Au fil des femmes
Jeanne Paule Maury
AKHMÎM Jeanne Paule Maury Avec la participation de : Marie-Cécile Bruwier Antoinette Henein Claudine Pézerat Claire Rado Traduction anglaise : Gail Malley
à Gail, Joke et Roseline.
AKHMÎM Au fil des femmes
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Acknowledgements
H
ow can we thank all the friends who have contributed to the creation of this book ! Their participation has been essential ; they have shouldered the project with enthousiasm and efficacy.
First of all, thanks to Antoinette Henein, who gave it its impetus, whose rigorous thouroughness and thoughtful advice made it possible to achieve its realization. The chapter on weaving, of which she is the author, is particularly welldocumented and technically informative. Thanks also to all who agreed to participate in the drafting of the book : Marie-Cécile Bruwier, an Egyptologist with particular interest and work in Akhmîm, and curator of the Mariemont museum in Belgium, Claudine Pézerat, born in Egypt, water colorist, General Secretary of the « Friends of Upper Egypt » from 1993 to 2003, who plunged into intimate « reading » of the embroideries, and for whom this reliving of her stays in Akhmîm was deeply moving, Claire Rado, tapestry weaver and photographer, who accompanied Claudine Pézerat in her numerous voyages into Egypt’s depths, and whose beautiful photos of the Akhmîm women within the frame of their own lives deepened the human aspect of the book’s ilustrations, Adel Boulad, whose knowledge of the Egyptian folklore contributed to the understanding of certain embroideries. How can we thank Gail Malley, one of the initiators of Akhmîm Community Center, who shared with us her life there and who, moreover, has willingly offered to translate our texts ! Thanks to our friends, lovers of Egypt, who entrusted us with their reproductions, especially Raymond Collet ; his magnificent photographs of the « collection » in the offices of the Association of Upper Egypt for Education and Development in Cairo, and the embroideries of the annual exhibits held in its halls, illustrate the greater part of the book. He was helped in this project by Jacqueline Cassab, of the Association, to whom we are indebted for the information on the embroideries ; we are grateful to her. Thanks to Gail Malley, Roseline de Villaines, Joke van Neerven, initiators of the Community Center of Akhmîm, who gave us all the photos in their archives. Their warm support and help throughout the process of the books’s creation enabled its completion. Thanks to Bernard Maury, who helped us fill out our collection of photographs taken during the exhibits ; his help, artistic, technical and affectionate, was indispensable. Thanks also to Colette Faivre, Antoine Gannagé, who provided us with photos taken during their visits to Akhmîm. Thanks to Samir Chacour, who put his beautiful collection of embroideries at our disposal. Thanks also to the Egyptologists who looked at the project thoughtfully and were generous with their advice : Catherine Berger, Nadine Cherpion, Monique Nelson, Horst Jaritz. Thanks to the « Friends of Upper Egypt » and the Egyptian NGO « Association of Upper Egypt for Education and Development » who accompanied us from the beginning. Thanks to Catherine Berger and Lydie Falk for their careful rereading. Thanks to Béatrice de Renty-Levy and Caroline Renouf who supported the project from its beginnings, and to our editor Stéphane Sichi and his colleague Olivia Quaglia, without whom the book would never have been born ! This book is really a joint project. We give here our warm thanks to all who have whole heartedly contributed to its creation. We also want to honor the memory of Magda Gabriel, a great personality of the AUEED, of Mona Zalat who dedicated a great part of her life to the women of Akhmîm, and the memory of Bénédicte de Boysson-Bardies, vice-president of the « Friends of Upper Egypt », always concerned with the welfare of the children and with the advancement of women.
Jeanne Paule Maury Coordinator of the project
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Remerciements
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C
omment remercier tous les amis qui ont contribué à l’élaboration de ce livre ! Leur participation a été essentielle ; ils ont porté le projet avec enthousiasme et efficacité.
Tout d’abord, merci à Antoinette Henein qui en a donné l’impulsion, dont la rigueur et les conseils judicieux ont permis de mener à bien cette entreprise. Le chapitre « tissage », dont elle est l’auteur, est particulièrement documenté et technique. Merci à tous ceux et celles qui ont aussi accepté de participer à la rédaction du livre : Marie-Cécile Bruwier, égyptologue ayant en particulier travaillé à Akhmîm, et conservateur du Musée de Mariemont en Belgique, Claudine Pézerat, née en Egypte, aquarelliste, secrétaire générale des « Amis de la Haute-Egypte » de 1993 à 2003, qui s’est investie intimement dans la « lecture » des broderies et pour qui ce retour sur ses séjours à Akmîm fut très émouvant, Claire Rado, lissière et photographe, qui a accompagné Claudine Pézerat dans ses nombreuses découvertes de l’Egypte profonde, et dont les belles photos des femmes d’Akhmîm dans leur cadre de vie ont permis d’humaniser les illustrations du livre, Adel Boulad, dont les connaissances du folklore égyptien ont permis de mieux appréhender certains des tableaux brodés. Comment remercier Gail Malley, une des fondatrices du Centre Communautaire d’Akhmîm, qui nous a confié son expérience là-bas, et qui a également assuré la traduction de nos textes ! Merci à nos amis amoureux de l’Egypte qui ont bien voulu nous donner leurs clichés, tout particulièrement Raymond Collet : les magnifiques photos qu’il a prises des broderies « de collection » présentes dans les bureaux de l’AHEED au Caire et au cours des expositions annuelles au siège à Daher, illustrent en grande partie le livre ; il a été aidé en cela par Jacqueline Cassab, de l’AHEED, à qui l’ont doit d’avoir recueilli toutes les références des broderies ; qu’elle en soit remerciée . Merci à Gail Malley, Roseline de Villaine, Joke van Neerven, les fondatrices du Centre Communautaire d’Akhmîm, qui nous ont communiqué toutes leurs photos d’archives. Leur soutien chaleureux et leur aide tout au long de l’élaboration du livre nous a permis de mener à bien notre projet. Merci à Bernard Maury, qui nous a permis de compléter la collection de clichés pris au cours des expositions. Son aide artistique, technique et affectueuse a été déterminante. Merci à Nessim Henein, pour les photographies des tissages. Merci aussi à Colette Faivre, Antoine Gannagé, qui nous ont confié des photos prises au cours de leurs visites à Akhmîm. Merci à Samir Chacour, qui a mis à notre disposition sa belle collection de broderies. Merci aussi aux amis égyptologues qui nous ont prêté leur regard et prodigué leurs conseils : Catherine Berger, Nadine Cherpion, Monique Nelson, Horst Jaritz. Merci aux « Amis de la Haute-Egypte » et à l’ONG égyptienne « l’Association de la Haute-Egypte pour l’Education et le Développement » qui nous ont accompagnés depuis la création du projet. Merci à Catherine Berger et Lydie Falk pour leur relecture attentive ! Merci à Béatrice de Renty-Lévy et Caroline Renouf qui ont soutenu notre projet dès ses débuts, et à notre éditeur Stéphane Sichi et sa collaboratrice Olivia Quaglia, sans qui le livre n’aurait jamais vu le jour ! Ce livre est vraiment une œuvre commune. Que tous ceux qui ont contribué, avec toute leur amitié, à son élaboration soient ici chaleureusement remerciés. Nous voulons aussi honorer la mémoire de Magda Gabriel, grande figure de l’AHEED, de Mona Zalat, qui a consacré une partie de sa vie à la vie des femmes d’Akhmîm et de Bénédicte de Boysson-Bardies, vice présidente des « Amis de la Haute-Egypte », toujours soucieuse du bien-être des enfants et de la promotion des femmes.
Jeanne Paule Maury Coordinatrice du projet
Contents
Forewords
p. 13
Preface
p. 16
« The tangled threads of Akhmîm », ancient Akhmîm
p. 19
The Akhmîm Community Center: • A human and artistic experience • Teaching and training: life at the Center in the 60’s
p. 25
Thread of the women’s lives: • Embroidery
p. 47
Marie Cécile Bruwier
Jeanne Paule Maury
Jeanne Paule Maury, Claudine Pézerat, Adel Boulad
• Weaving Antoinette Henein
The women, different perspectives: • Self-portraits of the artists
p. 93
Mariam Sidraq, Naïma Adib
• Regards Claudine Pézerat, Claire Rado
Portfolio
p. 115
Bibliography
p. 174
Photographic credits
p. 175
Sommaire Avant-propos
p. 13
Préface
p. 17
« Les fils à retordre d’Akhmîm », Akhmîm Antique
p. 19
Le Centre Communautaire d’Akhmîm : • Une expérience humaine et artistique • Former et instruire : la vie dans les années 1960
p. 25
Le fil des femmes : • La broderie
p. 47
Marie Cécile Bruwier – Conservateur du Musée Royal de Mariemont (Belgique)
Jeanne Paule Maury
Jeanne Paule Maury, Claudine Pézerat, Adel Boulad
• Le tissage Antoinette Henein
Les Femmes, regards croisés : • Les artistes par elles-mêmes
p. 93
Mariam Sidraq, Naïma Adib
• Regards Claudine Pézerat, Claire Rado
Portfolio
p. 115
Bibliographie
p. 174
Crédits photographiques
p. 175
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AKHMĂŽM Au fil des femmes
AKHMÎM Au fil des femmes
Avant-propos / Foreword
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A
khmîm, petite ville à quelques 400 kilomètres au sud du Caire, a connu depuis l’Ancien Empire des heures de gloire, notamment réputée pour ses tissages et ses broderies… Mais les temps changent, et la cité, florissante jusqu’au XIXe siècle, se transforme en petite bourgade délaissée et vouée à l’oubli. Cependant, des hommes et des femmes refusent de se résigner et de rester inertes face à cette disgrâce de la Haute - Egypte et d’Akhmîm en particulier. Ils reconnaissent que cette cité, qui a été le berceau d’un patrimoine exceptionnel, a les moyens d’inverser ce déclin. Cet ouvrage souligne l’histoire de ces femmes admirables, venues d’un autre monde, des femmes qui ont laissé le confort de leur vie moderne pour s’installer à Akhmîm, au service de leurs sœurs de cœur ; il souligne le rôle qu’elles ont joué pour aider sa population à diriger elle-même son destin, et notamment ouvrir la voie aux filles d’Akhmîm afin qu’elles puissent se prendre en main… elles qui, pendant des années, résignées, sans véritable espoir, ligotées par la tradition et l’ignorance, vivotaient dans une dépendance totale… Il fallait les aider à revendiquer leur dignité, à s’ouvrir à la lumière et à la vie… En écrivant ces lignes, je veux aussi m’associer à l’hommage que les auteurs du livre rendent à ces femmes d’Akhmîm, qui ont cru à leurs rêves et voulu qu’ils soient possibles, réalisant alors une œuvre unique et exceptionnelle.
A
khmîm, a small city 400 kilometers (250 miles) south of Cairo, has known times of glory since the Old Kingdom, renowned particularly for its weavings and embroideries... But times change, and the city, which flourished until the 19th century, becomes a small agglomeration, abandoned, destined to be forgotten. Yet there are men and women who refuse to resign themselves and remain inert in the face of this deterioration of Upper Egypt and of Akhmîm in particular. They recognize that this city, cradle of an exceptional legacy, has the means of reversing this decline. This book underlines the story of admirable women who came from another world, leaving the comfort of their modern life to settle in Akhmîm, at the service of their sisters of the heart; it underlines the role they played to help people forge their own destiny, opening the way in particular for the girls of Akhmîm to take things into their own hands... they who for years, resigned and with no real hope, bound by tradition and ignorance, eked out their lives in total dependence... It was necessary to help them reclaim their dignity, open themselves to light, to life... In writing these lines, I also want to join in the homage that the authors of the book give to these women of Akhmîm, who believed in their dreams and willed them to be possible, and gave form to a unique and exceptional body of work.
Aly MAHER EL SAYED Ambassadeur en France / Ambassador in France (1993 - 2002) Conseiller de la Bibliothèque d’Alexandrie / Council member, Library of Alexandria Président du Conseil de Surveillance de l’Université Française d’Egypte / President of the Supervisory Council, French University of Egypt
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AKHMĂŽM Au fil des femmes
AKHMÎM Au fil des femmes
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Avant-propos / Foreword
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u fil du Nil
Il est peu d’aventures humaines dont la trame soit aussi riche que celle des artistes fileuses d’Akmîm. L’histoire d’abord : celle de l’Ancienne Egypte avec ses temples et ses divinités éparses dans le cosmos nilotique ; l’enracinement humain dans une terre nourricière, source de vie et d’un art de vivre sous un pouvoir pharaonique millénaire ; enfin l’acculturation aux religions monothéistes nouvelles qui implantent leurs églises et leurs mosquées dans le paysage immuable de la grande coulée verte du Nil. C’est en effet à Akhmîm, bourgade de la Haute - Egypte, que l’art du tissage, fruit d’un savoir séculaire mais tombé en sommeil, a été ranimé par un Jésuite égyptien visionnaire, le père Ayrout au profit des femmes de ce terroir que la tradition confinait le plus souvent dans un statut de dépendance et de pauvreté. A cette entreprise innovante ont contribué des femmes venues d’ailleurs qui ont apporté leur dévouement et leur talent à une tâche solidaire dont l’intérêt social et humain les captivait. Une communauté industrieuse s’est ainsi formée, ouverte aux Chrétiennes coptes comme aux Musulmanes, à qui leur travail donnait ressource et dignité, libérant en même temps des dons innés pour la représentation de leur univers familier illustré dans d’éclatantes broderies. Dans ce temps d’épreuve où la grande et vieille Egypte est en quête d’un renouveau politique et social, l’œuvre d’Akmîm marquée par la tolérance religieuse et la promotion féminine garde sa valeur exemplaire. Il est réconfortant que la beauté chatoyante de son art à la fois naïf et savant soit mise sous nos yeux. Il apparaît comme le gage de la pérennité d’une civilisation dont l’harmonie doit être préservée. Avec tous ceux qui connaissent et aiment l’Egypte nous en accueillons ce précieux témoignage comme une promesse.
A
long the thread of the Nile...
Few human adventures are woven into as rich a warp as that of the thread-artists of Akhmîm. History, first of all: Egypt with its temples and divinities scattered throughout the Nile cosmos; deeply rooted humanity in a generous earth that nurtures life and the art of living with the power of an age-old pharaonic legacy; and, finally, the acculturation to newer, monotheistic religions, that have planted their churches and their mosques in the immutable landscape of the great green flow of the Nile. It was in Akhmîm, in this small city of Upper Egypt, that the art of weaving, fruit of an ancient knowledge that was declining, was reanimated by an Egyptian Jesuit with vision, Father Ayrout, to benefit the women of this region, who had largely been confined by tradition in a status of dependency and poverty. This innovative enterprise was helped by the arrival of women from abroad who gave their commitment and talent to a task of solidarity that drew them because of its social and human importance. A hard-working community took shape, open to both Christian Copts and Muslims. The work gave them dignity, and at the same time unleashed inner talents, as they depicted their familiar universe in splendid embroideries. In these trying times when the great and ancient land of Egypt is in search of political and social renewal, the work of Akhmîm, with its values of tolerance and the promotion of women, retains its exemplary value.We are comforted by the shimmering beauty of its art, primitive and wise all at once. It appears as a pledge of the continuity of a civilization whose harmony must be preserved. With all who know and love Egypt we welcome this precious gift as a promise.
Pierre HUNT Ambassadeur de France en Egypte / French Ambassador to Egypt (1985 - 1989)
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Preface
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khmîm is situated on the eastern bank of the Nile, and is part of the governorate of Sohag. Until the end of the 19th century it was the most important city in the region, but it was supplanted by Sohag when the railroad was built on the west bank, linking the south to the north of the country on the western side of the Nile. Akhmîm, which had been noted until then for its weaving tradition, became isolated, caught between the desert and a bend in the Nile. In 1953 a bridge was built between Akhmîm and Sohag, opening Akhmîm to the changes that had taken place on the west bank, but also precipitating the exodus of weavers to the factories of the valley. In 1960, when the adventure of the Community Center began, the population of Akhmîm was 45,000. There were 200 weaving workshops. Today there are only 15 left, struggling to survive! Factories have been built (mechanized weaving, cookies, Pepsi-Cola, sugar, aromatic herbs...). Yet the population, now over 100.000, is still composed of craftsmen and minor merchants with limited revenues. Many of the men have emigrated to Cairo, Suez, countries of the Persian Gulf. They have come back with more resources, certainly, but also with new needs, that have transformed their social and family life.
After evoking the glorious pharaonic past of the city and the importance of weaving, « Akhmîm, Au fil des femmes »1 outlines the story of this Community Center, that placed this craft at the center of its program in Akhmîm to promote women and give them a valued place in their society. The reclaiming of the ancient craft gave birth to new designs, an explosion of colors and vitality, drawing inspiration from the everyday life the women see around them, in their city and the countryside. The text is accompanied by a wealth of illustrations that help us understand the lives and works of these artists. They are drawn from multiple sources, over a period spanning fifty years. The varying degrees of amateurism or professionalism in the photography account for inconsistency in the quality of the reproductions. The time span also explains that it was not always possible to name the embroiderer, or know the dimensions of the scenes or the date they were created. Just now, Egypt is undergoing profound changes that may well have an impact on this 50 year-old adventure. Bringing to light these little known works, committing them to memory, this book is an affectionate homage to the women who began the Community Center, and to the embroiderers and weavers of Upper Egypt, whose courage and talent has captivated us.
Au Fil des Femmes is difficult to translate. Literally it means «along the thread of women», or «about women», at very best «threads of womens’ lives», but this does not capture the wordplay and alliteration of the French, so we have left it untranslated...
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AKHMÎM Au fil des femmes
Préface
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khmîm, située sur la rive orientale du Nil, au nord de Louxor, fait partie du gouvernorat de Sohag. Elle fut jusqu’ à la fin du XIXe siècle la ville la plus importante de la région mais fut supplantée par Sohag lors de la construction, sur la rive occidentale, de la voie ferrée et de la route reliant le sud au nord de l’Egypte. Akhmîm, jusqu’alors réputée pour sa tradition du tissage, s’est repliée sur elle-même, coincée, comme prise en étau, entre le désert et une courbe du Nil. En 1953, un pont reliant Akhmîm à Sohag fut construit, ouvrant la ville à de nouveaux échanges, mais précipitant aussi l’exil des tisserands vers les usines de la vallée. En 1960, date des débuts de l’aventure du Centre Communautaire, la ville comptait 45 000 habitants. Il y avait deux cents ateliers de tissage. Il n’en reste que quinze aujourd’hui, qui tentent de subsister! Des usines ont été construites (tissage mécanique, biscuiteries, Pepsi-Cola, sucreries, plantes aromatiques…). Cependant, la population, qui s’élève actuellement à plus de 100 000 habitants, dont le tiers est chrétien, reste, dans sa majorité, composée d’artisans et de petits commerçants aux revenus modestes. Beaucoup d’hommes ont émigré au Caire, à Suez, dans les pays du Golfe. Ils sont revenus, certes moins pauvres, mais avec des exigences nouvelles qui ont transformé leur mode de vie familiale et sociale. Après un rappel du passé glorieux de la ville à l’époque pharaonique et de sa longue tradition du tissage, Akhmîm, Au fil des femmes retrace l’aventure de ce Centre Communautaire qui a mis l’artisanat du tissage et de la broderie au cœur de son action à Akhmîm pour revaloriser et donner à des femmes une place dans la société. De cette réappropriation d’un artisanat séculaire sont nés de nouveaux motifs, véritable jaillissement de couleurs et de vie, qui puisent leur inspiration dans la vie quotidienne et rurale. Les nombreuses illustrations qui accompagnent les textes permettent de mieux appréhender la vie et les oeuvres de ces artistes. L’origine de ces clichés s’échelonnant sur une cinquantaine d’années, photographies d’amateurs ou plus professionnelles, explique l’inégalité de la qualité des reproductions. Elle explique aussi que l’on n’ait pas pu toujours retrouver l’auteur des broderies, les dimensions des tableaux et la date de leur création. L’Egypte vit actuellement une mutation profonde qui pourrait bien influer sur la suite de cette aventure de plus de cinquante ans… Mettant en lumière et gardant en mémoire ces créations méconnues, ce livre se veut un affectueux hommage rendu aux initiatrices du Centre Communautaire ainsi qu’aux brodeuses et tisserandes de Haute - Egypte dont le courage et le talent nous touchent profondément.
Jeanne Paule MAURY
AKHMÎM Au fil des femmes
« Les fils à retordre d’Akhmîm », Akhmîm antique “ The tangled threads of Akhmîm ’’, ancient Akhmîm Marie Cécile Bruwier Conservateur du Musée Royal de Mariemont (Belgique) Curator of the Royal Museum at Mariemount (Belgium)
Meritamon, femme de Ramsès II / Meritamun, wife of Ramses II
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AKHMÎM Au fil des femmes
« Les fils à retordre d’Akhmîm », Akhmîm antique
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khmîm is an Egyptian town on the Eastern bank of the Nile, about 200 kilometers north of Luxor, facing Sohag across the river. I borrowed the title1 of these notes from an article by Doaa Khalifa in which she underlines the importance and challenges of the weaving in Akhmîm, from the linen of pharaonic times to the cotton and silk of the Roman era, reaching to our own times. The textile industry in this location actually goes back thousands of years, rooted in an ancient past. It is significant that, in speaking of the region, the geographer Strabon (64 BC - 30 AD) does not mention anything except the ancestral presence of weavers and stone cutters2.
A
The suburbs of this Pharaonic city, capital of the ninth nome of Upper Egypt, are known to us: Ipou and Khent-Min, from which the current name of Akhmîm is derived. Min is the name embedded there, god of fertility, generally represented standing, phallus erect. The titular god of Akhmîm is also master of the desert and lord of cities, Coptos and Akhmîm, point of departure for the caravan trails leading to the routes of the Red Sea on the way to the «Land of God» where the celebrated city of Punt is found. The ancient archeological vestiges of Akhmîm and the region surrounding it, spanning thousands of years, prove the importance of the site, from the Old Kingdom to the Roman era. The necropolis, situated near al Hawaweesh to the north-east of Akhmîm, contains a great number of tombs, dating from the end of the IVth Dynasty to the beginning of the XIIth Dynasty, belonging to high officials and local nomarchs. Recently five tombs of the Old kingdom were discovered near the White Monastery in Sohag.
De la cité pharaonique, capitale du neuvième nome de Haute-Égypte, on connaît des faubourgs : Ipou et Khent-Min dont dérive le vocable actuel Akhmîm. On y retrouve le nom de Min, divinité de la fertilité, généralement représenté en homme debout et ithyphallique. Le dieu tutélaire du lieu est aussi le maître du désert oriental et de ses mines ainsi que le seigneur de villes, tant Akhmîm que Coptos, d’où partent les pistes caravanières conduisant aux routes de la mer Rouge sur le chemin de la Terre du Dieu où se trouve le célèbre pays de Pount. Les vestiges archéologiques antiques d’Akhmîm et de sa région, très étalés dans le temps, démontrent l’importance du site depuis l’Ancien Empire jusqu’à l’époque romaine. Ainsi la nécropole, située à al-Haouaouish au nord-est d’Akhmîm, compte un très grand nombre de tombes rupestres datées de la fin de la IVe dynastie jusqu’au début de la XIIe dynastie, ayant appartenu à de hauts fonctionnaires et à des nomarques locaux. Récemment, cinq tombes de l’Ancien Empire ont également été découvertes à proximité du Monastère Blanc de Sohag.
Several archeological and epigraphic finds dating from the New Kingdom show that the city takes on new importance at the end of the XVIIIth Dynasty, especially dating from Akhenaten’s reign. Akhenaten’s mother Tiyi came from Akhmîm, as well as one of his successors, the Pharaoh Ay. Among other testimonials to the New Kingdom is a rock chapel near al Salamouni dedicated to Min. It contains representations of Pharaohs Tuthmosis III and Ay, the latter accompanied by his wife, pictured facing the local gods. This sanctuary was restored during the Lagid era in the reign of Ptolemy II Philadelphus. Few vestiges remain of the divine temple of Akhmîm. As is often the case in Egypt the ancient monuments served as rock quarries during the different eras. However, fragments of statues of Ramses II have been conserved, as well as a colossal statue (about 11 meters high) of his daughter Meritamun, who later became his spouse, and who seems also to have been a priestess of Min. In the 5th century BC Herodotus, writing about this place, which he calls Kemmis, mentions, among the bas-reliefs of the divine monument that were still visible in his time, scenes of «sport games, to celebrate the feast of Min».
Diverses trouvailles archéologiques et épigraphiques datant du Nouvel Empire montrent que l’agglomération prend une importance croissante à la fin de la XVIIIe dynastie, en particulier à partir du règne d’Akhénaton. La mère de ce dernier, la reine Tiyi, est originaire de cet endroit, de même d’ailleurs que l’un de ses successeurs, le pharaon Aÿ. Parmi les témoignages du Nouvel Empire figure une chapelle rupestre dédiée à Min, située à al-Salamouni. Elle porte des représentations des pharaons Touthmosis III et Aÿ, celui-ci accompagné de son épouse, face aux dieux locaux. Ce sanctuaire a été restauré à l’époque lagide sous le règne de Ptolémée II Philadelphe. Du temple divin d’Akhmîm, il reste peu de vestiges car, comme c’est généralement le cas en Égypte, les monuments antiques ont servi de carrières de pierres à des époques diverses. Toutefois des fragments de statues de Ramsès II sont conservés ainsi qu’une statue colossale, mesurant environ onze mètres, de sa fille et plus tard épouse Meritamon, qui était aussi semble-t-il prêtresse de Min. Au 5e s. av. J.-C., Hérodote, parlant de l’endroit qu’il appelle Khemmis, mentionne parmi les reliefs du monument divin encore visibles à son époque des scènes de « jeux sportifs à l’occasion de la fête de Min ».
In the Ptolemaic era Akhmîm is called Khemmis, but also Panopolis, «city of the god Pan», whom the Greeks assimilate to Min. At that time the temple is consecrated to Min and his attendant spirits the lioness Repyt (Triphis, in Greek) and Aperiset, probably a form of Isis. From the 3rd century BC on the latter forms a divine trinity with Min and their son Kolanthes. The rock tombs discovered northwest of Akhmîm date also from this period. Other ancient cemeteries have been discovered to the north in Nag al Kilabat and al Sawara. From the archeological and epigraphic vestiges discovered to date,
À l’époque ptolémaïque, Akhmîm est nommée Khemmis mais aussi Panopolis, c’est-à-dire « la cité du dieu Pan », que les Grecs assimilent à Min. Le temple est alors consacré à Min et à ses parèdres, la lionne Repyt (Triphis, en grec) et Âperiset, probablement une forme d’Isis. À partir du IIIe s. avant J.-C., cette dernière forme une triade divine avec Min et leur fils Kolanthès. De cette époque datent des tombes rupestres mises au jour au nord-ouest d’Akhmîm. D’autres cimetières antiques ont été identifiés au nord à Nag al-Kilabat et al-Sawara. À partir des vestiges archéologiques et épigraphiques exhumés à ce jour, il s’avère que l’antique métropole hellénisée a beaucoup prospéré
1 In French the title is «Les fils à retordre d’Akhmîm», literally «the threads Akhmîm has to twist» using an expression that means roughly «Akhmîm is hard nut to crack». After Doaa Khalifa, published in El Ahram Hebdo (the Ahram’s weekly French publication) December 8-14, 2010 2 Because of the limestone quarry at Gebel Sheikh Haridi, north of Tahta, exploited from ancient times
ill. 1 : Rigobert Bonne’s Carte de l’Arabie for Raynal’s 1780 Atlas
khmîm, agglomération égyptienne située sur la rive orientale du Nil, à environ 140 kilomètres au nord de Louxor, fait face à la ville de Sohag. Le titre de mon propos à son sujet est emprunté à celui de l’article de Doaa Khalifa1 qui souligne l’importance et les enjeux du tissage à Akhmîm, du lin à l’époque pharaonique, du coton et de la soie depuis l’époque romaine à nos jours. L’industrie textile à cet endroit est en effet une activité multimillénaire qui s’enracine dans le passé lointain. Il est symptomatique d’observer que, parlant de la localité, le géographe Strabon (ca 64 av. J.-C.- ca 30 ap. J.-C.) n’y signale que la présence ancestrale de tisserands et de tailleurs de pierre2.
Dans Al-Ahram Hebdo, n°848 (semaine du 8 au 14 déc. 2010) En raison de la carrière de calcaire du Gébel Sheikh Haridi au-dessus de Tahta, exploitée dès l’Antiquité
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AKHMĂŽM Au fil des femmes
AKHMÎM Au fil des femmes
« The tangled threads of Akhmîm », ancient Akhmîm
it becomes clear that the ancient Hellenized metropolis prospered considerably under the Lagids and the Romans. The name labels of mummies in the cemeteries, written in Greek rather than Demotic in this era, bear witness to this; in addition, the inscriptions on the ancient monuments reveal construction and restoration under Ptolemy II and Ptolemy IV, and later under Domitian and Trajan. Later, when Egypt became Christian, numerous monasteries were constructed near Akhmîm (called Khmim in Coptic). A manuscript exists from this period, written in Coptic on papyrus (The Berlin Codex). It contains 56 texts (some partial, some complete) dated from the 4th or 5th century AD, including an extract from the Gospel of Mary. Akhmîm occupies a major place in Copto-Arabic literature. It is seen there as a city of loose morals and still-observed pagan practices and is considered the seat of a school of magicians, on whom the Christian monks declare war. Beginning in the 4th century. Athanasius and Shenouda (died in 451), natives of the city or its surroundings, encouraged the destruction of the ancient monuments. Later, in their turn, it is the Christians who are persecuted in this city. It was here that Nestorius died. During the Roman period, (27 BC – 476 AD) Akhmîm gave several other great intellectual giants to the world, among others the philosopher Horapollo, author of «Hieroglyphica», Nonnus, 5th century Greek poet, author of «Dionysiaca», and the 3rd century Greek Zozimos the Panopolitan. In the Islamic period, Akhmîm became a provincial capital under the Fatimid Caliph Al-Mustansir (11th century AD). Under the Mamluks, it was vandalized before its incorporation in the 18th century into the province of Guirga. Some major fragments of the principal temple’s architecture seem to have been preserved until the 14th century. After this, they were dismantled, its constituents used as building material. Now only vestiges of the ancient temple remain. From ancient times the city of Akhmîm has been known particularly for its weaving, one of the oldest industries in Egypt. Its cemeteries have yielded an abundant trove of textiles in linen, wool and silk, especially from the Ptolemaic, Byzantine and Islamic periods. A great number of these fabrics ended up in private or public collections, having been transported from Egypt in the 19th and early 20th centuries from archeological excavations. Today Akhmîm textiles can be seen in numerous museums across the world. The Coptic fabrics include clothing, tunics, shawls, hangings used as winding sheets. Often, unfortunately, the medallions or ornamental clavi woven into the fabric have been cut out. Their motifs reflect the Hellenistic and Byzantine traditions, or spring from an iconography inspired by the Bible. Other tombs contain fabric of Fatimid or Mamluk origin, notably cloths of silk, particularly prized in Islamic Egypt. Some of these are adorned with inscriptions, verses of the Koran. Growing awareness of the importance of Egypt’s textile patrimony led the country’s authorities to create, several years ago, the Egyptian Textiles Museum (in the Sabil Mohammed Ali of Muizz li-Din Allah in Cairo). We see today the need for this patrimony to be protected3. The publication by ICOM of the Red List of Egyptian cultural treasures, issue 2011, underlines this. Coptic textiles are represented in this list of endangered artifacts, created to prevent illegal exportation and sale. 3
http://icom.museum/fileadmin/user_upload/images/Redlists/Egypt/120521_ERLE_DE-Pages.pdf
ill. 2 : Tissu copte IV/VIe siècle : tapisserie de laine rebrodée (collection privée) Coptic fabric: embroidery on wool, 4th to 6th century (private collection)
sous les Lagides et les Romains. En témoignent dans les nécropoles les étiquettes nominatives de momies rédigées en grec plutôt qu’en démotique à l’époque impériale ; de même que les inscriptions sur les monuments antiques attestent de constructions et de restaurations sous Ptolémée II et Ptolémée IV, puis plus tard sous Domitien et Trajan. Certes des éléments essentiels de l’architecture du temple principal de l’Antiquité étaient semble-t-il encore bien conservés jusqu’au 14e s. À partir de ce moment, ils ont été démantelés pour servir de matériau de construction. Il n’en subsiste aujourd’hui que des vestiges. Plus tard après la christianisation du pays, de nombreux monastères chrétiens ont été érigés dans le voisinage d’Akhmîm, nommée Khmim en copte. De cette époque provient, par exemple un manuscrit en copte sur papyrus, le Codex de Berlin, contenant cinquante-six textes complets ou partiels datés du 4e ou 5e s. ap. J.-C., dont un extrait de l’Évangile de Marie. Rappelons que dans la littérature copto-arabe, Akhmîm occupe une place essentielle. Elle y apparaît comme une ville aux mœurs relâchées, attachée aux coutumes traditionnelles du paganisme. Elle y est considérée comme le siège d’une célèbre école de magiciens, à laquelle les moines chrétiens, à partir du 4e siècle, déclarent la guerre. Ainsi Athanase et Chénouté († 451), natifs de la ville ou de ses environs, incitent à la destruction des monuments antiques. Plus tard la ville devient en retour le théâtre de persécutions contre les chrétiens. Nestorius est décédé dans les environs. Durant l’époque romaine (27 av. J.-C., 476 ap. J.-C.), sa bourgeoisie donne au monde plusieurs grandes figures intellectuelles dont le philosophe Horapollon, auteur des Hieroglyphica, Nonnos, le poète grec du 5e s. auteur des Dionysiaques et l’alchimiste grec Zozime le Panopolitain du 3e s. Pendant la période musulmane, Akhmîm devient capitale provinciale sous le calife fatimide al-Moustansir (11e s. ap. J.-C.), puis saccagée sous les Mamelouks avant d’être incorporée au 18e s. à la province de Girga. Depuis l’Antiquité, la ville d’Akhmîm est particulièrement réputée pour ses tissages, l’une des industries les plus anciennes d’Égypte. Les nécropoles ont livré un abondant matériel textile, en lin, laine et soie, en particulier des époques ptolémaïque, byzantine et musulmane. Rapportés d’Égypte au 19e siècle et au début du 20e siècle, à la suite de fouilles archéologiques, un très grand nombre d’étoffes a abouti dans des collections privées ou publiques. De nombreux musées du monde en possèdent. Parmi les tissus coptes se trouvent des vêtements, des tuniques, des châles, voire des tentures ayant servi de linceul. Très souvent, malheureusement, les fragments, médaillons ou clavi ornés, tissés dans la trame, ont été découpés. Leurs motifs se rattachent à la tradition hellénistique, au monde byzantin ou relèvent d’une iconographie inspirée de la Bible. D’autres sépultures proviennent de nombreuses étoffes fatimides et mameloukes et notamment des tissus de soie, particulièrement prisés dans l’Égypte musulmane. Certains d’entre eux portent des inscriptions, voire des versets du Coran. La sensibilisation à l’importance du patrimoine textile de l’Égypte a conduit les autorités du pays à créer, il y a quelques années, l’Egyptian Textiles Museum, dans le Sabil Mohammed Ali de la rue Mouizz li-Din Allah au Caire. Aujourd’hui, ce patrimoine ancestral doit être protégé3. En témoigne la Liste Rouge des biens culturels égyptiens en péril publiée par l’ICOM en 2011. Les textiles figurent dans ce répertoire d’objets archéologiques en danger en vue d’empêcher leur vente ou leur exportation illégale.
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Le Centre Communautaire d’Akhmîm : • Une expérience humaine et artistique • Former et instruire : la vie dans les années 1960 The Akhmîm Community Center: • •
A human and artistic experience Teaching and training: life at the Center in the 60’s
Jeanne Paule Maury
Chez nous (détail) : une tisserande / Our home (detail) : a weaver, Mariam AZMI - 1986 (35 x 47 cm)
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A human and artistic experience
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• Political and social context
ill. 1 : le livre du Père Ayrouth / Father Ayrout’s book « Fellahs d’Egypte », Le Caire,1943 (1ère édition 1938)
In 1960, when the community Center started, the social and agricultural reforms undertaken by the revolution of 1952 towards the construction of a more just and egalitarian society had not met their goals. There was still a sharp division between Lower and Upper Egypt, and even more between, on one hand the Egypt of the cities, with its commerce, universities and cosmopolitan views, open to the world, and on the other, the Egypt of the countryside, with its fellah, the exploited peasant, illiterate, living in abject poverty. Girls did not go to school, or had to interrupt their education to do household chores. When they got married their situation was worse; they were often no better than servants for the whole family. They seldom went out of their houses. Henry Ayrout, S.J.1 in his book «The Egyptian Fellah», forcefully outlined this situation. He awakened Egyptians to the realities of their society, and to their responsibility for one another. He started a newspaper, «We and They», that opened the eyes of young students in Cairo to the needs of the Upper Egyptian peasant. In Upper Egypt Father Ayrout fostered relationships between the small Catholic schools that taught the Coptic and Muslim students of the small villages, and the schools and dispensaries run by Christian religious congregations. In 1940 he created the Christian Association for Upper Egypt Schools, renamed a few years later as the Association of Upper Egypt for Education and Development (AUEED). Among the people whose interest in Upper Egypt Father Ayrout awakened, was an international movement of women: the Grail2. He invited them to work in Akhmîm, and in 1960 two Grail members arrived in this ancient city of 45,000 inhabitants, 280 miles south of Cairo: Gail Malley, an American, and Walburga Pfefferle, a German kindergarten teacher. Simone Tagher, an Egyptian lawyer and the leader of the Grail in Egypt, and Roseline de Villaines, a French Grail member, accompanied them for the first month, to help them get started with the projected kindergarten, which Simone had advised as a way to get to know people. Over the years others joined the team for various lengths of time. The most permanent of these was Joke van Neerven, a Dutch nurse and midwife, whose gifts for organization and putting abstract ideas into concrete practice were invaluable. One can well imagine what was in the minds of these young women, coming from the West with scant baggage apart from their faith, their enthusiasm and their desire to help other women, arriving in a city built on the ruins of several superimposed civilizations, on terrain that had undergone several earthquakes, «where the houses lean on one another, the minaret of the mosque across the street leans toward us», Roseline tells us. Only a bridge, built a few years before, linked this agglomeration to Sohag, the main city on the road of this part of the valley. They arrive in August 1960, greeted by the full force of August heat and dust. They face the dilapidated little school where they are to live, and the rubble of the historic Franciscan mission church, piled all the way to the courtyard entrance. They must learn the language, make their home livable and welcoming, get to know the different communities that make up the town, Copts (one third of the population) and Moslems, gain their acceptance, and form a plan of action.
Henry Ayrout, Egyptian Jesuit (1908- 1969). His thesis at the University of Lyon was published with the title Fellahs d’Egypte, in 1938 and reedited in 1943 Movement of lay women striving for social justice and women’s rights
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Une expérience humaine et artistique
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• Contexte politique et social En 1960, date de la création du Centre Communautaire, les réformes sociales et agraires entreprises après la révolution de 1952 en vue de la construction d’une société plus égalitaire et plus juste, n’ont pas atteint leur but : la division « Basse - Egypte, Haute - Egypte » existe encore, mais surtout la division entre l’Egypte des villes, du commerce, des universités, cosmopolite, ouverte sur le monde, et l’Egypte des campagnes, du fellah le paysan corvéable, qui vit dans la misère la plus noire, sans instruction. Le sort des femmes dans ces villages est déplorable : les petites filles ne vont pas à l’école ou doivent interrompre leurs études pour s’occuper de la marche de la maison. Lorsqu’elles se marient, leur situation n’est pas plus réjouissante, elles servent souvent de domestique à toute la famille. Elles sortent peu de chez elles. La situation de cette société bloquée est révélée par le Père Ayrout1, dans son livre Fellahs d’Egypte. Personnalité forte, il est à l’origine d’un véritable réveil des Egyptiens sur leur réalité sociale, d’une prise de conscience de la responsabilité des uns envers les autres. La revue qu’il crée Eux et Nous sensibilise les jeunes étudiants du Caire aux besoins des paysans pauvres de Haute - Egypte. En Haute - Egypte, le Père Ayrout met en relation les petites écoles catholiques de village ouvertes aux élèves coptes et musulmans, avec les écoles et les dispensaires des congrégations religieuses chrétiennes. C’est ainsi qu’il avait créé en 1940 l’ACHE « L’Association Chrétienne pour les Ecoles de Haute-Egypte », rebaptisée quelques années plus tard « l’Association de la Haute-Egypte pour l’Education et le Développement ». (AHEED, AUEED en anglais). Ayant eu connaissance du GRAIL2, le Père Ayrout propose à ses membres de venir s’installer à Akhmîm, bourgade rurale de 45.000 habitants à 450 km au sud du Caire : en 1960 Gail Malley, une Américaine douée pour les langues, musicienne et artiste, Walburga Pfefferle, une jeune Allemande jardinière d’enfants arrivèrent dans cette ville, dans un monde qui leur était complètement étranger. Simone Tagher, jeune juriste égyptienne, responsable du Grail en Egypte et Roseline de Villaines, française, les accompagnent les premiers mois pour les aider à créer un jardin d’enfant que Simone leur avait conseillé comme moyen de faire connaissance avec la population. De manière épisodique, d’autres membres du Grail se sont jointes à elles : Joke Van Neerven, jeune hollandaise, infirmière et sage-femme, membre également du Grail, arrive en 1968 ; sa rigueur et son esprit pratique sont un grand apport à l’équipe. On peut imaginer la force de caractère et le courage de ces jeunes femmes venues d’horizons différents, avec pour seul bagage leur foi, leur enthousiasme, arrivant dans une ville construite sur les ruines de plusieurs civilisations superposées, au sol rendu instable par les tremblements de terre successifs, « où les maisons penchent, le minaret de la mosquée d’en face penche » nous dit Roseline… Seul, un pont enjambant le Nil, relie cette bourgade à Sohag, la ville principale sur la route de la vallée. Elles arrivent en août 1960 ! Août, sa chaleur, sa poussière… La petite école où elles sont logées, au centre de la ville est désaffectée, l’église de la Mission franciscaine s’est effondrée, les gravats s’amoncellent dans la cour intérieure jusqu’à la porte d’entrée ! Elles doivent apprendre à parler la langue, à bâtir un lieu d’habitation et d’accueil digne de ce nom, à connaître les différentes communautés, les Coptes qui composent le tiers de la population, les Musulmans… elles doivent se faire accepter par tous et établir un projet d’action. ill. 2: Gail au-milieu des jeunes filles / Gail among young girls ill. 3 : Joke au-milieu des jeunes filles / Joke among young girls ill. 4 : Roseline au-milieu des jeunes filles / Roseline among young girls
Henry Ayrout, Jésuite égyptien (1908-1969). Sa thèse, passée à l’université de Lyon fut publiée sous le nom de Fellahs d’Egypte, en 1938 et fut rééditée en 1943 Mouvement international de femmes laïques en faveur de la promotion de la femme
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A human and artistic experience
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• Local physical context The Community Center is in the middle of the city, on the main street, the suwega3, a winding dirt road that is the heart of the town’s commerce. The town is surrounded by the countryside and, beyond it, the desert. Just across the street from the Center is a small shop selling the local weaving, whose Moslem owners quickly become friends. Next to them, the mosque dominates the street: life finds its rhythm in the cadence of the calls to prayer, the incantations of the zikr4. One is plunged in an animated, welcoming Moslem world. Here is Gail’s 1970 description of the suwega:
ill. 5 : Akhmîm vers 1960 / the town of Akhmîm in the 1960’s ill. 6 : Je brode, Akhmîm autour de moi / I embroider, in the midst of Akhmim, Mariam Azmy
“The market street we live in gives an overwhelming impression of intense life: movement, noise, colors, smells. It begins at the bottom of the street with the fish market. The big, important fish are on carts, with a man shouting their qualities. Lesser merchants sit on the ground with finger-long fish in neat little piles on the dust of the unpaved street. The street is narrow; the old houses lean in all directions and seem about to fall, but they are pressed so closely together that they hold each other up. All along both sides of the street are three degrees of commerce: the highest are the shops, most just big enough for one person to turn around in, wares piled, or strung out - according to the prosperity of each - on shelves reaching to the ceiling. Next are the carts, of fish, fruit and vegetables. Lowest are the baskets, or sometimes just a cloth, or, like the fish, the ground itself. Perhaps another degree is represented by those who sit empty-handed, offering themselves for any kind of work that someone might call them to do. In between all this move people and animals. Very early in the morning herds of pigs snuffle hurriedly around on their high heels, before the street sweeper cleans away yesterday’s leftovers. A little later all different sizes of children carry swiftly and precariously a plate of «fool» (fava beans, a national staple) or «nabit» (sprouted beans) from the steaming clay pots that are soon surrounded by men squatting around them for their breakfast. The school children appear, and the employees going to their work, mostly young men, but a sprinkling of young girls, walking straight and prim, eyes down. During the day water carriers with goatskins full of water loaded on their donkeys, camels with house-high piles of cornstalks or palm branches, their rhythm a royal, even swish, water buffaloes on their way to be slaughtered, the butcher’s helper shouting at the top of his lungs to announce the prospect of meat, weavers’ apprentices carrying enormous bundles of brightly colored thread. In all this, very few women, and those who do venture into the traffic are enveloped completely in a black wool veil that hides them completely, except for one all-seeing, navigating eye. Akhmîm seems barely able to get off the ground. Material conditions, traditions, weigh heavily on her. Yet in spite of this, there is an astonishing vitality and thirst for life. In the faithfulness to or struggle against traditions are revealed the aspirations and values that are at the heart of their lives. We need not doubt that there will be change. At this moment of Egypt’s history nothing can hold that back. Is there anything that can be done so that the change does not cheat them?»
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« Suega » comes from the word suq, for market, and means «little market» Zikr (dhikr), a rhythmic evocation, often in a group, of the name of God, a privileged path to God in Sufism
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• Situation des lieux Le Centre Communautaire est situé dans la suega3, la rue principale commerçante de la ville, mais non loin de la campagne environnante et du désert. Sur un côté de la rue étroite, des boutiques vendent du tissage local ; elles sont tenues par des petits commerçants musulmans devenus très vite des amis. La mosquée, en face du Centre, domine la rue : vie rythmée par l’appel à la prière, les incantations du zikr4 : c’est le plongeon dans la vie musulmane, animée et accueillante. En 1970, Gail fait une description pittoresque de la suega :
ill. 7 : La vie du village / Life in the village, Noura KHALAF - 2001 (124 x 40 cm)
« Dans la rue du marché où nous habitons nous sommes submergées par une impression intense de vie : mouvement, bruit, couleurs, odeurs. Cela commence par le marché aux poissons. Les gros poissons, les plus importants, arrivent sur des charrettes poussées par un homme criant leurs qualités à tue tête. Les petits marchands sont assis par terre, leurs petits poissons de la longueur d’un doigt, posés en piles nettes dans la poussière de la rue qui n’est pas pavée. La rue est étroite. Les vieilles maisons penchent de tous les côtés et semblent toujours sur le point de tomber, mais elles sont tellement serrées les unes contre les autres qu’elles se soutiennent. Tout au long de la rue, s’échelonnent trois catégories de commerces: il y a d’abord les échoppes, la plupart du temps juste assez grandes pour qu’une personne puisse s’y mouvoir, les marchandises empilées ou jetées au hasard, selon la richesse de chacun, sur des étagères arrivant au plafond. Viennent ensuite les charrettes, de poissons, de fruits, de légumes. Et enfin les paniers, parfois juste un chiffon, ou bien, comme pour les poissons, tout simplement le sol. Et puis, encore plus démunis, il y a ceux qui restent là, assis, les mains vides, attendant qu’un travail éventuel leur soit proposé. Au-milieu de tout cela, les animaux et les gens circulent. Très tôt le matin, des hordes de cochons, perchés sur leurs sabots, reniflent la poussière avant que le balayeur n’enlève les restes de la veille. Un peu plus tard, des enfants de toutes tailles transportent avec rapidité et insouciance un plat de foul (fèves, plat national) ou de nabet (foul germé) qui cuit dans des pots de terre fumant, rapidement pris d’assaut par des hommes venus avaler leur petit déjeuner. Ensuite, viennent les écoliers, puis les fonctionnaires allant au travail, la plupart des hommes, mais aussi quelques jeunes filles, marchant droites, tendues, les yeux baissés. Pendant la journée, passent des porteurs d’eau, dont les outres en peau de chèvre pèsent lourdement sur leur âne ; des chameaux au pas royal, au bruissement régulier, transportant des piles de tiges de maïs ou de palmier, hautes comme des maisons ; des buffles marchant à l’abattoir, accompagnés par le garçon boucher qui crie le plus fort possible pour annoncer la perspective de viande ; des apprentis tisserands portant d’énormes pelotes de fils de couleur. Dans cette mêlée, très peu de femmes, et celles qui s’aventurent dans ce trafic sont enveloppées d’un voile de laine noire qui les cache entièrement, ne laissant émerger qu’un seul œil qui fait office de vigie. Akhmîm est à peine capable de se lever de terre. Les conditions matérielles, le poids des traditions pèsent lourdement sur elle. Mais, malgré cela, il y a une vitalité, une soif de vivre. Dans le respect des traditions ou leur rejet, sont révélées les aspirations qui sont au coeur de la ville. Il n’y a pas à douter qu’il y aura des changements. A ce moment de l’histoire de l’Egypte, rien ne peut les retenir. Mais qu’est-ce qui peut être fait pour que ces changements ne déçoivent pas leurs attentes? »
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« Suega » vient du mot « souq » c’est à dire marché Zikr (dhikr), évocation rythmique, souvent collective du nom de Dieu, voie d’accès privilégiée à Dieu dans le Soufisme
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A human and artistic experience
The Community Center settles into the decrepit school building. Bit by bit the old buildings are consolidated. In 1961 a new church is built, round and below ground level (to withstand the crumbling terrain) designed by the architect Alphonse Abdel Malek. In 1972 the main body of the church is converted into work space. In 1967 the Center is transformed by Nessim Henein5, adapting and adding buildings inspired by the architectural style of Hassan Fathi6. The buildings surround a central courtyard dominated by an ancient column and a majestic sycamore tree, «which had found water deep under the ancient rubble, to become the «forest» of the town. Towards nightfall swarms of tiny birds make themselves heard in a thunderous clamour» writes Roseline. The sycamore maintains its majestic presence in the courtyard, offering its hospitable branches to hordes of birds. The Grail team lives there full time, gradually mastering the language, establishing relationships and gaining the confidence of the people around them, merchants, craftsmen, the Christian and Moslem communities. (The Moslem merchant across the street agrees to receive their telephone calls, banging loudly on the door to summon them when someone phones them!) The beauty of the buildings,the serenity of the courtyard, create a welcoming space for the girls of Akhmîm. The terrible earthquake of 1992 destroys this beauty, and it is not until 2003 that the Center is rebuilt, thanks to financing by the Egyptian Swiss Development Fund: vaulted workshops, light filtered through mashrabeyas (oriel windows enclosed with carved wood latticework), a harmonious setting. These buildings in their turn will need repairs and maintenance... The young women come through the streets, covered with the birda or melaya, long black veil that envelops them from head to foot, the traditional clothing for women in Egypt. «The birda is practical», one of the girls confides, «because it allows me to leave home in my house dress, without even having to comb my hair (a lengthy process...) since they’ll be under the birda. We all have our «good» dresses that we wear without the birda for special occasions, such as going to Sohag or to church.» «The birda is useful since it lets me see everyone while no one sees me. Nobody notices me, so I am not embarrassed to walk in the street.» School girls no longer wore a veil outdoors. However, since the nineteen seventies it gradually came back, and now a short veil is part of the uniform.
ill. 8 : construction de / construction by Nessim Henein ill. 9 : la cour du Centre / the yard ill. 10 : Le sycomore de la cour / The sycamore tree in the yard, Ferial Ahmed - 2009 (63 x 54cm)
5 Nessim Henein : Egyptian architect, born in 1937 in Cairo. At the French Institute for Eastern Archeology in Cairo (IFAO) he published numerous books on ethnography and architecture. His book Mari Girgis, village de Haute-Egypte, published in 1988 and reedited in 2001, is a comprehensive and detailed study of this village 6 Hassan Fathy : 1900- 1989, Egyptian architect. He revived the tradition of construction in raw brick, and the utilization of domes and vaults, to compensate for the scarcity of wood. He is the author of Construire avec le peuple («Building with the People»), published in 1973. He received a Nobel prize in 1980
Une expérience humaine et artistique
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Le Centre Communautaire est installé dans cette ancienne école désaffectée et complètement délabrée. Les vieux bâtiments ont été consolidés. En 1961, une nouvelle église, ronde, dessinée par l’architecte Alphonse Abdel, est construite en sous-sol (afin de maintenir le terrain meuble), mais en 1972, elle sera transformée en ateliers. En 1967, le Centre est reconstruit par Nessim Henein5 qui s’inspire des modèles d’habitat de Hassan Fathi6. Les bâtiments entourent une cour centrale où trônent une colonne antique et un majestueux sycomore « qui avait trouvé l’eau en profondeur à travers les gravats séculaires, devenu « forêt » de la ville… Aux alentours du crépuscule, les minuscules oiseaux mouches se font entendre dans un tapage extraordinaire », nous décrit Roseline. Ce sycomore trône toujours dans la cour, hôte de multiples oiseaux. Les responsables du Grail vivent là en permanence. Très vite, elles maîtrisent la langue et établissent des relations d’amitié et de confiance avec les habitants d’Akhmîm, commerçants, artisans, communautés chrétiennes et musulmanes : le commerçant musulman, en face du Centre, ne leur sert-il pas de poste et de téléphone, les prévenant à grands coups donnés à la porte lorsqu’elles ont un appel? La beauté des bâtiments, la sérénité de la cour font de ce centre un lieu d’accueil privilégié pour les filles d’Akhmîm. Le terrible tremblement de terre de 1992 détruit ces belles constructions, et ce n’est qu’en 2003 que le Centre est reconstruit grâce au financement de l’Egyptian Swiss Development Fund : de belles coupoles, des mousharabeyas pour filtrer la lumière, un ensemble harmonieux. Ces bâtiments demanderaient à leur tour réparations et nouveaux aménagements… Les jeunes filles se déplacent dans la rue, couvertes de la birda ou melaya, long voile noir qui les couvre de la tête aux pieds, tenue traditionnelle de la femme du peuple en Egypte.
ill. 11 : deux jeunes filles en birda / two girls in their birda ill. 12 : une brodeuse arrivant au Centre / an embroiderer arrives at the Center
« La birda est pratique », nous confie une fille, « parce qu’elle me permet de quitter la maison avec mes vêtements d’intérieur, sans même me peigner les cheveux (une longue affaire…) puisqu’ils seront cachés sous la birda. Chacune de nous a des robes propres que nous portons sans birda aux occasions spéciales comme pour aller à Sohag ou à l’église ». « La birda m’aide parce que je peux voir tout le monde et que personne ne me voit. Personne ne me fixe avec attention et donc je ne me sens pas embarrassée pour marcher dans la rue ». Les jeunes filles qui allaient à l’école ne portaient plus le voile pour sortir dans la rue. Progressivement, depuis les années 70, il est réapparu. Maintenant, un voile court fait partie de l’uniforme.
Nessim Henein : architecte égyptien, né en 1937 au Caire, attaché auprès de l’IFAO, Institut Français d’Archéologie Orientale, au Caire ; il a publié de nombreux livres d’ethnographie et d’architecture. Sa thèse Mari Girgis, village de Haute-Egypte, publiée en 1988 et rééditée en 2001 est une étude exhaustive de ce village 6 Hassan Fathi : 1900-1989, architecte égyptien. Il a restauré la tradition de la construction des maisons en terre, l’utilisation des coupoles et des voûtes pour pallier le manque de bois de charpente, auteur de Construire avec le peuple (1973). Il reçoit le premier prix Nobel alternatif en 1980 5
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• Les débuts Roseline raconte : « Notre but était de contribuer à la formation de la femme, mais comment le faire concrètement ? Dans l’immédiat, nous débutions par un jardin d’enfants, une activité qui nous permettait de faire connaissance avec la ville sans engager nos choix de l’avenir. Et cela répondait aux besoins des familles pauvres de préparer du mieux possible l’entrée de leurs enfants en primaire. Deux ans plus tard, on ouvrait un « club » féminin, destiné aux jeunes filles qui n’avaient pu profiter de l’ouverture des écoles publiques7 à tous les enfants, s’adressant d’abord aux Chrétiennes, puis, plus tard, à de jeunes Musulmanes ». Gail, Joke, Roseline… sont rapidement rejointes, ponctuellement, par des amis égyptiens ou étrangers : des artistes comme Adli Rizkalla et sa femme Soheir, l’architecte Nessim Henein, Evelyne Porret, potière suisse installée au Caire, Trina Paulus, artiste américaine, douée pour les relations publiques et le commerce. Christiane Madignier, jeune française vient enseigner sa méthode très simple de coupe, Hoda Fahmi, sociologue égyptienne dont la thèse8 apporte un éclairage nouveau sur la part cachée d’épreuves et d’endurance de la vie de ces jeunes filles. Magda Gabriel, André Azzam, May Trad, Mona Zalat..., membres de l’AHEED, apportent une aide efficace. D’autres encore viennent aider et apprendre, en particulier des étudiants égyptiens, pour qui venir à Akhmîm est quasiment aborder un pays étranger. Des cours d’alphabétisation débutent. En juillet 63, elles ouvrent un dispensaire destiné aux enfants. Des conseils sanitaires sont donnés aux mamans. Elles se rendent aussi dans les villages avoisinants pour soigner une population souffrant d’une forte sousalimentation qui résulte non seulement de l’ignorance mais d’un manque criant de moyens économiques… Parmi toutes ces initiatives, les meilleurs résultats portent sur les soins des yeux, dont Gonda, infirmière hollandaise, est responsable.
ill. 13 : l’arbre de vie / the tree of life ill. 14 : Adleya TAMER
• The beginnings Roseline tells us: «Our aim was to help women realize their potential, but how were we to do this in practice? To start with, we opened a kindergarten, to help get us acquainted with the city, without necessarily limiting future choices. It answered the need of poor families to prepare their children as well as possible for primary school. Two years later we started a «club», intended for girls who had not been able to take advantage of the opening of public schools7 to all children. At first we addressed ourselves to Christians, later to Moslem girls as well». Gail, Joke, Roseline are soon helped by friends, Egyptians and foreigners: the artists Adli Rizqalla and his wife Soheir, the architect Nessim Henein, Evelyne Porret, Swiss potter in Cairo, Trina Paulus, American sculptor and writer. Christiane Madignier, a young French dressmaking teacher, who comes during her summer vacations to share her expertise. Hoda Fahmy, Egyptian student of sociology who writes her thesis8 on the women of the Center, shedding new light on the hidden trials and courage in the lives of these young women. An efficient help is given by Magda Gabriel, Andre Azzam, May Trad, Mona Zalat, ...members of the AUEED. And others come to help and learn, including many Egyptian students, for whom coming to Akmim is like the discovery of a foreign land. Literacy classes begin. In July 1963 a dispensary for children is opened, where mothers also receive health advice. The team also visits neighboring villages, and in one of them is able to foster a small school, through a gift from a group of German archeologists that stayed at the Center while studying one of the ancient cemeteries in the desert outside Akhmîm. Perhaps the most impact in the field of health was felt through the program for eye care, begun by Gonda, a Dutch Grail nurse. Un acquis de la révolution nassérienne / An achievemnent of Nasser’s revolution « Changing women in a changing society : a study of emergent consciousness of young women in the city of Akhmîm in Upper Egypt», AUC, Le Caire / Cairo, 1978
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A human and artistic experience
• The embroidery Gail describes how the embroidery project began: «We asked the girls who visited the Center what they would like to do. Two points emerged from these discussions: first of all, they wanted to get out of their houses. Whenever we asked them what they did all day, they would invariably answer: «Ana gaada fil beit» «I sit at home». At this time in Akhmîm (1960), women rarely got out of their homes, except to go to church, or to give condolences to the family of a relative who had died. (A few years later the situation began to change: for economic reasons men who had previously sworn that they would never let their wives work away from home were more than happy to marry women who were employed.) Perhaps it was for this that in the beginning they called the Center «the church» or «the Sisters», and we accepted this. Even though we were lay women, Father Ayrout had advised us to let ourselves be considered as nuns, because the concept of women living by themselves was not easy for the people of Akhmîm. Through the little schools and medical dispensaries opened by religious orders in Upper Egypt, nuns had gained acceptance and respect. The girls also expressed their desire to earn money. There were some girls in town who earned a little with their embroidery, and our new friends asked if we could start something similar. It was important to listen to them, so that is how the embroidery project began. A couple of them already knew some stitches, but the embroidery motifs they showed did not seem very interesting to us, who were discovering Akhmîm, with its magnificent weaving and the glorious history of its Coptic textiles!!! So with them we began to experiment on the cotton cloths woven in Akhmîm, and to look for the old Coptic motifs that we could reproduce or adapt, using the running stitch that covered space economically and with versatility». ill. 15 : L’Arbre de vie / The tree of life ill. 16 : La campagne / The countryside
Excursions are organized, an opportunity to get away from an enclosed world, to become acquainted with their environment and discover beauty in their surroundings. It is thus that some of the young women begin to embroider scenes of the countryside, the Nile, the everyday life of men. The group of fannaneen, the «artists», is born. The scenes that blossom under their fingers overflow with details of every day village life. Women who have never had the opportunity to let themselves be heard find here a language to express their dream of a harmonious world of peace and abundance.
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Une expérience humaine et artistique
• La broderie Gail nous raconte les débuts de la broderie : « Nous avons invité les filles à visiter le Centre et nous leur avons demandé ce qu’elles pensaient pouvoir faire avec nous. Deux points émergèrent de ces discussions : en premier lieu, elles voulaient sortir de leur maison. Chaque fois que nous demandions à l’une d’elles à quoi elle occupait ses journées, ce qu’elle faisait, elle répondait invariablement : « Ana gaada fil beit » « Je suis assise à la maison ». A cette époque, (1960) à Akhmîm, les femmes quittaient rarement leur maison. Quelques années plus tard, la situation changea : pour des facteurs économiques, les hommes, qui avaient juré auparavant que, jamais, ils n’autoriseraient leur femme à aller travailler, étaient trop heureux de demander en mariage celles qui avaient un emploi. Les seules bonnes excuses pour sortir étaient d’aller à l’église et d’aller présenter ses condoléances à la maison d’une parente qui venait de mourir… C’est peut-être pour cela qu’au début, elles appelaient le Centre « l’église » ou « les soeurs ». Bien que nous ne nous considérions pas comme religieuses, le Père Ayrout nous avait conseillé de nous présenter comme telles dans la mesure où le concept de la femme vivant seule n’était pas facile à comprendre pour les gens d’Akhmîm. Mais il y avait suffisamment de petites écoles et de dispensaires tenus par des religieuses en Haute - Egypte, et cette situation était reconnue et respectée. Elles voulaient également gagner de l’argent. Il existait en ville un groupe de filles qui gagnaient un peu d’argent en brodant, et elles nous demandèrent si elles pouvaient faire la même chose. Nous avons pensé qu’il était important de les écouter. Et c’est ainsi que le projet de broderie débuta. Une ou deux d’entre elles étaient déjà de très bonnes brodeuses. Mais les broderies qu’elles nous montraient étaient peu intéressantes : la représentation conventionnelle de motifs sentimentaux. Or nous étions à Akhmîm !!!… et ses magnifiques tissages et son passé glorieux des textiles coptes ! Aussi, avec elles, nous avons commencé à faire des essais sur les cotons tissés à Akhmîm, recherchant de beaux motifs anciens que nous pouvions adapter et copier. Et nous avons choisi le « point devant (ou de trait) » parce qu’il couvrait l’espace d’une manière économique ».
ill. 17 & 18 : brodeuses / embroiderers
Les jeunes filles sont souvent emmenées en promenade, et découvrent la beauté qui les entoure, et c’est ainsi que certaines commencent à broder la campagne, le Nil, la vie des hommes. Le groupe des « fannanin », les « artistes », est créé. Les tableaux spontanés qui surgissent de leurs mains, fourmillent de détails sur la vie quotidienne des villages. C’est aussi le langage transposé de femmes n’ayant jamais eu droit à la parole et qui expriment, là, leur rêve d’un monde harmonieux de paix et de plénitude.
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A human and artistic experience
• Le tissage En 1971, la vie sociale et économique a évolué. Les nouvelles usines attirent les hommes, qui abandonnent leurs métiers à tisser. Un nouveau défit est à relever : pourquoi ne pas introduire des métiers à tisser au Centre, pourquoi des femmes ne pourraient-elles pas tisser ? C’est ainsi qu’avec beaucoup d’émotion et d’enthousiasme, les filles assistent à la construction et l’installation de métiers à tisser au Centre; elles osent à peine croire qu’il leur est possible de toucher à un artisanat jusqu’alors réservé aux hommes. Mais, en même temps, le tissage leur est un monde très familier, presque toutes ont un père ou un parent tisserand. Fayez Mitry, un tisserand expert de la ville, accepte de venir encadrer les tisserandes. Il monte les chaînes et enseigne la technique aux filles qui, dès qu’elles la maîtrisent, l’enseignent à leur tour. Enfin, la possibilité de produire ses propres tissus, d’abord les plus simples, unis, comme support pour les broderies, puis les « double-faces », plus épais, réversibles, qui peuvent servir de couvre-lits, nappes, rideaux ! Enfin, la liberté de jouer avec les couleurs, les motifs !
• The weaving By 1971, certain social and economic changes begin to appear. Men are attracted to the new factories, and many leave their looms. A new challenge presents itself: why not introduce looms in the Center, wouldn’t it be possible for women to weave? The young women of the Center respond with enthusiasm, mixed with trepidation, to the possibility of entering into a domain hitherto reserved for men. All the same, weaving is a world with which they are familiar; almost all of them have a father or relative who is a weaver. Fayez Mitry, a proficient weaver of Akhmîm, agrees to guide the new weaving apprentices. He installs the warps and teaches the basics of weaving to the women, who, once they have gained mastery, teach others. A significant step, that opens the possibility of producing the cloth as needed, at first the simple plain weaves that serve as background for the embroideries, later the thicker double-sided fabrics, reversible, that can be used as bedspreads, tablecloths, curtains... And having the looms at the Center gives greater freedom to play with the color combinations, the motifs!
ill. 19 & 20 : tisserandes / weavers
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Former et instruire : la vie dans les années 1960
• L’éducation La grande préoccupation des responsables du Centre est l’éducation, en vue de la promotion de la femme: enseigner les techniques de base puis faire transmettre cet enseignement par les plus compétentes. Gail Malley se questionne : « Comment faire de cette activité, non seulement un moyen pour ces femmes de gagner de l’argent mais un moyen d’éducation. Comment leur apprendre à organiser le travail entre elles sans créer de jalousies, ni de suspicion, apporter la paix dans les querelles ? Ceci dans une culture où les femmes ne sont jamais rassemblées pour aucune activité, excepté dans le cercle familial, et dans une région où les inimitiés perdurent pendant des générations ? » La vie au Centre s’organise en fonction de cette priorité à l’éducation. Toutes sortes d’activités sont proposées: apprentissage de la broderie, du tissage, mais aussi alphabétisation, éducation sanitaire et soins médicaux. Apprentissage aussi du « vivre ensemble ». Vivre ensemble entre membres de communautés différentes. De nombreuses réunions ont lieu : échanges concernant le travail et la prise de responsabilités, mais aussi, échanges sur la vie en général, les relations humaines, le mariage, la religion… On raconte des histoires, on chante, et même on danse.
• Education For women to advance in this society, education was essential. The focus at the Center was to teach and train the young women, who in their turn would teach and train others. Gail Malley writes: «How can the work here become not just a way to earn money, but a path to education? How can these young women learn to work together without jealousy or suspicion, learn how to resolve conflicts among themselves, in a milieu where feuds have been known to last for generations? Women here have little experience of getting together to perform a task, other than within the confines of their own family.»
ill. 21 : la vie au Centre / life at the Center
A structure gradually emerges, in the search for ways of learning. Apprenticeship in weaving and embroidery, lessons in reading and writing, sessions on health and hygiene. Apprenticeship also in the art of living and working together, looking beyond differences between communities and individuals. Meetings, elections for the rotation of responsible positions, discussions about relationships, marriage, religion... Recreational activities: story telling, singing, even dancing.
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Former et instruire : la vie dans les années 1960
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• Les histoires Ce sont les contes qu’Adli Rizkalla, l’aquarelliste de renommée, leur raconte et qui inspirent leurs broderies ; les vieilles légendes, comme celles tirées de la geste hilalienne et des exploits de Abou Zeid al-Hilali9, les contes, tel le conte de Qaïs le « majnoûn » et Laïla : l’histoire de Majnoûn et Laila10 trouve ses racines dans la Perse de Babylone et les Bédouins la propagèrent au fil de leurs conquêtes et voyages. «Il y a bien longtemps, le beau Qaïs, fils d’une illustre famille de Bédouins, tomba éperdument amoureux de sa cousine Laïla. Le jeune homme est poète et ne peut s’empêcher de chanter son amour à tous les vents. Il exprime sans retenue son souhait d’épouser la belle Laila. Mais chez les bédouins, il est de tradition que ce sont les pères qui règlent les mariages. Le désir crié par Qaïs est une ombre sur leur autorité et ceux-ci refusent cette union. Il se sert de poèmes comme d’une arme contre le pouvoir. La famille de Laïla obtient du calife la permission de tuer l’arrogant amoureux. Le calife fait venir Qaïs et l’interroge : « Pourquoi aimes-tu cette femme qui n’a rien d’extraordinaire ? Elle est moins belle que la moins belle de mes femmes. » Et Qaïs répond : « C’est parce que vous n’avez pas mes yeux. Je vois sa beauté et mon amour pour elle est infini. » La famille de Qaïs demande Laïla en mariage contre cinquante chamelles. Mais le père de Laïla refuse. Qaïs perd la raison. Son père l’emmène à la Mecque pour qu’il retrouve ses esprits mais le jeune homme entend une voix qui lui crie sans cesse le prénom de son amour. Son obsession est telle qu’on l’appelle alors le « majnoûn » , le « fou » de Laïla11. Un jour que Majnoûn est tranquillement chez lui, rêvant à son amour, un ami vient le prévenir que Laïla est devant sa porte. Le poète fou a pour seule réponse : « Dis-lui de passer son chemin car Laïla m’empêcherait un instant de penser à l’amour de Laïla. » Quelque temps plus tard, Laïla se maria et partit vivre dans le désert avec les animaux sauvages. Certains prétendirent l’avoir vu manger de l’herbe avec les gazelles. Un jour, on découvrit le corps de Qaïs inanimé, protégeant un ultime poème dédié à son amour.» L’histoire, selon Adli, se terminait par le beau mariage de Qaïs et Laïla…
• Stories Artist friends of the Center, especially Adli Rizqalla, well-known Egyptian water colorist, inspired the artist embroiderers with their encouragement and their stories: old folk legends, drawn from the Hilalian lore with the exploits of its hero Abou Zeid el Hilali9, Qais the «majnoûn» and Laila10, which has its roots in Persian Babylon and was propagated by the Bedouins throughout their voyages and conquests. «Once upon a time Qais, the handsome son of an illustrious Bedouin family, fell hopelessly in love with his cousin Laila. He was a poet, and could not help singing out his love day and night. He made no secret of his wish to marry the beautiful Laila. But for the Bedouins, tradition dictated that fathers arrange the marriage of their sons. The desire proclaimed by Qais was a shadow cast on their authority, and they refused to sanction this union. Qais used his poems as a weapon against authority. The family of Laila obtained permission from the caliph to kill the arrogant suitor. The caliph summoned Qais and asked him, «Why do you love this woman, who has nothing out of the ordinary? She is less beautiful than the least beautiful of my wives.» And Qais answered: «It is because you don’t have my eyes. I see her beauty, and my love for her is infinite.» The family of Qais asked for Laila in marriage, offering her family 50 camels. But Laila’s father refused. Qais went out of his mind with grief. His father took him to Mecca to regain his sanity, but the young man kept hearing a voice which called to him ceaselessly the name of his beloved. His obsession was so great that he was called the «majnoûn», the madman of Laila. One day when Majnoon was at home, peacefully thinking of his beloved, a friend came to tell him that Laila was at his door. The mad poet’s only answer was : «Tell her to go on her way, because Laila would keep me for a moment from thinking of the love of Laila». Sometime after this, Laila married and went to live in the desert with the wild animals. There are those who say they saw her eating grass with the gazelles. One day the body of Qais was found, protecting under it his last poem, dedicated to his beloved.» The story, according to Adli, ended by the beautiful wedding of Qaïs and Laïla… ill. 22 : le conte de Qaïs et Laïla / the story of Qaïs and Laïla , Ferial AHMED - 2003
Abou Zeid al-Hilali, chef de la tribu des Hilaliens (Xe siècle) / chief of the Hilalian tribe (tenth century) Sources : Wikipedia, Planète Islam. Voir aussi l’article dans : la revue de Téhéran n° 12, nov 2006, où l’amour de Qaïs atteint l’amour mystique 11 Voir : Aragon : le fou d’Elsa : Chants du Medjoûn p 71 (nrf) 9
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• Le théâtre C’est surtout avec Hoda Fahmi, qu’elles organisent plusieurs petits spectacles, et qu’elles se donnent pleinement : « Elles créaient souvent des sketches avec des thèmes pris de situations de la vraie vie. C’était intéressant d’observer dans ces pièces de théâtre à la fois leur loyauté envers les vieilles traditions, leur amour des valeurs ancestrales, et leur critique à la fois acerbe et humoristique », note Hoda dans sa thèse, p. 28.
Theater: The women enjoyed theater, and would create their own plays , into which they
threw themselves totally. They were encouraged by Hoda Fahmy, who wrote in her thesis, p. 28: «They often created plays with themes taken from among real life situations. It was interesting to observe in these plays the double movement of love and loyalty to the old values and criticism of them that was often as sharp as it was humorous.»
• Les promenades Ce sont celles faites à l’extérieur de la ville, dans la campagne ou dans le désert, apprentissage du regard, de l’émerveillement, sources de l’inspiration.
Excursions: An opportunity to go out of the city, to the countryside or the desert. Seeing things in a new way, experiencing wonder, finding sources of inspiration.
• L’autonomie
ill. 23 : représentation théâtrale / an early theater production ill. 24 : promenade à dos de chameaux / a camel ride ill. 25 : la gestion des fils / distribution of embroidery thread
De nombreuses responsabilités sont confiées aux jeunes femmes, à tour de rôle, pour une durée de quatre mois : gestion des fils à broder, du tissu, du coton, de l’atelier de menuiserie pour l’encadrement des tableaux, du lavage, du repassage, etc. Pour chaque responsabilité, elles reçoivent une faible rétribution qui leur permet d’améliorer l’ordinaire de leur famille. Elles apprennent aussi l’autonomie par une libre organisation du temps : elles n’ont pas un horaire fixe, car la plupart, même non mariées, ont la charge de leur famille. Les brodeuses, une fois le motif décidé, le tissu sur lequel elles vont broder et les fils choisis, peuvent prendre leur ouvrage à la maison. « C’était bien le but recherché » note Denise Ammoun12 « leur donner les moyens d’améliorer leur condition humaine et financière, sans bouleverser leur mode de vie ». Mais elles aiment rester au Centre, où elles peuvent bavarder, échanger leurs soucis, demander conseil, et rire librement : besoin de parler, de vivre en communauté, d’exprimer les rêves enfouis !
Autonomy: The young women take on various responsibilities, taking turns of four months at a time: distributing and keeping records of the embroidery thread and cloth, running the carpenter shop for the making of frames, being in charge of materials needed for washing and ironing the finished embroideries, etc... For each responsibility they receive a small stipend,that they are able to contribute toward the well-being of their families. They learn autonomy also through the freedom to organize their own time: there are no fixed hours, in view of the fact that most of them, even those who are not married, have duties at home. The embroiderers, once they have decided what they will embroider and have chosen their cloth and embroidery thread, can take their work home. As Denise Ammoun11 writes: ‘‘That was the intention: to give them the means of bettering their human and economic circumstances, without upsetting their whole way of life.’’ But they also enjoy working at the Center, where they can talk with one another, share their concerns, ask advice, and laugh without constraint: there is a need to be with others, to belong to a community, to express hidden dreams! Denise Ammoun, historienne et journaliste égyptienne, Egypte des Mains magiques, IFAO, Le Caire, 1983, p30 / Denise Ammoun, Egyptian historian and journalist, Egypte des Mains magiques (Egypt of the Magic Hands) IFAO, Cairo, 1983, p30
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• Les débouchés Mais quels débouchés trouver à toutes ces productions ? Localement, il n’y a pas de marché possible. En 1963, grâce au soutien des Jésuites, une petite place leur est confiée au Collège de la Sainte Famille au Caire, lors d’une exposition des céramiques de Garagos, inaugurée par Madame le Dr Hekmat Abou Zeid, ministre des Affaires sociales. Le succès est immédiat et enthousiaste, ce qui constitue un grand encouragement pour les jeunes femmes. Après les Jésuites, c’est l’église grecque catholique Sainte Marie de la Paix, à Garden City au Caire, qui les accueille dans ses locaux, exposition inaugurée par la ministre des Affaires sociales Dr Aicha Rateb. Chaque année, une exposition a lieu au Caire ou à Héliopolis et Alexandrie. La tradition s’en perpétue jusqu’à nos jours, dans les locaux de l’Association de la Haute-Egypte pour l’Education et le Développement, à Daher. Elle fait partie des évènements majeurs de la capitale, attirant Egyptiens et étrangers, toujours étonnés et ravis de la qualité de la production des femmes d’Akhmîm. Elle est toujours inaugurée par le ministre des Affaires sociales. La diffusion à l’étranger se fait grâce aux associations française, canadienne, hollandaise, italienne, belge qui soutenaient et soutiennent toujours l’Association. La beauté de ces tissages et de ces broderies, l’amitié tissée avec les tisserandes ont été telles que, à partir des années 93 « les Amis de la Haute-Egypte »13 ont organisé plusieurs expositions à Paris et en province. Une magnifique exposition, « Femmes et Fils d’Egypte », a été notamment organisée en 1996 à l’UNESCO à Paris14.
Outlets: But where to find outlets for all these products? There is no local market for them.
ill. 26 : exposition au Caire / exhibit in Cairo ill. 27 : exposition des tissages / exhibition of weaving
In 1963, thanks to the support of the Jesuits for the project, they are given a small space in an exhibit of ceramics from Garagos at the Jesuit school in Cairo, inaugurated by the Minister of Social Affairs, Dr. Hikmat Abou Zeid. The embroideries are an immediate and enthusiastic success, a great encouragement for these young women. After the Jesuits it is the Greek Catholic Church of Our Lady of Peace that welcomes them in its halls, for an exhibit inaugurated by the Minister of Social Affairs, Dr. Aisha Rateb. Each year an exhibit takes place in Cairo or Heliopolis. There are also occasional exhibits in Alexandria. The tradition of the yearly exhibit continues to this day, on the premises of the Association of Upper Egypt for Education and Development, in Cairo at Daher. It is still inaugurated by the Minister of Social Affairs.
Some of the products have been sold abroad, thanks to French, Canadian, Dutch, Italian and Belgian associations that support the Association of Upper Egypt. The beauty of these embroideries and weavings and the friendship woven with the weavers over the years has led to the organization of several exhibits in Paris and the provinces, by the «Friends of Upper Egypt»13, starting in 1993. The most notable of these was the exhibit Femmes et Fils d’Egypte («Women and Weaving in Egypt»), organized in 1996 at UNESCO in Paris14.
13 Association française créée en 1987 pour soutenir l’association égyptienne / French association created in 1987 to support the Upper Egypt Association 14 Voir infra «Regards» de Claudine Pézerat p. 105 / see below: Claudine Pézerat’s tribute p. 105
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ill. 28 : groupe de brodeuses et tisserandes au Centre dans les annÊes 90 / group of embroiderers and weavers at the Center in the 1990’s
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• Bilan La mission, que le Père Ayrout avait confiée en 1960 aux responsables, a été menée avec succès. A partir d’une école désaffectée et d’une église en ruine, ces femmes ont construit un centre d’artisanat, un centre d’alphabétisation et un dispensaire pour les habitants de la ville. Des jeunes filles qui n’avaient jamais été scolarisées ont appris à lire et à écrire, certaines même ont passé des examens d’Etat. Des femmes qui ne sortaient jamais de chez elles, ont trouvé un lieu d’accueil où elles peuvent parler, communiquer avec les autres. Elles ont découvert qu’elles avaient des talents. Elles ont pris confiance en elles. Elles ont appris à transmettre aux plus jeunes ce qu’elles savent. Elles ont un métier et elles contribuent, souvent de manière essentielle, aux revenus de la famille ; leurs enfants peuvent poursuivre leurs études, aller à l’université, espérer avoir une vie moins misérable. Elles ont appris la rigueur, le travail bien fini, à gérer une production, à être responsables d’un projet. Elles ont découvert qu’elles contribuaient à la mise en valeur d’un artisanat dans la lignée des traditions millénaires de leur ville, un artisanat apprécié non seulement en Egypte, mais aussi à l’étranger.
• Summary From an abandoned school in a courtyard filled with the ruins of the old Franciscan mission, a center was built, with literacy lessons, a medical dispensary for the town, a renewal of the old traditions of weaving and embroidery. Young women who had not gone to school learned to read and write. Some went on to high school, two finished college. Women who had been housebound found a place that welcomed them, where they could talk and share their thoughts with others. They discovered that they had talents, and gained confidence in themselves. They learned that they could teach others what they knew. They had a skill, and they contributed, often substantially, to the family income. Their children were able to go to school, to university, and to hope for a better life. They learned discipline, the value of a job well done. They gained skills in managing the Center’s production, assumed responsibilities for the project. They learned that they were contributing to the appreciation of a craft with a tradition of thousands of years in their city, and appreciation not only in Egypt but in the world beyond.
ill. 29 : récréation / recreation
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Former et instruire : la vie dans les années 1960
• Le départ des responsables du Grail en 1981 et ses conséquences Mais, au fil des ans, l’une après l’autre, les responsables du Centre ont quitté l’Egypte. Le projet, qui concernait 140 filles pour lesquelles ce revenu, même très modeste, restait essentiel, devait impérativement se poursuivre. Il fallait se rendre à l’évidence : malgré toutes leurs qualités, leur courage et leur volonté, des femmes, en Haute-Egypte, ne pouvaient gérer, seules, la production, la distribution, la vente de leurs œuvres. C’est alors que l’Association de la Haute-Egypte pour l’Education et le Développement (AHEED), qui dès les débuts avait épaulé et soutenu le projet, prit la relève. Des visites régulières se mirent en place avec les responsables du Caire, qui s’efforçaient, pendant leurs courts séjours, de poursuivre l’œuvre de leurs amies du GRAIL. Le travail de ces créatrices se perpétua et les expositions annuelles au Caire eurent toujours autant de succès. Malgré les difficultés rencontrées par l’AHEED qui a à gérer, entre autre, 35 écoles primaires, une soixantaine de dispensaires, un autre centre artisanal pour le travail du bois à Hagaza,… le centre d’Akhmîm continue à exister, les femmes à broder et à tisser …
ill. 30 : déjeuner pris en commun au centre autour de May Trad / the young women share lunch at the Center with May Trad
Et c’est ainsi que, maillon de l’histoire millénaire du tissage et de la broderie égyptiennes, ce travail des femmes s’est initié et se perpétue grâce à cette expérience sans pareil, et que l’éveil des femmes à leur propre valeur et à leur autonomie est rendu possible : cette histoire d’Akhmîm, c’est une histoire incroyable de réussite, de libération, qui a porté ses fruits.
• The departure of the Grail team in 1981 and its consequences Over the years members of the Grail team left Egypt. By 1981 the project involved 140 young women, for whom what they earned through the Center, however modest, was essential. It was imperative that the project continue. What had to be faced was that women in Upper Egypt, in spite of all their skills and strengths, could not manage by themselves the whole process of production, distribution and marketing. It was agreed that the Association of Upper Egypt for Education and Development, which from the beginning had sponsored and supported the project, would take over. Regular visits were scheduled by members of the Association, who endeavored, during their short stays in Akhmîm, to follow up the work that their friends, the Grail team, had put in place. So the work went on, and the annual Cairo exhibits had as much success as ever. In spite of the difficulties the Association faces in the administration of 35 primary schools, 60 dispensaries, a center for carpentry crafts in Hagaza, the Center in Akhmîm continues to exist, the women are still weaving and embroidering, and the work continues to this day, a precious link in the age-old history of Egyptian weaving and embroidery. The embroideries and weaving reproduced in this book are a tribute to the depth and beauty of the women who created them.
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Le fil des femmes : • La broderie • Le tissage Thread of the women’s lives: • •
Embroidery Weaving
• Jeanne Paule Maury, Claudine Pézerat, Adel Boulad • Antoinette Henein La description des broderies, dans leur grande majorité, a été faite par Claudine Pézerat. Celle de « La danse des bâtons » a été faite par Adel Boulad, grand spécialiste du Tahtib, ou danse du bâton. L’article a été rédigé par Jeanne Paule Maury / Most of the embroideries have been described by Claudine Pézerat. Abou Zeid stick dance, was described by Adel Boulad, expert in Tahtib. The chapter was written by Jeanne Paule Maury.
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ill. 1 : détail du point devant ou point tiré / running stich: detail
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La broderie
• La broderie La broderie, à proprement parler, apparaît très rarement dans les textiles coptes anciens. Elle pouvait intervenir, après le tissage, pour rehausser le décor. Cependant, c’est par la broderie que commença l’aventure du Centre Communautaire, avec un point que Mariam, une des premières femmes venues au Centre, connaissait, un simple point de reprise, appelé aussi point devant (ou point tiré) : on passe l’aiguille sur le tissu et sous le tissu, en ne laissant qu’un ou deux fils entre deux points ; le fil passé en dessous est à peine visible. Utilisé en décalage et en rangs serrés, ce point permet de couvrir tout l’espace d’une manière rapide et économique. Les brodeuses en herbe se sont vite approprié ce point, et l’ont utilisé avec une précision délicate pour les broderies dites « classiques » et plus tard, d’une manière plus souple pour leurs broderies spontanées, où les fannanin, les « artistes » laissent libre cours à leur imagination. C’est une femme du village voisin qui leur a enseigné un autre point, ghorza al-taqeya, utilisé pour les calottes des enfants : le point lancé, qui sera très utilisé au Centre pour décorer nappes et napperons.
• Embroidery Embroidery, as such, appears rarely in the ancient Coptic textiles. Sometimes, after a motif was woven, it would be used to enhance the design. However, it is with embroidery that the Community Center began, with a stitch that one of the women, Mariam, knew, a simple running stitch, that picks up only one or two threads between stitches as it runs across the cloth. When done in close rows it is possible to cover a space fairly rapidly and economically (the thread on the underside of the cloth is barely visible, so all the thread on the surface is used to maximum effect). The young women learned the stitch quickly, and used it with exquisite precision on the «classic» embroideries, and later on their own designs more swiftly, and often with a bit of artistic abandon. Another stitch, «ghorza al taqeya» was learned from a woman in a neighboring village who had used it to embroider her son’s cap. It was used at the Center to decorate tablecloths and place mats. ill. 2 : détail d’une broderie dite « classique » / “classic” embrodery ill. 3 : le point lancé / ghorza el taqeya stich
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ill. 4 & 5 : reproduction du motif sur le tissu à broder / reproduction of motif on a piece of cloth
Embroidery
ill. 6 : copie de motifs coptes / copy of a Coptic motif ill. 7 : copie de motif végétal / copy of a leaf motif
ill. 8 & 9 : femme brodant une nappe avec un motif copte / embroidering a tablecloth with a Coptic design
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La broderie
• La broderie dite « classique » Tout d’abord, ce sont les motifs coptes anciens qui servent de modèle et sont copiés et simplifiés. Le motif est décalqué sur une feuille de papier transparent. Celle-ci est ensuite placée sur plusieurs feuilles de papier fixées ensemble de façon à ce qu’elles ne glissent pas. Puis au moyen d’une aiguille, on perfore l’ensemble des feuilles suivant le dessin, afin d’obtenir plusieurs copies du même modèle. Chaque feuille est alors posée sur le tissu à broder sur lequel le motif se dessine en pointillé en faisant pénétrer de la poudre de charbon à l’aide d’un tissu enduit de kérosène. Brodées sur une toile de coton unie, tissée à l’origine par les artisans d’Akhmîm, puis, depuis 1971 directement dans les ateliers du Centre, les broderies sont, en fait, inspirées des motifs des tissages ou tapisseries coptes du IVe au IXe siècle... Eux-mêmes, s’inspirent de l’iconographie païenne, gréco-romaine, qui perdura bien après 380, date de la proclamation du christianisme comme religion d’état. Les motifs changent de signification avec le temps. La vigne est transformée en arbre de vie, le cavalier devient le Saint luttant contre le mal, les animaux, tels le poisson, le paon, le lion, le lièvre aux longues oreilles, chargés de symboles, prennent vie sous les doigts habiles des brodeuses… Les fruits stylisés, les végétaux, les motifs géométriques, les entrelacs, souvent repris dans les décors islamiques, sont également copiés, utilisés comme élément principal de décoration ou pour entourer d’autres motifs. Les jeunes femmes, sans connaître toute la richesse de ces symboles, copient avec habilité ces modèles anciens pour leur beauté décorative, partie de leur histoire.
• The « classic » embroidery
ill. 10 : copie de motifs coptes / copy of a Coptic motif
First of all, the old Coptic motifs are copied or adapted, then drawn on a piece of paper. The drawing is then placed on several sheets of transparent paper. One sheet of the transparent paper is placed on top of the design. After the papers have been clipped together securely, a pin is used to prick the design through them. The sheets thus all contain pricked copies of the design. One of the copies is then laid on the embroidery cloth, then transferred onto it by rubbing powdered carbon through the pinpricks with a cloth dipped in kerosene. The motifs are embroidered on a cloth of one color, woven at first by the artisans of Akhmîm, then from 1971 on woven at the Center. The designs are inspired by the motifs adorning Coptic fabrics woven from the 4th to the 9th century, which in their turn were inspired by pagan and greco-roman iconography, whose influence lasted well past 380 A.D., date of the proclamation that declared Christianity the state religion. The vine is transformed into tree of life, the knight becomes the saint who battles against evil; fish, peacock, lion, long-eared hare, all charged with symbolism, come to life under the nimble fingers of the embroiderers... The stylized fruits, vegetables, flowers and geometric motifs in their interlacing chains are also reproduced, either as main decorative element , or to frame other motifs. These young women, without knowing all the richness of these symbols, have given us a gift, faithfully transmitting this legacy through their beautiful embroidery.
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Embroidery
ill. 12 : broderies simples avec des animaux / simple embroideries with animals
ill. 11 : La fuite en Egypte / The flight into Egypt
ill. 13 : Adam et Eve tentés par le serpent / Adam and Eve tempted by the snake
ill. 14 : le Paradis terrestre / Garden of Eden
ill. 16 : poule et poussins / hen and chicks
ill. 17 : chats / cats
ill. 15 : La fuite en Egypte / The flight into Egypt
La broderie
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• La broderie FANN, ou broderie « d’art » spontané Bientôt, certaines des jeunes femmes ont le courage d’essayer leurs propres dessins. Le regard que les responsables leur fait porter sur leur environnement, en particulier Trina Paulus, une amie de passage sculpteur et peintre, ouvre de nouveaux horizons pour leur broderie et leur donne confiance dans leur capacité à être des artistes. Ainsi, celles qu’on appellera les fannanin, les artistes, utilisant, elles aussi, le point de reprise ou point devant et toute la palette des couleurs des fils DMC, se mettent à broder. Tout d’abord, elles jettent sur le tissu des dessins spontanés très simples, mettant en scène des personnages ou des animaux, sans paysage ni décor. Denise Ammoun1 a observé ce travail de création : « Craie en main, elle trace sur le tissu une sorte d’esquisse. Une maison apparaît, ou un animal, une fleur immense. Si le travail ne satisfait pas la jeune artiste, elle secoue le tissu. Le dessin à la craie s’estompe, et elle recommence. L’usage de la craie facilite, justement, cet acte. On sent qu’il y a un effort de composition, de recherche, que l’artiste ne se contente pas de replacer sur la toile son monde familier, et tente aussi de ne pas se laisser influencer par le dessin qu’exécute sa voisine. Quand son œuvre finira par lui plaire elle choisira les fils de couleurs nécessaires et commencera à broder. On réalise alors que le dessin n’est pas un tracé définitif mais plutôt un thème général. En cours de route chaque brodeuse enrichit son croquis initial de mille détails fantaisistes : fleurs, oiseaux, chiens, canards…ou même de petits personnages dictés par l’inspiration ». D’autre part, inspirées par l’enseignement religieux qu’elles reçoivent à l’église, certaines interprètent des scènes tirées de l’Ancien Testament, telles la création ou le jardin d’Eden, ou bien du Nouveau Testament : la fuite en Egypte, les Rameaux… Elles laissent libre cours à leur imagination et expriment, avec fraicheur et simplicité, leur vision de ces scènes bibliques. Bientôt, elles se mettent à broder le monde qui les entoure : les animaux qui vivent sur leurs toits, chats, coqs et poules, leur vie chez elles et à l’extérieur, la fabrication du pain, le marché, leur vie au Centre, les fêtes religieuses. Akhmîm est bordé par la campagne et le Nil, les canaux et le désert, elles brodent les travaux des champs, la cueillette du coton, le ramassage des oranges, des betteraves, le paysan foulant le blé juché sur son nourag, ce hache-paille qui sépare l’épi de la paille, tiré par les gamousses ou bufflesses, les pêcheurs au bord du Nil, les arbres, les oiseaux.
• «FANN», the self-designed embroideries of the «artists»
ill. 18 : fabrication du pain / the making of bread, Noura Khalaf - 2010 (32 x 31cm) ill. 19 : la pêche / fishing, Mariam Azmi - 1975 (55 x 65 cm) ill. 20 : le nourag / the nurag, Atteyat Mitri - 1975 (36 x 64 cm)
Soon, some of the young women have the courage to try their own designs, encouraged by a visiting sculptor and painter, Trina Paulus, who urges them to look at their environment as a source of inspiration and affirms their ability to be artists. The embroiderers called «fannaneen» , the artists, also use the running stitch, with the entire palette of DMC floss colors. In the first years their embroideries are simple, spontaneous designs, portraying people or animals with very little background scenery or other embellishment. Denise Ammoun1 describes this work of creation: “Chalk in hand, they make a quick sketch on the fabric. A house appears, or an animal, an immense flower. If the young artist is not satisfied, she shakes the cloth. The chalk drawing fades, and she starts over. Using the chalk makes this easier. One feels that there is an effort at composition, at exploration, that the artist is not content just to stay with what is familiar. There is also an effort to avoid being influenced by the work of another. When she is finally content with her sketch, she chooses the necessary colors of floss, and begins to embroider. Then it becomes clear that the design is not definitive, only a general guide. As she goes, the embroiderer enriches her original sketch with a thousand imaginative details: flowers, birds, dogs, ducks; she may even people them with small figures of men or women, as fancy dictates”. Some of the women are inspired by the religious instruction they receive at church to embroider religious scenes: the Creation, or the Garden of Eden, the sacrifice of Abraham, the Flight into Egypt, Palm Sunday… The liveliness of their imagination infuses these familiar scenes with freshness and simplicity. The «fannaneen» embroider the world around them: the animals that live on their roofs, cats, chickens and roosters, their life inside and outside the home, the making of bread, the market, their life at the Center, religious feasts... Akhmîm is surrounded by the countryside and the Nile, the canals and the desert. They embroider the labor in the fields, the cotton harvest, the picking of oranges, beets, the peasant perched on his nurag (the thresher that separates the wheat from the chaff), pulled by his gamoussas (water buffaloes), the fishermen on the shores of the Nile , the trees, the birds. 1
op .cit p 30
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Embroidery
ill. 21 : La vie des paysans / The peasant’s life, Enam Awad - 1998 (26 x 66 cm)
ill. 22 : Le monde devant moi / The world in front of me, Mariam Azmi - 1998 (82 x 80 cm)
ill. 25 : Noria et Nourag / Noria and Nurag
ill. 23 : La vie du village / Country life, Mariam Sidraq - 1974 (87 x 57 cm)
ill. 24 : La route de Sohag / On the way to Sohag, Anaam Awad - 1979 (45 x 97 cm)
ill. 26 : L’île / The island, Marie Ramzi - 2010 (33 x 34 cm)
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La broderie
Petit à petit, leur style s’est affirmé, et leurs broderies laissent transparaître leurs aspirations pour un monde idéal de paix et d’harmonie entre les êtres, un monde de tendresse et de plénitude, figuration du paradis? Elles qui possèdent si peu, c’est l’abondance des récoltes, de la création qu’elles brodent. Les tableaux, très épurés du début, peu à peu se remplissent de détails, de couleurs, toute la surface de la toile est brodée, retrouvant en cela cette peur du vide caractéristique des tissus coptes. Un grand sens de la composition se dessine : composition en cercle, comme les médaillons des tissus coptes, composition en plans parallèles, composition en diagonale, qui donnent du mouvement à la scène, composition en courbe ou en zigzag permettant, entre chaque changement de direction, de placer différentes scènes simultanées de la vie du village. Composition en « bande dessinée », comme dans certaines icônes où le tableau est divisé en petites scènes, décrivant la vie du village ; pas de perspective dans ces tableaux, mais un jeu de registres où les personnages du premier plan (en bas) sont plus petits que ceux du dernier plan (en haut). (ill. 21 - 24) Le jeu des couleurs est assez exceptionnel, les feuillages des arbres peuvent utiliser tous les tons de vert possibles, quelques touches de rouge et de jaune les éclairant de lumière. L’eau est un chatoiement de bleus, qui la font onduler : les îles semblent voguer sur le Nil. La représentation des animaux, les gamousses en particulier, la tête de face, souvent les yeux bleus, est aussi caractéristique, et relève d’une tradition qu’elles ignorent, sans doute. (ill. 25 - 26)
Little by little they gain confidence in their abilities, their own styles. Their embroideries reveal aspirations for an ideal world, full of peace and harmony, of tenderness and fullness, a foretaste of paradise? These young women of few possessions depict the abundance of harvests, of all creation. Their depictions, stark and simple at first, gradually become full of details, colors, filling the entire surface of the cloth, a reminder of the aversion to emptiness characteristic of Coptic fabrics. A feeling for composition develops: composition within a circle, like the medallions of Coptic textiles, compositions with parallel levels, compositions on the diagonal, to give movement to a scene, composition on a curve, or zigzag, to permit the placing of different scenes simultaneously. Composition in parallel bands, (a bit like certain icons where the picture is divided into little scenes) describing village life ; these pictures do not obey the laws of perspective, but there is a playful exploration of relationships where the figures of the foreground, at the bottom of the picture are smaller than those of the background. They play with the colors, using every possible shade of green in the leaves of the trees, with touches of red and yellow lights. Water shimmers with tones of blue, that bring out the movement of waves. Islands seem to sail on the Nile. The depiction of animals, especially the gamoussas, with the face to the front, unconsciously echoes a tradition.
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ill. 27 : Une fête / A festival, Mariam Azmi - 1991 (67 x 67 cm)
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La broderie
These Nile women look at nature in the same way that Nile inhabitants of pharaonic times looked at it. As we look at their depictions of processions of animals, fish dancing in the Nile, work in the fields, it is sometimes striking to find similarities to the scenes depicted in the tomb of Ty at Saqqara, the tombs of the Nobles in Deir-el Medina, or the illustrative vignettes in the papyrus of the Book of the Dead. Some embroideries remind us of depictions of gardens in pharaonic Egypt. We feel a similar sensitivity in their relationship to the beauty around them. There are two or three examples of gardens where trees encircle a pool of water. In the tomb of Rekhmire (in the Louvre) the crowns of the trees are turned outward. In another example, the tomb of Nebamon (at the British Museum), the trees along the length of the lake turn their crowns toward the water. Some of the embroideries particularly captured the interest of Claudine Pézerat, who is herself an artist. (see below «Regards» p. 105) «In an effort to understand better the universe of these embroidered scenes, we have chosen a few of them to consider colors, composition, skill, themes. We quickly realize that the more we study them the more we are fascinated by the terrain, discovering, through the talent of these unselfconscious young artists, an exciting world of art, intelligently focussed. So, with «The night», «The Buffalo», «Orange Picking», «The Market Street», «The Norias of Fayoum», with Camellia, Nadia, Mariam, Eqbal, Nawal, Amira, and so many others, let us venture into this world!»
ill. 28 : Le mûrier / The mulberry tree, Naanaa Adib - 2009 (50 x 61 cm), détail / detail
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Ces femmes du Nil jettent sur la nature le même regard que les habitants du Nil de l’époque pharaonique pour le même environnement, et il est frappant, parfois, de trouver des similitudes dans ces défilés d’animaux, ces poissons qui dansent sur du Nil, les différentes activités dans les champs, avec les scènes représentées dans la tombe de Ty à Saqqara, dans les tombes des Nobles à Deir al-Medineh ou sur les vignettes des papyrus du Livre des Morts. Certains travaux semblent avoir une lointaine résonnance avec les représentations de jardins dans l’Egypte pharaonique. Bien qu’il n’existe pas de relation directe ni de tradition correspondante, une même sensibilité se ressent dans la représentation des paysages ; il y a deux ou trois exemples de jardins où des arbres entourent une étendue d’eau. Dans la tombe de Rekhmirê (au musée du Louvre) les sommets des arbres entourant l’étendue d’eau sont dirigés vers l’extérieur. Dans un autre exemple, la tombe de Nebamon (au British Museum), les arbres, côté largeur du lac dirigent leurs sommets vers l’eau. Les brodeuses ont su combiner le plan et l’élévation ainsi que la face et le profil pour rendre la composition le plus lisible possible. Elles représentent les choses non telles qu’on les voit mais telles qu’elles sont. C’est en ceci qu’elles utilisent les mêmes principes que ceux du dessin pharaonique. Certains tableaux brodés ont particulièrement retenu l’attention de Claudine Pézerat, artiste elle-même : (Voir aussi infra « Regards » p. 105) « Afin de mieux pénétrer l’univers de ces tableaux brodés, nous avons essayé une étude avec quelques scènes choisies en spécimens de compositions, couleurs, exécution, thèmes. Nous avons vite compris que plus on lit ces broderies plus on découvre d’intérêt pour ce pays, et à travers le talent de ces jeunes artistes qui s’ignorent, une œuvre passionnante et intelligemment ciblée. Alors, avec « la nuit », « la bufflesse », « la cueillette des oranges », « la rue du marché », « les norias du Fayoum » ou avec Camelia, Nadia, Mariam, Eqbal , Atteyat, Nawal ou Amira et tant d’autres brodeuses, entrons dans la danse! »
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La nuit
/ Night Eqbal Tewfiq - 1970 (81 x 91 cm) Etrange et originale interprétation d’une nuit d’insomnie. La lune, dans l’angle supérieur gauche de la composition, se présente sur fond brun foncé semé d’étoiles, comme une gueule ouverte. Les formes bizarres ou indécises du paysage et les bêtes qui sortent la nuit sont présentes : serpents, scorpions, chats, quelques oiseaux qui volètent, arbres sur fond noir, poissons dans la mare. Couleurs sourdes… La nuit égyptienne est ici plus inquiétante que poétique. Mais c’est aussi le désert qui est représenté, avec le rocher qui découpe la nuit et les bêtes qui y vivent, en contraste avec les représentations des bords du Nil, si paisibles. Le désert, c’est le danger, l’inconnu, où les bêtes sauvages, et les afarit (les diables) rôdent.
Strange and original interpretation of a sleepless night. The moon (in the upper left hand corner of the composition) appears, like an open jaw, on a dark brown background sprinkled with stars. The vague, bizarre shapes and animals that come out at night present themselves: serpents, scorpions, cats, a few fluttering birds, trees on a black background, fish in dark waters. Dull colors... The Egyptian night here is eerie rather than poetic. The desert is depicted here too, with the boulder jutting into the night, the creatures that inhabit it, a contrast to the peaceful depictions of Nile shores. The desert spells danger, the unknown, where wild animals and afarit (demons) roam.
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Bufflesse et verdure
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/ Buffalo and grass
Camelia Wadie - 1973 (25 x 36 cm)
Sur fond bleu marine signifiant l’eau, la bufflesse, nommée gamoussa en Egypte, impose sa masse noire et brune en plein centre de la broderie devant les herbes hautes qui n’arrivent pas à la cacher. Tête basse aux yeux ronds, elle regarde le passant, immobile. Les herbes qui l’entourent sont traitées ici avec un point léger, beige clair. Très forte expression d’un animal familier dans les villages de la campagne d’Egypte, fournissant un lait crémeux et abondant qui donne beurre et fromage, utile par sa force pour tirer des attelages divers ou labourer. Bonne utilisation des couleurs et du point devant (ou de trait) bien serré pour le corps de la bufflesse et léger pour les herbes qui l’entourent. La masse de l’animal est parfaitement représentée ainsi que son expression.
On a dark blue background representing water, a buffalo, called «gamoossa» in Egypt, imposes her black/brown bulk in the center of the embroidery. The tall grasses around her do not hide her. With lowered head and round eyes, immobile, she looks at us. The grass is treated delicately, in light beige stitches. Strong presentation of a familiar animal in the Egyptian countryside, that gives an abundant, creamy milk and cheese, and serves as a strong beast of burden and labor. Good use of colors, and of the running stitch, compacted for the body of the buffalo, light for the surrounding grasses. The heaviness of the animal’s body is perfectly conveyed, as well as her expression.
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La rue du marché
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/ The market street
Mariam Azmi (100 x 34 cm)
Intéressante composition rectangulaire étroite, en hauteur, avec la rue zigzagante du village, un jour de marché. Les scènes animées s’inscrivent dans le creux des courbes où les gens se rencontrent, avec les paniers, les bêtes, et la végétation. Au premier plan en bas, une scène typique des villages : la confection des cagettes en tiges de palmier. Au-dessus, une scène de marché, il n’y a que des hommes, en galabeya (large tunique traditionnelle). Au-dessus, une femme en train de donner à manger à une gamousse. Puis, un berger rentre sa chèvre en longeant la palmeraie ; on retrouve ensuite une scène de marché : des femmes proposent leurs volailles aux acheteurs, et enfin, en haut, nous arrivons au village, caché sous les palmiers. Grande animation. Fond rouge foncé. Composition équilibrée par le dessin de la route. Belles couleurs orangées, dessins précis, le tout très chaleureux. Les personnages sont ici très bien représentés, ce qui n’est pas toujours le cas. Interesting composition, a long, narrow vertical rectangle, with the zigzagging street of the town on market day. Lively scenes in the curved spaces: people meeting, baskets, animals, plants. In the foreground below, a market scene, men only, in galabeyas (traditional, flowing garment). Above, a woman feeds a gamoussa. Then a shepherd guiding his goats along a palm grove; next a market scene: this time there are women, offering their wares, their poultry to the buyers who are men; finally, above, we arrive at the village, hidden under palm trees. Very lively. Dark red background. Composition balanced by the shape of the street. Beautiful tones of orange, precise drawing, contrast of palm trees against a red background, the whole picture emanating warmth. The drawings of persons are well executed (not always the case).
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Regarde
/ Look! Mariam Azmi - 1985 (25 x 24 cm) Dans un carré d’épis de blés tournoyants disposés autour d’elle, la brodeuse, au centre, nous regarde et nous interpelle : « Regarde ». Aux quatre coins, des oiseaux blancs sont installés, comme des vigies. Ce travail sur fond rouge brun, centré, est simple. Rien d’autre ne distrait le regard. Mais le titre impératif nous interroge.Cette artiste s’implique personnellement : les oiseaux et elle-même « regardent » et il ne s’agit pas que de cela : ils s’impliquent plus qu’ils ne s’expriment. L’artiste se sent toute petite dans ce monde qui l’entoure ; ces oiseaux, sont-ils ses gardiens, ses messagers ? « Regarde », regarde-moi ? Je regarde ? Bel exemple de broderie en cercle ; comme dans certaines broderies coptes, le sujet principal est au centre, les quatre anges ou évangélistes aux quatre coins. In a square frame, surrounded by swirling sheaves of wheat, the embroiderer herself looks out at us with a challenge: «Look». In each of the four corners a bird keeps watch. The scene, on red/brown cloth, is simple and focussed, brooks no distractions. The imperative title demands an answer. This artist is personally involved: the birds and the artist herself «look». More than self-expression, here is commitment. The artist feels herself small, in the world surrounding her; these birds, are they her protectors, her messengers? «Look», look at me, I am looking? A beautiful example of embroidery within a circle; as in certain Coptic embroideries, the main subject is in the center, the four angels or evangelists in the four corners.
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La cueillette des oranges / Gathering oranges Atteyat Mitri - 1997 (46 x 65 cm)
Tableau euphorisant : c’est l’abondance de la récolte. Sur un fond rouge brun, tout est de tonalité orange, jaune doré, signifiant la richesse. Deux arbres aux troncs orange et rouge, feuillage jaune, et fruits orange répandus au sol. Personnages dans les arbres et sur la terre pour ramasser et filets tendus dans les arbres. Douze personnes sont à terre, et six dans les arbres. Grande dynamique de travail d’une scène vue et vécue. Légèreté de l’exécution. C’est remarquable et très vivant. A euphoric scene: the abundance of harvest time. On a red/brown background the tones are shades of orange and yellow/gold, symbols of richness. Two trees, their trunks orange and red, their leaves yellow, orange fruits scattered on the ground. People in the trees and on the ground, gathering the fruit, nets stretched among the tree branches, six persons in the trees, twelve on the ground. The work is vibrantly dynamic, a scene personally seen and experienced, skilfully rendered.
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Les Saqiehs du Fayoum / Fayoum saqiehs
Nawal Nessim - 2009 (42 x 59 cm)
Le Fayoum est une oasis en bordure du désert, dotée d’un lac d’eau douce. Une irrigation importante est située au cœur de la ville, avec un système de roues qui envoient l’eau dans les canaux d’irrigation. La fertilité généreuse de l’endroit est montrée à travers les quatre plans d’eau, les animaux que l’on emmène boire et les terres labourées. Grande richesse de cette région, arbres et palmiers abondants. Composition habile en Z : les roues des norias sur la hauteur brassent l’eau. Elles sont le motif important, bien compris, qui envoie l’eau jusqu’au bas du tableau : les bêtes au labour, la végétation, tout indique la richesse de la région, y compris l’habitat à étages. The Fayoum is an oasis on the edge of the desert, blessed with a lake of salt-free water. A sizable irrigation plant, in the middle of the city, sends water into the irrigation canals through a system of wheels. In this scene the generous fertility of the region is shown in the four levels of water, the beasts led there to drink, the plowed fields, the abundant palm trees. Interesting z-shaped composition: the water stirred by the wheels of the norias is the important motif, propelled through to the bottom of the scene. The laboring animals, the vegetation, and the superimposed planes of the picture all point to the richness of the region.
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Les funérailles de Lady Diana Lady’s Diana funeral Mariam Azmi
Cette brodeuse exceptionnelle nous offre la vision d’un drame humain aux antipodes de la vie sociale des bords du Nil. Mariam Azmi a été touchée par cette histoire et elle ose la représenter. Tout le drame est décrit avec dextérité : couleurs dramatiques, composition mouvementée, abondance de détails et de personnages. Cette broderie peut se déchiffrer de plusieurs façons : réalisme, invention, technique. La lecture de la broderie commence au premier plan, à droite : c’est l’accident sous le tunnel sans doute représenté par ce quadrillage bleu. On voit trois corps étendus, deux hommes et une femme. A droite et à gauche de ce groupe, les photographes avec leurs flashes ; deux ambulances blanches avec leur gyrophare rouge attendent… au-dessus, à droite, les badauds, en noir, le long de ce ruban bleu, la Seine ? Ces taches de couleur, représentent-elles toutes les fleurs déposées sur le lieu de l’accident? Nous sommes à Paris, regardez les lampadaires. En Egypte aussi, remarquez les palmiers ! Cela nous conduit vers la gauche, aux funérailles à Londres, entre Kensington Palace et l’abbaye de Westminster. Six chevaux tiraient le porte-canon sur lequel reposait le cercueil de Diana, mais Mariam a bien vu le drapeau ainsi que les énormes bouquets de fleurs qui le recouvraient. Elle a bien vu les Welsh guards, en rouge et noir…Il y en avait six de chaque côté, ils l’ont beaucoup impressionnée. Elle a bien noté les hommes de la famille qui suivaient le cercueil, et la foule, les bras levés au ciel. Elle a même remarqué les beaux arbres de Londres. Mais ce n’est pas l’Abbaye de Westminster qui s’élève au centre, ce n’est pas l’archevêque de Canterbury qui accueille le cortège, c’est un prêtre copte dans toute sa splendeur, centre de ce grand 8 horizontal, qui donne tout son mouvement au tableau et relie les scènes les unes aux autres. Derrière lui, on voit le cercueil, toujours recouvert de fleurs, et, tels les anges accueillant l’âme de Diana, en blanc, les enfants de chœur ; c’est bien en Egypte que l’on se retrouve : Mariam s’est approprié ce drame lointain, et nous fait partager l’émotion qu’elle a ressentie devant cette tragédie humaine. Par une grande générosité de l’expression, la hardiesse des couleurs et de l’exécution, Mariam se met au diapason de l’évènement qui a, à jamais, bouleversé une famille royale en supprimant deux vies sur un même continent, à travers trois pays. Avec une aiguille, du coton à broder, une toile, le talent unique de cette femme leur rend un dernier hommage. This exceptional embroiderer offers us a vision of a human drama in a world diametrically opposed to the social life of Egyptian shores. Mariam Azmi was moved by this event, and dares to picture it. The drama is skilfully described: dramatic colors, a wealth of movement, abundance of details and characters. The embroidery can be approached from different angles: realism, creativity, technique. The embroidery reads from the lower right foreground: the accident under the tunnel (doubtless represented by the blue grid-like structure). Three bodies are stretched out, two men and a woman. To the right and left of this group, the photographers with their flashes; two ambulances with their red rotating lights are waiting... above, to the right, the gawkers, in black, along a blue strip (the Seine?). The splashes of color, do they represent all the flowers that were placed at the scene of the accident? We are in Paris, notice the street lamps. We are in Egypt as well, notice the palm trees! We are led to the left, to the procession in London between Kensington Palace and Westminster abbey. Six horses pulled the catafalque on which rests Diana’s coffin, and Mariam has noted the flag and the enormous bouquets of flowers that covered it. The Welsh guards, in red and black, six on each side, also made a considerable impression on her. She even noticed the beautiful trees of London. But it is not Westminster Abbey that rises in the middle of the embroidery, nor the Archbishop of Canterbury who receives Diana. It is a Coptic priest, in all his splendor, in the center of the large horizontal 8-shape that gives the scene its dynamic movement and links the scenes to one other. Behind him the coffin is visible, with its cover of flowers, and, like angels welcoming the soul of Diana, the choir boys. We find ourselves back in Egypt. Mariam has made this distant drama her own, and lets us share the emotion she feels in this human tragedy. Through her generous expressiveness, bold colors and confident technique Mariam rises to the level of this tragedy which, in ending two lives, has changed forever a royal family, and shaken the world. With needle, floss and cloth the unique talent of this woman gives them a final tribute.
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La broderie / Embroidery
La danse du bâton d’Abou Zeid al-Helali Abou Zeid al-Helali stick dance
Mariam Azmi - 2009 (78 x 78 cm)
A la veillée, au son du mizmar (hautbois de Haute - Egypte) et des percussions (les derboukas et la grosse caisse, la tabla), le public converge sur la place du village déjà embaumée par l’odeur de l’encens. Les musiciens et public s’assemblent dans un cercle où se déroulent les parades, les danses et les joutes. C’est le rituel des célébrations festives rurales, les mouleds (anniversaires religieux) et les mariages. Etonnamment, le public et les musiciens sont absents de la broderie. Mariam leur a préféré ce qui l’impressionne le plus lors de ces fêtes, le cheval et le bâton, qu’elle a placés sur fond d’argousier dont le fruit, connu pour ses bienfaits, aurait été le premier goûté par Adam sur terre. Impressionnée par l’habileté, l’adresse et la vitesse des jouteurs-danseurs, Mariam les a représentés avec deux bâtons courts chacun. L’art du cheval et celui du bâton représentent l’esprit chevaleresque, le respect, la noblesse et la justesse des choses, … à la fois la puissance et l’harmonie. Ces disciplines avec d’autres arts populaires ont longtemps contribué à l’harmonie des sociétés rurales. Ces deux arts requièrent une pratique régulière et des qualités de présence, adresse, harmonie, puissance et contrôle, etc. L’art du bâton se dit fann al nazah wal tahtib qui signifie « art du bâton et de l’homme accompli ». Les figures, remarquables de précision d’un instructeur avec son élève, sont visibles sur la chaussée de la pyramide de Sahourê, deuxième Pharaon de la Ve dynastie (2800 av JC). Cette discipline se pratique aujourd’hui avec un bâton en bois de rotin d’1m30. Les jouteurs du Tahtib s’inspirent du pas du cheval dressé pour cette danse, pas que nous appelons « pas d’ancrage ». En effet dans l’art du Tahtib, la « danse du bâton » n’a pas une vocation démonstrative. Elle a pour but d’activer l’énergie des jouteurs et du public avant les duels. Pour une vingtaine de différents pas différents (Saïdi, Marajeha, al-Hossan, al-Gamal, al-Dabba, etc) la règle veut que le pied droit soit le premier à bénéficier de la « prise d’énergie » du sol. Aujourd’hui, la présence du cheval est plus rare du fait des aspects économiques, le bâton vaut 20 LE environ, le coût du cheval et son entretien se chiffrent en milliers. Par ailleurs l’urbanisation soudaine de l‘Egypte depuis les années 50 et la dégradation de la société rurale (drogue, effets négatifs de l’électricité, etc.) contribuent à la disparition de pratiques traditionnelles, notamment celle du cheval et celle du bâton. On the eve of the feast, to the sounds of the mizmar (Egyptian oboe) and the beat of the darbooka and tabla (Egyptian drums) the people converge on the village square, which is already fragrant with incense. Musicians and public gather in a circle for the parades, the dancing and jousting, in the ritual of rural festivities, moulids (religious fairs) and weddings. Oddly, the public and the musicians are not shown in this embroidery. Mariam has opted for what most impresses her in these feasts, the horse and the stick dance, that she places with a buckthorn tree as background. The fruit of this tree is storied to be the first Adam tasted on earth. She conveys her admiration of the agility, skill, and speed of the jousting dancers, each wielding two short sticks. The art of the dancing horse and jousters represents the spirit of chivalry: respect for the nobility and rightness of things... power and harmony together. It requires assiduous practice, and qualities of presence, agility, harmony, strength, control, etc. These disciplines, together with other popular forms of art, contribute to the harmony of rural societies. « Fann al nazah wal tahteeb », which means «art of the stick and of the man of accomplishments». A scene depicting a teacher with his pupil, and showing with remarkable precision the figures of this dance can be seen on the passage way of the pyramid of Sahoure, second Pharaoh of the Fifth dynasty (2800 BC). Today this discipline is performed with a stick made of rattan, about 52 inches long. Tahteeb jousters are inspired by the step of the horse that is trained for this dance, a step that we call «anchor step». In reality the role of the stick dance in Tahteeb is not to call attention to itself. Its aim is to energize the jousters and the public before the duels commence. In the twenty or so different steps used (Saeedi, Marajeha, al-Hossan, al-Gamal, al-Dabba, etc) the rule is that the right foot is the first to draw the energy received from striking the ground. Today the horse is more rarely present, because of economic factors. The stick costs about 20 Egyptian pounds; the cost of the horse and its upkeep figures in the thousands. In addition, the sudden urbanization of Egypt since the nineteen fifties, and the disintegration of rural society (drugs, negative effects of electricity, etc.) have contributed to the disappearance of traditional practices, in particular that of the horse and stick dance.
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La broderie / Embroidery
... Ces dernières années, la vie moderne a touché ces artistes: cela se ressent dans leurs tableaux brodés qui, parfois, perdent de leur spontanéité et présentent les clichés véhiculés par la télévision, les livres d’écoles ou les affiches touristiques : elles ont acquis un certain sens de la perspective, des arbres inconnus en Haute-Egypte apparaissent. Leurs tableaux deviennent plus décoratifs, moins créatifs ; elles ont d’avantage en tête les goûts des acheteurs. Cette évolution, bien compréhensible, prouve la richesse toujours renouvelée de ces femmes. ... In recent years modern life has reached these artists. The impact can be felt in their embroideries, which, sometimes, lose their spontaneity, presenting stereotypic images gleaned from television or school books or tourist posters; a new approach to perspective, trees never seen in Upper Egypt. The embroideries become more decorative, less imaginative; they cater to the imagined taste of prospective buyers. This evolution that we can easily understand is a proof of the constant rich talents of these women.
Le monde des animaux / The world of animals Nawal Nessim - 2009 (77 x 77 cm)
Broderie très fine et soignée. Des animaux sauvages, lion, tigre, éléphant, zèbre, biches et singes sont autour d’une mare entourée d’arbres, dans un jardin. Les robes des animaux colorées jaune orangé, singes rouges et noirs dans le feuillage bleuté des arbres, sont interprétées dans leur pelage, quadrillé pour les girafes, lignes noires, jaunes pour les zèbres, moucheté pour les biches, tigré pour les tigres. La mare a une eau bleue-violette dessinée de petites vagues régulières, et des plantes sont tout autour proches des animaux et même fleuries. Coloris très fins, broderie carrée et pleine, la composition gaie sur fond violet foncé. Motifs équilibrés. L’inspiration de cette composition est due à une sortie au zoo, résultat d’une découverte réussie. Meticulously embroidered. Wild animals, lion, tiger, elephant, zebra, deer and monkeys near a lake surrounded by trees, in a garden. The animals, colored yellow-orange, monkeys, red and black in the blue tinted foliage of the trees, are distinguished by their fur, criss-crossed for the giraffes, black and yellow lines for the zebras, speckled for the deer, striped for the tigers. The water in the pond is blue-violet, with a smooth rhythm of waves; there are plants and flowers all around the animals. The colors are lively, the embroidery generous, a gay scene, on a deep purple background. Balanced composition. The inspiration for this embroidery was an excursion to visit a zoo, its existence recently discovered.
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La broderie / Embroidery
L’Union nationale
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/ National unity
Soad Sabet - 2010 (58 x 34 cm) Touchante promenade d’une barque autour d’un monastère et d’un jardin. Deux monuments religieux, dont le minaret surmonté du croissant et le clocher surmonté de la croix signalent leur présence avec équité. Dans la barque, l’imam et le prêtre, l’air ravis, rament, une branche d’olivier à la main. L’eau, la barque (pharaonique), les personnages, les dômes du monastère, les clochers et minarets, les oiseaux de la spiritualité dans le jardin fleuri… Le titre est éloquent : l’Union nationale, union religieuse ou nationale ? C’est tout le problème de l’Egypte. A touching scene: a boat ride around a monastery and garden. Two religious monuments, mosque minaret crowned by a crescent and church bell tower with a cross, proclaim their equality. In the boat an imam and a priest, visibly delighted, wield oars and olive branch. Water, boat (pharaonic), the persons, the domes of the monastery, bell towers and minarets, birds, the garden full of flowers inspire spiritual reflection. The title is eloquent: National unity, religious or national? An all-important problem in Egypt.
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Le tissage
• Le tissage au Centre communautaire et dans la ville d’Akhmîm Le textile a toujours été un artisanat prédominant en Egypte. On a retrouvé des morceaux de tissus de lin et de laine datant de l’époque néolithique. Tout au long des époques pharaoniques c’est le tissage du lin qui est privilégié jusqu’à devenir un élément important de l’économie du pays. On retrouve des traces précises de cette activité en particulier sur les peintures murales de la tombe du chef des tisserands Neferronpet (tombe n° 133) aménagée à Cheikh Abd al-Gournah, non loin du Ramesseum... On peut y voir toutes les étapes préparatoires au tissage ainsi que des métiers de haute lisse, actionnés par des hommes et des femmes1. Durant les périodes gréco-romaines, byzantines ainsi que les quelques siècles qui suivirent la conquête arabe, s’épanouissent ce que l’on appelait les “tissus coptes” le plus souvent réalisés par des artisans locaux qui utilisaient du coton, de la laine et du lin. L’usage de la soie fait aussi son apparition. La ville d’Akhmîm est alors un des centres importants de tissage comme en témoignent les innombrables fragments d’étoffes ou d’habits qui y furent retrouvés pendant les fouilles archéologiques de l’ancienne ville, ainsi que dans les nombreux monastères et cimetières coptes des environs. Le coton est souvent importé ; sa culture ne devint une des principales ressources agricoles de toute l’Egypte qu’après 1821, lorsqu’un agronome français au service de Mohamed Ali Pacha, fit ensemencer du coton indien. Quant à la soie, bien que son mode de production soit connu dès le VIe siècle, elle continuait d’être importée et son tissage prit une grande importance au début de la période médiévale. D’ailleurs, certaines des plus belles soies encore conservées actuellement au British Museum, proviennent d’Akhmîm ! Les textiles découverts en Égypte jusqu’à la conquête arabe et plus tardivement encore, ont été tissés sur des métiers sans pédales2. Suite à la période islamique, la facture des “tissus coptes” tomba peu à peu dans l’oubli et le tissage du coton, du lin ainsi que celui de la soie sur des métiers à pédales s’implanta pour devenir la principale activité de cette ville. Ce type de métier est une invention chinoise, très ancienne, qui se répandit à travers l’Inde et le Moyen-Orient où il prit un essor incontestable en Perse. Il permettait d’actionner des pédales pour lever et descendre les cadres de lisses3. Lorsque ce métier arriva à Akhmîm il apporta aussi son vocabulaire dont on retrouve encore aujourd’hui plusieurs termes. Un modèle particulier de métier à pédales venu de Chine était le “métier à la tire”, appelé aussi “métiers de façonnés”. Il comporte de nombreux cadres de lisses entraînant deux chaînes distinctes. Les deux pédales meuvent deux cadres de lisses de la chaîne inférieure qui elle, sert de fond au tissu et de liage avec le motif. Les autres cadres de lisses sont utilisés pour la chaîne supérieure. Le montage des fils à travers ces cadres de lisses, quand ils sont actionnés dans un ordre établi, détermine le motif. Ils sont soulevés ou abaissés par le tireur de lacs4. Il faut donc être deux personnes synchronisées pour tisser sur ce métier. Cette méthode ingénieuse convient particulièrement pour les façonnés double-face. Ce type de métier, très largement diffusé en Europe vers la fin du Haut Moyen Âge, certainement dès le XIIIe siècle, permit un nouvel essor à l’industrie textile. Mais quand, en 1801, Joseph Marie Jacquard réussit à transformer le métier en le rendant semi-automatique et à supprimer le tireur de lacs, son invention sonna le glas du métier à la tire. Il disparut d’Europe et d’ailleurs. La ville d’Akhmîm resta alors un des derniers fiefs où se pratiqua encore le tissage sur un métier à la tire traditionnel, sans mécanisation, ni automatisation. On trouve ce métier également à Fès, au Maroc, où deux ateliers leur redonnent vie. ill. 1 : sur cette illustration nous voyons le montage de deux chaînes sur deux métiers, l’un avec une chaîne jaune et l’autre rouge en arrière plan. Les énormes pelotes de coton suspendues sont la réserve des chaînes qui doivent être suffisamment longues pour tisser plusieurs couvre-lits à la suite. Les poids, sacs remplis de sable ou de briques, servent à tendre la chaîne / in this photo we see the setup of two looms, one with a yellow warp, the other, in the background, with a red warp. The enormous hanging balls of yarn are the continuation of the warp, which must be long enough for several bedspreads, each over two yards long. The weights, cloth bags filled with sand or bricks, sustain the tension of the warp
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Weaving
• Weaving at the Center and in the city of Akhmîm Weaving has a long and significant history in Egypt. Fragments of linen and cotton textiles have been found dating back to the Neolithic period. All through Pharaonic times the weaving of linen had a predominant place, and became an important element in the economy of the country. There are precise details of this activity in the wall paintings of the master weaver Neferronpet (tomb no.133), situated at Sheik Abd al-Goumah, not far from the Ramesseum. All the preparatory tasks are depicted, as well as the high-warp looms, operated by men and women1. During Greco-Roman and Byzantine times and for a few centuries after the Arab conquest, what we call «Coptic fabrics» flourished. These were woven by local craftsmen, using cotton, wool and linen. Silk also began to be used. Akhmîm was then one of the most important weaving centers, as we can see from the innumerable fragments of fabrics and clothing discovered during the archeological excavations in the old city and the Coptic monasteries and cemeteries of the area. Cotton was often imported; it did not become one of the main Egyptian crops until after 1821, when an agricultural engineer in service to Mohammed Ali Pasha prescribed the sowing of Indian cotton. As for silk, though its culture had been known since the sixth century AD, it continued to be imported; silk weaving took on great importance in the beginning of the Middle Ages. Some of the most beautiful silk weavings still conserved at the British Museum come from Akhmîm! The ancient textiles that have been discovered in Egypt were woven on looms without pedals2 certainly until the Arab conquest, and probably even later. After the Islamic period the weaving method employed in the «Coptic textiles» was gradually forgotten, and the weaving of cotton, linen and silk on looms with pedals took its place, becoming the principal activity in the city. The pedal loom is a Chinese invention, very ancient, which spread across India and the Middle East, with an incontestable surge in Persia. It uses pedals to raise and lower the shafts that carry the heddles3. This loom arrived in Akhmîm with its own vocabulary, still found today in several terms. One particular form of the pedal loom that came from China had multiple shafts, and two warps. The lower of the warps is moved by the pedals, to create the background of the fabric and tie in the motifs. The upper warp is used to create the design. It is the threading of the heddles and the raising and lowering of the shafts by the shaft puller4 in a certain pattern that determine this design. Two persons are needed for this type of loom, to synchronize the weaving action. This ingenious technique is particularly suited for double-sided fabrics. It is called the draw loom, and was widely prevalent in Europe during the late Middle Ages, certainly from the thirteenth century on. It fostered a vigorous growth in the textile industry. But in 1801, when Joseph Marie Jacquard succeeded in transforming the loom, rendering it semiautomatic and eliminating the task of the shaft puller, his invention sounded the death knell for the traditional loom. It disappeared from Europe and elsewhere. Akhmîm was thus one of the last places where this kind of weaving was still done without mechanization. The draw loom is also found in Fez, Morocco, where two workshops are reviving it. ill. 2 : tireuse des lacs / shaft puller Voir article de Monique Nelson in Memnonia 1990-91 Les fonctionnaires connus du temple de Ramsès II, p 128 / See the article of Monique Nelson in Memnonia 1990-91 The known functionaries of Ramses II, p 128 Certains types de métiers sans pédales sont toujours utilisés de nos jours dans diverses localités égyptiennes, en particulier Nagada / Certain kinds of looms without pedals are used in various parts of Egypt Les cadres de lisses sont les pièces de métier à tisser dans lesquels passent les fils de chaîne / The heddles are the parts of the loom through which the warp threads pass 4 Le « tireur des lacs » signifie dans le jargon des métiers celui qui tire sur les cordes pour soulever les différents cadres de lisses en synchronisant son travail sur celui du tisserand / The shaft puller, in the language of weaving, is the person who pulls the cords that lift the various frames of heddles, in the order required for the motif, for the weaver to pass the weft through them 1 2 3
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Weaving
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• The importance of weaving in Akhmîm and the beginning of weaving at the Center It is interesting to note the omnipresence of weaving in the city of Akhmîm at the time Gail Malley, one of the initiators of the Center, arrived there :
ill. 3 : tissu zardakhan traditionnel, tissé dans la ville / traditional zardakhan, woven in the city ill. 4 : l’ourdissage avec Fayez Mitry, (cliché pris vers les années 1970) / Fayez at the warping frame (photo taken around 1970)
«When we arrived in Akhmîm in 1960, we noticed that weaving seemed to be everywhere in the main streets of the town. The market street where we lived was lined with little shops, their shelves piled high with textiles and other wares. Lesser merchants sat on the ground on the sides of the street and spread their vegetables, fruit, whatever else they were selling, on handwoven cloth, often yellow, with geometric designs in blue (not the stylized flower designs we were to see in the more complex woven fabrics we would later discover). These cloths, sturdy and relatively thick, were composed of parallel bands with rectangular motifs. Some of the men wore them, draped over their shoulders for warmth; others bundled and carried their wares in them. These cloths were called «zardakhan». Other vendors spread their offerings on smaller cloths with red and white stripes. The merchant whose shop faced us sold us some of these, and it was in his shop that we discovered the cloth the weavers call «atlas». The first cloth we noticed had a repetitive floral motif of small red flowers on a yellow background. On the other side of the cloth the flowers were yellow on a red background. Hagg Hussein al-Khatib was a rich merchant whose family income had come from weaving for generations. In his shop at the corner of our street he sold atlas weaving, as well as silk fabric. Some of the atlas cloths had a white background with colored flowers. On the other side of this double-sided fabric the flowers were white on a colored background. He had a beautiful collection of cloths with motifs that were different from those found in the shops of other merchants in the town. We asked Hagg Hussein if he would let his weavers make cloths for us, with different color combinations. These were our impressions and experiences with the weaving in this city when we first arrived. The cloths we ordered from Hagg Hussein were sold at our first exhibits in Cairo. The women of the Center did not learn how to weave until 1971. Fayez Mitry, the young artisan who helped us, came from a family of weavers, and was well versed in all aspects of the craft: assemblage (from components made to his specifications by local carpenters) and installation of the loom; warping5; arrangement of the heddles on the shafts to create the motifs (though illiterate, Fayez had inherited from his father the considerable mathematical aptitude and technique required for this); coordination of the different tasks involved in setting up the loom. The threading6 of the warp through the loops7 of the heddles was done by the women in the families of the weavers. The making of the comb8 was entrusted to a separate craftsman, who made the teeth of the comb from reeds, which produced a finer weave than the metal combs used now. Fayez was not always easy to get along with, but was utterly devoted to Joke, my co-worker at the Center.» In August 2012, thirty years after her departure from Akhmîm, Gail Malley contacted Hagg Hussein’s son. She had colaborated with his father for the exportation of some bedcovers. She asked him if he could tell her about the current status of weaving in Akhmîm and also about the origins of the atlas weaving. He replied that this type of weaving actually dates from several generations before his grandfather. According to him the designs used in Akhmîm are only woven in this city. He did not know the origin of the atlas loom. At one point in the conversation he used the term Jacquard in referring to the looms! It is interesting to note that one of the principal manufacturers of Akhmîm is aware of his place in an ancestral tradition, even though he does not know all the historical details. As to the changes that have happened since his grandfather’s time, he noted the government factory in Sohag (capital of the province, across the Nile from Akhmîm) for spinning the raw cotton into the thread used by the weavers. The thread is no longer dyed locally but at a factory in Cairo. The Khatib dynasty in Akhmîm is an important factor in the vigor today of this ancestral tradition, having fostered it by developing the commercial structures and outlets necessary for its survival.
Warping is the preparation of the warp threads to be installed on the loom Threading is the process of passing the warp threads through the loops of the heddles Loops are the eyes of the heddles through which the warp threads are passed 8 The comb is carried in the reed, or «beater», with which the weaver pushes the newly thrown weft thread against the already woven cloth. The comb is composed of teeth, through which pass the threads of the warp 5 6 7
Le tissage
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• Importance du tissage dans la ville et début du tissage au Centre Il est intéressant de savoir comment était perçu le tissage dans la ville d’Akhmîm au moment où Gail Malley, une des responsables du Centre, y arriva.
ill. 5 : le chef tisserand tient sa pelote de coton pour monter la chaîne / the weaver is holding a bale of cotton to install the warp
«Quand nous sommes arrivées à Akhmîm en 1960, nous avons remarqué que le tissage était omniprésent dans les rues principales de la ville. La rue du marché dans laquelle nous vivions était bordée de petites échoppes, avec des étagères s’empilant jusqu’au plafond, pleines de marchandises et de textiles. La plupart des marchands étalaient leurs légumes, leurs fruits ou ce qu’ils avaient à vendre sur un tissu tissé main, souvent jaune avec des dessins bleus géométriques, sans fleurs stylisées comme dans les tissages plus complexes que nous allions découvrir plus tard. Ces tissus, solides et relativement épais, étaient faits de bandes composées de motifs rectangulaires. Certains hommes les portaient, drapés sur leurs épaules, pour se tenir chaud ou bien ils en faisaient des balluchons pour transporter leurs marchandises. Ces tissus s’appellent « zardakhan ». D’autres petits vendeurs étalaient ce qu’ils avaient à proposer sur des linges rouges et blancs rayés. Le marchand qui avait sa boutique en face de chez nous, nous en vendit et c’est dans cette boutique que nous avons finalement découvert les tissus que les tisserands appellent « atlas ». Le tissu que nous avons remarqué en premier était avec un motif répétitif, composé de petites fleurs stylisées rouges sur un fond jaune. L’autre côté du tissu avait des fleurs jaunes sur un fond rouge. Le Hagg Hussein al-Khatib, était un riche commerçant dont la famille vivait du tissage depuis fort longtemps. Il était respecté par les tisserands et avait son échoppe au coin de notre rue. Il vendait ce genre de tissus ainsi que des soies. Quelques uns des tissages avaient un fond blanc avec des motifs floraux de différentes couleurs. Ce tissu double-face permettait que de l’autre côté il y ait des fleurs blanches sur un fond coloré. Il avait une belle collection de tissus avec différents décors qu’on retrouvait chez les autres tisserands de la ville. Nous avons alors demandé au Hagg Hussein al-Khatib s’il pouvait faire travailler ses tisserands pour nous, en changeant son registre de couleurs. Telles étaient nos premières impressions et nos premières expériences sur les tissages dans la ville quand nous sommes arrivées. Nos commandes chez le Hagg Hussein ont été vendues lors de nos premières expositions au Caire. Les femmes du Centre n’ont appris à tisser que vers 1971 et nous avons tout de suite pris le parti de ne tisser que du coton alors que la soie est toujours bien présente dans les ateliers de la ville. Nous avons fait appel à Fayez Mitry. Ce jeune artisan venait d’une famille de tisserands. Il connaissait tout, depuis la construction du métier, de l’ourdissage5 ainsi que les opérations de mise en place de la chaîne sur le métier. A cette époque le rentrage6 des lisses dans les maillons7 était le travail des femmes de la famille. Quant à la construction du peigne8, c’était un art à part, et les fines lamelles qui le constituaient était en écorce de roseau, ce qui rendait les tissus plus souples que les peignes actuels en métal. Fayez Mitry était l’homme qu’il nous fallait pour que nous apprenions le métier et qu’il transmette sa connaissance aux filles. Il avait, de surcroit, hérité de son père, le sens des mathématiques, et montait avec aisance la chaîne selon les motifs qu’on voulait obtenir. Fayez Mitry avait un caractère difficile mais il fut totalement dévoué à Joke van Neerven avec qui je partageais les responsabilités, et dévoué au travail pour le Centre”. En août 2012, trente ans après son départ d’Akhmîm, Gail Malley contacta le fils de Hagg Hussein avec qui elle avait jadis travaillé pour l’exportation des couvre-lits. Elle voulait savoir s’il connaissait les origines des tissus atlas. Il lui répondit que l’importante manufacture al-Khatib des tissus façonnés date en fait de plusieurs générations avant son grand-père. Selon lui, les motifs pratiqués à Akhmîm ne sont tissés qu’à Akhmîm. Il ne sait rien d’autre sur l’origine des façonnés atlas. Il mentionna une fois dans la conversation que ces tissus étaient en fait des Jacquard! Il est donc intéressant de noter qu’une des principales manufactures d’Akhmîm a conscience d’être issue d’une tradition ancestrale même si les faits historiques ne lui sont pas connus. Sur les changements apportés depuis son grand-père, il a indiqué qu’actuellement il y a une fabrique gouvernementale à Sohag (ville proche d’Akhmîm) où le coton brut est mis en fil. Le coton, lui, est teint au Caire. La dynastie des Khatib à Akhmîm a été un chaînon important pour que reste vivante et toujours actuelle cette tradition ancestrale des tissus atlas, car cette manufacture a su trouver les débouchés commerciaux à leur exploitation alors que les autres tisserands de la ville se sont toujours heurtés à ce problème.
L’ourdissage est la préparation de la chaîne avant son installation sur le métier Le rentrage est l’opération qui consiste à passer les fils de chaîne dans les maillons Les maillons sont les boucles installées sur les lisses et à travers lesquels passent les fils de chaîne 8 Le peigne est le cadre monté sur le battant du métier à tisser, comportant un grand nombre de dents à travers lesquelles passent les fils de chaîne 5 6 7
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Weaving
ill. 6 : détail d’une broderie de Mariam Sidraq : femme au rouet avec les écheveaux sur le dévidoir / detail of an embroidery by Mariam Sidraq: woman at the wheel winding bobbins from the skeins on the reel ill. 7 : dévidoir / the reel
ill. 8 : bobine, cannette pleine et cannette vide / spool, filled bobbin and empty bobbin ill. 9 : femme au rouet / woman at the wheel
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Le tissage
• Au Centre : opération avant le tissage, les cannettes L’ourdissage ainsi que toutes les opérations nécessaires pour l’installation de la chaîne sont exécutés par un tisserand extérieur au Centre. Le premier travail pour les tisserandes consiste donc à remplir des canettes à partir des écheveaux de coton. Dans les premières années, le coton arrivait déjà teint du Caire en énormes pelotes constituées d’écheveaux. Comme il fallait le plus souvent des bobines avec deux fils, une fille prenait deux écheveaux à la fois qu’elle installait sur un dévidoir. Elle prenait ensemble un fil de chaque écheveau et les insérait dans la bobine installée sur le rouet. En actionnant la manivelle du rouet, le dévidoir se met à tourner ainsi que le rouet qui fait tourner la cannette. Cette opération demande un soin particulier car il faut que la cannette en se chargeant du double fil prenne une forme d’œuf. Ces cannettes sont données aux tisserandes pour charger leurs navettes. Maintenant le coton est acheté localement et envoyé au Caire pour être teint. Le fil revient sous forme d’énormes bobines posées à même le sol, maintenues par un petit socle.
• At the Center: getting ready to weave, preparing the shuttles
ill. 10 : cannette dans la navette / bobbin in the spool
The warping and all the activities necessary for the installation of the warp are done outside the Center. Thus the first task for the weavers is to fill the shuttles from the cotton thread. In the first years the thread would arrive from Cairo in enormous bundles composed of dyed skeins. Since most of the weaving was done with two threads, the bobbin winder would take two skeins and place them, one above the other, on a take-up reel. She would then take one thread from each skein and put them onto a bobbin which she would mount on a wheel. Turning the handle of this wheel activates the process by which both reel and wheel rotate, drawing the threads of the skein onto the bobbin, guided carefully by her fingers, into a firm oval of doubled thread. These bobbins are then given to the weavers, who mount them in their shuttles. Now the cotton is bought locally and sent to Cairo to be dyed. It returns in enormous spools. These are mounted on a steel rod embedded in a low wooden support, and the bobbins are wound from them with the handled wheel.
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Weaving
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• Les trois types de métiers à tisser au Centre Il y a douze métiers au Centre : 1. Le métier à deux pédales Il est employé pour : - les tissus unis, qui servent le plus souvent de support aux broderies. - les tissus avec des rayures colorées et répétitives dont on fait des nappes, napperons, sets de table. L’uni et les rayés sont appelés gamcha, certaines tisserandes disent gamchy. Ce mot qui vient de l’Inde désigne une pièce de toile simple que les hommes se mettent sur l’épaule. - Les tissus rayés, sans ordre précis de couleurs ont été appelés, tissus fantaisies par May Trad. Il y a sept métiers pour les tissus gamcha9.
• The three types of looms at the Center There are twelve looms at the Center : 1. The two-pedal loom It is used for: - plain cloth of one color, mostly used as background for the embroidery. - cloth with bands woven of different colors in a repetitive pattern, used for tablecloths, napkins, table mats. These plain and striped fabrics are called gamsha or, by some of the weavers, gamshy. The word comes from India, and is used for a simple fabric worn by men over their shoulders. - cloths composed of colored stripes in no particular order are called fantasies, a term put into use by May Trad. There are seven gamsha looms9. ill. 11, 12 & 13 : exemples de tissus gamcha / examples of gamsha cloth
Il y a trois métiers de 160 cm de large et 4 autres de 80 cm de large réservés pour les apprenties / There are 3 looms 64 inches wide and 4 looms 32 inches wide reserved for apprentices
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Le tissage
1. 2. 1. Le métier à quatre pédales Il est utilisé pour des tissus plus épais qui donnent les tissus appelés zardakhan. Il est employé en liant les pédales deux à deux et les lisses également deux à deux. Zardakhan est le nom des tissus dont parle Gail Malley lors de son arrivée à Akhmîm et sur lesquels, les marchandises, fruits et légumes étaient étalées. Ils étaient utilisés partout et pour tout. Il n’y a au Centre qu’un seul métier pour ce type de tissu plus épais qui sert maintenant pour les housses de coussins et dont les motifs et couleurs ont été très simplifiés par les tisserandes du Centre. Le mot zardakhan est un mot perse. Il signifie armure ou maison de guerre. C’est certainement dans ce tissu solide et épais que les armes étaient enveloppées. Par ailleurs l’armure dans le vocabulaire français du tissage désigne la façon dont les fils de chaîne s’entrecroisent avec les fils de trame. Il y en a trois principales que l’on nomme généralement par : toile, sergé et satin. 1. The four - pedal loom 1. 2. It is used for a thicker cloth and can produce the fabric called zardakhan. The pedals are tied together, two and two, and the shafts are also paired.
ill. 14 : métier à 4 pédales : 1 = chaîne, 2 = cadre de lisse, 3 = lisse, 4 = maillon, 5 = pédales / four-pedal loom : 1 = warp, 2 = heddle frame, 3 = heddles, 4 = heddle loop, 5 = pedals ill. 15 : exemple de tissu zardakhan / example of a zardakhan fabric
The word zardakhan is the name used by Gail Malley, when she describes the cloths spread on the ground for the street merchants to display their fruit, vegetables and other wares. This fabric seemed to be everywhere, and used for everything. At the Center there is only one zardakhan loom, in a version simplified for the needs of the Center. It weaves mainly cloth for cushion covers, using only one color, or bands of colors, and no motifs. The word zardakhan is Persian in origin. It means «armor» or «house of war». It was perhaps in this sturdy, thick cloth that weapons were wrapped. In the French vocabulary for weaving «armure» is the word used to express how the threads of the warp interlock with those of the weft. Differences in the way they interlock produce different weaves (e.g. «plain weave», «satin weave», «twill», etc.).
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ill. 16 : métier pour les tissus atlas / loom for atlas cloth 1. lisse, 2. battant du peigne, 3. chaîne supérieure, 4. chaîne inférieure, 5. navette volante 1. heddle, 2. reed, 3. upper warp (red), 4. lower warp (white), 5. flying shuttle
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Le tissage
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1. 3. 1. Le métier à la tire Le troisième type de métier à tisser est le métier à la tire, appelé aussi métier de façonnés, mentionné plus haut. Il a donc deux pédales pour actionner les deux cadres de lisses de la chaîne inférieure et une série variable de cadres de lisses installée sur la deuxième chaîne. Chaque cadre de lisse est ensuite actionné grâce aux cordes tirées par la tireuse de lacs. Le Centre possède quatre métiers pour les tissus atlas10. Les motifs traditionnels réalisés sur le métier à la tire par les tisserands de la ville encore en 1960 étaient des motifs qu’au Centre on nommait : étoile (negma), scorpion (aqraba) ballon (kora), les cœurs (qulub), jasmin (fulla) et fusée (saroukh). Le Centre a surtout développé, avec toutes les combinaisons heureuses de couleurs et de différentes grandeurs, les motifs : étoile, scorpion, ballon et jasmin qui exigent treize lisses ; quant aux motifs des feuilles et du coq ils sont tous les deux des créations de Joke van Neerven et Fayez Mitry. Il faut vingt et une lisses pour accomplir cette prouesse dont le résultat est toujours aussi séduisant. 1. The draw loom 1. 3. The third type of loom at the Center is the draw loom, mentioned in the beginning of this article. It has two pedals that raise and lower the two shafts carrying the heddles of the lower warp, and a series of shafts (variable in number) for the higher warp. These frames are raised and lowered by the gabbad, or shaft puller, drawing on the cords attached to the shafts. The Center has four atlas looms10. The traditional motifs that were still being used by the weavers of the city in 1960 were called by the weavers of the Center: star, scorpion, ball, jasmine and rocket. The Center has mostly worked with the first four of these, which require 13 shafts. As to the motifs called leaves and rooster, these were innovations, designed by Joke van Neerven and Fayez Mitry. They each require twenty one shafts, an exploit whose results have met with considerable success.
ill. 17 : tireuse de lac dans les années 1970 / Shaft puller in 1970 ill. 18 : tireuse de lacs en 2009 / Shaft puller in 2009 1. corde qui sert à lever le cadre de lisse, 2. chaîne inférieure, 3. chaîne supérieure, 4. pédales / 1. cord that pulls the shaft, 2. lower warp, 3. upper warp, 4. pedals ill. 19 : étoiles - motifs traditionnels en usage au Centre / stars - motifs traditionally used at the Center
Il y a trois métiers de 160 cm de large et un autre de 210 cm sur lequel 21 lisses peuvent être installées / There are 3 looms 64 inches wide and one 80 inches wide where 21 shafts can be installed 10
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Motifs traditionnels en usage au Centre / motifs traditionally used at the Center ill. 20 : scorpions ill. 21 : ballons et scorpions / balls and scorpions ill. 22 : jasmin / jasmine
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Le tissage
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ill. 23 : coqs et feuilles / roosters and leaves
Le travail des façonnés requiert concentration, rigueur, temps et un savoir-faire bien particulier. L’effort de la tireuse de lacs pour actionner les cordes est pénible. Celui de la tisserande également car d’une main elle tient le battant mobile du peigne qu’elle va rabattre pour serrer la trame et avec l’autre elle lance la navette volante pour faire passer le fil de trame; ses deux bras sont donc mis à contribution. Le travail des jambes pour actionner les pédales demande plus d’effort qu’un métier normal. C’est un duo, rythmé par le bruit de la tireuse de lacs ainsi que celui de la tisserande qui lance la navette et du son percutant que fait le peigne en tapant contre le tissu. Ce bruit s’entend à travers toute la cour du Centre comme une cadence entraînante, encourageant le silencieux travail des brodeuses. A Akhmîm et au Centre le mot atlas qui désigne les tissus façonnés, correspond parfois à l’armure satin. Le mot satin trouverait son origine en Chine, d’une ville appelée Zaintun qui devint Tsia-toung. Et en anglais, quel terme technique est parfois employé pour cette armure ? c’est le terme : atlas weave. Voici donc des exemples de vocables qui survécurent à ce long périple des métiers à pédales. Les tissus atlas font partie de la grande famille des lampas11 originaires du Moyen-Orient médiéval ; à Akhmîm les tisserands utilisent le coton au lieu de la soie, et la variété des couleurs et la complexité du dessin ne rivalisent pas avec d’autres lampas aux motifs somptueux. En effet, la technique employée est la même. Le Centre continue d’utiliser les métiers à la tire pour les tissus atlas en gardant les motifs traditionnels, alors que dans la ville les tisserands les abandonnent progressivement pour en créer d’autres qui conviennent mieux à leur nouvelle clientèle. Chaque fois que nous admirons ou possédons un de ces merveilleux couvre-lits tissés au Centre nous touchons une page de l’histoire du tissage qui pourrait bien disparaître un jour. Le centre d’ Akhmîm est le dernier héritier d’une vieille tradition de tissage fidèle à ses origines, mais pour combien de temps encore? The work of the draw-loom demands concentration, accuracy, time, and a certain aptitude. It also requires quite a bit of strength. Pulling the shafts is heavy work. The weaver’s task is also arduous. With one hand she pulls the cord that activates the flying shuttle, sending the warp thread across the loom; then with the other hand she draws the comb toward her with force to push it against her woven cloth in a tight weave. Working the pedals demands more leg strength than on the other looms. It is a duet, finding its rhythm in the sounds made by the weaver pulling the shafts and the percussive sound made by the comb as it beats against the cloth. The sound is heard pulsing throughout the inner court of the Center, encouraging the embroiderers in their silent task. In Akhmîm and at the Center the word atlas refers to the satin weave that is used for several draw loom fabrics. The word satin comes from China; it is the name of a city, Zaintun, becoming Tsia-tung. In English the technical term sometimes used for this weave is atlas. This is an example of sounds that have survived the long journey of looms with pedals through the world. It is important to note that atlas fabrics are part of the great family of lampas11 that had their origin in the Middle East of medieval times. The weavers of Akhmîm use cotton instead of silk, and their fabrics don’t rival the complexity of design and variety of colors found in certain lampas, but basically the technique used is the same. The Center continues to use the draw loom for its atlas cloths, keeping the traditional motifs, while the weavers of the city have gradually abandoned them for others they have created for their new clientele. Each time we admire or acquire one of the wonderful bedspreads woven at the Center, we are touching a page of the history of weaving that may well disappear one day. The Akhmîm Center is the last heir of an ancient weaving tradition faithful to its origins. For how long? Lampas: “tissu façonné, en soie, à riches décors formés par des flottés de trame régulièrement liés par une chaîne supplémentaire dite de liage” Définition du Grand Larousse / «Lampas is a type of luxury fabric with a background weft (a «ground weave»} typically in taffeta with supplementary wefts (the «pattern wefts») laid on top and forming a design, sometimes also with a «brocading weft».» (Definition given by Wikipedia) 11
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Les Femmes, regards croisés : • Les artistes par elles-mêmes • Regards The women, different perspectives: • •
Self-portraits of the artists Regards
• Mariam Sidraq, Naïma Adib • Claudine Pézerat, Claire Rado
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Portraits
• Portraits des artistes par elles-mêmes Les premières sont arrivées à l’âge de 13 ans, quelques unes ont maintenant plus de 60 ans, d’autres arrivent tous les jours pour se former. Elles étaient une poignée, elles sont 130 aujourd’hui à participer aux activités du Centre. Elles viennent toutes de milieux très modestes et pauvres : filles ou femmes d’artisans, de petits commerçants. Elles sont chrétiennes ou musulmanes. Elles rêvent toutes d’un avenir meilleur, au moins pour leurs enfants. L’argent qu’elles gagnent par leur travail au Centre, leur permet de soutenir leur famille, d’envisager d’envoyer leurs enfants à l’école, à l’université même. Leur énergie, leur courage, leur humour aussi appellent notre respect et notre admiration. Nous leur donnons la parole :
• Self-portraits of the artists
ill. 1 : Autoportrait de Mariam Sidraq / Self-portrait
Most of the first arrivals were in their early teens, and many are now in their 60’s. Only a handful at first, they kept coming, to learn. Their number grew to well over a hundred, and many are still active at the center. They come from families with limited means, some very poor: daughters and wives of craftsmen, minor tradesmen, Christians and Muslims. All of them dream of a better life, at least for their children. The money they earn through the Center allows them to help their families, to keep their children in school, perhaps even to send them to college. Their energy, courage and humor commands our respect and admiration. Let them speak for themselves:
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Portraits
MARIAM SIDRAQ Propos recueillis par Mona Zalat, Nessim et Antoinette Henein (avril 2012) From a conversation with Mona Zalat, Nessim and Antoinette Henein (April 2012)
Mariam a aujourd’hui 53 ans ; menue, vive, pleine d’entrain, gaie et drôle, ce petit bout de femme a travaillé à peu près dix ans au Centre, puis elle a dû quitter Akhmîm pour vivre au Caire. Elle nous livre son récit, dans la bonne humeur, en parsemant chaque événement d’anecdotes où son esprit vagabonde en sautant d’une idée à l’autre. Avec le recul des ans, et sa perception positive de la vie, elle nous parle ouvertement, comme si son acceptation des évènements lui avait permis de relativiser la dureté de sa vie. Mariam is 53 years old; her small, compact body is full of life and purpose, gaiety and humor. She worked for about ten years at the Center, then had to leave Akhmîm to live in Cairo. She tells her story with gusto, enriching each event with anecdotes, her vagabond thoughts skipping from one idea to another. With the hindsight time has given her, and her positive attitude toward life, she speaks openly, as if her acceptance of events has permitted her to put the harshness of her life into perspective.
ill. 2 : Essaweya, mari Girgis, Mariam Sidraq - 1970 (100 x 64 cm)
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Portraits
«I was born in Akhmîm, in a poor family. My father was a weaver and my grandfather a carpenter, that is, he made agricultural implements, especially saqiehs1. I remember my childhood as a happy time. I was the oldest; my mother had four more girls and two boys. I remember our simple joy when turnip season arrived, and we bought great quantities of them and salted them so that they would keep. We ate them all the time, they were a treat for us. Though my parents were very poor, they sent me to school, and I learned to read and write a little. When I turned 12, my childhood ended, because my father died, so I had to quit school to work and help my mother financially. My father, who had only worked on a day to day basis, had no pension, so we had no other financial resource for our livelihood. For my mother, it was really important that all her children have a chance to learn and go to school for a few years. I think she was a wonderful mother, and I learned a great deal from her. My mother was brave, and a hard worker. To earn our living, she went to work in people’s houses and did their cleaning. And I went to the Center, where young women from other countries had organized a program for girls. We called them «Abla», which means «older sister». At the Center, I was not only earning money through my work, but I learned how to be an artist-embroiderer, which I liked, and through which I could express myself. We didn’t have to copy anything, and we were free to embroider the subjects we liked. I soon became a good artist-embroiderer, and was given the responsibility of teaching the stitch and the way to do things to the new girls. Abla Joke also taught me how to make the frames on which the embroideries are stretched when they are finished. It is a meticulous kind of carpentry that demands skill and attention. I liked embroidering the world of animals and the countryside, especially cows. I looked at things around me with curiosity, and I liked to put movement in my embroideries, not wanting them to be just things filling space. Joke and Gail knew the secrets of each one of us. They would come to visit us in our houses, and help us to manage life in better ways. Even now in every day life, the carefulness and discipline that Joke demanded of us serves me well. After ten years of embroidering pictures I had to stop, because my mother’s brother, who was a kind of authority figure for us after my 1
Roue à eau pour l’irrigation / Water wheel for irrigation
« Je suis née à Akhmîm, dans une famille pauvre. Mon père était tisserand, et mon grand-père, charpentier c’est-à-dire qu’il construisait des outils agricoles et surtout des saqiehs1. Je me rappelle de mon enfance comme d’une période heureuse. J’étais l’aînée et ma mère eut encore quatre filles et deux garçons. Je me souviens de notre grande joie simple quand la période des navets arrivait et que nous en achetions en grande quantité pour les conserver en salaison. Nous en mangions tout le temps, c’était comme une friandise. Mes parents, quoique très pauvres, m’ont envoyée à l’école et j’ai appris un peu à lire et à écrire. Lors des mes 12 ans, ma vie d’enfant prit fin car notre père mourut et je dus arrêter ma scolarité pour travailler et aider ma mère financièrement. Mon père qui n’avait qu’un travail journalier, n’avait pas de retraite et nous n’avions donc aucune autre ressource financière pour continuer à vivre. Ma mère, elle, tenait vraiment beaucoup à ce que tous ses enfants reçoivent une instruction, et puissent aller quelques années à l’école. Je trouve qu’elle a été une mère merveilleuse et j’ai énormément appris d’elle. Pour gagner notre vie, ma mère, courageuse et travailleuse, fit des ménages et moi je suis entrée au Centre où des jeunes femmes venues de l’étranger avaient organisé des activités pour les jeunes filles. On les appelait « Abla » qui veut simplement dire « sœur ». Au Centre, je n’avais pas seulement un petit salaire pour mon travail, mais j’apprenais le métier d’artiste-brodeuse qui me plaisait et dans lequel j’arrivais à m’exprimer. Nous n’avions pas de motif à copier, nous étions libres de broder les sujets qui nous plaisaient. Je fus rapidement une bonne artiste-brodeuse et on me confia la responsabilité d’enseigner le point et les contraintes de ce travail à d’autres filles nouvellement arrivées. Abla Joke me forma aussi pour fabriquer les cadres sur lesquels les broderies sont tendues. C’est un travail délicat de menuiserie où il faut de la méthode et un bon savoir faire. J’aimais broder le monde des animaux et de la campagne, surtout les vaches. J’observais avec curiosité toutes les choses qui sont autour de moi et j’aimais mettre du mouvement dans mes broderies, ne voulant pas qu’elles soient simplement des choses pour remplir l’espace. Joke et Gail connaissaient la vie et les secrets de chacune d’entre nous. Elles venaient nous rendre visite dans nos propres maisons et nous aidaient à mieux gérer notre quotidien. Encore maintenant dans la vie de tous les jours, la rigueur, la discipline que Joke exigeait de nous, m’est utile.
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father’s death, did not like it that my mother had to work cleaning houses. He wanted us to come to live in Cairo, where he thought we could find work in a cloth factory. To convince us that it was the right thing to do, he told us he had been having dreams telling him that was the right path. He himself had an apartment in Cairo and lived there already with his wife and children... I was very troubled at the idea of leaving Akhmîm and the Center. When I told Gail about my uncle’s dreams, she told me not to pay attention to them; she thought it would be better for us to stay in Akhmîm, and that we would suffer in Cairo. But that didn’t take into account my uncle’s pride, who took it as a personal insult that my mother worked as a house cleaner. As for my uncle’s wife, she was jealous of the attention he showed our family, and showed her disapproval by sighing all the time. She came from a family that was even poorer than ours; her father was a miller. Finally, we sold our house and the land it was on and my three golden bracelets. We all left for Cairo. With the money from our sales our uncle had bought us a little piece of land that we could build on. What we didn’t know was that it was not possible to build on this piece of land. We ended up living on the ground floor of my uncle’s building, where his wife made our lives miserable. For example, in the evenings she would cut off our electricity. That was dramatic for my little brother, because he had to do his homework in the evening, and without electricity that was impossible. And yet, it was we who made their meals every day. We were obliged to leave, and rent a little place to live until we could find a suitable piece of ground on which to build. This apartment was so small that we were sleeping on the beds and under the beds... This situation made us laugh every evening. Finally things worked out and we built the place where I still live now with my mother. Abla Joke came to help, and carried bricks with us while we were building, and later helped us organize some things in the house,which was as primitive as it gets. During this whole difficult period, I received a great deal of support from Joke, Gail, Simone and Andre. Since we are a very united family, with a good reputation, I had a lot of suitors. I thought it was my duty to refuse, because since I was the oldest, I thought my sisters should marry before me. That is not traditional, but I thought I had this responsibility. Thanks to the work at the cloth factory my sisters found suitors and were able
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Mon activité prit fin après dix ans passés à broder des tableaux car notre oncle maternel, qui, en quelque sorte, représentait l’autorité de notre père décédé, ne voyait pas d’un bon œil que ma mère travaille en faisant des ménages, et il projeta de nous faire venir vivre au Caire où il pensait que nous trouverions du travail dans une usine de tissus. Pour nous convaincre que c’était la meilleure chose à faire il nous racontait qu’il faisait des rêves prémonitoires lui indiquant que c’était le bon chemin. Lui-même avait un appartement au Caire et y vivait déjà avec sa femme et ses enfants. J’étais très perturbée à l’idée de quitter Akhmîm et le Centre. Quand je racontais les rêves de mon oncle à Gail, elle me répondait de ne pas en tenir compte car elle pensait que c’était mieux si nous restions à Akhmîm, nous allions souffrir là-bas. Mais c’était sans compter sur la fierté de mon oncle qui ressentait comme une offense le fait que ma mère travaille comme femme de ménage. Quant à la femme de mon oncle, très jalouse qu’il s’occupe de notre famille, elle soupirait tout le temps, montrant ainsi sa désapprobation. Elle venait d’une famille encore plus pauvre que nous, son père étant meunier. Finalement nous avons vendu notre maison, le terrain et mes trois bracelets en or. Nous sommes tous partis pour le Caire. Mon oncle nous avait acheté un petit terrain avec l’argent de la vente de nos biens, pour que nous puissions y construire un petit immeuble. Ce que nous ne savions pas, c’est que ce terrain à vendre était inconstructible. Nous nous sommes retrouvés à vivre au rez-dechaussée de l’immeuble de notre oncle, où sa femme nous faisait toutes les misères du monde. Par exemple, le soir, elle nous coupait l’électricité. C’était dramatique pour mon jeune frère, car il travaillait pendant la journée à la fabrique et il devait faire ses devoirs le soir, et sans électricité ce n’était pas possible. Pourtant c’était nous qui leur faisions à manger chaque jour. Nous nous sommes sentis obligés de partir et de louer un petit logement en attendant de trouver le terrain adéquat pour construire et y vivre. Cet appartement était tellement petit que nous dormions sur les lits et sous les lits… Chaque soir cette situation nous faisait rire. Finalement les choses se sont arrangées, nous avons trouvé un terrain et nous y avons bâti le logement où j’habite encore aujourd’hui avec ma mère. Pendant toute cette période difficile, j’ai été très soutenue par Joke, Gail, Simone et André. Comme nous sommes une famille très solidaire et d’une bonne réputation, j’ai eu beaucoup de prétendants. Je pensais qu’il était de mon devoir de refuser car, étant l’aînée, mes sœurs devaient se marier avant moi. Ce n’est pas la tradition mais je sentais que j’avais cette responsabilité à assumer. Grâce au travail dans la fabrique de tissus, mes sœurs rencontrèrent des prétendants et purent se marier, puis vint encore un prétendant pour moi. C’était
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to get married. Then a suitor came for me. He was a widower with children (two boys and two girls), twenty years older than I. I saw him as a father and did not want to accept him, but my two brothers, who were waiting for me to get married so that they in turn could marry, convinced me that he was a good candidate, and I ended up accepting. I went to live with him, with his children and his sister, who soon became jealous and unkind to me. Luckily my husband’s own children always took my side. My husband was a kind man. He let me go on embroidering, and even let me go on the excursions organized by the Center. He was a waiter in a hotel. I became pregnant and had a miscarriage of twin boys after six months. The doctor advised me to wait a while before another pregnancy, but after three years of marriage my husband fell ill and died. I was alone, and went to live with my mother.. The two sons of my uncle left, one for Canada, the other for the US. They both have good situations, but never sent us any help, and it is we, the poor ones, who continue to look after our uncle. For two years I have no longer been able to embroider, because I had an accident, and since then I have tingling and numbness in my fingers and can’t hold a needle. But I always go, with great emotion, to see the exhibits of embroidery and weaving that are organized in Cairo.»
un homme veuf avec enfants, (deux garçons et deux filles), de vingt ans mon aîné ; je le voyais comme un père et n’en voulais pas, mais mes deux frères qui attendaient que je sois mariée pour se marier à leur tour, m’ont convaincue que c’était un bon parti et je finis par accepter. J’allai vivre chez lui, avec ses enfants et sa sœur, qui très vite devint jalouse et méchante avec moi. Heureusement que les propres enfants de mon mari prenaient toujours mon parti.
• Mariam Sidraq in the 1970’s (by Gail Malley)
• Mariam Sidraq dans les années 1970 (par Gail Malley)
‘‘Mariam (16 years old) is small for her age. Everything in her seems concentrated. Her embroideries are bold, her colors bright. Her tongue and her movements are too fast for her to keep them under control, and she is often in trouble. Usually she is reserved, but when something is too important to keep inside for long, it comes out in an explosion. Her family is one of the poorest ones, but she has a lot of pride, and defends her dignity ferociously. At first she was ashamed to invite us to her house. One day, as we were visiting a neighbor of hers, we found her waiting with a tray of tea, just as we were about to leave, saying «Drink it here, you don’t need to come to our house, because we have no chairs.» Once she went on strike for three months, because one of the other girls had said : «Your mother is a servant». Because she is small, she is allowed to run errands in the street which other girls her age would not do. They ask her to go for them and she responds joyfully, happy to be useful and to let off some of the energy that overflows in her.”
« Mariam (16 ans) est petite pour son âge. Tout en elle semble concentré. Ses dessins sont hardis et hauts en couleurs. Sa langue et ses mouvements sont trop rapides pour qu’elle puisse bien les contrôler et elle est souvent en difficulté. Elle est plutôt réservée mais quand une chose est trop importante pour qu’elle la garde en elle longtemps, cela éclate comme une explosion. Sa famille est parmi les plus pauvres, mais elle est fière et défend sa dignité par dessus tout. Au début, elle avait honte de nous inviter chez elle. Un jour nous l’avons trouvée, ainsi que sa mère, nous attendant avec un plateau de thé sur le seuil de la maison de voisins que nous venions de visiter : « Buvez ici, ne vous donnez pas la peine de venir jusque chez nous, nous n’avons pas de chaises ». Elle est restée en grève trois mois parce qu’une autre filles lui avait dit : « Toi, dont la mère est une servante ». A cause de sa petite taille, il lui est encore permis de faire les courses dans la rue malgré son âge. Les autres filles l’envoient à leur place et elle va joyeusement, heureuse d’être utile et aussi de laisser échapper un peu de l’énergie qui brûle en elle ».
ill. 3 : les navets / the turnips, Camelia WADIE - 1973 (36 x 25 cm)
Mon mari était gentil. Il m’a laissé continuer à broder et il me laissait même faire les excursions que le Centre organisait pour les filles. Il était serveur dans un hôtel. Je fus enceinte et au bout de six mois je fis une fausse-couche de deux jumeaux. Le docteur me conseilla d’attendre un peu avant de retomber enceinte mais après trois ans de mariage mon mari tomba malade et mourut. Je restai seule et j’allai vivre avec ma mère. Les deux fils de mon oncle, eux, sont partis, l’un au Canada et l’autre aux USA. Ils ont chacun une bonne situation mais ne nous ont jamais fait parvenir la moindre aide et c’est nous, les pauvres, qui continuons à prendre soin de notre oncle. Depuis deux ans, je ne peux plus broder car j’ai eu un accident et j’ai des fourmillements dans la main, ce qui m’empêche de tenir l’aiguille. Mais je vais toujours voir avec émotion les expositions des broderies et des tissages du Centre organisées au Caire ».
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NAÏMA ADIB Propos recueillis par Mona Zalat et Antoinette Henein (mai 2012) From a conversation with Mona Zalat and Antoinette Henein (May 2012)
«I must be about 55 years old now, and it was twelve years ago that my father left us; my mother joined him a year ago. I look back with great joy on my childhood with them, so it is there that I will start my story. What I remember most fondly is the image I keep in me of our family at breakfast time, sitting around the table: my parents, the four of us girls and my three brothers, all together in the harmony and warmth of our love for each other. How good it was to be together in this way to start the day! I adored my father, he was so kind and generous. He worked as a bricklayer’s helper, and only earned when he was able to find work. So we were very poor, but whenever he could, he would come home bringing a basketful of dates, guavas, or other treats. He loved the good things of this earth, and wanted us to enjoy them too. The days when there was almost nothing to eat, none of us said anything. He was the best of fathers and a good husband, who helped my mother with her household chores. He would even help her make the bread. My father never laid hands on us, nor on my mother. There was never any violence in our family. I loved my mother too, deeply. For me she was a woman of God. For her to accept my father as a husband was remarkable. She came from a family that was better off than his. Her parents worked in the silk weaving trade, and my mother was herself specialized in the winding of bobbins, which was well paid. She married my father even though her parents would have preferred a richer candidate. She would spoil us in her own way, for instance by adding a spoonful of clarified butter to our rice pudding, or when bread was freshly baked she would give us a little piece covered with butter and sugar. When it was time for me to go to school my parents realized that they had lost my birth certificate. So they could not enroll me, and I saw my brothers and sisters leave every day with their books and notebooks, while I stayed at home. One day my father was summoned to the Community Center for a building job. He took me with him, and that is how I went for the first time through the imposing door of the Center. I helped my father while keeping a watchful eye on everything going on around me, envying the warmth of this work environment. But it was only when I reached my eleventh year that I entered the Center with my sister to work there. It was not an easy beginning. My sister and I both wanted to be admitted, but we found out that only one girl from each family could join. To get around this problem, a girl at the center suggested that one of us change her family name,
ill. 4 : sur la route / on the way , Naïma ADIB - 2010 (32 x 41 cm)
« Je dois avoir à peu près 55 ans aujourd’hui et cela fait douze ans que mon père nous a quittés ; ma mère, elle, l’a rejoint l’an passé et je revois avec tellement de bonheur cette enfance parmi eux que c’est par là que je vais commencer mon récit. Le souvenir qui me tient le plus à cœur est cette image que je garde de notre famille à l’heure du petit déjeuner. Assis autour de la table, mes parents, nous les quatre filles et mes trois frères, tous ensemble dans une entente cordiale et chaleureuse. Que c’était bon d’être ainsi réunis avant de commencer la journée ! J’adorais mon père, il était si bon, si juste et si généreux. Il travaillait comme aide maçon et ne gagnait de l’argent que lorsqu’il trouvait du travail. Nous étions donc très pauvres mais chaque fois qu’il le pouvait il revenait à la maison, le couffin plein de dattes, de goyaves ou d’autres choses. Il aimait les bienfaits de cette terre et voulait que nous en jouissions à notre tour. Les jours où nous n’avions rien à manger, aucun de nous ne faisait la moindre remarque. C’était le meilleur des pères et également un très bon mari qui aidait ma mère dans les tâches du ménage, il l’aidait même à faire le pain. Mon père ne nous a jamais frappés, ni nous ses enfants, ni notre mère. Dans la famille il n’y a jamais eu de violence. Ma mère, je l’ai aussi aimée, profondément. Pour moi, c’était une femme de Dieu. Quand je pense qu’elle a accepté mon père comme époux, cela est tout à fait remarquable. Elle venait d’un milieu bien plus favorisé que mon père, ses parents étant des personnes aisées qui travaillaient dans le tissage de la soie et elle, ma mère, s’était spécialisée dans le travail au rouet. Travail bien rémunéré. Elle s’est mariée avec mon père alors que ses parents auraient préféré un prétendant plus riche. Elle nous gâtait à sa manière en ajoutant par exemple une cuillère de beurre clarifié sur notre riz au lait, ou bien quand le pain venait d’être cuit, elle l’émiettait et le saupoudrait de sucre avec une bonne cuillère de beurre avant de nous le donner à manger. Quand arriva pour moi l’âge d’aller à l’école, mes parents s’aperçurent qu’ils avaient perdu mon acte de naissance. Ce n’était donc pas possible de m’inscrire. Je voyais mes frères et sœurs s’en aller chaque matin avec leurs livres et cahiers et je restais à la maison. Un jour mon père fut appelé au Centre Communautaire pour faire un travail de maçonnerie. Il me prit avec lui et c’est ainsi que je franchis, pour la première fois, l’imposante porte du Centre. J’aidais mon père dans son travail tout en ayant un œil très attentif sur ce qui se passait autour de moi et j’enviais cette chaleureuse
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and that we pretend to be distantly related. I agreed to this ploy, which succeeded, and felt I was in heaven when I made my first stitches. This happiness didn’t last long, because one day I heard Abla Roseline tell me, furiously: «Naima, you are a liar, and you have to leave». I was so surprised, I didn’t know what calamity had happened to me, nor why. I went home in tears and told my mother that I had been dismissed because I had given another name in order to get admitted. My mother explained to me that I had lied. At that moment, I didn’t understand. All I had done was follow that girl’s advice. It was a mistake, but not a lie. When my father came home, we told him about it and he too said: «Naima, you lied, and, especially with the persons at the Center, you mustn’t lie, ever. If someone tells you to go and jump in the river, would you do it? Think before you do what someone tells you to do.» So I finally understood, in my child’s brain, that my mistake wasn’t simply to have followed some bad advice, but above all to have lied. Since that day I have never lied.
ambiance de travail. C’est seulement l’année de mes 11 ans que j’entrai au Centre pour y travailler avec ma sœur. Ce début ne fut pas facile. Nous voulions, ma sœur et moi y être admises, mais nous apprîmes que seulement une fille de chaque famille pouvait s’y inscrire. Pour contourner ce problème, une autre fille du Centre nous proposa que l’une d’entre nous change de nom et que l’on fasse comme si nous n’étions que des parentes éloignées. J’acceptai cette astuce qui réussit et je fis mes premiers points de broderie, j’étais aux anges. Ce bonheur fut de courte durée car un jour je vis Abla Roseline, furieuse : « Naïma, tu n’es qu’une menteuse, pars d’ici ». J’étais tellement surprise que je ne savais pas quel malheur venait de me tomber dessus ni pourquoi il s’abattait sur moi. Je rentrai en pleurs à la maison. Je racontai à ma mère que j’avais été renvoyée parce que j’avais pris un autre nom pour y être admise. Ma mère me répondit que j’avais menti. Sur le coup, je ne compris pas : pour moi, j’avais seulement suivi les conseils de cette fille, c’était là mon erreur mais ce n’était pas un mensonge. Au retour de mon père, l’histoire lui fut contée et à nouveau il me redit : « Naïma tu as menti et spécialement avec les personnes du Centre on ne doit jamais mentir, jamais. Si quelqu’un te dit d’aller te jeter dans la mer, vas-tu le faire ? Réfléchis avant de suivre des conseils ». J’ai enfin accepté dans ma tête d’enfant que mon erreur n’était pas simplement d’avoir suivi un mauvais conseil mais surtout celui d’avoir dit un mensonge, et depuis ce jour je n’ai plus jamais menti. J’appris par la suite que j’avais été dénoncée. J’eus la chance d’être soutenue par une autre fille qui défendit ma cause et je me retrouvai, toute penaude, dans les bras affectueux de Roseline.
I found out later that someone had told on me. Luckily another girl defended me, and I found myself, shamefaced, in the affectionate arms of Roseline. I took up my cloth and needle once more, but my troubles were not over. Since I was the youngest, and the latest arrival, they all sent me on their errands in town, and I had no time to do my own work. When I made a face, showing that I was tired of obeying them, they threatened me. And I had a few severe remarks from Gail, and then Joke, who noticed that I wasn’t doing much work. I kept quiet, because I was so afraid of everybody. Luckily there was a meeting with Nessim, where I finally talked, and they understood my situation; they told the others they had to Je repris le tissu et l’aiguille, mais les ennuis n’étaient pas finis. stop sending me on their errands… So I was finally able to devote Comme j’étais la plus jeune et la dernière arrivée, toutes les filles myself fully to my work. m’envoyaient faire leurs courses dans la ville et je n’avais pas de temps pour travailler. Quand je faisais grise mine, et que j’étais fatiguée de I liked the «fann» embroidery right away, but I also helped with leur obéir, elles me menaçaient. J’eus aussi des remarques sévères the weaving. Since the bobbin winding was paid at a fixed rate, I de Gail, puis de Joke qui se plaignaient car mon travail n’avançait worked at that, so hard, by the way, that I weakened my eyesight pas et moi, je me taisais, ayant tellement peur de tout le monde. in one eye, leaning over my work, winding bobbins with double or Par bonheur Nessim fit une réunion et je parlai enfin et elles triple threads, as needed. comprirent ma situation ; elles interdirent aux aînées de me faire faire Soon, other responsibilities were given to me for the weaving. It leurs courses. Je pus me remettre pleinement au travail… was my job to see that each weaver had enough thread to get ahead with her work. At that time the thread would arrive in skeins, J’ai tout de suite aimé la broderie « fann » mais j’ai aussi fait du tissage, and I had to get it on spools to be turned on the bobbin winder. et comme le travail au rouet était payé à un prix fixe j’y travaillais, This was a wonderful period for me. Life at the Center gave me a avec tellement d’assiduité du reste, qu’un de mes yeux devint faible lot, and I only went home to sleep. à force de me pencher sur le travail et de faire des bobines de deux Sundays we didn’t work, but I didn’t want to miss whatever was going ou trois fils selon la demande. Très vite, en plus de mon travail, on at the Center. We would sit in the courtyard and sing, or play. on me confia des responsabilités en particulier celle du tissage. We talked together about the problems in our work, and we talked Il fallait que je m’assure que chaque tisserande ait suffisamment de about what each of us earned. Every morning Joke would make us fil pour que son travail avance correctement. A cette époque le fil drink a glass of milk mixed with brewer’s yeast.On Wednesdays, arrivait en vrac et je devais le mettre en bobine pour qu’il soit prêt à she would visit one of us at her home. Every Saturday there was a passer sur le rouet. meeting for everyone, that I had to attend, as the person in charge of weaving supplies. Above all, there were all the excursions, that Cette période fut merveilleuse pour moi. La vie du Centre m’apportait we had on a regular basis, and that were so enriching for me. In énormément, et je ne rentrais chez moi que pour dormir. Le dimanche my embroideries I expressed all my hopes. When I saw the little on ne travaillait pas mais j’avais hâte d’aller suivre les activités houses in the fields I wanted to embroider them, because life du Centre. On s’asseyait dans la cour, on chantait, on jouait. seemed peaceful there. When I embroidered trees with birds in On discutait ensemble de tous les problèmes liés à nos activités ainsi them, it seemed to me I was a bird who would fly. que du salaire de chacune. Tous les matins, Joke nous faisait boire un verre de lait avec de la levure de bière. Le mercredi elle se rendait When I was 22, a suitor came to see my parents. We didn’t know chez une des filles pour lui rendre visite. Chaque samedi il y avait him, but a distant cousin had recommended him to us warmly. une réunion obligatoire à laquelle j’étais tenue d’assister en tant que My parents accepted him, and we were engaged for a year. responsable du tissage. De plus il y avait surtout les excursions que
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A beautiful year, full of hope. He came to see us regularly, he was handsome and very polite. He was like honey, and I loved him. He was a shoemaker by trade, and since his means were limited, the dowry he offered me was a bed and a cupboard. I provided the rest, and we rented a room on a roof. The day of my wedding I went for the first time to a hairdresser, and I had a beautiful dress. I felt very beautiful, and we went to the church. My first night was joyless, but I told myself that things would get better, gentler. The first week of our life together, he asked me for my ring, because he needed money. During the first months, he was fairly decent, but brought home little money and left me on my own for the most part. When he would take me, it was in the manner of donkeys, he would do his business, and that was it. Never a word or gesture of kindness. Then he began to take on airs, lording it over me, sure of himself, arrogant and condescending. He asked me for my money all the time, and the first time I refused, he beat me. He went on doing that, at the slightest excuse. Life became a hell, all I had were my tears, and I did not dare tell my parents, because I did not want to burden them with my problems. I fell ill, with terrible stomach aches. One evening I asked him to go to the pharmacy to buy me some medicine. He refused outright. The next day I dragged myself to my parents’ house, and my mother took me to the doctor. At the end of the consultation the doctor said to me: «Congratulations, you’re pregnant.» I was furious, demoralized, hitting my stomach, because I did not want the child of this brute. I went to see another doctor for an abortion, but was refused. Back at my parents’ home this is what my father, my wonderful father, said to me: «Consider me the father of your child, and you are his older sister». I lived with my parents during the whole time of my pregnancy and had a normal delivery there, at home. When my son Medhat was born, several friends came to visit and left some money under my pillow, as is the custom. My husband came to see his son, and wanted me to return to my home with him, promising to be gentle and good. I got up to go to the bathroom. When I came back he was gone, and the money under the pillow had disappeared. Seven months after giving birth I came down with a severe rheumatic fever. I couldn’t walk, and both my hands were totally paralyzed. Little by little I got better, and people advised me to return to my husband. But my husband had sold everything, cupboard, bed, kitchen utensils, even the faucets! We found a little place on a roof, and I bought the bed. That is all we had, except for a few cardboard boxes with clothes and a little kerosene stove...and my life began again to be a slow poisoning, until I gathered the strength to leave my husband... To be of service and help the people who are dear to me is what has helped me to live, and fills me with this love that I always want to give.»
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nous faisions régulièrement et qui m’ont tellement enrichie. Dans mes broderies je mettais toutes mes espérances. Quand je voyais les petites maisons dans les champs, je voulais les broder car j’imaginais que la vie devait y être calme. Quand je brodais les arbres avec les oiseaux, j’avais l’impression d’être l’oiseau qui s’envole. Quand j’eus 22 ans, un prétendant se présenta à mes parents. Nous ne le connaissions pas mais une cousine éloignée nous le recommandait chaleureusement. Mes parents acceptèrent et je fus fiancée pendant une année. Belle année, pleine d’espoir. Il venait régulièrement nous voir, il était beau et très correct. Il était comme le miel et je l’aimais. C’était un cordonnier de son état et vu le peu de ressources dont il disposait, il ne m’offrit en dot que l’armoire et le lit. J’ai amené tout le reste et nous avons loué une chambre sur un toit. Pour le jour de mon mariage je suis allée pour la première fois de ma vie chez le coiffeur et j’avais une belle robe. Je me suis sentie très belle et nous sommes allés à l’église. Ma première nuit fut sans joie, mais je me disais que petit à petit les choses allaient s’adoucir. La première semaine de notre vie commune, il m’a demandé mon alliance car il avait besoin d’argent. Pendant les premiers mois, il a été relativement correct mais apportait peu d’argent pour le ménage et me délaissait. Quand il me prenait, c’était comme font les ânes, il faisait son affaire et c’était fini. Jamais un mot, un geste de gentillesse. Puis il se mit à prendre des airs de caïd, sûr de lui, arrogant et méprisant. Il me demandait tout le temps mon argent et la première fois que j’ai refusé, il m’a battue. Ce qu’il fit par la suite, pour n’importe quel motif. La vie devint un enfer, je n’avais plus que mes larmes et n’osais rien dire à mes parents pour ne pas les charger avec mes problèmes. Je tombai malade, j’avais des maux de ventre effroyables et un soir je lui demandai d’aller à la pharmacie m’acheter un médicament. Il refusa catégoriquement. Le lendemain, je me traînai jusque chez mes parents et ma mère m’emmena chez le médecin. Une fois la consultation finie, le médecin me dit : « Félicitations, vous êtes enceinte ». J’étais furieuse, démoralisée et me tapais le ventre car je ne voulais pas d’enfant de cette brute. J’allai voir un autre médecin pour avorter, mais là encore j’essuyai un refus. » Rentrée chez mon père, lui, ce père merveilleux, voilà ce qu’il me dit alors : « Considère que c’est moi le père de ton enfant et que toi tu es sa grande sœur ». Je restai vivre chez mes parents pendant toute ma grossesse et même plus d’une année après la naissance et accouchai normalement, chez eux, à la maison. À la naissance de mon fils Medhat, je reçus la visite de quelques amis qui me laissèrent un peu d’argent sous l’oreiller comme c’est la coutume. Mon mari vint pour voir son fils. Il voulait que je rentre à la maison, il promettait d’être bon et doux. Je me levai pour aller à la salle de bain. Quand je revins, il était parti et sous l’oreiller, tout l’argent avait disparu. Sept mois après mon accouchement je fus atteinte d’une grave fièvre rhumatismale. Je ne pouvais plus marcher et mes deux mains étaient totalement paralysées. Petit à petit je me remis et tout le monde me conseilla d’aller vivre à nouveau avec mon mari. Mais mon mari avait tout vendu, armoire, lit, ustensiles de cuisine jusqu’aux robinets ! Nous avons retrouvé un petit logement sur un toit et j’ai acheté le lit. Nous n’avions rien d’autre que quelques cartons avec des habits et le réchaud à pétrole…et ma vie a recommencé à être un empoisonnement continuel jusqu’à ce que j’aie la force de quitter mon mari... Rendre service et aider ceux qui me sont chers m’ont toujours fait vivre et me remplissent de cet amour que j’ai tout le temps envie de donner ».
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• Claudine Pezerat, Claire Rado Claudine Pézerat : peintre aquarelliste et secrétaire générale des « Amis de la Haute- Egypte » de 1993 à 2003. Lors de ses nombreux voyages en Egypte pour l’Association, elle découvre le centre Communautaire d’ Akhmîm, le travail des brodeuses et des tisserandes. Elle est frappée par la personnalité de ces femmes et par leur talent. Elle désire les faire connaître en organisant de nombreuses expositions en France. La plus prestigieuse sera celle de l’UNESCO à Paris en 1996, à laquelle Jacques Anquetil apportera une aide déterminante. En 1993, Claire Rado, peintre, lissière et photographe, part pour l’Egypte, envoyée par Jacques Anquetil qui a consacré sa vie à découvrir et faire connaître tous les métiers dans lesquels s’exercent le talent et l’imagination des hommes du monde. Grand voyageur, auteur et historien du textile, il lui confie la sélection des tissus égyptiens qui feront partie de la grande manifestation Textiles Méditerranéens 93, pour laquelle il réunit tous les pays de la Méditerranée à Gruissan, Languedoc. Dans sa quête, elle rencontrera Sophie et Suzanne Wissa Wassef1, Shahira Mehrez2 , et André Azzam3 et rapportera en France un « butin » de tapisseries et de broderies très apprécié. En 1993, Claire Rado et Claudine Pézerat commenceront à travailler ensemble. C’est le récit de leurs rencontres avec les femmes d’Akhmîm -au cœur de leur vie- de leur famille, de leur quotidien et dans les environs, qu’elles nous confient… « Nous avons la chance d’accompagner André Azzam qui part pour une semaine à Akhmîm. Nous nous souviendrons de notre arrivée à Sohag, de ce taxi que nous prenons, vestige des luxueuses voitures américaines des années 1950, entretenues avec fierté par leur propriétaire, de cet inconfortable bien-être à s’asseoir sur les sièges défoncés recouverts de vieux coussins en cuir, du plaisir à se laisser conduire sur les routes de campagne et dans les rues étroites de la ville jusqu’à ce que nous arrivions devant la grande porte en bois sculptée du centre qui allait s’ouvrir pour nous... Nous visitons les différents ateliers et pouvons voir l’organisation du travail : le classement des cotons, des couleurs et des tissages, les préparations des broderies et leur tracé à la craie sur la toile.
• Claudine Pezerat, Claire Rado Claudine Pézerat: water colorist and Secretary General of the «Friends of Upper Egypt» from 1993 to 2003. In the course of her numerous voyages to Egypt for the Association, she discovers the Community Center of Akhmim, its embroiderers and weavers.She is struck by the personalities of the women and their talent. She wants their work to be known, and organizes several exhibits in France, The most prestigious of these is the UNESCO exhibit in Paris in 1996, in which Jacques Anquetil’s help plays a significant role. Claire Rado leaves for Egypt in 1993, sent by Jacques Anquetil, who has devoted his life to discovering and letting the world know about all the crafts created by the talent and imagination of people around the world. This noted voyager, author, and historian of textiles entrusts her with the mission of choosing the Egyptian cloths that would be part of the grand exhibition Mediterranean Textiles 93, for which he would bring together all the Mediterranean countries at Gruissan, Languedoc. In her quest she meets Sophie and Suzanne Wissa Wassef1, Shahira Mehrez2, and Andre Azzam3, and brings back to France a «booty» of treasured tapestries and embroideries. In 1993, Claire Rado and Claudine Pézerat begin to work together. Here is the account they give us of their meeting with the women of Akhmim, in their environment, their daily life, in the heart of their families. «We have the good fortune to accompany Andre Azzam, who is leaving for a week in Akhmim. We will long remember the arrival in Sohag, the taxi that we take, relic of the luxurious American cars of the 1950’s, proudly maintained by their owners,the awkward comfort of sitting on the sunken seats covered with old leather cushions, the pleasure of being driven through the countryside to the narrow, crowded streets of the city, the arrival at the huge, carved wooden door of the Center that will be opened for us... We visit the different workshops and see how things are organized : cotton bales, embroidery floss, weavings, all in careful order, preparation for the embroideries, traced in chalk on the cloth. ill. 5 : Plantation de poivrons / peppers plantation, Ferial AHMED - 2004 (59 x 53 cm) Ramses Wissa Wassef (1911-1974), architecte égyptien, créateur du Centre de tapisseries à Haraniyya, près du Caire. A sa mort sa femme Sophie et ses filles ont poursuivi son œuvr / Ramses Wissa Wassef (1911-1974), Egyptian architect, creator of the tapestry Center in Haraneya, near Cairo. Since his death his wife Sophie and his daughters have carried on his work 2 Shahira Mehrez, sociologue égyptienne, créatrice du Centre de broderies à al-Arish dans le Nord Sinaï / Shahira Mehrez, Egyptian sociologist, creator of the embroidery Center in al-Arish in the North Sinai 3 André Azzam, alors, responsable à l’AHEED / Andre Azzam, member of the Association of Upper Egypt for Education and Development 1
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Visitors sent by Cairo are always an «event»: it is an understatement to say that Andre is received with joy, with moving demonstrations of friendship. The young women and girls surround him, want to take his hand, bombard him with questions that he patiently answers. He asks about each one, holds several of the children by the hand; finally, it is curiosity about who we are that becomes the main subject. Andre introduces us and we become part of this wave of friendship and joy. After more than an hour in the shadow of the great sycamore in the courtyard, we take advantage of a quiet moment to follow Andre toward the main building and go into a large room, a bit dark, though it receives some of the day light, still brilliant outside. We will later see that the luminous embroideries and weaving are created almost in half-light.
ill. 6 : les taxis à la gare de Sohag / the taxis at the Sohag train station ill. 7 : André Azzam au Centre / Andre Azzam at the Center
Accompanied by the smiles and graciousness of the artists we visit the places where the work takes place: the cloth must be chosen and cut, the embroidery floss colors decided, the design conceived, sketched with chalk. Everyone gathers around the table, sitting or standing. Immediately, a lively discussion is in progress. The embroiderers take from their pockets cloth they have folded or rolled tightly: these are embroideries, that they unfold to show Andre first of all, but also to their companions. Of course we do not understand their language, but their expressive faces and the tone of their voice help us understand what is being said. When there are disagreements the volume rises, eyes flash. Smiles and laughter reign when there are compliments for a beautiful piece and the quality of the embroidery. Andre manages to calm the debates with his diplomacy, and when he speaks, is listened to with respect. Then the discussions can continue more serenely. Later he explains to us that the embroiderers are more severe in their criticism of each other’s work than he is. An embroiderer might be criticized for having no imagination, no original ideas, for copying another embroiderer’s motifs, or of having careless, coarse stitches. But the compliments for a beautiful embroidery are as generous as the criticisms are sharp. Once everything has been said the embroideries disappear as subtly as they appeared. Still, the meeting is not over.
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La visite de l’envoyé du Caire est toujours un « événement » : c’est peu dire qu’André est accueilli avec joie par des démonstrations d’amitié particulièrement émouvantes. Les femmes, les jeunes filles l’entourent, veulent lui prendre la main, le pressent de questions auxquelles il répond avec patience. Il s’inquiète de chacune, tient la main de plusieurs enfants ; enfin, la curiosité «sur qui» nous sommes prend le dessus. André nous présente et nous sommes emportées dans cet élan joyeux et amical. Plus d’une heure se passe ainsi, dehors dans la cour, à l’ombre du grand sycomore quand, tirant profit d’une accalmie, nous le suivons vers le bâtiment central et entrons dans la grande pièce qui paraît presque obscure, à peine éclairée par la lumière du jour, pourtant éclatante à l’extérieur. Nous verrons, plus tard, que les broderies lumineuses et les tissages de soleil sont fabriqués dans une presque pénombre. Chacune s’installe autour de la table, assise ou debout. Le programme des discussions commence aussitôt et vivement. Les brodeuses sortent de leurs poches des morceaux de tissus pliés et roulés en boule ; ce sont les broderies qu’elles déplient pour les « faire voir » à André en tout premier lieu, mais aussi à leurs compagnes qui les découvrent. Bien sûr, nous ne comprenons rien à leur langue, pourtant leurs visages si expressifs, le son de leur voix nous aident à interpréter ce qui se dit. S’il y a des désaccords, le ton monte, s’emporte, les yeux lancent des éclairs. Les sourires, les rires gagnent sur la colère lorsqu’au contraire les compliments viennent récompenser un beau travail et les qualités d’une brodeuse. André, grâce à sa diplomatie réussit à calmer les débats et, lorsqu’il prend la parole, il est respectueusement écouté. Les discussions peuvent alors reprendre sur un ton plus serein. Plus tard, il nous expliquera que les brodeuses se jugent entre elles beaucoup plus sévèrement qu’il ne le fait lui-même. Certaines en accusent d’autres de n’avoir aucune imagination, aucune originalité et de se copier les unes les autres, de mal broder avec des points grossiers ; mais pour une belle broderie les félicitations sont aussi généreuses que les critiques ont été acerbes. Une fois que tout a été dit, a été vu, les broderies disparaissent dans les poches des tabliers aussi subrepticement qu’elles en sont sorties. Cependant, la réunion n’est pas terminée pour autant.
ill. 8 : l’armoire aux fils DMC / the embroidery floss cupboard ill. 9 : Mariam Azmi montre fièrement son travail / Mariam Azmi proudly shows her work
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Other subjects are discussed, more intimate, touching their lives, their families, health, bringing up children, their current plans, their future, social problems that affect them, even though as embroiderers they have gained a certain degree of independence from their parents and husbands. They have gained awareness of their personal worth, and that makes it more difficult to accept certain constraints. Yet their status as embroidery-artists does help them to live more in peace with themselves. One of the embroiderers, Mariam Azmi, invites us to go into the city with her; we leave for a visit to her house, in an older neighborhood where the houses have become precarious, due to the lack of moisture in the soil of the foundations since the ceasing of the annual floods. Her father welcomes us into a house that seems about to collapse! The story above the inner court is supported by a scaffold, the one above it is sagging. The family only has three rooms now... The house is very bare, but clean and orderly. Mariam offers us coca cola, bought at the little grocery around the corner. How can we refuse her gracious offer! We remember too the excursion to Bir al Ain. There are 12 of us in the minibus. We remember the laughing, the joy of the departure, the singing, and also the teasing of the driver, that he bore with delight and responded to with little jokes. We remember the arrival at Bir el Ain: we were dwarfed as we walked between the immense boulders; several times we stopped to contemplate the majesty of the landscape. The rocks in our path became bigger, blocking our passage, and the embroiderers had to change their high-heeled shoes for more comfortable sandals to begin the climb that ended along a stiff cliff, from which poured a thin stream of water, clear and fresh, that each wanted to splash over her hands and face. This water is said to be miraculous, a source of fertility. The return voyage is subdued, the songs gentler, the impressions already sinking deeply into the hearts of the voyageurs: they will be seen later in the embroideries... We left, moved by what we had learned of these embroiderers, their lives, their work.»
ill. 10 : excursion à Bir al-Ain / excursion to Bir al Ain
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D’autre thèmes sont abordés, plus intimes, touchant à leur vie, leurs familles, la santé, l’éducation des enfants, leurs projets immédiats, leur futur, les difficultés auxquelles elles se heurtent dans la société, même si, par leur statut de brodeuses elles ont acquis une certaine indépendance vis-à-vis de leur père ou de leur mari. Elles ont pris conscience qu’elles existent en tant que personne, et il en découle que certaines contraintes sont plus difficiles à accepter, même si leur qualité de brodeuses-artistes les aide à vivre plus facilement en accord avec elles-mêmes. L’une des brodeuses, Mariam Azmi, nous propose un intermède en ville ; nous partons pour une visite à son domicile, dans les vieux quartiers ; les maisons anciennes sont fragilisées par la disparition de la crue qui entretenait une humidité dans les sols ; les joints de terre redeviennent sable et ne tiennent plus. Il semble que ces quartiers soient abandonnés à leur sort… Nous sommes accueillies par son père dans une maison qui s’effondre ! Le premier étage est soutenu par des échafaudages, l’étage supérieur étant descendu d’un cran ! La famille n’a plus que trois pièces… C’est d’une très grande pauvreté, mais bien tenu. Mariam nous offre du cocacola acheté chez le petit épicier du coin ; comment refuser cette gentillesse ! Nous nous souvenons de l’excursion à Bir al-Ain . Nous sommes douze dans le minibus. Nous nous souvenons des rires, du bonheur qu’il y avait à partir, de leurs chants, mais aussi des moqueries que supportait avec délices le conducteur qui essayait de leur répondre par de faibles plaisanteries. Nous nous souvenons de l’arrivée à Bir al-Ain : nous marchons, minuscules entre deux immenses parois rocheuses ; plusieurs fois, nous nous arrêtons pour contempler ce paysage grandiose, impressionnant de majesté. Les rochers, de plus en plus gros, nous barrent le passage, et les brodeuses doivent changer leurs souliers à talons hauts pour des sandales plus confortables afin de pouvoir commencer l’escalade qui se termine le long d’une paroi abrupte d’où coule un mince filet d’eau, une eau fraîche et claire, que chacune à son tour voudra faire couler dans ses mains et sur son visage. On dit cette eau miraculeuse, source de fertilité. Le retour est grave, les chants plus doux, des souvenirs déjà s’inscrivent dans le coeur des promeneuses ; on les verra plus tard sur les broderies…»
ill. 11 : Les 50 ans de l’Association / 50th Anniversary of the Association, Mariam AZMI - 1987 (64 x 134 cm)
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n Cairo, in the halls of the Association of Upper Egypt, the exhibits present a profusion of embroidered pictures and weaving. It is an important event in Cairo life. The inauguration will be at 11:00 A.M. We are there when the important guests arrive: the apostolic nuncio and other religious authorities, Egyptian Ministers, ambassadors, directors of various organizations. The atmosphere is very welcoming. People are expressing their delight as they view the framed embroideries that cover the walls. Photographers, journalists, television producers go about their business. The feast comes to the important moment at 6:00 P.M. when the doors open to the public. Within, all is in readiness: three sellers per panel, notebooks in hand. Outside people wait in line. The doors open and they pour in, to the heart of a superb exhibit. The embroideries cover the walls in a shimmer of colors, a delight to the eyes. All these embroideries framed in their different shapes with their lively subjects create a world full of gaiety. The variety of dimensions, rectangles, squares, long narrow bands, adds further animation to the whole. The life of the countryside appears to be the main theme, but the artists also embroider their life at the Center, the city, feasts, rites and their own personal history, rooted in Upper Egypt. The pictures seduce us with their charm. Color is what dominates! It is used without timidity. The cloth woven at the Center and used for the embroidery is in a rich range of colors : different tones of yellow, orange, red, blue, teal, violet, purple, and brown. The motifs are embroidered on this cloth that is later stretched for framing. The bright colors of the embroidery thread are of every possible hue, used sometimes in daring combinations. The colors of the subjects may be chosen with regard to the color of the cloth, or keep their own colors. So the Nile may be blue, black or yellow. Other subjects are treated with more severity, such as the buffalo: brown, but also blue, and not devoid of charm. A harvest embroidered on a red background carries a yellow motif, bringing with it the sun. Trees and plants are rendered with exuberance, in contrasting colors, with leaves of imaginary shapes. Sometimes the surface is densely covered, leaving little empty space, especially if a story is being told, or a feast described. Then the embroiderer joyfully abandons herself to her subject. To express themselves in this way releases a voice nearly silent in their personal life; they can finally «speak» their life. Learning to
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u Caire, dans les locaux de l’Association de la Haute Egypte, les expositions annuelles présentent une profusion de tableaux et de tissages. C’est un évènement attendu de la vie cairote. L’inauguration officielle va avoir lieu à 11 heures. Nous assistons à l’arrivée des personnalités : nonce apostolique et autorités religieuses, ministres égyptiens, ambassadeurs, responsables d’associations. L’ambiance est très conviviale. Chacun s’extasie devant les tableaux brodés qui tapissent les murs. Photographes, presse, journalistes, télévision sont aussi à l’œuvre. Le clou de la fête a lieu à 18 heures avec l’ouverture des portes pour la vente au public. A l’intérieur tout est prêt, trois vendeurs par panneau, carnets à la main. Dehors, on fait la queue. Les portes s’ouvrent enfin et les gens s’engouffrent. Nous entrons au cœur d’une superbe exposition. Dans une ambiance festive toutes les broderies sont exposées sur les murs dans un chatoiement de couleurs, plaisir des yeux, curiosité devant toutes ces images de formats variés, présentées encadrées comme des tableaux, sujets animés, l’ensemble dégageant beaucoup de gaité. Les dimensions différentes, longues bandes, rectangles, carrés, donnent de l’animation aux murs. Les broderies précises, denses, attirent l’attention. Certes, la campagne semble le sujet principal, avec la vie qui s’y déroule, mais les artistes brodent aussi leur vie au Centre, dans la ville, les fêtes, les rites et aussi leur histoire personnelle ancrée dans la Haute Egypte. Il se dégage de ces œuvres un charme étonnant qui séduit. La couleur est la qualité principale de ces tableaux brodés ! Elle est utilisée sans timidité. Grande variété des fonds de toile tissée au Centre : des jaunes, orange, rouges, roses, violets ou bleus, ou bruns, de valeurs différentes. Les motifs sont brodés sur cette toile qui est ensuite tendue pour l’encadrement. Ils sont brodés de coton de couleurs vives avec tous les dégradés de teintes possibles et même quelquefois, avec des rapports osés. Le dessin linéaire peut être choisi en fonction de la couleur du fond ou de sa couleur propre. Ainsi le Nil peut être bleu, noir ou jaune. D’autres sujets sont traités avec rigueur, comme la bufflesse, brune mais aussi bleue et qui ne manque pas de charme. La moisson, sur fond rouge supporte un dessin en jaune, c’est bien l’ambiance soleil. C’est avec la nature, les arbres, les plantes que les broderies sont le plus exubérantes avec des tons contrastés, sur des dessins de feuillages imaginaires. L’espace brodé peut être important et laisser peu de place au vide, surtout s’il y a une histoire à raconter, une fête à décrire ; alors, pleine de son sujet, la brodeuse s’en donne « à cœur joie ». Ce moyen d’expression libère une parole très réduite
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wield needle and thread demands practice, but the running stitch they use adapts itself well to the free style of this embroidery. Some embroiderers can be recognized by the audacity of their work, that reveals a rich and generous personality, others by their skill with colors. Each one has her own history, her own personality, and each work is unique. We are drawn by this abundance of color to the picture. The subject is announced by a clear-cut title: Tree, The Road, Market, Dovecote, Boat on the Nile, The Harvest.... We discover birds, onions, peppers, the life of the peasants, bedouins, women fetching water, The animals are well depicted, the cats, the herons, swans, and the trees of Egypt, sycamore, palm tree, mulberry, flame tree: we are in the countryside. We see the full meaning of this world. In Egypt the countryside has always been depicted on the walls of temples, the tombs. Birds represent spirituality, love, happiness. The ducks and birds that go in pairs, marital fidelity. The camel, the austerity of the desert. The ibis and the cat, serving us in the fight against insects and serpents. In this horizontal land, the palm tree is the vertical, prompting us to lift our heads to see its fruits, to climb to attain them; its straight, perfect trunk has served and still serves as a beam in the construction of houses. The women of Akhmîm, though city dwellers, know this Upper Egyptian countryside: they go through it, walk in it, and leave the dusty heat of their city to participate in its feasts: the great feasts of al Aid al Kabir4, Shamm al Nessîm5 and others are wonderful and exhilarating feasts to celebrate in the countryside. What a joy it must be to leave one’s dimly lit house, with its narrow windows and doors! For Egyptians, the countryside of Upper Egypt is a paradise. The other outlet is the desert, stalked by death, stones, relentless sun. In their embroideries they bear witness to these striking contrasts: the luxurious beauty of the countryside, and the troubling austerity of the desert. Conditioned by their environment and limited by a society where any change seems difficult, these women help us believe in the «possible». The Center has existed for more than 50 years. We can only marvel at the renewal of an ancient skill, and salute the courage and talent of the women who began this project, and their sisters, the women of Akhmîm.
Aïd al-Kebir (aïd al-Adha), fête musulmane du sacrifice (en souvenir du sacrifice d’Abraham) / Moslem feast commemorating the sacrifice of Abraham Cham al-Nessim : fête du printemps, fête populaire égyptienne qui suit le dimanche de la Pâque copte / The people’s celebration of Spring, following the Coptic Easter
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dans leur vie personnelle, elles osent enfin « dire » leur vie. Certes le maniement de l’aiguille et du fil nécessite un apprentissage et des exécutions répétées ; le point de trait utilisé permet une souplesse certaine pour une broderie libre. Quelques brodeuses se font ainsi reconnaître par l’audace de leur œuvre, qui marque une personnalité riche et généreuse, d’autres sont de brillantes coloristes, chacune a sa personnalité, son histoire, et sa broderie est un exemplaire unique. Cette abondance colorée nous incite à nous approcher du tableau. Le sujet est annoncé par un titre précis : l’arbre, la route, le marché, le pigeonnier, la barque sur le Nil, la moisson… on découvre alors les oiseaux, les oignons, les poivrons, la vie des paysans, les bédouins, les jeunes filles allant chercher de l’eau. Les animaux sont bien dessinés, les chats, les hérons, les cygnes, puis les arbres d’Egypte, le sycomore, le palmier, le mûrier, le flamboyant : nous sommes dans la campagne. Et tout ce monde prend tout son sens. En Egypte, depuis toujours la campagne a été représentée sur les murs des temples, des tombes. Les oiseaux sont la spiritualité, l’amour, la félicité. Les canards et les poissons qui vont par couple, c’est la fidélité conjugale, le chameau, la sobriété dans le désert, l’ibis et le chat, au service de l’homme pour la lutte contre les insectes et les serpents. Dans ce pays horizontal, le palmier est la ligne verticale , il faut lever la tête pour voir son fruit et grimper pour le cueillir, son tronc parfait et droit a servi et sert encore comme poutres dans la construction des maisons. Cette campagne de Haute-Egypte, ces femmes pourtant citadines n’y vivent pas, mais elles la connaissent : elles la traversent, s’y promènent et, quittant leur maison et la chaleur poussiéreuse de leur ville, viennent y faire la fête ; les grandes fêtes de l’Aïd al-Kebir4, du Cham al-Nessim5 et d’autres sont merveilleuses dans la campagne, fêtes de liesse et de bonheur. Quel changement ce doit être de quitter sa maison modeste, sans lumière, aux petites fenêtres et portes étroites ! Pour l’Egyptien, la campagne de Haute-Egypte est un lieu de paradis. L’autre possibilité d’évasion c’est le désert, où rodent la mort, le soleil et la pierre. Et dans leurs broderies, elles témoignent de ces contrastes si frappants, la beauté luxuriante de la campagne et l’austérité inquiétante du désert. Conditionnées par leur milieu et contraintes par une société où tout changement paraît difficile, ces femmes sont bien la preuve d’un « possible ». Après plus de cinquante ans d’existence du Centre, on ne peut que s’émerveiller du renouveau d’un savoir ancien, et rendre hommage au courage et au talent des fondatrices du projet et à celui des femmes d’Akhmîm.
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PORTFOLIO
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Dieu crĂŠant les poissons God creating the fish, NAJAT - 1968
La crĂŠation du monde, Camelia WADIE - 1970
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L’entrée de Jésus à Jérusalem Jesus’ entry into Jerusalem, Camelia WADIE - 1968 Les Rameaux Palm Sunday, Anaam AWAD - 1968
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L’arbre aux oiseaux Tree and birds, Camelia WADIE
Le jardin d’Eden The garden of Eden, Camelia WADIE - 1971 (19 x 26 cm)
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RĂŠcrĂŠation Recreation - 1963 La chatte et ses petits Cat and kittens
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Arbres et montagnes Trees and mountains, Camelia WADIE
Jeunes filles au bord de l’eau Young girls along the river, Nadia AZMI - 1969 (118 x 51cm)
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Deux chats Two cats, Anaam AWAD - 1972 (36 x 36 cm)
Chats et poules Cats and chickens
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Le Centre Communautaire The Center, Mariam SIDRAQ
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Le nourag , Atteyat MITRI - 1975 (64 x 36 cm) Arbres et oiseaux Trees and birds, Hayat RISQ - 1975 (64 x 35 cm)
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La ville d’Akhmîm, la nuit Akmîm at night, Mariam AZMI - 1975 (60 x 50 cm) La palmeraie Palm trees, Nadia AZMI / Les pêcheurs Fishermen, Mariam AZMI - 1975 (65x55 cm)
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Le cimetière The churchyard
Le monastère de l’Amba Chenouda Amba Shenuda monastery, Nadia AZMI - 1977 (74 x 63 cm)
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Pèlerinage aux monastères du désert Pilgrimage to the desert monasteries near Akhmim, Mariam AZMI
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La veille du mariage de Henna On the eve of Henna’s wedding, Nora KHALAF - 1984 (64 x 35 cm) Arbres et fleuve Trees and river, Nora KHALAF - 1976 (69 x 59 cm) / Promenade sur le Nil Sailing on the Nile, Ehsan ISRAEL - 1977 (44 x 35 cm) 139
Promenade Ă Bir al-Ain Ă dos de chameau Camel Riding to Bir al Ain - 1980
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Le pigeonnier Pigeon tower, Neenaa ADIB - 1987 (60 x 40 cm)
Un mûrier A mulberry tree, Ateyat MITRI - 1988 (50 x 50 cm)
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Le Nil à Mancheya The Nile at Mansheya, Nora KHALAF - 1988 (62 x 60 cm)
«Je brode le monde autour de moi» «I embroider the world around me», Mariam AZMI - 1976 (75 x 64 cm)
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Le monde devant moi The world facing me, Mariam AZMI - 1998 (82 x 80 cm)
Nourag, Soad SABET - 2010 (42 x 42 cm)
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Arbre Tree Arbre Tree, Soraya RISK - 2005 (35 x 30 cm)
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Porteuses d’eau Water carriers, Eqbal al-QOMMOS - 2003
L’île sur le Nil Island on the Nile - 2003
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Sans titre Untitled
Atteyat MITRI - 2008
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Sans titre Untitled Le lac des poissons The fish pond, Naanaa ADIB - 2007
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Arbre et cygnes Tree and swans, Nawal NESSIM - 2010 (74 x 63 cm) Des femmes au bord de l’eau Women along the river
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Le pêcheur The fisherman, Hayat MORCOS - 1972 (62 x 50 cm) Les palmiers de notre pays The palm trees of our country, Nakeya ZAKI - 2010 (43 x 41 cm)
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L’estivage au bord de la mer Summer at the sea side, Mariam AZMI - 2010 (73 x 63 cm) La prospérité de notre pays Our country ‘s prosperity, Nora KHALAF - 2010 (58 x 63 cm)
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L’arbre The tree, Nakeya ZAKI - 2010 (66 x 56 cm)
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Le mûrier The mulberry tree, Naanaa ADIB - 2010 (71 x 43 cm) La route du village de Hawawish The road to Hawawish, Nakeya ZAKI - 2010 (73 x 73 cm)
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Fabrication des cagettes en tige de palmier Making crates with palm trees twigs, Nakeya ZAKI - 2010 (64 x 56 cm)
Les blés Wheat, Naanaa ADIB - 2010 (55 x 42 cm)
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Le village de Salamona Salamona village, Soad SABET - 2010 (43 x 62 cm)
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La danse du cheval The horse dance, Mariam AZMI - 2010 (58 x 45 cm)
La récolte du coton Cotton picking, Bella KAMEL - 2010 (51 x 39 cm)
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Arbre de vie (copie d’une broderie copte) Tree of life (copy of a Coptic embroidery)
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Bibliographie / Bibliography
• ABDEL-SAYED Edris : les Coptes d’Egypte, les premiers Chrétiens du Nil. Publisud, 1995. • AMMOUN Denise : Egypte des mains Magiques. IFAO, Le Caire, 1993. • AZZAM André : Textiles contemporains en Egypte (p 125-129) in Marie-Cécile BRUWIER : Egyptiennes : étoffes coptes du Nil : Musée Royal de Mariemont, Belgique, 1997. • DURAND Maximilien, SARAGOZA Florence : Egypte, la trame de l’histoire. Somogy, 2002. • FAHMY Hoda : Changing women in a changing society : a study of emergent consciousness of young women in the city of Akhmîm in Upper Egypt : thèse présentée à l’Université Américaine du Caire, Le Caire, 1978. • GRESH Alain : Dans l’Egypte de Nasser… in Monde Diplomatique, juin 2010 (p 22). • KHALIFA Doaa : Les fils à retordre d’Akhmîm, in Ahram-Hebdo n° 848, 8-14 décembre 2010, Le Caire. • Ludmila KYBALOVA : Les tissus coptes ; Editions Cercle d’Art, Paris, 1967. • MILLER Catherine (IREMA, Aix-en-Provence) Une famille de Balyana (gouvernorat de Sohag) Entre ruralité et Urbanité ? Notes prises en 1996, in dir. Eric DENIS : Villes et Urbanisation des Provinces égyptiennes, 1999. • WISSA WASSEF Ramsès : « Tapisseries de la Jeune Egypte », Gründ, 1972. Sites à consulter : www.amishaute-egypte.fr www.upperegypt.org www.tahtib.com www.thegrailatcornwall.org
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Crédits Photographiques / Photographic credits
• COLLET Raymond : couverture et dos de couverture ; chap. Centre communautaire : p. 24, ill. 6, 7, 10, 15, 16, 21, 22, 24, 27, 29 ; chap. Le fil des femmes : ill. 2, 3 ,6, 7, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 26, 27, 28, p. 58, p. 60, p. 61/62, p. 63, p. 66, p. 68, p. 72, p. 74, p. 76/77 ; chap. Les Femmes : ill. 2, 3, 4,11. Portfolio : p. 124, 125, 131, 132, 133 (1), 138, 139, 142, 143, 144, 145, 146, 147, 148, 149, 156, 159, 160, 161, 162, 164, 165, 166, 167, 168, 169, 170, 171, 172 ; • GANNAGE Antoine : chap. Centre Communautaire : ill. 26 ; chap. Le Tissage : ill. 1 ; chap. Regards : ill. 9 ; • HENEIN Antoinette : chap. Le Tissage : ill. 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 ,11 ,12 , 13 , 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23 ; • MALLEY Gail : chap. Centre Communautaire : ill. 11, 20 ; chap. La Broderie : ill. 25 ; chap. Les Femmes : p. 92, ill. 1 ; Portfolio : p. 120, 130, 135 ;
• MAURY Bernard : chap. Akhmîm Antique : ill. 2, 3 ; chap. Centre Communautaire : ill. 1 ; chap. Le fil des femmes : ill. 10 ; chap. Les femmes : ill. 5 ; Portfolio : p 126, 148, 149, 152,153, 154, 155, 157, 158 ; • PEZERAT Claudine : chap. Centre Communautaire : ill. 9,12, 19 ; chap. Regards : ill. 10 ; • RADO Claire : chap. Centre Communautaire : ill. 17,18,28,30 ; chap : La Broderie : ill. 4, 5, 9 ; p. 70 ; chap. Le Tissage : ill. 2 ; chap. Regards : ill. 6, 7, 8 ; p. 108 ; • Van NEERVEN Joke : chap. Centre Communautaire : ill. 5, 8,14 ; chap. La Broderie : ill. 8, 13, 15 ; chap. Le tissage : ill. 4 ; Portfolio : p. 116, 120, 128, 129, 133(2), 136, 137, 140, 141 ; • de VILAINE Roseline : chap. Centre Communautaire : ill. 2, 3, 13 ,23 ; chap. La Broderie : ill. 11, 12, 14 ; Portfolio : p. 119, 127, 134.
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Editions Au fil du temps Route de Trinquies 12330 SOUYRI (France) www.fil-du-temps.com Direction artistique : Stéphane SICHI N° ISBN : 978-2-918298-45-8 Dépot Légal : Mai 2014 Achevé d’imprimer en Avril 2014 sur les presses de NOVO PRINT à Barcelone, Espagne
Située sur la rive orientale du Nil, au nord de Louxor, la ville d’Akhmîm est réputée pour sa tradition du tissage vieille de quatre mille ans. Dès l’époque pharaonique et jusqu’à nos jours, on y a tissé : le lin d’abord, mais aussi la soie ou la laine, puis le coton. Aujourd’hui, Akhmîm, où cohabite une population musulmane et chrétienne placée sous le signe du croissant et de la croix, de la mosquée et de l’église, est célèbre pour une autre raison. En effet, dans les années soixante, un groupe de femmes venues de l’étranger, plus tard relayées par une ONG égyptienne, L’Association de la Haute - Égypte pour l’Éducation et le Développement (AHEED), met cet artisanat au coeur de son action à Akhmîm pour revaloriser et donner à des femmes analphabètes une place dans la société. De cette réappropriation d’un artisanat séculaire sont nés de nouveaux motifs, véritables jaillissements de couleurs et de vie, qui puisent leur inspiration dans la vie quotidienne et rurale. C’est le récit de ce renouveau que propose Au Fil des femmes, étayé d’une magnifique iconographie (photos de broderies et tissages récents, clichés d’archives, portraits de femmes…) et d’émouvants témoignages.
Situated on the east bank of the Nile, north of Louxor, the city of Akhmim is known for its four thousand year old weaving tradition. From pharaonic times to the present people have been weaving there: linen at first, but also wool, then cotton. Today Akhmim where a Moslem and Christian population lives together under the signs of cross and crescent, church and mosque, is famous for another reason. In the 1960’s a group of women from other countries, later relayed by an Egyptian NGO (the Association of Upper Egypt for Education and Development) placed this handicraft at the heart of its action in Akhmim, that aimed to enhance the position of women in their community. This affirmation of an ancient tradition gave birth to new designs, to a blossoming of color and life that found inspiration in the scenes of daily life in Akhmim and its countryside. It is the story of this renewal that” Akmîm, Au Fil des Femmes” wants to tell. It is accompanied by a magnificent iconography (photographs of recent embroideries and weavings, old snapshots from the archives, portraits of the women) and moving testimonials.
ISBN : 978-2-918298-45-8
Prix de vente 35 €