Gastronomie post-crise

Page 1

RS a v e u r s

Mangeons

modeste

Finis les années bling-bling, la bouffe-esbroufe et les tics de toques ! La gastronomie postcrise fait profil bas et signe le retour de l’authentique. Voici les dix tendances refuge qui ont marqué l’année. L’anti-Masterchef attitude Une épreuve, cette année, toutes ces nouvelles émissions de cuisine en prime ? Certes, mais aussi une épreuve de vérité ! Voir certains candidats du Top 20 de Masterchef − le soi-disant gratin des cuisiniers amateurs de l’Hexagone − caler sur la Tatin, faute de savoir confectionner un caramel ou, pire, une pâte brisée dévoile cruellement le ridicule de la food mania ambiante. Incitant les vouzémoi, spécialistes ès recettes frimeuses et cuissons approximatives, à potasser humblement leurs basiques : vraie purée, mayo maison, crème caramel impec. TF 1 et son jury garde-chiourme auront au moins eu ce mérite : on prendra des cours de dacquoise quand on saura rôtir un poulet à la perfection. Ou presque.

Tous fans de légumes prolétaires On en a soupé de tous ces raves et courges « oubliées » ! On a mieux à faire dans la vie qu’éplucher des scorsonères avec des gants de chirurgien. Gavés de tomates anciennes

86 ● 10/11/2010

Par Marie-Odile Briet, FrançoisRégis Gaudry et Elvira Masson. Illustrations : Lamia Ziade pour L’Express Styles

à 12 € le kilo, on redécouvre avec bonheur les légumes modestes. Carottes (rôties coupées dans la longueur, comme chez William Ledeuil, Ze Kitchen Galerie, Paris VIe), poireaux (grillés avec leurs racines, avec des coquillages, comme chez Saturne, Paris IIe), céleri-rave (en croûte de sel au four, puis servi dans l’assiette avec une noix de beurre, comme chez Alain Passard, Paris VIIe), sans


oublier l’épinard ou la blette, star low cost des recettes rustiques italiennes. On les sert dans un esprit « j’arrive direct du potager », avec une fane par-ci, un toupet de feuilles par-là, en un geste moins snob qu’espiègle.

Vive la pâtisserie des Trente Glorieuses Tout va bien : le macaron truffe blancheverveine poursuit sa lente descente aux enfers et les grands classiques (millefeuille, paris-brest, éclair) sont en plein essor. La suite ? On nous annonce le retour des puits-

d’amour, têtes-de-nègre, salambo et autres niflettes de Provins, aux couleurs tendres et papier dentelle, qui achevaient les déjeuners dominicaux sous Giscard. Sébastien Gaudard − ex-Délicabar au Bon Marché − tombé sous le charme, nous les servira dans sa future pâtisserie, Rive gauche, au printemps prochain. Tandis que les discrets Tholoniat, rue du Château-d’Eau (Paris Xe), et Joséphine, avenue Marceau (Paris XVIe), places fortes de ce bel ordinaire pâtissier, viennent enfin de reprendre du service. Et que la Pâtisserie des rêves (Paris VIIe) nous promet pour bientôt son puits-d’amour et une tarte tropézienne. ●●●

10/11/2010 ● 87


Soyons ●●●

modestes

La cuisine low-tech

La grande leçon de l’hilarant Dîner presque parfait ? Tous ces cercles, verrines et autres machins en silicone ne sont que des prothèses-à-cuisiner. Out, la dictature de l’ustensile inutile ! Anti-esbroufe, écolos, vaisselle-friendly, la râpe, le pilon et le mortier reprennent du service, comme les irréprochables couteaux made in Thiers (plus

convaincants, finalement, que le sabre en céramique nippon !). Dans la foulée, on vire les condiments gadgets, poivre de chikungunya fumé et jus de qumquatuzu éventé ! Si on épate les invités, ce sera par la fraîcheur de notre laitue, assaisonnée d’(exquise) huile d’olive bio ED. Frustrés ? Allez, on vous autorise à chiner sur eBay un tournebroche en fonte à remontoir, antique merveille 100 % low-tech. A Noël, dans la cheminée, la dinde va adorer !

La culture de la proximité Même les Parisiens ont un terroir, nous a rappelé Yannick Alléno dans son nouveau livre. Pas de rond de serviette au Meurice ? On rend visite à Sam et Alexandre, ses fournisseurs. Au minimarché Terroirs d’avenir (le vendredi après-midi, rue Yves-Toudic (Xe), en face de la boulangerie Du Pain et des Idées, ces deux têtes chercheuses déballent le meilleur de l’agriculture de l’Ile-de-France, choux de Pontoise et « véritables » champignons de Paris poussés dans les carrières du 9-5. On surfe sur Reseau-fermier.com ou Marches-producteurs.com, qui rapprochent gourmets des villes et travailleurs des champs, et on va aussi remplir son cabas à L’Echoppée locale, la première boutique dé-

88 ● 10/11/2010

volue aux produits franciliens (Paris IIIe). Au marché du samedi, on snobe les opportunistes du bio et leurs fruits globe-trotteurs pour se ravitailler chez les vrais maraîchers des Yvelines. Le « locavorisme » a plus que jamais le goût de l’évidence.

La vogue des goulots modestes Dans les planques à bobos, on biberonne toujours aux mêmes vins nature ? C’est vrai, mais on sent comme un début d’alternative. Des flacons timides issus d’appellations encore inconnues au compteur (coteaux du Vendômois, fiefs vendéens…) ou de cépages rares (pinot d’Aunis de Loire ou bianco gentile de Corse). Chouchou actuel des œnophiles : le jasnières, bonne fille de la Sarthe, où elle occupe une petite langue de vigne de 5 km de long sur 300 m de large. Elle devient pépite lorsqu’elle est travaillée, en blanc seulement, par les vignerons dont vous devez désormais connaître le nom : Jean-Pierre Robinot (Les Vignes de l’Angevin) et Eric Nicolas (Domaine de Bellivière).

Ecailles nouvelle vague Après la sardine et le maquereau, les mascottes de la bistronomie des années 1990, d’autres espèces de poissons montrent le bout de leur nageoire au resto : le lieu jaune fait souvent la doublure du cabillaud, la limande se prend pour une sole, le merlan frit nous fait à nouveau de l’œil, et le pagre, le maigre ou le tacaud jouent les outsiders face aux sempiternels turbots, bars et autres saint-pierre. Triple bonne nouvelle : ces nouvelles écailles sont moins chères, gustativement inédites et surtout issues de stocks


La gourmandise sans frontières Et si les talents étrangers installés en France nous aidaient à cultiver notre goût de l’authentique ? Daniel Rose, notre jeune chef américain favori, a pris racine au cœur des Halles. Dans son nouveau Spring, enrichi d’une « buvette », il mitonne un « bouillon » tous les midis, comme en hommage aux tout premiers restaurants de la capitale. Tandis que dans son épicerie voisine, il contribue au rayonnement de l’escargot de Bourgogne et du pois blond de Saint-Flour. Alors, aujourd’hui, quand un Japonais de la rue Sainte-Anne ouvre sa première boulangerie, on prend aussi ça comme une preuve d’amour. On fonce goûter ses croissants… et son pain de mie aux haricots rouges. Qui a peur de l’envahisseur ? Pas nous. non menacés. Les plus militants des écomangeurs privilégient même les tables qui, à l’instar du Mini-Palais (Paris VIIIe), accolent sur les intitulés de leur carte le logo de Mr Goodfish, une campagne de sensibi lisation lancée par Gaël Orieux, le chef d’Auguste (Paris VIIe).

Le café du coin en pointe Dans la chasse aux bars-tabac en perdition, les Chinois de Paris ont de la concurrence. Sur les rangs, la génération des néo-bougnats qui réenchantent le quotidien du café du coin. La recette : laisser gentiment mijoter dans un vieux fonds de Formica déglingue, de néons blafards et de zincs usés par des millions de coudes, saupoudrer d’humeur néo-popu et ajouter au dernier moment des nourritures ficelées avec esprit. La bande à Pierrot, Aveyronnais pur porc, a ouvert le bal rue du Faubourg-Saint-Denis (Chez Jeannette) et multiplie depuis les bons coups dans les parages Goncourt-Gare de l’Est (le Floréal, Chez Justine, le Sans-Souci…). Et le buzzomètre s’excite ces temps-ci sur une adresse de sentiment par excellence : aux Deux Amis, un rade soixante-dix dans son jus, où David, un ancien serveur du Châteaubriand, harponne les Oberkampfiens à coups de salade sauce crème-anchoixcitron, de tapas nocturnes à base de produits espagnols et italiens pointus et des meilleurs flacons nature.

Les néo-palaces tombent la veste « Oser une cuisine brute au sens où elle fait du bon avec du simple. » Ce n’est pas un chef scandinave et tatoué qui nous parle depuis son restaurant-scierie en banlieue de Malmö mais… Alain Ducasse, qui décrit la « révolution » entreprise cet automne dans son trois-étoiles du Plaza Athénée (Paris VIIIe). Nouveau chef et nouvelle carte au plus proche du produit, plus pragmatique dans ses intitulés (turbot, coquillages, blettes, ou sole meunière, cèpes), que dans son addition, toujours cosmique. Nouveau décor aussi, comme au Royal Monceau (Paris VIIIe), réinventé en palace arty pour « casual VIP » selon Philippe Starck, sans or ni marbre, avec force volailles sur rôtissoire, pour public voulu cool et pour l’heure très col (blanc). ●

On en a soupé de… la feuille d’or : décorant des légumes ou un risotto sous les ors des palaces, elle est l’exemple même du bling qui fait pschittt ! le dos de cabillaud : il a bon dos, ce pauvre poisson, menacé de surcroît. Il est grand temps de le laisser tranquille. l’attente : faire la queue pendant une heure pour un macaron ou prendre date pour dîner aux calendes grecques parce que « ah, désolés, nous sommes complets jusqu’au 28 décembre », merci, on préfère les soirées bouillon de poule-vermicelles à la maison. la désinvolture : non, on n’aime pas bien être toisé et tutoyé dans les cantines branchées par une bande de mechus au bar au prétexte qu’on n’est pas de la bande.

✚ toutes les adresses sur www.lexpress.fr/styles


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.