé par Pedro ALMODÓVAR

1. Southland tales 2. Les Lumières du Faubourg 3. Les Climats

1. Southland tales 2. Marie-Antoinette 3. Shortbus

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T O P

Daniel Dos Santos

PRIX D’INTERPRÉTATION FÉMININE

Jamel DEBBOUZE, Samy NACÉRI, Roschdy ZEM, Sami BOUAJILA, Bernard BLANCAN dans Indigènes réalisé par Rachid BOUCHAREB

Sam Bischoff

PRIX D’INTERPRÉTATION MASCULINE

Pedro ALMODÓVAR pour Volver

1. Southland tales 2. Flandres 3. Les Climats

PRIX DU SCÉNARIO

Alejandro González IÑÁRRITU pour Babel

Mikaël Gaudin-Lech

PRIX DE LA MISE EN SCÈNE

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