TERRITOIRES DE L’HABITÉ
TAMARA DECROUX MOG ARCHITECTES | DU 04 SEPT. 16 AU 31 MAI 17 | TUTEUR: M. MOGA | DIRECTEUR D’ETUDES: D. QUINTANILLA
TERRITOIRES DE L’HABITÉ
TAMARA DECROUX MOG ARCHITECTES | DU 04 SEPT. 16 AU 31 MAI 17 | TUTEUR: M. MOGA | DIRECTEUR D’ETUDES: D. QUINTANILLA
L’HABITÉ AU COEUR DE LA PRATIQUE ARCHITECTURALE PAGE 13
L’HABITAT COLLECTIF: QUESTION DE TYPES? - D’où provient ces modèles «génériques»? - A quoi cela tient-il aujourd’hui? - Typologies comme reflets des usages et d’une transformation des modes de vie? - A la recherche d’idéaux
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VERS UNE PLURALITÉ DE CONCEPTION : ABANDON DU TYPE ET FLEXIBILITÉ ? - De nouvelles «machines à habiter»: de l’individuel dans le collectif? - Une flexibilité de l’habitat pour une conception durable
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MIXITÉ : DE L’UNITÉ À L’ÉDIFICE, QUELLE DIVERSITÉ? - Mixité typologie: assemblage et combinatoire - Des mixités garantes de diversité?
ESPACES, LIEUX, PAYSAGES: TERRITOIRES DE L’HABITÉ PAGE 61
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LES PAYSAGES INTERIEURS DE L’HABITAT - Perspectives intérieures - Dialectique entre intérieur et extérieur
SOMMAIRE
ENTRELACEMENTS: RÉINTERROGER NOS PROCESSUS PAGE 89
PROCESSUS DE CONCEPTUALISATION
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INTERPRÉTATION DU CONTEXTE: LE PROJET COMME NOUVEAU PAYSAGE - Objet architectural autonome et architecture contextuelle - Les paysages du vide
LE PROJET COMME FORME PARTICULIÈRE DE DESCRIPTION
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PROJETER = JETER AU DELÀ PERSPECTIVES FUTURES
FAIRE AVEC: POÉSIE QUOTIDIENNE
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BIBLIOGRAPHIE ANNEXES CURRICULUM VITAE MOG ARCHITECTES SELECTION DE PROJETS SYNTHESE PERSONNELLE APPRECIATIONS
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« Habiter est fait de rythmes, d’arrêts et de mouvements, de fixation et de déplacements. Le lieu n’est pas seulement le creux où se fixer, comme le définissait Aristote (la surface intérieure de l’enveloppe), mais aussi l’intervalle à parcourir. » Paul Ricoeur « Architecture et narrativité », Urbanisme n°303, 1998
Que veut dire « habiter » un lieu ? Qu’est-ce qu’un lieu ? L’habité dans toutes ses temporalités induit une relation singulière, spécifique avec chaque lieu, chaque territoire, chaque contexte. Les récits dépliés dans l’intervalle entre l’habité et le quotidien esquisse une tension entre le temps raconté et l’espace construit. La matière de l’architecture est-elle l’espace de l’habité ? L’habité est une notion transversale à tout projet d’architecture et dans l’exigence, la quête d’une architecture qui a plus de sens, il est important d’interroger nos manières de « faire », de fabriquer l’habité et ses échelles. Tout comme il est pertinent de remettre en perspective le fond théorique enseigné à l’école d’architecture à l’aune de la pratique professionnelle et inversement : l’entrelacement de nos processus de conception qui oscillent indéniablement entre théorie et pratique. L’architecture s’ancre dans, contre et avec des territoires pour en produire de nouveaux ; elle se confronte à l’architecture du quotidien, à cette réalité. Toutefois, elle n’est pas qu’espace construit et matérialités déployées ; elle est espace vécu, espaces du ressenti. Atmosphères et vibrations. Espaces qui peuvent respirer dedans et dehors profondément. L’architecture est plurielle tout comme les individus qui l’habitent, auprès desquels on s’engage.
L’HABITÉ AU COEUR DE LA PRATIQUE ARCHITECTURALE
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La pratique architecturale à laquelle je suis confrontée au quotidien chez MOG architectes est teintée par la problématique de l’habitat et plus particulièrement le logement collectif. Le constat est évident, les contextes actuels, entre moyens économiques insuffisants et les rythmes effrénés, l’urgence du quotidien d’une agence d’architecture, rendent les opérations de logements de plus en plus difficiles. En tant qu’architecte, nous édifions des lieux qui vont être habités par d’autres. De ce fait, il me semble alors indispensable de s’abstraire de l’urgence quotidienne de la pratique afin d’interroger nos processus de conception quant à l’habitat mais aussi l’habité, qui lui de façon plus vaste, peut être défini comme un ensemble de rapports entretenus par l’homme à l’espace et au territoire. Le fait d’habiter a une définition plus complexe qu’une simple relation fonctionnelle de l’homme à son environnement immédiat. Il ne se contente pas de la seule description d’un type d’habitat ou de commodités. Il existe une dimension intime entre l’homme et son habitat qui relève de la façon dont l’espace n’est pas seulement occupé, agencé mais investi. L’habitat se définit comme un cadre matériel bâti selon des traditions, des normes ou des doctrines... Il est une unité indépendante ou unité installée en constellation par rapport à d’autres. A travers l’habitat, le projet tend à organiser les espaces habités en adéquation avec les usages. Les espaces sont les spatialisations, les interprétations concrètes des usages : la façon d’entrer ; la partition ; la hiérarchie des espaces, la proximité, la contiguïté ou les distances intérieures ; l’atmosphère, la lumière, la matière ; les relations entre intérieur et extérieur… Toutefois, les différents contextes économiques successifs ont eu un impact sur les dispositifs du logements : quelles en sont les conséquences pour l’espace de l’habitat comme pour l’habité ? De l’éclairage historique sur l’avènement de l’habitat type à notre production typologique contemporaine : quelles sont les évolutions de l’habitat ? Quels modèles ont influencé notre pratique actuelle ? Les formes d’habitats contemporaines sont-elles le reflet de nos modes de vies ? Aujourd’hui, où en sommes nous ?
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L’HABITAT COLLECTIF: QUESTION DE TYPES?
Le logement collectif, par définition, est un édifice qui rassemble dans son enveloppe plusieurs unités d’habitat. Contrairement à l’habitat individuel qui prône l’unité autonome, l’habitat collectif exprime une collectivité mais aussi l’idée d’habiter ensemble. Il est intéressant de questionner les unités qui forment le tout qu’est le logement collectif car, si toutefois le collectif appelle au vivre ensemble et à la diversité, il n’a jamais autant été question de l’individualisme dans l’architecture du logement contemporain1.
1 - «Introduction» p.5, MARCHAND Bruno, JOUD Christophe, MIX Mixité typologique du logement collectif de Le Corbusier à nos jours, Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes, 2014 2 - «Hygiénisme et taylorisme : uniformité et diversité des cellules de logement de la modernité architecturale» p.11-12, MARCHAND Bruno, JOUD Christophe, MIX Mixité typologique du logement collectif de Le Corbusier à nos jours, Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes, 2014 3 - GROPIUS Walter, « L’industrie du logement », 1924 dans GROPIUS Walter, Architecture et société, Paris : Editions du Linteau, 1995
L’unité est envisagée par différentes tailles qui se veulent de répondre à différentes façons d’habiter. Seul, en couple, en famille avec un, deux ou plusieurs enfants : les types se définissent par un nombre de pièces où sont comptabilisées chambres et séjour. Ces différents types tendent à définir et à répondre à la vie des futurs occupants. Peut-on affirmer que le type est une réponse à un schéma familial ?
D’où provient ces modèles « génériques » ? Dans l’idée de questionner nos modèles d’habitat contemporain et plus particulièrement le logement collectif, il semble important de revenir à une période où le développement de la notion du type dans le projet de logement a pris son essort. Durant l’entre-deux guerres et dans un élan égalitariste, les architectes de la période moderne ont envisagé le logement par une uniformité et la répétition de modèles dont les pensées hygiénistes et rationnalistes2 ont façonné la démarche de recherche du plan idéal. Le contexte de l’époque a nécessité de repenser la manière de faire du logement pour, dans un temps très court, proposer des réponses à la reconstruction. D’un point de vue sociologique, le modèle significatif de la structure familiale a eu une influence considérable sur l’élaboration des premiers types qui aspirent à produire un modèle universel. Walter Gropius affirmait que « la majorité des citoyens des civilisations avancées a des besoins semblables en matière de vie et d’habitat3». Cette citation apporte quelques indications sur la manière occidentale d’appréhender la question de l’habitat en lien avec le souhait d’une homogénéisation des manières de vivre. La normalisation du logement est à cette époque une avant-garde à tout
Bruno Taut, la cellule idĂŠale, Die neue Wohnung, 1924
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point de vue. Dans la mise en place de la nouvelle politique du logement qui va déboucher au principe des Siedlungen allemandes, il va être demandé aux architectes de concevoir des types d’habitats en se basant sur quatre concepts forts. La standardisation, la mise en place de types, la gestion d’individualité au sein de la communauté et la valeur architecturale au sens esthétique vont se confronter aux contraintes économiques données. La rationnalisation de l’habitat découle du développement d’une standardisation constructive de l’habitat dans le soucis d’une économie de projet en adéquation avec le contexte économique de cette période. Ainsi, en 1924, Bruno Taut propose dans son ouvrage Die neue Wohnung1 un plan de logement : une cellule idéale. On y retrouve avec surprise, et à la manière du principe du taylorisme, une économie du parcours. Il propose que les fonctions soient liées par des cheminements directs, les plus courts et sans croisements. Il s’adresse ici principalement aux femmes afin d’esquisser une forme de logique dans leurs déplacements domestiques. En dessinant la cellule d’habitation avec une répartition en deux zones distinctes pour le jour et la nuit, le principe hygiéniste est respecté dans le sens où il est possible de profiter des rayons de soleil aux différents moments de la journée par un logement traversant jouissant de deux orientations Est et Ouest. La réponse apportée par Bruno Taut en 1924 est-elle si éloignée de nos plans de logements contemporains ? L’héritage de ces modèles « génériques », souhaités à portée universelle, sont-ils toujours valables aujourd’hui ?
1 - TAUT Bruno, Die neue Wohnung : Die Frau als Schöpferin, Berlin, 1924 2 - « La mixité typologique sous forme de catalogue» p.14-15, MARCHAND Bruno, JOUD Christophe, MIX Mixité typologique du logement collectif de Le Corbusier à nos jours, Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes, 2014 3 - MAY Ernst, Das neue Frankfurt n°2/3, 1930
Si le souhait était de définir un modèle à reproduire et à mettre en série, la recherche de types se traduit quelques années plus tard par une mixité typologique prenant la forme d’un catalogue2. Un répertoire de typologies pour habiter calquées selon les mêmes critères de rendement et d’ensoleillement des espaces domestiques. Ernst May, en 1930, met au point une série de plans de logements illustrés dans la revue Das neue Frankfurt3. En faisant abstraction de tout contexte, il établit une nomenclature de classement des différents modèles de façon à préciser leurs caractéristiques (orientations, nombre de pièces, surface) tout comme le type d’habitants auquel le modèle s’adresse. Le type de cellule MEFA (MehrFamilienhaus) se traduit littéralement par la « Maison pour plusieurs familles » où la notion de grande maison persiste. Pourtant, il s’agit du début de l’appellation d’habitat collectif où plusieurs foyers vivent ensemble. Cet appartement est en tout point conforme à la cellule idéale de Bruno Taut et il est, en quelque sorte, le référentiel type du catalogue.
Bruno Taut, catalogue de cellules type, Die neue Wohnung, 1924
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1 «Le «logement minimum », une question d’espace» p.17-18, MARCHAND Bruno, JOUD Christophe, MIX Mixité typologique du logement collectif de Le Corbusier à nos jours, Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes, 2014 2 - « Le cas paradigmatique des projets de logements collectifs corbuséens de l’entre-deux-guerres : la diversité du jeu des combinatoires» p.16, MARCHAND Bruno, JOUD Christophe, MIX Mixité typologique du logement collectif de Le Corbusier à nos jours, Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes, 2014 3 - LE CORBUSIER, La Ville radieuse, Zurich : Les Editions d’Architecture, 1933
En ce sens, la typologie de base se compose d’un séjour avec deux chambres (une dédiée aux parents et une pour les enfants) ainsi qu’une salle d’eau et une cuisine. Ce type fait-il donc référence à une structure familiale majoritaire et représentative des années 30 ? Ce type de logement s’adressait-il à une catégorie socio-professionnelle particulière ? La dénomination de la nomenclature va dans un premier temps se moduler dès lors que l’orientation va changer comme avec le type MEFANO (MehrFamilienhaus Nordlagentyp) dont l’orientation est au Nord. Avec ce changement d’orientation, la cellule, toujours traversante, s’adapte selon une profondeur minimale pour regrouper les pièces d’eaux, la cuisine et les circulations sur la façade la moins bien exposée. Au contraire, le plan favorise les pièces de vies comme le séjour et les chambres. La répartition entre la zone jour et la zone nuit disparaît au profit d’une autre hiérarchisation des espaces selon l’orientation. Puis, les modulations de la nomenclature font émerger de nouveaux types appelés MEFANOKI (MehrFamilienhaus Nordlagentyp für Kinderreiche) ou encore MEFADOLEIKI (MehrFamilienhaus mot Doppelleifungen für Kinderreiche). Ces logements sont des adaptations de l’unité de base, ou de son pendant orienté différemment, avec des chambres supplémentaires pour répondre aux familles nombreuses. Une autre évolution des types est détaillée selon des types de circulations proposés et s’adaptent en fonction des différents accès. Même si la recherche d’Ernst May prend en compte la course du soleil comme composante intrinsèque à la cellule d’habitation, le format du catalogue fait malgré tout abstraction du lieu où les cellules vont s’implanter. La cellule idéale peut-elle réellement s’abstraire du lieu qui conditionne indéniablement le caractère « idéal » du cadre de vie ? Le rationnalisme dans l’architecture du logement a été une notion poussée à l’extrême dans l’idée du « logement minimum » discutée lors du 2ème CIAM à Francfort en 19291. Le Corbusier s’oppose à cette vision extrême et on verra dans un second temps en quoi il expose une limite franche entre le « type physique » qui représente selon lui l’unité, du « type moral » qui est au contraire multiple2. En quoi cela remet en question le fondement même du « type » ? Quelques années après le 2ème CIAM, Le Corbusier propose une série d’habitats prolétaires avec Charlotte Perriand à partir d’une surface de 14 m2 par habitant inspirée des cabines de paquebot qu’il met en parallèle des 9 m2 préconisés par les ardents défenseurs du logement minimum. « A chaque fonction il faut un contenant minimum, type, standard, nécessaire et suffisant (échelle humaine)3. »
Le Corbusier, cellules complémentaires Unité d’Habitation de Marseille,
source: David Jenkins, «Unité d’Habitation» Marseille, Phaidon, 1993
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Une première question peut être soulevée : comment la fonction définitelle son contenu minimum ? Cette notion du contenant minimum peutelle s’appliquer à toutes les fonctions ? Comment calibrer et standardiser les fonctions de l’habitat ? Des standards peuvent être facilement appréhendés pour des espaces servants comme la salle d’eau, la cuisine qui sont régis par des dimensions modulaires valables encore aujourd’hui. En ce qui concerne les espaces de vie, on peut se demander comment le contenant minimum peut être défini. Par exemple, le contenant minimum de la fonction « dormir » se limite-t-il aux dimensions d’un couchage ? L’appréciation du « suffisant » est indéniablement subjective. Le Corbusier a décrit, avec le Modulor, une unité de mesure basée sur les dimensions d’un homme mesurant 1,83 m, qui exploite ces questions d’échelle et de rapport entre l’architecture et l’homme. Le Modulor inventé en 1944 s’inspire du Nombre d’Or avec l’ambition d’être un outil régulareur d’espaces adaptés à l’humain et qui génère un rapport modulaire : d’où la contraction des mots « module » et « or ». Qu’estce que l’échelle humaine ? Comment l’architecte appréhende-t-il cette notion de rapport échelle et de proportion ?
1 - CHATELAN Nicolas, DRAGESCO Andrew, L’Unité d’habitation : la vie d’un concept, Enoncé théorique sous la direction de Franz Graf et Yvan Delemontey, Lausanne, 2016 2 - LE CORBUSIER, « Unité d’Habitation de Marseille » p.75, L’Homme et l’Architecture, numéro spécial 11-12-13-14, 1947
Dans l’Unité d’Habitation de Marseille, l’Atelier Le Corbusier s’attaque également à la question du type et à la définition d’un habitat idéal. La cellule de base nommée E2 d’une surface de 98m2, que conçoit Le Corbusier, est sensée abriter une famille de deux à quatre enfants. Il s’agit d’un appartement en duplex, traversant Est/Ouest1. Toutefois, la cellule de base trouve son pendant (type E1), et ce dans un système sur trois niveaux, pour générer deux types complémentaires qui s’imbriquent pour fabriquer une portion d’édifice. Tous les appartements sont issus de la combinaison de trois « cellules » programmatiques de base. La première comprend l’entrée, la cuisine et la salle commune; la deuxième, la chambre des parents et la salle de bains; la troisième, enfin, correspond aux chambres d’enfants et à leur installation sanitaire. A partir de ces ensembles programmatiques, Le Corbusier développe différentes combinatoires en gardant à l’esprit que les différentes typologies soient destinées à des célibataires, des couples ou des familles ayant deux à huit enfants. On comptabilise 16 types d’appartements différents allant du studio au duplex de 203m2. « Concilier les avantages d’une standardisation poussée à une diversité largement suffisante pour répondre à la variété des besoins2. » Au-delà de la rationnalisation de l’habitat, Le Corbusier nuance ses propos suite au développement de La Ville radieuse et revendique, avec
parcimonie, une générosité des espaces. « Jamais l’appartement est considéré comme «minimum». Certaines fonctions peuvent se contenter d’une surface réduite, mais le cœur de l’appartement (la salle) ne doit jamais être une cage. Au contraire : de l’espace1. » Supposons que Le Corbusier faisait référence au séjour en soulignant « la salle » comme le cœur de l’appartement. Le terme de « la salle » était autrefois utilisé pour nommer toute pièce de grande dimension dans un château ou un palais2. La notion de générosité d’espace réside-t-elle dans les surfaces déployées? Quels sont les dispositifs spatiaux qui s’opposent fermement à l’image de la cage ? Ses propos indiquent que dans les années 30-40, la hiérarchie des espaces de l’habité mettait au centre des préoccupation de l’architecte le lieu de la collectivité de l’habitat, plutôt que les espaces d’individualités ou d’intimité comme les chambres. Le statut de la cuisine est ici d’autant plus ambigü car il évolue d’espace servant en réel espace de vie. En 1945, dans les cellules types de l’Unité d’Habitation, Le Corbusier la décloisonne pour l’ouvrir sur le séjour même si l’espace est souligné, tenu entre le sol et le plafond tandis que le séjour se développe en double hauteur. L’exploration de la notion de type provient de la rationnalisation de l’habitat pour répondre à la demande exponentielle de la reconstruction suite aux deux guerres qui ont ébranlé l’Europe. L’enjeu de la construction de l’habitat de masse durant cette période a engendré une refonte même de la conception de l’habitat de même que de nouvelles spatialités. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Les modèles d’hier sont-ils encore les modèles d’aujourd’hui ?
1 - LE CORBUSIER, JEANNERET Pierre, Œuvre complète 19341938 (publiées par Max Bill), Zurich : Les Editions d’Architecture, 1939 2 - Salle, nf., définition Larousse
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A quoi cela tient-il aujourd’hui ? Vers quelle évolution des types ? La production contemporaine de logements collectif est toujours un enjeu majeur au cœur des pratiques de l’urbain afin d’aller à l’encontre de l’étalement urbain. L’exemple de la ville de Bordeaux, devenue métropole, en est une parfaite illustration dans le renouvellement urbain et la fabrication de nouveaux quartiers. Il est donc nécessaire de questionner les pratiques des architectes quant à l’habitat, notamment en tant qu’unités au sein d’un édifice. Il semble important également de prendre en considération les transformations des pratiques et des modalités de conception du côté des architectes1 pour interroger les processus de conception de l’habitat. Le recours systématique à la mise en concurrence par le biais du concours, de la part des différentes maîtrises d’ouvrages, pour un renouveau et un élargissement de la commande entraîne une forme d’épuisement économique et intellectuel des agences d’architecture. De plus, le format du concours d’architecture génère une spécialisation de la maîtrise d’œuvre dans une type spécifique de commandes étant donnée qu’elle est garante d’une expérience suffisamment rassurante pour la maîtrise d’ouvrage. La multiplication des concours, aux délais de plus en plus réduits, demande toujours plus de réactivité et les architectes ont tendance à réemployer leurs travaux de concours précédemment perdus2. Est-ce que la forme d’attribution de la commande de maîtrise d’œuvre peut être la conséquence d’une conception du logement collectif « générique » avec le réemploi de typologies déjà produites? 1 - « Les cadres de la production et de la conception » p.29, ELEB Monique, SIMON Philippe, Entre confort, désir et normes : Le logement contemporain 1995-2012, Mardaga, 2013 2 - Ibidem p.32 3 « Une maîtrise d’ouvrage privée plus présente » p.34-37, ELEB Monique, SIMON Philippe, Entre confort, désir et normes : Le logement contemporain 1995-2012, Mardaga, 2013
Le métier d’architecte repose sur la capacité à formuler une réponse à une commande donnée par le client, le maître d’ouvrage. La maîtrise d’ouvrage, publique avec les bailleurs sociaux autant que la promotion privée, est devenue un acteur influent dans la production française de logements. Tandis que la méfiance était de mise entre les architectes et les promoteurs, dès la fin des années 1990, la maîtrise d’ouvrage privée produit et revendique une architecture reconnue par les médias architecturaux avec des projets qui se veulent contemporains et parfois même expérimentaux en matière d’habitat3. Ils deviennent également mandataires des équipes à l’instar mais aussi au détriment des architectes relégués au second plan. Monique Eleb et Philippe Simon esquissent de façon juste ce contexte dans lequel cette méfiance entre maîtrise d’œuvre et maîtrise d’ouvrage instaurait une ambiguïté des rôles. Le travail des architectes pour la promotion privée était souvent mal assumé par ces derniers et réduit à un travail « alimentaire ». Et ce du fait de la nécessité à se plier à une demande trop précise du commanditaire. Les plans des
logements étaient dès lors définis en amont et la conception de la part de l’architecte se limitait au dessin d’une enveloppe qui « habille » les plans1. De ce fait, le nom du concepteur était passé sous silence au profit du promoteur se sentant autant « auteur » que l’architecte à qui il avait confié la mission. On peut alors s’interroger quant à l’influence de la maîtrise d’ouvrage dans la production de schémas d’habitats normés. A cette époque, selon quels modèles reposaient les plans produits par les promoteurs ? Etaient-ils en adéquation avec une demande précise de leur clientèle ? Aujourd’hui, la relation entre maîtrise d’œuvre et maîtrise d’ouvrage privée a pris un nouvel essort à la hauteur de la place importante que la maîtrise d’ouvrage occupe dans la production de logements, hors particuliers. Même si l’architecte reprend son rôle auprès d’une maîtrise d’ouvrage toujours plus présente, les commandes sont bordées par un programme précis. Ils prennent la forme de cahiers des charges émanant de la maîtrise d’ouvrage qui tend à se spécialiser dans le secteur de la promotion immobilière. Ils dressent ainsi une liste de prescriptions détaillant leurs inclinaisons aussi bien pour les aménagements extérieurs, le traitement des limites et le dimensionnement des locaux communs du bâtiment jusqu’aux dimensions minimum souhaitables des ouvertures, la répartition des types de logements et les qualités des prestations intérieures. Ces cahiers des charges sont-ils le reflet d’une « philosophie » développée par l’organisme public ou privé qui tient le rôle de la maîtrise d’ouvrage ? Qu’est-ce que ces cahiers des charges peuvent révéler des partis pris de la maîtrise d’ouvrage sur quant aux typologies de l’habitat collectif contemporain ?
1 « Une maîtrise d’ouvrage privée plus présente » p.34-37, ELEB Monique, SIMON Philippe, Entre confort, désir et normes : Le logement contemporain 1995-2012, Mardaga, 2013 2 - « Gironde Habitat – Programme de maîtrise d’œuvre – Bordeaux – rue Léon Jouhaux », 2015, p.6
Au prisme du questionnement sur les typologies de l’habité, les cahiers des charges adressés au logement collectif énoncent clairement une position sur la notion de typologie en adéquation avec une surface habitable et un pourcentage de répartition des types au sein même de l’opération. Lors du concours pour la construction de 72 logements de la rue Léon Jouhaux à Bordeaux, Gironde Habitat et Nexity ont produit des programmes à destination des équipes de maîtrise d’œuvre2, dont MOG architectes, pour exposer entre autres leurs objectifs en matière de typologies. Le programme se base sur trois types d’opérations de logements collectifs, avec Nexity pour l’accession privée et Gironde Habitat pour la partie de l’accession sociale et le locatif social. Toutefois, on remarque que la répartition typologique est identique peu importe le type d’opération. La typologie majoritaire est le T3 à hauteur de 40% avec une surface
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habitable comprise entre 58 et 68m2. Les typologies T2 avec une surface habitable d’environ 48m2 et les T4 d’environ 82m2 ont une répartition d’environ 20%. Les T1 d’environ 30m2 et les T5 d’une surface habitable moyenne de 98m2 sont des typologies minoritaires à hauteur de 10%. Gironde Habitat détermine pour chacune des typologies une surface habitable minimale, une surface habitable cible et une surface habitable moyenne ce qui détermine une légère amplitude de possibilités. Les écarts sont-ils assez significatifs pour développer des spatialités différentes ? Peu importe l’organisme de maîtrise d’ouvrage qu’il soit public ou privé, on assiste à une homogénéisation des cahiers des charges qui donnent tous le même ton tout comme les mêmes ordres de grandeur de surfaces habitables. Hormis le fait de décrire une répartition typologique et des surfaces habitables moyennes, le programme développe de façon plus détaillée des surfaces minimums par pièce. La typologie majoritaire, le T3 d’une surface moyenne de 65m2 se décline dans une répartition « classique » de pièces en correspondance avec la typologie du T3 : un séjour et deux chambres1. Comment ces surfaces habitables sont-elles définies et rapportées aux différentes typologies par la maîtrise d’ouvrage? Qu’est-ce que cela peut nous dire quant aux typologies et leurs spatialités ?
1 T3 composé d’un séjour (22m2), une cuisine 10m2), une chambre n°1 (11m2), une chambre n°2 (10m2), une salle de bains (5m2), un wc (1.2 à 2.8m2), des rangements (3m2) : « Guide de conception accession sociale », Gironde Habitat, p.12 2 - Définition du logement « classique » sur le site www.logement.gouv.fr en explication de la loi ENL en 2006: « Distribution et dispositifs » p.156, ELEB Monique, SIMON Philippe, Entre confort, désir et normes : Le logement contemporain 1995-2012, Mardaga, 2013
Cependant, dans le décompte que Gironde Habitat présente, il y a une surface non attribuée qui est mentionnée, un « reste » de 1.7 à 2.8m2 à répartir pour la distribution des espaces et l’espace d’entrée. En somme, les dispositifs spatiaux de seuils, de transitions et d’articulations spatiales afin de qualifier les espaces est reléguée à l’arrière plan. Dans cette marge de manoeuvre est-il réellement possible d’améliorer l’organisation spatiale ou d’innover ? En terme d’organisation intérieure des espaces, il est intéressant de regarder la définition du logement « classique », faite par le site www. logement.gouv.fr pour expliquer la loi Engagement National pour le Logement de 2006. Le logement « classique » est dépeint comme « un logement pour une famille avec enfant(s) en bas âge (ce que traduisent la taille des chambres et leur faible autonomie les unes par rapport aux autres), où la partie publique (cuisine-séjour) et la partie privée (chambresalle de bains) sont dissociées2. » Ce modèle de composition « classique » est celui préconisé dans la plupart des cahiers des charges des maîtres d’ouvrages privés et publics par une distinction jour/nuit du logement type. Actuellement, l’habitat tend d’autant plus à s’uniformiser selon des modèles conventionnels qui sont dupliqués au fil des opérations. Il est important de se questionner
MOG architectes - 72 logements rue Léon Jouhaux à Bordeaux - T3 Bâtiment B - Gironde Habitat (phase APD)
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sur les conséquences de ces schémas spatiaux. Dans quelle proportion de la population s’adresse ce logement « classique » ? Toute autre forme de famille ou d’organisation spatiale doit-elle être considérée comme « atypique » ? D’un autre point de vue, les guides de conception renferment d’autres types d’informations qui renseignent davantage sur les volontés de la maîtrise d’ouvrage quant aux espaces habités. Si les surfaces sont des données abstraites de renseignements en deux dimensions, le chapitre dédié à la conception des logements se fonde sur la base d’une « conception simple ». Il détaille des prescriptions quant aux ouvertures, la fonctionnalité, les hauteurs sous plafond et l’aménagement des logements tout en faisant référence à leur cahier de plans types fournis aux équipes de maîtrise d’œuvre. Des catalogues de typologies subsistent. La rationnalisation de l’habitat est de rigueur dans l’idée de garantir les qualités d’usages et cette notion dépasse le plan pour s’exprimer dans les autres dimensions du projet : « Les effets de volume sont proscrits (séjour double hauteur, rampants fortement inclinés, etc ...) : s’ils existent, ils doivent être fortement compensés par l’apport solaire et nécessités par exemple par la topographie1. » L’architecture est autant une affaire de plan que d’espaces développés dans leurs trois dimensions, dans la coupe : quelle est leur définition des « effets de volume » ? Les contraintes économiques et d’optimisation radicale des typologies viennent contraindre les espaces habités entre deux planchers distants d’une hauteur standardisée à 2.50m afin de se conformer au logement « classique ». Quel équilibre est-il envisageable pour répondre au contexte économique de l’habitat tout en proposant une réelle qualité spatiale ?
1 - « Guide de conception accession sociale », Gironde Habitat, p.10 2 - « Distribution et dispositifs » p.154-155, ELEB Monique, SIMON Philippe, Entre confort, désir et normes : Le logement contemporain 1995-2012, Mardaga, 2013
La répartition des différentes typologies a été étudiée en fonction de la demande, des besoins en matière de logements de la clientèle de la maîtrise d’ouvrage : l’habitat est considéré tel un « produit » qui se doit de répondre à une étude de marché. Cette déclinaison de types est-elle toutefois en adéquation avec les usages ? Du reste, le prix du foncier ne cessant d’être évalué à la hausse notamment dans les zones urbaines, les surfaces des logements stagnent ou se réduisent drastiquement dans le logement collectif et d’autant plus dans la promotion privée qui s’adapte aux moyens financiers de sa clientèle2. Les typologies ne répondraient-elles donc pas plutôt à un budget qu’à des besoins réels d’habiter ? En outre, la problématique du logement collectif repose également sur l’application de normes (accessibilité, environnementales, sécurité
incendie,…). En quoi ces normes influencent-elles les spatialités propres à l’habité ? La « normalisation » du logement collectif contemporain vers des typologies génériques ne serait-elle pas une conséquence de la mise en application de ces normes ? Les réponses aux normes d’accessibilité seraient-elles si problématiques si les standards de surfaces des logements étaient révisés à la hausse ? L’exemple le plus probant est l’évolution de la salle de bains et les sanitaires qui se sont considérablement aggrandis de part les surfaces déployées indispensables pour de répondre aux critères d’accessibilité. On peut alors imaginer que pour ces espaces servants, les architectes sont à la recherche de la dimension minimum et optimale pour éviter aux espaces de vie d’être trop réduits. Aujourd’hui les standards sont établis par le cumul des contraintes règlementaires et elles ne sont pourtant pas à négliger : elles font parties de l’équation. On peut malgré tout se demander si les logements produits sont-ils réellement le reflet des usages des habitants ?
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Typologies comme le reflet des usages et d’une transformation des modes de vie ? Le Corbusier a décliné pour l’Unité d’Habitation de Marseille un plan type de référence qui évolue pour « concilier les avantages d’une standardisation poussée à une diversité largement suffisante pour répondre à la variété des besoins1». La problématique des usages est indissociable du processus de conception du projet car l’architecte édifie l’habité pour d’autres. Actuellement, où en sont les besoins des habitants ? Est-ce que la demande et les besoins en logement ont-ils évolués ? Comment ?
1 - LE CORBUSIER, « Unité d’Habitation de Marseille » p.75, L’Homme et l’Architecture, numéro spécial 11-12-13-14, 1947 2 - « Conceptions du logement et changements dans les usagers » p.17, ELEB Monique, SIMON Philippe, Entre confort, désir et normes : Le logement contemporain 1995-2012, Mardaga, 2013 3 - Ibidem p.18
La transformation des modes de vie se poursuit dans des temporalités longues mais aujourd’hui, de nouveaux modes de vie détrônent les formes traditionnelles de l‘habitat, et ce d’autant plus durant ces deux dernières décennies2. L’évolution de la famille a été considérable d’un point de vue sociodémographique, on assiste à l’éclatement du noyau familial où un plus grand nombre de familles mono-parentales ou de recomposition du groupe domestique avec les familles dites « recomposées » va de paire avec l’émergence de nouvelles pratiques de l’habitat. Ces deux nouvelles structures de familles se basent sur un rythme étroitement lié aux temporalités. La famille mono-parentale peut s’organiser suivant des rythmes différents en fonction du type de garde des enfants et l’habitat est le premier concerné par ces modifications de temporalités. La capacité de l’espace habité va se moduler en fonction du nombre de personnes. Par exemple, en une semaine la famille polynucléaire peut varier d’une personne ou deux à trois, quatre, cinq suivant les situations familiales. Comment pouvons-nous répondre aux temporalités de l’habitat en lien étroit avec les modes de vie et son évolution ? La notion de famille est multiple. De plus en plus de personnes vivent seules et quel que soit leur âge. Dans un même temps, le contexte économique tend à produire de nouvelles formes d’habiter évoluent avec l’augmentation des colocations, cohabitations inter-générationnelles, la présence plus longue des enfants adultes... Une désynchronisation des rythmes des membres de la famille est notable dans la recherche d’idéal d’épanouissement personnel dans lequel chacun « vit sa vie » même si les moments de partage et de communauté au sein du logement restent valorisés. L’habitat est soumis à de nouveaux usages notamment avec les rythmes du travail, la temporalité du « être chez soi » s’allonge avec les pratiques et le développement de l’informatique3. Ces nouveaux rapprochements demandent d’envisager différemment les relations spatiales intérieures des espaces habités et un besoin d’établir plus que jamais des distances à l’intérieur même de l’unité du foyer. Quelle est
Cellule autonome au coeur de l’appartement, Erick van Egeraat - Le Monolithe - Lyon Confluence
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l’influence de ces nouvelles pratiques sur les usages et, par extension, sur les spatialités de l’habitat ? Par exemple, les organisations spatiales classiques telles que la distinction jour/nuit favorisée par les cahiers des charges des maîtres d’ouvrages sont en contradiction avec la recherche de nouvelles intimités ou de la fabrication de seuils pour répondre à des rapprochements générationnels sous le même toit. Avec les colocations et les cohabitations intergénérationnelles, il est nécessaire de développer un système d’habitat différent dans lequel les espaces d’intimités se multiplient, s’identifient puis se mettent à distance les unes par rapport aux autres. En ce sens, l’architecte Erick van Egeraat propose une unité autonome, pour un des immeubles du Monolithe de Lyon en 2010. Dès l’entrée il associe un studio au logement, ce qui génère une sphère d’intimité indépendante au cœur de la « communauté » qu’est l’habitat dans son ensemble, tandis que, les autres chambres se situent diamétralement à l’opposé de l’espace de vie commun. Cette solution reste cependant encore marginale. Comme nous avons pu le voir, la maîtrise d’ouvrage privée propose une répartition typologique en adéquation avec une étude de marché pour fabriquer des opérations au plus près de la demande. Selon quels critères la clientète de la promotion privée est-elle interrogée ? Les types conventionnels auxquels sont associés les dénominations usuelles des T2, T3, T4 sont-ils encore viables aujourd’hui ? La demande, elle, suit de façon évidente les évolutions des besoins et des usages mais on peut se demander si l’offre est réellement adaptée1. La tendance à une homogénéisation des différentes typologies s’oppose à cette pluralité de modes d’habités. Toutefois, la maîtrise d’ouvrage en décidant des programmes et les architectes en tant que concepteurs de l’habitation prennent-ils en compte ces évolutions socio-démographiques et les modes de vie en conséquences ?
1 - « Conceptions du logement et changements dans les usagers » p.21, ELEB Monique, SIMON Philippe, Entre confort, désir et normes : Le logement contemporain 1995-2012, Mardaga, 2013
Questionner nos pratiques du logement collectif est indispensable car l’habité est étroitement lié aux besoins de ses habitants. L’architecte, en tant que concepteur d’espaces, a un rôle important à jouer dans la redéfinition des espaces habités, des espaces vécus. Nous sommes responsables des espaces que nous produisons pour d’autres. Selon Marcel Lods, l’architecte a un rôle éducatif et se doit d’apprendre aux gens à habiter. Ne devrions-nous pas plutôt apporter la réponse aux besoins des hommes en matière d’espaces à habiter ? La qualité des usages est indissociable de l’équation de la conception architecturale. Pouvons-nous diversifier cette problématique pour un logement collectif pluriel comme nous serions susceptibles de le faire pour l’habitat individuel ?
CM/ Villenave d’Ornond’Ornon 70.86 m CM/ Villenave
ngle, ine
| ANGLE ET REDENT 9.38
6.15
9.38
12.73
8.94
CM/ Bassins CM/ àBassins flot 66.28 à flotm266.28 m2 CM/ Bassins à flot 62.50 m2 9.29
11.48
- coin bureau - coinmais bureau au fond mais au fond - long linéaire - longenlinéaire façadeen façade - entrée par - entrée l’extérieur, par l’extérieur, pas de pas de séquenceséquence d’entrée, d’entrée, rangement rangement vers coin vers bureau coin bureau
l’espace extérieur pour donner la sensation d’espace agrandi - possibilité cellier qui structure la cuisine
8.48 | JEU DE DECALAGES
MM/ Daguzan 68.42 m 68.4 MM/ Daguzan - redent avec se q 2 espaces -m redent avecqui espaces MM/ Bassins à flot 66.62 regardent, impression d’espace 2
2
regardent, impression d - séquence d’entrée intéressante agrandi agrandi - cuisine et rangements qui séquencent - cuisine avec lumière air - cuisine avecetlumière e les différents espaces - espaces qui se regardent par le redent, sensation d’espace agrandi - prévoir rangements dans les chambres
mettre le séjour en perspective - espaces qui se regardent par le redent, sensation d’espace agrandi - prévoir plus de rangements
8.48
| TRAVERSANT 10.33
traversant
10.33 15.02
- séquence d’entrée intéressante - cuisine et rangements qui séquencent les différents espaces - espaces qui se regardent par le redent, sensation d’espace agrandi - prévoir rangements dans les chambres
7.83
9.38
9.40
9.07
7.83
sur le séjour sur et le séjour l’extérieur et l’extérieur - espaces-de espaces vie généreux de vie généreux - cuisine avec - cuisine lumière avecetlumière air, un peu et air,loin un peu loin de l’entrée de l’entrée - prévoir rangements - prévoir rangements chambreschambres 7.75
6.62 - entrée avec perspective sur8.35 le séjour8.35 9.23 9.23 - ouverture du séjour sur l’espace MM/ Bassins à flot 63.89 m2 MM/ Ardillos 62.36 m2 extérieur pour donner une impression - cuisine très en retrait et sombre - espace de vie en L qui permet d’espace agrandi, profiter du redent - entrée sans rangements des sous-espaces - salle de bain éloignée d’une -des espace extérieur en creux, - chambres sur coursives 2 chambres MM/ Prés redents ouverts qui accentuent la salés - 68.41 entréem sans rangements - rangements optimisés - espaces de vie en L qui permet des sous-espaces sensation d’espace agrandi - espaces qui se regardent par le redent, sensation d’espace agrandi - trame qui définit clairement partie jour et nuit
9.38
agrandi agrandi - cuisine avec - cuisine lumière avecetlumière air et air
CM/ Orangers CM/ Orangers 63.62 m 63.62 m 2
2
- redent avec - redent espaces avecqui espaces se qui se regardentregardent et impression et impression d’espace d’espace agrandi agrandi - cuisine en - cuisine retrait en et trop retrait sombre et trop sombre - séquence - séquence d’entrée sans d’entrée rangesans rangements ments
7.70
MM/ Ardillos 63.64 m2
- grands rangements - une chambre sur coursives - rapprocher le cellier vers la cuisine pour optimiser la salle de bain
9.07
9.07
9.69
Echantillons de typologies 11.42 11.42issues T3 par morphologie du classement et de l’analyse réalisée MM/ Daguzan MM/ Daguzan 68.42 m268.42 par m2 - redent avec - redent espaces avecqui espaces se qui se MOG architectes regardent, regardent, impression impression d’espace d’espace
9.40
- espaces de vie en L qui permet des sous-espaces - espaces qui se regardent sensation 2 2 MM/ Bassins MM/ àBassins flot 69.96 àpar flotlemredent, 69.96 m d’espace agrandi - séquence - séquence d’entrée avec d’entrée perspective avec perspective12.07
7.98
7.98
ments
CM/ Hôtel Montesquieu
9.69
ment la uit pour pective ent par space
- position-cuisine position intéressante cuisine intéressante avec avec lumière etlumière air et air - espace de - espace vie généreux de vie généreux 11.61 - prévoir rangements - prévoir rangements dans les dans les chambreschambres - pas d’espace - pas d’espace extérieur extérieur
CM/ Queyries 64.50 m2
7.13
MM/ Bassins à flot 66.62 m2
7.97 m2
CM/ Villenave CM/ Villenave d’Ornond’Ornon 65.02 m 65.02 m
2
12.20
- boîte cuisine - boîte intéressante cuisine intéressante à à développer, développer, possibilitépossibilité de tourner de tourner autour autour - chambres - chambres spatieuses spatieuses - espace extérieur - espace extérieur très petit très petit
11.48
2
9.40
2
10.04
2
6.18
9.69
CM/ Villenave CM/ Villenave d’Ornond’Ornon 70.86 m 70.86 m
8.94
9.07
7.79
8.70
8.70
5.77
6.15
9.29
11.42
10.15
6.64
14.48
10.15
9.69
12.73
7.79
5.33
angle et redent angle et redent
CM/ Bassins à flot 62.50 m - séquence - séquence d’entrée avec d’entrée perspective avec perspective - espace de - espace vie avec dede vie possibles avec de possibles sous-espaces sous-espaces - décloisonner la cuisinelapour - décloisonner cuisine pour sur le séjour sur et le séjour l’extérieur et l’extérieur - longm linéaire d’ouvertures linéaire d’ouvertures en façade façade 2 - long MM/ Bassins à flot 68.74 MM/ Bassins àenflot 67.97 m2 agrandir l’espace agrandir l’espace - long linéaire - longd’ouvertures linéaire d’ouvertures en façade en façade avec - cuisine lumière avec lumière air quietdéfinit air - cuisine très en retrait et- cuisine sombre -et trame clairement la - séquence d’entrée intéressante - séquence d’entrée intéressante - cuisine avec - cuisine lumière avecetlumière air et air - nombreux - nombreux rangements rangements - entrée sans rangements partie jour de la partie nuit - redent avec plus d’ouvertures avec plus d’ouvertures - nombreux - nombreux rangements rangements - décloisonner - décloisonner les- redent circulations les circulations - ouverture de la chambre sur - décloisonner l’entrée pour
MM/ Poujeau MM/ Poujeau 71.67 m271.67 m2
9.29
12.73
MM/ Daguzan MM/ Daguzan 69.09 m269.09 m2
12.68
12.68
07 m2
typologies + / t3
12.73
12.68
6.52
12.68
6.52
jeux de décalages
- boîte cuisine à - boîteintéressante cuisine intéressante développer, possibilitépossibilité de tourner développer, de autour autour - chambres spatieuses - chambres spatieuses - espace extérieur très petit très pet - espace extérieur
5.33
| ANGLE
8.70
8.70
6.63
6.63
CM/ RueCM/ des Rue orangers 65.79 65.79 des orangers
- peu d’éléments de cuisinede cuisine - peu d’éléments positionnée en retrait en retrait positionnée - chambres spatieuses - chambres spatieuses - séquence d’entrée généreuse - séquence d’entrée généreuse
MM/ Poujeau 69.82 m2
- séquence d’entrée intéressante qui donne une perspective sur2 le séjour CM/ Villenave CM/ Villenave d’Ornond’Ornon 66.85 m266.85 - cuisine quim structure l’espace - possibilité - possibilité de sous-espaces de sous-espaces dans dans - rangements nombreux l’espace de l’espace vie de vie - circulation - circulation importante importante - permettre - permettre l’ouverture l’ouverture de la de la chambre chambre vers l’espace vers extérieur l’espace extérieur 12.93
CM/ Bassins à flot 66.40 m2
MM/ Ardillos
- espace de vie - décloisonner agrandir l’espa une boîte cuisin laquelle on se d - position intére salle de bain en
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A la recherche d’idéaux ? Dans l’idée de répondre à l’urgence permanente qui est le quotidien d’une agence d’architecture et la mise en concurrence perpétuelle par le biais des concours pour l’accès à la commande qui requiert un investissement non négligeable, certains architectes tentent de développer une recherche de typologies « idéales » à réinvestir dans leurs projets futurs. La problématique à la base de cette démarche est : qu’est-ce qu’une typologie idéale, qui « fonctionne » ? Une typologie idéale existe-t-elle ? MOG architectes est une agence d’architecture issue d’une nouvelle association et tournée majoritairement sur la thématique du logement collectif. Dès le début de leur association, nous avons effectué un travail de classement et d’analyse des typologies produites dans les différents projets de logements collectifs des agences de Michel Moga et de Cécile Moga. Au-delà du simple classement par type « conventionnel », il était intéressant de proposer d’autres catégories pour qualifier les typologies. En isolant les différentes typologies de leurs contextes, de leur cadre de l’édifice, la question était de proposer une autre façon de classer les logements en fonction de leurs caractéristiques spatiales. Le choix a été d’instaurer une seconde classification en fonction des manières de « fabriquer » des unités d’habitats selon plusieurs morphologies : mono-orienté, avec des jeux de décalages, traversant et en angle. Ces « catégories » nous renseignent sur les partis pris et en dit long sur les orientations privilégiées. Les logements mono-orientés sont le plus souvent réservés aux petites typologies ou alors développent un long linéaire en façade pour les types plus grands. Le type traversant est l’occasion de jouer sur les transparences et les perspectives qui parcourent l’appartement tout en donnant à l’habitat deux orientations. Malgré tout, le contexte ne peut être complètement mis à l’écart notamment dans le cas où le type traversant pose la question de la gestion de l’intimité lorsque les chambres s’ouvrent sur les coursives distributives. Les jeux de décalages ont l’avantage de favoriser des espaces qui se regardent ce qui donne une impression d’espaces qui se dilatent, qui s’agrandissent. Quant à l’angle, il offre également deux orientations mais il est souvent peu exploité dans les pièces de vie dans lesquelles l’une des deux orientations est choisie. Puis, à partir de là, il était plus facile d’interroger chaque plan de logements pour déceler les atouts ou les « symtômes » de l’habitat au prisme des qualités d’usages, de l’organisation spatiale et de l’habitabilité. Toutefois, on remarque que les typologies suivent toutes le principe de la distinction des espaces jours des espaces nuits dont la transition s’opère
souvent par le biais d’une porte qui dévoile une distribution sombre desservant les zones d’intimité de l’appartement. Comment qualifier davantage ces zones de transitions ? Les maîtrises d’ouvrages publiques ou privées prescrivent ce type de dispositif dans leurs cahiers des charges mais sont-ils réellement garant de qualités spatiales ? Est-il possible de propose une conception qui surpasse ces cahiers préétablis ? Il semble indispensable de réinterroger nos pratiques d’architecte et de concepteur d’espaces pour produire des projets avec plus de sens. Chez MOG architectes, l’idée de la mise en place de cette analyse était d’aboutir à une recherche de l’élaboration de typologies idéales à partir des types déjà réalisés par les deux agences. L’intérêt d’une telle démarche est intéressante dans le sens où elle tisse des ponts entre la pratique et la recherche en architecture. Le retour sur l’expérience des projets permettrait-il de concevoir davantage des typologies efficientes ? Quel serait le processus de conception d’une telle démarche ? On peut aisément imaginer de décliner un concept d’habitats qui se modulent par l’addition ou la soustraction de modules comme a pu le faire Le Corbusier pour l’Unité d’Habitation de Marseille. L’enjeu serait de permettre l’adaptabilité des typologies pour anticiper les assemblages de ces unités afin de constituer un immeuble de logements collectifs. L’adaptabilité et la modularité des espaces vécus seraient un pas vers une conception plus en phase avec la prise en compte des différentes temporalités et de l’évolution des modes de vie. Le développement de différentes cellules types a également l’ambition de répondre à l’ensemble des contraintes et des règlementations. Par exemple, au-delà des contraintes techniques et règlementaires, toute opération doit répondre à une réglementation quant aux places de stationnement. Dans un soucis d’optimisation du système constructif avec le souhait d’une prise en compte de l’économie de projet, la trame sur laquelle repose le dimensionnement du parking influence indéniablement la trame des logements. On peut tout de même s’interroger sur à la cohérence de faire « habiter » les véhicules et les hommes selon les mêmes trames prédéfinies. Tout compte fait, la mise en place de cellules types à dupliquer ne tendrait-elle pas à produire encore une fois des types génériques et, par conséquent, des modes d’habiter homogènes ? Les conséquences de cette démarche a une résonnance négative car elle prône une uniformisation des typologies de l’habité tout en faisant
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abstraction du contexte dans lequel elles s’implantent. Une fois installées sur le site, on peut se demander comment peuvent réagir les cellules types en fonction des orientations, des vues, du rapport au lieu ? De plus, le logement collectif se résume-t-il à l’assemblage de typologies ? A terme, le processus de conception de cellules idéales est-il viable ?
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VERS UNE PLURALITÉ DE CONCEPTION: ABANDON DU TYPE ET FLEXIBILITÉ ?
De nouvelles « machines à habiter » : de l’individuel dans le collectif ? Face à la diversité, la pluralité de nos modes de vie contemporains, on peut se demander comment la problématique de l’habité doit se mouvoir pour s’adapter aux nouvelles formes d’habiter. Il semble indispensable de restructurer le logement collectif en accord avec les changements de notre société. Le plus significatif étant l’affirmation d’un « territoire à soi » qui s’insère dans un élan de « repli domestique » où la maison, le chez-soi, le foyer a repris de la vigueur comme l’explique Monique Eleb et Philippe Simon. Le territoire à soi est nécessaire pour se retrouver, être bien avec soi pour être bien avec les autres et permettre davantage de faire la distinction entre la vie « seul » et la vie « avec »1. Comment répondre aux nouvelles pratiques et aux nouveaux rapprochements internes à l’unité qu’est la typologie ?
1 - « Conceptions du logement et changements dans les usagers » p.27, ELEB Monique, SIMON Philippe, Entre confort, désir et normes : Le logement contemporain 1995-2012, Mardaga, 2013
Dans le logement collectif, le maître d’ouvrage est l’intermédiaire inévitable entre l’architecte et les futurs habitants, les futurs locataires. En ce sens, une distance tend à s’immiscer entre le concepteur des espaces habités et ceux qui vont vivre ces espaces, souvent absents du débat. Comment est-il possible de proposer une qualité d’usages en lien étroit avec des futurs occupants dont l’architecte ignore tout ? Est-ce cette distance instaurée entre conception et habitants par le montage des opérations de logements collectif produit des types d’habitats « génériques » et normés ? Pouvons-nous envisager la possibilité de concevoir de l’habitat « surmesures » pour le logement collectif et refuser une vision globale et de généralisation de l’habitat, de l’habité pour développer des pluralités ? La « machine à habiter » contemporaine pourrait-elle répondre aux temporalités de l’habitat en lien avec les modes de vie et son évolution ?
Dès les années 1980-1990, l’architecte Edith Girard posait déjà ces problématiques avec le slogan « Donner au collectif les qualités de l’individuel » qu’elle énonce de nouveau en 2005 : « Le logement collectif présente un mode de vivre ensemble que je défendrais toujours par rapport au tout individuel et à ses ravages sur le territoire. Mais il est utile d’écouter ce que signifie le désir affiché des Français pour l’habitat pavillonnaire. Ce n’est pas simplement un terrain et une maison loin des autres, c’est un jardin où l’on se repose, où l’on mange, un bout de ciel privé, un espace flexible où les cloisons peuvent bouger, appentis possible. Certains de ces aspects sont transposables dans le collectif. Il reste à ce niveau beaucoup à inventer1. » Edith Girard explique qu’il est important de réinterroger nos processus de conception de logement collectif en s’imprégnant des qualités de l’habitat individuel. Et inversement, elle revendique aussi la nécessité d’interroger l’habitat individuel dans son lien au territoire à travers le logement collectif. Le type de marché privé qu’est l’habitat individuel instaure de fait une relation directe au maître d’ouvrage qui est le plus souvent le futur habitant des lieux. Comment réinventer la relation à la maîtrise d’ouvrage et réduire la distance avec les futurs occupants que l’on retrouve courramment dans le logement collectif qu’il appartienne au marché public ou privé ?
1 - « Offrir au collectif les qualités de l’habitat individuel », Interview d’Edith Girard par Armelle Lavalou, D’architectures, n°148, août septembre 2005 2 - « Remettre l’habitant au centre, valoriser ses pratiques » p.46, ELEB Monique, SIMON Philippe, Entre confort, désir et normes : Le logement contemporain 1995-2012, Mardaga, 2013
Dans l’entre-deux-guerres, un mouvement de coopératives d’habitants s’était développé et on retrouve un regain de vitalité de ce mouvement dans bon nombre de pays européens. En France, une autre forme se développe avec la notion d’habitat participatif autour de laquelle les habitants se rassemblent pour concevoir, créer et gérer leur habitat de façon collective. Les habitants reprennent le pouvoir, revendique leur présence. La maîtrise d’ouvrage devient multiple dans la création d’une échelle de communauté où l’individualité rencontre un nouvel essor du « vivre ensemble ». Certaines de ces initiatives bouleversent le schéma classique et proposent une reformulation des rôles respectifs des acteurs tant pour la maîtrise d’ouvrage, l’acquéreur, le constructeur et parfois jusqu’à la maîtrise d’œuvre2. La mise en place de cette initiative, parfois radicale, n’est pas donnée à tout le monde. Le souhait de replacer l’habitant au centre du processus de production du logement ne doit-il pas toucher un public plus large ? De ce fait, on peut imaginer une démarche, encore marginale, où les futurs occupants sont invités par les maîtrises d’ouvrages à s’impliquer, en amont, dans le projet architectural. Leur implication peut être aisément mise en place dans les opérations d’accession libre ou d’accession
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sociale étant donné que les futurs occupants vont faire acquisition d’un bien proposé par le maître d’ouvrage. Alors, le rapport entre l’habitant et l’habité dépasse celle de « l’abstraction » du plan de vente et s’amorce bien avant la remise des clés. Il est bien plus difficile d’envisager ce processus pour les opérations de locatif social qui est une part importante du marché public du logement social. En réponse à l’individualisation, on peut se conformer à une simple différenciation de son logement par rapport à celui de son voisin pour affirmer, en façade le plus souvent, une identité qui nous est propre. On peut alors penser que la pluralité des modes de vie dépasse l’espace habité pour s’étendre jusqu’à l’identification de son chez-soi et par extension le symbole d’une entrée différenciée. Ceci fait écho au type d’habitats intermédiaires présent dans les années 1970 qui, après avoir été délaissé, revient sur le devant de la scène de l’habitat contemporain. L’habitat intermédiaire est interprété comme la troisième famille d’habitats entre le collectif et l’individuel qui bénéficie des qualités de l’un et de l’autre comme le mentionne une définition faite par la revue Architecture Française en 19751. Comment impliquer les futurs occupants ? Faudrait-il définir un cadre précis d’interventions ? Dans l’idée de permettre une participation des futurs occupants dans le processus de conception des différents logements, il est nécessaire que la maîtrise d’ouvrage et que la maîtrise d’œuvre développent en commun des temporalités privilégiées dédiées aux habitants ainsi que des « outils » de médiations. Il est indéniable que ce type de processus exige d’autant plus d’implication de la part de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre dans les phases de conception que dans un projet de logement collectif « classique ».
1 BAYENAY Sophie, 40ans d’histoire de l’habitat intermédiaire, Mémoire de master sous la direction de Paul Laudauer et Philippe Barthélémy, ENSA Marne-la-Vallée
Toutefois, on peut se demander quand amener les habitants à se saisir de leur habitat. A quelle phase du projet d’architecture est-il pertinent de les faire prendre part au projet ? Une fois les bases du projet solidement définies ou alors dès l’esquisse ? Trop en amont, ce procédé demanderait que les futurs habitants s’engagent sur une potentialité de projet sans en connaître les tenants et les aboutissants tout comme le budget d’acquisition. Quels seraient les conséquences de chacune des solutions ? Dans le premier cas, si on prend en compte que les futurs habitants ont d’ores et déjà choisi leur typlogie, leur implication dans le projet se résumerait à des ajustements relevant du second œuvre comme les cloisonnements, les aménagements, l’organisation spatiale au sein d’une enveloppe définie. L’autre possibilité est plus complexe mais offre une
réelle adaptation de l’habitat dans l’élaboration du programme lui-même. On instaure une concordance, une adéquation entre l’espace à vivre et ses habitants. En définitive, peut-on « encadrer » l’architecture ?
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Une flexibilité de l’habitat pour une conception durable ? Le Corbusier fait une distinction entre le « type physique » qui représente, selon lui, l’unité du « type moral » (ou social) qui est au contraire multiple et varié. La notion de « type physique » relève de l’idée que l’homme a des « besoins types » tandis que le « type moral » relève plutôt de la diversité sociale et des structures familiales1. En ce sens, on peut lier cette notion de diversité sociale du « type moral » avec l’application du plan libre pour son potentiel à produire, de ce fait, une diversité de logements. Le plan libre peut donc être considéré comme la description d’un cadre, d’une structure dans laquelle une pluralité des usages peuvent s’épanouir. L’architecte doit-il s’effacer et proposer une enveloppe dans laquelle le futur occupant peut définir librement son habitat ? L’Atelier Provisoire développe, autour de Bordeaux, et ce, avec Aquitanis en tant que maîtrise d’ouvrage, une réelle démarche de recherche et de développement autour des problématiques de l’habitat.
1 - « Le cas paradigmatique des projets de logements collectifs corbuséens de l’entre-deux-guerres : la diversité du jeu des combinatoires » p.16-17, MARCHAND Bruno, JOUD Christophe, MIX Mixité typologique du logement collectif de Le Corbusier à nos jours, Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes, 2014 2 http://www. aquitanisphere.com/ innovation/ben-proj-18
Le projet expérimental BEN tend à proposer un logement collectif modulable sur lequel l’habitant a un pouvoir d’action réel. Les architectes, à travers un procédé constructif industrialisé (nommé sylvania)2, proposent un cadre, une trame, une enveloppe dans laquelle des plateaux libres se déploient et sur lesquels chaque occupant va avoir la possibilité de personnaliser son habitat. A l’exception de la cuisine, de la salle d’eau et des sanitaires, les pièces de vie ne sont pas définies dans l’espace. La trame est libre et l’habitant est alors impliqué dans le processus de conception dans le but qu’il puisse configurer lui-même son logement au moyen d’un jeu de cloisons en bois repositionnables. La durabilité du bâtiment réside dans sa capacité à évoluer. En fonction des besoins, de l’évolution de la cellule familiale, Aquitanis met à disposition, met en oeuvre des cloisons que l’on peut démonter pour en remonter de nouvelles. La simplicité du projet interroge le dénudement de l’architecture dans l’objectif de rationnaliser le logement collectif. Afin de permettre cette personnalisation, maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre ont développé des outils de médiation, de communication pour animer différents ateliers autour desquels tous les acteurs se rencontrent. Les occupants devenant alors acteurs à part entière dans l’organisation spatiale de leurs logements. A travers des maquettes, expression volumétrique du projet et outil de prédilection de l’architecte, les futurs habitants essayent de prendre part aux espaces en essayant d’aménager leur logement.
Plans ĂŠtages courants avec diffĂŠrentes configurations de cloisonnement - Atelier Provisoire - Aquitanis Bordeaux
http://www.aquitanisphere.com/ upload/documents/Dossier%20 BEN.pdf
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Quels types de configurations proposent les habitants lors de ces ateliers? Sont-ils dans la reproduction de schémas conventionnels de l’habité ou arrivent-ils à rompre avec les modèles classiques ? Dans ce processus atypique interroge aussi le rôle de l’architecte. Concepteur, médiateur, pédagogue ? Ne renouent-ils pas seulement à un processus de conception du logement collectif à l’image de celui de l’habitat individuel ? Pouvons-nous considérer que l’architecte a un rôle d’autant plus important dans la mise en place de la médiation auprès des occupants en plus de la relation avec la maîtrise d’ouvrage Aquitanis ? Pouvons-nous considérer que l’architecte a un rôle réduit à la conception d’une coquille « vide » ou alors d’un système d’habitat qui développe les concepts de flexibilité et d’adaptabilité de l’habitat ? De ce fait, on peut remettre en perspective le mot « maîtrise d’œuvre » qui institue une forme de domination1 de l’oeuvre. Ici, n’est-il pas question justement de lâcher prise et d’accepter de ne pas complètement maîtriser l’œuvre, l’édifice conçu et construit ?
1 - Définition «maîtriser» Larousse: Domination technique, intellectuelle, scientifique. Sûreté de l’exécution dans un domaine technique ou artistique.
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MIXITÉ: DE L’UNITÉ À L’ÉDIFICE, QUELLE DIVERSITÉ ? Mixité typologique, morphologique, fonctionnelle programmatique et sociale sont toujours plus de thématiques récurrentes dans l’architecture contemporaine voire même encadrée par la législation pour le cas de la mixité sociale1. La mixité est définie par le mélange de tout ce qui peut être différent. Que signifie réellement la notion de mixité ? Comment est-elle appréhendée dans la conception de l’habitat ?
Mixité typologique : assemblage et combinatoire Les typologies déclinées sont telles des unités autonomes qui, dans le contexte d’un édifice, viennent constituer un ensemble, une nouvelle logique qu’est l’habitat collectif. Comme nous avons pu le voir précédemment, les cahiers des charges établis par les différentes maîtrises d’ouvrages instaurent une répartition typologique souhaitée pour un projet précis en fonction de la demande de leur clientèle en matière d’habitats. Quel rôle joue l’assemblage du type dans la conception du logement collectif ? Toutefois, le logement collectif se résume-t-il à un assemblage d’unités ?
1 - « Mixité fonctionnelle, typologique et sociale », ELEB Monique, SIMON Philippe, Entre confort, désir et normes : Le logement contemporain 1995-2012, Mardaga, 2013, p.77 2 - Ibidem p.80
Le logement collectif est, par essence, un lieu de mixité typologique : différentes structures familiales vont cohabiter, faire collectivité dans le même lieu. La mixité par la taille et la distribution des logements est la plus simple à mettre en œuvre. En France, durant l’après-guerre, on construisait, pour un noyau familial classique qui s’est transformé, au fil des décennies, en des logements pensés pour chaque population précise en développant la notion de types2. Au sein d’un même projet se mêle différents types de logements avec, par conséquent, un mélange de classes d’âge, de groupes sociaux, de niveaux économiques. Cette mixité, instituée de fait par les cahiers des charges de la maîtrise d’ouvrage, existe dès que le logement collectif se compose de logements de différentes tailles. Ainsi, la dimension sociale est mêlée à la notion de mixité typologique. Quels sont les processus de mise en série des typologies ? Comment de l’unité fabrique-t-on la diversité ?
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Mixité typologique: procédés génériques
MARCHAND Bruno, JOUD Christophe, MIX Mixité typologique du logement collectif de Le Corbusier à nos jours, Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes, 2014
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Bruno Marchand et Christophe Joud posent donc la question de la mixité typologique par une analyse précise des modes opératoires les plus marquants d’assemblage employés par les architectes contemporains. Ils développent un classement de procédés génériques qualifiés par des termes qui mettent en lumière les possibilités de combinatoires et de mixité tout comme les manipulations morphologiques appliquées aux formes urbaines, mais aussi aux cellules, aux unités d’habitation1. Qu’est-ce que ces procédés nous apprennent-ils quant aux partis pris des architectes sur les processus de conception du logement collectif ? Qu’est-ce que ces procédés induisent dans les espaces habités ? Croiser, déployer, articuler, emboîter, décliner, coller, superposer, plugger et déformer sont autant d’actions de manipulations spatiales que de procédés opératoires2. Dans leur étude, Bruno Marchand et Christophe Joud s’emploient à décomposer la variété des types à l’échelle d’un étage, puis leur mode d’assemblage au sein de l’édifice. Ils poursuivent en présentant les qualités sensibles des espaces domestiques que fabriquent ces opérations de mixité. Enfin, ils interrogent l’expression architecturale produite au regard du mode d’assemblage face au contexte : comment se manifeste la diversité intérieure ? Y a-t-il véritablement une correspondance entre le jeu de combinatoires et l’enveloppe qui est l’expression de l’édifice dans son territoire ?
1 - « Introduction » p.5-7, MARCHAND Bruno, JOUD Christophe, MIX Mixité typologique du logement collectif de Le Corbusier à nos jours, Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes, 2014 2 - « La mixité typologique: procédés génériques» Ibidem p.50-51
Par exemple, le procédé de « coller » renvoie à une juxtaposition des typologies les unes à côté des autres, sans articulation, dans un étage courant qui se duplique. Ce système propose des typologies traversantes avec un minimum de deux orientations. Même si le collage est une manière simple d’envisager l’assemblage car les types se répétent au gré des étages en apportant une évidence dans l’aspect technique, la mixité typologique s’installe sur le même palier et se déploie le long de la rue. Alors que le principe de superposition définit un empilement de série d’étages types composés d’une unique typologie d’appartement, la mixité est, au contraire, comme isolée par la succession des niveaux. On remarque que le projet des 72 logements rue Léon Jouhaux à Bordeaux, pour Gironde Habitat et Nexity, développé actuellement par MOG architectes, repose sur ces modes opératoires génériques. En effet, le bâtiment d’accession sociale superpose un même plan d’étage courant avec une juxtaposition des types tandis que le bâtiment en locatif social se base davantage sur un système de superposition où certaines trames fusionnent pour proposer différents types d’appartements par niveaux. La définition faite pour l’action de « décliner » fait écho à tout le travail développé par Le Corbusier dans la Cité Radieuse de Marseille. Le principe
EmboĂŽter, dilatations. Neuefrankengasse - EM2N Architekten - ZĂźrich 2011-2013 http://www.em2n.ch/projects/ neufrankengasse
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de déclinaison, à partir d’un schéma typologique de base, s’adapte et se transforme localement sans pour autant perdre les « règles » que les architectes se sont fixés. En ce sens, au sein d’une trame constructive servant de support est produite une diversité d’habitats. L’exemple qui illustre ce mode opératoire est un ensemble résidentiel à Baar conçu par Graber Pulver Architekten. Cependant, même si la diversité est accentuée par une variation de typologies, le système de distribution, réunissant deux logements par étage, est bien loin de la recomposition d’une rue intérieure autour de laquelle la mixité se retrouve comme à Marseille. On peut alors se demander en quoi les procédés d’assemblage des types peuvent définir un équilibre au sein de l’habitat collectif entre la vie « seule » et la vie « avec ». L’assemblage des cellules est-il capable de façonner une véritable communauté au cœur de l’édifice ? D’autres procédés sont empreints de complexité à la hauteur des typologies développées par les architectes. La conception d’une spatialité singulière de l’habité induit un jeu de combinatoire tel un Tétris qui tend à exploiter les trois dimensions disponibles de l’espace. L’emboîtement exploite le principe d’imbrication, dans la coupe, de certaines pièces ou parties du logement. Les espaces s’intercalent entre les différents niveaux par le biais de doubles hauteurs ou de demi-niveaux. L’espace habité se met en mouvement et n’est plus uniquement contenu entre un sol et un plafond distanciés d’un espace constant. Dans le projet de Neufrankengasse à Zurich, EM3N Architekten compose l’espace intérieur avec une forte intériorité par jeu de compression et de dilatation qui s’ouvre généreusement sur les paysages urbains. Dans le déploiement, le plan est déroulé pour explorer les grandes profondeurs ou maximiser le développé de façades. Ce processus, en coupe, instaure des duplex qui se déploient longitudinalement offrant ainsi une sensation d’espace continu entre les niveaux du duplex comme on peut le retrouver dans le projet de Brunnmatt-Ost à Berne de Esch Sintzel Architekten. Malgré cette complexité du processus de conception, elle est comme gommés par des enveloppes plus homogènes et uniformes. Comment pouvons-nous établir un lien entre la combinatoire des typologies et le contexte dans lequel l’édifice s’implante ? Comment s’influencent-ils l’un et l’autre ? Ce qui est tout autant intéressant, c’est ce que Bruno Marchand et Christophe Joud choisissent de ne pas de développer davantage. Dans leur introduction, ils expliquent sans détour les limites de leur approche tant par rapport à l’insertion du projet dans son contexte et la dimension sociale comme culturelle. La complexité de la production architecturale en matière de logements nécessite, comme ils le démontrent, de fragmenter
la question pour ensuite questionner les « morceaux », les thématiques, les unes par rapport aux autres. De cette façon, revenir éclairer cette étude au prisme des différents contextes qu’ils soient territoriaux, sociaux ou économiques serait indispensable. Leur recherche introduit le contexte dans lequel les différents exemples de projets s’insèrent uniquement sous le regard de son influence dans le combinatoires spatiales. Quel est notre lien au territoire dans nos manières de concevoir l’habitat ? Quel est notre lien au territoire dans l’habité ?
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1 « Nouveau positionnement des acteurs », p.101, LUCAN Jacques, Où va la ville aujourd’hui ? Formes urbaines et mixités, Editions de la Villette, Paris, 2012 2 - « Mixité fonctionnelle, typologique et sociale » p.77, ELEB Monique, SIMON Philippe, Entre confort, désir et normes : Le logement contemporain 1995-2012, Mardaga, 2013, 3 - Ibidem p.78 4 « Mixité morphologique », p.151, LUCAN Jacques, Où va la ville aujourd’hui ? Formes urbaines et mixités, Editions de la Villette, Paris, 2012 5 Conférence de Nicolas Michelin le 9 novembre 2010 à la Cité de l’architecture et du patrimoine, Paris, « Mixité programmatique : « horizontale » ou « verticale »», p.139, LUCAN Jacques, Où va la ville aujourd’hui ? Formes urbaines et mixités, Editions de la Villette, Paris, 2012 6 - Ibidem p.139
Des mixités garantes de diversités ? Les principes d’aménagement urbain évoluent et ces nouveaux processus de fabrication de la ville induisent en conséquence de nouvelles formes. Diversité architecturale, mutualisations d’équipements, mixité programmatique et sociale sont de réels leitmotiv des aménageurs, des architectes et des maîtres d’ouvrages1. De plus en plus complexes, les opérations immobilières de logements rendent les limites floues entre ce qui relève du public, du semi-public ou semi-privé et du privé. Les opérations de logements contemporains mêlent les types architecturaux, appelées opérations mixtes, regroupant collectif et individuel ; les types de logements faisant référence aux typologies tout comme aux morphologies ; les différents modes de financements entre accession et locatif de marché libre, accession sociale et locatif social ; mais aussi une multiplicité de programmes où l’habitat rencontre commerces et équipements2. En France, la mixité sociale est encadrée par la législation avec deux lois : la Loi d’Orientation sur la Ville (LOV) en 1991 puis la loi sur la Solidarité et le Renouvellement Urbain (SRU) de 2000. Leur objectif est de promouvoir la mixité au sens large. Dans un premier temps, la loi souhaite établir une meilleure répartition de logements sociaux sur le territoire en faisant disparaître les phénomènes de ségrégation3 et de gentrification même si on observe un retard dans l’application de la loi. Toutefois, une volonté forte émane de garantir une diversité et de reconstituer des liens sociaux entre les habitants avec le rejet des quartiers monofonctionnels4 inventés par le 20ème siècle où règne une homogénéité. En ce sens, les quartiers uniquement destinés à l’habitat ou l’exercice professionnel intallent, dans ces lieux, des temporalités restreintes et les quartiers sont désertés à certaines périodes de la journée. La fabrique urbaine tend à renouer avec la conception d’une ville plurielle. Ainsi, la rue s’impose comme un « vecteur de ville » et un « vecteur social », pour Nicolas Michelin, car elle donne à l’habitant une adresse5. L’architecture contemporaine devient, en quelque sorte, l’outil, l’instrument de cette recherche de mixité et de sa mise en oeuvre. Qu’en est-il réellement ? Comment la création de lien social est-elle envisagé ? Les nouveaux quartiers proposent deux réponses morphologiques à la mixité : la mixité « horizontale », que l’on appelle aussi mixité par contiguïté, et la mixité « verticale » comme le développe Jacques Lucan6. Quelles sont les conséquences de ces deux types de conception de la mixité ?
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Plan masse phase concours 72 logements rue Léon Jouhaux - mixité par contiguïté MOG architectes + Let’s Grow (Freddy Charrier)
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1 - « Mixité fonctionnelle, typologique et sociale » p.82, ELEB Monique, SIMON Philippe, Entre confort, désir et normes : Le logement contemporain 1995-2012, Mardaga, 2013 2 - « La mixité typologique à l’aune des ressorts projectuels multiples et hybriques » p.108-112, MARCHAND Bruno, JOUD Christophe, MIX Mixité typologique du logement collectif de Le Corbusier à nos jours, Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes, 2014 3 - WOGENSCKY André, Pourquoi les unités d’habitation, mars 1982, cité dans SBRIGLIO Jacques, Le Corbusier L’Unité d’habitation de Marseille, Editions Parenthèses, Marseille, 1992, dans MARCHAND Bruno, JOUD Christophe, MIX Mixité typologique du logement collectif de Le Corbusier à nos jours, Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes, 2014, p.110
En prenant une nouvelle fois pour exemple le projet de MOG architectes des 72 logements rue Léon Jouhaux à Bordeaux, nous sommes dans le principe de mixité par contiguïté. Le cahier des charges de Gironde Habitat et de Nexity scinde en trois bâtiments les différents types de logements. D’un côté, l’accession libre en tête de proue pour Nexity. De l’autre, Gironde Habitat se déploie en deux bâtiments dont l’un est destiné à de l’accession sociale et l’autre du locatif social. Au sein de la même opération de logements, les programmes répartis selon les trois bâtiments cependant traités de façon homogène de façon à produire une unité malgré leurs destinations différentes. Ainsi va se côtoyer le long de la même rue locataires et propriétaires ayant des revenus, des statuts et des âges divers. La mixité horizontale définit alors une mixité par juxtaposition programmatique. Ce principe de mixité était déjà d’actualité en 1920 dans la ceinture d’Habitations à Bon Marché (HBM) et d’Immeubles à Loyer Modéré (ILM) où la différence de statuts entre les immeubles est masqué. Il y avait alors une volonté de maintenir le flou sur le « standing » de chaque immeuble1. Malgré cette promotion de la mixité et sachant que ces différents types de programmes de logements n’ont ni les mêmes financements, les mêmes commanditaires ; il est regrettable que le « chacun chez soi » reste de mise avec la séparation des bâtiments les uns des autres et en fabriquant des entrées distinctes. La mixité sociale souhaite tendre vers un équilibre et, pour cela, la participation des habitants au projet est essentielle. Il est nécessaire de penser aux croisements des différentes pratiques, des divers usages pour concevoir des projets en adéquation avec les modes de vies et, à terme, avec davantage de sens. La mixité sociale est-elle forcément garante du lien social ? Hormis la mixité typologique et sociale, ne faut-il pas proposer de réels lieux de collectivités pour laisser libre cours à la diversité, à l’espace de la communauté afin de redonner une réelle signification à la notion de mixité? La mixité ne devrait-elle pas reposer sur la volonté de constituer une communauté destinée à renouer avec la valeur d’un « vivre ensemble » qui émerge, en réaction à un contexte économique difficile2 ? Le Corbusier, en gratifiant les Unités d’Habitation de « grandeur conforme », signifiait, selon André Wogenscky, que « cette grandeur n’est pas arbitraire mais correspond à une juste échelle de groupement collectif, à une unité de caractère sociologique telle que le village ou la petite ville3 ». L’expression de la communauté ne doit-elle pas surpasser le partage
d’activités et la mutualisation de services en requestionnant la cellule de l’habitat même et son rapport à l’édifice ? Comment réaffirmer la dimension sociale du groupe au-delà de l’individu ? Pour Bruno Marchand et Christophe Joud, l’habitat n’est plus aujourd’hui le contenant d’une famille type disposée dans une structure d’accueil mais il est l’opportunité de fonder un outil de mixité sociale et générationnelle1. Le lieu et le contexte sont des conditions indissociables de la réflexion de l’habitat et de l’habité. Tous les regards s’orientent vers des contextes urbains, toutefois, on peut s’interroger sur l’enseignement que l’on peut tirer de la ruralité pour questionner l’urbain. La notion d’échelle décline également les échelles des rapports entre l’individu et les autres. Une réelle proximité est induite par la petite échelle et le village est souvent considéré comme un symbole de collectivité. Entre individualité et collectivité se situe le voisinage. Peut-on renouer avec la valeur du « vivre ensemble » dans l’urbain comme dans le rural ? Tant dans l’habitat que dans l’espace public fabriquant une urbanité rurale, nous quittons les grandes échelles métropolitaines qui instaurent une vision comme « hors sol » pour se confronter à des échelles maîtrisables. Comment les échelles de l’habité entrent-elles en résonnance avec leur contexte, leur territoire ?
1 - « La mixité typologique à l’aune des ressorts projectuels multiples et hybriques » p.110, MARCHAND Bruno, JOUD Christophe, MIX Mixité typologique du logement collectif de Le Corbusier à nos jours, Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes, 2014
Collage - Claire Trotignon
http://www.laboiteverte.fr/lespaysages-parcellaires-batis-declaire-trotignon#jp-carousel-48795
ESPACES, LIEUX ET PAYSAGES: LES TERRITOIRES DE L’HABITÉ
ALPAGE DE BISE 1502 M
LAC DE NEUTEU <<< PARCOURS DU GR5 TRAVERSEE DES ALPES >>>
ALPAGE D’UBINE 1470 M
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COL DE BISE 1915 M
LA-HAUT
LE TOIT NUMERO 17
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COL DE PAVIS 1944 M
ALPAGE DE DARBON 1637 M LES SOMMETS
LES ALPAGES LE TOIT NUMERO 17, D’UNE SAISON A L’AUTRE reinventer le refuge sur le refuge
habitats pour les eleveurs, les bergers
utilisation des etables existantes
LA FABRIQUE. A L’ANNEE cooperative fruitiere fabrique de fromages
cantine salle pour le village
LE VILLAGE
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Carte dynamique de l’ascension - PFE mention recherche Tamara Decroux
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L’habité, tel un ensemble de rapports entretenus à l’espace et au territoire, se distingue de l’habitat entendu comme un cadre matériel bâti selon des traditions, des normes ou des doctrines. Dans le sens où l’habité est un ensemble de rapports humains, il en découle une réelle nécessité de prendre en compte le corps et l’expérience sensorielle de l’espace, l’épreuve spatiale1. Comment l’habitat et l’habité peuvent se questionner mutuellement entre espace concret et espace ressenti ? Comment déployer une « éthique de l’espace2 » dans la pratique contemporaine de l’architecture ? Il me semble intéressant de sortir de la métropole afin d’aller vers des paysages, des territoires et repenser les échelles de l’habité au sens large du terme. Pour mon projet de diplôme, j’ai tenu à « retourner » sur le territoire de mon enfance que je n’avais jamais eu l’occasion de regarder en tant que tel. L’idée, au fur et à mesure, était alors de réfléchir à un processus de projet en prise avec son territoire et son contexte géographique, paysager, économique et social. Le territoire n’est pas qu’un paysage, c’est aussi une structure économique et sociale dont l’empreinte est contenue dans l’espace du paysage.
1 MOREL-BROCHET Annabelle, « Un point sur l’habiter. Heidegger, et après… », résumé fait du livre de Paquot Thierry, Lussault Michel, Younès Chris (dir.), Habiter, le propre de l’humain. Villes, territoires et philosophie, Paris, Éd. La Découverte, Collection Armillaire, 2007, site Espacestemps. net, 4 novembre 2008 http://www.espacestemps. net/articles/un-point-surh a b i t e r- h e i d e g g e r- e t apres/ 2 - Ibidem
La Vallée d’Abondance se situe au cœur du territoire alpin et se caractérise par un schéma spatial qui découle du système d’agriculture mono-orienté vers l’élevage pour la production de lait. La vallée met des villages en relation dans son sillage, puis autour de chaque village gravitent des alpages, propres à la tradition de la transhumance et qui fabriquent des seuils avant les sommets. Avec la perte de vitesse de l’élevage, les liens entre le village et ses alpages se sont distendus. Un clivage entre le haut et le bas de la vallée s’est manifesté avec le développement du tourisme d’hiver en quête des sommets. Quelle nouvelle identité peut-on imaginer et développer pour ces villages en retrait toutefois porteur de potentiels ? Le village de Vacheresse s’insère dans la vallée entre les domaines skiables et l’influence du pourtour lémanique. L’idée de ce projet est de réaffirmer la dynamique de l’ascension (village / alpages / sommets), historiquement présente par la transhumance, à travers le développement économique autour de l’élevage encore présent dans ce lieu. Le projet s’appuie sur une correspondance du vecteur économique qui prend forme au village telle une convergence qui va se poursuivre par des interventions satellites dans les alpages. En ce sens, ce vecteur économique tente de réunir les agriculteurs pour regrouper les forces autour de leur production mais surtout autour de la transformation et de la valorisation de leur production laitière en
La fabrique - PFE mention recherche Tamara Decroux
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fromages. Imaginer de nouvelles solidarités spatiales pour construire du « bien commun ». Le village, étant le lieu de convergence autour duquel gravite les alpages pour la production estivale, on peut déployer une intensité au village en créant une coopérative fruitière pour transformer la production laitière des élevages de chèvres et de vaches en fromages. Mais aussi, la notion de pluralité des activités autour de cette impulsion économique est importante pour venir fédérer le village et ses habitants autour du projet. Le regard porté sur Vacheresse va donc permettre d’établir les « manques » pour construire une ouverture du programme qui va faire corps avec le lieu. L’impulsion au village doit avoir sa résonance dans l’alpage afin de reconnecter les parties d’un tout. Même si le nombre de troupeaux est limité, la transhumance estivale des troupeaux perdure et certains éleveurs poursuivent ces pratiques traditionnelles. Elevage et habitat ont souvent été regroupés sous le même toit: il y a donc un lien évident entre « habiter-travailler » dans cette région. L’ouverture programmatique a déjà été amorcée à Bise avec un vecteur touristique avec un refuge actuellement fermé et un restaurant d’altitude. Comment réinterpréter cette façon d’habiter l’alpage? Ainsi, chaque lieu est l’opportunité de déployer des programmes répondant aux contextes du territoire : comment faire se rencontrer cette idée avec les lieux choisis qui ont chacun leurs identités, leurs matérialités et leurs atmosphères? Une remarque émise lors de la soutenance me pose question. Un membre du jury a qualifié les sites choisis comme ingrats. On peut alors se demander qu’est-ce que la qualité du territoire ? Qu’est-ce qui fait un territoire « de qualité » ? Les territoires ne sont-ils pas tous porteurs de potentiels en fonction du regard qu’on leur adresse ? Le rural est un territoire aux nombreux enjeux, souvent délaissé, méprisé au profit de l’urbain, tandis que la notion d’urbanité rurale tente de renouveller et développer ces lieux, ces paysages en retrait ou en déclin. Le rural est l’occasion de faire l’expérience, de faire émerger d’autres rapports pour instaurer une proximité entre les habitants, les maîtrises d’ouvrages et l’aménagement du territoire. L’habité sort, « hors les murs », et s’ancre, tisse des relations fortes avec son territoire en faisant écho aux paysages de ressentis. A terme, qu’est-ce que « faire paysage » ?
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LES PAYSAGES INTÉRIEURS DE L’HABITAT L’expérience phénoménologique peut être associée à la perception de l’espace, question que les architectes et les critiques modernes ont tenté de s’emparer1. Dans l’idée de questionner l’espace vécu, le rapport entre la spatialité, l’atmosèphère et les perceptions à travers l’habitat, il semble intéressant de considérer l’intériorité comme un « paysage » à part entière que le corps vient habiter : un paysage intérieur.
Perspectives intérieures
1 - « Phénoménologie 3. Atmosphère et spatialité » p.161, LUCAN Jacques, Précisions sur un état présent de l’architecture, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2015 2 GIEDION Sigfried, Espace, temps, architecture. La naissance d’une nouvelle tradition, Bruxelles, 1968, p.272 3 - « Phénoménologie 3. Atmosphère et spatialité » p.161, LUCAN Jacques, Précisions sur un état présent de l’architecture, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2015 4 - Ibidem p.164-165 5 - Ibidem p.163
« L’essence de l’espace tel qu’il est saisi dans sa variété, consiste dans les possibilités infinies de ses rapports internes. On ne peut en donner, à partir d’un seul point de vue (point of reference), une description exhaustive. Son aspect change suivant le point à partir duquel il est perçu. Le spectateur doit se mouvoir lui-même à l’intérieur de l’espace s’il veut en saisir sa véritable nature.2 » Siegfried Giedion, dans son ouvrage Espace, temps, architecture, fait le lien entre la perception de l’espace et la question de l’espace en mouvement3. Le déplacement du corps dans l’espace multiplie les point de vue. On peut compléter ceci avec la précision que fait Maurice Merleau-Ponty quant à la perception : selon lui, la perception est d’abord appréhender le tout avant de pouvoir en distinguer les parties4. Telle une « promenade », les paysages intérieurs de l’habitat pourraient se construire dans la création de perspectives, de transparences ; une succession de tableaux, qualifiée de pittoresque par Jacques Lucan5. Sensations de dilatations, de compressions, de vues démultipliées et de séquences qui se déploient selon les pas des habitants. Comment ces principes peuvent venir transcender les typologies « génériques » qui fabriquent le logement collectif d’aujourd’hui ? L’architecte est concepteur de spatialités et par extension de séquences spatiales. Comment est-il possible d’en offrir davantage à l’habitat afin de composer un réel habité ? La théorie du Raumplan d’Adolf Loos, soit « le plan dans l’espace », déploie autant une philsophie qu’une réelle poétique de l’architecture bien que
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1- The diagonal view Moller House, Adolf Loos, Vienne, 1927-1928 https://architecturality.wordpress. com/tag/transparency/
2- AxonomĂŠtrie, MĂźller House, Adolf Loos, Vienne, 1929-1930 https://architecturality.wordpress. com/tag/transparency/
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1 - « Trotzdem», FANUELE Felice, Adolf Loos 18701933, Ed. Mardaga, Liège, 1985, p.12 2 - « Les pièces ont, selon leur destination et leur signification, non seulement des dimensions mais aussi des hauteurs différentes » KULKA Heinrich, dans MARCHAND Bruno, JOUD Christophe, MIX Mixité typologique du logement collectif de Le Corbusier à nos jours, Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes, 2014, p.114 3 - Expression inventée par Raymond Fischer qui a étudié à l’école d’Adolf Loos, WYETH Peter, adapté par Michel CORBE, « Raumplan VS Plan libre, le monde d’hier », Chronique Courrier de l’architecte, 29 octobre 2014 4 ZUMTHOR Peter, Atmosphères, Bâle, 2010, p.41 5 - HOLL Steven, Parallax, New York, 2000, p.22 dans « Phénoménologie 3. Atmosphère et spatialité » p.163, LUCAN Jacques, Précisions sur un état présent de l’architecture, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2015 6 FUJIMOTO Sou, Primitive Future, Tokyo, 2008, p.45
cette théorie soit formelle, compositive et pensée comme le support du mode de vie de l’homme moderne1. Les principes spatiaux fondateurs du Raumplan tendent à développer une hiérarchie ainsi qu’une articulation spécifique des espaces de l’habitat entre eux, tout comme entre intérieur et extérieur . Loos traduit la hiérarchie des différents espaces de l’habitat en leur attribuant des propriétés spatiales en corrélation avec leurs fonctions et leurs significations dans leurs surfaces que dans leurs hauteurs2. L’habité se conçoit et se hiérarchise dans ses trois dimensions. Au cœur de l’habitat, Adolf Loos articule les spatialités entre elles en déployant seuils, transitions avec notamment une attention particulière aux escaliers. Un jeu de perspectives est déplié tant dans un principe d’espaces qui « se regardent » que dans la mise en relation des espaces de l’intérieur vers l’extérieur. Le Raumplan esquisse un « chemin aérien3 » dans les trois dimensions de l’habité qui trouvera sa résonnance quelques années plus tard dans la promenade architecturale de Le Corbusier pour apporter une autre dimension au plan libre. On peut alors s’interroger sur la correspondance qui existe entre les dispositifs spatiaux et la perception. Adolf Loos rappelle, dans ce concept typologique, l’importance de penser l’espace dans ses trois dimensions. N’y en a-t-il pas une quatrième ? L’architecture n’est pas seulement un art de l’espace mais est encore un « art du temps4 » comme l’exprime Peter Zumthor. Comment peut-on appréhender la question de la temporalité dans la conception de l’espace vécu ? L’architecte Steven Holl développe l’idée que l’espace, en tant que médium essentiel de l’architecture, transmet une expérience phénoménologique. Il définit dans les années 2000 une « approche à « perspective multiples »5 » dans la conception d’un bâtiment tout comme dans le rapport que ce dernier engage avec son environnement. Est-ce que notre déplacement dans l’espace suffit à intégrer cet « art du temps » ? « A chaque pas la vision intérieure de la maison se transforme et un nouveau paysage (scenery) apparaît6.» Sou Fujimoto énonce l’idée que l’habitat se transcende avec la dimension du mouvement du corps dans l’espace en créant une multitude de paysages intérieurs : l’habité. Dans son ouvrage Primitive Future, l’habitat culturel développé dans l’architecture contemporaine japonaise tend à considérer l’espace comme un milieu, « une topographie qui n’est pas différente d’un paysage ». De plus, l’espace du paysage se caractérise par une interrelation entre
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1- Lâ&#x20AC;&#x2122;habitat comme un milieu, White U, Toyo Ito, Tokyo, 1976 http://paradisebackyard.blogspot. fr/2014/12/toyo-ito.html
2- Atmosphères et paysage ininterrompu, White U, Toyo Ito, Tokyo, 1976
http://www.lemonde.fr/culture/ portfolio/2013/03/18/toyo-ito-40ans-d-architecture_1849664_3246. html
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1 - « Le lieu et l’ouvert » p.18, KIMMEL Laurence, L’architecture comme paysage Alvaro Siza, Editions Petra, Paris, 2010 2 - « Paysage et milieu» p.211-216, LUCAN Jacques, Précisions sur un état présent de l’architecture, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2015 3 « Conversation Between Ryue Nishizawa and Sou Fujimoto », Sou Fujimoto 2003-2010, El Croquis, n°151, 2010, p.18
le sujet et l’objet. C’est ainsi que la relation entre le regardeur et le champ de perception fonctionne dans les deux sens. Laurence Kimmel apporte une définition du paysage qui fait écho aux expérimentations de l’architecture comme paysage : « Un ensemble de formes, du proche au lointain, qui fait sens spatialement par cette multiplicité (que ce sens soit souhaité ou non par un concepteur). (…) La capacité à habiter le paysage est propre au projet. Le visiteur doit pouvoir ressentir une qualité spatiale de ces espaces entre formes et définir sa présence variable aux lieux. (…) L’expérience de « l’espace du paysage » est celle de la perception d’un paysage (tel défini plus haut), qui oscille entre perte des repères et retour d’une perception des formes qui définissent un espace. Cet espace a comme caractéristique de « se développer » vers le lointain ou vers le proche (…)1. » L’architecte Toyo Ito a été un précurseur dans l’appréhension de l’espace interrompu2, de la notion d’espace liquide de l’habité tant avec l’habitat avec la Maison White U que dans l’édifice public de la Médiathèque de Sendaï. La Maison White U conçoit un effacement des limites afin d’offrir un paysage continu au cœur de l’habitat. L’espace liquide exploite la continuité spatiale. La dimension liquide matérialise en quelque sorte le milieu dans lequel on évolue. Toyo Ito fait référence autant au plan libre de Le Corbusier que la conception spatiale de Mies van der Rohe. L’espace liquide surpasse la disposition libre des « organes » ou une disposition de parois justement car il façonne un milieu. L’espace continu et interrompu exprime la condition d’une liberté d’action des habitants qui peuvent influencer sur l’habité. La création d’un milieu questionne : comment l’architecte en fait-il une définition autant matérielle, spatiale et sensorielle ? La question de l’habitat culturel se pose donc du point de vue de l’équilibre entre territoire personnel et lieu de collectivité au sein même de l’habitat. Ces principes de conception de l’habité seraient-ils culturellement acceptés en Europe ? Dans son ouvrage Primitive Future, Sou Fujimoto, entend renouer avec les gestes essentiels et se remémorer l’interaction entre l’homme et l’espace, et « la façon d’exister de l’homme à l’origine3 ». On peut alors effectuer un rapprochement entre ces propos à ceux de Toyo Ito qui refuse de limiter les espaces à des usages spécifiques dans des pièces clairement définies. Est-ce que cette liberté d’usages et d’appropriation offre la possibilité à l’habité de prendre en considération la dimension temporelle ? La quête de l’atmosphère de Peter Zumthor explore cette question en mettant l’accent sur le milieu dans lequel on se retrouve plongé plutôt que dans les effets cinétiques, de contrastes de séquences induits par la
mise en mouvement du corps dans l’espace. Même si les déplacements du corps tendent à démultiplier les sensations, l’individu développe le ressenti d’être « enveloppé » dans un lieu. La sensation d’être enveloppé dans un lieu n’est-elle pas en lien avec l’état de la matérialité ? Ne faitil pas écho à l’interdépendance entre espace et matérialité dans une appréhension physique de la spatialité ? Zumthor adopte une position « romantique » en opposant, ce qu’il appelle, « la magie des faits, la magie du réel » à la « magie de la pensée1 ». La magie du réel réside davantage dans l’atmosphère d’un espace que dans l’expression d’une forme. La sensation d’atmosphère est, selon lui, immédiate, fulgurante et elle précèderait tout raisonnement. L’expérience phénoménologique serait de l’ordre de la connaissance intuitive au détriment d’une connaissance « savante2 ». L’architecture peut-elle concevoir l’intuition, anticiper l’émotion ? L’expérience de l’espace vécu implique tous les sens de l’habitant du lieu. L’ambiance visuelle, sonore, olfactive implique le spectateur à l’intérieur du dispositif intérieur qu’est l’édifice. L’atmosphère est donc dépendante de paramètres visuels et sensoriels qui sont autant d’outils de la conception architecturale : lumière, matière, configuration spatiale, odeur et sonorité. Une transition s’opère entre l’univers intérieur et le contexte dans lequel cette intériorité va prendre corps. Comment les paysages intérieurs interagissent-ils avec le territoire ?
1 ZUMTHOR Peter, Atmosphères, Bâle, 2010, p.19 2 - « Phénoménoligie 3. Atmosphère et spatialité» p.165-166, LUCAN Jacques, Précisions sur un état présent de l’architecture, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2015
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Dialectique entre intérieur et extérieur « Seuils, passage, petite ouverture pour se faufiler, transition imperceptible entre intérieur et extérieur, une incroyable sensation du lieu, de la concentration, lorsque soudain cette enveloppe est autour de soi et nous rassemble et nous tient, seul ou en groupe1. » Quels paysages percevons-nous à travers le prisme de notre habitat ? Quels rapports établissons-nous avec notre environnement, notre territoire proche comme lointain ? La relation entre les paysages intérieurs, déployés dans l’intériorité de l’habité, et du contexte, qu’il soit urbain ou rural, définit d’emblée une tension entre l’intérieur et l’extérieur. Accentuer l’épaisseur d’entre deux ou faire disparaître les frontières de l’espace : comment peut-on envisager l’interface et, par extension, l’articulation entre l’intérieur et l’extérieur ? Dans les typologies « génériques » détaillées précédemment, on remarque que la notion de seuil, d’espace tampon que fabrique l’entrée entre le public et la vie intime de l’habitat, disparaît progressivement. Du fait que les superficies des logements se réduisent, cet espace de transition a été récupéré au projet de l’habitat lui-même. Toutefois, la porte d’entrée demeure le lieu d’articulation par essence entre l’unité qu’est l’habitat et le caractère collectif de l’édifice ou l’espace public dans le cas de l’habitat individuel. Ce seuil symbolise de façon forte une mise à distance et il est le garant de l’intimité vis-à-vis du public. En ce sens sa matérialité, son épaisseur et sa spatialité établissent autant symboliquement que concrètement la relation de l’individu par rapport à son environnement immédiat.
1 ZUMTHOR Peter, Atmosphères, Bâle, 2010, p.45 2 - BERQUE Augustin, Du geste à la cité. Formes urbaines et lien social au Japon, Paris, 1993, p.82 dans, « Paysage et milieu» p.226, LUCAN Jacques, Précisions sur un état présent de l’architecture, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2015
Dans l’architecture japonaise, le « shakkei », ou l’emprunt de paysage, est une « structuration (qui) attire en quelque sorte les lointains dans l’intimité de l’espace domestique, en occultant volontairement ce qu’il y a dans l’intervalle, c’est-à-dire le paysage urbain2 ». En attirant les lointains, on assiste à la mise en exergue de la profondeur de champ, le dépassement et l’effacement des limites entre intérieur et extérieur. La fenêtre devient cadrage, il devient fragment de paysage défini comme la toile de fond de la vie quotidienne. Par exemple, dans la Casa Mirador construite par RCR arquitectes entre 1997 et 1999, le cadrage se déploie comme une thématique autant dans qu’à travers le bâtiment. Cette maison n’est pas sans rappeller la Resor House, premier projet aux Etats-Unis dessiné par Mies van der Rohe entre 1937 et 1939. Les esquisses produites par ce dernier exploraient la disparition totale de l’intérieur ne laissant apparaître que
Entre intérieur et extérieur, Resor House, Ludwig Mies van der Rohe www.moma.org
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les poteaux métalliques et le cadrage sur le paysage pincé entre les deux horizontales formées par le sol et le plafond. Mies van der Rohe annonce la dématérialisation entre les deux milieux et qui met en tension l’intériorité et son contexte. Le dispositif du cadrage fabrique un lien entre deux lieux qu’ils soient intérieurs, extérieurs ou bien en tension entre les deux. Comment le corps entre en relation avec le cadre, cette portion de territoire choisie ? De plus, RCR arquitectes, sensibles aux territoires dans lesquels ils évoluent, développent la notion de transparences qualifiées. Les vides, le translucide, les opacités, les transparences façonnent l’interface du dialogue entre l’édifice et son lieu. Chaque projet est l’occasion de requestionner le traitement des limites en rapport étroit avec le lieu. Sou Fujimoto, fasciné par ce lien qu’entretiennent architecture et nature, fabrique pour la Maison N une succession d’écrans perforés de cadres, filtres graduels, dans lequel le concept de paysage devient capable « d’intégrer ville, région, quartier, architecture et jardin – un paysage qui définit des manières de vivre1 ». La maison devient poreuse à travers les cadrages qui offrent des transparences, des vues privilégiées sur le ciel, la ville, l’intériorité de la maison. Les frontières se brouillent entre dedans, dehors. Sou Fujimoto, à travers la maison, développe pour les habitants une interprétation, une mise en scène de son environnement qui se met en mouvement avec les déplacements du corps dans l’espace.
1 NYSHIZAWA Ryue, « Interview : Experience of Architectural Concepts », A+U, n°512, p.68 2 - « Perceptions », conférence de Carme Pigem - RCR arquitectes, Entretiens de Chaillot, 1h27, Paris, 6 janvier 2012
La fusion du bâtiment avec son environnement naturel est un fantasme expérimenté par bon nombre d’architectes. Les frontières deviennent floues, poreuses. L’architecture de l’habité se dématérialise. Comme nous avons pu le voir, RCR arquitectes tendent à questionner la dématérialisation. Leur travail sur la qualification des transparences introduit la problématique du reflet comme créateur d’une démultiplication des perceptions. Un déploiement d’une succession d’écrans, de transparences fabriquent des reflets qui nous font perdre nos repères entre intérieur et extérieur. Ils tentent d’expérimenter des spatialités dans lesquelles le dedans et le dehors ne semblent faire qu’un. L’architecture ne serait-elle pas le support même de ces perceptions ? En usant du cadrage, des transparences qualifiées, la multiplication des écrans, des calques, la dématérialisation poussée à l’extrême ainsi que dans la matérialité de ces derniers, il est alors toujours question du regard. La vision de RCR arquitectes est intéressante quant au rapport au lieu dans l’envie de façonner quelque chose avec ce dernier, tout en mettant en tension le paysage et l’architecture. Le paysage n’est pas vu comme quelque chose de naturel mais plutôt comme le résultat de la rencontre entre l’Homme et la nature, un espace humanisé2.
Peter Zumthor partage également leur définition du paysage : « Le paysage contient de l’histoire. Les gens ont toujours habité et travaillé dans le paysage. Parfois, le paysage en souffre. Pourtant, en bien ou en mal, l’histoire de notre relation avec la terre est inscrite dans le paysage – et c’est pourquoi nous parlons de « paysage culturel ». Outre le sentiment de faire partie de la nature, le paysage me donne donc aussi celui d’avoir un lien avec l’histoire1. » L’espace habité ne tendrait-il pas à définir, à fabriquer de lui-même un nouveau paysage ?
1 « Architecture et paysage » p.95, ZUMTHOR Peter, Penser l’architecture, Birkenhauser, Bâle, 2010
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INTERPRÉTATION DU CONTEXTE: LE PROJET COMME NOUVEAU PAYSAGE
L’objet architectural s’exprime souvent tel une figure qui n’a pas besoin de fond, comme avait pu le dire Rem Koolhaas des grands bâtiments si grands qu’ils devenaient eux-même fond et forme1. Comment peut-on redéfinir la relation entre la forme et le fond afin de nouer un lien fort entre l’architecture et son lieu ? Un rapport de réciprocité est-il envisageable ? En opposition, Jacques Lucan définit les œuvres aux « visions situées » qui tendent, en tant que figures ne peuvent exister que dans le rapport qu’elles entretiennent avec le fond dans lequel ou sur lequel elles s’inscrivent2. Quel est le sens de l’architecture dans son lien avec le territoire ? N’y a-t-il qu’un sens ? Il est demandé à l’architecte de se positionner dans la problématique de l’urbain, de « faire » la ville. Cette latitude est-elle réellement octroyée dans le quotidien d’une agence d’architecture ? Le projet s’insère dans un lieu, un contexte, un territoire. Le projet vient construire, moduler, modifier le paysage existant. Le projet devient alors un corps dans ce nouveau paysage. La responsabilité de l’architecte quant à la fabrication de ces nouveaux paysages est indéniable. Quelles pensées développons-nous pour nos territoires ? Faire la ville, faire le paysage : comment ?
Objet architectural autonome et architecture contextuelle
1 - « Paysage et milieu» p.207, LUCAN Jacques, Précisions sur un état présent de l’architecture, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2015 2 - Ibidem p.207
Herzog et de Meuron adoptent dans les années 1980, pour beaucoup de leurs projets, des formes simples. Au gré de leurs projets, leur conception volumétrique se libère de l’orthogonalité dans un processus continu qualifié de diagrammatique : d’un contour initial s’attachant aux limites de la parcelle sur laquelle le bâtiment s’implante, ce dernier s’éloigne, se tord, pour répondre à des raisons réglementaires, fonctionnelles ou pour des volontés architecturales et urbaine. Le processus de projet continu, ce contextualisme tend à produire une forme qui devient une « figure » singulière indissociable de là où elle se trouve même si, paradoxalement, on retrouve une familiarité dans leur production architecturale. Est-ce
Prismatique, Prada Aoyama, Herzog et De Meuron, Tokyo, 20002003
https://www.flickr.com/photos/ scottnorsworthy/7522601992/in/ photostream/
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1 « Diagrammes » p.41-44, LUCAN Jacques, Précisions sur un état présent de l’architecture, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2015 2 - Ibidem p.47 3 - Ibidem p.47 4 HERZOG Jacques, DE MEURON Pierre, Prada Aoyama Tokyo, Milan, 2003 5 - « Architecture comme sculpture », p.59-60, LUCAN Jacques, Où va la ville aujourd’hui ? Formes urbaines et mixités, Editions de la Villette, Paris, 2012
toujours le cas ? L’interdépendance entre le fond et la figure réside-t-elle obligatoirement dans une question formelle ? Sans ces « turbulences », toute intention architecturale se cantonnerait à une extrusion littérale des limites assimilée à un « ready-made1 ». Les architectes suisses reconnaissent à demi mots le caractère sculptural de leurs projets des plus récents mais ils précisent que c’est « une conséquence d’une stratégie conceptuelle, comme l’était le développement (des) expressions formelles antérieures, et non pas le résultat d’un geste artistique singulier2». Leur « Take a zoning as a design guideline » a été une provocation pour signifier un processus automatique et d’une rationnalité absolue tout en dotant leur processus d’une troisième dimension3 : « Le bâtiment défini par les lois de zoning avait été créé en oubliant la forme, plutôt qu’en la construisant activement4 ». La forme devient indéniablement sculpturale. L’interprétation du contexte est entendu de façon littérale et une application stricte des règlements urbains décrirait donc les volumétries des bâtiment5. L’architecture contemporaine ne tendrait-elle pas à devenir une architecture « gabaritaire » ? Ce principe devait déterminer une singularité de la volumétrie pour chaque bâtiment et donc se mouvoir en fonction du contexte, étant donné que chaque situation urbaine est de fait singulière. Est-ce toujours le cas ? Les règlements s’appliquant généralement à l’ensemble d’un territoire urbain, une uniformité de réponses à des contextes différents est notable. Donnant une dimension d’autant plus sculpturale à l’édifice, certains projets vont jusqu’à adopter des profils obliques à l’image de ces mêmes obliques que les schémas des règlements d’urbanisme en vigueur. Toute typologie de l’édifice s’efface derrière une enveloppe homogène esquissant un monolithe prismatique. De plus, la notion d’architecture « gabaritaire » n’est-elle pas également dictée par une économie de projet ? En ce sens, en épousant le gabarit règlementaire, le bâtiment exploite au maximum les capacités de construction d’une parcelle. Ce processus de projet est en quelque sorte une réponse aux demandes des maîtrises d’ouvrage publiques comme privés d’obtenir une rentabilité forte face aux coûts des fonciers en croissance exponentielle dans les grands centres urbains. Ce phénomène se ressent souvent lors de l’élaboration d’études de faisabilités pour la promotion privée, comme j’ai pu le voir chez MOG architectes. Au-delà d’un parti pris architectural, contextuel, il s’agit de définir de grands volumes capables autorisés par le PLU actuel afin de répondre au maître d’ouvrage soucieux d’une seule réponse : les surfaces de planchers maximales autorisées. Quel est le rôle de l’architecte dans le contexte de l’architecture contemporaine ? Comment est-il envisageable de se positionner par rapport aux différentes maîtrises d’ouvrages ?
Cette réalité de la commande architecturale en matière de logement collectif implique une marge de manœuvre faible pour l’architecte1 comme Jacques Lucan l’explique dans son ouvrage qui pose la question : Où va la ville aujourd’hui ? Cette question n’est pas anodine et on ne peut l’éluder. Et maintenant où en sommes-nous ? La prédominance de l’objet architectural contemporain autonome est indéniable au regard des nouveaux quartiers de Bordeaux tout comme d’autres métropoles françaises. Jacques Lucan défend l’hypothèse qu’une des conséquences de programmations « génériques » d’un maître d’ouvrage à l’autre, qui réduisent l’espace de l’architecte dans l’espace même du projet, est « l’exacerbation des traits distinctifs des opérations, tant du point de vue de leur forme que des matériaux mis en œuvre2 ». Cet « effet de collection » est notable aujourd’hui avec la multiplications d’enveloppes toujours plus « sophistiquées » dans leurs ornementations, les matériaux employés, leurs couleurs arborées : c’est une quête d’identité. La signification urbaine est-elle uniquement associée à l’image produite par l’édifice ? La recherche d’une « mixité morphologique » ne serait-elle pas garante d’une diversité qui reposerait sur autre chose que la seule différence des architectures individuelles ? Que voulons-nous pour nos territoires aujourd’hui et demain? Hors des territoires urbains aux contextes complexes, on peut se demander : quels processus adopte-t-on dans le cas du rural ? Est-on en quête d’une urbanité transposée au rural ? Comment penser l’évolution de l’espace rural dans une dialectique d’aménagement avec l’espace urbain ? En définitive, qu’est-ce qu’une architecture en prise avec son territoire, une « architecture contextuelle » ? Se résume-t-elle à des questions formelles de définition de « pleins » dans un lieu ?
1 « Diversité et signification urbaine », p.65-66, LUCAN Jacques, Où va la ville aujourd’hui ? Formes urbaines et mixités, Editions de la Villette, Paris, 2012 2 - Ibidem p.66
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Les paysages du vide Selon le point de vue, le processus de conception architectural peut être appréhendée comme un plein dessinant des vides ou l’espace du vide qui détermine du plein. Quelle est l’interdépendance de ces deux notions ? L’architecture ne reposerait-elle pas sur un équilibre entre le plein et le vide ? Dans le projet de ville nouvelle de Melun-Sénart en 1987, Rem Koolhaas et l’Office for Metropolitain Architecture (OMA), dans la veine d’une mise en exergue de l’opposition entre la forme et le fond, font le constat que dans la situation périurbaine contemporaine il est impossible de contrôler l’architecture, le « plein » : « Le bâti, le plein, est désormais incontrôlable, livré tous azimuts à des forces politiques, financières, culturelles qui le plongent dans une transformation perpétuelle1 ». Rem Koolhaas dépeint dès lors cette pression du contexte dont nous avons parlé précédemment. Selon lui, seul le « vide » peut être contrôlé et protégé. Cette dialectique « plein / vide » pose la question sous-jacente de la représentation de cette dernière dans le projet architecturale. Le poché est alors utilisé comme outil de conception en même temps qu’être la représentation de l’interrelation qui existe entre le plein et le vide. En un sens, n’est-il pas alors question de la relation de l’architecture avec le paysage ? Ou inversement, le paysage d’où émane l’architecture ? Estce une vision qui oppose réellement la fond (le paysage) de la forme (l’édifice) ?
1 - Présentation du projet dans GOULET Patrice, OMA-Rem Koolhaas, Six projets Paris Rome, Institut français d’architecture, Editions Carte Segrete, 1990, p.91 dans « Généalogie du poché. De l’espace au vide » p.47-48, LUCAN Jacques, Composition Noncomposition : architecture et théories XIXème et XXème siècle, Editions PPUR, 2009 2 - «Généalogie du poché. De l’espace au vide» Ibidem p.47-48
Ainsi, Rem Koolhaas développe le concept de « Strategie of the void I » qu’il dédie à la planification urbaine2. Le vide devient donc un outil à part entière de l’urbanisme et de l’architecture. Dans les opérations de logement collectif contemporain, on note que souvent les vides deviennent des espaces résiduels, inhabités. Ces espaces sont dessinés comme des espaces où la vie collective ne peut s’y engouffrer, par peur de la maîtrise d’ouvrage qu’ils soient squattés ou qu’ils deviennent trop bruyants. Le projet pour la ZAC de Bercy de JeanPierre Buffi en est un bon exemple : le vide au cœur de chacun des ilôts est déserté. L’aménagement paysager fait de cet espace du vide rend impossible l’appropriation des lieux et devient un seul passage liant les différentes entrées de l’ilôt. Quelle est la qualité spatiale d’un tel lieu ? Ne serait-il pas envisageable de redonner ces espaces à l’habité tels des « incubateurs » de la vie collective ? MOG architectes débute actuellement le chantier de la seconde tranche
RUE CAMILLE SAUVAGEAU
RUE NÉRIGEAN
RU
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Plan de rez-de-chaussée, phase APD, Ilot Nérigean Sauvageau Du Hamel, Bordeaux MOG architectes + Let’s Grow (Freddy Charrier)
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du projet de renouvellement urbain de l’îlot Nérigean / Sauvageau / Du Hamel dans Bordeaux avec Gironde Habitat. Une collaboration avec le paysagiste Freddy Charrier (Let’s grow) a généré un projet aux vides qualifiés, traités comme des espaces de collectivité. Le projet reliant trois rues se rejoint au cœur d’ilôt selon différentes altimétries avec une sente paysagère qui dessert l’ensemble des bâtiments. Des perspectives se créent. Hiérarchisés, les vides sont tantôt resserrés formant un passage ou alors se dilatent pour accueillir un banc et un terrain de jeu de boules. De cette manière, la hiérarchisation affirme des statuts clairs aux espaces. Tout un récit, un univers intérieur se déploie dans le projet comme une épaisseur, une interface qui s’insère et qui articule le privé, le collectif et le public. On peut alors considérer que l’espace du vide relève autant de la dimension de l’habité que peut l’être l’édifice lui-même. Il façonne un paysage, une atmosphère. Ne faut-il pas donner la liberté, certes encadrée par la composition du projet, aux habitants de s’approprier les espaces du vide ? Rem Koolhaas poursuit sa recherche sur l’interdépendance de l’espace du plein et de l’espace du vide à travers « Strategie of the void II », cette fois en l’appliquant au bâtiment lui-même1. Il explore ainsi la notion du monolithe, de la masse et de l’espace du creusement. Il y a une dimension sculpturale dans le principe de l’épaisseur creusée, de la matière façonnée qui fait naître des spatialités intérieures. Le creux tend à interroger la matérialité. Le projet est alors symbolisé par un diagramme valorisant les espaces excavés2.
1 « Généalogie du poché. De l’espace au vide » p.47-48, LUCAN Jacques, Composition Non-composition : architecture et théories XIXème et XXème siècle, Editions PPUR, 2009 2 - Au sujet de la Casa da Musica de Porto, dans « Diagrammes » p.52, LUCAN Jacques, Précisions sur un état présent de l’architecture, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2015 3 - Ibidem p.53
Ce processus de « soustraction » se retrouve dans les projets de maisons d’Aires Mateus3 où dans volume prismatique monolithique initial se creuse un patio créant une nouvelle intériorité. Un paysage intérieur par le biais duquel les espaces contenus dans le plein se regardent générant de nouvelles perceptions. Au-delà du caractère « binaire » du plein et du vide, n’existe-t-il pas des entre-deux fabriquant une plus grande richesse dans l’interface entre ces deux concepts spatiaux ? Qu’en est-il du rapport instauré entre intérieur et extérieur dans ce processus de conception ? Aborder le projet architectural par le lieu et les ressources du territoire permet de déplacer l’enjeu du développement durable vers une réflexion plus large sur le devenir de nos établissements humains et notre condition de l’habité. Il semble alors indispensable de revendiquer nos souhaits pour nos modes de vie futurs.
Ombres et matérialité. Serpentine Pavilion, Peter Zumthor, Londres, 2011
Hélène Binet http://helenebinet.com/ photography/architects/peterzumthor.html
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« FAIRE AVEC »: POÉSIE QUOTIDIENNE « Apprendre de l’environnement existant est, pour un architecte, une façon d’être révolutionnaire. Non pas de la manière habituelle, qui est celle de démolir Paris et de tout recommencer, comme le suggérait Le Corbusier dans les années 1920, mais de façon différente, plus tolérante : cela signifie s’interroger sur comment regarder les choses1. »
1 VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, IZENOUR Steven, Learning from Las Vegas, 1972 2 « Architecture et paysage » p.98-99, ZUMTHOR Peter, Penser l’architecture, Birkenhauser, Bâle, 2010 3 - « Répéter n’est jamais répéter » p.21, SIZA Alvaro, Imaginer l’évidence, Editions Parenthèses, 2012 4 - « Paysages achevés» p.17, ZUMTHOR Peter, Penser l’architecture, Birkenhauser, Bâle, 2010
Dans la même veine que Robert Venturi, Denise Scott Brown et Steven Izenour dans les années 1970, Peter Zumthor insiste sur une condition sinequanone à la relation qui subsiste entre architecture et paysage : le regard. L’architecte se doit de développer personnellement une attention particulière aux paysages, aux territoires, au sol, à toute structure et matière vivante2 qui caractérise les lieux de l’habité au sens large du terme. Le contexte est récits, matières, atmosphères, perceptions… La démarche de Peter Zumthor est intéressante dans le sens où l’architecte s’engage, s’implique et cultive des liens forts aux territoires qui l’entourent. Il nous rappelle que l’architecte est lui-même habitant des espaces habités. L’architecte Alvaro Siza explique même que la relation entre nature et construction est une obsession à l’origine de tout projet pour lui3. Quel regard porter sur ce qui nous entoure ? Sous quels prismes est-il fondamental de décortiquer ces contextes ? Quels outils d’analyses peut-on imaginer au regard de ces contextes? Cessons-nous un jour d’apprendre à regarder ? « Faire avec » repose, selon moi, sur l’envie de façonner une démarche et une conscience, une éthique qui est propre à un territoire donné. Le contexte est géographique, spatial, paysager mais aussi économique, culturel et social. Le contexte est tout aussi concret et tangible qu’indicible. Le projet, la nouvelle figure doit, de prime abord, nous inciter à porter un regard nouveau sur ce qui est déjà là. C’est alors que la qualité de l’intervention de l’architecte dépend des capacités du projet à entrer dans un rapport de tension significative avec l’existant4. Qu’est-ce que cela signifie au juste ? A l’échelle de l’urbain ? A l’échelle du rural ? L’architecte contribue à fabriquer une nouvelle réalité à travers le projet qui induit une autre multitude de perceptions. Comment générer une tension entre le « déjà là » de l’existant construit et
paysager avec le projet qui peut être appréhendé comme une modulation du contexte ? On peut supposer que la tension existe dès lors que la force de l’un (le territoire) et la fragilité de l’autre (l’édifice) éveille une grande émotion1. La fragilité de l’architecture provient-elle du décalage entre temporalité de l’édifice et temporalité du territoire ? Chaque projet porte en lui la nécessité de poser des limites tant concrètes qu’abstraites. Mais chaque contexte est l’opportunité de réinterroger les limites transmises. Je crois que faire corps avec le lieu c’est trouver une interdépendance entre le contexte et l’édifice : l’un donne du sens à l’autre et inversement. Quel est l’équilibre entre une architecture « humble » face au lieu tout en y revendiquant sa place ?
1 - COLBOC Emmanuelle, L’architecture : une fragilité essentielle, Les productions du Effa, Paris, 2015, p.10 2 - « Le lieu et l’ouvert » p.20-21, KIMMEL Laurence, L’architecture comme paysage Alvaro Siza, Editions Petra, Paris, 2010
« Faire avec » est composer et hiérarchiser avec, dans, contre le lieu tout en ayant le soucis d’engager une réelle proximité avec les habitants, les maîtres d’ouvrages en les impliquant davantage dans le processus de projet malgré les distances qui peuvent se dresser parfois entre maîtrise d’œuvre et maîtrise d’ouvrage. La problématique de l’habité est relative à la notion d’échelle et d’appropriation, le « faire avec » mais aussi le « laisser faire ». Accepter le sans fin et que le projet est un contenu offrant une liberté d’appropriation de l’espace. En tant qu’architecte, nous convevons, nous édifions des lieux pour d’autres et cette évidence impose une exigence sur les choix que nous faisons tout comme une discrétion sous-jacente. Où s’arrête le rôle de l’architecte ? Faut-il mettre en sourdine notre propre identité afin que l’appropriation des lieux puisse facilement exister ?
3 « Des vérités inattendues » p.19, ZUMTHOR Peter, Penser l’architecture, Birkenhauser, Bâle, 2010
Dans la poursuite de cette idée que l’architecte conçoit des lieux, des « contenants » dans lesquels la vie s’engouffre; on retourne à la notion des perceptions explorée précédemment mais importante à se remémorer. L’expérience de l’espace du paysage, comme le précise Laurence Kimmel au sujet d’Alvaro Siza, « c’est à la fois appréhender sans cesse l’espace qui se développe, tout en maintenant notre ici, dans un espace qui nous enveloppe2 ». Une relation forte se tisse dès lors entre le sujet et l’objet, le lieu.
4 - « Phénoménologie 3. Atmosphère et spatialité » p.166, LUCAN Jacques, Précisions sur un état présent de l’architecture, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2015
L’édifice en tant qu’objet n’est pas poétique par lui-même3. On peut plutôt se demander en quoi l’espace est un lieu de transmission d’images poétiques. Il fait appel à des sensations, des ressentis, à l’émotion mais aussi à l’imagination du regardeur, de l’habitant. Sans oublier l’importance de la mémoire dans la recherche d’atmosphère que nous enseigne Aldo Rossi sans pour autant que la mémoire implique une reproduction formelle comme le rajoute Peter Zumthor4 .
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Poésie, nf : - Art d’évoquer et de suggérer les sensations, les impressions, les émotions les plus vives par l’union intense des sons, des rythmes, des harmonies, en particulier par les vers. - (Littéraire) Caractère de ce qui parle particulièrement à l’imagination, à la sensibilité1. La « magie des faits, la magie du réel », que théorise Peter Zumthor, réside, selon lui, davantage dans l’atmosphère d’un espace que dans l’expression d’une forme2. Qu’est-ce que l’atmosphère qui fait écho à nos sensations ? Si on considère que la réalité de l’architecture est le concret. L’atmosphère existe-t-elle dans une équation subtile entre dispositif spatial et matérialité ?
1 Définition « poésie », Larousse
de
2 - « Phénoménologie 3. Atmosphère et spatialité » p.166, LUCAN Jacques, Précisions sur un état présent de l’architecture, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2015 3 Citation d’Adam Caruso, « The Feeling of Things », A+T ediciones n°13, Vitoria-Gasteiz, 1999 dans « Phénoménologie 2. Matériaux et syntaxe constructive » p.141, LUCAN Jacques, Précisions sur un état présent de l’architecture, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2015 4 « Architecture et paysage » p.99, ZUMTHOR Peter, Penser l’architecture, Birkenhauser, Bâle, 2010
« Nous nous sommes intéressés à faire une architecture qui ne se sert pas du langage. Une architecture dont la présence physique a un effet émotionnel direct. Nous pensons que la construction a un effet direct sur le caractère émotionnel des espaces3. » On retrouve chez Adam Caruso les ambitions que Peter Zumthor peut avoir quant au fait de donner la priorité à l’intuition et à l’émotion directe. En parlant de présence physique, Adam Caruso tend à poser la question de la matérialité de l’édifice, de l’essence même du matériau. Les matériaux agissent et réagissent, ils ont la capacité de se mouvoir grâce à la temporalité. L’expérience du chantier démontre également que dans la matière il y a une part d’imprécision. Comment la matérialité est-elle mise en œuvre sachant qu’elle est l’aboutissement de la conception architecturale ? Le chantier est-il un lieu de conception ? Comment l’architecte peut-il se saisir du travail sur la matière avant la phase d’exécution du projet ? Peuton imaginer de développer des collaborations avec des artisans, des savoir-faire afin de renouer avec l’intelligibilité constructive, du détail ? « Le matériau et la construction doivent avoir un rapport avec le lieu et parfois en provenir directement. Sinon il ne semble que le paysage n’acceptera pas le nouvel édifice4. » De la même façon, une interdépendance se déploie entre la matérialité de l’édifice et le contexte dans lequel il prend corps. La question de l’équilibre et de mise en tension etre deux reste évidente. Jacques Lucan démontre que l’approche « matérialiste » de l’architecture raisonne selon le besoin de repenser la manière avec laquelle les
Matières et lieu, atmosphère, Peter Zumthor, Vals
une
https://theredandthewhite. wordpress.com/2012/02/07/ thermevals/
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matériaux sont mis en œuvre tout comme de façonner l’image à laquelle ils participent1. L’architecture n’est pas seulement un art de l’espace mais il est également un « art du temps2 ». La matérialité, cette matière vivante, peut alors être pensée dans sa manière de permettre une expérience sensorielle et esthétique : leur lumière, leur sonorité, leur façon d’évoluer aux affres du temps… La matérialité entrelacée par la temporalité est productrice d’images poétiques, une poésie du quotidien.
1 « Phénoménologie 2. Matériaux et syntaxe constructive » p.144, LUCAN Jacques, Précisions sur un état présent de l’architecture, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2015 2ZUMTHOR Peter, Atmosphères, Birkenhauser, Bâle, 2010, p.41
ENTRELACEMENTS: RÃ&#x2030;INTERROGER NOS PROCESSUS
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« J’ai besoin de réfléchir à l’architecture, de prendre de la distance par rapport à mon travail quotidien, de prendre du recul et de regarder ce que je fais en essayant de comprendre pourquoi je le fais ainsi. C’est important et j’aime ça1. » Vers une exigence d’une quête d’architecture qui a plus de sens, il est nécessaire de réinterroger le fond théorique acquis à l’école d’architecture à l’aune de l’expérience pratique de l’agence et inversement. Qu’est-ce que la recherche ? Qu’est-ce que la pratique ? Le processus de projet continu, ou parfois discontinu, de la pensée jusqu’au concret amène la question du projet en tant que producteur de connaissance. Il serait intéressant de réfléchir aux connaissances disciplinaires et techniques produites au cours de cette activité de projet. Comment la pratique permet-elle d’alimenter la recherche ? Comment la recherche permet-elle de réinterroger nos pratiques ?
1 « Des passions aux choses » p.39, ZUMTHOR Peter, Penser l’architecture, Birkenhauser, Bâle, 2010 2- « Introduction » p.1213, VIGANÒ Paola, Les territoires de l’urbanisme. Le projet comme producteur de connaissance, MétisPresses, 2016
Paola Viganò, architecte et urbaniste italienne, a travaillé sur cette question dans son ouvrage Les territoires de l’urbanisme – Le projet comme producteur de connaissances. Elle soutient l’hypothèse selon laquelle le projet, à ses différentes échelles, est considéré comme un dispositif cognitif, producteur d’un nouveau savoir. Comme nous avons pu l’appréhender dans sa relation aux territoires, le projet est un réel outil d’exploration d’un contexte et d’intégration de nouveaux éléments aux connaissances existantes. Paola Viganò formule l’idée de considérer le projet comme forme d’enquête effectuée par un acteur spécifique qui exerce une influence sur la réalité, en somme l’architecte, l’urbaniste. Ce n’est pas l’exploration d’un processus au cours duquel s’organise la pensée du concepteur, ses procédures, ses limites et rigidités, ses sources et références mais plutôt la connaissance qui constitue l’aboutissement de l’activité de l’architecte qui, dans certains cas, prend la forme de transformations physiques d’un lieu, dans d’autres, celle d’un dispositif mental capable d’agir sur les imaginaires et les point de vue préexistants. Le territoire a un rôle fondamental car le projet est indéniablement une transformation physique du lieu comme nous avons pu l’évoquer précédemment. Au regard des processus de projets, elle émet trois hypothèses en déconstruisant certaines opérations de projet : la conceptualisation, la description et la formulation de séquences de conjectures sur le futur2. J’ai fait le choix de reprendre ces trois hypothèses afin de questionner nos manières de « faire » projet et nos outils de projet. Le projet est une forme d’étude et de recherche, c’est une reconstruction, une contextualisation et une réorganisation de la réalité. En ce sens, le statut
épistémologique du projet, sa capacité à produire de la connaissance, à constituer un dispositif de compréhension d’une réalité peut être défini comme la construction d’une vision critique d’un contexte. Le projet joue un rôle d’outil critique entre les acteurs, les sujets et les lieux. Les entrelacements entre recherche et la pratique du projet pose mon souhait d’ambition plurielle de l’exercice de la profession d’architecte. Le savoir de l’architecte qui n’est pas le produit d’un processus de séparation mais il découle de la confluence de plusieurs disciplines. De plus, la pratique du projet contemporain est un acte collectif et cette confluence de disciplines interroge également l’entrelacement de ces dernières. Quel architecte est-ce que je veux devenir ?
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PROCESSUS DE CONCEPTUALISATION
Concept, nm : Idée générale et abstraite que se fait l’esprit humain d’un objet de pensée concret ou abstrait, et qui lui permet de rattacher à ce même objet les diverses perceptions qu’il en a, et d’en organiser les connaissances1. La notion de conceptualisation, comme l’envisage Paola Viganò, est définie par la création d’un espace et d’un temps d’abstraction où reformuler la pensée, le regard et notre imagination à l’égard des territoires contemporains2. Elle souligne la nécessité de l’élaboration et de formulation de concepts à travers le projet ainsi que la capacité de ce dernier à les utiliser, les manipuler et les générer3. Le concept est un moment du processus projectuel qui expose la contribution du projet à une thématisation du problème posé. Le concept, en réponse à la problématique, est à la fois thèse et hypothèse. Est-ce que le projet produit des concepts ? La conceptualisation peut-elle être un outil de conception, de recherche ? Les idées, les concepts, quelle que soit leur origine, sont soumis à des transformations et des manipulations au cours du processus de projet. On peut donc dire que le projet est une traduction du concept et non son application directe4. Que deviennent les concepts une fois transformés ? Comment la conceptualisation alimente-t-elle la théorie de l’architecture ? Comment la théorie de l’architecture alimente-t-elle les concepts ? 1 Définition « concept », Larousse
de
2« Introduction » p.14, VIGANÒ Paola, Les territoires de l’urbanisme. Le projet comme producteur de connaissance, MétisPresses, 2016 3- « Territoires conceptuels partie 1 » p.23-25 Ibidem 4- Ibidem p.25
Le processus de projet utilise et réinterprète des concepts issus d’autres domaines et en élabore de nouveaux. Il nous vient alors à l’esprit l’image du paquebot reprise par Le Corbusier pour l’Unité d’Habitation de Marseille. Cette image mentale a influencé l’idée de « machine à habiter » en tant que transposition du concept. La conceptualisation réside-t-elle uniquement dans la réinterprétation d’images de références ? Quelles sont les formes de la représentation d’un concept et de sa transmission ? Quel est le rôle des images dans la production de connaissance ? Si on considère que le concept est à la fois une idée et sa représentation, on peut en déduire que le l’espace de la représentation joue un rôle indéniable dans la construction du projet. Le médium de prédilection de l’architecte étant le dessin, on peut se demander comment le concept
1
INITIAL HYPOTHESIS
THE STRIPS
2
1- Des décompositions en diagrammes Concours Parc de La Villette, Paris, OMA www.oma.eu
2- Diagrammes, lignes et ponctuations du territoire, Concours Parc de La Villette, Paris, Bernard Tschumi
http://www.frac-centre.fr/index-desauteurs/rub/rubprojets-64.html?au thID=192&ensembleID=599&oeuv reID=3088
CONFETTI
CIRCULATION
INSTALLATIONS
FINAL LAYER
ALL LAYERS
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1 - Vocabulaire européen des philosophies, Seuil-Le Robert 2004, p.251 dans « Territoires conceptuels partie 1 » p.32, VIGANÒ Paola, Les territoires de l’urbanisme. Le projet comme producteur de connaissance, MétisPresses, 2016 2« Un espace d’abstraction » p.121-122 Ibidem 3- Citation de Confurius, 2000, « Territoires conceptuels » p.35 Ibidem 4- « Diagrammes comme structures » p.2023, LUCAN Jacques, Précisions sur un état présent de l’architecture, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2015
se saisit de cet outil comme représentation et transmission de l’idée, de l’abstraction. Pour Vasari, le terme concept accentue la dimension de la représentation comme outil de transmission cognitive : « un art intellectuel particulièrement actif, une conception, et il a pour fonction de promouvoir l’art du dessin comme forme de pensée1. » Le plus souvent, le concept, en tant qu’idée et forme de représentation en diagramme ayant sa propre autonomie, est utilisé en tant qu’outil d’analyse et de conception de la complexité. Le concept est un moment où le projet, avant d’être défini dans tous ses éléments, est conceptualisé et doté d’une représentation schématique, abstraite, métaphorique ou en diagrammes, une représentation qui n’est pas toujours mesurable ni réalisée à l’échelle, souvent relative à des relations et donc topologique2. Le concept peut-il s’exprimer par un autre médium comme la maquette ? Le diagramme, au cours de ces dernières années, est revenu comme un outil de représentation et de conception du projet. Il peut être interprété comme un dispositif explicatif qui analyse le projet, l’explique et le transmet ; et comme dispositif constructif et génératif. En ce sens, Paola Viganò affirme que les diagrammes ont une capacité indéniable à véhiculer des concepts et ils constituent d’importantes « techniques et procédures de la connaissance architecturale3 ». Le concours pour le projet du Parc de la Villette entre 1982 et 1983 présente l’usage de l’outil du diagramme tant dans le projet lauréat de Bernard Tschumi que dans celui de Rem Koolhaas et OMA. Tous deux développent à travers le diagramme une forme de méthode, de diagrammes dits procéduraux ou de diagrammes comme structures en réponse à la complexité. Ils racontent plus une tactique qu’un projet et font la démonstration de deux processus de pensées. Le concept n’est pas le schéma du projet mais la contribution que le projet est en mesure de fournir à une nouvelle thématisation du problème posé : les diagrammes formulent des hypothèses. Le projet de Rem Koolhaas développe une hiérarchie programmatique telle une structure lamellaire qui, de façon radicale, décompose les catégories de programmes comme toile de fond. Jacques Lucan fait un parallèle avec les bandes déployées pour le Parc de la Villette avec le principe de combinaison imprévisible et d’activités superposées, déconnectées que l’on retrouve dans le gratte-ciel du Down Town Athletic Club que Rem Koolhaas expose dans son ouvrage New York Délire4. L’usage du diagramme est systématique dans la production architecturale de OMA comme nous avons pu le voir dans le principe de « Strategy
Diagrammes conceptuels entre programmation et spatialités déployées, Seattle Library, OMA
https://parametricmonkey.com/ research/post-diagramming/
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of the void » où l’usage du plein et du vide devient la construction de l’espace. Rem Koolhaas reprend cette manière de représentation du diagramme pour la Bibliothèque publique de Seattle. Mais ce diagramme porte une ambiguïté entre le diagramme programmatique, structurel et le diagramme spatial. Il s’agit d’expliciter des volontés de relations, d’interdépendances quelles soient territoriales ou intérieures. Ainsi, la Bibliothèque publique de Seattle est toutefois la traduction littérale du diagramme. L’architecture disparaît-elle au profit d’une énonciation formelle d’un programme ? On peut donc questionner la relation entre le concept, sa représentation et le projet. L’architecture serait-elle productrice de diagrammes ? Quelles sont les conséquences du diagramme devenu architecture ? En parallèle, la démarche de Herzog et de Meuron, comme nous avons pu le voir sur la question de lien entre architecture et contexte, use du processus diagrammatique pour réguler l’évolution de projet dans une succession d’opérations dans la recherche d’une adéquation entre l’environnement et l’édifice. La coloration de leur diagramme est donc davantage contextuelle1. Toutefois, ils font usages de la maquette comme représentation du concept. Cet outil de représentation explore un développement continu du processus tout en impliquant une confrontation à la matière comme médium de communication. En quoi la matérialité de la maquette est-elle tout aussi importante dans sa signification que la représentation elle-même ? Comment la matérialité participe-t-elle au concept ? Sans oublier les aquarelles produites par RCR arquitectes qui questionnent l’essence du projet, qui synthétise abstraction et intégration dans le lieu, intuitions et intentions. Leurs croquis si graphiques posent même une ambiguïté entre œuvre d’art et diagramme architectural.
1 - « Diagrammes comme figures » p.58, LUCAN Jacques, Précisions sur un état présent de l’architecture, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2015 2- Citation de Sou Fujimoto Ibidem p.54-55
La démarche de Sou Fujimoto se base davantage sur une notion de diagramme en tant qu’image résolument simple avec la volonté qu’elle soit immédiatement intelligible. Le processus de conceptualisation se fait donc selon le diagramme de l’idée figurée qui préside le projet : « Alors que nous sommes étonnés par la complexité et la diversité des arbres – dit-il, nous pouvons immédiatement imaginer « un arbre » et le dessiner avec un simple croquis ou diagramme2. » Le diagramme serait-il ici une manière de réduire la multiplicité au profit d’un schéma ? Si Rem Koolhaas explore la dimension du diagramme comme une structure comme, Sou Fujimoto esquisse un diagramme comme une figure qui génère des dispositifs spatiaux. Toutefois, le diagramme
n’institue pas un ordre global, il n’est pas une disposition architecturale mais une opportunité de questionnement et d’incertitude. « Tout concept a un contour irrégulier, défini par le chiffre de ses composantes. C’est pourquoi de Platon à Bergson, on retrouve l’idée que le concept est affaire d’articulation, de découpage, de recoupement. Il est un tout, parce qu’il totalise ses composantes, mais c’est un tout fragmentaire1. » Un diagramme ne peut avoir la prétention de donner toutes les qualités de projet, le diagramme ne suffit pas à « faire » l’édifice, à façonner l’architecture, sa présence dans le territoire. Le concours d’architecture n’est pas qu’une façon de mettre en concurrence les réponses apportées par les différentes équipes de maîtrise d’œuvre. Il est un savant mélange ente les savoirs disciplinaires préexistants, un site concret et une série de questions, de problématiques posées par la société sur un territoire. Le concours est ce moment du processus de projet où la conceptualisation est convoquée. Puis, de l’idée en découle une représentation qui est communiquée. A un temps donné, le concours permet donc de mettre en parallèle des regards, des positionnements d’architectes sur le territoire et sur des problématiques culturelles, sociales. Est-il possible de faire un « état des lieux » de nos façon d’appréhender le territoire et ses contextes à partir de l’analyse de nos démarches de conceptualisation ?
1 - Citation de Deleuze et Guattari, 1991, dans « Un espace d’abstraction » p.121-122, VIGANÒ Paola, Les territoires de l’urbanisme. Le projet comme producteur de connaissance, MétisPresses, 2016
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LE PROJET COMME FORME PARTICULIÈRE DE DESCRIPTION Décrire, verbe transitif : Sens usuel : Représenter, exposer en détail par écrit ou oralement, certains traits apparents d’un animé ou d’un inanimé. Sens physique : Tracer, se déplacer dans un mouvement qui définit une ligne, une trajectoire. Le projet est une forme singulière de description. La définition du verbe « décrire » soulève une ambiguïté car il signifie autant représenter dans le sens usuel que tracer et définir une ligne dans le sens physique. Le projet en tant que description est-il seulement une représentation ? Etant donné que la ligne, le tracé a une signification particulière sur le territoire de l’architecture, faut-il envisager le caractère descriptif du projet dans le sens physique du terme ? Le projet en temps que description ne serait-il pas une mise en mouvement, le tracé d’un nouveau territoire composé avec celui qui préexiste? En ce sens, le projet a la capacité d’identifier des situations tout en établissant des relations entre elles. Ainsi, une relation très étroite fait le lien entre projet, lieu et contexte. Le processus de projet interroge le lieu, le territoire, le paysage et ses contextes. Le projet s’adapte en utilisant les anomalies, les discontinuités, les différentes tout comme il questionne les structures en présence, les règles préexistantes, le « déjà là »,… Le caractère analytique du projet est une problématique intéressante tout comme sa représentation. Comment pouvons-nous puiser du lieu pour problématiser le projet ? Ceci fait écho à l’importance du « regard » que l’architecte porte sur les territoires, les contextes, comme évoqué en amont.
1 « Introduction » p.14, VIGANÒ Paola, Les territoires de l’urbanisme. Le projet comme producteur de connaissance, MétisPresses, 2016 2- «Territoires de la description. Partie 2», p.127 Ibidem
Le projet est-il une réponse aux questions posées sur le territoire ? Le projet contient-il la problématique d’un territoire ? Paola Viganò formule l’hypothèse selon laquelle le projet est producteur de connaissance à travers les opérations de description que le processus de projet implique1. Elle considère le projet comme une des stratégies possibles pour déployer une connaissance des territoires et des sociétés contemporaines. Le projet est, selon elle, un lieu où se construit l’interprétation du territoire et de ses transformations : sa capacité descriptive semble importante pour légitimer le projet2. L’acte de description est donc une tentative de reconstruction logique, de réinterprétation, par le biais du regard de l’architecte, du territoire et
procède par déconstructions, effacements, mises en reliefs de ce dernier. Il peut également être, de façon plus abstraite, un dispositif mental capable d’agir sur les imaginaires et les points de vues préexistants. Le projet prend la forme de transformations physiques d’un lieu. La notion de temporalité est inévitable. Les interruptions, les changements, la pluralité d’acteurs et de sujets ne sont pas toujours évidentes à cerner dans le mouvement perpétuel des contextes. On ne peut présupposer que la situation en présence est homogène et le projet a la capacité à représenter, à mettre en exergue ces irrégularités visibles, perceptibles, évidentes même parfois1. Le projet vient se mettre en tension avec le contexte pour le révéler. Il y a l’idée de récit et d’histoires plurielles. Le projet peut être considéré comme un outil de sélection, découvreur de paysages et révélateur de structures de longue durée qu’il traduit souvent par des images à la fois descriptives et normatives. Le caractère descriptif du projet réside-t-il uniquement dans le domaine de l’espace construit ? Qu’en est-il du processus du projet ? L’image, la représentation du projet est en quelque sorte comme un trait d’union entre les territoires physiques et les territoires conceptuels du projet. Le projet construit-il sa propre connaissance d’un lieu ?
1 « Territoires de la description. Partie II » p.172, VIGANÒ Paola, Les territoires de l’urbanisme. Le projet comme producteur de connaissance, MétisPresses, 2016
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PROJETER = JETER AU DELÀ : PERSPECTIVES FUTURES En s’intéressant à l’étymologie du mot « projet » ou de « projeter » signifiant « jeter quelque chose vers l’avant » il y a inévitablement une dimension d’élan vers une dimension future. Le projet est en quelque sorte toujours en lien avec une idée de futur qu’il soit de l’échelle d’une maison ou d’un aménagement d’un territoire. La différence de rapport aux conjectures sur le futur entre les différentes échelles architecturales et urbanistiques réside dans les temporalités. Le projet propose alors une série d’hypothèses sur le futur1. A la base de tout projet, il y a l’ébauche d’hypothèses répondant tout autant à une problématique donnée à travers le programme qu’à ses contextes. Paola Viganò exploite cette construction du futur par le biais du projet pour introduire l’établissement des scénarios en tant que processus projectuel. Comment ces hypothèses sont-elles conçues, représentées, transcrites, construites ? Comment sont-elles outils du processus de conception ?
1 « Territoires du futur. Partie 3 » p.201203, VIGANÒ Paola, Les territoires de l’urbanisme. Le projet comme producteur de connaissance, MétisPresses, 2016 2- «Introduction», p.14 Ibidem
Ils anticipent spatialement des conséquences d’une succession hypothétiques d’événements, d’actions, de décisions qui s’appliquent sur le territoire dans le temps2. Le précédent de ces scénarios est évidemment une analyse et une description rigoureuse du « déjà là ». Les scénarios, souvent relatifs à des projets de territoires toujours plus vastes, interrogent les éventuelles lignes de développement des lieux tout en évaluant les conséquences de chacune. C’est une exploration d’hypothèses d’usages et de transformations de l’espace. La construction de ces futurs pose aussi la base de narrations et de récits, d’histoires plurielles représentatives d’une époque donnée. Ils sont révélateurs des inquiétudes et des préoccupations sur le territoire au moment où les problématiques ont été posées même si les scénarios mettent en relief également les imaginaires et les perceptions contemporaines. Qu’est-ce que ces scénarios peuvent nous apprendre quant à la posture des architectes et des urbanistes sur les territoires et les sociétés ? Peuton faire un lien entre les modes de vie et les formes urbaines ? A terme, comment imagine-t-on le « vivre ensemble » ? Cette thématique est transversale à toute échelle de projet car elle fait société. Comment le projet peut-il représenter la dimension physique du bien-être des futurs habitants, leurs besoins, leurs désirs et leurs imaginaires malgré le fait qu’ils soient souvent absents du débat ?
Peut-on imaginer le futur comme un acte collectif ? Le scénario et la conjecture sur le futur sont-ils seulement réservés à la vaste échelle du territoire ? Qu’en est-il à l’échelle de l’édifice ? L’activité projectuelle est importante tant pour la connaissance qu’elle produit que la conscience de son rôle frôle celle de la responsabilité. Cette responsabilité est sous-jacente peu importe le type d’échelle. Il est nécessaire de revendiquer nos souhaits pour nos modes de vie futurs. Il m’a semblé que cette perspective était une bonne manière de conclure cette réflexion qui gravite autour de l’habité et de la conception architecturale. Aujourd’hui, il nous est demandé de nous positionner quant à un avenir, le notre. Afin d’appréhender un quelconque futur, il me semble indispensable de réfléchir, d’interroger notre présent comme base pour imaginer des hypothèses pour le futur. Le présent fait autant référence aux processus de conception de l’architecture contemporaine, les positionnements quant aux territoires, la relation entre recherche et pratique professionnelle que dans les modes d’exercices de la pratique et nos outils. Quel nouveau mode d’exercice du métier d’architecte peut-on imaginer en adéquation avec les contextes contemporains ? La réflexion sur nos manières d’appréhender, de « faire » le projet nous invite à remettre en question nos outils de recherches et de représentations, de communication du projet. Les entrelacements entre les disciplines nécessite la construction de liens solides entre les acteurs : maîtrise d’ouvrage, équipe de maîtrise d’œuvre, entreprises, artisans,… Ils sont aussi l’opportunité d’enrichir nos propres regards emprunts d’expériences, de perceptions et de ressentis.
Paysages, Claire Trotignon - sĂŠrigraphie et collage
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« Yet we should attempt to bring nature, architecture, and human beings together into an higher unity. » Lugwig Mies van der Rohe Entretien avec Mies van der Rohe, L’architecture d’aujourd’hui n°79, septembre 1958, p100
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PUBLICATIONS « COOPÉRATIVE AGRICOLE DANS LES ALPES » Projet de diplôme nominé 5ème Trophée Béton Ecoles FEV. 17 | AMC, n°257 « DYNAMIQUE DE L’ASCENSION EN TERRITOIRE ALPIN: VILLAGE, SATELLITES, SOMMETS » FEV. 17 | (À SUIVRE), Diplômes architecture / paysage 20152016, ENSAP de Bordeaux « LE MUSÉE MONOGRAPHIQUE: UN PRISME ENTRE UN LIEU ET UN ARTISTE? LE MUSÉE SOULAGES À RODEZ » DÉC. 2016 | revue Transversale, n°1, ENSAP de Bordeaux
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Le premier octobre 2015, après quelques mois de cohabitations sous le même toit, MOG architectes nait de la fusion des activités de Cécile Moga, Michel Moga et Julien Mogan, tous les trois co-gérants, en une nouvelle structure. MOG ARCHITECTES, c’est aussi trois personnalités qui s’associent afin de trouver un nouveau souffle dans la complémentarité des savoirs, des idées, des cultures, qui fédère les synergies. Chacun de part ses expériences apporte sa pierre au nouvel édifice dans l’optique de diversifier leurs thématiques de prédilection. C’est une rencontre. Quel que soit le projet, ils recherchent une réponse spécifique liée aux éléments de composition du site qui permettent de développer un diagnostic, un «scénario», un concept. L’appropriation de l’espace et l’ordre des éléments sont essentiels, desquels ressortent la qualité d’usage, la cohérence et l’interface : fonction – construction – forme – espace. Cécile Moga, installée en libéral depuis 2004, réalise des logements collectifs, des équipements publics à vocation culturelle s’inscrivant toujours dans une démarche environnementale. Elle répond également à des opérations de réhabilitation, à des programmes mixtes, à des projets d’aménagement urbain et paysager, avec beaucoup d’attention sur des sites sensibles. Michel Moga crée son agence dès 1976 à Bordeaux. Sa production est marquée par de nombreux logements. Les équipements de services ont également façonné tout son parcours: écoles, des collèges, cuisines centrales ou des bâtiments à vocation institutionnelle ou administrative. Julien Mogan, architecte associé pendant douze années chez Art’ur, s’intéresse au développement de la filière sèche par la préfabrication de modules bois et sur l’optimisation des performances thermiques, énergétiques dans la construction qui se croisent autour de l’enseignement et du tertiaire.
MICHEL MOGA Architecte ETH-Zurich > Associé co-gérant CECILE MOGA Architecte DPLG > Associée co-gérant JULIEN MOGAN Architecte DPLG > Associé co-gérant MARIA ESTEBANEZ > Assistante de direction ALINE OUVRARD Architecte DEHMONP > Chef de projet BÉNÉDICTE NORBERT Ingénieur ETP Architecte DEHMONP > Chef de projet MARIE PANIER Architecte DEHMONP > Chef de projet SOPHIE CLAUDEL Architecte DEHMONP > Chef de projet YASSAMANE ROUSTAI Architecte DPLG > Chef de projet
| 72 LOGEMENTS LEON JOUHAUX
| BASE SOUS-MARINE
| POLE SOCIAL RAVEZIES
Bordeaux
Bordeaux
Bordeaux
Type de projet: Construction neuve 3 bâtiments Usage: Habitation Surface de plancher: 4689 m2 Budget: environ 8 200 000 euros Etages: R+5 (Bât. A) et R+4 (Bâ. B et C)
Type de projet: Réhabilitation et construction neuve Usage: Culturel, muséal, de loisirs Surface de plancher: Budget: environ 18 900 000 euros Etages: -
Type de projet: Construction neuve Usage: ERP accueil social, hébergement temporaire Surface de plancher: 1919 m2 Budget: environ 2 300 000 euros Etages: R+2
> phase PC, APD, PRO
> phase concours, dialogue compétitif
Rôle: phase DET, AOR, signalétique
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SELECTION DE PROJETS SUIVIS
| ILOT BENAUGE
Bordeaux Type de projet: Construction neuve Usage: Habitation et école CREASUD Surface Creasud: 1722 m2 / SHAB logements: 688 m2 Budget: environ 4 500 000 euros Etages: R+3 (CREASUD), R+4 (Logements)
> phase DET
| 22 LOGEMENTS NERIGEAN SAUVAGEAU DU HAMEL
| 5 LOGEMENTS NERIGEAN SAUVAGEAU DU HAMEL
Bordeaux
Bordeaux
Type de projet: Construction neuve et réhabilitation Usage: Habitation, sente paysagère et locaux commerciaux Surface de plancher: 1736 m2 Budget: environ 2 800 000 euros Etages: R+2 (Bâtiment A, B, C et D)
Type de projet: Réhabilitation 2 bâtiments Usage: Habitation, continuité de la sente paysagère Surface de plancher: 495 m2 Budget: environ 860 000 euros Etages: R+3
> phase DET, AOR et DOE
> phase DET