MIEUX CERNER LES DYNAMIQUES LOCALES DES CONFLITS EN AFRIQUE DU NORD
ET DE L’OUEST
L’Afrique du Nord et de l’Ouest ont, ces dernières décennies, été le théâtre de plusieurs vagues de violence. La majorité des événements violents – guerres civiles, actes de terrorisme à motivation religieuse, insurrections, coups d’État militaires et conflits communautaires – surviennent dans des régions considérées stables il y a 15 ans, tandis que la plupart des zones de conflit des années 1990 sont à présent pacifiées. Le CSAO/OCDE poursuit, dans ce contexte, le développement de son indicateur des dynamiques spatiales des conflits (Spatial Conflict Dynamics indicator [SCDi]) afin d’aider les décideurs politiques à mieux comprendre les dynamiques spatiales d’expansion ou de contraction des conflits au fil du temps, au sein des frontières nationales et au-delà.
UN NIVEAU DE VIOLENCE RECORD
En Afrique de l’Ouest, les événements violents sont en hausse de 3 % entre 2022 et 2023, et les décès en résultant, de 7 %. À l’inverse, les violences en Afrique du Nord sont à leur plus bas niveau depuis 20 ans. La succession de phases d’escalade et de désescalade de la violence en Libye depuis 2011 laisse toutefois présager un risque encore élevé de conflit entre les différents groupes armés.
Évolution des événements violents, par catégorie, en Afrique du Nord et de l’Ouest, 1997-2023
Source : Auteurs, d’après les données ACLED (Armed Conflict Location & Event Data Project, 2024, https://acleddata.com/).
Club DU SA HEL ET DE L'A FRI QUE DE L OUEST Secrétariat du
Afrique du Nord Nombre d’événements Afrique de l’Ouest Nombre d’événements 0 1 000 2 000 3 000 4 000 0 2000 2005 2010 2015 2020 2023 2000 2005 2010 2015 2020 2023 200 400 600 800 Combats Combats Violences à distance Violences à distance Violences contre les civils Violences contre les civils
LE SCDI : MODE D’EMPLOI
Le SCDi s’appuie sur les données collectées dans le cadre du projet Armed Conflict
Location & Event Data (ACLED) sur plus de 60 000 événements violents survenus entre 1997 et 2023 dans 21 pays d’Afrique du Nord et de l’Ouest. Il quadrille la région en 6 540 cellules de 50 kilomètres de côté afin de déterminer la catégorie de conflit de chacune des cellules de violence en combinant deux mesures : l’intensité et la concentration des événements violents.
Différentes catégories de conflit et signification :
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UN PROFOND ANCRAGE DE LA VIOLENCE
En Afrique de l’Ouest, les violences frappent de manière répétée les mêmes lieux au fil du temps. En 2023, les conflits concentrés et de forte intensité (en bleu) comptent pour 62 % des cellules en conflit, signe de l’ancrage de la violence et de son intensification locale dans une grande partie de l’Afrique de l’Ouest. Cette violence est souvent motivée par des facteurs locaux, tels que des différends politiques entre communautés, l’accès à des ressources naturelles partagées ou encore des griefs laissés sans réponse par les autorités gouvernementales.
Indicateur des dynamiques spatiales des conflits (SCDi) en Afrique du Nord et de l’Ouest, 2023
2023 - Types de conflit
1.Concentré/forte intensité
2.Dispersé/forte intensité
3.Concentré/faible intensité
4.Dispersé/faible intensité
Nouvelle cellule en conflit en 2023
CABO VERDE
GAMBIE
GUINÉEBISSAU
MAURITANIE
SÉNÉGAL
GUINÉE
SIERRA LEONE
LIBÉRIA
0 250 500 km
TUNISIE
ALGÉRIE MALI TCHAD
BURKINA FASO
BÉNIN
TOGO
CÔTE
GHANA
SOUDAN DU SUD
RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE
CAMEROUN
GUINÉE ÉQUATORIALE
CONGO GABON
RDC
Source : Auteurs, d’après les données ACLED (Armed Conflict Location & Event Data Project, 2024, https://acleddata.com/).
De nouvelles dimensions du SCDi permettent de comparer l’intensité et la concentration actuelle des conflits avec leurs niveaux historiques. En 2023, 56 % et 54 % des cellules présentent ainsi respectivement des scores d’intensité et de concentration des conflits supérieurs à la moyenne des 20 années précédentes, signe d’une plus forte intensité et concentration des violences que par le passé.
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D'IVOIRE
NIGER NIGÉRIA
SOUDAN LIBYE MAROC ÉGYPTE
Dans le Sahel central, une intensification de la violence s’observe dans le LiptakoGourma et le Pays Dogon, ainsi que dans des territoires auparavant pacifiques, à la périphérie de zones de conflits majeurs, comme au Burkina Faso. Dans la région du lac Tchad, la plupart des zones où les conflits se sont intensifiés se situent dans les zones rurales et frontalières, notamment au Niger et au Tchad. Enfin, au Nigéria, la Middle Belt et le centre du Delta du Niger restent le théâtre d’une intensification des conflits.
Intensité locale des conflits en 2023 par rapport à la moyenne des 20 années précédentes
2023 - Intensité des conflits locaux
Intensité supérieure
Intensité inférieure
CABO VERDE
GAMBIE
MAURITANIE
SÉNÉGAL
GUINÉEBISSAU
0 250 500 km
GUINÉE
SIERRA LEONE
LIBÉRIA
MAROC
TUNISIE
CÔTE D'IVOIRE
MALI
ALGÉRIE
NIGER
LIBYE
TOGO
GHANA
BURKINA FASO BÉNIN NIGÉRIA CAMEROUN
GUINÉE ÉQUATORIALE
TCHAD
RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE
RDC
ÉGYPTE
SOUDAN
SOUDAN DU SUD
CONGO GABON
Note : Cette carte représente les cellules affichant une intensité de conflit supérieure ou inférieure à la moyenne observée localement entre 2003 et 2022.
Source : Auteurs, d’après les données ACLED (Armed Conflict Location & Event Data Project, 2024, https://acleddata.com/).
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PROPAGATION DE LA VIOLENCE À DES TERRITOIRES AUPARAVANT ÉPARGNÉS
Le SCDi permet désormais l’identification des lieux récemment tombés dans la violence. Ainsi, en 2023, sur les 685 cellules relevant de l’une des quatre catégories de conflit de l’indicateur, 23 % ont basculé dans la violence depuis l’année précédente, une proportion plus faible qu’en 2022, où elle était de 32 %. Sur la période 2022-23, l’indicateur recense 383 nouvelles cellules en conflit, pour la plupart en Afrique de l’Ouest. Sur cette même période, 225 cellules ont basculé dans la violence pour la première fois depuis le début des années 2000.
Nouvelles cellules en conflit en 2022 et 2023 sans violence l’année précédente
Nouvelles cellules en conflit
2023
2022
ALGÉRIE
TUNISIE
MAROC ÉGYPTE
LIBYE
MAURITANIE
CABO VERDE
GAMBIE
GUINÉEBISSAU
0 250 500 km
SÉNÉGAL
GUINÉE
SIERRA LEONE
LIBÉRIA
MALI
BURKINA FASO
CÔTE D'IVOIRE
GHANA
BÉNIN
TOGO
NIGÉRIA
NIGER
GUINÉE ÉQUATORIALE
CAMEROUN
TCHAD
SOUDAN
SOUDAN DU SUD
RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE
RDC
CONGO GABON
Note : Cette carte représente les cellules où un conflit a été observé en 2022 ou 2023, mais où aucune violence n’avait été enregistrée l’année précédente.
Source : Auteurs, d’après les données ACLED (Armed Conflict Location & Event Data Project, 2024, https://acleddata.com/).
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Ces nouvelles zones de conflit se situent pour 68 % dans quatre pays : Burkina Faso, Mali, Niger et Nigéria. Le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana, la Guinée et le Togo en comptent 11%, témoignant de la propagation de la violence du Sahel vers le golfe de Guinée. Les événements violents survenus dans ces États sur la période 2022-23 sont, pour la plupart, des violences contre des civils (67 %), suivies de combats entre groupes armés (29 %), et d’explosions ou d’autres formes de violences à distance (4 %).
FRAGMENTATION DES RÉSEAUX DE CONFLIT EN AFRIQUE DU NORD ET DE L’OUEST
Les conflits impliquent une multitude d’acteurs – forces étatiques, groupes rebelles, organisations extrémistes, pour ne citer qu’eux – aux relations complexes et souvent mal comprises. Le CSAO/OCDE se propose d’essayer de mieux comprendre ces dynamiques en cartographiant l’évolution des relations de plus de 3 800 acteurs en conflit sur la période 1997-2023. Deux grands types de relations se dégagent : les rivalités, qui comprennent toute relation conflictuelle entre deux acteurs impliqués dans un événement violent, et les alliances, qui comprennent toute relation de coopération.
Les relations entre acteurs en conflit se caractérisent par leur grande instabilité. Des organisations alliées un jour pourront ainsi s’affronter le lendemain, puis coopérer à nouveau. Dans ce contexte, le CSAO/OCDE étudie, à l’aide de l’analyse dynamique des réseaux sociaux, l’évolution des liens d’alliance et de rivalité entre acteurs violents à l’échelon régional et dans plusieurs grandes zones de conflit.
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AUGMENTATION DU NOMBRE D’ACTEURS VIOLENTS ET DES DYNAMIQUES DE FRAGMENTATION
Depuis la fin des années 2000, le nombre d’acteurs impliqués dans des violences n’a cessé de croître. Le réseau de conflit apparaît de plus en plus fragmenté et dominé par les rivalités depuis le début des années 2010, avec des conséquences dramatiques pour la stabilité de la région et la sécurité des populations civiles.
Acteurs impliqués dans des relations d’alliance et de rivalité en Afrique du Nord et de l’Ouest, 1997-2023
Note : Les données de 2023 sont des projections basées sur la multiplication par deux du nombre d’événements répertoriés jusqu’au 30 juin.
Source : Auteurs, d’après les données (Armed Conflict Location & Event Data Project, 2024, https://acleddata.com/).
0 250 500 750 1 000 19971998 1999200020012002200320042005200620072008200920102011201220132014201520162017201820192020202120222023* Nombre d’acteurs Rivalités Alliances
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Les milices comptent pour moitié des acteurs en conflit en Afrique du Nord et de l’Ouest. Ces groupes armés non professionnels sont souvent utilisés par les États et les leaders religieux et communautaires pour renforcer leur pouvoir local, s’arroger l’accès aux ressources naturelles et régler les différends, sans grand égard pour les droits humains. L’impact des activités de ces acteurs violents se matérialise par la forte augmentation du nombre de civils touchés par les violences à travers la région.
En 2022, ACLED recense 8 116 victimes civiles en Afrique du Nord et de l’Ouest, contre 1 532 en 2012. Depuis la fin des troubles civils apparus dans le sillage du Printemps arabe et de la guerre civile en Libye, la plupart de ces victimes sont à déplorer en Afrique de l’Ouest. Le Nigéria, le Burkina Faso, le Mali, le Cameroun et le Niger sont les plus touchés.
Acteurs en conflit en Afrique du Nord et de l’Ouest, par type,1997-2023
Note : Les données de 2023 sont des projections basées sur la multiplication par deux du nombre d’événements répertoriés jusqu’au 30 juin.
Source : Auteurs, d’après les données (Armed Conflict Location & Event Data Project, 2024, https://acleddata.com/).
CENTRALISATION DES CONFLITS AUTOUR DE CERTAINS ACTEURS PUISSANTS
Les sociogrammes permettent de représenter de façon novatrice les relations entre acteurs en conflit. En Afrique du Nord et de l’Ouest, ils mettent en évidence la centralisation croissante de l’environnement conflictuel autour de certains acteurs extrêmement violents, qui assoient leur pouvoir par l’établissement d’alliances ou la destruction de leurs ennemis. Les groupes isolés d’acteurs sont très peu nombreux, signe que la région est devenue un vaste théâtre de conflit militaire, où les activités violentes ne sont plus isolées mais s’intègrent dans un environnement conflictuel plus large.
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L’augmentation du nombre d’acteurs impliqués dans les événements violents, la densification des relations de rivalité et la polarisation croissante des réseaux de conflit autour de certains acteurs puissants sont autant de dynamiques extrêmement inquiétantes pour l’avenir de la région. En plus de rendre les efforts de paix plus ardus que jamais, elles contribuent à l’augmentation du nombre de victimes potentielles au sein des populations civiles.
Réseau de rivalités en Afrique du Nord et de l’Ouest, 2023
Note : Les données sont disponibles jusqu’au 30 juin 2023. L’épaisseur des liens est proportionnelle au nombre de relations conflictuelles entre acteurs impliqués dans des événements violents en Afrique du Nord et de l’Ouest. La taille des nœuds est quant à elle proportionnelle au nombre de liens qu’ils entretiennent avec d’autres acteurs (centralité de degré). BFA=Burkina Faso, MLI=Mali, NGA=Nigéria. Source : Auteurws, d’après les données (Armed Conflict Location & Event Data Project, 2024, https://acleddata.com/).
Cibles des forces gouvernementales, d’organisations extrémistes violentes et d’autres groupes armés, les civils nigérians occupent le centre du réseau de rivalités. Au premier semestre 2023, l’Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED) recense ainsi 527 affrontements entre groupes armés non identifiés et civils au Nigéria, avec un bilan de 554 morts. Dans le Sahel central, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (en arabe, Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin [JNIM]) est non seulement la plus grande coalition d’organisations djihadistes de la région, mais aussi celle comptabilisant le plus d’ennemis. Le groupe est en conflit avec les forces militaires du Burkina Faso, du Mali et du Niger, des milices identitaires comme Dan Na Ambassagou, des groupes d’autodéfense comme les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), d’autres groupes djihadistes comme l’État islamique au Sahel (EIS), et des civils.
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AUTRES RESSOURCES
https://twitter.com/SWAC_OECD www.facebook.com/OECDSWAC
www.linkedin.com/company/ sahel-and-west-africa-club
Des réseaux de conflit fragmentés en Afrique du Nord et de l’Ouest
Mieux cerner les dynamiques locales des conflits en Afrique du Nord et de l’Ouest
Explorez le SCDi sur la plateforme Cartographier les transformations territoriales en Afrique (CARTA) du CSAO, où vous trouverez les données les plus récentes et les outils les plus avancés pour mieux comprendre les défis auxquels se trouve confronté le continent africain.
Découvrez le SCDi en visionnant cette courte animation.
Ces travaux sont menés en collaboration avec le Groupe de recherche sur le Sahel de l’Université de Floride. Ils s’inscrivent dans le cadre de la série des Notes ouestafricaines, qui explore les dynamiques socio-économiques, politiques et sécuritaires du continent africain, leurs évolutions, leurs interactions et leurs incidences.
https://www.oecd.org/fr/csao/
POUR EN SAVOIR PLUS Club
https://mapping-africa-transformations.org/fr
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