Pl(ut么)t R锚ver Collectif pour donner vie aux utopies
Agora 2014 Biennale d'architecture, de design et d'urbanisme Prix des associations Pl(utô)t Rêver © Propriété intellectuelle de Pl(utô)t Rêver
3
Merci aux premiers membres de Pl(utô)t Rêver, ceux qui se réunissaient une fois par semaine autour d’un Skype, pour répondre à un concours ou discuter. Merci à nos rencontres, grâce auxquelles notre pratique continue de se définir et d’évoluer. Merci aux bricoleurs pour leur aide et pour leurs conseils avisés lors de la construction du café. Merci à tous ceux qui nous ont encouragées jusqu’à maintenant.
5
Avant Propos Bordeaux. Septembre 2014. Biennale Agora. Tout le monde s'affaire dans tous les sens, une exposition par ici, une visite par-là, vite, vite, on va manquer la conférence ! L'espace public. Voilà le sujet de cette biennale. Parfait. C'est l'occasion de vous présenter Pl(utô) t Rêver ; ses idéaux, ses projets en cours et ses projets à venir. Pl(utô)t Rêver est une association à géométrie variable dont les intérêts se portent sur la démocratisation des pratiques de transformation du cadre de vie. La collaboration entre différentes disciplines enrichit les projets et encourage chaque profession à se nourrir des autres. Pl(utô)t Rêver met donc en place des projets où l'habitant a le pouvoir d'améliorer son environnement et son quotidien. Pour définir ces pratiques, nous avons choisi de donner la parole aux membres de l'association, aux personnes que nous avons rencontrées et avec lesquelles nous travaillons. Ici, chacun a un espace pour s'exprimer. Activistes dans l'âme, à vous la parole ! À la lecture de ces quelques pages, l'envie vous viendra peut-être d'intervenir sur nos espaces publics. Vous regarderez certainement d'un autre œil les territoires explorés par le Café en Bullant. Et finalement, un désir irrésistible vous poussera à participer au projet Des places et vous.
7
Pl(utô)t Rêver, une association L'initiative de créer cette association émane de questionnements récurrents sur la pratique actuelle du métier d'architecte. Longtemps spectateurs des différentes manières d'exercer cette discipline, nous voulions nous frotter à notre tour à la pratique. Nous nous sommes réunis et nous avons partagé nos visions, nos idéaux, nos utopies. Et nous voilà ! Ensemble, nous parlons de pratiquer l'architecture de manière alternative. Nous œuvrons pour ouvrir le métier à d'autres disciplines et pour partager savoirs et connaissances. L'architecte joue tantôt le rôle de bricoleur, tantôt de médiateur. Il s'associe aux spécialistes des questions qu'il pose : urbaniste, paysagiste, écologue, animateur, sociologue, artiste... Notre pratique n'est pas figée dans un espace ou dans un temps, elle évolue au gré des rencontres et des problématiques. Nous agissons sur nos espaces de proximité. L'habitant est le premier touché par les modifications de son environnement, il est ainsi le premier à avoir la capacité d’agir sur ses transformations. Nous expérimentons des projets participatifs pour que le citoyen se sente en mesure de reconquérir son environnement. Ces différentes pratiques font écho à une manière de concevoir la société. La croissance économique est-elle son seul dessein ? Dans quelle mesure devons-nous limiter la globalisation ? Tous ces concepts poussent à repenser le quotidien par des interactions privilégiées vis a vis de l’environnement local. En ce sens, encourager le citoyen a agir sur cet environnement le mène à reconsidérer sa position dans la société d’aujourd’hui. Ainsi, notre action est politique. Elle encourage à un meilleur vivre ensemble. 9
Raymond Colom
Quai de Brazza
Amédée Larrieu
Calixte Camelle
Cardinal Donnet
Café en Bullant Le Café en Bullant naît de cette volonté de rapprocher l'habitant et l'architecte pour démocratiser les processus de transformation de la ville. Ce café mobile investit les espaces publics bordelais non appropriés et engage un dialogue avec ces lieux et leurs habitants. Autour d'une structure roulante construite en matériaux de récupération -caisses de vin et palette - tables et chaises pliantes se déploient au coin d'une rue ,ou sur une place , et invitent les passants à partager un moment convivial. Dégustant thé, café ou gâteaux confectionnés pour l'occasion, habitants et passants se rencontrent et échangent sur leur cadre de vie commun. Vecteur de dialogue, le Café en Bullant questionne l'espace public et ses habitants. Les lieux expérimentés nous interpellent, car trop souvent marqués de préjugés et d'a priori. Le support du café amène à comprendre le fonctionnement et les usages de ces espaces. Le projet tente de trouver sa place au milieu des règles de l'espace public, règles nécessaires mais décourageant souvent toute initiative. Nous identifions les possibles et les potentiels de ces espaces à partir de ces règles. Au cours de nos sorties, nous observons les réactions à la présence de la structure ambulante. Quels habitants vivent dans ces quartiers ? Quels habitants ne font que passer ? Nous souhaitons bousculer les habitudes et les comportements dans l'espace public. Le café invite à prendre conscience de son environnement. Il suscite l'envie de pratiquer ces espaces autrement. Au sein des quartiers investis, nous identifions les besoins des habitants. Le Café en Bullant appelle à rêver son espace quotidien. Ainsi, dans les pages suivantes, nous vous invitons, à votre tour, à faire connaissance avec ces places et leurs habitants. 11
© Pl(utô)t Rêver
Café en Bullant / Place du Cardinal Donnet Place du Cardinal Donnet. Les boules de pétanque s’entrechoquent. Ambiance sud de la France à l’heure de l’apéro. D’ailleurs, on nous dit «Vous n’allez pas le vendre votre café, ce qu’il vous faudrait c’est des bières ! ». A quelques mètres de là, de jeunes parents veillent à ce que le petit dernier ne chute pas du toboggan. Mais ça, ça se passe de l’autre côté de la clôture. D’ailleurs, le seul qui franchit cette limite c’est Houcine, prof d’économie, habitué de la place. Il connaît aussi bien les parents que les boulistes. Si vous étiez venus quelques heures avant, vous auriez vu les paroissiens se dépêcher, avec pour les plus pressés, l’envie de pousser le Café en Bullant pour se garer. Il y a aussi le jeune qui retire son v3 à la borne. Et puis Frédéric, le trentenaire qui dépose ses bouteilles au recyclage. Il nous salue mais passe son chemin. Finalement, il revient pour nous offrir des sachets de thé. C’est là qu’arrive Monique, 75 ans, venue promener son chien. « Si c’est gratuit je veux bien m’asseoir. » Habitante de la RPA depuis quelques années, elle dit préférer ce quartier (Sacré Cœur) à celui de la gare où elle vivait avant, et ajoute « Les vieux parlent plus facilement, moi jeune je me méfiais ». Car cette place, c’est la seule du quartier. C’est bien pour ça que jeunes et moins jeunes la pratiquent. Et Martine, 60 ans, nous confie : « Ce qu’il manque, maintenant que la place n’est plus un parking, c’est un espace de convivialité » et ajoute « Le terrain de boules prend trop de place ». Alors pourquoi n’imaginerions-nous pas un aménagement pour rassembler toutes ces personnes ? Cet espace public, fréquenté par bon nombre d’habitués, a le potentiel d’évoluer pour proposer des supports de vivre ensemble (kiosque, café, espace de rencontre à la sortie de la garderie…) 13
© Pl(utô)t Rêver
Café en Bullant / Place Raymond Colom Les roulettes se bloquent dans les pavés de la rue du Puits Descazeaux. Par chance, la pente est en notre faveur ! Ça sera plus dur au retour. Encore un petit effort, une marche et le café sera installé place Colom. Quand on passe devant, on se demande toujours qui l’occupe. Le sans-abri, on l’avait déjà vu, mais le voisin sorti pour « capter le réseau », on ne l’avait jamais remarqué. On entame une partie de Scrabble et quelques personnes s’arrêtent. Nathalie, 25 ans, nous explique qu’elle avait organisé un apéro de voisins un jour dans sa rue (Rue des Menuts) mais ça ne s’est jamais refait spontanément. Et Laurent, 45 ans, nous conseille d’aller rencontrer le libraire de l’Athénée Libertaire, rue du Muguet, car il a une très bonne connaissance du quartier. Lui-même semble déjà le connaître comme sa poche. La plupart des gens qui s’arrêtent sont en effet des amoureux de Saint-Paul. Tout à coup, on remarque plus de passage rue de la Rousselle. Un tram a dû arriver Porte de Bourgogne il y a peu. Du fait que la place Raymond Colom soit proche des lieux de consommation, elle possède un caractère anonyme. Ici, rien n’étonne ou n’interpelle. Zamil, 25 ans, venu nous aider à installer le café, est tout de même content qu’il s’y passe quelque chose, « Vous me prévenez quand vous revenez ». L’après-midi passe lentement place Colom, ce qui laisse le temps d’admirer la beauté des lieux. Certains vous diront peut-être que c’est une des plus belles places de Bordeaux, « la place à l’arbre ». 15
© Pl(utô)t Rêver
Café en Bullant / Quai de Brazza « Qu’est-ce que vous faites quai de Brazza ? » C’est exactement ce que nous a demandé la police montée le jour où le Café en Bullant s’est aventuré sur ces lieux. Après nous avoir observés un moment, ils décident finalement de laisser Pl(utô)t Rêver investir cet espace public. Entre herbes folles et pavés, le décor était planté. A peine installées, Michèle, 65 ans, en pleine excursion à vélo, rebrousse chemin et nous demande le but de notre démarche. Et elle n’a rien contre un verre de citronnade. « J’habite à Pessac, et depuis ma chute à vélo, c’est la première fois que je reviens ici, ça doit bien faire un an. J’aime me balader sur les quais rive droite ». Le temps de notre discussion, promeneurs, cyclistes ou coureurs défilent. Trois femmes en pleine séance de marche sportive lancent « C’est un petit café sauvage », « Si on n’était pas en train de faire du sport… ». S’il y a ce ballet incessant, c’est tout simplement parce qu’il n’y a pas de banc. Alors lire notre affiche, positionnée à une dizaine de mètres du café, ça fait une pause. Pour les plus courageux, ils peuvent se joindre à nous sous le parasol. Christine, 50 ans, s’approche. Elle nous dit aimer la rupture rive droite / rive gauche. « J’aime bien ce côté sauvage… j’espère qu’il sera conservé dans le futur parc. » Peu de temps après, deux amies passent une première fois à pied, reviennent en arrière et décident finalement de s’assoir un moment avec nous. D’abord perplexes, elles trouvent notre démarche nouvelle et intéressante au fil de la conversation. Habitantes des Bassins à flots, elles nous disent être tentées de repasser en fin d’après-midi. Mais le soleil commence déjà à décliner et une soixantaine de promeneurs et sportifs est passée ce dimanche après-midi là. 17
© Pl(utô)t Rêver
Café en Bullant / Place Amédée Larrieu Après-midi maussade. Le café tente tout de même une sortie. L’installation est rapide. Aidées d’un riverain, en deux temps- trois mouvements, chaises et tables sont déployées sur le gravier. Avant de retourner chez lui, il ajoute « N’hésitez pas, si vous avez besoin de quelque chose». Assis sur le rebord de sa fenêtre, il nous observera un moment. On se rend vite compte que les habitants séjournent peu sur cet espace. La fontaine et la halle du marché seraient peut-être plus attractives si elles n’étaient pas coincées entre ces deux rues bruyantes. Il n’y a pas foule. Nous allons à la rencontre des quelques courageux bravant le mauvais temps pour s’installer sous les platanes. Deux femmes, assises avec leur poussette, nous demandent si c’est gratuit. Nous les incitons à nous rejoindre mais elles déclinent notre invitation. Plus tard, Ali, 52 ans, venu jeter un œil à la « boîte à livres », s’approche. Il nous raconte son histoire en Algérie et son arrivée à Bordeaux où il suit une formation pour trouver du travail. Selon lui, le rapport à l’espace public dans son pays natal est différent : « Ici pour beaucoup de gens je suis trop intrusif ». Entre deux pancakes, nous avons la visite d’un couple anglais de 45 ans en vacances. On leur demande leur impression sur la ville : «On aime découvrir la ville à vélo, hors des itinéraires touristiques». Ce couple n’est pas le seul à se déplacer à vélo. Aux abords de la rue de Pessac, on remarque que la marche n’est pas l’unique mode de déplacement. La journée se termine avec Julien, 28 ans, habitant un appartement donnant sur la place. Lui, semble mieux connaître le quartier et son offre culturelle ; « Moi j’aime bien ce quartier, il y a quand même pas mal d’activités ». Il fait de la capoeira et descend souvent s’entraîner sur la place. Vous l’y croiserez peut-être un jour. 19
© Pl(utô)t Rêver
Café en Bullant / Place Calixte Camelle Deuxième incursion rive droite. La place Calixte Camelle, au premier regard, ne donne pas vraiment envie de s’y asseoir. Carrée, pavée, elle paraît vide malgré les rangées de platanes en périphérie. Le dimanche on n’y trouve pas grand monde. Même les v3 ne sont pas en station. Jamel, 37 ans, nous apprend qu’elle vit mieux en semaine, « Ça bouge les mercredis et samedis après-midi avec les enfants, les lycéens, et le jeudi pour le marché ». Une de ses voisines passe à vélo et nous confie que la place vivote au gré des évènements, « Il y a la fête de la musique, le marché, la fête foraine… mais ils stoppent tout à 19h car après les voisins (beaucoup de personnes âgées) se plaignent. Et puis il y a tout de même beaucoup de désertion de la place pour les quais ». Pour beaucoup le quartier n’est plus ce qu’il était. Philippe,58 ans, tient un commerce depuis quelques années, « Ce quartier, il est à l’agonie…Sur cette place, il y avait un garage, une banque, un PMU, des boulistes et là, c’est mort, tout a disparu…Il y a un marché qui « marchotte », des places de parking gratuit…Et ils ont mis des vélos… On s’en fout un peu des vélos non ? » Au fil des discussions, on tente de savoir comment les habitants définissent leur quartier. « - Ici, c’est pas la Bastide, c’est la Benauge… Mais on n’est pas d’ici…Nous on est de Bordeaux. -Mais on est à Bordeaux ! - Ah oui, c’est vrai… » Mais finalement, ceux qui ont toujours vécu ici évoquent un lieu où l’on se sent chez soi. « Ça perd en vie, mais c’est le meilleur quartier… On est un peu à l’écart mais ça reste un village, les gens se connaissent et on est juste à côté de Bordeaux » conclut Jordan. 21
Des places et vous Le Café en Bullant s’installe dans l’espace public et invite les habitants à échanger sur leur quotidien. Premier projet construit par l’association, il nous a permis de nous familiariser avec de nouveaux espaces et faire de belles rencontres. Aujourd’hui, nous débutons un travail d’approfondissement de ces premières expérimentations autour des places publiques bordelaises. Au regard des places investies cette année, nous sommes en mesure de commencer une classification des places publiques de Bordeaux par typologies : place anonyme, place expérimentée, non-place, place cohérente... Nous voulons analyser ces places et proposer des interventions propres à chaque typologie. Nous souhaitons transformer le quotidien de ces espaces ou mettre en exergue leurs dysfonctionnements par des interventions minimalistes. Le projet Des places et vous invite à nouveau l’habitant et les structures locales à questionner et à modifier leurs espaces de proximité. Il souhaite aussi démontrer, à l’aube de la métropolisation, qu’une attention, même légère, a le pouvoir d’améliorer la vie d’un espace. Quel avenir pour ces places, prochainement centrales, si la ville se gentrifie1 ? Comment peuvent-elles fonctionner les unes avec les autres et tisser un réseau d’usages à l’échelle de la ville ? Ecrire ce livret est l’occasion pour nous de donner corps à ce projet. Nous souhaitons ouvrir la discussion et le construire sur le long terme. Voici les premières analyses, les premières cartographies de ce territoire bordelais. Au plaisir de vous croiser sur une de ces places !
1 Phénomène urbain où des populations aisées investissent des quartiers anciennement populaires
23
© Pl(utô)t Rêver
Des places et vous / La place anonyme Expérience du Café en Bullant : Certains dimanches d’avril, nous avons testé la place Raymond Colom. Nous y avons séjourné à différents moments de la journée, et avec différentes activités. A chaque fois, malgré un intérêt certain pour notre initiative, les passants n’osaient peu ou pas s’arrêter. Beaucoup se contentaient de lire notre panneau, disposé un peu plus loin, ou de nous regarder d’un air curieux, sans oser approcher plus. Description : La place anonyme, c’est pour nous la place du centre-ville. Les usagers l’identifient et se l’approprient dans un but consommateur ou patrimonial. Car la place anonyme, c’est aussi la place historique dans la formation du tissu urbain. Le guide touristique la présente toutes les semaines au cours de ses visites. Pourtant, qui habite cette place ? Si la place anonyme est régulièrement fréquentée, il reste difficile de différencier habitants fixes et passants. L’entretien de cette place invite à s’y arrêter, mais le nombre de bancs et la surveillance prévient toute installation pouvant effrayer le consommateur (sdf, bandes de jeunes...). Liste des places anonymes : Place Pey-Berland Place Jean Jaurès Place Lainé Place Saint Christoly Place Puy Paulin Place Camille Jullian Place des Quinconces Place Saint-Pierre Place de la Bourse Place Jean Moulin Place Saint Projet Place de la Comédie Place du Chapelet Place Rohan Place de la Victoire Place Pierre Renaudel Place du Palais Place du Marché des Chartrons Place du Parlement Place Georges de Porto-Riche Place F. Lafargue Place Tourny Place René Colom 25
© Pl(utô)t Rêver
La place anonyme / Place de la Victoire La place de la Victoire : Le point de repère des étudiants et des nouveaux arrivants à Bordeaux. Cette place, c’est un carrefour de flux ; tram, bus, voitures, v3,piétons... Tout est en mouvement. Lieu de rendez-vous pour certains, on y croise aussi des squatteurs réguliers. Tour à tour, les touristes se prennent en photo adossés à la tortue. Pourtant, seule la tortue vit au ralentit, car cette place est entourée de bars pour tous les goûts. Associations ou actions commerciales animent le lieu. La place de la Victoire est paradoxale, souvent bien remplie, on y croise aussi squatteurs, zonards et policiers. On ne s’y sent pas toujours très à l’aise, à la Victoire... Ce que l’on cherche à démontrer : La place anonyme, c’est cette place de centre-ville où tout est en mouvement et où habitants et passants ne sont pas différenciés. La Victoire fait écho à cette définition. Qui habite cette place ? Peut-on réconcilier la population qui squatte la place régulièrement, la population locale et les passants ? Comment un espace de centre-ville est utilisé ? Dans quelle mesure pratique-t-on ces espaces seulement pour consommer ? Comment induire de nouveaux usages dans une place anonyme ? Le projet : Les limites de la place de la Victoire manquent de clarté. Au delà du périmètre physique de la place, certains commerces ne sont accessibles qu’en traversant la chaussée. Voitures et transports en commun opèrent un défilé incessant autour de la place, si bien qu’elle n’est pas toujours très accueillante. Et si on revoyait les limites de la place et son atmosphère ? Et si dans une surface bien définie, on créait un espace où les gens qui zonent, habitent ou ne font que passer y trouveraient leur place ? Et si la Victoire devenait un lieu calme et propice à la rencontre? 27
© Pl(utô)t Rêver
Des places et vous / La place expérimentée Expérience du Café en Bullant : À plusieurs reprises, nous nous sommes rendus sur des places expérimentées par d’autres associations. Les habitants ont déjà connaissance de projets réalisés sur ces espaces et racontent souvent les initiatives précédentes. L’impact d’un nouveau projet sur ces espaces n’apporterait pas de valeur ajoutée dans des lieux déjà en transformation. Description : La place expérimentée, c’est la place de tous les projets. Les associations militantes ou engagées dans des processus de transformation du cadre de vie investissent encore et encore ces places. Nul besoin d’intervenir à nouveau, ces lieux sont connus pour leur contexte favorable. Un bon nombre de projets émergent ça et là, tantôt alternatifs, tantôt engagés par la municipalité. La place expérimentée, c’est la place dont il n’est plus nécessaire de se préoccuper car tout est déjà en marche. Liste des places expérimentées : Terrasse du 8 mai 1945 Place André Meunier Place Meynard Place Canteloup Place Ferdinand Buisson Place des Martyrs de la Résistance Place du Pradeau Place Paul Doumer Place Pierre-Jacques Dormoy Place Gambetta 29
© Pl(utô)t Rêver
Des places et vous / La non-place / Usages Expérience du Café en Bullant : Certaines de ces places nous faisaient envie. La place du marché, rien de tel pour rencontrer des gens, parler du quartier, etc. Pourtant, était-ce là le réel enjeu de notre entreprise ? Nous nous interrogeons toujours dans quelle mesure ces places fonctionnent si bien le temps du marché et si peu le reste du temps. Description : La non-place, dans les usages, c’est cette place dont la vocation a changé. Au fur et à mesure, de nouveaux usages s’y sont télescopés si bien qu’elle ne rend plus compte d’un espace à ciel ouvert, de réunion ou de passage. La non-place c’est un lieu difficile à définir. Si dans le cas des marchés couverts, elle réunit la plupart des qualités des places extérieures, ce n’est pas le cas des places envahies par les voitures. Bien que, dans la plupart des cas, les voitures investissent communément ces lieux de manière régulière et avec beaucoup de liberté. Liste des non-places dans l’usage : Place Mabit Place de Lerme Place Picard Place des Capucins Place de Valmy Place des Grands Hommes
31
© Pl(utô)t Rêver
Des places et vous / La non-place / Morphologie Expérience du Café en Bullant : Place Amédée Larrieu. Ce dimanche après-midi-là, nous avons eu du passage. Beaucoup de voitures, beaucoup moins de piétons. Nous nous sommes installées, aidés d’un voisin solidaire dans nos efforts. Plusieurs personnes se sont arrêtées pour partager un peu de leur temps avec nous. Mais sur cette place triangulaire, à la pointe, entre deux rues, jamais nous ne nous sommes senties à l’aise. Description : La non-place c’est aussi une question morphologique. Parfois, le contexte est favorable au développement d’une appropriation mais l’espace n’invite pas à s’installer. La non-place, c’est cette place dont la forme n’est propice tout au mieux qu’au passage. C’est cette place résiduelle, ou cette place envahie par la voiture. La non place, c’est celle qu’on imagine reconquérir pour faire oublier à ses habitants qu’elle n’est pas dessinée et qu’ils ne peuvent pas s’y arrêter. Liste des non-places dans leur morphologie : Place Bir-Hakeim Place Duburg Place Stalingrad Place Johnston Place du Maucaillou Place Lehu Place Mondésir Place Lestonnat Place Nansouty Place Louis Barthou Place Ampère Place de Moscou Place Campeyraut Place Paul Avisseau Place des Cèdres Place Ravezies Place Charles Gruet Place Rodesse Place Amélie Raba-Léon Place Frédéric Ozanam Place de la Ferme de Richemont Place de l’Église Saint-Augustin
33
© Pl(utô)t Rêver
La non place / Morphologie / Place Stalingrad La place Stalingrad : Rive droite. Tout est dit. Stalingrad est avant tout le premier arrêt du tram pour se rendre sur cette fameuse rive. La place est ainsi traversée par le tram. Malgré les quelques bancs disséminés sur la place, seul ce lion bleu lui donne son identité. Pourtant, représente-t-il bien l’identité de ce quartier ? De part et d’autre de la place, on trouve habitations et petits commerces. Finalement, la rive droite aussi fourmille de passants ! Ce que l’on cherche à démontrer : Au bout du Pont de pierre, la place Stalingrad est une rotule entre plusieurs quartiers et infrastructures. Comment peut-on réconcilier la surabondance des transports sur cette place avec des espaces de rencontre et de partage ? Peut-on donner une identité propre au quartier sans passer par le 1% art de la ville ? Le lion peut-il s’accommoder de nouveaux voisins? Le projet : La place Stalingrad c’est la place où on attend le tram ou un covoiturage. Rarement synonyme de lieu à fréquenter, elle a pourtant la capacité de se tourner vers de nouveaux usages. Et si on venait sur cette place pour regarder le soleil se coucher sur la rive gauche... Et si on apprenait à la traverser perpendiculairement au tram de telle sorte que les commerces et les bancs du tram ne soient pas si longs à connecter. Et si on créait une grande place de façade à façade en limitant la place de la voiture pour favoriser les traversées piétonnes...
35
© Pl(utô)t Rêver
Des places et vous / La place cohérente Expérience du Café en Bullant : La place du Cardinal Donnet, que nous avions investie au mois de mars, est pour nous une place cohérente. Bien que cela ne nous soit pas paru évident de prime abord, les usages et usagers de cette place sont clairs et définis. Cela nous a laissé la possibilité de parler avec des publics très différents et de les interroger sur la manière de faire se rencontrer tous ses usages. Description : La place cohérente, c’est à peu de chose près la place expérimentée. Elle réunit un contexte sociodémographique favorable au développement de projets d’appropriation. L’espace, propice à des améliorations, invite à s’installer. Les habitants, de milieux différents, donnent envie de les embarquer dans de nouvelles aventures. Ces places, souvent, n’exploitent pas leur potentiel, mais donnent à imaginer toutes sortes d’interventions pour que chaque habitant puisse y trouver son compte. Liste des places cohérentes: Place Adolphe Buscaillet Place Saint Martial Place du 11 novembre Place Simiot Place Gaviniès Place Tartas Place Camille Pelletan Place Francis de Pressensé Place Ginette Neveu Place Léon Duguit Place Lucien-Victor Meunier Place Montaud Place de la République 37
© Pl(utô)t Rêver
La place cohérente / Place du 11 novembre La place du 11 novembre : La place du 11 novembre, on la connaît surtout aujourd’hui comme la place du quartier Saint-Bruno. L’héritage historique perdure dans son monument aux morts mais ne touche plus autant les habitants du quartier. Cette place, elle se situe dans un quartier où des gens très différents se croisent. La proximité du cimetière et de l’église voue un caractère sacré à certains espaces. Tandis que le tram, l’arrêt de bus, et les stations de v3 initient un autre mouvement. Saint-Bruno, c’est aussi une association de quartier active proposant des activités pour tous les âges et pour tous les goûts. Ce que l’on cherche à démontrer : Cette place, c’est une place cohérente. Toutes les caractéristiques sont réunies pour s’y installer. La place réunit à la fois passants et habitants. Elle est tantôt à l’ombre, tantôt au soleil... Mais que manque-t-il à cet espace pour que chacun y trouve une place ? Il s’agit ici de montrer que le minimum de transformations peut pérenniser des usages déjà présents. Il s’agit aussi d’encourager les structures locales à s’investir hors de leurs murs et à profiter des espaces urbains mis à leur disposition. De même, l’école Saint-Bruno peut-elle sortir de ses murs et bénéficier d’un espace en dehors des normes de l’architecture scolaire ? Le projet : Sur la place du 11 novembre, on croise des enfants courant dans tous les sens, jouant au foot et cherchant à battre l’équipe adverse le temps d’une après-midi. Pourtant, rien dans cette place n’encourage à ce type de pratiques. Et si on dessinait ou on scotchait sur le sol de la place un terrain de foot, ou tout autre terrain de sport ? Et si, chaque mobilier urbain, chaque installation de la place avait une double utilité et permettait de pratiquer le sport d’une manière ludique en dehors des terrains de sport conventionnels ? 39
À vous la parole ! La fabrique de la ville ne se limite pas à l'intervention de paysagistes, urbanistes et architectes. La ville se construit en croisant les regards, les avis, les compétences. Chacun a le pouvoir de transformer son espace quotidien et c'est par une volonté commune que ces changements adviennent. Ici, militants, activistes, passionnés, vous racontent leurs utopies. En espérant qu’elles vous inspirent autant que les paroles glanées autour d’un café nous ont inspirées.
41
La place rêvée © Mille et une mains
Mille et une mains,
Invitation à tricoter la Place rêvée, Mille et une mains avec Pl(utô)t rêver, interventions tricot-ludiques en milieu urbain (ITLMU)
Mais que vient faire le tricot dans le Café-en-bullant de Pl(utô)t rêver dans Agora ? C'est quoi cette histoire de place rêvée ? Interventions tricot-ludiques ça veut dire qu’on ne se prend (vraiment) pas au sérieux, parce que sans rire, vous trouvez qu'il n'y a pas assez de sujets graves ? Alors le tricot, les arts du fil, pour nous c’est pour le plaisir (même si c'est aussi très utile !) celui de partager ce qu’on sait faire, avec tout le monde, et surtout apprendre de ceux et celles qui font autrement, d’autres choses... En milieu urbain, eh bien c'est parce qu'on aime bien tricoter en dehors du canapé-télé, par exemple dans la rue. Pour que ces activités soient à nouveau prétexte à échange. Au fond, pourquoi la rue, les places, ne seraient faites que pour passer, circuler, consommer ? Sur les bancs publics, les trottoirs, au café, on peut lire, écrire son courrier, travailler, préparer la liste des courses, alors pourquoi pas tricoter, même à plusieurs ? “Tricoter sa place rêvée” : c’est donc une ITLMU née du constat que la place Saint-Michel, qui est traditionnellement un espace de croisement, de rencontres, de circulation, est totalement bouleversée par les travaux en cours. Dans ce projet nous invitons les passants, chevronnés ou pas, à confectionner leurs rêves pour cette place, en 3D, grâce aux techniques du fil. L'ouvrage collectif peut accueillir une dizaine de personnes à la fois. Le plan devient un moyen de s’exprimer de manière positive et ludique, d’imaginer des utopies pour cette place plutôt que ruminer les empêchements temporaires du présent : réinventer des rues, des passages, imaginer des jeux, des fontaines... "Plan tricot : La place rêvée" a été inventé par Mille et une mains pour Chahuts 2014 (réalisation le 14 juin Place Meynard, car c'est le "vrai" nom de la place...) 43
Berlin © Pl(utô)t Rêver
Laure, architecte DE1, DPEA architecture post-carbone2 Jeunes architectes, nous sommes conscients de la complexité du monde et de ses enjeux. Des changements sur nos habitudes doivent s'opérer rapidement afin de conserver une situation mondiale stable. Au sein de Pl(utô)t rêver, notre philosophie est simple. Il s'agit de réunir les gens pour qu'ils prennent conscience qu'ils ne sont pas seuls et pour les accompagner vers une pensée écologique du quotidien. Le terme écologie rejoint l'idée du développement durable. Il s'agit de l'étude des interactions des êtres vivants entre eux et dans leur milieu. Cela prend en compte l'Homme et les sociétés et renvoie à la science de l'habitat. Les études d'architecture nous permettent de poser un regard éclairé sur le monde. Ceci est à la fois vertigineux et passionnant. Nous avons constamment envie de remettre la société en question. Parfois désœuvrés dans notre pratique du métier, l'association interroge les moyens pour améliorer les choses par des actions du quotidien. Pl(utô)t rêver, c'est une envie de partager. C'est grâce à elle que l'on met en commun nos idées et que naissent l'envie et la force d'agir à notre échelle. Pour ma part, c'est un moyen de me rassurer, en échangeant sur des sujets essentiels, de savoir que je ne suis pas seule à ressentir ce « désarroi ». Le mot est fort, mais il exprime notre impuissance face à la gravité de la situation. J'emploie un ton dramatique, mais en réalité, les choses ne sont pas si sombres. Nous sommes nombreux et motivés. Partout, des gens se réunissent et créent des mouvements dont les répercussions sont perceptibles. Nous avons conscience d'appartenir à un réseau de collectifs. Et c'est pour cette raison qu'il nous est permis de rêver. C'est par la multiplication de ces actions que l'on met en marche la transition. Il est possible d'éveiller une conscience écologique auprès d'un plus grand nombre. C'est le seul moyen d'amorcer un changement durable. 1 Architecte diplômé d’état, à différencier d’architecte HMONP (Habilitation à la maîtrise d’oeuvre en son nom propre) 2 Diplôme propre aux écoles d’architecture
45
Les Co-habitants,
L'espace public, la participation, la ville et ses enjeux économiques
L’Association Les Cohabitants a été créée en 2012 dans le but d'informer, de soutenir, de former, d'accompagner, sans discrimination, les habitants qui souhaitent être acteurs de leur quartier. Le Projet Bouge ton Square ! en est la première expérimentation concrète. La ville d’aujourd’hui est principalement un espace marchand. Un vide semble malgré tout subsister dans un espace qu’on dit public, un espace social. Mais est-il si vide que cela ? Estil non marchand ? A quel besoin répond-il ? Qu’y fait-on ? Si la notion de dedans et de dehors est exacerbée dans notre société empreinte d’individualisme, l’espace social, traversé et pratiqué par tous, est organisé autour des sites touristiques, des commerces, en bref autour des lieux de consommation. Sans eux, le milieu urbain ne s’anime que très peu. Arrêtons-nous un instant sur les espaces verts. Ouverts à tous, ces espaces sont des lieux de rencontre essentiels pour la ville. Nous voulons en faire des lieux d’expérimentation pour écrire l’histoire de la ville, pour créer des liens entre les habitants, entre les habitants et leur territoire, entre les habitants et les événements publics, hors de tout cadre marchand sur un espace-temps où les magasins sont fermés, où la ville semble s’endormir, en particulier le dimanche. Le square remplace alors le troquet du coin de la rue. Qu’y fait-on ? On partage un café, on joue, on discute, on éveille la curiosité en s’installant avec du mobilier, des gâteaux, des ateliers animés, on reconstruit un réel espace social de convivialité, de collaboration, de vivre-ensemble. Pourquoi ? Pour créer des liens, pour créer de la participation, pour agir sur son cadre de vie, pour créer les conditions de la participation en complément des instances de la démocratie participative. Comment ? En pratiquant sur le terrain l’éducation pour tous et par tous, en créant des espaces libres d’éducation populaire. 47
Berlin © Pl(utô)t Rêver
Lucie, ingénieur écologue Dans ma tête, la ville, la cité, est un lieu de rencontre, de partage, de convergence. Elle est convergence des luttes, des volontés, des idées. Elle n'est pas une enclave, une île minérale dans le monde rural. Elle s'intègre, elle en est la suite, la continuité, elle s'y fond. Elle ne s'oppose pas à la nature. Dans ma tête, il y a autant de place en ville pour les voitures, que pour les herbes, les liserons et les pommiers. J'aimerais qu'on se réapproprie sa rue comme la nature. Pour recréer du lien. Du lien social, mais aussi notre lien avec la Terre. Dans ma tête, je vois une ville plus accueillante, des rues biologiquement et humainement vivantes, plus seulement des lieux de passage. Des lieux où l'on peut rester, s'asseoir, occuper, cultiver, admirer. La nature des villes est une nature fragmentaire, modelée. Rendre sa place à la nature en ville, c'est reprendre contact avec nos racines, c'est remettre par là même la Vie au centre de nos vies. Et cela permet de reprendre conscience des vraies valeurs de la ville : l’échange et le partage, et de toujours se souvenir de ce pour quoi elles ont été bâties : à plusieurs, on est plus fort.
49
Mathieu, menuisier, architecte DE, L’outil approprié Avant toute chose, Marie et Stéphanie n’avaient jamais planté un seul clou, ni même servi un seul café. Pour construire le café mobile, elles ont eu besoin d’une palette, de 15 caisses de vin, de 57 clous, et de 4 roulettes1. L’utilisation de matériaux de réemploi témoigne évidement de l’attention qu’elles ont porté au coût. La quantité de café qu’elles ont bu pendant la fabrication de l’objet, un peu moins. Pour comprendre comment elles ont réussi à boire 27 litres de café pendant la construction, il faut se pencher sur la méthode : un café avant de planter un clou ; un autre avant de l’enfoncer ; encore un autre après s’être rendues compte que le tournevis n’était pas l’outil adéquat pour taper sur un clou. Le choix de l’outil reste primordial. Les pauses café sont généralement comptées comme temps de travail, mais là, il faut oublier les conventions. Le bon outil choisi et apprivoisé, il s’agissait d’assembler les caisses entre-elles, mais là encore, la pause café précédait l’acte. Se faisant, Marie et Stéphanie ont démontré une certaine habileté dans le réglage de la machine à café, toujours à fin de planter des clous. La solidité de l’ouvrage est assurée par le choix d’un mélange de grains robusta torréfiés avec soin. Achevé et achevées, le café en bullant est devenu un outil d’appropriation de l’espace, en forme de service à café. Si l’ensemble revêt un caractère artisanal, il n’en reste pas moins affuté pour la ville, prêt pour « tailler une bavette » au coin de la rue. Après calcul, le budget total de café dépensé pour la fabrication dépasse de loin celui de son utilisation propre. De la conception à l’utilisation, le café prend une place importante dans le processus et laisse penser que toute cette histoire serait juste un prétexte pour se mettre à boire du café et planter des clous. 1 Braquées sur un chariot de supermarché
51
© Atelier D’éco Solidaire
Atelier D’éco Solidaire À Bordeaux s’éveillent chaque semaine des projets alternatifs, solidaires et écologiquement durables. Les déchets encombrants débordent en milieu urbain, occupant parfois les trottoirs ou dégradant l’image d’un quartier. Ils sont pourtant le socle d’un formidable champ d’expérimentations vers la transition écologique. Pourquoi détruire des objets ayant une valeur d’usage, alors que d’autres en auraient l’utilité ? Comment passer à une économie circulaire et durable de la réutilisation et du réemploi à partir de ces problèmes simples du quotidien ? Quelles innovations sociales penser pour répondre à ces impératifs ? Concrètement, comment les déchets des uns peuvent-ils faire le bonheur ou l’emploi des autres ? La recyclerie créative de Bordeaux travaille pour répondre à ces problématiques. Elle est depuis 2010 un des leviers de l’innovation sociale, frugale et de proximité dans la réutilisation de matières, objets et mobilier dont les usagers veulent se débarrasser. Par le travail croisé de salariés, de créateurs en résidence, de bénévoles de tous âges et de stagiaires de tous horizons, elle alimente une solide réflexion et prône un retour au «bon sens». La recyclerie est à la fois un centre de récupération, de valorisation, de revente et d’éducation à l’environnement. Elle participe à une dynamique locale de création d’emplois, facilitant l’essor des métiers de l’artisanat, partageant les projets artistiques, faisant collaborer harmonieusement des femmes et des hommes de 17 à 77 ans, dans une ambition soutenable. C’est un état d’esprit, métamorphosant les contraintes en opportunités. C’est une source de profit durable trouvant les solutions les plus ingénieuses, même dans les circonstances les plus défavorables. Les grandes métropoles sont de plus en plus engagées dans ces nouveaux modèles d’organisations qui agissent sur la préservation de l’environnement au profit des habitants. Ces principes interpellent sur les modes de consommation, valorisent l’achat de seconde main, apportent des solutions au plus près des personnes. Adaptées à grande échelle et aux autres secteurs, ces innovations constituent les bases d’un paradigme des Villes du futur. 53
Manon, master en architecture La ville ne se lit pas et ne se construit pas de manière linéaire ou selon un seul axe d’étude. Au contraire elle est le résultat de la mise en tension de nombreux champs pluridisciplinaires qui font d’elle aujourd’hui, un système complexe englobant différents acteurs. Il est, dès lors, difficile pour ces différents acteurs de trouver leur place et leur identité propre dans ces nouveaux espaces urbains. Cela entraîne, bien souvent, une mise à distance du public dans la fabrication et le développement de leur propre cadre de vie, et un décalage entre l’espace urbain résultant et l’usager. L’architecture et la fabrication de la ville sont devenues des domaines réservés, compréhensibles et manipulables uniquement par les professionnels alors qu’ils touchent tous les acteurs de la société. Cependant, il suffit d’observer la capacité de l’usager à prendre possession de certaines architectures, de détourner l’espace de la place, celui de la rue, la manière dont la présence humaine imprègne la ville en s’appropriant l’espace urbain, pour comprendre que l’usager est en réalité un élément indispensable dans la fabrication de la ville. Il semble alors important de recentrer le processus urbain autour de son principal acteur : l’usager. Il en résulte une volonté d’intégration au processus de création mais aussi le désir de lui ouvrir les yeux sur ce qui se passe autour de lui et de le guider dans la manière dont il peut prendre part à la transformation de son cadre de vie. Il s’agit de comprendre les mécanismes qui poussent les gens à s’assimiler à ces espaces et de faciliter l’appropriation des lieux créés, à travers l’échange et l’altérité entre les différents acteurs du projet urbain. Plus qu’une action urbaine, il s’agit aussi d’une intervention sociale qui permet non seulement de définir une identité propre aux lieux mais aussi par extension à leur population. La ville se construit alors pour et par ses acteurs. 55
Rêvons rue © Christelle Quinton christelle-quinton.wix.com/ lbdm
Christelle Quinton, artiste plasticienne J'ai découvert la "ville autrement" pendant mes études d'arts plastiques, quand au rythme de mes déambulations j'ai commencé à appréhender l'espace urbain comme une ressource inépuisable d'objets et de matières à collecter. À partir de matières viles, je créais des objets intimes. J'ai observé sous différentes formes la présence d'intimité dévoilée dans l'espace public. De ce frottement entre intimité et extérieur émanait une fragilité sensible, une poésie urbaine qui me touchait. En master Pratiques Artistiques et Action Sociale à Bordeaux 3, j'ai conçu l'atelier Abrication Intime : marche, collecte et fabrication d'espaces poétiques dans la ville. Sa finalité : réapprendre à marcher pour découvrir lors de pérégrinations l'état poétique de la ville ; modifier son regard sur la ville et se réapproprier l'espace public pour en faire partie intégrante. À l'occasion de la déambulation artistique et festive Rêvons Rue en juin 2012 à Paris, La Fabrique des Impossibles m'a accueillie pour mener à bien cet atelier. Nous avons formé un groupe actif de quatre membres au sein duquel chacun a participé à la réalisation d'une installation dans l'espace public. Fabriquées essentiellement à partir de matières collectées dans la rue, elles ont été réalisées in situ. Nous nous sommes exposées aux regards des passants, à leurs encouragements et à leurs oppositions, aux avertissements des autorités municipales, suscitant, dans tous les cas, remarques, interrogations et surprises. La rencontre avec les usagers des espaces que nous avons investis ainsi que l'observation en douce de leurs réactions ont été aussi importantes que la création elle-même. Lorsque j'ai rencontré Marie et Stéphanie de Pl(utô)t Rêver autour du Bar en Bullant, j'ai retrouvé dans leur démarche cette approche sociale qui avait nourri ma première expérience de création urbaine. 57
Š Merci Gertrude
Merci Gertrude, La Guinguette Mobile
Nous voulions faire des grandes fêtes, simples et généreuses, d’où l’on ressorte un brin nostalgique et heureux d’avoir été à l’aise. L’idée de la guinguette mobile était d’encourager la proximité, qu’elle soit à manger, à boire, à danser, à discuter, à regarder ou à participer, afin que la présence des uns profite à la présence des autres. Nous avons choisi des places dans la ville. Des places que nous aimions ou que nous avions envie d’aimer. Nous avons travaillé quand cela a été possible avec les acteurs de ces lieux. Nous ne voulions pas imposer nos guirlandes et nos grands bals. Nous avions peur d’être intrusifs. Nous n’imaginions pas la simplicité avec laquelle la présence de quelqu’un se fait quelque part. Et pourtant. Nous sommes là ponctuellement, avec notre bruit, nos couleurs, nos odeurs, sans mur, comme ça, accrochés aux arbres comme nos guirlandes. Ca chante, ça cuisine, ça rit, c’est une salle à manger à ciel ouvert où personne et tout le monde est invité. A la fin, on débarrasse, on plie les nappes, on traîne avant de se dire au revoir. C’est aussi simple que ça. Nous ne voulons pas comprendre pourquoi de multiples raisons nous poussent à nous rendre quelque part et à y rester, se serait tenter de rationnaliser un phénomène qui ne doit surtout pas l’être. Nous trimballons notre espace mobile dans des espaces figés, ou l’inverse, chacun le définira comme il le souhaite. L’espace public a la complexité des choses simples, il n’a pas de sens ou autant que le nombre de personnes qui le traversent, et l’importance des souvenirs qu’on y laisse. 59
A suivre... 61
Collectif pour donner vie aux utopies «L’architecte transforme les espaces que nous habitons» plutot.rever@gmail.com / http://plutotrever.fr / fb :Plutot rever