Graphisme Relationnel - Tome 01 - Sylvain Aubry

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Recherches

Graphisme relationnel Un projet de Sylvain Aubry Mastère Design global Promotion 2013 — 2014



P r o j e t d e f i n d ’é t u d e s P r o m o t i o n 2 01 3   —   2 01 4 Mastère Design global, r e c h e r c h e e t i n n o v a t i o n

P r o j e t d e f i n d ’é t u d e s d i r i g é p a r : Vincent Giavelli, Apolline Torregrosa

Remerciements : Vincent Giavelli, Apolline Torregrosa, Dominique Beccaria, Lionel Hager


Avant-Propos

Avant-propos

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La pratique du graphisme a été radicalement modifiée par la démocratisation des outils numériques de mises en formes qui ont permis de faire naître de nouvelles potentialités créatives. Notre génération a vu se propager internet dans les foyers, ce qui a modifié radicalement nos comportements sociaux. Ces nouvelles technologies numériques se sont immiscées dans notre quotidien en influençant notre perception du réel dans des proportions encore insoupçonnées. L’homme a maintenant la possibilité de se représenter le virtuel comme expérience réelle et actuelle mais médiatisée par une interface, un objet technique. Ce nouveau monde numérique a inéluctablement un impact sur notre perception du monde physique, ne serait-ce qu’en rendant visible et en renforçant certaines mutations sociales. Il me paraît fondamental pour notre génération de tenter de décrypter l’impact de cette démocratisation du numérique et de s’intéresser aux phénomènes sociaux révélés par ce nouveau monde. La révolution opérée par internet réside principalement dans la libération des contraintes physiques et géographiques de nos sphères relationnelles. Le succès et l’influence des médias sociaux bouleversent notre vision de la socialité et remet en question les interactions sociales possibles dans notre monde physique.

Avant-propos

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C’est dans cette sphère relationnelle qu’opèrent certains artistes contemporains qui tentent d’expérimenter de nouvelles formes d’être-ensemble. Les relations et leurs formes offrent ainsi un terrain d’expérimentation qui me permettra de questionner et de repenser en profondeur les supports du graphisme actuel (affichage, numérique, supports éditoriaux...). Ce n’est plus l’émancipation de l’individu qui est le plus urgent dans nos sociétés contemporaines, mais bien l’émancipation des relations entre les êtres. Il me parait fondamental pour un designer graphique de confronter sa pratique du graphisme à des problématiques sociologiques et artistiques contemporaines afin de générer de nouvelles formes de communications. Le graphisme est un médiateur, il met ainsi directement en forme un message qui est vecteur d’une relation entre l’émetteur et le récepteur : le designer graphique met ainsi en formes des relations, il est ainsi primordial de prendre en compte les relations et leurs évolutions dans nos sociétés.

Avant-propos

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Avant-propos

7 


SOMMAIRE

Sommaire

04

Avant-Propos

10

Introduction

14

Enjeux du projet

16

Part. 01

40

Part. 02

60

Part. 03

86

Part. 04

118

Conclusion

120

Bibliographie

122

Lexique

8 


01

Le graphisme comme médiateur

P.18

A

Esthétique relationnelle

P.26

B

Relation entre émetteur et récepteur : La forme du message

P.32

C

Le graphisme, créateur de liens symboliques entre les êtres

02

L’espace public, un contexte relationnel en mutation

P.42

A

Un monde urbanisé, création d’une sphère relationnelle mondiale

P.48

B

Détachement du pouvoir politique : émergence d’une nouvelle place publique

P.52

C

Micro-culture, le groupe contre la masse

03

Apparition d’une nouvelle définition de l’individu

P.62

A

Identité : déclin de l’individualisme au profit du pluralisme

P.66

B

Vitalisme - Primalité / Archaïsme

P.70

C

Les réseaux sociaux

P.76

D

L’impact des nouvelles technologies de communication et de création

04

Formes relationnelles émergentes

P.88

A

La représentation du lien, de l’interhumain

P.96

B

Le design participatif : impliquer le public dans le processus créatif

P.106

C

Espace-temps relationnel

Sommaire

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Introduction

Problématiques Comment le graphisme peut-il figurer, susciter ou produire des relations interhumaines ? Quel pourrait-être son rôle dans la mise en place d’une sphère relationnelle, d’un contexte spatio-temporel de rencontre ? Les supports graphiques existants s’adressent-ils encore efficacement à un public qui est à la recherche d’expériences collectives ?

Introduction

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« L’essence humaine est l’ensemble des rapports sociaux » Karl Marx.

Les oeuvres d’artistes contemporains des années 1990 à nos jours tendent vers une nouvelle forme d’art. Un art relationnel dont, comme l’indique Nicolas Bourriaud : « l’intersubjectivité forme le substrat, et qui prend pour thème central l’être-ensemble, la `rencontre´ entre regardeur et tableau, l’élaboration collective du sens. » (Bourriaud, 2001, p. 15) Dans un monde urbanisé où la relation à l’autre est devenue une règle absolue de civilisation, un moyen d’enrichissement collectif, les artistes souhaitent générer des rapports au monde, apprendre à mieux habiter le monde. Ces oeuvres portant une esthétique relationnelle ne défendent pas une idéologie, une vision unique mais suggèrent des univers possibles. Les utopies sociales des modernistes ont laissé la place à de micro-utopies quotidiennes.

Introduction

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Bourriaud, 2001 — p.15

La majorité de la population vit en milieu urbain, au centre d’une sphère relationnelle où ont pu se développer des relations interhumaines. Comme le dit Nicolas Bourriaud : « La ville a permis et généralisé l’expérience de la proximité : elle est le symbole tangible et le cadre historique de l’état de société, cet 'état de rencontre imposé aux hommes' selon l’expression d’Althusser. ».     Des liens interhumains ont ainsi évolués dans notre société contemporaine, régis par la loi de la rentabilité, et ont été standardisés, à l’image de notre société. Le lien interhumain devient ainsi un vecteur publicitaire et commercial, canalisé selon des principes simples, contrôlables et répétables. Prendre un café est une forme hautement symbolique de rapport humain « tarifé et uniformisé ». Les relations sont théatralisées, représentées, symbolisées selon des codes sociologiques installés dans tous les esprits. Les personnes n’interagissent que très rarement entre elles en dehors de ces espace-temps relationnels clairement définis. L’imprévisible, la découverte d’une nouvelle forme de relation, de rencontre, de convivialité sont presque inexistants des rapports humains possibles dans nos sociétés. L’art est aujourd’hui un des rares terrains d’expérimentations où les liens sociaux peuvent encore être remis en jeu, réinventés en dehors des schémas relationnels quotidiens, bien qu’il reste malheureusement réservé à un public élitiste.

Mercklé, 2011

Introduction

Ces schémas sociaux uniformisés ne suffisent plus à étancher les besoins relationnels des citoyens qui cherchent sans cesse de nouveaux moyens pour communiquer. De nos jours, Internet et les réseaux sociaux sont les nouveaux moyens de communications qui transforment radicalement les relations interhumaines et la notion même d’identité, d’individualité. Pierre Mercklé rappelle dans son livre Sociologie des réseaux sociaux qu’internet doit être vu comme une technologie qui a révélée, amplifiée des usages relationnels déjà existants avant sa création tout en se les réappropriant. Ce serait même ces usages relationnels qui ont créés un besoin de mise en réseau et ont poussé à l’élaboration d’internet.

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De nombreux sociologues révèlent de profondes mutations relationnelles dans nos sociétés actuelles, celles-là même qui ont poussées certains artistes à travailler et se questionner sur la forme des relations et, dans un second temps, à l’élaboration d’Internet. Le design graphique ne doit-il pas lui aussi être repensé en fonction de cette nouvelle socialité ? Les supports graphiques actuels s’adressent-ils encore efficacement à un public qui est à la recherche d’expériences collectives ? Le graphisme a pour but d’informer, d’instruire le public. Une relation visuelle se crée ainsi entre le support graphique qui délivre un message, une information et le public. Mais qu’en est-t-il des relations interhumaines que les réalisations graphiques figurent, produisent ou suscitent ? Quel pourrait-être son rôle dans la mise en place d’une sphère relationnelle, d’un contexte spatio-temporel de rencontre ?     Pour apporter des réponses à ces problématiques, ma recherche se doit d’articuler et de confronter des études sociologiques, des observations issues de l’art contemporain avec des solutions graphiques.     Il faudra tout d’abord établir le rôle du graphisme comme médiateur pour ensuite le confronter à l’espace public, un contexte social et relationnel en mutation. Il faudra analyser les liens interhumains avec l’apparition d’une nouvelle définition de l’individu pour qu’ensuite en découlent des formes graphiques relationnelles émergentes qui réponderont plus singulièrement et efficacement aux besoins du public qui ne cessent d’évoluer.

Introduction

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Enjeux du projet

Enjeux

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Enjeux créatifs

Enjeux é conomiques

Enjeux c u l t ur e l s

Enjeux sociaux

Enjeux

L’intérêt est de repenser les supports de communication actuel, de les réinterroger en profondeur, les adapter à de nouveaux besoins relationnels. L’action collective peut devenir un vecteur de création, permettant de rassembler une communauté autour d’un langage de signes. Le design participatif, le conditionnal design sont de nouvelles pratiques du graphisme qui prennent en compte le spectateur et l’inclut dans le processus créatif. C’est ici la possibilité de faire évoluer le design d’une pratique technocratique vers une pratique plus démocratique. L’enjeu principal est de donner un rôle au public et de l’intégrer dans une expérience créative collective.     D’un point de vue économique, cette pratique du design permet d’améliorer l’implication du public et permet également une meilleure connaissance de celui-ci. Il est possible de mieux comprendre ses besoins et d’amplifier son investissement au sein d’une structure collective. Les rôles entre le designer graphique et le public peuvent être partagés, chacun endossant un rôle spécifique, ce qui nous pousse à se questionner sur la place du graphiste et son nouveau rôle possible de «programmeur», de créateur d’expériences collectives.

Il s’agit désormais avec la participation de rendre accessible, en plus de l’avoir, l’être et le faire pour les citoyens. La participation collective au processus créatif permettrait de lutter face à la standardisation et la passivité induite par nos sociétés. Le public participe ainsi à la création des signes des communautés, des lieux qu’il fréquente. Ainsi, une structure peut enrichir culturellement un public tout en s’enrichissant elle-même de ce que le public aura créé collectivement au sein de celle-ci.

L’intérêt est de renforcer le sentiment d’appartenance à une structure et/ou une communauté en participant, au sein d’une expérience collective, à l’évolution de l’identité de celle-ci. L’enjeu est de participer à l’émancipation des relations entre les êtres en facilitant les liens interhumains au sein d’une structure. L’enjeu est de créer de nouvelles formes d’être-ensemble et de nouvelles possibilités de rencontres.

15


01 — Le graphisme comme médiateur

Partie 01

16


A Esthétique relationnelle

B Relation entre émetteur et récepteur

C Le graphisme, créateur de liens symboliques entre les êtres

Partie 01

17


01

A

Esthétique relationnelle

« Dans nos sociétés post-industrielles, ce n’est plus l’émancipation des individus qui s’avère la plus urgente, mais celle de la communication inter-humaine, l’émancipation de la dimension relationnelle de l’existence. » Bourriaud, 2001, p.62

Partie 01

A

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L’esthétique relationnelle est une théorie de l’art contemporain définit par le critique et historien de l’art Nicolas Bourriaud en 1995. Cette théorie est basée sur une observation des problématiques investies par l’art contemporain depuis le début des années 1990 et sur les nouvelles formes d’oeuvres artistiques (performance, oeuvre éphémère, vidéo, installation interactive...). Nicolas Bourriaud décèle un terrain d’action dominant pour les artistes de notre époque : la sphère des relations inter-humaines. Bourriaud, 2001 — p.28

Bourriaud, 2001 — p.31

Bourriaud, 2001 — p.47

Partie 01

« l’histoire de l’art peut se lire comme l’histoire des successifs champs relationnels externes, relayés par des pratiques qui sont déterminées par l’évolution interne de ces champs : elle est l’histoire de la production des rapports au monde, tels qu’ils sont médiatisés par une classe d’objets et des pratiques spécifiques. Cette histoire semble avoir pris aujourd’hui un nouveau tour : après le domaine des relations entre Humanité et divinité, puis entre l’Humanité et l’objet, la pratique artistique se concentre désormais sur la sphère des relations inter-humaines, comme en témoignent les pratiques artistiques en cours depuis le début des années 1990. »

« La mise en formes de relations conviviales est une constante

historique depuis les années 1960. La génération des années 1990 reprend cette problématique, mais délestée de la question de la définition de l’art, centrale pour les décennies 60-70. »

Nicolas Bourriaud a défini cette approche comme « théorie esthétique consistant à juger les œuvres d’art en fonction des relations interhumaines qu’elles figurent, produisent ou suscitent ». Loin de se limiter à un art « interactif », il s’agit de montrer comment la sphère des relations humaines, au même titre que celle de la consommation dans les années 1960, reconfigure les pratiques artistiques et produit des formes originales. Les figures formelles de l’art relationnel sont la collaboration, l’entretien, la manifestation (Philippe Parreno : « No more reality », 1991), la modélisation de relations sociales ou la construction d’outils de communication. L’intersubjectivité et l’interaction sont l’essence même de ces oeuvres qui ont pour but de produire des espaces-temps relationnels, des expériences interhumaines. Ces oeuvres génèrent des interstices sociaux dans le sens où elles tentent de proposer des formes relationnelles libérées des contraintes de l’idéologie de la communication de masse et de l’uniformisation des relations humaines. Ces oeuvres, ces espace-temps élaborent ainsi des « socialités alternatives, des modèles critiques, des moments de convivialité

A

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construite. ». Les rapports entre l’oeuvre et le public sont en questionnement constant, non résolu à l’avance. Ce sont les formes, les situations d’expositions proposées par les artistes qui vont insuffler une certaine socialité et un certain statut au regardeur. Ce que nous fait apparaître cette esthétique relationnelle, c’est bien le fait que les formes induisent des modèles de socialité.     Le graphisme est un vecteur de formes relationnelles puisqu’il permet de réaliser des outils de communication. C’est bien une relation qui est créée entre le public et le commanditaire du support de communication élaborée par le graphiste. Seulement, le graphisme est-il limité à cette unique relation émetteur-récepteur où pourrait-il permettre de générer des espaces-temps relationnels ? L’intérêt est de faire le parallèle entre les formes artistiques issues de cette esthétique relationnelle et les répercussions possibles dans le domaine du design graphique. Ce recoupement peut permettre de faire naître de nouvelles formes d’interactivité entre le support graphique (support de communication) et le public.

FA B R I C E H Y B E R M a t i è r e s p r e m i è r e s, 2 01 2 Pour le Palais de Tokyo, Fabrice Hyber crée un spa mental avec deux parcours, l’un actif et l’autre contemplatif, proposant une reconstruction de nos paysages physiques et virtuels. Il suffit d’un simple ballon carré ou du changement d’échelle d’une matière première pour déplacer notre point de vue. Véritable promenade où nos repères sont redéfinis, l’exposition répond à cette définition de Gilles Deleuze : « une fuite dans l’imaginaire ou dans l’art, c’est produire du réel, créer de la vie ».

Partie 01

A

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G A BRIEL OROZC O P ing Pong Table, 1998

CARST EN HÖLL ER L u n e t t e s à l ’e n v e r s, 2 0 0 8.

CARST EN HÖL L ER L e s To b o g g a n s, 2 0 0 7 Tate Modern, Londres

Partie 01

A

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FEL IX G ONZ AL EZ TORRES C a n d y p i e c e s, 1 9 9 0

Bourriaud, 2001 — p.58-59

Partie 01

« Les candy pieces posent ainsi un problème éthique sous une forme apparemment anodine : notre rapport à l’autorité, et l’usage que les gardiens de musée font de leur pouvoir ; notre sens de la mesure et la nature de nos relations à l’oeuvre d’art. Dans la mesure ou celle-ci représente l’occasion d’une expérience sensible basée sur l’échange, elle doit se voir soumise à des critères analogues à ceux qui fondent notre appréciation de n’importe quelle réalité sociale construite. Ce qui fonde aujourd’hui l’expérience artistique, c’est la coprésence des regardeurs devant l’oeuvre, que celle-ci soit effective ou symbolique. La première question qu’on devrait se poser en présence d’une oeuvre d’art, c’est : me donne-t-elle la possibilité d’exister en face d’elle, ou au contraire, me nie-t-elle en tant que sujet, se refusant à considérer l’Autre dans sa structure ? L’espace-temps suggéré ou décrit par cette oeuvre, avec les lois qui le régissent, correspond-il à mes aspirations dans la vie réelle ? Critique-t-il ce que je juge critiquable ? Pourrais-je vivre dans un espace-temps qui lui correspondrait dans la réalité? »

A

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FEL IX G ONZ AL EZ TORRES U n t i t l e d ( A r e n a ) , 1 9 93 S’intéressant à l’articulation entre sphères privée et publique, entre artiste et spectateur, ainsi qu’entre esthétique et politique, l’artiste réalise en 1993, Untitled (Arena). Une guirlande lumineuse, rappelant les bals populaires, délimite un espace où deux spectateurs peuvent danser en écoutant au casque une valse viennoise. Cette oeuvre offre la possibilité d’un moment à la fois intime et public, introspectif et expansif, typique de cette porosité des sphères recherchée par Gonzalez-Torres. « L’idéal pour moi, c’est quand quelque chose a lieu, quand l’oeuvre devient une sorte d’élément catalytique qui fait que quelque chose se passe, que quelque chose devient possible. » FGT, entretien avec Hans Ulrich Obrist (mars 1994), in H.U. Obrist, Conversations. Volume I, Paris, Manuella Editions, 2008, pp 326-327

Bourriaud, 2001 — p.60-61

Partie 01

« ...l’artiste incite le « regardeur » à prendre place dans un dispositif, à le faire vivre, à compléter le travail et à participer à l’élaboration de son sens. Pas de quoi crier au gadget facile: ce type d’oeuvres (qu’on nomme faussement « interactives ») prend ses sources dans l’art minimal, dont l’arrière-plan phénoménologique spéculait sur la présence du regardeur comme partie intégrante de l’oeuvre. C’est cette « participation » oculaire que Michael Fried dénonça d’ailleurs sous le titre générique de « théâtralité » : « l’expérience de l’art littéral (l’art minimal) est celle d’un objet en situation ; celle-ci, presque par définition, inclut le regardeur. » Si l’art minimal fournit en son temps les outils nécessaires à une analyse critique de nos conditions de perception, l’on se rend aisément compte qu’une oeuvre comme Untitled (Arena) ne relève plus de la simple perception oculaire : c’est son corps tout entier, son histoire et son comportement physique qu’apporte le regardeur, et non plus une présence physique abstraite. L’espace de l’art minimal se construisait dans la distance séparant le regard et l’oeuvre ; celui que définissent les oeuvres de Gonzalez-Torres, à l’aide de moyens formels comparables, s’élabore dans l’intersubjectivité, dans la réponse émotionnelle, comportementale et historique donnée par le regardeur à l’expérience proposée. La rencontre avec l’oeuvre génère moins un espace (comme dans le cas de l’art minimal) qu’une durée. Temps de manipulation, de compréhension, de prise de décisions, qui dépasse l’acte de « compléter » l’oeuvre par le regard. »

A

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L IA M GIL L I C K

L IA M GIL L I C K

bar «volvo»

C o ll e c t i v e P r o j e c t i o n , 2 0 0 8

Liam Gillick interroge la présence du spectateur dans le lieu d’exposition et son action sur l’oeuvre, lui permettant de remettre en question les modèles sociaux. Ces oeuvres minimalistes jouent, entrent en relation avec le public lorsqu’il se met en mouvement dans et autour de l’oeuvre.

Partie 01

A

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P H I L I P P E PA R R E N O " A n y w h e r e , A n y w h e r e , O u t O f T h e Wo r l d " P a l a i s d e To k y o , 2 01 3 Philippe Parreno joue des symboles, des mots et des sons modifiant la perception de l’espace par les visiteurs et transformant le bâtiment en un organisme vivant, en un automate dont le mécanisme est en perpétuelle évolution. Il envisage l’exposition comme un médium, un objet à part entière, une expérience dont il explore toutes les possibilités.

P H I L I P P E PA R R E N O No More Realit y, 1991

Partie 01

A

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01

B

Relation émetteur / récepteur — la forme du message

Partie 01

B

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McLuhan, 1964

Daney

Partie 01

Le sociologue canadien Marshall McLuhan, dans son ouvrage Pour comprendre les médias (1964), établit l’idée fondatrice que « Le message, c’est le médium ». Par cette affirmation, il veut démontrer que ce n’est pas le contenu du message qui affecte la société, les relations entre les hommes, mais le canal de transmission du message lui-même. Le contenu du message serait donc accessoire et ce serait le couple message / média dans son ensemble qui façonnerait l’information. Cet impact du médium explique, selon le théoricien, que les innovations technologiques ont bouleversé les civilisations, engendré des modifications du dispositif sensoriel et intellectuel de l’homme. En énonçant cette théorie, McLuhan indique une inversion de la traditionnelle opposition fond / forme en ce qui concerne la communication entre les hommes. La forme du média (imprimé, internet, audiovisuel...) et sa combinaison avec le message deviennent ainsi le fond : le couple message / média devient ainsi indissociable. Le message permet au média de devenir visible et le média influence la forme et le fond du message.     Mc Luhan classe, par ailleurs, les médias en deux catégories : les médias chauds et les médias froids. Un médium est chaud lorsqu’il prolonge un seul des sens et lui donne une haute définition (une grande quantité de données) comme la radio, le cinéma, le papier. Un médium est froid lorsqu’il prolonge plusieurs sens et qu’il est assez pauvre en définition (téléphone, télévision). Selon Mc Luhan, les médias chauds invitent moins le spectateur à participer puisqu’il y a moins d’informations à compléter alors que les médias froids demandent une forte participation afin de compenser la pauvreté du message. Cela permet de se poser la question des médias à utiliser pour mettre en oeuvre une implication sociale du public. Faut-il utiliser des médias froids, des médiums archaïques, primitifs, extrêmement simples pour faire ressurgir une forme de participation directement induite par le manque de données offertes par le média ? Daney déplore qu’avec l’arrivée de la télévision, le couple « Montrer / Voir » qui fondait une démocratie de l’image ait été remplacée par un autre couple, « promouvoir / recevoir » qui marque la fin du « Visuel » pour un média autoritaire qui participe fortement à l’uniformisation des modes de pensées.

B

27


Mercklé, 201 — p.104

« Levine et Mullins (1978) considèrent que « la caractéristique

intéressante d’une relation, c’est sa forme (pattern) : une relation n’a ni âge, ni sexe, ni religion, ni revenu, ni attitude, même si toutes ces caractéristiques peuvent être des attributs des individus entre lesquels cette relation existe ». »

Les relations ont donc une forme, comme le présentait McLuhan en démontrant l’importance du médium dans la réception du message. Le lien est ainsi établi par le média (naturel ou technique) et influe en profondeur sur la réception du message. La communication visuelle acquière ainsi un rôle majeur dans l’émission d’un message puisqu’il façonne, définit la forme du couple message / média. Le graphisme peut façonner ainsi des formes relationnelles. Chaque support offre une réception différente du message. La création de nouveaux supports de communications peut permettre d’offrir ainsi de nouvelles formes de liens visuels, de transmission du message. Bourriaud, 2001 — p.19

Parlebas, 1992 — p.99

Granovetter

« Dans les romans de Witold Gombrowicz, on voit comment chaque

individu génère sa propre forme à travers son comportement, sa manière de se présenter et de s’adresser aux autres. Elle naît dans cette zone de contact où l’individu se débat avec l’Autre, pour lui imposer ce qu’il juge être son « être ». Notre « forme » n’est ainsi, pour Gombrowicz, qu’une propriété relationnelle nous liant à ceux qui nous réifient du regard, pour reprendre une terminologie sartrienne. L’individu, quand il croit se regarder objectivement, ne contemple en fin de compte rien d’autre que le résultat de perpétuelles transactions avec la subjectivité des autres. »

En ce qui concerne les relations interhumaines, l’unité élémentaire du social se trouve dans la « liaison » et Parlebas insiste sur le fait que « les individus seront caractérisés non pas par ce qui est en eux, mais par ce qui est entre eux ». Ce sont bien nos relations avec les autres qui modèlent nos identités propres au sein d’un contexte social. Granovetter définit la force d’un lien comme « une combinaison (probablement linéaire) de la quantité de temps, de l’intensité émotionnelle, de l’intimité (la confiance mutuelle) et des services réciproques qui caractérisent ce lien ».

Simmel, 1950

Il existe des formes ou des « types » de relations sociales invariantes quel que soit l’époque ou le contexte social (ex : la domination, la compétition, le conflit...). Simmel affirme ainsi que ces formes invariantes peuvent être recensées et que leur étude permet de fonder une « géométrie du monde social ».

Partie 01

B

28


Certaines règles de reliances peuvent être ressorties comme « l’homophilie » qui se définit comme la tendance pour l’amitié à se former entre des personnes qui possèdent des caractéristiques identitaires similaires : « Qui se ressemble s’assemble ». Mercklé, 2011 — p.09

« En revanche, dès que les relations sont saisies non plus entre deux, mais entre trois éléments, autrement dit à l’échelle de la « triade », les relations interpersonnelles acquièrent une dimension impersonnelle : « Dès qu’il y a association de trois, le groupe continue à exister, même si l’un de ses membres se retire. » (Simmel, 1950). Une triade n’est pas la somme de trois individus, elle n’est pas non plus la somme de trois diades. La logique n’est plus additive, elle devient combinatoire, ouvrant la possibilité d’étudier les stratégies de la coalition, de médiation, la transitivité des affinités, etc. »

J O S E P H KO S U T H O n e a n d t h r e e c h a i r s, 1 96 5

Partie 01

B

29


L AW R E N C E W I E N E R Pour Lawrence Weiner, l’art doit mettre en perspective les rapports qu’entretiennent les objets entre eux et les êtres humains avec ces objets. Ses œuvres nous offrent une diversité de jeux descriptifs et sensitifs auxquels le public est invité à se percevoir lui-même dans l’évaluation de ses propres sentiments. Mc Luhan affirmait qu’une œuvre d’art n’a pas d’existence ou de fonction en dehors de ses effets sur les hommes qui l’observent. Si dans cette logique nous sommes conduits à faire fusionner l’art et la vie, l’oeuvre de Lawrence Wiener rentre en parfaite résonance avec cette philosophie.

L AW R E N C E W I E N E R A S i m p l e Ve c t o r, 2 01 2

Partie 01

B

30


R O B E R T B A R RY Wo r d L i s t s, 2 0 09, Galerie Yvon Lamber t Paris Comme Lawrence Wiener, Robert Barry est une figure de proue du mouvement conceptuel. Lui aussi utilise les mots pour leurs propriétés conceptuelles, universelles et impalpables. Il pense à une nouvelle conception des rapports entre l’œuvre et le langage. Ses mots apparaissent toujours en majuscule mais la taille, la couleur, le matériel et la typographie diffèrent, s’adaptant aux espaces d’exposition. Dans son travail, la subjectivité du spectateur est un élément constitutif de son œuvre ; l’évocation d’un mot crée une multitude d’interprétations, d’idées, de concepts, selon l’imagination et l’expérience propre à chacun.

Partie 01

B

31


01

C

Le graphisme — Créateur de liens symboliques entre les êtres

Partie 01

C

32


Le graphisme a comme propriété intrinsèque d’engendrer du lien visuel par l’utilisation de signes : l’émetteur émet un message (signifiant) qui est ensuite perçu par le récepteur (signifié). Bourriaud, 2001 — p.15

« L’une des virtualités de l’image est son pouvoir de reliance,

pour reprendre le terme de Maffessoli : drapeaux, sigles, icônes, signes, produisent de l’empathie, générent du lien. »

Lorsque des signes deviennent connus et reconnus par un groupe d’individus, ils permettent de créer un langage visuel entre ces personnes. L’alphabet est bien évidemment l’exemple fondamental de cette création de relation entre les êtres par un ensemble de symboles massivement reconnus. Les logos, les codes utilisés par la publicité sont autant de signes qui établissent des liens visuels entre les êtres, qui régissent un langage, une culture visuelle commune. Des codes culturelles unissent ainsi les populations entre elles, comme les membres d’un même pays, les joueurs d’une même équipe, les consommateurs du même produit. Ces signes forment une bibliothèque commune de sens, qui influe à différentes échelles selon leur potentiel de visibilité (mondiale, nationale, communauté, association...).

Voir p.39

Voir p.36

Partie 01

Ce pouvoir de reliance de l’image est indiscutable, mais comment est-il exploité en graphisme ? Est-il uniquement un caractère induit ou ce pouvoir de reliance peut-il devenir un signifiant en lui-même ? L’affiche conçue pour l’évènement Medialab Varszawa par les graphistes polonais Dagmara Berska et Barbara Dzieran est constituée de « Post-it » détachables qui permettent au public de diffuser l’information. Ils créent ainsi un support graphique identifiable qui peut se subdiviser, se répandre pour créer un réseau de liens visuels éphémères (le temps de l’évènement) mais doté d’un potentiel de viralité et de diffusion fort. Le support graphique, à l’image d’un individu qui entrerait en relation avec un autre, crée un lien, un moment de partage social. Avec cette possibilité d’entrer en contact avec le support graphique et de se saisir d’une parcelle d’informations (post-it), cette affiche représente directement et concrètement ce processus de reliance, de partage. Le support imprimé permet de matérialiser cette reliance par la diffusion, comme le mettent très bien en évidence les graphistes de LUST pour l’identité de l’exposition At Random ? . Les supports graphiques

C

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réalisés sont imprimés sur des feuilles maculées de dégradés de couleurs permettant de générer une cohérence visuelle, un lien symbolique fort entre tous les documents imprimés lors de cet évènement tout en rendant chacun des supports uniques avec les changements de teintes. Tout est lié par un sytème identitaire radical qui permet une singularité de chaque support imprimé tout en conservant l’appartenance à une même identité de base. Ces projets graphiques tendent à manipuler ce caractère relationnel induit par le pouvoir de reliance de l’image. Ils révèlent chacun des propriétés relationnelles différentes (la viralité, la culture commune, la singularité au sein d’une pluralité...).

CL AUDE CLOSK Y ‘ A A , A B ’ , 1 9 93

Partie 01

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H5 L o g o r a m a , 2 0 09 Court métrage d’animation

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LUST At Random? Exhibi ti on INTERACTIVE MEDIA INSTALL ATION IRIS, 2007 - 2008, MUSEUM DE PAVILJOENS Pour créer l’identité de l’exposition « At random ? », Lust imprime 80 000 formats A3 avec des dégradés de couleurs obtenus à l’aide d’un procédé d’impression spécifique. Ces feuilles sont ensuite utilisées par les visiteurs pour imprimer leur propre version du catalogue de l’exposition qui sera unique de par sa couleur tout en étant visuellement en lien avec l’ensemble des supports imprimés lors de cette exposition. Ces colonnes de feuilles représentent le passage du temps de l’exposition puisque les colonnes se vident au fur et à mesure du passage du public.

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DAGM AR A BER SK A E T B ARB AR A DZ IER AN M e d i a L a b Wa r s z a w a Affiche virale Une affiche qui se transforme en prospectus, c’est ce qu’on imaginé les graphistes polonais Dagmara Berska et Barbara Dzieran. Cette commande, conçue pour l’évènement Medialab Varszawa, se compose d’une multitude de bloc-notes colorés fixés sur un fond typographique en noir et blanc. La manifestation organise des ateliers, des actions éducatives et des projets sociaux destinés à mener une réflexion sur le partage des données et ressources. Chacun peut se saisir d’un Post-it puis le diffuser, une intelligente manière de matérialiser la viralité. Gold aux European Design Awards 2012 Étapes n°206 P.12

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L ESL E Y MO ORE Tu t t o B e n e Vo i r É t a p e s n ° 1 8 1 P . 41

M AINS T UDI O Muse um Perron O ost

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A L L E N RU P P E R S B E R G private conversation Réutilisation et détournement des codes graphiques des affiches populaires.

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02 — L’espace public, Un contexte relationnel en mutation

Partie 02

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A Un monde urbanisé, création d’une sphère relationnelle mondiale

B Détachement du pouvoir politique : émergence d’une nouvelle place publique

C Micro-culture, micro-utopie, le groupe contre la masse

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Un monde urbanisé — Création d’une sphère relationnelle mondiale

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Depuis le début du 18e siècle, l’époque des premières révolutions industrielles, l’urbanisation n’a cessé de croître de façon exponentielle. De nos jours, plus de la moitié de la population mondiale vit en milieu urbain et le phénomène d’exode rurale continue de proliférer, notamment dans les pays en voie de développement. Cette agglutination des populations dans les zones urbaines a été permise grâce aux évolutions technologiques, mais la vraie raison de l’expansion de nos villes est le besoin de rencontres, de partages, de proxémie. La ville a permis de faire naître des relations autres et plus diversifiées que celles qui existent en milieu rural. Notre monde urbanisé a permis de générer de nouvelles formes d’être-ensemble, permettant des interactions sociales dans un milieu de diversité humaine et comportemental en constante évolution.

Maffesoli, 2000 — p.53

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L’espace public est évidemment le vecteur fondamental de relations dans nos sociétés actuelles. Il est le lieu où la proximité entre les êtres est possible, là où la proxémie est mise en jeu. L’espace public induit le partage d’un même territoire (la proximité), ce qui, par la force des choses fait naître l’idée de la communauté et l’éthique qui lui est associée. Berceau de réseaux sociaux multiples et diverses, l’espace public, qu’il soit réel ou virtuel, permet l’échange entre des êtres de différentes cultures. C’est un lieu d’enrichissement, de frottement, d’émulsion indispensable à l’évolution de nos civilisations, voilà pourquoi nous nous devons de le penser, de le modeler à l’image de l’humain. Pourtant, cet espace public est majoritairement structuré par le capitalisme et la standardisation globalisée. L’espace public se doit de provoquer des rencontres, des échanges, l’entraide. L’entraide serait, selon Maffesoli « la réponse animale, « non consciente » du vouloir-vivre social ; sorte de vitalisme qui « sait », de savoir incorporé, que l’unicité est la meilleure réponse à l’emprise de la mort, un défi qui est lancé en quelque sorte. ». Il est bien question ici d’un vouloir-vivre ensemble, là réside la force de nos sphères relationnelles. L’intérêt du designer est bien de modéliser des espaces qui révèlent, amplifient, mettent en exergue ce vouloir-vivre ensemble, ce sentiment de force collective face à l’altérité. La sociabilité, cette capacité d’évoluer en société et de pénétrer de nouveaux réseaux sociaux est aujourd’hui un élément fondamental da la définition de l’identité d’un individu au sein d’un ensemble social. La sociabilité

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Maffesoli, 2000 — p.42

Bourdieu, 1984 — p.56

Bourriaud, 2001 — p.09

est une notion ambivalente comme l’affirme Michel Maffesoli : « d’un côté, d’un point de vue que l’on pourrait qualifier de « microsociologique », loin d’être désintéressée, la sociabilité peut être vue comme une ressource individuelle, comme le résultat de stratégies mises en oeuvre par des acteurs sociaux qui gèrent un «capital social» de relations ; d’un autre point de vue, que l’on pourrait qualifier de « macrosociologique », la sociabilité peut être envisagée comme un bien collectif, un principe de cohésion sociale ». Effectivement, la sociabilité peut être perçue comme une richesse, un capital qui reflète une réelle réussite sociale. C’est Pierre Bourdieu qui distinguât trois formes de capitaux voués à la construction de notre statut social : le capital économique (revenus, patrimoine matériel...), le capital culturel (qualifications intellectuelles, niveau de diplôme...) et le capital social (réseaux de relations).     Cette vision de la sociabilité comme un capital social, comme « une forme particulière de travail social, qui suppose une dépense d’argent, de temps et une compétence spécifique » a fortement contribué à la standardisation des rapports interhumains. Tel une marchandise, le lien social a été standardisé dans le but d’être contrôlé, limité et tarifé. Nicolas Bourriaud illustre parfaitement ce phénomène en énonçant « nous voilà sommés de discuter autour d’une boisson dûment tarifée, forme symbolique des rapports humains contemporains. Vous voulez de la chaleur partagée, du bien-être à deux ? Goûtez donc notre café... Ainsi l’espace des relations courantes est celui qui se voit le plus durement touché par la réification générale. » . Le pouvoir politique a toujours oeuvré pour que les relations sociales puissent être calibrées afin d’être contrôlables et répétables sans sortir des standards acceptés socialement. Nos relations sont ainsi théâtralisées, déshumanisées, prévisibles de part l’institutionnalisation extrême de l’espace public et le peu de place laissé à l’inhabituel, à l’espace singulier offrant de nouvelles possibilités relationnelles.     Seulement, cette uniformisation des modes de vie et parfois de pensée, cette indifférenciation entre les individus, vont de pair avec l’accentuation actuelle de valeurs particulières, investies avec intensité par quelques-uns.

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Maffesoli, 2000 — p.80

« Ainsi peut-on assister à une mass-médiation croissante,

à un habillement standardisé, à un fast-food envahissant et dans le même temps au développement d’une communication locale (radios libres, TV câblée), au succès de vêtements spécifiques, de produits ou de plats locaux, quand il s’agira, à des moments particuliers, de se réapproprier son existence. C’est cela même qui fait ressortir que l’avancée technologique n’arrive pas à gommer la puissance de la liaison (de la religion), et parfois même lui sert d’adjuvant. »

S T U D I O S PA S S We r e l d Va n W i t t e , 2 01 2

Le festival Wereld Van Witte aborde le thème de l’environnement urbain. Il propose pour cela des ateliers participatifs, des débats, des œuvres interactives qui tentent d’éveiller les consciences sur une réappropriation de la ville. Pour l’identité de 2011, les graphistes de Studiospass présentent une série de 230 affiches singulières, dispersées à travers la commune. Elles mettent en évidence les différentes visions de chacun sur son milieu de vie urbain, mais aussi les relations entre toutes ces perceptions avec des codes graphiques communs. L’identité met ainsi en évidence un réseau de relations visuelles, des rencontres de visions singulières autour d’un même thème : l’environnement urbain. Studiospass a ainsi parfaitement saisi le besoin de singularité dans un contexte de standardisation des relations.

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S T U D I O S PA S S We r e l d Va n W i t t e , 2 01 2

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T H O M A S B AY R L E

T H O M A S B AY R L E

T H O M A S B AY R L E P l i t s c h - P l a t s c h , 1 9 7 3.

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Détachement du pouvoir politique — Émergence d’une nouvelle place publique

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Maffesoli, 2000 — p.05

En Europe, la démocratie représentative fait face à certaines limites structurelles au niveau des possibilités d’engagements de la masse sociale dans le débat politique. Le peuple se sent peu représenté par les élus qui devraient incarner la volonté générale. La parole donnée à la population lui devient insuffisante. La masse et surtout les jeunes dans leur majorité ne s’identifient plus au pouvoir politique. Comme nous l’indique Maffesoli : « L’abstention, lors des votations, est, à cet égard, éclairante en ce qu’elle montre bien en quoi le mécanisme de représentation n’a plus aucun rapport avec ce qui est vécu. »     La masse tend ainsi à se séparer du pouvoir politique. La vision d’un pouvoir politique dominant, triomphant et d’un mode de vie unique choisis par les gouvernants est en train de disparaitre. L’ordre politique glisse vers un ordre fusionnel. Des communautés plurielles, des tribus comme les appellent Maffesoli, se forment par la nécessité de trouver son appartenance dans un contexte social. La place du débat politique et social est ainsi en train de muter, de se déplacer vers le local, vers l’instant, vers l’éphémère. L’entraide et la croyance en de nouveaux modes d’engagements communautaires permettent d’échapper à la démocratie représentative et ses limites et de faire naître des interstices sociales.

Maffesoli, 2000

« il est possible que la structuration sociale en une multiplicité

— p.05

de petits groupes s’agençant les uns aux autres permettent d’échapper, ou tout au moins de relativiser les instances de pouvoir. C’est cela la grande leçon du polythéisme sur lequel nombre d’analyses ont été faites, mais qui propose encore une piste de recherche tout à fait féconde. Pour être plus précis, on peut imaginer un pouvoir en voie de mondialisation, bi ou tricéphale, se disputant et se partageant les zones d’influence économico-symboliques, jouant à l’intimidation atomique, et, en deçà ou à côté, la prolifération de groupements d’intérêt divers, la création de baronnies spécifiques, la multiplication de théories et d’idéologies opposées les unes aux autres. D’un côté l’homogénéité, de l’autre l’hétérogénéisation. Ou encore, pour reprendre une vieille image : la dichotomie au plan universel d’un « pays légal » et d’un « pays réel » . Cette perspective est actuellement déniée par la majorité des politistes ou des observateurs sociaux, en particulier parce que cela contrevient à leurs schémas d’analyse issus des pensées positivistes ou dialectiques du siècle dernier. Mais si l’on est à même d’interpréter des indices (index : le doigt qui pointe) tels que le massif désengagement politique ou syndical, l’attirance de plus en plus affirmée pour le présent, le fait de considérer le jeu politicien pour ce qu’il est : activité théâtrale ou de variétés de plus ou moins grand intérêt, l’investissement dans de nouvelles aventures économiques, intellectuelles, spirituelles ou existentielles, tout cela devrait nous inciter à penser que la socialité qui est en train de naître ne doit rien au vieux monde (qui est encore le nôtre) politico-social. ».

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Næss, 2009

Guattari, 1989

C’est bien cette représentation de la figure dominante et unique qui est remise en cause avec ce pluralisme contemporain. Le concept d’écosophie forgé par Arne Næss en 1960 remettait déjà en question cette vision de domination, mais d’un point de vue anthropologique sur la place de l’homme dans son environnement naturel. Næss affirmait que « l’homme ne se situe pas au sommet de la hiérarchie du vivant, mais s’inscrit au contraire dans l’écosphère comme une partie qui s’insère dans le tout » . Ce sont les bases du mouvement écologique qui sont posées par ce concept, mais surtout la constitution par chacun de son propre milieu de vie, la recherche individuelle de nos besoins pour atteindre le bien-être, et non plus l’obéissance et l’unification derrière une vision unique. Félix Guattari, dans son ouvrage Les trois écologies, développe la notion de l’écosophie en distinguant trois terrains écologiques : l’écologie environnementale (rapport à la nature), l’écologie sociale (rapport aux réalités économiques et sociales) et l’écologie mentale (rapport à la psyché, la subjectivité humaine).     Le rôle de l’art contemporain est d’incarner ce passage de l’économie généralisée à l’écologie généralisée, d’incarner le politique dans de nouvelles formes pour ensuite les insérer dans la vie quotidienne.

Bourriaud, 2001 — p.87

« Notre époque n’est pas en manque d’un projet politique, mais

en attente de formes susceptibles de l’incarner, donc de lui permettre de se matérialiser. Car la forme produit ou modèle le sens, l’oriente, le répercute dans la vie quotidienne. La culture révolutionnaire a créé ou popularisé plusieurs types de socialité : l’assemblée (soviets, agora), le sit-in, la manifestation et ses cortèges, la grève et ses déclinaisons visuelles (banderole, tracts, organisation de l’espace, etc...). La nôtre explore le domaine de la stase: grèves paralysantes, comme celle de Décembre 1995, où l’on organise différemment son temps : free parties se déroulant sur plusieurs jours, dilatant ainsi la notion de sommeil et de veille ; expositions visibles une journée entière, et remballées après le vernissage ; virus informatiques bloquant des milliers de logiciels en même temps... C’est dans le gel des mécaniques, dans l’arrêt sur image, que notre époque trouve son efficacité politique »

Le peuple est donc à la recherche de nouvelles formes d’engagements, de participations sociales et c’est là que le graphisme doit pouvoir jouer un rôle majeur. Est-ce que le graphisme peut-il offrir de nouveaux moyens de communications entres les êtres afin de faire naître, faire

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entendre des mouvements politiques et sociaux à différentes échelles et non plus uniquement des mouvements politiques majeures ? Voilà en quoi le graphisme peut trouver un rôle dans nos sphères sociales, dans le transfert d’information entre les participants d’une communauté, dans l’édification de micro-évènements militants définis dans le temps. Le graphisme doit être ainsi vu comme un moyen de communication s’articulant selon différents supports de prises de parole politique offerts à tous. Quand Vincent Perrottet conçoit des supports graphiques revendicateurs et militants et qu’il les donne comme outils de communication à des manifestants, le graphisme devient ainsi le révélateur d’une revendication politique dans un espace-temps donné.

VIN C EN T P ERROT T E T

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Micro-culture — Le groupe contre la masse

« on joue désormais le groupe contre la masse, le voisinage contre la propagande, le `low tech´ contre le `high tech´, le tactile contre le visuel. » Bourriaud, 2001

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Le pouvoir politique perd de son influence sur la masse de par la fragmentation de celle-ci. La cohésion sociale se retrouve maintenant sous formes de micro-communautés, de tribus, comme les nomme Michel Maffesoli. De micro-utopies s’élaborent dans un territoire (qu’il soit réel ou symbolique) important ainsi l’idée communautaire. La recherche de singularité passe par cette fragmentation en diverses réseaux créant chacun des liens autour de formes symboliques particulières, les raccrochant à un groupe, une tribu.     L’espoir révolutionnaire a laissé place aujourd’hui à de micro-utopies quotidiennes. L’action politique et sociale, la remise en cause d’un système se retrouvent aujourd’hui dans l’instantanéité, un espace-temps permettant de résister à l’uniformisation et de rester un phénomène insaisissable par les gouvernants. Bourriaud, 2001

« L’oeuvre d’art représente un interstice social. Ce terme d’interstice

— p.16

fut utilisé par Karl Marx pour qualifier des communautés d’échanges échappant au cadre de l’économie capitaliste «...» L’interstice est un espace de relations humaines qui, tout en s’insérant plus ou moins harmonieusement et ouvertement dans le système global, suggère d’autres possibilités d’échanges que celles qui sont en vigueur dans ce système. »

Bourriaud, 2001

« L’exposition est le lieu privilégié où s’instaurent de telles

— p.17

collectivités instantanées, régies par des principes divers : selon le degré de participation exigé du spectateur par l’artiste, la nature des oeuvres, les modèles de socialité proposés ou représentés, une exposition générera un « domaine d’échanges » particulier. »

Nicolas Bourriaud relève dans son livre L’Ésthétique relationnelle (2001) l’adaptation de l’art à ces nouveaux schémas sociologiques qui permettent de créer des échanges relationnels singuliers. Le graphisme doit pouvoir générer des formes, des supports de communications éphémères et prendre en compte le contexte social dans lequel il s’expose afin de susciter au mieux le débat, la prise de parole, la création de liens relationnels autour d’une même expérience. Ce sont des nouveaux modes d’exposition, de transmission du message qui doivent être pensés aujourd’hui par l’artiste tout comme le designer graphique. Le graphisme doit pouvoir soutenir le débat dans ces micro-communautés et devrait pouvoir proposer des solutions de communications innovantes adaptées aux formes relationnelles contemporaines. Les supports

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d’informations tels que les campagnes d’affichages, les logos et les identités graphiques figés, s’adressent-ils encore efficacement à un public qui est à la recherche d’expériences collectives ? La communication par l’évènement, le workshop public, l’identité participative... Ces nouvelles formes de transmission du message permettent de répondre à ce besoin d’intégration et d’engagement du public dans le débat politique et social. Bourriaud, 2001

« L’art d’aujourd’hui, « ... » prend en compte dans le processus

de travail la présence de la micro-communauté qui va le recevoir. Une oeuvre crée ainsi, à l’intérieur de son mode de production puis au moment de son exposition, une collectivité instantanée de regardeurs-participants. »

— p.60

C’est bien la fin d’un individualisme triomphant que l’on voit naitre avec ce néo-tribalisme déclaré par de nombreux sociologues tels que Michel Maffesoli. Cette mutation sociale influence ainsi la création artistique et la culture, générant une création fragmentée et isolée qui ne se représente pas sous un combat idéologique commun mais sur de micro-combats politiques ancrés dans le local et la relation entre individu partageant des points communs idéologiques et symboliques. L’art contemporain a su muter pour correspondre à cette nouvelle structure sociale et s’y immiscer, mais qu’en est-il du design graphique?

RE SE A RC H A ND DE VELOP MEN T Signs

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M A C o m m u n i c a t i o n d e s i g n c o ur s e Wo r k i n P r o g r e s s b y 2 01 3 M A C o m m u n i c a t i o n D e s i g n c o ur s e a t C e n t r a l S a i n t M a r t i n s [ L o n d o n , UK , 2 01 3 ]

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R I R K I T T I R AVA N I J A Te e - s h i r t N o Te e - s h i r t , 2 01 1

S A SHA KUR M A Z T h e Wa ll , M o s c o u , 2 01 2 «Being in the red zone you express your public protest against existing situation»

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VIC T OR B OUL L E T T h e In s t i t u t e o f s o c i a l h i p o c r i s y , P a r i s I d e n t i t é v i s u e ll e p a r l e s t u d i o H e y H o .

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M A Q U E T T E E T M I S E E N PA G E I d e n t i t é d e l ’é c o l e s u p é r i e ur e d ’ a r t d e s P y r é n é e s ( É S A )

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OK-RM I d e n t i t é d u S t r e l k a In s t i t u t e

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03 — Apparition d’une nouvelle définition de l’individu

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A Identité : déclin de l’individualisme au profit du pluralisme

B Vitalisme Primalité / Archaïsme

C Les réseaux sociaux

D L’impact des nouvelles technologies de communication et de création

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Identité — Déclin de l’individualisme au profit du pluralisme

Les identités de chacun nourrissent l’oeuvre et l’oeuvre influence l’identité de chacun.

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Certains ont émis l’hypothèse que l’individualisme se développait dans nos sociétés contemporaines, comme Robert D. Putman dans son livre Bowling Alone : The Collapse and Revival of American Community où il décrit une nette diminution des interactions sociales aux États-Unis. Pourtant, cette théorie est contredite par certains théoriciens qui voient plutôt une disparition de la notion d’individu au profit du pluralisme. L’individu serait en faite défini dans sa façon d’être par sa sphère relationnelle. L’individu s’enrichit des relations sociales et n’existent qu’à travers elles. On recherche à imiter notre voisin afin de partager certaines croyances. C’est alors tout un nouveau vocabulaire de formes qui apparait. En ne prenant plus le schéma de l’individu solitaire comme référence pour aller vers des formes plurielles, des tribus. L’humain se situe à la croisée de réseaux relationnels divers qui influencent son identité, sa subjectivité, sa façon de se percevoir socialement. Cette construction par rapport à l’autre est un principe fort de la sociologie actuelle. Bourriaud, 2001 — p.34

« En résumé, on peut dire que ce qui caractérise l’esthétique

du sentiment n’est nullement une expérience individualiste ou « intérieure », mais au contraire quelque chose qui est par essence ouverture aux autres, à l’Autre. Cette ouverture connotant l’espace, le local, la proxémie où se joue la commune destinée. C’est ce qui permet d’établir un lien étroit entre la matrice ou l’aura esthétique et l’expérience éthique. »

La forme identitaire actuelle est ainsi en train de muter avec cette notion d’ouverture vers l’autre et surtout d’enrichissement par les interactions interhumaines. L’identité est ainsi nourrie par les identités qui rentrent en contact avec elle. L’identité d’une structure pourrait-elle s’enrichir de l’identité de ces participants pour en représenter leur action, leur enrichissement (social, culturel, économique) sur celle-ci ? Comment faire ressentir au public ou au client qu’il y a un transfert et un partage entre la structure et lui-même ? Il n’y a plus d’identités statiques qui se rencontrent, mais des identités évolutives qui agissent les unes sur les autres. Pour informer et interagir avec le public, le graphisme doit se nourrir de ces nouvelles formes de socialités dans l’objectif de trouver de nouveaux moyens de transmission du message par une esthétique et une forme innovante. En analysant ce déclin de l’individualisme et ce modèle de l’expérience « intérieure » qui se dirige aujourd’hui vers un modèle en mutation constante,

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évoluant en fonction de son contexte social et des liens interhumains qu’il génère, il sera possible de faire émerger des principes adaptables au domaine du design graphique. Ce sont des principes de mimétismes qui se mettent en action avec des liaisons qui se créent selon des affinités, des ressemblances entre les êtres : comment les représenter visuellement malgré leur caractère abstrait et impalpable ?     Le rituel, la coutume est également une forme d’être-ensemble qui permet de créer un pouvoir de reliance extrêmement primaire entre les participants aux mêmes rituels, les individus d’une même communauté. Là réside une des grandes forces des religions qui ont réussies à rassembler des individus par le rituel, la cérémonie collective autour d’une croyance commune. Maffesoli, 2000

« On pourrait dire « religion » également, si ce mot est employé pour

— p.75

désigner ce qui nous unit à une communauté ; il s’agit moins d’un contenu, qui est de l’ordre de la foi, que d’un contenant, c’est-à-dire ce qui est matrice commune, ce qui sert de support à « l’être-ensemble ». Je reprendrai à cet égard une définition de Simmel : « Le monde religieux plonge ses racines dans la complexité spirituelle de la relation entre l’individu et ses semblables ou un groupe de ses semblables... ces relations constituent les plus purs phénomènes religieux au sens conventionnel du terme. » »

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Vitalisme — Primalité / Archaïsme

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Après la domination d’une période mécanique, utilitaire et théorique, nous sommes en train de voir s’imposer une période émotionnelle, une révolution des sentiments qui nous pousse vers nos instincts les plus primitifs, archaïques pour y retrouver une reliance forte entre les êtres. C’est l’animalité de l’homme qui se révèle dans ce pluralisme, ces néotribus postmodernes. Maffesoli, 2000 — p.63

« il est possible qu’après une période où a prévalu la mise

à distance, « période optique » que l’on pourrait appeler, en référence à son étymologie, une période théorique (theorein : voir), on soit en train de rentrer dans une époque « tactile », où seule la proxémie importe. En termes plus sociologiques, on peut dire que l’on retrouve là le glissement du global au local, le passage du prolétariat en tant que sujet historique actif au peuple nullement responsable de l’avenir »

Les mouvements technos ainsi que les free parties qui ont explosés durant les années 90 et qui ne cessent de croître aujourd’hui sont les nouvelles formes émergentes d’une primalité, d’un vitalisme, d’un archaïsme ambiant. Ces mouvements organisés autour de la musique sont des nouveaux moyens de communions, de proxémie qui s’insèrent comme forme nouvelle dans un contexte social extrêment institutionnalisé. La vie se représente maintenant dans l’instant, dans l’expérience, dans l’instinct émotionnel, animal. La recherche du bien-être se trouve dans le partage d’un instant, d’un moment de convivialité, de reliance. C’est dans ces rapports clandestins, ou tout du moins échappant à la norme, que s’élabore de nouveaux liens interhumains. La masse ne se retrouve plus dans la recherche d’une société capitaliste compétitive, dans un projet global unique mais réapprend à tisser des relations, créer de micro-utopies prenant leur source dans des réseaux sociaux de proximité (réel ou symbolique). L’individu cherche à recréer son propre bien-être, son propre mode de vie singulier et c’est également en cela que la primalité, la recherche de l’essence du vitalisme humain fait sa réapparition dans nos sociétés contemporaines.     L’ambivalence de notre époque réside dans cette plongée vers la primalité, le corps, la proxémie. C’est un archaïsme et une radicalité qui émerge de cette nouvelle socialité. Ces notions de corps, d’archaïsme et de radicalité font directement écho à certains codes visuels pour le designer

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graphique. C’est tout un vocabulaire de forme sociale qui peut ici être représenté. Comment représenter la réalité sociale de l’homme contemporain ? C’est également une problématique de travail primordial si l’on veut tendre vers un graphisme relationnel. La gestualité, le rapport des corps, la représentation de la vie... Toutes ces symboliques doivent être traitées et être ressenties graphiquement si l’on veut communiquer sur l’espace de nos relations. Pierre Huyghe a développé une oeuvre organique, portée sur l’expérience et le vitalisme d’un point de vue animal puis humain. Cela se ressent dans l’esthétique qu’il produit que ce soit dans le fond comme dans la forme. Ces expositions ne proposent pas des oeuvres statiques mais elles sont imprégnées du vivant, entrent dans cette mécanique du moment présent de l’expérience vécue et délimitée dans le temps. Maffesoli, 2000

« Entrer (ingressa) sans progresser (progressa). Voilà ce qui

— p.07

me semble être en jeu pour nos tribus contemporaines. Elles n’ont que faire du but à atteindre, du projet, économique, politique, social à réaliser. Elles préfèrent « entrer dans » le plaisir d’être ensemble, « entrer dans » l’intensité du moment, « entrer dans » la jouissance de ce monde tel qu’il est. »

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P IERRE H U YGHE

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Les réseaux sociaux

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Mitchell, 1969

Un réseau social est, selon Mitchell : « un ensemble particulier

d’interrelations (linkages) entre un ensemble limité de personnes, avec la propriété supplémentaire que les caractéristiques de ces interrelations, considérées comme une totalité, peuvent être utilisées pour interpréter le comportement social des personnes impliquées ».

L’étude des réseaux sociaux ne porte pas uniquement sur les relations entre les personnes mais s’intéresse également à l’influence que les diverses formes de liens interhumains génèrent sur notre sphère relationnelle. L’étude des réseaux sociaux a permis de révéler certaines caractéristiques de nos relations d’un point de vue microsociologique mais également d’un point de vue macrosociologique. Il est maintenant possible d’analyser les relations proches, le réseau de proximité que se crée chaque individu et qui le définit, mais aussi, sur un second plan, l’étendue de ces réseaux qui s’avèrent être infinis.

Rapport Yuan, 1989

Moreno, 1934

D’après de nombreuses études, on s’est aperçu que ces réseaux sociaux, en les considérant dans leurs globalités, sont tous étroitement liés entre eux, reliant chaque être dans un réseau de relation globale, mondialisée. Ainsi, à l’échelle de la planète entière, il ne faut pas « plus de 10 ou 12 liens de connaissances pour mettre en relation n’importe quel individu avec n’importe quel autre (le terme « connaissance » signifiant ici : connaître et être connu de vue et de nom) » . Ainsi grâce à ces réseaux l’information peut se répandre dans des proportions exponentielles. La reliance, le réseau souterrain sont des codes qui reflétent la socialité actuelle.     Ces réseaux infinis émergeant d’interactions sociales sont directement modelés par les différentes formes sociales dominantes selon l’époque. Moreno émettait l’hypothèse que les « courants sociaux s’écoulaient à travers les réseaux comme l’eau à travers une conduite, mais, alors que la forme de la conduite n’est pas modelée par l’eau qui y circule, les courants modèlent les réseaux qu’ils parcourent ».     C’est tout une nouvelle théorie sociologique que fait émerger l’étude récente des réseaux sociaux. L’individualisme est une nouvelle fois remis en cause par cette nouvelle vision de la couche sociale dorénavant considérée comme une structure évolutive et infinie où la communication ne cesse pas aux frontières de la société.

Partie 03

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Pour analyser les réseaux sociaux, les sociologues ont utilisé notamment deux grandes méthodes d’analyses des réseaux : la théorie des graphes (sociogramme) et l’analyse structurale (analyse matricielle). La théorie des graphes utilise la visualisation graphique pour rendre observable et analysable des liens entre les individus qui étaient difficilement percevables sans cette présentation visuelle des relations. C’est ce traitement graphique d’informations mathématiques et algorythmiques, appelé sociogramme, qui permis de faire naître cette notion de réseaux sociaux et d’observer certains de ces fonctionnements structurels. Certaines formes relationnelles comme la diade, la triade, l’interaction sociale sont ainsi traduites graphiquement. Le graphisme fut donc un outil primordial de l’étude de ces réseaux et c’est ce en quoi il est intéressant d’y faire un écho dans un graphisme relationnel. Le graphisme permet d’apporter une visibilité à ces phénomènes sociaux subjectifs et abstraits.

R E P R É S E N T AT I O N GR A P HI Q UE DE S DIF F ÉREN T E S C O M B I N A I S O N S D E D YA D E S E T DE T RIADES Dyade : relation entre deux éléments Triade : relation entre trois éléments

Partie 03

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MORENO e x t r a i t d e s Fo n d e m e n t s d e l a s o c i o m é t r i e , 1 93 4 Sociogramme d’une classe d’élèves de 11-12 ans (critère : s’asseoir à côté des élèves choisis - 2 choix au maximum) Les lignes barrées indiquent les choix réciproques.

D AT A V I S U A L I S AT I O N

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M ARK LO MB ARDI C ar t o g r ap hi e du ch amp p o li t i que e t s o c i al . Les individus et leurs interactions deviennent signifiants lorsqu’ils sont rapportés à une structure plus globale. Son oeuvre représente un glissement constant entre la structure narrative (le flux d’informations) et le dessin. C’est par nécessité qu’il a commencé à faire ces dessins pour ne pas se perdre dans la masse d’informations qu’il a compilé sur des liens entre des acteurs de la sphère politico-économique. C’est le dessin qui lui a permis de mettre en évidence des réseaux sociaux formés par des entreprises, des liens de hiérarchie et diverses structures politiques. En révélant ces liens sous-jacents, mais bien réels, Lombardi offre une vision singulière. L’action résulte dans les traits de liaisons (influence ou contrôle, lien ou contact réciproque, Flux d’argent, prêt ou crédit, Vente ou transfert de capitaux, transaction bloquée ou incomplète, vente ou filialisation d’un bien immobilier).

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03

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L’impact des nouvelles technologies de communication et de création

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Les nouvelles technologies ont modifié nos perceptions du monde avec le support animé de la vidéo, l’imagerie virtuelle, les écrans tactiles... L’écran, notre relation vis à vis de ce support entre figé et animé, sont des changements à questionner pour mesurer l’impact du virtuel sur nos modes de vies et notre perception du réel. Putnam, 2000

McLuhan, 1964

Robert D. Putnam constate que nous passons beaucoup plus de temps à regarder des choses (spécialement les écrans électroniques) plutôt que faire des choses, générer des relations. Seulement, Internet offre des supports de la socialité extrêmement riches et diversifiés, de nouveaux espaces de convivialité. Ces espaces sont virtuels et c’est bien là l’un des atouts fondamental d’Internet, c’est cette transmission du message instantané, consultable partout dans le monde. Le sociologue Marshall McLuhan, dans son ouvrage Pour comprendre les médias, insiste sur les effets psychologiques et sociaux des modèles ou des produits en tant qu’accélérateurs ou amplificateurs des processus existants. Pour lui, les technologies qui constituent notre environnement sont le prolongement de nos organes physiques et de notre système nerveux, destinés à en accroître la force et la rapidité.     Internet et ses réseaux sociaux sont les résultats d’un désir de créer de nouvelles opportunités relationnelles à une échelle mondiale, d’un désir collectif de créer de nouveaux espaces de convivialité et d’instaurer de nouveaux types de transactions face à l’objet culturel. Ce n’est pas Internet qui a créé les réseaux sociaux mais bien la mise en lumière de cette socialité souterraine qui a fait germer le besoin de créer un outil technologique facilitant les échanges : le web. Il ne modifie pas fondamentalement nos relations étant issues de modes relationnels préexistants, mais il les démocratise et les popularise. De nouvelles potentialités d’engagement dans un groupe, dans une action collective sont générées par ce support virtuel facilitant la reliance sans pour autant la rendre visible.

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Mercklé, 2011, — p.87

« il est indéniable que certains des nouveaux usages d’Internet

(blogs, groupes et forums de discussions, réseaux sociaux...) se révèlent particulièrement en phase avec de nouvelles formes de citoyenneté politique caractérisées par la contestation des élites et la confiscation de l’autorité au nom de la compétence, et donc par le refus de déléguer les prises de décision aux élus et aux « experts ». Internet pourrait avoir pour effet, de ce point de vue, de défaire les monopoles informationnels sur lesquels reposait jusque-là le pouvoir des experts. Internet s’est de fait imposé au cours des dernières années comme une nouvelle arme importante dans l’arsenal militant (Granjon, 2001). Les réseaux sociaux constituent un levier puissant de l’action collective, engendrant de nouvelles formes de « médiactivisme » (Cradon, Granjon, 2010). »

La notion d’identité est quant à elle totalement bouleversée, entre un moi réel et un moi virtuel. C’est même la construction de nos identités qui subit les plus profondes mutations : invention de soi, production de soi, figuration de soi, exposition de soi, design de la visibilité. Notre identité peut ainsi se démultiplier, s’effacer, muter derrière nos possibles « avatars » virtuels. Nous donnons à voir ce que l’on veut montrer de nous, et non ce que nous sommes vraiment. C’est un espace où l’on peut s’affranchir des contraintes sociales et où les déterminants sociaux (sexe, classe, âge, appartenance ethnique) influenceraient nettement moins les relations qui peuvent se créer. L’espace de représentation est illimité, permettant à l’utilisateur de se réinventer à l’infini. Prenons l’exemple des jeux vidéos en réseaux qui permettent la construction d’un avatar et d’une identité complètement contrôlée par l’utilisateur. L’identification et l’imprégnation dans cette « avatar virtuel » varie selon les personnes et les modes d’utilisation, mais de nombreux jeux optimisent cette identification à l’avatar si bien que cette vie virtuelle peut se forger une place très importante. Ainsi, des émotions, des interactions humaines similaires à celles opérées dans le réel peuvent être ressenties à travers ce personnage, cette identité virtuelle. Mercklé, 2011,

« l’apparition d’un « moi plus flexible », ouvert et multiple, ayant ainsi

— p.91

valeur de modèle pour le moi postmoderne, conçu comme un moi qui joue avec sa propre image, qui s’invente lui-même et peut aller jusqu’à induire les autres en erreur par sa capacité à manipuler les informations qui le concernent » (Illouz, 2006, p.247). Internet serait ainsi le lieu privilégié d’expressions identitaires carnavalesques qui permettrait de rompre avec l’obligation d’être soi, les contraintes et la fatigue (Ehrenberg, 1998) qu’elle est susceptible d’engendrer. »

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C A R D O N ( 2 0 0 8, p . 1 0 5 ) C a r t o g r a p h i e d e s f o r m e s d ’e x p o s i t i o n d e s o i s ur i n t e r n e t

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R A FA E L L O Z A N O - H E M M E R H o m o g r a p h i e s, 2 0 0 6

R A FA E L L O Z A N O - H E M M E R E x p o s i t i o n Tr a c k e r s à la Gaï té Ly r i que

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EP F AL UMNI

F IEL D

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T H AT G A M E C O M PA N Y J o ur n e y Directeur créatif: Jenova Chen Jeu en réseau basé sur les interactions entre les personnages. Voir documentaire Game Over

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L INDEN L AB S e cond Life, 2003 Second Life (SL) est un métavers (ou univers virtuel) en 3D sorti en 2003 qui se situe à mi-chemin entre un jeu et un réseau social. Ce programme informatique permet à ses utilisateurs d’incarner des personnages virtuels dans un monde créé par les résidents eux-mêmes. Jeu en réseau, création d’un avatar par lequel les joueurs s’inventent une vie virtuelle fantasmée, libérée des contraintes du réel et exaltée par l’anonymat du participant réel derrière son avatar. Cette avatar peut devenir ainsi le miroir des envies relationnelles des joueurs.

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« Les années 90 ont vu l’émergence des intelligences collectives et du mode « réseau » dans le maniement des productions artistiques : la popularisation du réseau internet, ainsi que les pratiques collectivistes en vigueur dans le milieu de la musique techno, et plus généralement l’industrialisation croissante du loisir culturel, ont produit une approche relationnelle de l’exposition. Les artistes cherchent des interlocuteurs : puisque le public demeure une entité assez irréelle, ils vont inclure cet interlocuteur dans le processus de produit lui-même. Le sens de l’oeuvre naît du mouvement qui relie les signes émis par l’artiste, mais aussi de la collaboration des individus dans l’espace d’exposition. (Après tout, la réalité n’est rien d’autre que le résultat transitoire de ce que nous faisons ensemble, comme l’écrivait Marx.) » Bourriaud, 2001, p.85

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04 — Formes relationnelles émergentes

Partie 04

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A La représentation du lien, de l’interhumain

B Le design participatif : impliquer le public dans le processus créatif

C Espace-temps relationnel

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La représentation du lien, de l’interhumain

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Comme nous l’avons vu précédemment, le graphisme a permis de révéler, d’offrir une réalité aux recherches des sociologues sur les réseaux sociaux grâce aux sociogrammes qui rendent visibles des phénomènes sociaux impalpables. L’évolution et le développement de la datavisualisation montrent bien ce besoin de représenter visuellement des données abstraites afin de mieux les comprendre. Le graphisme endosse ici le rôle de révélateur de phénomènes sociaux. Voilà l’importance de la représentation du lien et de la relation : rendre visible des relations qui sont, par nature, invisibles.     Figurer ces relations peut permettre aux participants d’un évènement ou aux acteurs d’une communauté de prendre conscience des potentialités relationnelles qui les entourent. Ce sont des notions de mise en commun, de rassemblement, d’entraide, d’agglutinement, de complémentarité qu’il faut réussir à représenter graphiquement pour montrer l’importance de la vie en société, en communauté. L’humain, l’animalité, le geste et le corps doivent également être figurés pour symboliser le caractère interhumain des relations.     Le langage et ses différentes formes (oral, écrit, corporel..) permettent de figurer les relations interhumaines. La forme du dialogue, de la discussion, l’oralité sont à explorer pour représenter les échanges interhumains. Le langage permet de rendre tangible, concrète des relations invisibles, impalpables.     La complexité de la représentation des relations réside dans le caractère impalpable de ces liens. Comment faire apparaître ces relations sans pour autant les réduire à de simples connexions ? Comment ne pas les minimiser et réussir à les représenter dans leurs nuances et leurs complexités ? Les datavisualisations qui permettent de représenter des réseaux sociaux sont déjà extrêmement répandues, mais comment enrichir, rendre plus vivant ces représentations ?

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O N F O R M AT I V E Skype visualization poster L e t ´ s c a ll i t o n f o r m a t i v e , 2 01 1 À l’occasion du 1er anniversaire d’ Onformative, Les deux co-fondateurs ont créé cette affiche qui récapitule sous forme de data visualization leurs échanges d’informations par Skype durant les 3 dernières années. L’affiche représente ainsi graphiquement les relations, les échanges entres les deux membres d’Onformative (62676 messages et 2431434 charactères).

O N F O R M AT I V E We a v e D a t a Tu t o r i a l , 2 01 0

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S I M O N E KO L L E R 1 8 P ub l i s h e r s f r o m t h e N e t h e r l a n d s

S I M O N E KO L L E R Chaosprotocols

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IL L S T UDI O

BEE T RO OT

Les 40 ans du CAPC de Borde aux

romé o e t juli e t te Recherche graphique sur le texte Roméo et Juliette de William Shakespeare. La construction d’un outil artisanal a permis au studio de comptabiliser les 180 occurrences du nom «Juliette» et les 308 du nom «Roméo» dans le texte. Les mots sont ensuite reliés par 55440 fils rouges qui tracent les relations entre les personnages dans la pièce de théâtre. Étapes n°180 P.30

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S OP HIE C AL L E F i l a t ur e , 1 9 8 1

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S AGMEIS T ER E x p o s i t i o n T h e H a p p y S h o w , 2 01 3 Exposition interactive permettant au public de se questionner sur le bonheur. Sagmeister guide le visiteur en le plongeant dans un scénario de visite participative où le public n’est plus uniquement simple spectateur mais acteur d’une expérience empreint de subjectivité et d’humanisme.

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04

B

Le design participatif — Impliquer le public dans le processus créatif

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Le design participatif se démocratise de plus en plus et de nombreux projets font maintenant appel à l’implication du public. Comme son nom l’indique, le design participatif consiste à donner un rôle au public, offrant différents degrés de participation selon les projets. Le public peut être impliqué dans le processus créatif du projet, il peut être l’élément déclencheur, révélateur du concept formel du projet ou encore se réapproprier une matrice de création offerte à l’utilisation par le designer graphique.     Cette inclusion du public dans le processus de création crée un paradoxe évident avec la pratique actuelle du design puisque, de nos jours, c’est le designer qui définit les usages et la finalité du produit pour le consommateur. Il élabore ainsi un modèle pour et à la place des autres. En ce sens, le design est bien plus technocratique que démocratique.     Le design participatif peut être en ce sens un nouveau procédé de création qui permettrait de lutter face à cette passivité de l’utilisateur vis à vis du produit, du support graphique. La participation serait, d’un point de vue politique, une réponse démocratique et libertaire directe face à la standardisation et la passivité induite par nos sociétés de consommation et face à l’autoritarisme étatique. C’est aussi la possibilité de cultiver le savoir-faire et le savoir-vivre à l’heure où le peuple cherche de nouvelles possibilités d’actions et d’engagements. Il s’agit désormais avec la participation de rendre accessible, en plus de l’avoir, l’être et le faire pour les citoyens.     Seulement, cette participation est le plus souvent utilisée comme un outil marketing. La participation est alors utilisée par la majorité pour compléter le dispositif coercitif étatique et marchand en incitant les participants à collaborer à leurs objectifs. L’utilisateur adhère plus volontiers à un projet auquel il a été invité à participer puisqu’il s’identifie et crée un lien émotionnel avec le produit. La consultation est souvent très limitée, voir factice (jeux, sondages) mais permet d’arracher le consentement du consommateur en donnant l’impression d’avoir voulu ce qui nous est imposé. Il est important de penser un design participatif réel qui parvienne à remplir son rôle émancipateur face à l’autoritarisme de nos sociétés. Comment dans ce cas déterminer théoriquement la valeur réelle du design

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participatif et repérer les vices d’une participation factice et simulée ? Quels critères exactement permettront de départager la participation réelle de sa parodie ? Quels sont les objectifs véritables qui doivent être ceux de la participation et quels sont ceux qui a priori sont condamnables ?     Il faut s’assurer du caractère résolument émancipateur, dans le but de développer la créativité du public, de l’intégrer démocratiquement à certains choix formels pour cultiver une posture active du consommateur plutôt qu’un statut passif développer par nos sociétés. Cette intégration du public au processus créatif permettrait de créer un réel dialogue, une relation entre le designer et le client tout en permettant de le sensibiliser à la pratique du design graphique. Edelman, 2012

« Le gain véritable de la participation est le processus

d'apprentissage de la liberté et de l'autonomie par les usagers (on le voit lorsque nos projets sont développés par les habitants après notre départ), bien que cela puisse aboutir à une politique de la résignation nous rendant moins exigeants sur les revendications opposées aux plans des décideurs. La participation permet surtout l'écoute, la collecte et la restitution de la parole des habitants. Cet objectif départage la fausse de la vraie participation. Encourager l'expression, c'est libérer le désir, le construire autant que l'affirmer. »

La démarche participative réelle est en réalité complexe, polémique, difficile, indéfinie, indéterminée, floue, mobile, fluctuante et même inquiétante. La notion de design participatif prend ainsi à contrepied l’aspect technocratique du design dans sa pratique actuelle pour le rendre plus démocratique, moins figé, plus ouvert et incertain. La chaîne de responsabilité est mieux partagée et plus diffuse. L’intérêt est d’assurer un bien réel et émancipateur d’un point de vue social. S A MUEL BIAN C HINI Va l e ur s C r o i s é e s, 2008

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Le design doit ainsi prendre en compte le public et son corps, ses capacités d’actions et de réflexions. Samuel Bianchini, artiste et responsable du programme “DiiP / Reflective Interaction” à l’EnsadLab, parle lui d’une esthétique opérationnelle. Les oeuvres qu’il crée sont des dispositifs qui mettent en jeux certaines opérations (activités physiques, esthétiques, symboliques, techniques contextuelles) destinées à être actionnées par le public. Dans ses oeuvres, la représentation se construit par l’action, le corps, et dépend pleinement de son rôle de déclencheur. Ce sont les opérations qui créent la représentation et la symbolique de l’oeuvre, l’intention du public acteur imprègne ainsi le dispositif. opération

action

intention

intention

action

attention

YEJU CHOI If i were you

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S U P E R S C R I P T, PAT R I C K L A L L E M A N D & P I E R R E D E L M A S B O U LY Graphisme en réponses L’imprimé comme interface d’Internet. Ce projet est une reprise de « Design in question », une création de Ruedi Baur et de l’institut de recherche en design Design2context pour l’école barcelonaise Elisava. Si la version espagnole proposait de questionner le design, sa reconduction chaumontaise invite à proposer des réponses à la question : Le graphisme, qu’est-ce que c’est ? Recueillies par un site Internet, les réponses de tout un chacun : graphiste professionnel, étudiant ou quidam sont interprétées graphiquement sous forme de blocs typographiques imprimés et progressivement collés sur un mur. Participatif et évolutif, ce dispositif rend visible la diversité des perceptions et des points de vue sur une discipline en manque de (re)connaissance. La distribution des rôles entre l’homme et l’outil informatique est aussi questionnée, l’un « créant » un processus, l’autre « dessinant » les formes du résultat suivant les paramètres définis en amont.

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JR In s i d e O u t , 2 01 1 Inside Out est le plus grand projet d’art participatif au monde. L’intérêt de ce dernier projet de JR réside dans la place, les possibilités participatives que l’artiste donne au peuple. Car ces collages de portraits en grand format dans l’espace public à travers le monde restent représentatifs et dans la continuité de son œuvre. Pour Inside Out, ce n’est plus JR qui prend les photos et qui effectue les collages, mais cette fois-ci ces rôles sont offerts au public. L’artiste se contente d’être l’imprimeur, le fournisseur des tirages photos grands formats. L’artiste devient ainsi uniquement le vecteur, le créateur d’un processus créatif, concepteur d’une matrice créative commune afin de permettre à qui le souhaite d’utiliser ce support d’expression pour intervenir sur son propre contexte social, son propre quotidien. L’artiste livre ainsi une « matrice » de création et d’expression à une échelle mondiale. Il n’a plus de rôle décisionnaire quant à la contextualisation de son oeuvre, la laissant être animée par le peuple qui lui donne vie dans des contextes sociaux particuliers. Cet outil d’expression et de communication artistique offert à tous est ainsi utilisé pour faire entendre son propre message (ex : manifestants, tunisiens après la révolution, haïtiens exprimant une envie de vivre et d’évoluer malgré la pauvreté extrême, famille déplorant le suicide de leur fils...). En ce sens, il donne la parole au peuple.

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ANJA LU T Z N e w S h i f t ! P ub l i c a t i o n

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J OHN MORG A N S T UDI O Behind The Glass

JE A N - M A RC BRE T EGNIER P i l e a u RD V Jean-Marc Bretegnier se définit comme un passeur d’images plutôt que comme un graphiste. Ces projets sont des scénarios autour de workshops collaboratifs où il orchestre la création réalisée par les participants.

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É MIL IE DE C A S T RO & VIRGINIE DINER Laboratoire de création g r a p h i q u e , 2 01 3 Chaque visiteur de l’exposition Dynamo au Grand Palais peut réaliser sa propre affiche à l’aide d’objets en volumes et d’une table lumineuse format affiche. La composition est ensuite directement prise en photo et imprimée pour que le spectateur puisse repartir avec sa création.

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S T UDI O MONIKER Yo ur l i n e o r m i n e , 2 01 4 Installation pour le Stedelijk Museum d’Amsterdam. Dispositif permettant de créer un film d’animation collaboratif «dessiné à la main». Le visiteur du musée est invité à contribuer par le dessin, tout en suivant des instructions tantôt strictes, tantôt plus libres. Mises bout à bout par un logiciel, les contributions individuelles font apparaître une animation d’ensemble. Le Studio Moniker a défini le manifeste du conditionnal design, une pratique du design qui se concentre sur l’interaction sociale et le processus de création. Étapes n°220, p.185, 2014

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Espace-temps relationnel

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Comme nous l’avons vu précédemment, de nombreux artistes contemporains créent des micro-utopies, des interstices sociaux, des expériences mettant en jeu le public et les relations interhumaines. Comment le graphisme peut-il proposer un espace-temps relationnel ? Qu’est-ce que le graphisme peut-il apporter à ce vouloir-vivre social et/ou à la mise en forme de nouvelles relations ?     L’intérêt de l’expérience collective réside dans le partage d’un moment dans un espace (réel ou symbolique) donné. C’est un espace-temps de vitalité et de reliance unique induit par son caractère éphémère. Le graphisme peut relier les êtres de par son rôle de support de communication. Il peut véhiculer une information parmi un groupe de personnes (public) et ainsi les fédérer autour de cette information connue de tous.     L’intérêt est de penser des scénarios, des principes d’usages du graphisme qui permettraient aux membres d’une communauté (habitants d’un quartier, membre et/ou visiteur d’un lieu culturel, public d’un festival...) de pouvoir communiquer entre eux à l’aide d’outils graphiques.

Voir p.114-115

Il s’agit bien ici de réaliser un projet de design d’expérience, proposer une expérience singulière et intense qui a pour but de marquer l’utilisateur face aux flots de produits normalisés et standardisés, en opposition au design invisible (faire disparaitre les conflits entre les hommes, les objets...). La Discontrol Party est un parfait exemple de design d’expérience, puisque le dispositif confronte le night club et la salle de contrôle, créant une singularité de l’expérience par le conflit entre ces deux mondes. Le public est ainsi marqué par cette singularité, c’est un espace-temps d’expérimentation, laissant éclore différentes réflexions sur la vidéosurveillance, l’être-ensemble... L’inattendu capte l’attention du public, le dispositif n’est pas conduit par des tâches et des objectifs, mais d’abord par et pour l’expérience.     Le rôle, les potentialités d’actions du public devenu acteur sont ainsi à penser selon le contexte de l’expérience. Mon objectif est de pouvoir redonner la parole à des populations qui ne l’ont plus, recréer un espace public où chacun peut s’exprimer librement dans un cadre spécifique. Les questions que l’on doit se poser afin d’établir un espace de parole sont : À qui donner

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Voir p.116-117

la parole ? Parler de quel sujet ? Comment donner la parole ? Il est important d’offrir le cadre, les conditions de la prise de parole sans pour autant se fixer sur l’efficacité du dispositif. Le citoyen peut prendre la parole sans y être obligé, c’est une invitation à l’engagement comme le propose l’oeuvre Flamme éternelle de Thomas Hirschhorn présentée au Palais de Tokyo. Les membres du public peuvent rester simples spectateurs mais peuvent également devenir acteurs (orateurs, sculpteurs de polystyrène...), créant ainsi une micro-communauté, un interstice social permettant à chacun de pouvoir s’exprimer en dehors des normes imposées par la société.     Candy Chang élabore des principes de prises de paroles à l’aide d’outils de communications extrêmement simples, voir archaïques, afin d’inciter le public à prendre la parole. Elle crée des situations, des dispositifs qui doivent être complétés par le public. Chacun de ces scénarios sont pensés en fonction du contexte d’implantation et des possibles besoins d’expression des populations présentes dans ce contexte.

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C ANDY C HAN G Before I Die

C ANDY C HAN G I wish this was

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T H E PA R T N E R S The Real-time ar t À l’occasion de l’exposition expérimentale « Laboratoire » organisée par l’espace Jerwood à Londres, trois artistes sont invités à construire une oeuvre en temps réel à partir de trois fois rien. Suivant le même principe que son sujet, le catalogue d’exposition s’élabore dans l’avancée du projet : documenté en direct, un blog agrégateur relate tous les mouvements des artistes. Disponibles en ligne pendant toute la durée de la manifestation, les contenus informatifs sont imprimés chaque jour et ajoutés au catalogue visible dans la galerie. W W W.JVAL AB.CO.UK Étapes n°186 p.22

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M A LT E M A R T I N T a k a l e f a i r e , C h a u m o n t , 2 0 01

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DAN PE TERMAN

ANDRE A Z I T T EL

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R I R K R I T T I R AVA N I J A Interactivité et convivialité sont les maîtres-mots de l’oeuvre de Rirkrit Tiravanija, ingénieuse au point d’inspirer le concept d’“esthétique relationnelle” au critique d’art Nicolas Bourriaud. Espaces de rencontres et de réflexions sur la société, les installations de l’artiste prennent par exemple la forme d’une exposition-restaurant (‘Untitled (Pad Thaï)’ 1990), d’un musée-studio d’enregistrement ou encore d’une galerie-appartement. Si le travail se concentre sur le visiteur lui-même, il explore surtout son rapport à l’image et l’invite à stimuler ses projections mentales.

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S A MUEL BIAN C HINI Disc ontrol Par t y, Gaï té Ly r i que Discontrol Party est un dispositif festif interactif de Samuel Bianchini qui fait se rencontrer deux mondes : celui des technologies de surveillance les plus évoluées et celui de la fête. Piste de danse, salle de concert et de spectacle sont aménagées pour être aussi bien sous les feux des projecteurs que d’un système de contrôle informatisé (vision par ordinateur, RFID, etc). Une salle de spectacle devient, le temps d’une nuit, un night-club aménagé en salle de contrôle : loin des effets de lumières ou autre vijaying, le public, tout en faisant la fête, est confronté aux multiples visualisations du système informatique qui l’observe et tente de l’analyser. Tel un jeu à l’adresse d’un groupe, le défi est ici annoncé : comment, par l’activité festive, déjouer le système, l’entraîner dans une confusion qui lui échappe, et, pourquoi pas, le faire buguer ? Car, ici, le public est invité à une fête dont le “monitoring” du dispositif sur lequel il agit lui est donné à voir : les cartographies et listing de ses déplacements et comportements, leur tentative d’interprétation, les images brutes des caméras de surveillance, les mêmes transformées pour et par l’analyse automatique et la représentation des activités du système informatique même. Surveillance et fête, si ces univers paraissent en tous points opposés, ils reposent pourtant tous deux sur des activités de groupe, et même de foule. Mais le premier - le plus souvent à destination d’espaces publics - mise d’abord sur des mouvements de foule organisés : flux de personnes, file ou salle d’attente, quai d’embarquement, etc. Les mouvements rapides, désordonnés et même parfois fusionnels de la fête sont peu compatibles avec le repérage, le suivi et la recherche d’individualisation des dispositifs de surveillance et de contrôle de plus en plus automatisés : reconnaissance de formes, d’individus, de comportements, traçabilité … En provoquant leur confrontation et le possible débordement d’un monde par l’autre, ce dispositif prospectif pourrait bien renouer avec quelques traits primitifs d’un de nos plus vieux rituels.

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T H O M A S HIR S C HH ORN F l a m m e é t e r n e ll e , P a l a i s d e To k y o , 2 01 4 Thomas Hirschhorn réactive au Palais de Tokyo le protocole « Présence et Production ». La forme de l’œuvre est ouverte, accessible et gratuite, pour constituer un véritable espace public au sein de l’institution, disponible à une audience non-exclusive. Thomas Hirschhorn conçoit « Flamme éternelle » comme son propre atelier provisoire, comme un espace d’accueil. Présence La présence est nécessaire pour créer un espace public et un moment public - même dans une institution. La présence du corps - de chacun des corps - est une interrogation de la «démocratie représentative». La Présence peut provoquer d’autres présences. La Présence de l’artiste n’est donc que logique. Production La production est possible - ici et maintenant - car il y a «Présence». La Production n’est pas possible sans Présence. «Flamme éternelle» veut produire quelque chose, «Flamme éternelle» veut produire des rencontres, des évènements, de l’amitié. «Flamme éternelle» veut être un hommage à l’activité de la pensée. Ce qui sera produit appartient à ceux qui étaient présents. Gratuité L’accès à «Flamme éternelle» est gratuit, car ceux qui sont présents donnent - par leur Présence - une Forme. Ceux qui sont présents contribuent donc à la Forme (ils produisent quelque chose) et ceux qui sont présents payent déjà le prix par leur acte de production. La Gratuité de «Flamme éternelle» veut permettre de multiples présences et des présences répétées de mêmes personnes tout au long du temps d’exposition (52 jours). Non-Programmation La Non-programmation est nécessaire pour nous garder éveillés, pour rester attentifs. La Non-programmation est l’affirmation que l’art peut - parce que c’est de l’art - créer un dialogue ou une confrontation, d’une personne à une autre, dans l’imprévu. «Flamme éternelle» veut créer les conditions pour faire une expérience. L’expérience qu’une audience puisse se créer uniquement par la production même - sans être programmée.

Partie 04

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Conclusion — Orientations du projet

Conclusion

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Le graphisme relationnel, en écho à l’esthétique relationnelle, tente de figurer, susciter ou produire des relations interhumaines. Ces trois niveaux d’interventions me permettent d’explorer des pistes créatives radicalement différentes de par leur nature. Pour figurer des relations, la création se limite à la représentation du lien. Pour susciter des relations, le corps, le public doit être pris en compte dans le processus créatif afin de l’inciter à rentrer en interaction avec le support graphique et /ou les autres personnes intervenants sur ce support. Enfin, dans l’objectif de produire des relations, le designer devient programmateur d’une expérience collective. Il crée les conditions et la possibilité de s’engager dans un processus créatif pour un contexte donné. Le designer crée un dispositif qui met en jeu certaines opérations destinées à être actionnées par le public. Les relations peuvent ainsi se produire par l’émulation du public autour d’un même espace-temps de création en communauté. Il est important d’expérimenter ces trois plans d’actions différents afin de couvrir un spectre créatif assez large, allant de l’affichage à l’installation éphémère. L’intérêt est de se désolidariser des supports actuels du graphisme dans l’objectif de pouvoir les repenser ou créer de tous nouveaux supports de communication, plus ouverts et adaptés aux nouveaux besoins relationnels relevés par de nombreux sociologues. Cette recherche s’inscrit directement dans la lignée du design relationnel.

Conclusion

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Bibliographie Pierre Bernard The Social Role of the Graphic Designer, Essays on Design I: AGI’s Designers of Influence, London, 1997.

N i c o l a s B o ur r i a u d Esthétique relationnelle, Presses Du Réel, 2001

J e a n B a u d r i ll a r d La majorité silencieuse, Editions Denoël, 1982

P i e r r e B o ur d i e u Questions de sociologie, Minuit, Paris, 1984

Cr istina Chi appini & Silv i a Sflig i ot ti Open projects : des identités non standard, P yramyd, 2010

S erge Daney R a p h a e l E d e lm a n http://fanfare-fanfare.blogspot.fr/2012/03/la-valeur-du-designparticipatif.html, 2012

Mark Granove t ter Fé l i x G u a t t a r i Les trois écologies, Éditions Galilée, Paris, 1989

Hans Rob er t Jauss Pour une esthétique de la réception, Gallimard, Collection Bibliothèque des Idées, 1978

J . H . L e v i n e & N . C . M u ll i n s Structuralist analysis of data in sociology, Connections, Vol.1, 1978

J . C . M i t c h e ll Social networks in Urban situations, manchester, 1969

M a r s h a ll M c L u h a n Pour comprendre les médias. Les prolongements technologiques de l’homme, Bibliothèque Québécoise, Sciences humaines, 1993.

Bibliographie

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Michel Maffesoli Le temps des tribus : le déclin de l’individualisme dans les sociétés postmodernes, Table ronde, collection Petite Vermillon, 2000

M i c h e l M a f f e s o l i e t C h r i s t o p h e B o ur s e i ll e r Michel Maffesoli, entretien avec Christophe Bourseiller, Bourin Editeur, collection Qui Etes-Vous, 2010

P i erre Mercklé Sociologie des réseaux sociaux, La Découverte, Paris, collection Repères, troisième édition, 2011, 128 pJacob L. Moreno, Who shall survive? A New Approach to the Problem of Human Interrelations - Fondements de la sociométrie, PUF, Paris, 1934

Arne Næss Écologie, communauté et style de vie, Éditons MF, 2009

P. Parlebas Sociométrie, réseaux et communication, PUF, Paris, 1992

Rober t D Putnam Bowling Alone. The Collapse and Revival of American Community, Simon & Schuster, New-York, 2000

Ge org Simmel The sociology of Georg Simmel, Free Press of Glencoe, New York, 1950

Bernard Stiegler et Marc Crépon De la démocratie participative : fondements et limites, 2007

H a n s U lr i c h O b r i s t Conversations. Volume I, Manuella Editions, Paris, 2008

F IL MO GR AP HIE JR Inside Out, 2013 ARTE F, Game Over, France, 2013, durée: 52 min Mark Lombardi : Artiste conspirateur, ZDF, Allemagne / États-Unis, 2011, durée : 54 min

Bibliographie

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Lexique Affordance L’affordance est la capacité d’un système ou d’un produit à suggérer sa propre utilisation.

C u l t ur e En sociologie, la culture est définie comme «ce qui est commun à un groupe d’individus» et comme «ce qui le soude». Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. » Ce «réservoir commun» évolue dans le temps par et dans les formes des échanges. Il se constitue en manières distinctes d’être, de penser, d’agir et de communiquer.

Design génératif Le design génératif se définit comme une création utilisant les capacités d’un ordinateur pour produire un objet inimaginable par l’intellect humain.

Daziba o Le dazibao est une affiche rédigée par un simple citoyen, traitant d’un sujet politique ou moral, et placardée pour être lue par le public.

Empathie L’empathie est une notion désignant la « compréhension » des sentiments et des émotions d’un autre individu, voire, dans un sens plus général, de ses états non-émotionnels, comme ses croyances (il est alors plus spécifiquement question d’« empathie cognitive »).

Éthique une discipline philosophique pratique (action) et normative (règles) dans un milieu naturel et humain. Elle se donne pour but d’indiquer comment les êtres humains doivent se comporter, agir et être, entre eux et envers ce qui les entoure. L’éthique regroupe un ensemble de règles qui se différencient et complètent les règles juridiques.

Grégarisme Le grégarisme est la tendance des individus de nombreuses espèces animales à se regrouper en sociétés plus ou moins structurées se distinguant de la foule, rassemblement spontané et sporadique qui se produit sous l’effet de stimuli environnementaux.

Lexique

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Identité L’identité désigne, en philosophie, la relation d’unité à soi, et soulève le problème des rapports avec les autres et avec le devenir. L’identité, en sciences sociales, est la reconnaissance d’un individu par lui-même ou par les autres.

In t e r a c t i v i t é L’interactivité est une activité nécessitant la coopération de plusieurs êtres ou systèmes, naturels ou artificiels, qui agissent en ajustant leur comportement.

Prolétariat Le prolétariat est, selon Karl Marx, la classe sociale opposée à la classe capitaliste. Elle est formée par les prolétaires. Le prolétaire ne possède ni capital ni moyen de production et doit donc, pour subvenir à ses besoins, avoir recours au travail salarié.

Parox ystique Qui atteint un degré extrême, voisin de l’excès.

S o u s - c u l t ur e En sociologie, en anthropologie et dans les cultural studies, une sous-culture est une culture (revendiquée ou cachée) partagée par un groupe d’individus, se différenciant ainsi des cultures plus larges auxquelles ils appartiennent.

Signe Un signe est une marque, naturelle ou conventionnelle, désignant pour quelqu’un, un objet ou un concept, et destinée à être interprétée par un tiers.

Socialité Nature sociale, tendance de l’être humain à vivre en groupe.

Tr i b u D’un point de vue historique, une tribu consiste en une formation sociale existant avant la formation de l’État.

Lexique

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