POUR CEUX QUE LA CHANCE A ABANDONNÉS
Hans Streun reprend du poil de la bête au Foyer du « Lorrainehof ».
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LE GARÇON BERNOIS AU VÉLOMOTEUR
Jadis, Hans Streun se déplaçait beaucoup à vélo et allait volontiers danser. Jusqu’au jour où un accident a changé sa vie. La rue est alors devenue sa maison. Durant de nombreuses journées, Streun a inlassable‑ ment erré à travers la ville. A ses côtés, il tenait son vélomoteur Piaggio des années 80. Jusqu’au jour où il a atterri au « Lorrainehof » (établissement médico‑ social de l’Armée du Salut). Hans Streun se souvient comme si c’était hier de son accident de vélo d’il y a huit ans. « La voiture m’a happé à une vitesse élevée, je suis tombé du vélo et j’ai atterri dans le fossé. » A l’exception du conducteur ivre et de lui-même, il n’y avait personne alentour. « Je n’avais pas le choix : je me suis glissé sur la banquette arrière et le conducteur alcoolisé m’a conduit à l’hôpital de Münsingen. » Le pied gauche de Streun était dans un piètre état, le séjour hospitalier a duré cinq semaines. La spirale descendante s’était enclenchée. Plaie ouverte Streun a quitté sa cabane chérie sur le Gurnigel et est revenu en ville. « C’était tout simplement trop loin. Avec mon pied abîmé, je n’aurais plus été en mesure de me rendre au travail à vélo à Berne. » Streun travaillait comme mécanicien sur moto. Plus tard, il a eu un petit atelier, dans lequel il réparait de vieilles voitu-
res. Après que différentes choses n’aient pas marché, l’argent a commencé à manquer. « Comme je ne pouvais plus payer mon loyer, la gérance m’a expulsé de l’appartement », se rappelle Streun. L’homme de 69 ans ne veut pas dire combien de temps il a ensuite vécu dans la rue. Ce n’est qu’à contrecœur qu’il repense à cette époque. Il se rappelle toutefois encore exactement comment il est finalement arrivé à l’Armée du Salut. « Après que je sois passé quelques fois au centre d’accueil de jour de la Postgasse à Berne, l’Aide aux passants m’a trouvé une chambre au Foyer ‹ Lorrainehof › de l’Armée du Salut. » Son vélomoteur est synonyme de liberté pour lui « Streun avait entassé tous ses biens dans deux sacs qu’il avait fixés sur son vélomoteur. Le tapis de sol et le sac de couchage sur le porte-bagages. La béquille fixée devant au guidon », se rappelle Christian Russ, Directeur du « Lorrainehof ». La vie dans la rue avait marqué le bonhomme. « Le personnel d’accueil a remarqué la plaie ouverte à son pied. » Dès son arrivée au Foyer de l’Armée du Salut, il avait immédiatement dû se rendre chez le médecin d’urgence, qui avait de justesse pu éviter l’amputation du pied. « Streun avait depuis trop longtemps tenté de soigner tout seul sa plaie, elle était déjà purulente », se rappelle Russ, qui s’occupe depuis lors du champion de la survie. De sa vie mouvementée, il ne reste que le vélomoteur Piaggio. Cela lui permet de garder un peu de liberté. « Chaque jour, je fais un petit tour, je vais en ville ou au Lac de Thoune », s’émerveille l’homme de 69 ans en évoquant ses chères excursions. Dehors, dans la na-
Le nouveau résident se plaît à raconter quelques anecdotes tirées de sa vie mouvementée au Directeur du Foyer, Christian Russ.
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ture, il se sent bien et heureux. Ce que ne manque pas de confirmer Christian Russ : « A peine le déjeuner terminé, Streun se met en route. Il ne se laisse pas attacher et sait exactement ce qu’il veut. » Par exemple, aller dîner à l’extérieur. On le croise parfois au repas communautaire de « La Prairie » à Berne, une offre à seuil bas pour les personnes dans le besoin. « Même s’il donne souvent l’impression d’être un loup solitaire, il connaît beaucoup de gens et il est sociable », confie Russ. Chanter et danser à l’Armée du Salut Il ne rate pratiquement jamais le programme d’animation du « Lorrainehof ». « J’apprécie quand nous chantons ensemble ; parfois même, nous dansons », raconte-t-il rayonnant. Ce qu’il préfère chanter, ce sont les chansons folkloriques et les chansons de variété. La chanson populaire « Seppli » ou des chansons de Peter Hinnen. « Dans mon ranch, je suis roi » : la chanson préférée de Streun lui rappelle son passé. La vie libre sur le Gurnigel. Parcourir le vaste monde ne l’a jamais tenté. Son cœur a toujours battu pour Berne. Aujourd’hui encore, le drapeau bernois flotte sur son vélomoteur. Streun raconte qu’il a joué de la guitare et qu’il a beaucoup chanté avec sa sœur. « Lorsque nous étions jeunes, nous avons remporté ensemble la deuxième place d’un concours de chant. » Aujourd’hui, il lui rend visite de temps en temps au foyer pour personnes âgées. Excepté sa sœur, Streun n’a plus de proches en vie. Il ne s’est jamais marié. Avec nostalgie, il repense à son grand amour. « Lorsque je suis rentré à la maison après avoir terminé mon école de recrues, mon amie m’a avoué qu’elle avait un autre homme dans sa vie. J’étais atterré. » Il semblerait que Streun ait traversé de nombreuses déceptions dans sa vie. Au
Cela va mieux : après sa grave blessure au pied, Hans Streun ose même à nouveau s’aventurer sur la piste de danse. « Lorrainehof », il peut désormais retrouver la paix et retrouver une vie en communauté. « Je suis très satisfait ici. J’ai fait la connaissance de personnes sympathiques », dit Streun, heureux. lorrainehof.ch Texte : Tamara Traxler | Photos : Ruben Ung
« Avec 10 francs, je peux rouler jusqu’au Lac de Thoune avec mon vélomoteur. »
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