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Editions GRIP, 1997 ISBN 2-87027-660-5 D/1638/1997/32 GRIP Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité rue Van Hoorde, 33 B-1030 Bruxelles Tél.: (32.2) 241.84.20 Fax: (32.2) 245.19.33
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LA COOPÉRATION MILITAIRE FRANCE-AFRIQUE: ÉTAT DES LIEUX Toutes ces forces prépositionnées bénéficient également d'un apport de navires (deux bâtiments) et d'aéronefs (21 avions de transport, d'attaque et de défense aérienne ainsi que 19 hélicoptères). La force aérienne de projection (FAP) dispose de 7 appareils, en majorité des C-160 Transall, parfois de C-130, basés en permanence au Sénégal, à Djibouti et au Gabon (une unité chacune). Tchad et RCA (2 unités chacune). La France a aussi disposé sur place, de tanière temporaire ou permanente, d'une dizaine d'hélicoptères légers et de moyen tonnage (Alouette II et III, Fennec et Puma) pour les missions d'héliportage d'assaut, transport de canons de 105 mm, de transport d'équipes médicales ou de commandos, de ravitaillement de munitions, de surveillance, SAR, de transport VIP, PC volant, réglage appui feu et d' artillerie. Elle dispose aussi de 15 avions de combat (10 Mirage h7 C et CR à Djibouti et 5 Mirage F-1C et CR en République Centrafricaine), provenant d'escadrons EC 2130 Normandie-Niémen, ER 1133 Belfort, 1/30 Alsace ou 2/33 Savoie La seule unité de chasse de l'armée de l'air stationnée de façon permanente outre-mer est l'escadron EC 4/30 Vexin. Ses missions depuis Djibouti sont la dissuasion face à une menace aérienne ou terrestre, le renseignement au profit des forces armées djiboutiennes, la défense des installations portuaires et aéroportuaires ainsi que la surveillance de l'intégrité de l'espace aérien djiboutien. Parallèlement, une rotation fut établie pour un avion de patrouille mari-time Atlantic (jusqu'en septembre 1996) puis Atlantique 2 NG stationné selon les plans et les circonstances à Dakar, N'Djamena, Djibouti, Libreville ou Bangui. La durée de la mission variait entre quinze jours et deux mois. Son rôle était à la fois la lutte anti-sous-marine et plus particulièrement la surveillance des trois sous-marins iraniens de la classe Kilo, le Search and Rescue maritime et terrestre, la surveillance et le commandement d'opérations aéroterrestres eu liaison- l'autorité, les missions de contrôle d'embargo (Golfe d'Aden, 1991), les missions d'écoute (ESM/ELINT, ECM) (opération Turquoise) ou le guidage des avions de frappe. Mais vu le coût de fonctionnement et de sophistication des Atlantique 2. les appareils furent partiellement remplacés par des Falcon 50. En dehors de ces bases d'affectation, les lots de dépannage et de ravitaillement de cet appareil sont basés à Dakar et à Djibouti, tout comme d'ailleurs 25 les moyens destinés à l'entretien et au soutien des forces de renfort naval et aéronaval. De temps à autre, un avion C-135FR, venu de la métropole, est détaché à N'Djamena et Abéché (Tchad) ou à Libreville (Gabon) pour le ravitaillement de vols militaires plus longs ; mais le plus souvent ce sont les Transall de nouvelle génération qui assurent cette fonction. Dans certaines situations, des appareils Mirage IV-P de reconnaissance sont dépêchés de France vers des bases prépositionnées pour effectuer des missions photo à haute altitude afin de préparer éventuellement certaines missions ultérieures (ex : Mirage IV-P à Franceville, au Gabon, pour des missions de reconnaissance au-dessus du Zaïre en novembre 1996). 6. Les accords de défense Après l'indépendance des Etats africains, la France a signé un certain nombre de textes juridiques - dont certaines dispositions précises et opérationnelles n'ont pas été rendues publiques -, afin de concrétiser de nouveaux liens de coopération militaire avec les capitales concernées. Ces accords de défense, gérés et mis en oeuvre par le ministère de la Défense, qui peuvent servir d'appui juridique aux interventions de la France dans certains pays africains, ont impliqué jusqu'à onze Etats. Mais dans les années 70, certains Etats africains (Bénin, Niger, Madagascar, Congo, Tchad, Mauritanie)67 les ont dénoncés pour des raisons politiques, idéologiques et économiques, souhaitant « raffermir leur souveraineté nationale »'I. Néanmoins, certains Etats signeront avec la France d'autres accords de coopération militaire et d'assistance militaire technique considérés comme moins contraignants. Aujourd'hui, les accords de défense au sens strict concernent huit pays : le Came roun (novembre 1960 avec de nouveaux accords en février 1974), le Centrafrique (15 août 1960), les Comores (1973 avec de nouveaux accords en novembre 1978), la Côte-d'Ivoire (24 avril 1961), Djibouti (juin 1977), le Gabon (17 août 1960), le Sénégal (1960 puis réaménagement de l'accord le 29 mars 1974) et 1e Togo (10 juillet 1963). Pour le général Lafourcade, commandant de l'opération Turquoise, «cette capacité d'intervention ne peut que rassurer /es pays qui ont des accords avec /a France, en Afrique en particulier » 69. Les unités françaises peuvent ainsi, selon les situations et les critères du moment définis à Paris, servir à ré tablir l'ordre, si l'action conjuguée de la police, de la gendarmerie et de l'armée du pays ne suffit pas, en cas de crise impliquant indirectement des acteurs extérieurs ou en cas de conflit impliquant ou une agression extérieure directe. Cependant, même sans accord de défense, un Etat africain peut faire appel à la France en cas de besoin. C'est le cas du Tchad depuis 1986 tandis que le Zaïre a également bénéficié indirectement d'interventions françaises -dans le cadre de la protection de ressortissants - pour retrouver la maîtrise politique et militaire d'une situation interne déstabilisée. Scénario qui auto rise certains observateurs comme Dominique Moisi à affirmer qu' il « semble que, dans la pratique, un certain nombre d'accords de défense ont été signés au moment même où /es avions porteurs de troupes se posaient »'°.
Certains accords de défense n'ont pas toujours été respectés et suivis d'ef fet. Ainsi au Togo, où la fin des automatismes interventionnistes de l'époque de la guerre froide amena Paris à décider la non-intervention en 1992 et 1993 (à la différence de 1986) suite aux comportements de l'année togolaise. Selon le Livre blanc sur la défense 1994, la mise en oeuvre des accords de défense bilatéraux, faisant partie du scénario 4 de l'hypothèse d'emploi des forces, est à envisager « pour prévenir ou mettre fin à des conflits régio naux de faible intensité tels que ceux qui secouent l'Afrique »". Il existe également des accords ou des conventions en matière de maintien de l'ordre et de sécurité interne, annexés aux accords AMT- documents restés confidentiels et non publiés au Journal officiel - sur l'aide que Paris peut apporter en matière d'ordre public, de soutien logistique aux forces de l'ordre. Ces clauses par lesquelles la France peut accepter de participer à des opérations de maintien de l'ordre si un Etat lui en a adressé la demande, sont restées secrètes. Ces accords particuliers concernent la Côted'Ivoire (février 1962), le Gabon (1961), le Tchad (mars 1961) et le Sénégal. 7. Les accords de coopération militaire: instruction et assistance technique Parallèlement, la France a conclu des accords de coopération ou d'assis tance militaire technique (AMT), juridiquement non contraignants, pouvant ainsi être suspendus selon les circonstances (Zaïre, 1992). En contrepartie de l'aide française, les accords prévoyaient la prise en charge par ces Etats de certains frais de fonctionnement (mise à disposition de logements, d'infrastructures, etc.) qui ne furent que peu honorés vu les difficultés financières de ces pays. Selon Dominique Bangoura, il est probable qu'à l'instar des accords de défense, les accords de coopération militaire technique comportent certaines clauses tenues secrètes. L'assistance militaire technique se répartit budgétairement en aide directe en matériel (38%), assistance en personnel (50%) et formation de cadres africains (12%). Les accords de coopération ou d'assistance militaire technique signés entre 1960 et 1986 concernent vingt-trois pays : 1e Bénin (1975), 1e Burkina Faso (avril 1961), 1e Burundi (1969, puis élargi en mai 1974), 1e Cameroun (février 1974), la République centrafricaine (novembre 1960 et octobre 1966), les Comores (novembre 1978), le Congo (janvier 1974), la Côte-d'Ivoire (avril 1961), Djibouti (juin 1977), 1e Gabon (août 1960), la Guinée équato riale (mars 1985), la Guinée (avril 1985), Madagascar (juin 1973), 1e Mali (mai 1985),1' île Maurice (mai 1979), la Mauritanie (avril 1986), 1e Niger (fé vrier 1977), 1e Rwanda (juillet 1975), 1e Sénégal (mars 1974), Iles Seychelles (janvier 1979), 1e Tchad (mars 1976), 1e Togo (mars 1976) et 1e Zaïre (mai 1974 et juillet 1976). La plupart de ces accords ont des durées très variables, souvent renouve lables annuellement par reconduction tacite, parfois expirant au bout de dix ans, certains ayant été renouvelés et parfois modifiés. D'autres, plus récents, ont été établis ou renégociés après une rupture des relations avec la France (Guinée, Madagascar, Congo) (cf. annexe 2). Ces accords concernent à la fois l'instruction et la formation des militaires et des forces de sécurité africains (dans leur pays ou en France, en tant que stagiaires), l'entraînement à des compétences partagées en matière de com bat en forêt équatoriale ou en zone lagunaire (école au Gabon)72, et la formation des personnels des armées contractantes sur les matériels de défense acquis majoritairement en France, soit en prêt, soit en cession gratuite vu la réduction du format des armées en Hexagone, soit plus rarement par la vente de licences. L'aide peut également concerner 1e domaine sanitaire et médical à partir des médecins et pharmaciens français en service dans les hôpitaux urbains ou les dispensaires de brousse. Elle peut également prendre la forme 28 d'une aide militaire à des réalisations au profit de civils (réfection d'hôpitaux et d'écoles, de ponts et routes, travaux de bâtiments, etc.). Quant à l'entretien et à la remise en état de matériels anciens (plutôt que la livraison de plus en plus rare de matériels neufs)7 3, ils sont effectués grâce à des missions ponctuelles permettant la mise en place d'établissements de réparation. Une dépendance s'installe donc, d'ordre matériel, scientifique, militaire mais aussi politique. Elle permet la continuité des relations franco-africaines post-décolonisation, tout en accentuant la subordination due aux limites fi nancières et technologiques des pays africains. La formation d'assistance militaire technique est avant tout un travail quotidien de transfert de compé tence et d'expérience, mais aussi d'influence entre les techniciens français et les personnels autochtones. L'AMT concerne quatre types d'actions : « l'aide au fonctionnement et à la réorganisation des écoles de formation de toutes les composantes des forces de sécurité; l'aide à l'entretien des matériels pour prolonger leur durée d'utilisation et permettre à des armées dont les budgets sont insuffisants de maîtriser un minimum de programmes d'entretien; l'aide à la réorganisa tion des forces de sécurité, et en particulier à la stabilisation de certaines unités vulnérables et susceptibles de dérapages (... ); enfin, l'équipement des forces, avec un accent sur celles de sécurité intérieure, dont les gendarmeries et les gardes nationales, pour les tâches de sécurité de proximité et pour la garantie d'un fonctionnement normal des institutions gouvernementales »". L'objectif est de faire en sorte que « les pays africains doivent être à même d'assurer sur leur propre sol la formation des cadres indispensables au fonctionnement de leurs forces »7S. Aujourd'hui, les assistants techniques militaires « ne devraient plus, sauf cas exceptionnels, exercer des fonctions de commandement des unités des armées de pays partenaires »7 6. En effet, au début de l'indépendance, l' AMT tenait des postes de conseillers techniques, d'instructeurs et même de commandement, en attendant la formation de cadres militaires africains en France ou en Afrique. Par la suite, la coopération est devenue plus technique en visant à aider à la mise sur pied de forces armées. Parfois, la coopération militaire et la présence de conseillers ont conti nué longtemps à dépasser 1e simple encadrement pour se substituer à l'armée du pays, comme celle du Tchad, « réduite alors à des tâches supplétives et 29 au rôle de chair à canon »77. En 1996, à N'Djamena, l'armée française travaillait encore à la trésorerie, à la santé, à la logistique et au bureau des effectifs de l'armée", tout en évaluant la remise sur pied de la garde nationale et nomade du Tchad (GNNT) et ses pelotons méharistes, qui avait été dissoute en 1992 suite aux luttes entre différentes tendances. Pour le général Michel Rigot7 9, il n'existerait plus d'officiers français exerçant encore des fonctions de commandants d'unités africaines, sauf dans 1e cadre de l'école des transmissions à Bouaké (Côte-d'Ivoire). En effet, il semblerait que la formation dans les écoles militaires françai ses de cadres africains permette de faire évoluer l'AMT vers des postes de conseillers ou d'instructions, à l'exception encore des fonctions au sein des services de santé et des écoles. En ce qui concerne spécifiquement l'aide directe en matériel, elle a long temps servi à financer l'équipement de base des armées des pays africains francophones (cession gratuite de matériels), puis à concrétiser la définition faite en coopération de crédits budgétaires puis de programmes pluriannuels d'équipements. Cette aide, fluctuante, largement déterminée parla conjonctu re (crise ou conflit) a bénéficié prioritairement au Bénin, au Burundi, au Centrafrique, à la Côte-d'Ivoire, à Madagascar, au Niger, au Sénégal et au Tchad.
Aujourd'hui, la fourniture de matériel concerne de plus en plus 1e trans fert de moyens logistiques à des forces de sécurité à statut militaire (cf. annexe 3). Ainsi, de 1994 à 1995, on constate « l'augmentation des effectifs de la gendarmerie française parmi les coopérants militaires envoyés en Afrique atteint 20% »8°. L'objectif est aussi de remodeler les armées africaines, en tentant de les persuader de réduire leurs effectifs et d'éliminer structures lourdes, aviation de chasse et chars de combat afin de les doter d'équipements adaptés à leurs vrais besoins et à leur budget. La fourniture gratuite d'équipements (matériels neufs et pièces de rechan ge) est assurée à partir d'une liste des besoins formulés par les forces armées locales et reclassés « hiérarchiquement » selon la perception (française) de la situation locale par 1e chef de la mission d'assistance militaire en poste dans chaque Etat concerné. C'est lui qui, en dernier ressort, transmet les com mandes au bureau de logistique de la Mission militaire de coopération. Ce pendant, une partie de la dotation prévue chaque année ne reçoit aucune affectation précise afin de faire face à certaines situations d'urgence. Cette pro30 cédure permet également de prendre en charge partiellement les dépenses ordinaires du fonctionnement des armées, et notamment du paiement des soldes. Il faut également ajouter plusieurs millions de FF « prélevés directement sur la ligne budgétaire "civile" du Fonds d'aide et de coopération (FAC) pour la fourniture de moyens logistiques destinés aux forces de sécurité intérieure, gendarmeries, gardes nationales »81, comme ce fut 1e cas en 1995. Entre 1986 et 1996, 1e nombre d'assistants militaires techniques dispersés dans les différents pays a été réduit de 923 à 714 (640 en 199782 et 570 prévus en 1998), suivant ainsi la réduction des crédits affectés à l'assistance militaire technique et la conclusion de certains programmes de coopération (cf. annexe 4). Les plus gros contingents concernent 1e Cameroun (54 AMT), 1e Centrafrique (63), la Côte-d'Ivoire (50), Djibouti (47), 1e Gabon (60), la Mauritanie (52), le Niger (50) et 1e Tchad (60). Ils proviennent de l'armée de terre et de la marine, de la gendarmerie et des services de santé et sont « dépendants hiérarchiquement du général, chef de la mission d'assistance militaire près de l'Ambassade de France de chacun des pays concernés »83, bénéficiant d'un statut diplomatique. Le chef de la mission d'assistance militaire est chargé de l'application sur place de la politique de coopération élaborée par 1e gouvernement français en accord avec les autorités du pays hôte. Il définit, en accord avec les autorités militaires locales, les conditions générales d'emploi des personnels d'assistance technique, de contrôle de l'action de ces personnels (terre, gendarmerie, air, mer, santé), notamment par des inspections de commandement. Il reçoit, instruit et transmet les demandes d'assistance technique présentées par les autorités locales. Les assistants militaires techniques (49% d'officiers et 51 % de sous-officiers) sont en fonction soit en séjour long (deux ans) et sont alors accompagnés de leur famille, soit pour des missions temporaires (de deux à six mois), correspondant aux nécessités conjoncturelles, précises et urgentes, répondant à une demande inopinée (encadrement des stages de formation, entraînement d'unités de maintien de l'ordre, remise en état du matériel...). Cette dernière formule, appelée Détachement d'assistance militaire d'instruction (DAMI), nouvellement nommée Groupes d'assistance technique (ces groupes sont dispersés selon les missions en petits nombres dans les différentes régions des Etats hôtes), permet plus de souplesse, une meilleure adaptation aux be soins ponctuels et un coût réduit. 31 Parallèlement, 1e nombre de stagiaires africains en formation de cadres officiers et sous-officiers des armées et des gendarmeries dans les écoles militaires françaises est passé de 2.200 en 1987 à 1.300 en 1997 (cf. annexe 5). Les plus gros bénéficiaires ont été l'année dernière 1e Sénégal (142 stagiaires), 1e Togo (128), la Mauritanie (88), 1e Cameroun (85) et 1e Burkina Faso (80). « Signe de l'élargissement du champ traditionnel, on constate également en 1996 que plusieurs pays anglophones d'Afrique ont pu bénéficier de ces programmes: l'Afrique du Sud (25 stagiaires), le Kenya (3), le Malawi (4), le Nigeria (1), la Zambie (1) et le Zimbabwe (1) »B4. Le nombre de places attribuées par pays dans les différentes écoles militaires est décidé chaque année par des commissions interministérielles regroupant la Défense, les Affaires étrangères et la Coopération, tandis que « le financement de la scolarité et des bourses de vie courante est assuré par les ministères de la Co opération et des Affaires étrangères »8s. Quant à la formation d'ingénieurs et les formations techniques, elles sont conduites respectivement sous tutelle de la Direction générale pour l'armement (DGA) et les sociétés de service. Reste que, par 1e passé, il est arrivé que « les conditions de vie de certains d'entre eux, difficiles du fait des ressources insuffisantes en provenance de leurs Etats d'origine, contraignent la France à instituer des aides particulières et discrètes pour ne pas froisser leur susceptibilité »86. En France, plusieurs écoles ont formé ces stagiaires : 1e cours supérieur international de gendarmerie à Melun, 1e cours supérieur du commissariat de l'armée de terre à Montpellier, 1e cours supérieur de l'école de l'air à Salon de Provence ou 1e cours supérieur de l'école navale de Brest. Un nouveau cours supérieur international de gendarmerie (1994) et un cours spécial de commissariat (1995) ont été récemment créés87. Ceux-ci pouvaient durer l'année scolaire ou être répartis en cycles discontinus, de trois semaines à six mois. La formation dispensée aux cadres étrangers et en particulier aux offi ciers s'effectuait ainsi « soit au sein d'établissements relevant de l'enseignement militaire supérieur, soit dans les écoles d'application ou d'officiers »a8. La formation pouvait inclure également des stages de spécialité sur demande, de niveau officier subalterne et sous-officier. Créée en 1973, l'école de guerre interarmées et internationale (ESGI) avait pour objet d'instruire les hauts responsables des cinq continents des questions de défense et de stratégie. Relevant du chef d'état-major des ar32 mées, l'ESGI organisait des formations à des postes de responsabilité, sensi bilisait les auditeurs officiers aux politiques de défense et de stratégies militaires tout en offrant l'acquisition de connaissances sur la France, en onze mois plus cinq mois de perfectionnement en langue française. Après cette session, les officiers stagiaires pouvaient suivre l'enseignement de Cours supérieur interarmées (CSI) sanctionné par le Brevet d'Études militaires supérieures. En septembre 1993, l'ESGI a été intégrée dans 1e Collège interarmées de défense (CID), véritable creuset interarmées et international, mé lange de cultures et d'expériences, en remplacement des anciennes écoles de guerre. Installé à l'École militaire à Paris, 1e CID tente de développer l'esprit et la compétence interarmées de futurs chefs militaires tout en promouvant l' interopérabilité. Les futurs décideurs militaires passent par 1e CID après sélection (sur concours, après quinze années de métier). La part d'officiers étrangers avoisine 40% (soit une centaine, dont 27 originaires d' Afrique 89) et ils sont répartis dans une division composée de 80% d'étrangers et dans trois autres divisions où ils occupent au total les 20% restants90. Ils y forment des cellules de base interarmées avec application en matière de formation professionnelle (exercices de conception et planification d'opérations combinées) et en approfondissement en matière de culture générale. Il est utile d'observer que cette formation professionnelle s'appuie sur des scénarios proches, entre autres, de la projection de forces en Afrique dans 1e cadre d'accords de défense. Plusieurs milliers de stagiaires africains et malgaches (47.000 depuis 1960) sont ainsi passés par la France (à charge en totalité ou partiellement de la France). Des liens privilégiés ont pu s'établir avec les futurs cadres d'ar mées originaires d'Afrique (ce que les acteurs concernés qualifient de « climat d'estime et de confiance réciproques »9r); de même, une maîtrise des tactiques, de la stratégie, de la philosophie du commandement, de certaines traditions et matériels militaires d'origine française leur seront par la suite alloués au titre de la coopération militaire ou proposés à l'achat.
Véritable vecteur d'influence, permettant de renforcer les liens entre offi ciers français et africains, mais aussi « de manipuler les clans militaires qui leur sont favorables, en particulier les anciens élèves de leurs écoles des ca dets »92, les formations dispensées en France furent accusées d'être en porte-à-faux par rapport aux spécificités culturelles africaines93. 33 Afin de répondre aux effets de la réduction du format des armées en France (et partant, du nombre de places ouvertes aux stagiaires étrangers) et pour coller davantage aux réalités africaines (contexte politique, décalage technologique), la Mission militaire de coopération tente de promouvoir la formation via les écoles nationales ou interafricaines. L'objectif est aussi de former des formateurs africains afin qu'ils remplacent les officiers coopérants militaires français en Afrique, les seconds coûtant davantage au trésor que les premiers. Le concept d'école nationale à vocation régionale spécialisée dans un secteur de formation pour l'ensemble des stagiaires de la région permettra d'adapter la formation aux besoins réels des armées africaines. Citons, dans ce dernier cadre, la Division d'application de l'infanterie créée en 1987 à Thiès (Sénégal), l'Ecole de formation des troupes blindées, créée en 1985 à M'Banza N'Gungu (Zaïre) mais fermée en 1992, la Division d'application des transmissions, créée en 1983 à Bouaké (Côte-d'Ivoire), l'Ecole militaire interafricaine d'administration, créée en 1986 à Lomé (Togo) mais fermée en 1993, ou la nouvelle école militaire d'administration à vocation régionale pour l'Afrique de l'Ouest à Koulikoro (Mali) ouverte en 1996 avec l'aide de la Mission militaire de coopération. D'autres initiatives régionales pourraient voir le jour, comme l'école technique automobile de Corso (Mauritanie), l'école de médecine militaire à Lomé (Togo) ou le projet français d'école de Yamoussoukro (Côte-d'Ivoire) ouvert aux cadres des armées d'Afrique centrale et occidentale pour des formations en matière de maintien de la paix. 8. Les exercices militaires franco-africains Les forces armées françaises sont également amenées à effectuer des exercices et des manœuvres sur le territoire du pays hôte. Citons tout d'abord les exercices bilatéraux franco-africains, co-organisés et co-dirigés par l'état-major interarmées français et l'état-major du pays hôte94. Ces exercices, qui concernent une fois tous les trois ans, en bilatéral, 1e Sénégal, la Côte-d'Ivoire et 1e Gabon, impliquent la quasi-totalité des forces françaises prépositionnées dans 1e pays, des renforts venus de France (avions Mirage F-1, hélicoptères Super-Frelon, transport de chalands de débarquement, commandos de recherche et d'action en profondeur...) ainsi 34 qu'une fraction importante des forces armées du pays africain concerné. Ces manœuvres permettent de mettre en pratique les accords de défense, d'adapter les moyens des forces prépositionnées à leur mission de soutien immédiat des forces locales et d'accueil de renforts, et de parfaire l'intégration des éléments extérieurs aux forces françaises surplace. Elles permettent aussi d'étudier et de réaliser les projections de forces dont certains modules de la Force d'action rapide dans un cadre interalliés et interarmées, d'examiner la résis tance des matériels aux conditions particulières africaines95, de tester 1e poste de commandement interarmées de théâtre (PCIAT) ainsi que l'EMIA de Creil96 ou d'entraîner les unités venant de France à des aérolargages à partir de bases logistiques avancées. Quant aux exercices majeurs locaux se déroulant annuellement sous la responsabilité du commandement des forces françaises prépositionnées, ils associent étroitement les armées locales qui trouvent ainsi un complément de formation, tout en améliorant les liens professionnels et personnels entre militaires français et africains. L'objectif est aussi de parfaire l'interopérabilité en matière de transmissions et de soutien logistique. Plus généralement, la France peut utiliser le territoire des nations hôtes comme espace quasiment libre à tous les étages où peuvent se pratiquer intensivement 1e vol à très basse altitude et certaines figures aériennes. Par ailleurs, il existe des champs de tir à Bouar et Yaka (en Centrafrique) et à Djibouti où l'armée de l'air peut s'entraîner à larguer des munitions réelles. A terre, l'armée française utilise l'environnement forestier équatorial ou les conditions extrêmes de Djibouti pour parfaire l'entraînement des commandos marines. Dans certains cas, les exercices et manœuvres pourraient dissimuler d'autres objectifs de politique intérieure. Tel peut être le cas des manœuvres franco-sénégaliennes de 1994, où l'armée française aurait pu offrir une assistance aérienne visant la rébellion dans la zone de tension de Casamance". Tels sont aussi les exemples de manœuvres réalisées dans des zones géographiques excentriques de l'Etat hôte, afin de rassurer les populations provinciales, face à certaines tensions frontalières. Plus récemment a eu lieu 1e premier grand exercice humanitaire interarmes, interarmées et multinational entre 1e 15 et 1e 23 mars 1997, auquel participaient 4.500 hommes dont 3.486 militaires provenant du Togo, du Bénin 35
et du Burkina Faso. La France avait alloué 385 hommes provenant d'Afrique de l'Ouest, 581 venus directement de France (dont 65 commandos du Commandement des forces spéciales), des Mirage FI, 4 Transall, 9 Puma ainsi que le navire Ouragan 9'. L'exercice « Mangbéto 97 » se déroula au Bénin et au Togo, en accueillant des observateurs venus du Ghana, du Nigeria, du Niger, de l'UEO, des Etats-Unis, de la Chine et de la Grande-Bretagne. Le thème de l'exercice a tourné autour de l'établissement, sous mandat ONU, d'une zone humanitaire sûre, pour préparer l'intervention du HCR au profit de populations déplacées et de réfugiés 99. Un nouvel exercice du même modèle a été programmé pour 1998 au Sénégal, avec possibilité de valider plusieurs concepts dont « les modules de forces en attente », sachant par ailleurs qu'il n'est pas impossible que l'UEO puisse y participer, aux côtés de pays africains. Sur initiative française, il est déjà prévu, en automne 1997, que des modules de la brigade franco-allemande participe pour la première fois en Afrique à des manœuvres au Gabon. Et en février 1998, un grand exercice multinational de maintien de la paix sera organisé par la France (nation soutien) avec un noyau dur composé des forces du Sénégal, de la Mauritanie et du Mali, avec les contributions du Cap Vert, de la Guinée, de la Guinée-Bissau, du Ghana et de la Gambie; 1' UEO étant associée au titre d'observateur alors que les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et les agences des Nations unies y seront davantage impliqués. De toute évidence, l'évolution des grands exercices multinationaux en Afrique dans 1e cadre de la coopération militaire française ira dans 1e sens d'une plus grande capacité interarmes et interforces, avec pour objectif de simuler des missions où l'on peut affiner 1e principe de forces militaires nationales en attente d'emploi dans les différents Etats en vue de missions multinationales de maintien ou de rétablissement de la paix - en encourageant une certaine autonomie africaine - dans l'esprit de ce qui est réalisé, toutes proportions gardées, avec les Groupes de forces interarmées de l'OTAN ou les exercices du Partenariat pour la Paix. On garde ainsi en tête la possibilité de renforcer les collaborations logistiques occidentales au service d'interventions collectives africaines régionales dans 1e cadre de mandats de l'ONU ou de l' OUA. 36 9. Nouvelles orientations de la coopération militaire Perceptible déjà fin 1995, suggérée le 13 février 1996, révélée le 9 janvier 1997 par 1e ministre de la Défense du gouvernement Juppé, M. Charles Million, puis annoncée à la suite du Conseil de défense élyséen du 4 mars 1997, la réduction des effectifs de l'armée de terre en métropole aura des répercutions sur les effectifs des unités déployées en Afrique. Selon la revue Terre magazine de l'état-major de l'armée de terre parue en octobre 1996, les forces interarmées que la France maintient outre-mer, notamment les forces embarquées, les forces dites de souveraineté dans les DOM/TOM et les forces de présence en Afrique, devraient diminuer de 30% avant 2003.
Si les détachements seront maintenus dans pratiquement tous les pays où des effectifs sont déjà présents, il est question d'abandonner certaines infrastructures ou d'en regrouper d'autres pour des raisons budgétaires, tout en accentuant 1e caractère interarmées des unités (mise en commun de leurs soutiens et de leurs services par les trois armées, recours au secteur civil à la carte). A l'exception de Djibouti qui accueille deux régiments, il pourrait ne plus subsister, dans chaque implantation, qu'un seul et unique régiment, groupant unités opérationnelles et unités de soutien. Si 1e Sénégal, la Côte d'Ivoire ou 1e Gabon pourraient accueillir chacun un bataillon d'infanterie de marine (BIMA), les dispositifs devraient être allégés, « recevraient » des éléments interarmes détachés par rotation depuis plusieurs garnisons disparates en France, mais provenant des mêmes régiments pour des raisons de cohésion opérationnelle. L'idée suggérée sous Juppé était la suivante : ce ne seront plus seulement les troupes d'élite qui séjourneront sous les tropiques, mais une bonne partie de l'armée professionnelle, en y accomplissant de courts séjours'°°. Bref, pour des raisons d'économie, de motivation des troupes métropolitaines et d'objectifs politiques associés aux inflexions données par 1e nouveau gouvernement de cohabitation mis en place en juin 1997, la logique de garnison va probablement céder la place à la logique de tête de pont, avec réduction des effectifs permanents et renforts tournants 101. Durant la campagne électorale du printemps 1997 et plus précisément dans son document intitulé « Pour une redéfinition de la politique africaine de la France » (15 avril), le parti socialiste français avait préconisé une réduction du prépositionnement 37 militaire en quittant les bases « politiques » situées au Gabon, au Tchad et en Côte-d'Ivoire, au profit du maintien des trois bases stratégiques que sont Djibouti, Dakar et Bangui. Mais parvenu au pouvoir et tenant compte de la cohabitation élyséenne, 1e gouvernement Jospin modifia ses choix pour proposer la fermeture des seules installations de Centrafrique 101 avant la mi1998. L'amplification par 1e gouvernement socialiste du plan Millon de réduc tion du dispositif militaire français en Afrique doit aboutir aussi à la diminution progressive de 40% des effectifs pour atteindre 5.000 hommes. A côté du retrait de Centrafrique, la réduction des effectifs à Djibouti et le renforcement du dispositif Epervier au Tchad en compagnies de combat sont à présent confirmés. Sur chacune des cinq bases préservées seront disposés un millier de militaires des différentes armes, avec rotations de deux unités sur trois, tous les quatre mois ; ceci permettra de faire l'économie de fortes primes tout en ré duisant la présence des familles de militaires français sur 1e continent. Sans qu'il soit question de désengagement, le principe de contraction du dispositif en Afrique, déjà exprimé sous 1e gouvernement Juppé, entre bel et bien dans 1e cadre des réflexions menées sur la réorganisation des armées entre 1997 et 2002, la professionnalisation à 100% et du nouveau modèle des armées inscrit dans la période 1997-2015. Mais si les motifs budgétaires sont mis en avant pour expliquer cette rétraction du dispositif, celle-ci entre égale ment dans 1e cadre d'une réflexion à mener sur l'avenir de la coopération et de l'assistance militaire technique franco-africaine. Le nouveau paysage géopolitique de l'après-guerre froide, certains déboires diplomatico-militaires français (Rwanda, Zaïre, RCA...), les crises internes au continent noir aboutissant à l'implosion d' Etats et l'obligation politique et budgétaire d'engager des plans d'intervention davantage dans un cadre multinational et onusien, imposent de revoir les conditions dans lesquelles Paris a signé certains accords de défense. Il est clair que des modifications des réseaux d'accords militaires bilaté raux auront lieu selon la nature et l'intensité des menaces et surtout selon leurs incidences sur les intérêts stratégiques de la France. Bref, la future co opération sera probablement plus sélective, tentant de passer de l'assistanat au partenariat. 38 L'engagement d'intervenir - déjà aléatoire, vu que certains accords de défense sont devenus inapplicables'° 3 - sera de plus en plus menacé par 1e nouvel environnement géopolitique, tandis que les armes les plus techniciennes (marine et l'armée de l'air) ne seraient pas opposées à l'idée de réduire la présence militaire française au sol au profit de quelques plates-formes ré duites, susceptibles d'accueillir des forces de projection ou d'une gesticulation engagée autour d'un porte-avions. A cet égard, 1e nombre d'avions de transport en Afrique passera à huit ou neuf en permanence contre sept au jourd'hui. Mais la situation de chaos vécu au Congo et en Centrafrique, après la fin de Mobutu au Zaïre, pourrait inéluctablement aboutir à un retrait plus rapide et peut-être important. Dans ce cas, l'absence de politique africaine bien construite telle que constatée depuis longtemps aboutirait à l'apparition d'une autre « politique » française, celle du reflux en bon ordre". Pourtant, un certain nombre de militaires, surtout dans l'armée de terre et les troupes de marine, voient dans cette présence un avantage pécuniaire et moral : pouvoir s'évader hors de l'Hexagone, dans des bases prépositionnées outre-mer, là où les conditions de vie et les soldes exercent une forte attraction sur ceux que tente la carrière militaire. Il est visible qu'à l'avenir la coopération va surtout éviter l'engrenage des interventions à répétition, en insistant pour que les Etats paient plus régulièrement la solde de leurs soldats. Elle accentuera également son effort sur la formation des armées africaines au maintien de la paix"", symbolisé par 1e projet de création à Yamoussoukro (Côte-d'Ivoire) d'un centre ouvert à des stagiaires des pays d'Afrique centrale et de l'Ouest, tout en mettant à leur disposition une partie des équipements rendus disponibles par 1e changement de format des armées françaises. Les réformes envisagées passeront également par l'insistance, déjà perceptible depuis quelques années, sur les aspects de la sécurité intérieure des Etats10 6 et la formation des gendarmeries. Selon 1e général Rigot, commandant de la Coopération militaire, les projets « sécurité » de la Mission militaire de coopération ont accès, depuis octobre 1994, aux crédits du Fonds d'aide et de coopération. Pour cet officier supérieur, « cette mesure nouvelle permet d'apporter une réponse cohérente et globale aux demandes de gouvernements africains en matière de forces de sécurité intérieure à statut militaire. Elle signifie que la sécurité publique est un élément fondamental, indis39 pensable pour assurer la croissance économique et le développement d'un Etat de droit, conformément aux orientations retenues lors du sommet franco-africain de Libreville en octobre 1992 et réaffirmées dans tous les discours officiels depuis »107. En vérité, bien que 1e Livre blanc sur la Défense (1994) ne prenne pas en compte les crises internes africaines, la coopération militaire technique n'a jamais été aussi policière. Parmi les grands objectifs de la coopération figure « la contribution au renforcement des institutions démocratiques par l'assistance aux forces de sécurité intérieure »108. Cela s'exprime par une orientation des efforts vers la création, l'instruction et l'équipement d'unités spécialisées dans 1e maintien de l'ordre (Togo, Mali, Burundi, Tchad, Rwanda...). En voulant donner aux militaires africains et aux unités de sécurité une for mation à la conception d'une mission « d'aide à la stabilité et à la sécurité des institutions »10 9, à la condition que celles-ci reposent sur des bases démocratiques, la France cherche à mettre en place « un dispositif sécuritaire qui permet aux Etats d'exercer leurs fonctions vitales »"°. Pour Paris, il faut éviter la rupture du dialogue, la disparition rapide des plus hautes autorités et 1e chaos en cas de crise et de troubles intérieurs. Cette coopération sécuritaire peut aller, comme par 1e passé, jusqu'à disposer de conseillers au plus haut niveau de la hiérarchie, de militaires d'active, d'officiers de gendarmerie, de généraux en retraite ou d'agents de la DGSE, sus ceptibles de sensibiliser les responsables et d'alerter parfois les autorités françaises sur les risques potentiels. Dans ce cadre, il peut arriver que les coopérants français affectés à la sécurité présidentielle soient maintenus pour des raisons d'intérêts politiques
français, malgré un non-respect flagrant des règles démocratiques par 1e régime en place (cf. 3ème partie) ; a contrario, ils peuvent être retirés en guise de protestation lorsque les règles démocratiques ne sont pas respectées. En définitive, selon 1e général Rigot, les nouveaux objectifs en matière de coopération militaire posés sous 1e gouvernement Juppé impliqueraient de - « donner davantage de capacités aux armées africaines pour la prévention et surtout la gestion des crises sur leur propre continent, en leur permettant éventuellement d'intervenir collectivement dans le cadre d'une opération des Nations unies ou, si nécessaire, aux côtés des forces françaises, dans un cadre national; 40 - contribuer à la restructuration de ces forces armées conduisant à une réduction, souvent nécessaire, des effectifs et à leur professionnalisation ; - aider ces forces à assurer efficacement les missions de sécurité d'état de droit, ce qui implique qu'elles restent à l'écart du Jeu politique, mais qu'elles soient en mesure de garantir le fonctionnement normal des institutions ; - les préparer à s'intégrer dans une force multinationale »"r. L'objectif de la France en matière de réorientation et de rationalisation militaires passe par 1e développement de capacités de projection à distance. Selon le Rapport d'orientation sur la politique de défense rédigé par 1e mi nistère de la Défense en mars 1996 sur la base des orientations retenues par 1e président Jacques Chirac, 1e réseau des accords bilatéraux de défense im pose à la France d'être en mesure d'agir seule pour leur mise en oeuvre, même si « la nature des crises africaines (...) implique de plus en plus, elle aussi, des actions dans un cadre multinational »r rz. En réalité, les engagements militaires français en Afrique ont révélé la dépendance française vis-à-vis de l'appui logistique des Etats-Unis en matière de transport, comme ce fut 1e cas au Zaïre (1977), au Tchad (1986) et au Rwanda (1994). Mais pour le précédent ministre de la Défense Charles Millon, « il est prévu de rationaliser le dispositif actuel, en fonction des situations locales et de l'intérêt stratégique des bases, en tirant parti de notre capacité accrue à projeter rapidement, depuis la métropole, les renforts éventuellement nécessaires » 'ts. L'objectif s'oriente bel et bien vers l'adoption d'une politique de veille et l'entretien d'infrastructures permettant d'éventuelles interventions rapides. Déjà, la Force d'action rapide (FAR), créée 1e l er octobre 1983, participe, avec certains de ses éléments, à des opérations lointaines en Afrique' Il ou à des exercices bilatéraux" s. La 11 e division parachutiste (Toulouse), la Sème division d'infanterie de marine (Nantes) et la 4ème division aéromobile héliportée (Nancy) composant une partie de la FAR peuvent, en tout ou en partie, avec d'autres éléments organiques et de soutien, être engagées pour des opérations sur 1e continent. Selon 1e Général Michel Roquejeoffre, alors commandant de la FAR, la rapidité de projection lointaine à grande vitesse de cette force est possible « grâce au déplacement stratégique spécifique des hélicoptères et des véhicules à roues, à une aéromobilité maximale par aéro-41 transport et hélitransport, à une capacité de redéploiement immédiat, à une navalisation adéquate, à des télécommunications spatiales »116. Aim de gérer l'évacuation de nationaux ou d'améliorer l'efficacité des actions huma nitaires, la FAR peut également offrir l'usage de son système de gestion de crise à base de matériels civils informatisés, baptisé SAFARI, aérotranspor table, permettant, à partir d'une base de données, de visualiser la situation et transmettre les données en temps réel. La mise en place en janvier 1997 du nouveau dispositif d'intervention basé sur l'autonomie tactique des escadres de transport aérien militaire doit permettre de valider un nouveau concept de posture de projection rapide qui fut expérimenté avec succès lors des opéra tions Pelican à Brazzaville en mars et juin 1997. La projection devrait également être accentuée par la mise en oeuvre de transports de chalands de débarquement (TCD) de type Ouragan et surtout Foudre, d'avions gros porteurs, de groupement aéronaval (disposant en cas de besoin et à la carte d'hélicoptères de la 4ème Division aéromobile), de frégates de surveillance, d'avions de combat et de reconnaissance et d'avions ravitailleurs en vol. Quant à la future brigade d'infanterie pour le combat aé roporté qui sera basée à Toulouse, elle pourrait être très utile, en tout ou de manière modulaire, dans le cadre de missions africaines. Parallèlement, la France cherche à se doter de capacités de poste de commandement interarmées de théâtre déployable (PCIAT), interopérables avec celles de ses alliés mais qui pourraient oeuvrer dans le cadre d'interventions outre-mer, de manière autonome ou en coopération. A cet égard, pour la première fois en Afrique, la France a disposé d'un PCIAT lors de l'exercice fran cosénégalais Ndjambour VII en janvier 1995. Dans le domaine de la coordination, la création en 1992 du commandement des opérations spéciales (COS) à Taverny"', placé sous l'autorité directe du chef d'état-major des armées (CEMA), a déjà pour mission « de planifier, coordonner et conduire les actions menées par des unités des trois armées118 spécialement organisées, entraînées et équipées pour atteindre des objectifs militaires ou paramilitaires »" 9. Déjà, certaines unités spéciales du COS ont participé aux opérations Turquoise au Rwanda, Azalée aux Comores et Almandin II en République centrafricaine: elles étaient engagées à la fois de manière autonome ou au sein d'une force conventionnelle déployée dans la zone, pour des missions d'ap42 pui opérationnel (reconnaissance et observation) ou d'actions spécialisées (neutralisation, extraction, contre-terrorisme). Les unités COS devraient probablement à l'avenir intervenir plus largement, mais aussi plus discrètement, lors de missions en Afrique, d'autant qu'elles sont également habilitées à fournir une assistance technique à l'étranger. A côté de ces aspects interforces et de projection qui prendront de plus en plus de poids, l'accent sera mis dans le futur sur le renseignement afin de parfaire la prévention. A côté de la montée en puissance de la Direction des renseignements militaires interarmées (DRM) (Creil) et de capacités satellitaires, la brigade de renseignement et de guerre électronique (BRGE) de l'ar mée de terre, créée en 1993, va être renforcée, en accueillant une escadrille de quatre hélicoptères Cougar de surveillance Horizon basée à Phalsbourg en été 1997 et un cinquième régiment de recherche et d'intervention (2ème régiment de Hussards) cantonné à Sourdun. Quelques dizaines d'éléments de cette brigade servent déjà en Afrique pour la recherche de renseignements sur le terrain ou l'analyse des sources radioélectriques. Globalement, des plans de modernisation et de renforcement de la Direction du renseignement militaire et de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) sont prévus dans la nouvelle loi de programmation 1997-2002. Pour assurer la préparation et la conduite des opérations, la France a ainsi organisé autour de l'état-major général (CEMA) quatre entités particulières la Direction du renseignement militaire (DRM), le Commandement des opé rations spéciales (COS), le Centre opérationnel interarmées (COIA) et l'état-major interarmées de planification opérationnelle (EMIA) qui furent déjà mis en oeuvre avec le PCIAT dans le passé (opération Turquoise en 1994) et qui devront être partie prenante dans le futur pour de possibles interventions françaises sur le continent. 10. Evaluation des coûts La coopération militaire française au sens strict est gérée par le ministère de la Coopération (devenu délégué auprès des Affaires étrangères) et plus récemment par le secrétariat d'Etat à la coopération, en partie aux ordres du Quai d'Orsay (cf. 2ème partie). Elle concerne les pays du champ, principalement de l'Afrique subsaharienne. 43
La coopération militaire traditionnelle, mise en oeuvre par la Mission militaire de coopération de la rue Monsieur, dispose d'un financement inclus dans les apports de la France pour l'aide publique au développement (APD). En 1996, les crédits consacrés à la coopération militaire classique étaient encore regroupés au sein du chapitre 41-42 du budget du ministère de la Co opération. La part du budget de la Mission militaire de la coopération dans le budget du ministère s'élevait autour de 13 % en 1992 pour tomber à 11 % en 1996' 2°. Elle correspondait à 783 millions de FF en 1995, 776 millions en 1996, 739 millions en 1997 et 703 millions prévus en 1998. Cela représente également, en 1996,0,4% du budget de la Défense nationale"'. La réduction de 4,7% de la dotation en 1997 par rapport à 1996 repose sur la diminution des moyens en effectifs de l'assistance militaire technique, même si l'aide en matériel progresse de 18 millions de FF par rapport à 1996' 22 (cf. annexe 6). La répartition budgétaire est la suivante : un volet d'assistance militaire technique incluant rémunération et fonctionnement (522 millions de FF en 1996, soit 67% pour 468 millions prévus en 1997), un volet « aide directe en matériels et en entretien » (162 millions, soit 21% pour 180 millions prévus en 1997 et 1998) et un volet « formation des cadres militaires » (91,7 millions, soit 12%)"3, resté inchangé pour 1997 mais en augmentation pour 1998 (104 millions FF) 121. Il faut ajouter l'utilisation du Fonds d'aide et de coopération (FAC), ins trument destiné à mettre en oeuvre l'aide-projet par laquelle le ministre de l'Economie et des Finances autorise des investissements directs dans « des projets de développement ». Echappant aux règles de l'annualité budgétaire, sans affectation a priori, les ressources peuvent dès lors être mises à dispo sition de projets en offrant aux responsables de la Coopération une certaine latitude. Ainsi, en 1995, 95 millions ont été prélevés directement sur la ligne budgétaire civile de la FAC pour la fourniture de moyens logistiques destinés aux forces de sécurité intérieure (gendarmeries, gardes nationales). Et pour compliquer le tout, il ne faut pas omettre le coût de la coopération des pays hors champ (notamment au Maghreb), géré directement par le Quai d'Orsay par la sous-direction de l'aide militaire (SDAM) composée de mi litaires détachés par le Ministre de la Défense auprès des Affaires étrangères avec un budget s'élevant en 1996 autour de 86 millions de FF. 8 Quant au ministère de la Défense, il entretient et gère les coûts relatifs à l'existence de bases prépositionnées et de forces dites temporaires (Tchad, Centrafrique). Selon Philippe Leymarie, l'estimation du coût du dispositif militaire français en Afrique tournerait autour de 1 milliard de FF par an (hors opérations spéciales et interventions)`, alors que Jacques Isnard évaluait en 1996 le coût des garnisons à environ 1 milliard de FF chacune pour le Tchad et la République de Centrafrique, 1,4 milliards pour Djibouti et 397 millions pour le Sénégal" 6. Enfin, pour couvrir certaines dépenses non prévues127, liées au surcoût d'opérations extérieures (fonctionnement, soldes majorées, matériels engagés, location de gros porteurs aériens, entretiens avancés par usure prématu rée) comme pour Turquoise (l milliard de FF de surcoût), il est arrivé au gouvernement de réclamer au Parlement un « collectif » budgétaire en faveur de la défense (budget général de l'Etat) ou d'utiliser certaines mesures internes au ministère de la rue St Dominique (excédent de gestion ou économies réalisées sur les dépenses de carburant). Avant l'élargissement du champ en 1995, on pouvait lire que « de manière générale, on observe la faiblesse des crédits consacrés à la coopération militaire par le Quai d'Orsay par rapport aux moyens de même objet dégagés par le Ministère délégué à la Coopération : 88,5 millions de francs français pour le Ministère des Affaires étrangères, en 1996, 714 pour le Ministère délégué à la Coopération ; 85, 5 millions de francs pour le Quai d'Orsay prévus en 1997, 640 pour la rue Monsieur. Ce déséquilibre ressort de manière encore plus flagrante si l'on considère que la Mission militaire de coopération exerce ses compétences dans un nombre limité de pays d'Afrique subsaharienne (ainsi qu'au Cambodge), alors que les crédits de coopération mili taire du Quai d'Orsay ont une vocation mondiale. L'Afrique subsaharienne à elle seule absorbe donc l'équivalent de plus de sept fois les crédits consa crés à la coopération militaire avec le reste du monde (...) ». Les crédits en matière de formation des stagiaires étrangers, à savoir 18,5 millions de francs en 1997, doivent aussi « être rapprochés des quelque 91,7 millions de francs que le Ministère de la coopération consacrera, en 1997, à la formation des stagiaires africains"$». 45 77. SGDN, op. cit., p. 59. 78. Tchad. Un pays soumis à l'arbitraire des forces de sécurité avec la complaisance de pays étrangers, Rapport d'Amnesty International (AFR 20/04/96 F), Londres, 10 octobre 1996, p. 25. 79. Entretien avec 1e général Michel Rigot, Paris, 26 juin 1997. 80. Dominique Bangoura, « Les nouveaux enjeux... », op. cit., p. 136. 8L Patrice Bouveret, « La coopération militaire française », Rapport /996 de l'Observatoire des transferts d'armements, CDRPC, Lyon, 1996, p. 43. 82. Bernard de Froment, op. cit., p. 19 ; Le Monde, 14 octobre 1997. 83. Collectif, Dossiers noirs..., op. cit., p. 218. 84. Hugo Sada, « Le budget de la coopération en baisse », Défense nationale, Paris, janvier 1997, p. 183. 85. Question écrite de M. Xavier de Villepin, op. cit. 86. Le Monde, 20-21 novembre 1988. 87. Rapport d'activité /996 du Ministère de la Coopération, Paris, 1997, p. 149. 88. Question écrite de M. Xavier de Villepin, op. cit. 89. Entretien avec 1e général Michel Rigot, Paris, 26 juin 1997. 90. Général de division de Linage, « Collège interarmées de défense. Un creuset pour demain », Armées d'aujourd'hui, n°203, Paris, septembre 1995. 91. Général Henri Salaun, « Nos forces de frappe à l'extérieur », Science et vie n° 157, hors série, Paris, décembre 1986, p. 142. 92. Pierre Dabezies, « Armée (pouvoir et société) », Supplément, tome 1, Encyclopaedia Universalis, Paris, 1996, p. 280. 93. Dominique Bangoura, Les armées africaines (/960-/990), CHEAM, Paris, p. 70. 94. Cf. exercice franco-sénégalais « Ndiambour VII » (1995) et exercice franco-ivoirien « Elephant 97 » (1997). 95. Entretien avec 1e général Keita, chef d'état-major général des forces armées sénégalaises, Armées d'aujourd'hui, Paris, mai 1995. 96. Pierre-Yves Le Bail, « Le point sur les 'Y'. Le Ministre de la Défense à l'EMIA de Creil », Armées d'aujourd'hui, Paris, février 1995. 97. Jean-Claude Marut, « Solution militaire en Casamance », Politique africaine, juin 1995, p. 165. 98. Jane's Military Exercice. Training Monitor, Londres, janvier-février 1997, p. L 99. Discours du CEMA à bord du TCD « Ouragan » à l'occasion de l'exercice Nangbeto, Togo, 20 mars 1997. 100. Mireille Duteil, « Ce que pèse encore la France en Afrique », Le Point, n'1263, Paris, 30 novembre 1996. 10L Philippe Leymarie, « La France s'accroche à son Afrique », Géopolitique du chaos, Manière de voir n33, Le Monde diplomatique, Paris, février 1997, p. 47. 102. Le Monde, 20 et 30 juillet, 9 octobre 1997; Libération, 24 juillet 1997. 103. En 1990, dès le début de la démocratisation sur 1e continent, Paris avait refusé au président ivoirien Félix Houphoüet-Boigny, l'intervention de ses forces pour faire face aux troubles intérieurs (Libération, 1 décembre 1995).
104. Entretien avec Antoine Glaser, Paris, 26 juin 1997. 105. Jean-Paul Pigasse, « Le message de Charles Millon à l'Afrique », Jeune Afrique, n° 1860, Paris, 28 août-3 septembre 1996, p. 9. 106. Hugo Sada, « Réexamen de la politique militaire française en Afrique? », Défense nationale, Paris, juin 1997, pp. 184-185. 107. Général Michel Rigot, « Priorités... », op. cit. 49
108. Lucchini (Li. Col.), op. cit., p. 28. 109. Jean Chesneau, « Armées d'Afrique subsaharienne », Armées d'aujourd'hui n°202, Paris, juillet-août 1995, p.33. 110. Général Michel Rigot, « Priorités... », op. cit. 111. Idem. 112. Ministère de la Défense, Rapport d'orientation sur la politique de défense, Paris, mars 1996, p. 5. 113. Ministère de la Défense, Rapport d'orientation sur la politique de défense, Paris, mars 1996, p. 5. 114. Lors de l'opération « Oryx » en Somalie (décembre 1992), la France a, entre autres, utilisé un détachement d'hélicoptères de combat (Sème Régiment de Pau) appartenant à la 4ème Division aéromobile de Nancy, une brigade logistique de la Force d'action rapide (FAR) et un détachement de commandement et d'état-major provenant en partie de la FAR. 115. La FAR s'est engagée en 1994 dans deux exercices en Côte-d'Ivoire et au Bénin, pour tester lacapacité d'intervention de ses détachements placés en prépositionnement (cf. Armées d'aujourd'hui n°189, Paris, avril 1994, p. 8). 116. Michel Roquejeoffre, « La force d'action rapide », Défense nationale, Paris, janvier 1994, p. 17. 117. Les COS intègrent 1e 1er Régiment parachutiste d'infanterie de marine (RPIMa); une escadrille d'hélicoptères « opérations spéciales » 5/67 « Alpilles »; 1e groupement des commandos marine Hubert, Jaubert, de Montfort, Trepel et de Penfentengo; 1e commando parachutiste de l'air n°10, bâtiment de soutien de nageurs de combat « Poséidon » ,1' escadron de protection et d'intervention. 118. Cf. Armées d'aujourd'hui, n°182, Paris, juillet-août 1993, p. 37. 119. Fabien Spillmann, « Le commandement des opérations spéciales (COS). Orienté vers l'action », Armées d'aujour'hui, n°215, Paris, novembre 1996, p. 22. 120. Rapport d'activités /996 du Ministère de la Coopération, Paris, 1997, p. 146. 121. Landry Noutchang, op. cit., p. 3. 122. Bernard de Froment, op. cit., p. 17. 123. Patrice Bouveret, « La coopération militaire française », op. cit., p. 42. 124. Michel Voisin, op. cit., p. 44 ; Le Monde, 14 octobre 1997. 125. Philippe Leymarie, op. cit., p..47. 126. Le Monde, 7 novembre 1996. 127. René Galy-Dejean, Avis n °/755 présenté au nom de la Commission de la Défense nationale et des forces armées sur le projet de loi de finances rectificatrices pour /994, Assemblée nationale, Paris, 1 décembre 1994, p. 33. 128. André Dulait, Avis n °89 présenté au nom de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des forces armées sur le projet de loi de finances pour /997, adopté par l'Assemblée nationale, Tome /. Affaires étrangères, Sénat, Paris, 21 novembre 1996, pp. 49-50. Les acteurs de la coopération militaire En France, toute la difficulté d'examiner la politique militaire vis-à-vis de l'Afrique et du domaine de la coopération réside dans l'enchevêtrement des acteurs et la complexité du processus de décision. Qui contrôle, qui exécute, qui conçoit et élabore la coopération militaire? Quels sont les acteurs de façade et les vrais décideurs ? Y a-t-il harmonisation et relais efficients entre les instances administratives et les instances politiques ? En réalité, la gestion de la coopération militaire et 1e processus de définition des interventions militaires sur 1e continent restent complexes car répartis entre plusieurs ministères (ou Secrétariat d'Etat) comme Matignon, la Défense nationale, la Coopération, 1e Quai d'Orsay, 1e Secrétaire général de la Défense nationale (SGDN), avec un processus de centralisation décision nel qui passe souvent par l' Elysée, impliquant par ailleurs les secteurs du renseignement que sont la DST et la DGSE. Sous-jacents à ces structures étagées, nous voyons apparaître à la fois l'éclatement du processus de décision au sein des institutions selon les domaines concernés (coopération technique, interventions, prépositionnement, formation, missions spéciales, relations entre chefs d'Etats...), 1e fractionnement des compétences et les rivalités ou les concurrences inter-organisation nelles. Cette nébuleuse des lieux de décision et d'opération met en évidence, par moments, des luttes d'influence ne recoupant que très partiellement les traditionnelles rivalités politiques gauche-droite. L'héritage africain de la France transcende bel et bien les différents partis. 1. Du Ministère au Secrétariat d'Etat délégué à la Coopération Créé sur initiative de Jacques Foccart et inscrit par décret du 18 mai 1961 en lieu et place du Secrétariat d'Etat français aux relations avec les Etats de 51 la Communauté africaine (organisée par le général de Gaulle en 1958), 1e ministère de la Coopération a disposé depuis 1965 d'un département s'occupant de coopération militaire: la Mission militaire de coopération (MMC) qui gère une partie du budget de la Coopération. Ce rattachement tenait à deux raisons principales: « l'une est d'ordre his torique, liée à la décolonisation des territoires africains; l'autre se rattache au fait qu'il n'y a pas en Afrique subsaharienne de politique de développe ment et de coopération possible sans sécurité »'. Les quelque cinquante techniciens de la Mission militaire de coopération répartie en cinq bureaux' à la rue Monsieur, dont 1e général Michel Rigot3 (infanterie de marine d'origine) est 1e présent titulaire, sont impliqués à la fois dans la mise à disposition d'experts français, l'accueil et la formation de stagiaires étrangers et la fourniture de matériel. Ces actions se situent dans un double cadre: « celui de la coopération décidée au niveau gouvernemental et dont les orientations sont fixées après analyse de l'ensemble des paramètres politiques, économiques et sociaux des pays du champ » et, d'autre part, « celui des accords bilatéraux de coopération et d'assistance technique passés par la France avec chaque Etat du champ »4. Auparavant, seuls les pays d'Afrique (des Caraïbes et du Pacifique) signataires des Accords de Lomé étaient dépendants pour l'organisation et la mise en oeuvre de la Mission militaire de coopération; les autres Etats con cernés par la coopération militaire française étaient du ressort du ministère des Affaires étrangères, au Quai d'Orsay. Au début des années 90, 1e champ du ministère de la Coopération atteignait 37 Etats (pays africains non francophones exclus). Le 20 juin 1995, fut entérinée par décret l'extension du champ des compétences à 71 pays africains (les 70 Etats de l'ACP signataires de la Convention Lomé IV avec l'Union européenne, ajoutés à l'Afrique du Sud). Mais parmi ces 71 pays, le champ d'action de l'assistance militaire technique française n'était présent en 1996 que dans vingt-trois de ces Etats, dans 1e cadre strict d'accords de coopération. Si les différents ministres de la Coopérations mettent en oeuvre les plans techniques et financiers de la Mission militaire de coopération, le processus de décision et la définition politique de la coopération restent entre les mains de l'Elysée, du Quai
d'Orsay et de la rue St Dominique. En réalité, 1e rôle de concepteur de la coopération n'est pas assuré par 1e Ministre de la Coopéra52 tion qui, en matière militaire, est fortement marginalisé, mis sous tutelle, sous influence ou plus généralement complice des analyses menées à la cellule africaine de l' Elysée. Pour Petiteville, 1e ministère de la Coopération « a connu peu de titulaires porteurs de grands projets politiques, ou même simplement crédités d'une certaine autonomie par rapport à la ligne fixée par l'Elysée en matière de politique étrangère »6. Et même si, à plusieurs reprises, certains chefs d'Etat africains réclamè rent, avec une certaine réussite, le maintien d'un ministère de la Coopération autonome (face aux Affaires étrangères) que ce soit en 1974 (après avoir été supprimé) ou en 1986 (lors de la première cohabitation), cela ne pouvait dissimuler son caractère gestionnaire. La définition politique de la coopération militaire se décidait ailleurs, à tel point que ces dernières années, 1e ministère de la Coopération engagea, via une série d'études et de rapports de fond réalisés par des universitaires et experts indépendants, une politique d' auto-fla gellation destinée à « accréditer l'idée que la responsabilité du mal se situe ailleurs »7. Deux fois, il fut transformé en ministère délégué auprès des Affaires étran gères : en 1981 sous un gouvernement socialiste puis en 1986. Chaque fois, l'Elysée fit en sorte que la Coopération conserve toutes ses compétences et ses moyens autonomes. Après une lutte d'influence, la mise en évidence d'idées réformatrices en la matière et l'imposition par Matignon de person nalités provenant du corps des modernistes, une réforme eut lieu en 1995 (décret n °95-751 du 1er juin relatif aux attributions du ministère des Affaires étrangères) ; elle impliquait la perte d'autorité politique du ministère de la Coopération dans les décisions de politique africaine « sauf en ce qui concerne l'aide au développement »8 et donc 1e rattachement du ministère de la Coopération au Quai d'Orsay en tant que ministère délégué. Néanmoins, cette réforme n'avait pas d'assise suffisamment solide et de soutien élyséen. Le président Chirac et son lobby « foccardien » en phase avec 1e ministre délégué à la Coopération, Jacques Godfrain9, réussirent à empê cher la suppression par 1e Quai d'Orsay de la Direction de l'administration générale et d'une certaine autonomie budgétaire et en personnel. Si pour des raisons politiques et de personnification africaine, 1e président Chirac ne souhaitait pas que 1e ministère de la Coopération soit sous la coupe totale des Affaires étrangères - même du temps du gouvernement Juppé -, 53
la cohabitation politique instaurée avec le gouvernement Jospin en 1997 pourrait réduire cette autonomie. Déjà, la première mesure du Premier ministre socialiste a été de transformer 1e ministre délégué de la Coopération en un simple secrétariat d'Etat chargé de la Coopération (Charles Josselin, socialiste rocardien), auprès du ministère des Affaires étrangères. On observe ainsi un processus de rétraction du dispositif de décision en matière de coopération où 1e lieu de débat, de confrontation et de définition impliquera un jeu d'influences entre l'Elysée et 1e Quai d'Orsay, avec, selon les situations et les dossiers, d'autres partenaires comme la Défense nationale et Matignon. 2. Le ministère des Affaires étrangères La coopération militaire menée longtemps par le Quai d'Orsay ne s'adressait pas aux pays relevant du champ d'action du ministère de la Coopération (cf. plus haut). Aussi, les « actions de la coopération militaire conduites par le Ministère des Affaires étrangères en liaison avec le Ministère de la Défense concernent quelque 80 pays ne relevant pas du "champ" de compétence de la Mission militaire de coopération »10. Mais l'intégration de la politique de coopération dans la politique étran gère qui eut pour conséquence l'ouverture du «champ» aux pays signataires des Accords de Lomé auxquels s'est jointe l'Afrique du Sud, représenta « plus un enjeu de politique extérieure que de coopération, a fortiori de coopération militaire »". Malgré la volonté d'Alain Juppé, exprimée dans une lettre de mission adressée au Ministre de la coopération, de « renforcer l'unité, la cohérence et la transparence des différents outils de la coopération (... ) et mieux insérer la politique du développement dans la politique extérieure de la France », longtemps 1e Quai d'Orsay subit les réticences autonomistes de la rue Mon sieur, soutenues par l'Elysée et les réseaux franco-africains. La volonté pour le Quai de rétablir une certaine primauté face aux ministères rivaux (Coopération, Finances, Défense nationale) en matière de définition de la coopération, la tentative de sortir, en pleine cohabitation, 1e dos sier de l'opération Turquoise (Rwanda) du domaine réservé de l'Elysée et l'extrême prudence des Affaires étrangères à propos des interventions mili54 taires en Afrique, indiquent à suffisance la frustration des diplomates d'avoir été écartés12 du processus de décision. Malaise d'autant plus consistant que 1e Quai reste seul compétent pour la gestion des relations diplomatiques et consulaires avec les pays d'Afrique, via sa Direction des Affaires politiques africaines et malgaches. L'intégration, sous 1e nouveau gouvernement Jospin, de la Coopération (réduit à un secrétariat d' Etat) dans les Affaires étrangères conduites par Hubert Vedrine répond en partie à ces rivalités et lacunes. Le processus d'har monisation de la politique africaine de la France, particulièrement dans son volet militaire, est donc engagé, pondéré par la difficulté de la cohabitation, dès le moment où la politique française à propos du continent prend encore sa source à l'Elysée. Avec cette suprême complexité, que 1e responsable de la diplomatie est un mitterrandien et donc en théorie un proche de la person nification à l'africaine, phénomène responsable de certains maux qui caractérisent en partie la coopération France-Afrique. Nonobstant, Antoine Glaser" y voit plutôt un esprit proche de Xavier de Villepin à propos d'une politique africaine qu'il ne connaîtrait que de sa marge marocaine ; ce qui tendrait à accréditer plutôt l'idée d'une volonté de banaliser les relations France-Afrique. Banalisation canalisée néanmoins par la présence comme conseiller de Georges Serre, ancien conseiller économique de la cellule africaine de l'Elysée entre 1992 et 1994. 3. Le ministère de la Défense En matière de politique africaine, 1e ministère de la Défense nationale délègue du personnel au sein de la cellule Mission militaire de Coopération, hier intégrée au ministère de la Coopération (aujourd'hui secrétariat d'Etat). L'assistance militaire technique reste une prérogative de ce dernier département. Néanmoins, 1e ministère de la Défense est responsable, financièrement et administrativement, des différents accords de défense conclus avec certains pays africains, des troupes prépositionnées sur 1e continent (cf. l ère partie) et des éventuelles interventions menées en Afrique. Le ministère de la Défense est chargé de la responsabilité des moyens militaires (gestion des forces, administration des armées, élaboration des plans 55 stratégiques et exécution des missions) et de l'exécution de la politique militaire sous l'autorité du Premier ministre. Dans la réalité, la rue St Dominique n'a pas la maîtrise directe de la coopération militaire de la MMC en Afrique. Aujourd'hui, 1e conseiller diplomatique du nouveau ministre socialiste Alain Richard est Dominique de Combles de Nayves, ex-directeur de cabinet des ministres de la Coopération Edwige Alice (1990-1992) et Marcel Debarge (1992)r4.
Au niveau supérieur, 1e Comité stratégique (instance consultative créé par 1e Ministre de la défense en juillet 1995 pour orienter et coordonner la modernisation de l'outil de défense) a certainement engagé quelques réflexions sur l'avenir des prépositionnements extérieurs et des accords de défense. Le centre opérationnel interarmées (COIA), quant à lui, installé dans les sous-sols du ministère de la Défense, sert de centre nerveux pour toutes opérations extérieures menées par les états-majors français. Le COIA est équipé et organisé pour permettre au chef d'état-major des armées de diriger et conduire les engagements. Quant à la fonction planification, elle est assurée depuis Creil, par l'état-major interarmées de planification opérationnelle (EMIA) qui reçoit les directives du chef d'état-major des armées et qui a déjà organisé plusieurs plans d'opérations dont celui de Turquoise au Rwanda. Selon les crises et les opérations d'intervention, 1e chef d'état-major de l'EMIA puise dans 1e réservoir de compétences des officiers regroupés non par armes mais par domaine de savoir-faire ou d'expertise (emploi des forces, soutien, télécommunications...) afin de constituer des groupes de tâches interarmées en fonction de ces missions souvent inopinées". D'une manière générale, la filière « troupes de marine » qui exprime la politique traditionnelle de la France en Afrique se trouve localisée à la fois dans les instances du ministère de la Défense, sur le terrain mais surtout à l'Élysée. 4. L'Élysée La politique africaine de la France ne peut être examinée sans tenir compte du poids prépondérant des différents présidents de la République en tant que chefs des Armées. Véritable chasse gardée et domaine réservé pour l'Élysée - même si cette notion n'a aucune légitimité en droit français -, le dossier africain autrefois géré par 1e Secrétariat général pour les affaires afri56 caines et malgaches l'est aujourd'hui par la cellule africaine, souvent occupée par des ambassadeurs africanistes, parfois informellement dédoublée par différents experts formant des réseaux « France-Afrique ». La centralisation élyséenne de la politique africaine est une constante liée à l'histoire française sur 1e continent et aux différents avatars post-coloniaux. « L'Élysée pèse notamment de tout son poids dans la gestion de la coopération franco-africaine, pour ce qui touche aux accords de défense et aux relations diplomatiques, en particulier dans toutes les situations de crise: interventions militaires françaises sur le continent africain, suspension de la coopération... »'e. A tel point que, lorsqu'il a fallu décider d'une riposte militaire proportionnée suite à l'assassinat de deux militaires français à Bangui en novembre 1996, c'est l'Élysée qui donna les directives et le feu vert final17. Assurément, l'Élysée continue à fixer les grandes orientations de la politique étrangère tout en détenant un rôle moteur- c'est souvent l'Élysée qui envoie 1e ministre des Affaires étrangères en visite lors des crises-avec quelques inflexions et relations plus râpeuses lors des cohabitations. Quant à la politique française d'intervention en Afrique, elle a été « hautement personnalisée autour de la présidence de la République, incarnation moderne pour certains de ce qu'était au XVIIIème siècle le secret du roi qui se substituait souvent à la politique officielle du ministère des Affaires étrangères »'8, sans pour autant se substituer réellement au Quai d'Orsay comme pôle de synthèse". Par tradition de la V ème République, 1e dossier Afrique et donc la gestion du « pré carré » est sous contrôle politique de l'Élysée, qui gère en grande partie 1e dispositif de la coopération. La spécificité de la lecture africaine faite à l'Élysée et la politique exprimée par 1e Président de la République tiennent aussi parfois à l'influence importante du Secrétaire général et à sa connaissance des dossiers africains"; elle tient davantage à celle des officiers de l'étatmajor particulier du Président" qui informent et préparent les décisions, mais souvent à celle des personnalités engagées dans la puis les deux cellules africaines22, impliquant indirectement ou plus directement les fameux « réseaux ». Ceux-ci fonctionnent comme des systèmes « politico-clientélistes » franco-africains. Leur origine remonte à la période de décolonisation ; ils furent mis en oeuvre à l'époque par Jacques Foccart23. Les réseaux privilégiaient les 57
relations personnelles par rapport aux procédures bureaucratiques, pour aboutir à une « gestion filiale de la politique africaine renforçant le sentiment qu'en France, aussi, le pouvoir est une affaire de famille »z4. Les réseaux (foccardiens, mitterrandiens"...), ont existé dans, autour et aux alentours de l' Élysée, court-circuitant souvent les Affaires étrangères, soutenant la politique gaulliste, perturbant parfois la politique élyséenne elle-même (par l'existence du réseau Pasqua) ou la dédoublant (par la création au 14 rue de l'Élysée d'une cellule franco-africaine bis, foccardienne, plus personnalisée au profit de la présidence chiraquienne). Ainsi, la cellule africaine de l'Élysée, bien que jugée inefficace du point de vue bureaucratique, a entretenu en partie les réseaux qui avaient pour mission de devenir des relais dans les relations entre chefs d'États africains et l'Élysée, dans les milieux économiques français impliqués en Afrique et dans 1e cadre d'intérêts politiques et électoralistes. Ces liens particuliers ont permis de démultiplier 1e poids de la France en Afrique. Mais on a perçu rapidement la perversité d'un système où les relations ne se situent plus entre Etats mais entre les membres de deux classes di rigeantes26. Diplomatie hyperpersonnalisée et clientélisme, familialisme et « patrimonialisme »z7, « filialisme » impliquant des relations entre fils et filles de chefs d'État français et africains, ne peuvent finalement aboutir qu'à une « confusion entre l'action para-diplomatique et les affaires privées » 28, une confusion entre la lutte du pouvoir et la lutte pour les richesses29, d'une « di plomatie où s'entrechoquent curieusement secret et cacophonie » 30. Pire, les réseaux ont pu intervenir pour forcer parfois les politiques à muscler leur diplomatie au point d'engager certaines interventions ou implications françaises ou en définitive agir au profit de chefs d'État africains31. On déplorait déjà la confusion des politiques, l'absence d'harmonie et les incohérences diplomatico-militaires dues aux multiples sources de décision, strates successives des clans et réseaux gaullistes (pris en charge ensuite par des éléments giscardiens et mitterrandiens"). S'est ajoutée à ce tableau « une familiarité douteuse entre chefs d'État et leurs proches, confondant la sta bilité souhaitable des institutions avec le maintien, par la force, de rentes et privilèges prélevés sur des pays malmenés »ss. Aujourd'hui, après que 1e Secrétaire général de l'Élysée, Dominique de Villepin, sous 1e gouvernement Juppé, ait refusé de voir encore les réseaux 58 retrouver un rôle majeur 34 pour mettre en avant des conseillers proches du Quai, il est probable que l'influence des réseaux en général35 et la marge de manœuvre du président Chirac en matière de politique africaine en particu lier iront en diminuant. La révolution géopolitique en cours en Afrique tout comme le résultat des élections de mai 1997 ont affaibli considérablement la présidence sur la scène internationale et probablement en Afrique, là où la personnification des relations est une valeur essentielle. Il est probable que l'Élysée pourrait éventuellement freiner certaines réformes décidées par 1e gouvernement Jospin sans que cela n'aboutisse à de fortes tensions, d'autant que la politique africaine n'est pas un domaine prioritaire pour les hôtes de Matignon et que 1e parti socialiste dispose également de certains relais personnalisés36 rocardiens en Afrique à ne pas trop déstabiliser. Y aura-t-il une nouvelle influence d'un réseau -certes plus lâche et certainement moins dense que les réseaux gaullistes - autour de l'esprit rocardien, à certains postes (Alain Richard comme ministre de la Défense, Jean-Maurice Ripert comme conseiller à Matignon, Charles Josselin comme secrétaire d' Etat à la Coopé ration et Michel Dubois comme « Monsieur Afrique ») des disciples de l' ancien Premier ministre socialiste ? Ce n'est sans doute pas par hasard que Mi chel Rocard a succédé à Bernard Kouchner à
la présidence de la Commission Développement du Parlement européen et que Claude Marti, rocardien, tente de « vendre » 1e président togolais Eyadema. Nous pouvons nous interroger, sachant que des chefs d' Etat africains ont plaidé - tradition bien établie lors d'élections - auprès de Lionel Jospin pour que Michel Rocard soit nommé ministre des Affaires étrangères et de la Coopération. 5. Les autres départements En matière de coopération et surtout d'interventions militaires, 1e Pre mier ministre dispose d'un certain droit de regard, dans la mesure où les décisions en matière de direction générale de la défense sont arrêtées en Conseil de défense, auquel participent, outre 1e Président de la République, plusieurs ministères concernés. Qui plus est, désigné comme « responsable de la défense nationale » par la Constitution (art. 21) et par l'ordonnance du 7 janvier 1959, 1e Premier mi59 nistre assure la mise en oeuvre par 1e Gouvernement des décisions des con seils ou comités de défense. Le Premier ministre peut aussi choisir des conseillers en matière de politique africaine, comme le fit Jacques Chirac en 1986 en choisissant Jacques Foccart comme conseiller pour l'Outre-mer. Selon les périodes et la personnalité des Premiers ministres, Matignon peut jouer un rôle important en politique étrangère, parfois au détriment du Quai d'Orsay, comme ce fut 1e cas lorsque Alain Juppé était Premier ministre et qu'il plaça ses anciens collaborateurs à l'Elysée et aux Affaires étrangères. Le nouveau Premier ministre Jospin n'étant pas spécialiste de l'Afrique, il ne devrait pas être tributaire d'amitiés encombrantes ou de promesses solennelles à tenir37. Parallèlement, le Premier ministre est assisté dans ses attributions de défense globale par 1e Secrétariat général de la défense nationale (SGDN), qui exerce, auprès du Premier ministre et du Président de la République, des fonctions de réflexion, de proposition de coordination, assure la préparation et le suivi des décisions prises par 1e Conseil de défense et assiste le Premier ministre dans l'exercice de ses responsabilités en matière de direction générale de la défense. Plus précisément, les affaires africaines sont traitées au sein du département des Affaires internationales et stratégiques. Depuis 1996, 1e SGDN préside 1e Comité de pilotage de la coopération militaire, composé de représentants du ministère des Affaires étrangères, de la Défense nationale et de la Coopération à propos de l'évaluation de la co opération militaire. Sans pouvoir de décision politique, 1e SGDN fait office, depuis la réforme de 1996, de coordinateur et de médiateur interministériel, afin de permettre les arbitrages (au Comité de pilotage et même au Comité stratégique de la défense nationale), tout en jouant un rôle de « veille » et de prospective. Reste 1e ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie (Direction du trésor et Direction des relations économiques extérieures) qui, de Bercy, gère près des deux tiers de l'aide publique au développement et qui joue un rôle important en matière de financement de la coopération militaire et dans certaines opérations particulières comme la campagne visant à ré duire les effectifs de l'armée tchadienne. Quant au ministère de l'Intérieur, il n'est pas directement impliqué dans la coopération militaire sauf dans la mesure où elle rejoint, par l'aide en matière de coopération policière franco-africaine, via le Service de coopération 60 technique international de police (SCTIP), les objectifs nouveaux de la coopération militaire : aider à la stabilité des institutions, promouvoir la sécurité interne. Sous 1e ministère Pasqua, on utilisa le SCTIP comme organisme de vente de matériels en lui ouvrant les crédits du Fonds d'aide et de coopération (FAC). Il était courant, alors, d'envoyer en mission des équipes de quatre ou cinq policiers pour monter de toutes pièces les services de sécurité de certains chefs d'Etats africains. Ces hommes pouvaient également rédiger des rap ports sur la situation politique et économique du pays pour alimenter la réflexion des réseaux, sans passer par les ambassades (et donc en contournant 1e Quai d'Orsay38). Ce temps semble révolu. L Lucchini (Lt. Col.), op. cit., p. 22. 2. Bureau d'études et de coordination, bureau des personnels, bureau des stages, bureau de la logistique, bureau de finances. 3. Ancien responsable Afrique au ministère de la Défense du temps de François Léotard. 4. Michel Voisin, op. cit., pp. 41-42. 5. Jean Foyer, Raymond Triboulet, Jean Charbonnel et Yvon Bourges (sous de Gaulle); Yvon Bourges et Jean-François Deniau (sous Pompidou); Pierre Abelin, Jean-Noël Lipowski et Robert Galley (sous Giscard d'Estaing); Jean Pierre Cot, Christian Nucci, Michel Aurillac, Jacques Pelletier, Edwige Awice, Marcel Debarge, Michel Roussin et Bernard Debré, (sous Mitterrand); Jacques Godfrain, Charles Josselin (sous Chirac). 6. Franck Petiteville, op. cit., p. 584. 7. Ibid., p. 597. 8. Dominique Bangoura, « Les nouveaux enjeux...», op. cit., p. 103. 9. Jacques Godfrain, qui fut membre du Service d'action civique, est 1e filleul de Jacques Foccart (cf. Agir ici-Survie, Dossiers noirs de la politique africaine de la France n6. Jacques Chirac et la Françafrique. Retour à la case Foccart ?, L'Harmattan, Paris, 1995, p. 102.) 10. André Dulait, op. cit., p. 47. 11. Dominique Bangoura, « Les nouveaux enjeux... », op. cit., p. 106. 12. Dominique Moïsi, op. cit., p. 177. 13. Entretien avec Antoine Glaser, Paris, 26 juin 1997. 14. La Lettre du continent, n°284, Paris, 19 juin 1997, p. L 15. Robert Carmona, « L'état-major interarmées de planification opérationnelle », Défense nationale, mars 1995. 16. Franck Petiteville, op. cit., p. 589. 17. Le Monde, 7 janvier 1997. 18. Dominique Moisi, op. cit., p. 176. 19. Samy Cohen, « En miettes? Fictions et fonction du discours sur "l'éclatement" de la politique extérieure », Politique étrangère, IFRI, Paris, 1er trimestre 1986, p. 143. 61 20. Le poste de Secrétaire général de l' Elysée est également occupé par un familier des dossiers africains : Dominique de Villepin, ancien directeur des affaires africaines et malgaches de 1980 à 1984 au Quai d'Orsay. 21. Le général Huchon et l'amiral Lanxade, officiers de l'état-major particulier de François Mitterrand ont ainsi fortement marqué et influencé la politique africaine du Président de la République. 22. Aujourd'hui, la cellule officielle de l'Elysée (au n°2) est occupée entre autres par Michel Dupuch tandis que la cellule plus officieuse (au n°14) accueille actuellement Fernand Wibaux et Maurice GourdaultMontagne (cf. La lettre du continent, n°284, 19 juin 1997, p. 2). 23. A propos de Foccart et des réseaux gaullistes en Afrique, lire Pierre Pean, L'homme de l'ombre, Fayard, 1990; Philippe Gaillard (Entretiens avec), Foccart parle, Fayard/Jeune Afrique, Paris, 2 tomes, 1995-1997; Stephen Smith et Antoine Glaser, Ces messieurs Afrique. Le Paris-Village du continent noir, Calmann-Lévy, Paris, 1992; Claude Wauthier, Quatre présidents et l'Afrique, Seuil, Paris, 1995.
24. Anne-Sophie Boisgallais, « Les dérives de la coopération militaire de la France en Afrique », Rapport /995 de l'Observatoire permanent de la Coopération française, Desclée de Brouwer, Paris, 1995, p. 16. 25. Dossiers noirs de la politique africaine de la France n°6, op. cit., p. 10; Cf. également Jean-François Bayart, La politique africaine de François Mitterrand, Karthala, Paris, 1985; François Mitterrand, Réflexions sur la politique extérieure de la France, Fayard, 1986; Gabriel Robin, La diplomatie de Mitterrand ou le triomphe des apparences, éd. de la Bièvre, Loges-en-Jossas, 1985; Claude Wauthier, op. cit. 26. Jean-François Médard, « Coalition pour ramener à la raison démocratique la politique africaine de la France », Actes de la mise en examen de la politique africaine de la France, Biarritz, 89 novembre 1994, p. 7; cité par Philippe Marchesin, op. cit., p. 23. 27. Collectif, Dossiers noirs de la politique africaine de la France n °/ à 5, op. cit., p. 68. 28. Jean-François Bayart, Interview, Le Monde, 29 avril 1997. 29. Olivier Lanotte, op. cit., p. 9. 30. « Triple faillite française », Editorial, Le Monde, 19 mars 1997. 31. Entretien avec 1e professeur Jean-François Bayait, Paris, 22 mai 1997. 32. Entretien avec Antoine Glaser, Paris, 26 juin 1997. 33. Collectif, Dossiers noirs de la politique africaine de la France n°I à 5, op. cit., p. 52. 34. André Passeron, « Jacques Foccart, les parfums de l'ombre », Le Monde, 20 mars 1997. 35. Jacques Foccart, qui a travaillé pour de Gaulle, Pompidou et Chirac, en organisant aussi leur campagne électorale en Afrique, est mort le 19 mars 1997 à l'âge de 83 ans mais les réseaux gaullistes pourraient subsister via Fernand Wibaux qui est installé à l' Elysée au sein d'une cellule africaine bis. 36. La lettre du continent, n°283, Paris, 5 juin 1997. 37. Géraldine Faes, « Sale temps pour les dinosaures », L'autre Afrique n°3, Paris, 4-10 juin 1997, p. 21. 38. Les Dossiers du Canard, n°51, Paris, avril 1994, p. 35. Pistes de réflexion critique 1. Luttes d'influence et processus de décision Comme l'examen succinct des organes de décision l'a montré, la politique africaine de la France et la définition de la coopération militaire sont avant tout une question de rapport de forces entre corps : tout dépend « des équilibres qui s'instaurent entre les personnes en charge de ce dossier, au sein de chacune des institutions »'. Le phénomène 1e plus perceptible est l'absence quasi constante de cohérence et de rationalité en matière de politique de coopération, la pluralité des centres de décision étant une source de dysfonctionnements. Coexistent dès lors deux particularismes: 1' extrême dilution dans la mise en oeuvre de la politique africaine par les différents acteurs et la forte concentration de la décision vu 1e poids élyséen. Pour d'aucuns, l'absence de clarté de la politique africaine de la France tient moins à sa complexité « qu'à la confusion des buts et à l'absence de projets qui la sous-tendent »2. Reste que cet éclatement, d'autant plus prononcé lorsque la France politique traverse une phase de cohabitation, préserve finalement une assez grande autonomie du décideur élyséen, 1e Président semblant conserver 1e contrôle final en matière de décision. Ceci n'empêche pas nécessairement les contradictions. Ainsi, en décembre 1996, 1e président Chirac a insisté (dans 1e cadre du Sommet franco-africain de Ouagadougou) sur la nécessité de déployer une force internationale dans la région des Grands Lacs, alors que 1e ministre de la Coopération du moment, Jacques Godfrain, estimait qu'il n'était pas question d'y aller. Parallèlement, les réseaux sont souvent entrés en contradiction avec la politique étrangère de la France parce que l'exécutif semble avoir été dépassé par les groupes d'intérêts « qu'il a utilisés, tolérés ou laissé prospérer »3. Cet activisme des politiques parallèles aboutit à ce que les réseaux soient accusés 63 d'être impliqués dans des questions relatives à des activités occultes, trafics et criminalisation de la politique où certains officiers pouvaient parfois être bénéficiaires ou intermédiaires. L'existence de plusieurs diplomaties, l'envoi d'émissaires spéciaux de l'Elysée, la « multiplication concurrentielle des approches, des démarches officielles, officieuses ou clandestines »4, bref, le jeu des réseaux facilitait finalement « les capacités de négociation des Etats africains, ceux-ci changeant d'interlocuteur lorsqu'ils n'obtenaient pas ce qu'ils voulaient »5.Ils purent même obtenir la démission d'un ministre6. Pour Samy Cohen, il n'y a pas nécessairement d'anarchie en matière de politique africaine et d'émiettement en ce qui concerne 1e pouvoir de décision, mais une coordination dont « la localisation n'est pas toujours aisée à déterminer car elle ne s'effectue pas en un lieu unique mais à des échelons de responsabilités différents »7. En effet, contacts informels, réunions de hauts fonctionnaires avant arbitrage, discussion entre Matignon et l'Elysée à l'occasion d'interventions militaires extérieures ou contacts horizontaux entre services (avec leur cortège de jalousies bureaucratiques et de susceptibilités territoriales) caractérisent les débats et la définition de la politique africaine de la France. Bien que les réseaux gaullistes soient moins actifs aujourd'hui', semblant s'effilocher en partie sans qu'apparaisse encore de véritable politique africaine, le polycentrisme des procédures et l'éparpillement des acteurs restent bien vivaces. Par ailleurs, l'Assemblée nationale et le Sénat semblent en grande partie hors jeu en matière de définition d'une politique africaine, sinon par le biais du vote du budget de la Coopération ou des Affaires étrangères, d'interpellations parlementaires et, éventuellement, lors de débats relatifs à telle ou telle intervention militaire. Ces incohérences s'ajoutent à un certain échec de la vision française du continent, ruinent aujourd'hui en partie le crédit de la France en Afrique, alors que Paris reste le premier fournisseur d'aide en développement. Pour 1e nouveau Secrétaire d'Etat à la Coopération, « l'existence de réseaux parallèles aux réseaux officiels en matière de sécurité, auprès de nombreuses présidences africaines, nuit à la lisibilité de l'action de la France en matière d'établissement ou de renforcement de l'Etat de droit »9. 64 De toute évidence, la définition d'une nouvelle politique de coopération militaire dont nous examinerons plus loin les dysfonctionnements imposera une réforme en matière de fonctionnement, la réduction de l'influence, un contrôle étroit ou la mise hors-jeu des réseaux, la clarification des objectifs politiques de la coopération militaire, une simplification du processus de dé cision et une centralisation de la dimension militaire de la coopération. 2. Formation des armées africaines: attitudes et comportements Quels ont été le comportement et l'attitude des militaires africains formés au sein des écoles de formation en France ou en Afrique, dans le cadre des missions de coopération technique ? Ces formations se sont-elles traduites par une véritable capacité opérationnelle ? L'esprit républicain qui est censé animer les forces armées françaises a-t-il été transmis au sein des forces armées africaines impliquées dans le champ de la coopération française ? Le comportement des forces armées africaines en général correspond-il à celui des armées françaises en métropole ?
Globalement, le reproche le plus communément admis est que les militaires africains ont été longtemps formés dans un contexte d'affrontement Est-Ouest, en grande partie inopérant dans l'environnement africain, tout en étant issu de la tradition et des modèles militaires français. Les armées africaines, sous influence étrangère, ont ainsi une perception de la sécurité « importée ». Par ailleurs, plusieurs éléments négatifs ont été soulignés à propos de l'attitude de certaines unités militaires françaises en mission de coopération ou en mission d'intervention en Afrique, sans que les faits incriminés aient pu être reconnus officiellement aujourd'hui. Citons :l' organisation, après le génocide au Rwanda, d'une formation militaire donnée par des cadres français dans une base militaire en Centrafrique à des militaires et miliciens hutus extrémistes rwandais et burundais ;l' envoi d'attachés militaires français depuis Paris et Kinshasa jusqu' à Goma et Bukavu' °et, selon la Fédération internationale des droits de l'homme, les interrogatoires organisés par les Français de prisonniers rwandais du FPR ; l'implication possible de militaires français dans des trafics de stupéfiants (Tchad, Djibouti) ou de diamants (Ré65
publique centrafricaine) selon 1e rapport Bayart sur la criminalisation de la politique en Afrique. Le principal problème tient au peu d'influence des formations dispensées par la France depuis plusieurs décennies sur 1e comportement général des forces armées en Afrique. Une des raisons est à rechercher dans le contenu des formations dispensées où n'ont pas été intégrées les notions de défense et de culture des droits de l'homme' ` au sein des forces armées : le contexte géopolitique, les intérêts supérieurs, la mentalité militaire, les réticences de la hiérarchie et les besoins définis par les autorités autochtones ne prédisposaient pas à insister sur ces domaines. Mais les vrais éléments explicatifs sont davantage internes au continent, aux structures sociales et ethniques, aux difficultés économiques et à la personnification des chefs d'Etats locaux. En Afrique, « les armées sontplurielles dans leur origine, leurs cultures, leurs moyens et leurs relations avec le pouvoir »r 2. En Afrique subsaharienne, les armées sont souvent sous contrôle d'une élite politique qui bénéficie du contrôle absolu des organes de répression (brigade présidentielle, police secrète, unités d'élite de l'armée, organisations paramilitaires, milices ethniques). En d'autres mots, « les forces armées sont détournées de leur mission de défense extérieure et intérieure au profit de missions de sécurité de la minorité dirigeante »` 3. Dans de nombreux cas, les forces armées et leurs cadres proviennent de la région ou de l'ethnie d'où est originaire 1e chef de l'Etat, formant ainsi une garde prétorienne. Exemples : 80% des membres de l'armée camerounaise proviennent de la région de l'ethnie Kabye à laquelle appartient Biya ;1' ethnie Ngbandi du président Mobutu était bien représentée dans la Division spéciale présidentielle, le président Patassé de Centrafrique a démantelé l'ancienne garde présidentielle composée en majorité d'hommes de l'ethnie Yakoma au profit d'une force organisée autour de militaires Saras de la même origine que lui1 4. Même si l'élément ethnique n'explique pas tout (il peut parfois servir de paravent à des causes socio-économiques et politiques), le système tribal est considéré par de nombreux dirigeants africains comme meilleur que 1e système des partis et plus apte à créer des liens forts. L'im portance des attaches dites primordiales (liens de sang) joue d'autant plus fortement que les circuits économiques officiels sont en partie effondrés et 66 qu'il y a insécurité générale. Dès lors, le recrutement mono-ethnique des gardes rapprochées en particulier et des forces armées en général devient le mode de fonctionnement 1e plus courant. Un phénomène pervers apparaît : à l'ins tar de certains chefs d'Etat africains, les membres de ces forces ne disposent pas toujours d'une formation et d'une carrière liées à leurs compétences. Pire, vu l'existence de recrutements définis selon l'appartenance ethnique, en cas de changements politiques internes, nous voyons apparaître « des rapports antinomiques, générateurs de tensions, voire d'ambitions concurren tielles »15, pouvant se terminer par des conflits armés internes et, au pire, par un génocide (Rwanda). Pour Claude Nigoul et Jacques Antoine Basso, nous pourrions « dire que le patriotisme y est plutôt ethnique que stato-national, et que l'ennemi héréditaire n'est pas aux frontières mais bien à l'intérieur de l'espace artificiel qu'elles dessinent »16 . L'appartenance familiale et villageoise et 1e clientélisme clanique limitent alors drastiquement l'accès des postes de responsabi lités aux nonmembres. Parfois, afin de garantir la pérennité du pouvoir du chef d'Etat, certaines unités des forces armées sont remplacées - après avoir été isolées, non rémunérées, en partie désarmées et leurs chefs militaires parfois supprimés, parce que suspects -dans ce rôle de garants du pouvoir par des forces concurrentes spéciales. Ce sont les gardes présidentielles, les milices de partis (avec pour moteur, paravent ou prétexte les troubles ethniques), parfois les gendarmeries dont l'origine ethnique proche du Président est avérée (ex: groupe armé Zaghawa du président tchadien Idriss Déby ; milice d'auto-défense Songhay au Mali contre les rébellions nomades touareg). Ce sont souvent « de véritables armées privées »"jusqu'aux mercenaires que les chefs d'Etat arrivent à recruter et qui n'ont pas d'ordre à recevoir de l'état-major des forces ar mées; d'autant que le chef de l'Etat est souvent 1e chef suprême des armées' $, en cumulant même parfois cette charge avec celle de Ministre de la Défense (Eyadéma, Lansana Conté). ' Au Congo-Brazzaville, les 15.000 hommes des forces armées congolaises furent par moments marginalisés au profit des milices « zouloues » et « aubervilloises » de la mouvance présidentielle. Elles ne disposaient plus d'un budget et vivaient au rythme d'un seul repas par jour19. 67 Laissés à l'abandon, non rémunérés durant de longs mois sinon plusieurs années, des pans entiers d'unités régulières d'armées africaines finissent par se comporter en prédateurs dans leur propre pays. Ces actions s'accompa gnent d'un cortège de pillages (les troupes zaïroises qui ont pillé en automne 1991 avaient été encadrées habituellement par les officiers instructeurs français), de mouvements délinquants et trafiquants, de tracasseries, exactions, rançonnements et de « coupeurs de routes », de désertions et de violations des droits de l'homme. Troupes de va-nu-pieds, aux comportements exécrés et redoutés par les civils, ces éléments participent bel et bien, avec les gardes prétoriennes présidentielles, au phénomène de rupture entre l'armée et la société civile. Au vu du contexte socio-économique et psychologique en Afrique subsaharienne, certains observateurs vont jusqu'à constater que « la violence "paie" pour toute une partie de la population »2°. Vivant aux dépens de la population parce que 1e pouvoir ne les rémunère pas régulièrement et correctement, certaines unités d'armées régulières froissent aussi par utiliser l'argumentaire alimentaire pour engager une confrontation armée directe avec 1e pouvoir (comme en Centrafrique en 1996-1997), alors que l'objectif premier est de répondre violemment à un rééquilibrage ethnique au sein de l'armée (mutineries de l'ethnie Yakoma). Le processus de coup d'Etat21 peut aussi s'opérer dans 1e cadre de revendications corporatistes (Togo, 1963), pour obtenir une amélioration des conditions de vie (rébellion du Tanganika Rifle, 1964), pour mettre en avant les demandes de sous-officiers (Sierra Leone, 1969), pour soutenir un mouvement populaire (Dahomey, Congo, Madagascar dans 1e passé22, au Mali en 199123) ou finalement par manipulation de puissances extérieures24. Trente-sept coups d'Etat réussis eurent lieu entre les années 50 et 90 dans les 17 anciennes colonies françaises, soit en moyenne 2,1 par pays.
Dans d'autres situations, les militaires mal payés, rendus à la société civile, changent de camp politique et utilisent leurs compétences militaires pour déstabiliser les régimes (cf. Tchad)25. A côté, peut apparaître 1e comportement de soldats plus ou moins réguliers qui s'estiment en droit de se payer, où ils veulent et quand ils 1e désirent, sur 1e dos des populations civiles (prin cipe de la « dia » au Tchad), s' auto-récompensant d'avoir défendu le chef du clan vainqueur. 15 Parfois, les militaires soutiennent les opérations de pacification car elles permettent de recevoir des primes et donc finissent par être plus enclines à entretenir des phénomènes de sécession: 1' armée sénégalaise ne défend-elle pas l'unité nationale face à la Casamance, qu'elle considère comme « sa Bosnie »26 ? Il arrive aussi que des militaires africains, même dans un cadre multinational d'interposition, finissent par se payer en nature (les Nigérians dans 1e cadre de l'ECOMOG au Liberia) en planifiant en quelque sorte une économie de pillage. Si « les hommes de troupe et les sous-off ciers multiplient de fait leurs ré actions brutales, comme un appel désespéré destiné à montrer au grand jour la dégradation de leurs situations morale et matérielle »27, certains militaires des étages moyens et supérieurs de la hiérarchie militaire peuvent jouer la carte de la corruption, des fraudes douanières, des trafics de pierres précieuses et de drogues et des dérives affairistes28. Cette anarchie générale aboutit souvent au non-respect de la hiérarchie, de la discipline et de la loyauté au sens occidental du terme, suite à la mise en avant de considérations ethniques, de prestige et de moyens entre les différents corps composant les forces armées et de sécurité. Les conséquences militaires et opérationnelles sont alors visibles: absentéisme généralisé, détournements de biens, absence de combativité et désertions massives lors de conflits armés classiques, désorganisation, absence ou négligence en matière d'entretiens de matériel militaire (dès 1e départ des coopérants français). Aussi, beaucoup d'armements et d'équipements accumulés depuis les an nées 60 ne sont plus opérationnels, faute d'entretien, dans un environnement agressif, dès que l'encadrement et les fournitures extérieures sont suspendus. Certaines unités formées par la France sont dissoutes lors de l'arrêt de la coopération, dans la mesure où elles pourraient devenir dangereuses (car aguerries) pour 1e pouvoir en place (cf. la 31 ème Brigade parachutiste zaïroise). Dominique Bangoura estime que, en dehors des armées du nord et du sud du continent, « les armées africaines sont des armées de parade, incapables de mener une guerre d'envergure »29. L'existence de forces armées aux effectifs surdimensionnés accentue leur désorganisation30. Même lorsqu'elles sont en partie démobilisées selon les critères du FMI et de la Banque mon69
diale, d'autres problèmes sociaux surgissent dans la mesure où la notion de reconversion reste très théorique sur 1e continent. Fortement affectées au maintien de l'ordre intérieur, souvent protectrices de régimes politiques critiquables dans un cadre où les discours d'unité nationale restent des leurres, les forces armées en Afrique subsaharienne sont dans une situation très délicate. Ayant organisé durant plusieurs décennies la coopération militaire technique, étant intervenue de multiples fois sur 1e continent et disposant sur place de bases de prépositionnement, la France est en partie responsable de certains dysfonctionnements militaires africains, même si 1e substrat et les causalités restent majoritairement internes. Les gardes présidentielles de nombreux de chefs d'Etats africains, dont certains étaient des dictateurs, ont été formées en partie grâce à l'expertise française. En renforçant aujourd'hui les forces paramilitaires et de sécurité intérieure dans 1e respect de l'Etat de droit, Paris pourrait alimenter et renforcer les inégalités statutaires et d'équipements entre les unités militaires et paramilitaires, et entretenir ainsi d'autres concurrences et ressentiments. En réalité, ce sont la définition de la coopération militaire technique française en Afrique et son rôle face au pouvoir en place et aux comportements des militaires des pays hôtes qui doivent être réexaminés. 3. Les bénéficiaires et les protégés de la coopération La coopération militaire française a aussi apporté une expertise, une formation, une connaissance particulière aux forces armées du continent. Au niveau des troupes et des cadres militaires, l'influence et l'apport français peuvent être importants. Ainsi au Togo, « c'est un Français qui dirige l'école militaire de Pya, qui recrute et forme, en majorité, des éléments issus de l'ethnie présidentielle Kabye »s'. Dès lors que les unités militaires sont ethniquement en concordance avec les autorités politiques (cf. plus haut), la coopération militaire technique offre automatiquement un soutien à des forces de défense et de sécurité mono-ethniques proches des chefs d'Etats et qui sont assez souvent peu respectueuses de la défense des droits de l'homme, quand ce n'est pas 1e régime qui est lui-même militaire. Selon certaines sources32, l'unité d'escadrons de la mort « Pigeons » au Togo fut formée en 1988 par une mission spéciale de la coopération militaire française. Au Zaïre, 70 la Division spéciale présidentielle (DSP) dirigée par le neveu du président Mobutu forte de 15.000 hommes, disposant d'armes offensives et échappant de facto au chef d'état-major de l'armée et au Ministre de la Défense fut formée par la France (et Israël). En Guinée équatoriale, les militaires français auraient participé à la formation d'escadrons de la mort au sein des forces de sécurité du Président, 1e général Obiang". Au Rwanda34, la France avait engagé la formation de l'armature des FAR dans les camps de Gabiro et Mulanira. Au niveau des chefs d'Etat, ceux-ci ont souvent été formés en France dans 1e cadre d'écoles militaires (général Eyadema, Idriss Déby, Sassou N'Guesso) ce qui leur permit, une fois au pouvoir, via les contacts personnels entretenus avec l'Hexagone ou initiés par les responsables français, de bénéficier d'un soutien politique et militaire tout en utilisant « l'alliance française comme arme de dissuasion face à leurs voisins »35. Cette fidélisation, ces liens particuliers entre chefs d'Etat africains et français aboutirent à voir des officiers français - du cadre d'active ou de réserve, ou des anciens responsables de la sécurité et du renseignement, en mission officielle ou parallèle - conseiller par périodes les dirigeants africains en matière de sécurité : 1e colonel Jean-Claude Mantion de la DGSE au service du président Kolingba, en Centrafrique ; le général Jeannou Lacaze, dans le cadre de ses fonctions de chef d'état-major des armées (ou au-delà comme conseiller politique, consultant au relais des lobbies militaires français en Afrique) aux bénéfices des présidents zaïrois Mobutu, togolais Eyadéma, tchadien Déby ou même congolais Kabila ; 1e colonel Alain Le Caro, ancien chef de la sécurité rapprochée du président Mitterrand (SIGN) pour la protection du président Konan Bédié en Côte-d'Ivoire ; Paul Barril, ancien numéro deux de la cellule anti-terroriste de l' Elysée au profit de Mobutu et d' Habyarimana au Rwanda ; 1e commissaire Louis-Aimé Blanc, ancien du SCTIP donne son expérience en Centrafrique ; Pierre-Yves Gilleron, ancien de la DST conseille 1e Président du Congo tandis qu'un colonel français fut détaché auprès du président Habyarimana au Rwanda. Ces liens peuvent aboutir à un soutien personnalisé en cas de troubles ou de crises. Ceci peut expliquer l'évacuation par les militaires français, sur instruction élyséenne, de la famille du Président rwandais en 1994 parallèlement au transfert dans des pays amis (Gabon, République de Centrafrique et 71
Cameroun) de responsables du génocide rwandais. Ceci peut aussi faire comprendre l'existence de passe-droits présidentiels afin que certains fils de hauts dignitaires ou de chefs d'Etats africains soient admis à Saint-Cyr sans avoir le niveau requis36. La
tendance à une privatisation des conseils auprès des chefs d'Etat devrait s'accentuer, parallèlement à la réduction de l'in fluence des réseaux ou leur normalisation. Selon Franck Petiteville, de l'Institut d'Etudes politiques de Grenoble, « la coopération franco-africaine est essentiellement lisible sous la forme d'un clientélisme international, traditionnellement géré de manière conser vatoire et ritualisée »37. Cette fidélisation a été également justifiée un moment comme une « garantie de la stabilité de ces Etats, et plus généralement d'équi libres régionaux particulièrement fragiles »sa. Elle peut même apparaître au niveau de la troupe, au sein de laquelle certains militaires français, considérant avec sympathie leurs anciens élèves, dont plusieurs trouvèrent la mort, vont jusqu' à les soutenir, les protéger ou les venger, quand bien même ils représentaient les bras armés d'une logique génocidaire. En plaçant par dessus tout la solidarité de caste avec des troupes locales que les forces françaises ont entraînées et équipées, la perception des hommes sur le terrain ne correspondait que très partiellement à celle du Quai d'Orsay. Certains militaires français furent à ce point agressifs durant Turquoise que 400 d'entre eux auraient été jugés trop combatifs et rapatriés début juillet 1994 39. Mais en raisonnant suivant « le prisme clientéliste » 40, la France finit par donner l'impression que les Missions militaires de coopération, les forces prépositionnées et les interventions engagées peuvent, d'une certaine manière, cautionner les processus de « patrimonialisation »41 où l'Etat devient « un moyen d'accumulation privée à la fois de richesse et de pouvoir » 42. Ce qui entraîne la criminalisation du pouvoir 43, les déstabilisations internes, l' « haïtisation » des Etats et l'implication forcée, souvent automatique, parfois subie de la France dans l'engrenage violent, en tant qu'acteur direct, indirect, de soutien ou d'interposition. Les forces françaises sur le continent, par leur présence ou leur passivité, peuvent inéluctablement être perçues comme responsables du maintien de méthodes peu démocratiques lors d'élections (Guinée, Cameroun, Côte d'Ivoire, Tchad), en matière de droits de l'homme (Tchad) ou comme entérinant des stratégies de tension élaborées par certains chefs d'Etat (Eyadema 72 au Togo, Biya au Cameroun, Kolingba en Centrafrique, Bongo au Gabon, Gouled à Djibouti). Pire, elles peuvent finir par être considérées par l'opposition comme forces d'occupation ou forces au service du régime, ce qui peut en traîner incidents et meurtres, dont sont victimes des civils français expatriés. Elles deviennent alors des outils au service d'une politique que Paris souhaite la plus stable possible quels qu'en soient le prix ou les compromissions. Elles ne peuvent donc, quoi qu'il puisse être dit officiellement, « s'abstraire de toute considération de politique intérieure locale ou d'idéologie »44, surtout lorsqu'elles soutiennent la montée en puissance d'effectifs militaires et milices locales (cf. Rwanda). Dans ce contexte, les accords de défense et de coopération militaire assurent aux chefs d'Etat plusieurs garanties en matière de protection de leur régime en place, espèce d'assurance-vie. Pourtant, au fil des années, ces accords ont subi « quelques entorses et, du fait du pouvoir discrétionnaire que se réserve Paris pour les appliquer ou non, peuvent jouer en faveur ou en dé faveur" d'un régime cosignataire »46. Mais dans les faits, la présence militaire française permit souvent de maintenir le pouvoir en place ou d'infléchir le rapport de forces sur le terrain la marche triomphale d'Idriss Déby sur N'Djamena/Tchad en décembre 1990 fut discrètement appuyée par les militaires français47 ; en septembre 1992, une aide logistique française permit aux forces de l'ordre présidentiel les de reprendre l'initiative face à une mutinerie d'une partie de l'armée comorienne ; en octobre 1990, les forces armées françaises envoyées à Kigali avaient également pour tâche de contrer l'invasion du FPR, renforcer et en traîner l'armée, réaliser des opérations de police 48 et régler les pièces d'artillerie face au Front patriotique rwandais ; en 1996 et 1997, les interventions militaires françaises en Centrafrique lors des mutineries claniques militaires permirent de maintenir un régime « certes élu, mais qui a fait preuve de son manque de crédibilité et de fiabilité »49. En recherchant eux-mêmes des alliés sûrs en matière militaire et des Etats capables de financer des gardes présidentielles loyales, les chefs d'Etats africains utilisent aussi la manne financière et la présence militaire (et écono mique) française comme outils de stabilité à leur profit. L'apport de la présence militaire française en matière économique peut alors devenir essentiel à l'équilibre du pays. Ainsi, à Djibouti, 41 % des res73
sources de l'Etat proviennent directement ou indirectement des forces françaises déployées sur place et de leurs familles Il. Le bénéfice peut aller jusqu'à l'introduction d'une aide financière exceptionnelle afin de payer les soldes de militaires africains en mutinerie (Centrafrique, 1996)51. A l'inverse, la France peut compter sur un apport militaire des pays du champ de la coopération en cas d'opération. Lors de l'opération Turquoise, il y eut des unités du Congo, de Guinée-Bissau, de Mauritanie, du Niger, du Sénégal, du Tchad et de l'Egypte (avec le soutien territorial zaïrois, qui mit à la disposition des forces françaises les installations de Goma, Kisangani et Bukavu, garantit probablement l'acheminement d'armes aux milices Interahamwe, Impuzamugbmi et ex-FAR et leur formation)` pour soutenir l'opération dont le mandat fut rédigé par Paris et accordé par l'ONU (résolution 929 du 22 juin 1994). L'aide africaine peut également concerner-hypothèse formulée par JeanFrançois Bayart53 - un soutien (ici de Kigali) à Paris, en jouant les intermédiaires discrets de ventes d'armes françaises à l'Afrique du Sud, auparavant frappées d'embargo. Selon l'Observatoire permanent de la Coopération française, les accords de défense et la défense de certains régimes aboutissent parfois « à des contreparties commerciales, ou même à la pratique de la valise à billets, très courante en période électorale française »5 4. La recherche de la stabilité, quel qu'en soit le prix, ainsi que l'utilisation de la présence militaire française et des accords de coopération militaire à la fois par Paris et les capitales des Etats du champ en fonction de leurs propres intérêts nationaux (stratégiques et de protection de régimes), ont abouti à une lecture incomplète et biaisée de la politique militaire de la France en Afrique. Particulièrement sur le continent, la coopération militaire Nord-Sud doit pouvoir reposer sur d'autres assises que celles à courte vue où sévissent les visions géopolitiques archaïques, les clientélismes politiques et affairistes et les ambiguïtés militaires. 4. La question du mercenariat et des services de renseignements Dans l'histoire de la coopération militaire et des interventions militaires françaises en Afrique, nous pouvons constater la présence de deux vecteurs 74 perturbateurs ou au service d'objectifs politiques et stratégiques fixés à Paris par un ou plusieurs centres décisionnels officiels ou officieux. Si la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) née en 1981 (en remplacement du SDECE) est rattachée juridiquement au ministère de la Défense, de plus en plus la DGSE est en étroite liaison avec l'Elysée par l'intermédiaire de son directeur général qui traite personnellement avec le Président de la République. A l'Elysée, un conseiller du Président est spécialement chargé de suivre les activités de renseignement. Il est communément admis, comme le confirma Jacques Foccart en 1982, que les réseaux ont également utilisé la DGSE puisque tous deux travaillent étroitement avec les chefs d'Etat africains. Quant au ministère de la Coopération, il a parfois intégré en son sein, et même dans la plus haute fonction, des anciens de la DGSE tout comme dans certaines grandes entreprises françaises présentes sur le continent. Cette présence plurielle aboutit également à des luttes d'influence et interférences, avec rivalités entre la DGSE, le SCTPI relevant de l'Intérieur, les attachés militaires en place, les chefs de Mission militaire de coopération et la Direction de la surveillance du territoire (DST).
La plupart des chefs d'Etat africains bénéficient des conseils d'un officier DGSE, qui peut ne pas être toujours en accord avec la politique étrangère" de la France56, surtout lorsqu'il monnaie son expertise en frn de carrière. Selon Claude Silberzahn", qui dirigea la DGSE de 1989 à 1993, dans plusieurs pays africains, les services spéciaux français ont ainsi protégé les hommes du pouvoir avec pour activité essentielle de « débusquer d'éventuels ennemis qui viendraient perturber le statu quo »58. En réalité, dans bon nombre de situations, les autorités françaises ne faisaient pas jouer la DGSE en tant que telle mais « autorisaient » sous forme d'un feu orange les activités des anciens du service de renseignement". La DGSE (et davantage ses anciens agents) fut accusée d'avoir monté diverses opérations de déstabilisation en Afrique (Rwanda, 1994 0, Soudan/ Zaïre, 199461, Tchad, 199062, de contrecarrer des tentatives de coups d'Etat (Cameroun) ou d'invasions (Rwanda, 1990) 63, de gérer la logistique de ravitaillement en armes de diverses forces africaines (ex-FAR au Rwanda) et de livrer directement, par l'intermédiaire de pays de l'Est ou via des sociétés écran, des armes à des pays en guerre ou en proie à des crises internes (Sou75
dan, 1995 ; Rwanda, 1994...64) sans oublier l'intervention d'autres Etats et trafiquants d'armes dans bon nombre de livraisons. Entre les agents de renseignements et les mercenaires sont apparues les missions plus officieuses ou totalement privées où peuvent intervenir d'anciens officiers ou policiers qui sont reconvertis dans la sécurité rapprochée des chefs d'Etat, parfois comme « dernier recours des Chefs d'Etat africains qui ne font plus confiance aux services de la France officielle »65. Reste la question des mercenaires en Afrique. Ils peuvent interférer dans les interventions militaires françaises, mais sont parfois les outils indirects d'une politique africaine définie à Paris. Survivants des différents conflits indirects du modèle Est-Ouest, anciens officiers et sousofficiers occidentaux ou sud-africains, les mercenaires ont, autant que faire se peut, pour objectif personnel de multiplier leurs gains financiers 66 tout en garantissant au mieux leur sécurité individuelle. L'emploi des mercenaires par certains chefs d'Etat est souvent leur dernière carte maîtresse pour résoudre une situation défavorable sur 1e terrain militaire (invasion, sécession, déstabilisation). Dans ce cas, les autorités préfèrent consacrer aux mercenaires les ressources affectées à l'effort de guerre plutôt que de rééquiper leurs propres forces armées régulières (Zaïre, 1997). Selon certaines informations67, des mercenaires liés au Français Bob Denard auraient effectué un stage de deux mois au sein du GIGN pendant la première cohabitation : Jacques Chirac était Premier ministre, Foccart conseiller Afrique à Matignon, François Mitterrand président. Aussi, la question des rapports troubles entre missions opérées par les mercenaires et 1e pouvoir exécutif en France doit être posée. Que ce soit comme apport à une intervention parallèle militaire française sur le continent ou que ce soit comme substitut à celle-ci (Comores, septembre 1995)6$, nous pouvons nous interroger sur 1e fait que certains mercenaires français pourraient être considérés comme exécutants de basses besognes en marge de la politique officielle, plutôt qu'exécutants commanditaires associés à des intérêts privés. Selon Jean-François Bayart et Antoine Glaser, il est probable que les réseaux, en France, ont « organisé, voire financé, l'envoi au Zaïre de criminels de guerre serbes comme mercenaires, pour défendre une des dictatures les plus consternantes de la guerre froide »69, à savoir 1e régime Mobutu aux prises avec l'invasion des forces de Kabila au Zaïre au printemps 1997. 76 Un soutien officieux" via les hommes du réseau Foccart, de la cellule bis installée à l'Elysée et l'aide de deux anciens gendarmes français" (bien que démentie par les principaux intéressés)72 pourraient expliquer la présence d'environ 200 mercenaires occidentaux (enrôlés entre autres via les réseaux Denard), dont une centaine de Serbes, sous commandement du général zaïrois Mahele et trente-trois mercenaires français, italiens, chiliens et belges commandés parles Belges Christian Tavernier et Roger Bracco7 3. Transférés à Kinshasa en décembre 1996 par un vol SABENA et un vol TAP à partir de Bruxelles, les mercenaires français avaient pour mission d'encadrer l'armée zaïroise et d'intervenir sur 1e terrain au moyen d'armes d'origine serbe. Bien que 1e gouvernement et l'Elysée aient démenti toute implication au sujet de cette opération et que ces mercenaires n'aient pas réussi à empêcher l'entrée de Kabila à Kinshasa, la question reste posée de savoir si leur présence aurait été possible sans un feu orange officieux de l'Elysée. La DST avait vis-à-vis d'eux un rôle d'accompagnateur-contrôleur74 et les engagements passaient souvent par des firmes de sécurité installées en France par ces intermédiaires (ce fut encore via ces relais que fut lancé 1e recrutement des mercenaires serbes détenteurs de passeports français à engager dans le cadre des affrontements au Congo-Brazzaville en juin 1997 au profit de l'ex président Nguessof 5. Véritable tradition française impliquant d'anciens militaires, le mercenariat en Afrique est facilité par 1e fait que « les affectations passées de ces militaires leur facilitent les contacts avec de nouveaux employeurs »76. 5. Les interventions militaires françaises: circonstances, auto-justification et légitimation Il reste difficile de séparer la question des opérations militaires françaises en Afrique de la politique de coopération militaire technique et des bases prépositionnées, dans la mesure où, souvent, les interventions partent directement du continent via les troupes de marine et les légionnaires, tandis que la Mission militaire de coopération peut indirectement prêter son concours à ces opérations par l'expertise qu'elle possède en matière de connaissance des militaires africains, des matériels et du terrain (cf. Tchad). 77 Parmi les interventions militaires françaises, certaines ont été plus confi dentielles sinon clandestines, alors que les plus classiques et les plus visibles ont fait l'objet de plusieurs nomenclatures" (cf. annexe 7). Généralement, les interventions militaires françaises ont été légitimées et présentées comme devant répondre à une ou plusieurs motivations dont certaines pouvaient jouer ensemble ou de manière dissimulée - soit la défense de l'intégrité territoriale du partenaire africain en faisant parfois jouer les accords de défense ou les liens privilégiés, aim de rassurer les autres alliés et leur prouver la fermeté de la garantie française" (Mauritanie-Polisario, 1961 à 1969 et 1979, Shaba en 1977, Tchad-Libye entre 1981 et 1986, Rwanda en 1990 ou 1e Cameroun en 1994) ; - soit 1e soutien à un partenaire africain en proie aux troubles internes (Ga bon en 1964 et 1990, Zaïre en 1977, Togo en 1986, Rwanda en 1990 et Centrafrique" en 1996-1997) ; - soit 1e soutien à un changement de régime ou de politique et l'abandon de chefs d'Etat peu crédibles ou nuisibles (Togo et Congo en 1963, Niger en 1974, Centrafrique en 1966 et 1979) 8° ; - soit pour des raisons humanitaires (hôpital de campagne à Brazzaville, octobre 1997), avec protection de ressortissants (Kolwezi en 1977, Centrafrique en 1979 et 1996-1997, Mauritanie en 1979, Gabon en 1990, Zaïre en 1991, Congo en 1997) ou la protection des autochtones (ONUSOM 11, Somalie, opération Turquoise) ; - soit pour bénéficier de nouveaux emplacements avancés militaires dans 1e cadre d'une vision géopolitique élargie de la place de la France sur 1e continent où certains pays deviennent « remparts à la zone anglophone » (Rwanda, 1990-1994 8r, tentative inaboutie de créer des zones humanitaires sûres au Zaïre, 1996), répondant aussi peut-être, partiellement et sym boliquement à l'imaginaire du contrôle des sources du Nil".
Toute la difficulté réside dans l'argumentation relative à ces missions d'intervention. Comme dans bien des opérations militaires décidées politiquement, il y a souvent des objectifs officiels et officieux, des sous-entendus, des non-dits. L'auto-justification ou la légitimation sont alors mises en évidence pour expliciter la décision d'intervention. Ainsi, bon nombre d'interventions militaires françaises en Afrique ont eu pour objet la protection des ressortissants français (et parfois occidentaux) et 78 de leurs biens, avec, parfois, leur transfert temporaire en métropole ou dans d'autres pays africains amis plus stables. Mais derrière ces missions à caractère humanitaire, l'objectif latent était parfois de protéger les régimes politiques en place déstabilisés (Kolwezi en 1977, Centrafrique en 1996-1997, opération Noroît au Rwanda, 199083, Libreville et Port Gentil, 1990") ou parfois, par une intervention armée proportionnée", de viser à forcer la négociation après mutineries de factions de l'ar mée et mort de militaires français (Centrafrique, 1997). Quand bien même 1e discours de la Baule avait en 1990 indiqué que dorénavant « les clauses des accords de défense prévoyant l'intervention des troupes françaises pour le maintien de la sécurité intérieure des Etats sont devenues caduques »86, certaines interventions militaires ultérieures dissimulaient imparfaitement des objectifs de maintien de l'ordre local. Dans d'autres circonstances, l'argumentaire d'intervention se réfère au cadre du chapitre VII de l'ONU : acheminement de vivres et de médicaments et arrêt des massacres de civils, par la création de zones humanitaires de sé curité. C'est aussi un moyen d'interdire toute infiltration de forces jugées hostiles à Paris" et aux gouvernements francophones amis de la France, tout en permettant l'exfiltration de militaires « alliés » (opération Turquoise au Rwanda en 199488, tentative de création de couloirs humanitaires et d'une zone de sécurisation temporaire au Kivu au Zaïre en 1996 sous couvert ONU). Parfois, l'application des accords de défense ne joue pas ; dans d'autres circonstances, il arrive que la France intervienne dans un pays sans qu'il y ait d'accord, mais seulement coopération militaire technique (cf. Rwanda, Tchad). Reste qu'il est difficile d'évaluer les circonstances des décisions d'intervention, dans la mesure où certains aspects des accords de défense sont restés secrets. Souvent, « l'intervention française (...) est liée à l'appel des autorités locales »89. Parfois, les interventions sont en quelque sorte alimentées par les chefs d'Etats africains qui construisent de toutes pièces certains scénarios de déstabilisation interne afm de faire intervenir militairement Paris (Togo, Cameroun). De toute évidence, le polymorphisme des interventions militaires fran çaises en Afrique, leur signification à plusieurs entrées, leurs motivations latentes font qu'elles devraient toutes être analysées au cas par cas. Certaines 79 d'entre elles sont soit réellement non suspectes, soit non ambiguës, soit aisément motivées. Pour Pierre Messmer, ces interventions donnent de la France « l'image du dernier gendarme blanc de l'Afrique »9', tout en exprimant l'inexistence, dans bien des cas, de la diplomatie préventive ou son remplacement par une politique d'intervention préventive ou curative, dont les objectifs ne sont pas toujours transparents. 6. Le jeu des rivalités franco-américaines et anglophones La politique africaine de la France et la définition du champ de la coopération militaire sont en particulier sous l'influence de schémas de pensée liés en partie au « complexe de Fachoda91 ». Cette vision a abouti à une certaine anglophobie alimentée par la montée en épingle d'une opposition culturelle. Comme les frontières furent calquées en Afrique sur les compromis européens liés aux conquêtes, on répartit 1e continent « pour la bonne cause des cultures colonisatrices, en agglomérats francophone, anglophone, lusito phone »9'. Est aussi mise en avant une Afrique latine et francophile, face à un Commonwealth du commerce. Vécu et perçu comme objet d'une lutte d'influence par bon nombre d'acteurs franco-africains, 1e continent est examiné à travers 1e prisme géopolitique de Fachoda : la relance des contacts avec 1e Soudan93 pour prendre la place laissée vacante par les Anglo-saxons en 1992 suite au comportement terroriste de Khartoum'; la concurrence franco-britannique au Cameroun et au Kenya95; la volonté de limiter la pénétration « perçue comme anglo-saxonne » de la rébellion au Kivu en 1996-1997, par l'envoi d'une force multinationale humanitaire dans l'est du Zaïre ; l'annulation au bénéfice d'Elf de l'accord entre 1e Congo et la société américaine Oxy ; les rivalités à propos du cacao en Côte-d'Ivoire... Certains soutiens français à des régimes africains eurent bel et bien des motivations fachodiennes (Cameroun, 1992, Zaïre, 1995) et 1e peu de coopération de Paris à l' ECOMOG au Liberia était également associé aux mêmes arrière-pensées. Quant à l'intervention française en Somalie, elle pouvait également être lue comme une manière « de marquer » les Américains sur 1e continent 96. 80 Confrontations feutrées post-guerre froide, inquiétudes françaises sur les menaces anglo-saxonnes visant 1e pré carré, querelles d'influence et de prestige entre la France et les Etats-Unis, symboles extérieurs aux querelles traditionnelles franco-américaines dans 1e cadre de l'Alliance atlantique : beaucoup a été dit sur les difficultés franco-américaines, franco-anglo-saxonnes sur 1e continent. Et ces divergences seront accentuées par les différences de comportement en matière d'intervention en Afrique, sur la notion de perte d'hommes, sur celle relative au maintien de l'ordre et de pacification ou sur le soutien à accorder ou non aux deux ennemis jurés que sont la Libye et 1e Soudan. Les Etats-Unis (et plus discrètement la Grande-Bretagne) soutiennent aujourd'hui un certain nombre d'Etats africains (fascinés par 1e modèle américain), associés à des chefs d'Etat du nouveau régime et qui acceptent de combattre97 parfois 1e régime islamiste soudanais: FPR rwandais", Ouganda99, Kenya, Ethiopie. De même est-il probable que Washington a aidé certains opposants à des régimes de pays francophones africains faisant partie du pré carré français" tout en critiquant les résultats électoraux au Cameroun, au Togo'°' mais aussi au Kenya anglophone. Aussi l'inquiétude française à propos d'un nouvel axe de pénétration anglo-saxon - du Cap au Caire, de Kigali aux maquis du Sud-Soudan - prend davantage de consistance. Et s'il est clair que Washington, comme Paris, a quelques difficultés à créer l'émergence de la démocratie en Afrique, cela sous-tend également la volonté des Etats-Unis (sous l'influence des AfroAméricains), d'avoir un peu plus de poids en Afrique centrale. Mais ce retour à « l'ideal-politik » à la Cyrus Vance, secrétaire d'Etat américain entre 1976 et 1980, se nourrit davantage aujourd'hui de considérations économiques et commerciales"'. Car se débarrasser de régimes corrompus et incapables de réformes aboutit à ce que « la démocratie renforce la probabilité de l'augmentation des investissements privés, parce que les hommes d'affaires ont alors plus confiance dans la protection que leur offrent les lois»'°3. La question n'est pas de savoir s'il y a une volonté américaine de prendre pied sur 1e continent et d'évincer la France car celle-ci est souvent biaisée par des considérations idéologiques, mais de déterminer les objectifs de la stratégie globale américaine en Afrique, s'il y en a une. 81
Pour Philippe Decraene, l'idée qu'il existe aujourd'hui des tensions franco-américaines face à l'Afrique n'est pas un fantasme, mais correspond à l'existence de rivalités sourdes". Il est de plus en plus clair que les EtatsUnis ont pour objectif-du reste déjà ancien"' -de créer des ensembles économiques et politiques plus perméables à leur action. Or, cette orientation ne peut coexister facilement avec celle de pré carré à la française. Pour Warren Christopher, alors secrétaire d'Etat américain, « tous les Etats doivent coopérer, et non pas se faire concurrence, si nous voulons exercer une influence positive sur l'avenir de l'Afrique. Le temps est révolu où l'Afrique pouvait être divisée en sphères d'influence et où des puis sances étrangères pouvaient considérer un groupe d'Etats comme leur domaine privé. Aujourd'hui, l'Afrique a besoin du soutien de tous ses amis et non pas de la protection exclusive de quelques-uns »". L'objectif du nouveau « partenariat afro-américain pour la croissance » lancé officiellement par Bill Clinton en juin 1997 est d'aider à l'émergence d'une Afrique stable, prospère et démocratique avec un engagement sur la voie du libéralisme économique dont les concepts seraient précisés dans 1e cadre d'un forum économique amércano-africain, à l'instar des sommets politiques francophones. Le jeu sinon 1e transfert d'influence est bel et bien présent (premier Sommet Afrique-Amérique à Libreville en 1992, fuite des cerveaux africains vers les universités américaines, coopération militaire américaine ciblée, manoeuvres amércano-sénégalaises en septembre 1996 sans participation tricolore et exercice ivoiro-américain au niveau des états-majors en 1997) et de nouvelles entités régionales pourraient prendre davantage de consistance' ,". Alors que « Washington se pose en véritable champion de la démocratie en sou tenant l'opposition lors des transitions délicates, Paris fait figure d'allié - plus ou moins enthousiaste-des dirigeants en place, au Cameroun, au Togo et au Zaïre »10$. En vérité, on se trouve devant cette situation paradoxale, soulignée par 1e nouveau Secrétaire d'Etat français à la Coopération, « de voir la France apporter l'essentiel de l'aide et les Etats-Unis récupérer les retombées économiques »109. Aujourd'hui, l'implication politique américaine en Afrique a pour objectif la conquête future de nouveaux marchés. Tout ce qui peut stabiliser la zone sera mis en oeuvre ou stimulé par Washington: forces militaires interafricaines 82 d'interposition, régimes démocratiques élargis s'attaquant à la corruption, libertés politiques. Nonobstant les intérêts économiques de la France sur 1e continent qui sont encore aujourd'hui davantage présents que ceux qui associent les EtatsUnis110, Paris reste attaché à une certaine idée passéiste de l'Afrique qui déjà, aujourd'hui, l'a empêché de bien négocier la crise des Grands Lacs et peutêtre de prévenir une déstabilisation dans son dernier pré carré, selon 1e principe des dominos, faisant suite aux crises rwandaise, zaïroise puis congolaise. Il n'est pas dit, pour autant, que les Etats-Unis soient prêts à s'engager directement et personnellement en Afrique en matière politicomilitaire. Mais la France doit réexaminer sa politique africaine et redéfinir sa coopération militaire dans un sens qui ne serait pas à contrecourant de l'évolution du continent et de ses nouveaux dirigeants. Complot américain ou vision paranoïaque parisienne, la question n'est pas là. Les rivalités franco-américaines réelles, subtiles, latentes ou virtuelles (incluant le malaise franco-belge, dont entre autres « 1e complexe belge de Kolwezi »"' encore bien présent et les ambiguïtés de la politique française lors de la présence belge au sein de la MINUAR à Kigali112) ne peuvent plus servir d'arguments pour maintenir en l'état la coopération militaire. Sinon, on hypothéquera complètement l'influence et l'image françaises (et en partie européennes) sur 1e continent. Par ailleurs, la France et les Etats-Unis auraient tout intérêt à coopérer clairement en matière de politique africaine afin d'éviter que d'éventuels chefs d'Etat africains ne jouent la carte francophone contre la carte anglophone, et vice-versa, afin de faire monter les enchères au prix d'une déstabilisation régionale et de nouvelles crises violentes. Mais cette coopération reste encore ambiguë et les réticences émises en été 1997 par les Etats-Unis, via l'ONU, à propos de l'organisation, sur initiative européenne, d'une force interafricaine volontaire d'interposition au Congo-Brazzaville, l'ont démontré à suffisance. 1. Antoine Jouan, « Rwanda, octobre 1990-octobre 1994: Les errances de la gestion du conflit », Relations internationales et stratégiques n°23, IRIS, Paris, automne 1996, p. 143. 2. Roland Marchal, op. cit., p. 903. 19 3. Selon l'Observatoire permanent de la coopération française, cité dans Collectif, Dossiers noirs de la politique africaine de la France n°/ à 5, op. cit., p. 53. 4. Stephen Smith, « La France déboussolée sur 1e continent africain », Libération, 5 décembre 1996. 5. Roland Marchal, op. cit., p. 909. 6. Il y eut des tensions entre 1e socialiste Jean-Pierre Cot, alors ministre de la Coopération, et l'Elysée, 1e premier souhaitant moraliser et conditionner la coopération au développement. Il dut quitter sa fonction ministérielle en décembre 1982 suite aux pressions conjuguées de François Mitterrand et de chefs d'Etat africains. 7. Samy Cohen, op. cit., p. 144. 8. Jean-Pierre Raison, « L'Afrique subsaharienne », L'année stratégique /997, IRIS, Paris, 1997, p. 133. 9. Guy Labertit, Pour une redéfinition de la politique africaine de la France, Commission Afrique, Parti socialiste français, Paris, 15 avril 1997, p. 14. 10. Collectif, Dossiers noirs de la politique africaine de la France n/ à 5, op. cit., p. 18. 1L Emmanuel Abraham, « Libération sans liberté ou les raisons d'un fourvoiement », Politique étrangère, IFRI, Paris, 3ème trimestre 1988, p. 584. 12. Préface de Pierre Dabezies, dans Dominique Bangoura, Les armées africaines (/960-/990), CHEAM, Paris, 1992, p. 14. 13. Dominique Bangoura, « Les nouveaux enjeux...», op. cit., p. 118. 14. Dominique Bangoura, « 1996: les carences politiques et les ambiguïtés militaires de la France en Centrafrique », Rapport 1997 de l'Observatoire permanent de la coopération française, Karthala, Paris, 1997. 15. Jean Chesneau, op. cit., p. 3L 16. SGDN, op. cit., p. 64. 17. Selon Charles Josselin, Secrétaire d'Etat à la Coopération depuis juin 1997, cité dans Le Monde, 13 juin 1997. 18. Dominique Bangoura, Les armées africaines (/960-/990), CHEAM, Paris, 1992, p. 118. 19. Stephen Smith, « L'implosion prévisible d'un pays à la dérive », Libération, 9 juin 1997. 20. Winrich Kühne, « Le maintien de la paix en Afrique- Angola, Mozambique, Somalie, Rwanda, Liberia - Leçons à tirer », dans Gestion de crise et règlement des conflits en Afrique subsaharienne rôle de l'UEO, Cahiers de Chaillot n°22, Institut d'Etudes de sécurité de l'UEO, Paris, décembre 1995, p. 48. 21. A propos des causes de coups d'Etat en Afrique, cf. Etudes polémologiques, n°41, FEDN, 1er trimestre 1987, pp. 113 et sv. 22. Dmitri Georges Lavroff, « Afrique noire. Les crises », Organum, vol. 17, Encyclopaedia Universalis, Paris, 1979, pp. 195-197. 23. Georges Cumming, op. cit., p. 119. 24. Pierre Dabezies, « Armée (Pouvoir et société) », op. cit., p. 280. 25. France Henry-Labordère, « Le Tchad, un Etat à réinventer? », Relations internationales et stratégiques, n°23, IRIS, Paris, automne 1996, p. 128. 26. La Lettre du continent, n°282, Paris, 22 mai 1997, p. 4.
27. Hugo Sada, « L'avenir incertain des armées africaines », Défense nationale, Paris, août-septembre 1996, p. 183. 28. Pierre Dabezies, « Armée (Pouvoir et société) », op. cit., p. 280. 29. Dominique Bangoura, Les armées africaines (/960-/990), CHEAM, Paris, 1992, p. 66. 30. Coopération et progrès, Etude de synthèse sur l'intégration des forces armées dans le processus de développement économique dans les pays d'Afrique centrale, Bruxelles, juin 1995, p. 2. 84 31. Philippe Demenet, « Les coulisses d'une réunion de famille », Croissance, Paris, décembre 1994. 32. Collectif, Dossiers noirs de la politique africaine de la France n °1 à 5, op. cit., p. 100. 33. Ignacio Ramonet, « Linceul de silence », Le Monde diplomatique, Paris, janvier 1994. 34. Antoine Jouan, op. cit., p. 140. 35. Anne-Sophie Boisgallais, op. cit., p. 110. 36. Philippe Marchesin, op. cit., p. 16. 37. Franck Petiteville, op. cit., p. 572. 38. Pascal Chaigneau, Entretien à Afrique Defense, n° 115, octobre 1987; cité par Paul Ango Ela, « La coopération franco-africaine et la nouvelle donne des conflits en Afrique », Relations internationales et stratégiques, n°23, IRIS, Paris, automne 1996, p. 183. 39. Olivier Lanotte, op. cit., p. 74. 40. Jean-Claude Willame, « Implosion du Zaïre et diplomatie classique », Le Soir, 2 avril 1997, p. 2. 4L Didier Bigo, « Approche pour une théorie du pouvoir personnel, un exemple privilégié : 1e Centrafrique », Etudes polémologiques, n°36, FEDN, Paris, 4ème trimestre 1985, pp. 77-79. 42. Peter Anyang'Nyongo, « Instabilité politique et perspectives de démocratie en Afrique », Politique étrangère, IFRI, 3ème trimestre 1988, p. 592. 43. Cf. Jean-François Bayart, Stephen Ellis et Béatrice Hibou, La criminalisation de l'Etat en Afrique, Complexe, Bruxelles, 1997. 44. Bernard de Montferrand, op. cit., p. 684. 45. Congo (1963), Niger (1974), Madagascar (1972), Centrafrique (1979). 46. Dominique Bangoura, Les armées africaines (/960-/990), CHEAM, Paris, 1992, p. 74. 47. Claude Wauthier, « Afrique subsaharienne », L'année stratégique /994, IRIS, Paris, 1994, p. 128. 48. Colette Braeckman, Rwanda. Histoire d'un génocide, Fayard, Paris, pp. 188-189. 49. Hugo Sada, « Réexamen de la politique militaire française en Afrique », Défense nationale, Paris, juin 1997, p. 183. 50. « Les forces françaises de Djibouti. Un emplacement exceptionnel », Armées d'aujourd'hui n°209, Paris, avril 1996, p. 24. 51. Claude Wauthier, « La politique africaine de Jacques Chirac », Relations internationales et stratégiques, n°25, IRIS, Paris, printemps 1997, p. 124. 52. Commission Justice et Paix Belgique, L'avenir de la région des Grands Lacs, Document de travail, Bruxelles, 29 novembre 1996, p. 3. 53. Hypothèse de Jean-François Bayait, « La France au Rwanda », Les Temps modernes, n°583, Paris, juillet-août 1995, p. 224. 54. Anne-Sophie Boisgallais, op. cit., p. 108. 55. Jacques Isnard, « Renseignement. L'indispensable évolution », Armées d'aujourd'hui, Paris, septembre 1995, p. 109. 56. Ainsi, par exemple, la DGSE a soutenu Hissène Habré (Tchad) alors que 1e ministre de la Coopération, Jean-Pierre Cot, donnait sa préférence à Goukouni Wedeye. 57. Cf. Claude Silberzah, Au coeur du secret, Fayard, Paris, 1995. 58. Philippe Marchesin, op. cit., p. 19. 59. Entretien avec Antoine Glaser, Paris, 26 juin 1997. 60. René Backmann, « Gribouille au Congo », Le Nouvel Observateur, Paris, 5 décembre 1996. 6L La DGSE aurait initié une alliance franco-zaïro-soudanaise contre la résistance sud-soudanaise de John Garang.(cf. The French Connection. Report on the political, economic and military collaboration between Khartoum and Paris, Pax Christi Netherlands, octobre 1994, p. 10). 85 62. Jean-François Bayart, « Bis repetita... », op. cit., pp. 16-17. 63. Collectif, Dossiers noirs de la politique africaine de la France n °1 à 5, op. cit., p. 1L 64. Bruno Barrillot et Belkacem Elomari, Les transferts d'armes de /a France depuis la fin de la guerre du Golfe, CDRPC, Lyon, 1995, pp. 42-43. 65. Cf. Stephen Smith et Antoine Glaser, Ces messieurs Afrique, Calmann-Lévy, Paris, 1992. 66. Certains mercenaires associés à la défense du territoire zaïrois en 1996-1997 auraient été vus à Watsa dans une région sans intérêt militaire mais où se situe une mine d'or locale (Le Vif/L'Express, Bruxelles, 4 avril 1997). 67. Stephen Smith, « Paris met la pression sur Moroni », Libération, Paris, 3 octobre 1995. 68. Selon Jean-Pierre Raison (op. cit., p. 139), Dans un imbroglio total, 1e putsch tenté par Bob Denard aux Comores en 1995 fut « récupéré » par la France qui, en y mettant fin et en protégeant par extraction 1e chef de l'Etat menacé, a mis un terme à la présidence de Djohar : de retour au pays, il n'a pu qu'assister à la victoire de Taki, compagnon de route du mercenaire lors de sa tentative! 69. Jean-François Bayait, Le Monde, 29 avril 1997. 70. Géraldine Faes, op. cit., p. 21. 71. A savoir Alain Le Caro, ancien chef du groupe de sécurité de la présidence de la République sous François Mitterrand et Robert Montoya, proche de la cellule antiterroriste mise en place à l'Elysée en 1992 et aujourd'hui dissoute (Le Monde, 8 janvier 1997). 72. Le Monde, 9 janvier 1997. 73. Thierry Charlier, « Les mercenaires français au Zaïre », Raids, n° 132, Paris, mai 1997; Newsweek, 24 février 1997; International Herald Tribune, 18 février 1997; Le Soir, 25 janvier 1997; Courrier international, 3-9 avril 1997; Le Vif/L'Express, 28 février 1997; Le Figaro, 15 janvier 1997. 74. La Lettre du continent, n°281, Paris, 8 mai 1997, p. 1. 75. La Lettre du continent n°284, Paris, 19 juin 1997, p. 7 ; Vincent Hugeux, « Le brut et les truands », Le Vif/L'Express, Bruxelles, 24 octobre 1997. 76. Le Monde, 8 janvier 1997. 77. Cf. André Fourer, Au-delà du sanctuaire, Economica, Paris, 1986; John Chipman, Ve République et défense de l'Afrique, Bosquet, Paris, 1986; Dominique Bangoura, Les armées africaines (/960-/990), CHEAM, Paris, 1992. 78. Dominique Moïsi, op. cit., p. 178. 79. Dominique Bangoura, « 1996: les carences...», op. cit. 80. « Quand un régime en vient à contrarier Paris, à s'en éloigner, voire à envisager un peu trop concrètement un changement d'alliance, il n'est pas rare de voir la France soutenir directement (intervention militaire ou soutien militaire et financier) ou indirectement (refus d'intervenir pour sauver la mise au partenaire africain) les auteurs d'un coup d'Etat ». (Olivier Lanotte, op. cit., p. 13). 81. René Backmann, op. cit. 82. « Je suis convaincu que le mythe des sources du Nil a été important dans la présence française au Rwanda » (Jean-François Bayart, « Les politiques de la honte - Rwanda, Burundi 1994-1995 », Les temps modernes, n°583, Paris, juillet 1995).
83. Gérard Prunier, « Eléments pour une histoire du Front patriotique rwandais », Politique africaine, n°51, octobre 1993, p. 126. 84. Colonel Philippe Charrier, « Opération Requin »,Armées d'aujourd'hui, n'152, Paris, juillet-août 1990, p. 25. 85. Jeune Afrique, Paris, 8-14 janvier 1997, pp. 6-7. 86. Dominique Bangoura, Les armées africaines (/960-/990), CHEAM, Paris, 1992, p. 75. 87. Jean-Claude Willame, L'ONU au Rwanda, Labor, Bruxelles, 1996, p. 98. 88. « L'opération militaro-humanitaire qu'elle mit alors en place, "Turquoise ", permit de sau-ver des vies ; elle fut aussi une "passoire" par où s'échappèrent certains des chefs hutus responsables 86 des massacres, comme s'ils avaient trouvé, çà et là, quelques complicités françaises ». (Alain Franchon, « Le Zaïre, Paris et Washington : la dialectique du client et du parrain », Le Monde, 18 mai 1997). Cf. aussi Michela Wrong, « The days of France's African hunding ground may be ending », The Financial Times, 14 novembre 1996. 89. Tchyembe Mayila et Bukasa Mayele, « l'Afrique face à ses problèmes de sécurité et de défense », Présence africaine, Paris, 1989, p. 87. 90. Pierre Messmer, « Les interventions extérieures de la France », Défense, n°73, IHEDN, Paris, septembre 1996, p. 42. 91. En réalité, Fachoda fut un non-événement car le rapport des forces sur 1e terrain, au Soudan, était déjà donné parles Britanniques, alors que la vraie opposition était finalement franco-allemande. 92. Alain Rey, « Le français dans le monde. Situation d'une langue : 1e français »; Supplément II, « Les enjeux », Encyclopaedia Universalis, Paris, 1984, p. 1012. 93. Roland Marchal, « Soudan. Chronique d'une guerre oubliée », L'Afrique politique /995. Le meilleur, le pire et l'incertain, Centre d'étude d'Afrique noire, Institut d'études politiques de Bordeau, Karthala, Paris, 1995, pp. 75 à 92. 94. Collectif, Dossiers noirs de la politique africaine de la France n °/ à 5, op. cit., p. 144. Les Etats-Unis qui ont toujours souhaité abattre 1e régime soudanais n'ont pas apprécié que la France, ayant obtenu des autorités de Khartoum la livraison du terroriste Carlos, laisse transiter au milieu des années 80 « les légions islamistes soudanaises à travers le territoire centrafricain et zaïrois pour prendre à revers les troupes chrétiennes de John Garang elles-mêmes en division avec d'autres mouvements rebelles chrétiens du Sud » (Victor Rousseau, Collaborateur à la revue française Marchés tropicaux, interview à La Wallonie, Liège, 16 mai 1997). 95. Angola Ela, « Menace sur l'équilibre régional en Afrique centrale : 1e conflit frontalier camerouno-nigérian », Défense nationale, Paris, mai 1997 . 96. Stephen W. Smith, « Dessine-moi un caméléon. L'interventionnisme militaire de la France en Afrique », Défense, n°73, IHEDN, Paris, septembre 1996, p. 52. 97. Les Etats-Unis soutiennent 1e régime ougandais parce que 1e président Museveni fit transiter par son pays l'aide militaire américaine aux rebelles animistes et chrétiens du Sud-Soudan, la Sudan People's Libération Arrny (SPLA) de John Garang, en lutte contre la junte militaire de Khartoum, manipulée par les intégristes musulmans. (cf. Christian Wauthier, op. cit., édition 1995, p. 124 et édition 1994, p. 122). 98. L'armée rwandaise du FPR est formée et conseillée par des anciens militaires du Pentagone, via la société Military Professional Ressources Inc. Selon Eurafrique, durant 1e week-end du 30 au 31 mars 1997, cinq généraux américains se sont réunis à Brazzaville autour du général Smith, responsable du commandement sud de l'OTAN et du général Lambert, commandant des forces spéciales du commandement des forces américaines en Europe (EUCOM). 99. Crespo Sebunya, « Uganda Defence Dilemma », New African, novembre 1996, p. 24. 100. Les Etats-Unis ont financé la station de radio de Paul Mba Abessolé, opposant au président Bongo au Gabon. (Stephane Odzamboga, « Le Gabon entre pétrole et démocratie », Le Monde diplomatique, février 1997). 101; Philippe Marchesin, « Mitterrand l'Africain », Politique africaine n°58, Paris, juin 1995, p. 10. 102. « On n'a pas fait assez attention à la portée du voyage de Warren Christopher en Afrique et au fait qu' il y a à Washington, autour du président Bill Clinton, une équipe dirigeante qui a expressément affirmé que les éléments principaux de la puissance aujourd'hui sont économiques, et qu'il s'agit d'une bataille constante à mener » (Entretien avec Paul-Marie de La Gorce, Le Soir, 30 novembre 1996, p. 2). Cf. également Jeune Afrique n'1869, 30 octobre et 5 novembre 1996, p. 30. 103. Discours de Warren Christopher à l'université de Johannesburg, 15 octobre 1996. 87 104. « Le temps qui change », France Culture, 13 juin 1997. 105. Dmitri Georges Lavroff, « L'Afrique, enjeu des relations internationales, op. cit., pp. 933 934. 106. Discours du secrétaire d'Etat Warren Christopher à l'université de Johannesburg, 15 octobre 1996. 107. Cf. 1e projet de créer une nouvelle fédération africaine englobant l'Erythrée, l'Ethiopie, l'Ouganda, 1e Soudan, la Tanzanie, 1e Rwanda, 1e Burundi et 1e Zaïre, avec des dirigeants moins francophiles (Simon Barber, dans Business Day, cité dans Courrier international, n°344, Paris, 5-1 1 juin 1997). 108. Claude Wauthier, « Afrique subsaharienne », L'année stratégique 1994, IRIS, Paris, 1994, p. 132. 109. Déclaration de Charles Josselin, Le Monde, 13 juin 1997. 110. En réalité, les investissements américains ont progressé en Asie de 7% contre 0,2% en Afrique ( 46% des exportations vont encore à l'Afrique du Sud.) 111. Olivier Lanotte, op. cit., p. 14 et Studia diplomatica, vol. XLI : 1988, n°4-5-6, IRRI, Bruxelles. 112. Entretien avec 1e colonel Duvivier, IRSD, Bruxelles, 18 avril 1997. Vers une nouvelle coopération militaire? L'analyse de la gestion de la coopération militaire française en Afrique ne doit pas faire oublier que celle-ci n'évolue pas en vase clos. Elle est en rapport direct avec les sociétés africaines là où elle s'installe, là où elle opère. Aussi est-il évident que l'association est vite établie entre la situation politique interne des pays africains concernés et l'influence que peuvent subir les acteurs de la coopération. Mais ces influences sont parcellaires car l'Afrique de la coopération subit de nombreux maux internes dont il faut tenir compte avant d'analyser toute coopération militaire ou la rénovation de celle-ci. Aujourd'hui, pour les raisons déjà citées dans cette étude, la coopération France-Afrique doit être revue et corrigée, modernisée et assainie. Pour entamer une nouvelle définition de la coopération militaire, des outils à y intégrer et de la politique africaine de la France en général, il faut tenir compte de plusieurs phénomènes lourds : 1e processus de décomposition étatique (l'Afrique du chaos), les nouveaux besoins de démocratie, la « révolution » géopolitique en cours sur 1e continent. 1. Le jeu du chaos et la nouvelle donne géopolitique Nous avons vu que « le tribalisme, comme tentation ethno-nationalitaire »' finit par exclure une frange importante de la population du processus de décision et des moyens économiques de survie. Cette « ethnicisation » atteint rapidement le seuil de la violence et peut aboutir (par criminalisation de l'action de l'Etat au service exclusif d'un homme ou d'un clan) à la décomposition de l'Etat, à son autodestruction. D'où l'avènement de crises internes violentes, de mutineries militaires, de sociétés du chaos', de chefs de guerre, 89
de « sobels » et de banditisme de grand chemin (Rwanda, Liberia, Congo-Brazzaville, Sierra Leone, Tchad...). Le problème vient aujourd'hui d'« un durcissement des références identitaires, nationalité ou ethnie, dans un con tinent jusqu'alors marqué par la mobilité humaine et la fluidité des appartenances»4. La population civile devient alors la principale cible de la violence, « offrant ainsi aux factions adverses une raison de la contrôler, de la diviser, de la transférer et parfois de l'exterminer »5. Avec la régression de la capacité d'encadrement territorial des Etats, le caractère artificiel des frontières (dû à l'organisation administrative des colonisateurs), la « déterritorialisation » étatique suite au développement des trafics, l'entremêlement des rivalités religieuses, ethniques, civilo-militaires sur fond de corruption, bon nombre de pays africains se sont enfoncés ou vont s'enfoncer dans l'anarchie (sans compter que certains d'Etats devenus indépendants sont souvent des Etats sans nation). Dès le moment « où les réseaux personnels et les politiques ethniques l'emportent sur les relations institutionnalisées »6, nous ne sommes pas loin des ruptures sociales, du délabrement des services et de l'annonce souvent inéluctable de la violence. Pour Dominique Bangoura, cette conflictualité qualifiée de nouvelle, réside « dans l'hétérogénéité des acteurs collectifs (rébellions, factions, forces armées régulières milices, bandits), le caractère de plus en plus souvent civil de ces acteurs (enfants soldats, miliciens désœuvrés, trafiquants) ainsi que dans l'objet de l'affrontement: non plus seulement le pouvoir, les ressources, les idéologies, mais aussi des statuts, des valeurs, des croyances »7. Pire, le dépérissement de l'Etat va de pair avec une crise des encadrements économiques démantelés ou détournés. Résultat : en zone subsaharienne, le revenu par habitant était déjà en 1990 inférieur de 20 % à son montant en 19808. Il correspondrait cette année à 7% de celui d'un habitant des pays développés contre 14% trente ans plus tôt 9. Cette détérioration, accentuée par le durcissement des conditionnalités économiques, financières et politiques, entre autres du FMI et de la Banque mondiale, provoque une mar ginalisation commerciale durable tout autant que des politiques de blocage de salaires dont les militaires firent les frais"'. Un processus de déclassement international s'est ainsi opéré à la fin des années 80 au détriment de l'Afrique, alors que les conflits éclataient de façon 90 incontrôlable et anomique. Parallèlement, la fm de la guerre froide a annoncé des tentatives de rééquilibrages ethniques, la mise à l'épreuve des frontières et des découpages artificiels. Ces facteurs de repli identitaire anarchique et violent sont apparus précisément au moment où la fin de la guerre froide avait modifié la lecture du paysage géopolitique du continent et surtout avait donné à bon nombre de citoyens africains l'espoir d'une modification de la lecture et de l'usage de la démocratie locale. Aussi, devant la montée de ces facteurs de chaos et de conflits déstructurés, la coopération militaire française classique en Afrique (incluant les prépositionnements) devient davantage sujette à caution, quelquefois en porte-à-faux, et accentue parfois les tensions internes. Elle doit être réexaminée en fonction de ces nouveaux éléments déstabilisateurs, complexes à gérer, passablement anarchiques. Paris peut y être facilement impliqué, directement ou indirectement, sans forcément l'avoir voulu. Portée par le vent d'Est et la chute du mur de Berlin, l'expression démocratique allait, au début des années 90, prendre de l'assurance. Les grands bouleversements de l'indépendance de la Namibie, du démantèlement de l'apartheid et des retraits militaires cubains en furent les symboles les plus visibles. L'idée de l'Etat de droit fait son chemin, même si le multipartisme de façade et les élections (parfois manipulées) ne peuvent se confondre avec la démocratie. Projet en devenir, on découvre une nouvelle culture qui rejette l'arbitraire, tout en souhaitant cette démocratisation « prise pour la seconde indépendance dans l'euphorie »". Malgré l'apparition en Afrique de forces sociales et politiques revendicatrices, venues en grande partie de la société civile (cf. analyses de André Guichaoua, Filip Reyntjens, Jean-Claude Willame et Stéphane Hessel) et le fait que bon nombre de pays du continent aient fait l'expérience dans les années 90 de la transition politique (conférences nationales, nouvelles constitutions, pluralisme, élections), la résistance au changement fut importante. Nous avons vécu, depuis la moitié des années 90, un reflux des mouvements de démocratisation et un affaiblissement des thèses de la bonne gouvernance. Les pouvoirs en place ont joué sur la nécessaire stabilité des institutions comme argument incontournable pour verrouiller certaines revendications alors que « les pays où un changement de chef d'Etat est finalement intervenu à l'issue d'élections furent bien moins nombreux que ceux où une reprise en 91 main a été effectuée par les militaires ou par un régime précédemment en place »'a. Si des scrutins plus ou moins manipulés purent avoir lieu (Burkina, Ghana, Gabon, Cameroun, Côte-d'Ivoire, Togo, Guinée, Tchad), il faut bien reconnaître « qu'ils soient ou non bien élus, ce sont des militaires qui, aujourd'hui comme hier, président aux destinées de la majorité des Etats d'Afrique noire : à l'ouest et au centre du continent, treize pays sur vingt-trois sont tou jours dirigés par des officiers supérieurs en costumes civils ». (...) Et « c'est au Congo, au Bénin, du Mali à la Centrafrique, que les pièces du fragile édifice démocratique mis en place au début des années 90 risquent de tomber »". Prémonitoire, cette vision s'alimente aujourd'hui de la brusque montée de conflits de recomposition régionale (Rwanda, Zaïre, Angola, Congo), dont la chute de Mobutu fut un des symboles les plus forts, impliquant souvent de nouveaux chefs d'Etats porteurs d'une perception politique renouvelée et disposant d'une formation souvent différente de celle de leurs prédécesseurs. Des zones de fracture sont apparentes en Afrique subsaharienne avec des bouleversements dans les édifices latéraux (Congo-Brazzaville) et de probables effets dominos (Centrafrique, Gabon) même si « les éléments déclenchants étaient déjà inscrits dans les faits internes aux Etats et antérieurs au processus de déstabilisation régionale »l4. La prédiction de Jacques Delors sur l'explosion politique de l'Afrique durant la décennie 90 s'est avérée juste. Aussi, malgré les tentatives françaises « d'ajustement des anciens ordres monopartistes »15, il semble bien que la France n'ait pas compris combien l'Afrique avait changé. Pour l' éditorialiste du Monde, « les responsables français ont commis une faute grave : ne plus être à l'écoute d'une nouvelle génération d'Africains (...)quine supportent plus la "dérive " de leur continent et, à tort ou à raison jugent Paris responsable de celle-ci » 16. La crise zaïroise constitue un sérieux facteur de déstabilisation de la politique africaine traditionnelle de la France. La conjonction des pressions de la société civile et d'effets multiplica teurs externes (chute de régimes via des soutiens extérieurs) oblige la France à revoir sa politique de coopération militaire et sa politique africaine en fonc tion des nouvelles exigences des populations et probablement aussi en fonction des critères de survie de régimes associés à certains pays francophones du pré carré. 92 Cette redéfinition est urgente, car les liens politico-militaires de la France en Afrique sont restés pratiquement de même nature. Urgence différente dans l'esprit du chef d'état-major français aux armées qui en 1997 estimait cependant, tout en soutenant les progrès de la démocratie sur 1e continent, qu'il ne fallait « pas manifester une hâte excessive, qui ne permettrait pas de bâtir les solides fondations indispensables à la pérennité de l'édifice »17. Peut-être la France ne pourra-t-elle se permettre cette progressivité, car d' autres acteurs internes et externes veulent y parvenir avant elle. 2. L'armée française au service d'une nouvelle coopération La France doit modifier sa posture politique et militaire, modifier ses per ceptions et adopter de nouvelles grilles de lecture. Pour 1e nouveau Secrétaire d'Etat à la coopération, Charles Josselin, la France se retrouve en effet en situation d'accusé. Il faut en finir
avec les réseaux gaullistes sur 1e continent. L'objectif est bien de décoloniser la coopération, volet militaire compris, afin d'envisager une nouvelle stratégie à long terme, sous peine de subir les événements -ce qui est déjà en partie 1e cas aujourd'hui -ou de voir les chasses gardées remplacées par la seule politique du reflux. Bon nombre d'élites africaines se détournent de la France ; la politique de Paris a, en effet, longtemps souffert de l'absence de rationalité diplomatique. Et en cela, 1e régime corrompu du maréchal Mobutu semble pour cer tains être devenu 1e symbole des errements de la politique française en Afrique18. « Partout où la diplomatie française s'efforce de planter son clou, des échecs spectaculaires annoncent bientôt par voie de presse qu'une erreur de diagnostic, une représentation biaisée du monde actuel, sont en train de réduire la France au rôle de "has been" diplomatique »' 9. A l'instar de la Belgique qui n'avait pas compris en 1960 que l'indépen dance était un fait inéluctable, la France semblait encore, il y a peu, ne pas saisir l'urgence d'une révision déchirante du contenu et du cadre de sa coopé ration avec l'Afrique à l'horizon 2000, malgré de multiples sonnettes d'alarme qui retentirent ces dernières années et plus largement ces dernières décennies 2°. Le caractère intangible de la coopération militaire a bel et bien vécu. Or, la redistribution des cartes en Afrique impose inéluctablement cer taines remises à plat, d'où l'importance de la césure de génération pour sortir 93 de la vision classique. Dans ces processus, la marge de manœuvre de la Fran ce sera davantage que par le passé tributaire de l'évolution des paramètres internes aux Etats africains. Elle sera d'autant plus difficile que l'Afrique actuelle est en partie en complet bouleversement avec, en filigrane, toute la question délicate des processus d'interposition. C'est entre autres sur 1e dossier africain que la diplomatie française sera jugée en 1997. Mettre en accord le discours et la pratique serait déjà un premier pas, adapter la coopération militaire revue et corrigée à la nouvelle tra jectoire géopolitique où l'Afrique s'engage aujourd'hui serait le second, pour enfin relire les accords de défense, la gestion et les conditions des éven tuelles et futures interventions françaises sur 1e continent. En dehors des objectifs nouveaux à définir (dont la réforme des structures), les changements de priorité et de sens de la coopération auront, plus largement, pour résultat de dépasser le bilan négatif de la France en Afrique. La recherche d'une plus grande cohérence et transparence aboutirait alors à l'ouverture vers une voie médiane, à un renouvellement des formes de la pré sence. Celle qui pourrait sortir d'une gestion trop conservatoire des relations franco-africaines tout en tenant compte du rôle institutionnellement visible de l' Elysée à propos de l'Afrique. Celle qui engagerait une réflexion volon tariste et ouverte au lieu de subir les faits sur le continent. Celle enfin qui éviterait que Paris adopte un comportement exclusif face à certains Etats afri cains francophones et favoriserait l'élargissement de la coopération au détri ment des chasses gardées. En d'autres mots, une bonne politique éviterait la confusion d'objectifs entre 1e rayonnement culturel et 1e positionnement géopolitique et militaire. Tout ce qui a été fait par 1e biais de la coopération militaire française en Afrique n'est pas suspect. Si 1e bilan est mitigé et que tout futur projet novateur et ambitieux sera partiellement bloqué par les influences des relais politiques traditionalistes et par un certain verrou élyséen- aboutissant à un mélange d'ancien et de moderne comme ce à quoi nous avons assisté lors de l'attribution des nouveaux mandats ministériels en France-, l'objectif final reste assurément l'engagement à changer les termes militaires de la politique africaine de la France. 23 3. Objectifs, méthodes et moyens d'une nouvelle coopération militaire: champ de propositions Tenant compte des facteurs critiques présentés en troisième partie et des invariants lourds, les pistes de réflexion en matière de réformes - en surface ou en profondeur - devraient concerner les structures institutionnelles, les forces prépositionnées en permanence, les interventions militaires engagées et tout le volet coopération militaire technique. 1) En matière institutionnelle, il serait judicieux de «civilianiser » com plètement le secrétariat d'Etat à la Coopération, afin de simplifier autant que possible les structures décisionnelles. Les aspects militaires et sécuritaires de la coopération devraient être transférés au sein du ministère de la Défense. La gestion quotidienne de la coopération militaire serait alors réalisée par les responsables de la rue St Dominique, alors que le Quai d'Orsay, en rapport avec l'Elysée, définirait précisément les objectifs particuliers et les conditions politiques et diplomatiques de celle-ci selon les Etats concernés. L' Ely sée et les Affaires étrangères se coordonnent, la Défense exécute et l'Assemblée nationale contrôle. L'autre scénario pourrait être l'intégration complète de la Mission militaire de coopération au sein des Affaires étrangères avec disparition complète du secrétariat d'Etat à la Coopération, terminant 1e phagocytage de la rue Monsieur entamé mais non abouti sous 1e gouvernement Juppé. Pour l'ambassadeur Hessel, ce dernier modèle permet de ne pas donner à la coopération une spécificité militaire"; en réalité, même totalement intégrés aux Affaires étrangères, les diplomates du Quai d'Orsay auront besoin des techniciens de la Défense pour engager concrètement cette coopération militaire. Cette réforme aurait pour avantage de simplifier les procédures, réduire les intervenants tout comme les liens trop personnalisés avec certains chefs d'Etat africains, sachant que cette familiarité serait toujours présente via l'Ely sée dont la cellule africaine ne peut être supprimée de l'extérieur, quand bien même la commission Afrique du parti socialiste français l'aurait souhaité22 et que, dans l'absolu, le seul vrai domaine « réservé » ne devrait plus être que la dissuasion nucléaire associée aux intérêts vitaux de la France23. De même que le gouvernement Jospin a contribué, en juin 1997, à interrompre 1e processus de réintégration de la structure militaire de l'OTAN 95 amorcé en 1995 à l'initiative du président Jacques Chirac, de la même manière il pourrait exprimer de nouvelles orientations en matière de politique africaine, en vertu du concept de « domaine partagé » mieux équilibré que par 1e passé. Le principe de parler d'une seule voix sur la scène internationale pourrait être écorné à l'avenir. Ceci ne devrait pas non plus empêcher l'inexorable accélération du phénomène de privatisation de la sécurité en Afrique, avec la pratique d'officines de sécurité privées, remplaçant en partie et dorénavant les émissaires officieux du pouvoir où personne ne sait plus qui fait quoi. Si la reprise en main des multiples intervenants publics ou para-publics est un objectif louable mais difficile à mener, la lutte contre les officines et les réseaux, tout comme la pratique des barbouzes imposeront une mise à plat de tout le pro cessus de fonctionnement décisionnel en France. La recherche d'une véritable crédibilité de la France en matière de nouvelle politique africaine devrait passer nécessairement et au minimum par la réduction institutionnelle de l' influence de ces « secteurs » à l'intérieur des structures de l'Etat. 2) En matière d'interventions militaires, la question a souvent porté sur la légitimité des fins poursuivies (cf. 3ème partie). Il serait dès lors judicieux que la France revoie de manière restrictive les conditions de ses interventions extérieures et que celles-ci soient automatiquement et nécessairement associées à la conditionnalité de la nouvelle coopération militaire et technique à définir avec les pays concernés ou demandeurs.
Aussi faudrait-il rendre caduques les clauses d'interventions françaises liées aux situations internes (et les clauses dites non publiques) afin que la France ne puisse plus agir comme un gendarme du continent. Les nouvelles valeurs pour lesquelles les militaires français devraient agir et risquer leur vie devraient être définies en liaison avec celles présentes dans le cadre d'une future coopération militaire revue et corrigée. A cet égard, la récente proposition du parlementaire Jean-Claude Sandrier - contenue dans le rapport budgétaire de l'Assemblée nationale sur les forces terrestres - tendait à soumettre toutes interventions de l'armée française dans un pays étranger avec lequel la France a signé un accord de défense à l'approbation préalable de l'Assemblée nationale. L'intervention militaire française ne devrait plus être qu'une mission liée à la protection-récupération de ressortissants (par utilisation dans ce seul 96 cadre des forces spéciales, marsouins et légionnaires), en adoptant une position neutre vis-à-vis des belligérants éventuels. Tout autre scénario devrait engager nécessairement un processus juridique international onusien (Casques bleus) ou une coalition ad hoc interafricaine ou euro-africaine d'interposition sous mandat régional légitimé par l'ONU dans des délais plus courts pour « calmer le problème de conscience des opinions »2a. L'unilatéralisme des interventions militaires a vécu. Ce qui fut observé en partie en Centrafri que en 1996-1997 (et plus complètement au Congo en juin 1997) démontre que cette nouvelle orientation est déjà intégrée dans la politique française. L'image de marque de la France en Afrique (et davantage encore dans l'esprit des populations locales) a tout à gagner à cette multinationalisation des forces d'interposition qui assurerait mieux leur légitimité. En conséquence, les accords de défense stricto sensu doivent être dénoncés comme périmés": ils furent prévus lors de conflits interétatiques. Or, la très grande majorité des conflits actuels sont internes ; de plus, ces accords impliquent une trop grande proximité avec des régimes souvent critiquables ou corrompus qui ont déjà joué sur les clauses afin d'engager une intervention française au profit indirect ou direct de la pérennité de leur régime. Ces reliquats d'un autre âge devraient être remplacés par des accords de défense et de sécurité sous-régionaux et régionaux inter-africains, même si les quelques exemples actuels posent encore question. 3) Durant la guerre froide, la France a surévalué l'intérêt stratégique de telle ou telle base prépositionnée 26; aujourd'hui, certains motifs invitent à réviser la présence militaire permanente en Afrique. A côté des raisons budgétaires et stratégiques développées en première partie dans 1e cadre des nouvelles orientations déjà inscrites en 1996, nous ajouterons l'importance à accorder à la projection depuis la métropole ou depuis certains bâtiments en mer, l'image négative souvent associée à ces installations militaires par les populations liées à l'opposition politique et par conséquent les effets pervers que certains prépositionnements peuvent avoir sur une future coopération militaire renouvelée en Afrique. Aussi devrions-nous considérer comme un choix salutaire 1e retrait éventuel des forces françaises permanentes de certains Etats africains qui avaient été choisis pour des raisons d'ordre politico-économique plutôt que stratégique : Côte-d'Ivoire, Gabon, Centrafrique. Sans que la coopération mili97 taire technique y soit abandonnée, la France pourrait renoncer à ces prépo sitionnements pour se concentrer, selon les jeux d'influence intra-hexagonaux, sur les déploiements périphériques avec effectifs plus réduits (Dakar et Djibouti) avec probablement 1e verrou terrestre et central qu'est 1e Tchad (à moins qu'une éventuelle conditionnalité politique en termes de droits de l'homme n'hypothèque ce dernier site). Mais il est probable que 1e positionnement géostratégique de N'Djamena et de Djibouti sera encore privilégié par les décideurs français, qui ferment les yeux sur les aspects non démocratiques de l'organisation politique tchadienne. Quant à la rotation plus affirmée et plus régulière des forces prépositionnées résiduelles, elle est à confirmer. Elle permet de donner aux Africains une image militaire de la France qui ne soit plus limitée aux troupes d'élite (à l'esprit davantage « colonial »). Les mouvements plus fréquents rendent plus difficiles d'éventuelles complicités entre officiers et personnalités du régime. La rotation régulière, à partir d'unités de la métropole, de militaires aux origines très diverses doit également permettre de mieux harmoniser 1e paysage avec les cadres de la coopération militaire technique, et de limiter autant que possible l'engagement de l'infanterie de marine et des légionnaires aux opérations plus délicates de récupération de ressortissants. Cela permet éga lement à certaines unités (déjà liées aux structures de coopérations multinationales européennes) de connaître 1e terrain en vue d'éventuelles futures opérations ad hoc collectives dans les cadres gigognes ONU/ OUA,UEO. Il est dans l'intérêt de la France (quelles que soient les traditions militaires africaines de l'Hexagone concernant ces unités conditionnées à l'environnement africain), d'intégrer davantage d'unités classiques (non spéciales), afin que la perception qu'ont les Africains des forces armées résiduelles éventuellement maintenues par la France soit associée à une culture militaire diffé rente et finalement à une ouverture d'esprit. A moyen terme, il n'est pas certain que 1e prépositionnement perdure. Déjà, l'extraction des ressortissants européens du CongoBrazzaville (juin 1997) s'est faite avec 1e concours d'unités provenant directement de la mé tropole, même si elles ont utilisé certaines installations de transit sur le continent. Dès lors, l'avenir du prépositionnement des forces sera plus particu lièrement lié à celui des accords de défense, déjà en partie remis en cause par un certain nombre d'observateurs de la politique militaire africaine de la 98 8 France. De toute évidence, la présence des familles de militaires accroît la vulnérabilité du dispositif et 1e risque de déclenchement de crises en cas d'attentat ou de prise d'otages dont elles seraient victimes. 4) Reste 1e domaine plus complexe de la coopération militaire technique, dont la lecture politique et militaire peut se faire à partir de plusieurs entrées. Pour former les Africains de demain à projeter la stabilité à l'extérieur et à l'intérieur, considérant également que les Européens ne peuvent négliger la coopération militaire dès le moment où ils font de la coopération globale - vu la place particulière du militaire en Afrique -, quelques conditions devront être posées avant de définir une nouvelle coopération FranceAfrique débarrassée des scories du passé. La coopération militaire doit être modifiée dans 1e sens d'une sécurité ef fective pour les populations ; elle ne peut être élaborée qu'avec les seuls Etats respectueux des droits de l'homme. Elle devra donc évoluer dans un cadre où 1e militaire africain aura fait serment de fidélité aux institutions et à la Constitution et non à la personne du Président. La coopération militaire française ne peut être au service d'un régime, mais de l'Etat et de la nation en priorité. Aussi ne pourra-t-elle être effective que lorsqu'il y aura pluriethnisme des armées dans toutes leurs composantes, reflétant ainsi de manière fiable les diverses couches de la société. L'armée française ne devra plus favoriser l'instrumentalisation de l'ethnicité au profit des intérêts sociaux et politiques de clans. La France devrait s'interdire de former les unités d'élites monoethniques et les gardes présidentielles à composition clanique. Dans cet ordre d'idées, il devient nécessaire de retirer les derniers mili taires français des postes de responsabilité directe dans les armées africaines ou auprès des chefs d'Etat ; ils devraient s'engager sous serment à ne pas devenir conseillers des services de sécurité après la fin de leur carrière au service de la France. La spécificité du métier des armes devrait aboutir à l'adoption d'une loi restreignant considérablement les possibilités de reconversion à but lucratif des militaires français en conseillers de sécurité ; on évitera ainsi qu'ils interfèrent avec la nouvelle politique de coopération militaire.
Le lien de conditionnalité entre la coopération et la démocratisation, tel qu'il fut posé, mais mal appliqué27, dans l'esprit de la Baule (juin 1990) devrait être affiné. Car « le processus de démocratisation ne s'est pas encore ac99 compagné d'un renforcementde l'Etatde droit »28. Si la coopération doit prendre en compte la nature du pouvoir politique, « le soutien aux dirigeants élus démocratiquement ne peut être un blanc-seing pour faire n'importe quoi » ni « le suffrage universel, une clef pour établir, même légalement, une dictature »29. En d'autres mots, les critères de conditionnalité de la coopération militaire française en Afrique devraient élargir celui de démocratie afin de ne pas placer la coutume africaine, les notions ethniques et 1e relativisme culturel au-dessus du respect universel des droits de l'homme. Car, dans la douzaine d'Etats bénéficiant d'une coopération en matière de sécurité interne, plus de la moitié, en 1996, n' « avait pas encore fait preuve d'alternance politique au moyen d'élections libres, ouvertes et transparentes »3°. Comme l'affirme l'ambassadeur Stephane Hessel, « ce n'est pas parce qu'un président a été démocratiquement élu qu'il est un bon porteur de la démocratie » et ce n'est pas parce qu'il a « pris le pouvoir par un coup d'Etat qu'il n'est pas nécessairement porteur d'une évolution démocratique »3'. La coopération militaire française se doit cependant d'opérer dans les seuls Etats où ce mo dèle d'ambiguïté est absent, parce qu'elle peut subtilement être récupérée par le chef d'Etat à son seul profit. Toute la difficulté actuelle vient du fait que si « la bonne gouvernance »32 et la conditionnalité de Lomé IV en novembre 1995 33, insistant sur 1e maintien d'un cadre légal et administratif et d'état de droit 14, sont des approches mieux réfléchies du cadre de la coopération, en vérité, les inconnues demeurent. L'effort de la MMC est orienté, depuis quelques années, sur l'appui à la gendarmerie et aux gardes nationales, parce qu'il « répond au concept de stabilité et de préservation de l'Etat de droit »35. Mais la perception de cette coopération restera ambiguë si ces unités formées et soutenues par la France sont toujours exclusivement au service d'un pouvoir monolithique. Si l'in sistance portée sur 1e respect de l'ordre interne par 1e biais de gendarmeries républicaines a pour objectif d'éviter que les armées africaines ne s'en occupent, la démilitarisation de la coopération ne peut éluder automatiquement la question des rapports entre les coopérants français en matière de sécurité et les atteintes aux droits de l'homme (ex : Tchad). Objectif louable, la recherche de la stabilité et la protection des institu tions (incluant la lutte contre 1e grand banditisme et l'amélioration de la 10o sécurité urbaine3) lient 1e développement et la sécurité. Mais Te-risque est grand de voir un transfert vers les forces paramilitaires et les gendarmeries de moyens et d'outils (21 % des effectifs et 50% des équipements de la MMC vont déjà aux forces de sécurité) qui finalement alimenteront les moyens d'unités au service d'un chef ou d'un clan. Dans ce schéma, les unités mi litaires classiques dont les grandes organisations internationales (Banque mondiale, FMI, Bretton Woods) imposent qu'elles réduisent leurs effectifs, afin qu'elles soient mieux entretenues et plus stables, pourraient jouer encore la carte de l'intervention interne, en concurrence avec des unités à connotation politique mieux outillées et plus proches du pouvoir. Si la recherche d'une sécurité de proximité est prioritaire par rapport à la stricte défense des frontières, l'avenir de cette coopération aux objectifs internes sera dépendante de la formation qui sera prodiguée à ces unités parti culières et policières. Un enseignement sur 1e respect des organes de l'Etat, sur le droit humanitaire, sur les droits de l'homme et la place du militaire dans la société, dans l'esprit de ce qui se fait en Europe de l'Est dans 1e cadre du Partenariat pour la paix, semble incontournable. Tout va donc dépendre à la fois de l'équilibre interne des institutions politiques et du nouvel esprit à ac quérir en matière de coopération à objectifs internes. La formation au respect de l'Etat de droit, à « l'esprit républicain »37, devra rester sous contrôle de missions d'évaluation et de surveillance parlementaires mixtes. La Mission militaire de coopération ne devrait pouvoir agir que dans les Etats africains respectueux des règles du droit: « Tout coup d'Etat visant un régime démocratiquement élu est condamnable, quel que soit le pays en cause »38 et doit dès lors provoquer rapidement l'arrêt de la coopération : suspension de la formation en écoles, restriction de visas pour 1e personnel des forces armées, des membres du gouvernement et de leurs familles, annulation des visites de militaires, embargo sur les exportations d'armes, limitation des déplacements du personnel militaire présent dans les représentations diplomatiques en France puis expulsion de ce personnel. En matière de coopération militaire au sens classique du terme, la France devra probablement réorienter un certain nombre de ses programmes vers la satisfaction des besoins fondamentaux des populations et la stabilité des institutions. Déjà, dans 1e cadre du renforcement de la coopération en matière de sécurité, l'assistance militaire technique insiste depuis quelques années 101 sur l'utilisation d'unités militaires africaines pour des missions de surveillance (contrebande, banditisme, appui aux douanes, recherche de cultures de drogue) grâce aux moyens des trois armes. Là aussi, une grande importance doit être accordée à la formation des armées au service de l'Etat de droit. Celui-ci ne pourra être respecté que si les militaires africains acquièrent une nouvelle mentalité, de nouvelles pratiques et si leurs effectifs, souvent pléthoriques, sont réduits. La formation en droit des conflits armés et en civisme-comme ce fut 1e cas des armées allemandes et japonaises dans l'après-guerre - pourrait être tentée. A cet égard, l'Institut international de droit humanitaire de San Remo n'a pas encore eu, jusqu'à présent, 1e plaisir d'accueillir de nombreux stagiaires africains francophones! Pourquoi ne pas créer une école interafricaine de droit des conflits armés et une école d'état-major interafricaine ? Dans ce cadre, il devient urgent de former les militaires africains des pays de la coopération aux concepts de prévention des conflits, de règlement des différends, de gestion de crises en interforces, interarmes et multinational, afin qu'ils soient sensibilisés aux processus d'élaboration de forces interafricaines d'interposition. Cette orientation qui pourrait être inscrite sous forme de Livres blancs nationaux, permettrait également aux militaires africains de retrouver des objectifs réellement conformes à leurs missions premières: dé fense du territoire national et stabilité régionale. La nouvelle coopération militaire française devrait également travailler sur les programmes de reconversion des armées, sachant que bon nombre de militaires africains démobilisés d'autorité doivent pouvoir trouver une activité sociale et économique de remplacement dans 1e civil, sous peine de grossir les milices ou les bandes armées. L'aide à la réintégration39 qui semble être une manière pour les frères d'armes français (projet du général de Linage)" et belges (projet Brassinne de La Buissière)41 d'aider les cadres militaires africains à se recycler passe aussi par l'utilisation des forces armées dans l'aide à la Nation : grands travaux, protection des ressources naturelles, génie civil, transports en enclaves éloignées, aide logistique aux élections, déminage humanitaire, assistance médicale... Sachant que ces missions de développement par les militaires ne peuvent être exclusives - elles risquent de neutraliser les forces armées au profit des 102 forces paramilitaires présidentielles -, la nouvelle coopération devrait insister sur les formations militaires classiques (génie, communications, artillerie, infanterie, surveillance des frontières, santé). Il faut éliminer du cadre de la Mission militaire de coopération à la fois la tradition française d'endosser parfois l'uniforme local et les enseignements spécifiques aux forces spéciales (parachutistes
commandos) bien trop associées aux gardes prétoriennes et présidentielles. Un travail d'évaluation et de remise en perspective des objectifs de la MMC devient d'autant plus urgent que ces derniers mois « les armées africaines formées ou instruites par la France se révèlent peu opérationnelles »42. Aussi, les légionnaires et les marsouins ne devraient plus être associés à la MMC pour des raisons de cohérence politique et de modèle à proposer aux Africains-quand bien même ils seraient les mieux acclimatés physiquement et historiquement à l'Afrique - mais plutôt maintenus en réserve en métropole ou dans les DOM-TOM afin de constituer les forces d'intervention et d'interposition en cas de récupération de ressortissants ou de missions multinationales sous couvert ONU-OUA sur 1e continent. 4. Les pistes pour l'avenir: coopération militaire « européanisée » et africanisation de la sécurité Deux tendances pourraient apparaître à l'avenir, complémentaires mais potentiellement contradictoires :1' européanisation de la coopération et l'africanisation de la sécurité via les forces interafricaines d'interposition. Aujourd'hui, dans un nombre de plus en plus grand de situations, la France ne peut plus et ne veut plus agir seule en Afrique. Tétanisé par 1e précédent de l'opération Turquoise, paralysé dans la crise zaïroise, ambigu dans la gestion de la crise centrafricaine et distant dans les heurts à Brazzaville, Paris semble avoir pris ses distances par rapport à sa tradition d'interventions. L'avenir des prépositionnements est remis en question dans certains cercles politiques et stratégiques de l'Hexagone, tandis que la Mission militaire de coopération pourrait être revue et corrigée. Une certaine européanisation de la coopération et des interventions extérieures semble inéluctable, bien que demeurent des prérogatives en intérêts nationaux. Dans 1e domaine de la récupération de ressortissants sur le con103 tinent lors de crises violentes, le processus d'européanisation est en cours. L'identité européenne de défense et 1e renforcement de l'espace politique européen favorisent l'idée selon laquelle la protection des citoyens européens est une question d'ordre communautaire. Déjà, on parle d'associer l'Euroforce et l'Euromarforce comme outils pour agir en protection de ressortissants étrangers dont la vie serait menacée, dans 1e cadre des missions de Petersberg de l'UEO. Il est aussi possible de détacher au sein de l'Eurocorps un corps d'intervention pour l'Afrique, alors que la brigade franco-allemande devrait effectuer des manœuvres cet automne au Gabon. Dans 1e domaine de la coopération militaire, la montée des défis en Afrique subsaharienne imposera tôt ou tard une refonte de la MMC et l'organisation d'une synergie avec certains autres Etats européens. La France ne pourra plus longtemps assurer seule cette coopération, ne serait-ce que pour des raisons budgétaires et politiques. Dans tous les cas, européaniser la coopération devrait permettre de lever en partie les interrogations sur 1e caractère désintéressé des buts poursuivis par la France, faciliter la cohérence de l'ensemble, mieux gérer les ressources et partager les responsabilités. Cela « élargira l'appui de l'opinion publique et rendra (possible) un consensus entre les partenaires européens »43. Cela permettrait aussi de « protéger Paris des chantages incessants de ses alliés subsahariens »44. Enfin, européaniser 1e cadre de coopération peut amener à réduire l' « américanophobie » française qui, même si elle n'est pas totalement infondée, doit se gérer autant que possible collectivement, à l'instar des relations transatlantiques dans 1e cadre de l'OTAN. Aujourd'hui, le processus d'européanisation n'est pas très visible. Nous assistons à de l'échange d'informations plutôt qu'à de la concertation. Si cette européanisation de la politique africaine et de la coopération militaire devait apparaître, elle devrait s'exprimer à la carte, de manière ad hoc, probablement sous la forme d'une définition commune posée par quelques pays qui souhaitent maintenir une influence en Afrique ou s'y établir plus largement Allemagne, Belgique, France, Italie, Portugal et Royaume-Uni. L'évolution de la situation géopolitique en Afrique et l'affaiblissement de la capacité de la France à gérer adéquatement les problèmes africains sur un mode bilatéral imposent une nouvelle coopération franco-euro-africaine. 104 A cet égard, certains pays africains francophones ont déjà sollicité la Belgique en matière de coopération et de formation militaire, parallèlement à la MMC française 45 tandis que l'Allemagne s'est engagée militairement au Mali (génie et travaux). Afin d'éviter la concurrence et les incohérences, la concertation inter-européenne devient dès lors inéluctable. L'organisation d'une politique de concertation inter-européenne sur l'Afrique devra tenter d'harmoniser les politiques de coopération militaire selon plusieurs critères tels que ceux développés ci-dessus. Elle devrait également aider à l'édification, l'organisation et la mise en oeuvre d'une force interafricaine de maintien de la paix et d'interposition dont l'idée n'est pas récente. L'idée d'organiser une structure de forces interafricaine pour la gestion des crises en Afrique a pris une nouvelle consistance suite à plusieurs propositions parfois contradictoires - proposition faite à Biarritz en 1994 d'une Force d'action rapide interafricaine (FARI) déjà évoquée à Dakar en avril 1977, et précédant la visite d'étude de l'UEO en Afrique en été 199646; - concept américain de force africaine de réaction en cas de crise (African crisis response initiative ou ACRI) hors du cadre de l'ONU; - proposition franco-britannique de force multilatérale africaine de maintien de la paix 47 ; - concept français de « Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix » (RECAMP) à partir de l'expérience du MISAB ; - réflexions menées par l'Organisation de l'unité africaine (OUA) avec les soutiens de l'Union européenne et des Etats-Unis. L'idée centrale est que la communauté internationale « doit aussi aider l'ONA à se donner les moyens humains, matériels et financiers d'une force de "police" à même d'intervenir rapidement là où cela s'avère nécessaire, de se substituer à des autorités nationales défaillantes et d'imposer à ses membres le respect des droits de l'homme, ainsi que leur capacité de contrôle et d'intervention dans tous les pays où des personnes déplacées ou réfugiées, rentrant chez elles, doivent pouvoir se réinstaller dans des conditions acceptables, dignes d'un être humain » 48. Finalement, 1e 23 mai 1997, la France, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne se mettaient d'accord sur un projet commun d'assistance à des « capa105 cités interafricaines pour le maintien de la paix » (ex-« Force interafricaine de paix » dénommée par l'Organisation de l'Unité africaine en 1994) proposé à l' OUA et à l'ONU. Il s'agirait de former en deux ou trois ans 5 ou 6 bataillons (environ 3.000 à 4.000 hommes) équipés et instruits dans une culture du maintien de la paix, à partir d'une identification des pays volontaires du continent, capables de contribuer au moins à un bataillon49. Les pays occidentaux seraient fournisseurs d'aide (moyens financiers, équipements, moyens de transport) mise à la disposition des Etats africains en cas d'emploi sous mandat OUA ou ONU. Un prépositionnement d'équipements protégés et sous bonne garde serait possible sur le continent, avec libération d'échantillons à des fins d'entraînement" ). A cet égard, la France prépositionnera à Dakar (Sénégal) des équipements militaires récupérés auprès de ses unités dissoutes afin d'en doter un bataillon africain de maintien de la paix fort de 600 hommes. On voit apparaître dans cette initiative encore à concrétiser l'idée de formation, d'aide technique et de prépositionnement - éléments repris dans la coopération militaire française classique - avec d'autres objectifs plus conformes à la nouvelle réalité de l'Afrique. Conscients de la faiblesse de leur budget et de leur dépendance technique envers les moyens extérieurs pour entreprendre des opérations de maintien de
la paix sur le continent, les Etats africains ont renoncé pour l'instant à l'idée d'une force interafricaine ad hoc permanente. Ils envisagent plutôt des modules de forces en attente « regroupées rapidement, dirigées par des Africains et déployées sous les auspices de l'ONU »51. Approuvés par le G8 et soutenus par l' OUA, les Etats-Unis ont, dans cet esprit, commencé à mettre en chantier leur projet de force d'intervention militaire interafricaine en envoyant une soixantaine de conseillers militaires en Ouganda et au Sénégal. Le Malawi, l' Ethiopie et le Ghana seraient également concernés. L'entraînement se fonderait sur une doctrine militaire commune et comporterait une formation aux moyens de communication et aux opérations de gestion de crise et de maintien de la paix. Parallèlement aux tentatives sécuritaires52 des organisations sous-régionales ou régionales africaines53, aux résultats parfois critiquables54, et aux mécanismes encore grippés et parcellaires de l'ONA pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits, le processus de formation des armées 106 africaines dans un cadre multilatéral, régional et occidental pourrait remplacer en grande partie la politique d'intervention et de coopération militaire bilatérale classique des pays européens pris individuellement. L'Afrique du Sud n'a-t-elle pas mené pour la première fois, en 1997, des manœuvres communes avec huit des douze pays de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) ? La France n'a-t-elle pas, pour le compte de l'ONU et à la demande des intéressés, engagé ses navires et ses avions de reconnaissance afin d'observer le cessez-le-feu entre l'Erythrée et le Yémen? N'a-t-elle pas préparé en 1995 le détachement de l'armée nationale djiboutienne à sa future mission onusienne au sein de la MINUHA en Haïti ? Qu'en est-il de l'institutionnalisation en 1997 d'une force de paix permanente des pays ouest-africains membres de l'accord de nonagression et d'assistance en matière de défense (ANAD) intégrant plusieurs pays francophones? Quant à la force multinationale MISAB (Tchad, Gabon, Sénégal, Togo, Mali, Burkina Faso) déployée début 1997 pour surveiller l'application des accords de Bangui, participer au désarmement des mutins et assurer la sécurité de la capitale centrafricaine : n'est-elle pas la première force interafricaine francophone55 (en grande partie hors mandat ONU) venant en aide à un pays africain? Elle a été appuyée sur le plan logistique par une cinquantaine de soldats provenant des éléments français d'assistance opérationnelle. Nous pouvons ainsi entrevoir un croisement d'intérêts en termes de stabilité et de sécurité entre le processus d'africanisation des forces de maintien de la paix et l'européanisation de la coopération revue et corrigée sur le continent. Mais la clef de l'avenir passe assurément par le développement, l'apport de la société civile et par une modification de l'état d'esprit des Africains qui ont des difficultés à définir leur propre stratégie. Elle sera également fonction de la capacité interne aux acteurs du continent de relancer effectivement l'esprit du document de Kampala (1991) relatif à l'organisation d'une Conférence sur la sécurité et la coopération en Afrique, à l'image de ce qui fut fait en Europe. Le contexte actuel y prédispose. Si la sécurité interne est le souci premier de nombreux Etats africains, la coopération militaire Nord-Sud ne peut perdurer que si elle arrive à lever toutes les ambiguïtés qui peuvent être associées à ces besoins de stabilité 107 politique. Quant à la politique de prépositionnement et d'interventions militaires françaises en Afrique, elle aura tendance dans le futur à se réduire, à se contracter et à s'internationaliser. 1. Antoine Glaser et Stephen Smith, L'Afrique sans Africains. Le rêve blanc du continent noir, Stock, 1994, p. 15. 2. Cf. Eric de La Maisonneuve, La violence qui vient, Arléa, Paris,1997 ; Jean-Christophe Rufin, Economie des guerres civiles, Hachette, Paris, 1996 ; Ministère de la Défense, Les nouvelles menaces dans la perspective stratégique, Centre des hautes études de l'armement, Paris, juin 1997 . 3. Les « sobels » (contraction de soldier et rebels) sont des militaires incontrôlés. 4. Jean-Pierre Raison, « L'Afrique subsaharienne », L'année stratégique /997, IRIS, Paris, 1997. 5. John Mackinlay et Randolph Kent, « De nouvelles méthodes pour réagir aux situations d'urgence », Revue de l'OTAN, Bruxelles, mai-juin 1997, p. 27. 6. Philippe Hugon, « Marginalisation économique et enjeux géopolitiques de l'Afrique », Relations internationales et stratégiques, IRIS, Paris, automne 1993, p. 208. 7. Dominique Bangoura, « Géopolitique de l'Afrique », Défense nationale, Paris, août-septembre 1996, p. 138. 8. Daniel C. Bach, « Afrique », Le Monde au présent, Encyclopaedia Universalis, Paris, 1994, p. 12. 9. Le Monde, 21 juin 1997. 10. Hugo Sada, « L'avenir incertain des armées africaines », op. cit., p. 184. 1L Antoine Glaser et Stephen Smith, op. cit., p. 13. 12. Daniel C. Bach, op. cit., p. 14. 13. François Soudan, « La contagion kaki », Jeune Afrique, février 1996, p. 19. 14. Entretien avec 1e général Michel Rigot, Paris, 26 juin 1996. 15. Cf. Daniel C. Bach et Anthony A. Kirk-Greene (sous la direction de), Etat et sociétés en Afrique francophone, Economica, Paris, 1994. 16. Editorial, Le Monde, 7 décembre 1996. 17. Discours du CEMA à bord..., op. cit. 18. Le 7 mars 1997, 1e ministre des Affaires étrangères, Hervé de Charrette, indiquait encore que « Le président Mobutu est incontestablement la seule personnalité capable de garantir l'intégrité territoriale du Zaïre » (Le Soir, 20 mai 1997). 19. Editorial dans Le débat stratégique, n°31, CIRPES, Paris, mars 1997, p. 1. 20. Beaucoup de propositions de réformes préconisées sous forme de rapports commandés par 1e Premier ministre ou 1e Ministère de la Coopération n'ont pas vraiment abouti à une révision en profondeur de la coopération en général et de la MMC en particulier : rapports Pignon (1961), Jeanneney (1963), Gorse (1971), Abelin (1975), Vivien (1982), Samuel-Lajeunesse (1989), Hesse/ (1990), Viven (1990), Michailof (1993), Conseil économique et social (1993), Marchand (1996). Il faut y ajouter Ies multiples rapports internes de la Cellule de prospective du Quai d'Orsay dont certains émanaient de Jean-François Bayart. 2L Entretien avec l'ambassadeur Stéphane Hessel, Paris, 22 mai 1997. 22. Le 29 avril 1997, 1e parti socialiste français adoptait un nouveau programme fixé par la commission Afrique souhaitant la suppression de la cellule africaine de /'Elysée. 23. Cf. André Dumoulin, La dissuasion nucléaire européenne. Quel avenir ?, Les Dossiers du GRIP, n°211-212, Bruxelles, 3-4/1996. 1o8 24. Pascal Boniface, « Intervention militaire et charité », Le Monde, 16 novembre 1996. 25. Entretien avec Dominique Bangoura, Paris, 26 juin 1997. 26. Pierre Dabezies, « Afrique subsaharienne. Evolution géopolitique et géostratégique (19751995) », Armées d'aujourd'hui, n°203, Paris, septembre 1995, p. 43. 27. Jean-François Bayart, « Bis repetita...», op. cit., p. 15. 28. Commission européenne, Livre vert sur les relations entre l'Union européenne et Ies pays ACP à l' aube du 21 ème siècle. Défis et options pour un nouveau partenariat, Bruxelles-Luxembourg, 1997, p. 19. 29. Eurafrique, Paris, février 1997, p. 8.
30. Dominique Bangoura, « Les nouveaux enjeux...», op. cit., p. 135. 31. Stéphane Hessel, Entretien à Libération, 5 mars 1997. 32. Hervé de Charrette, Discours à la réunion ministérielle de suivi de la 18ème conférence des chefs d'Etat de France et d'Afrique, Paris, 25 janvier 1996. 33. Guido Lenzi, « Le rôle de l'UEO en Afrique subsaharienne », dans Gestion de crise et règlement des conflits en Afrique subsaharienne : rôle de l'UEO, op. cit., p. 58. 34. Commission européenne, Livre vert sur les relations entre l'Union européenne et les pays ACP à l'aube du 2/ ème siècle. Défis et options pour un nouveau partenariat, Bruxelles-Luxembourg, 1997, p. 4. 35. Rapport d'activité /996 du Ministère de la Coopération, Paris, 1997, p. 150. 36. Hugo Sada, « Afrique. Le budget de la coopération en baisse », Défense nationale, janvier 1997, p. 183. 37. Entretien avec Jean-Pierre Cot, Bruxelles, 24 juin 1997. 38. Jean-Baptiste Placca, Editorial, dans L'autre Afrique, n°3, Paris, 4-10 juin 1997, p. 3. 39. Reginald Moreels, « Les relations entre la Défense nationale et la coopération au développement », Débat au Parlement belge, « Quelle armée demain ? », Bruxelles, 24 avril 1997. 40. Une vingtaine d'anciens officiers St Cyrien de la promotion 57-59 « terre d'Afrique » tentent de travailler hors de la structure institutionnelle de la Défense nationale, des Affaires étrangères et de la Coopération, via les liens personnalisés entre frères d'armes français et africains (avec l'aide d'ONG caritatives) afin de créer des cellules de base sur 1e développement durable, aider à la forma tion professionnelle des jeunes pendant leur service militaire, aider à la reconversion de militaires africains en surnombre et au développement économique des pays concernés. Ce réseau AFOCAT (Association française oeuvrant dans 1e cadre de l'Afrique) créé en 1995 travaille actuellement particulièrement au Niger. (Entretien avec le général de Linage, Paris, 22 mai 1997) 41. Selon un projet (non encore concrétisé) d'une ONG belge sous la présidence du chevalier Brassinne de La Buissière, et du colonel BEM Emile Havenne, il est proposé de faire travailler les militaires africains dans 1e développement économique de zones rurales (avec utilisation d'unités du génie, de la logistique, des transmissions et de santé en soutien direct ou. indirect) avec pour principe la démilitarisation avant recyclage des militaires. L'objectif prioritaire serait de « réduire les effectifs de l'armée tout en contrôlant le personnel licencié en lui fournissant du travail. Le reste de l'armée, ainsi réduite, sera plus contrôlable et pourra finalement être payé régulièrement et rentrer dans la légalité ». (Cf. Coopération et progrès, Zaïre. L'armée au service du développement. Projet, Bruxelles, mars 1996 ; Coopération et progrès, Etude de synthèse sur l'intégration des forces armées dans le processus de développement économique dans les pays d'Afrique centrale, Bruxelles, juin 1995). 42. Guy Labertit, op. cit. 43. Alvaro Vasconcelos, « L'Europe devrait-elle avoir une politique en Afrique? », dans Gestion de crise et règlement des conflits en Afrique subsaharienne : rôle de l'UEO, Cahiers de Chaillot n°22, Institut d'Etudes de sécurité de l'UEO, Paris, décembre 1995, p. 13. 44. Jean-François Bayart, « Bis repetita...», op. cit., p. 28. 109 45. Entretien avec 1e colonel Jacques Wirtgen, Bruxelles, 4 juin 1997. 46. André Dumoulin, « La présidence belge à l'UEO », Memento défense-désarmement /997, GRIP, Bruxelles, 1997. 47. Claude Monier, « Evolution du concept américain de maintien de la paix en Afrique », Défense nationale, Paris, juillet 1997, p.161. 48. Commission Justice et Paix Belgique, op. cit., p. 4. 49. A ce propos, l'Afrique du Sud, 1e Sénégal, 1e Mali, Djibouti, l'Ouganda, 1e Ghana et 1e Zimbabwe ont été cités. 50. Stephen Smith, « Une troïka occidentale veut mettre l'Afrique sous casque bleu », L'autre Afrique, n°3, Paris, 4-10 juin 1997, pp. 16-17. 5L Warren Christopher, Discours d' Addis Abeba, OUA, 10 octobre 1996, dans Jeune Afrique, n'1869, Paris, 30 octobre-5 novembre 1996, p. 33. 52. Cf. la mission ECOMOG menée au Liberia en 1990 sous la coordination de l' OUA et la Mission interafricaine de surveillance des accords de Bangui (MISAB) en Centrafrique. 53. L'ECOMOG fut évalué par bon nombre d'observateurs comme un moyen d'influence du Nigeria qui y disposait du plus grand nombre d'effectifs (80%). Les forces nigérianes furent accusées d'entretenir 1e conflit, de bombarder des objectifs civils et prendre part à une économie de pillage, alors que leur fonction était de surveiller 1e cessez-le-feu, ramener l'ordre et créer les conditions pour que des élections puissent être organisées. 54. Parmi les plus importantes, citons la Communauté des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEAO) dont les Etats membres (Bénin, Burkina Faso, Côte-d'Ivoire, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal) signèrent le 9 juin 1977 un accord de non-agression et d'assistance en matière de défense (ANAD) dont un protocole additionnel relatif à une assistance en matière de sécurité intérieure fut adopté en décembre 1982 (siège: Abidjan). La seconde organisation regroupe la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) créée en 1975, dont 13 des 16 Etats membres (Bénin, Burkina Faso, Gambie, Guinée, Ghana, Liberia, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo, Mali) ont signé plusieurs protocoles d'assistance mutuelle (PAM) en avril 1978 et mai 1981 (siège Lagos). Quant à la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) créée en 1980 et qui comprend l'Afrique du Sud, l'Angola, 1e Botswana, le Lesotho, le Malawi, le Mozambique, la Namibie, le Swaziland, la Tanzanie, la Zambie et 1e Zimbabwe, elle peut remplir un rôle intégrateur en matière politique et économique, tout en développant une politique de prévention des conflits via 1e Comité de défense et de sécurité inter-étatique (CDSIE). 55. Jean-Pierre Masseret, La contribution de l'UEO au renforcement de la paix en Afrique centrale, document 1566, Assemblée de l'UEO, Paris, 13 mai 1997, p. 30.
Annexe 2 : Liste des principaux accords de coopération militaire bilatéraux en vigueur début 1997 Pays africains « du champ » (dépendant du ministère de la coopération) Pays
Date
Type
Bénin
31/03/66 27/02/75
- Protocole relatif à la sécurité des vols des aéronefs militaires - Accord de coopération militaire technique ; échange de lettres sur les facilités d'escale et de transit
Burkina Faso
24/04/61 14/07/65
- Accord d'assistance militaire technique (AMT) - Convention relative au soutien logistique des forces armées
Burundi
07/10/69 31/05/74
- Accord particulier relatif au concours en personnel militaire pour l'organisation, l'instruction et l'emploi de l'escadrille burundaise - Extension de l'accord précité à l'ensemble des forces armées burundaises
Cameroun
18/07/66 21/02/74 21/02/74 21/02/74
- Protocole relatif à la sécurité des vols des aéronefs militaires - Accord de défense - Accord de coopération militaire - Convention fixant les règles et modalités du soutien logistique aux forces armées
Centrafrique
15/08/60 10/09/65 21/05/66 08/10/66
- Accord de défense - Convention fixant les règles et conditions du concours au soutien logistique des forces terrestres, aériennes et de la gendarmerie (avenant de mars 1973) - Protocole relatif à la sécurité des vols des aéronefs militaires - Accord concernant l'assistance militaire technique
Comores
10/11/78 04/08/79
- Accord de coopération en matière de défense - Convention relative au concours militaire technique
Congo
01/01/74
- Accord de coopération technique en matière de formation de cadres et d'équipement de l'armée populaire nationale
Côted'Ivoire
24/04/61 24/04/61 08/04/65 03/09/65 26/01/78 19/03/80
Djibouti
27/06/77 28/04/78 03/09/79 12/02/80 11/02/91
Gabon
17/08/60 25/08/65 17/11/65 01/02/80
Guinée équatoriale
09/03/85
- Accord de coopération militaire technique
Guinée-Conakry
07/04/85
Madagascar*
04/05/66 04/06/73 29/12/78 en cours
- Accord de coopération militaire technique - Convention de soutien logistique - Convention concernant les affaires militaires et l'assistance technique (avenants les 26/10/73 et 05/11/73) - Convention concernant l'hôpital militaire d'Antananarivo - Accord de coopération militaire technique
Mali
06/05/85 08/07/86 et 28/7/86
- Accord de coopération militaire technique - Echange de lettres fixant les conditions fiscales applicables aux AMT
Maurice
14/09/79 25/09/79
- Echange de lettres relatif à la contribution mensuelle de l'lle Maurice aux dépenses de personnel AMT - Accord particulier de coopération militaire
Niger
16/09/65 27/04/86 21/09/86 et 19/2/87 19/02/77
Rwanda
18/07/75
Mauritanie
- Accord de défense - Accord d'assistance militaire technique - Convention fixant les règles et conditions du concours français au soutien des forces terrestres, aériennes et de la gendarmerie - Protocole relatif à la sécurité des vols des aéronefs militaires - Accord particulier pour la coopération en matière d'armement - Accord particulier pour la formation des pilotes - Protocole provisoire fixant les principes de la coopération militaire - Echange de lettres fixant les conditions fiscales applicables aux AMT - Convention relative à la création et au fonctionnement d'un bureau provisoire postal militaire. Modifiée le 12/02/85 - Convention au sujet des compétences de la prévôté en matière de délits ou fautes commises par les AMT - Accord portant sur la surveillance de l'espace aérien - Accord de défense et d'assistance militaire technique - Convention fixant les règles du soutien logistique des forces terrestres, aériennes et de la gendarmerie - Protocole relatif à la sécurité des vols d'aéronefs militaires - Accord particulier relatif à l'instruction des personnels de l'armée de l'air sur Mirage (+ avenant du 29/8/80)
- Protocole relatif à la sécurité des vols des aéronefs militaires - Accord de coopération militaire technique - Echange de lettres fixant les conditions fiscales applicables aux AMT - Accord de coopération militaire technique - Accord particulier d'assistance militaire technique
Sénégal
29/03/74 29/03/74
- Accord de coopération en matière de défense - Convention fixant les règles et conditions du concours au soutien logistique des forces terrestres, aériennes, maritimes, de la gendarmerie, des unités militaires du service civique et des formations paramilitaires (gardes républicaines, sapeurs-pompiers) - Protocole relatif à la sécurité des vols des aéronefs militaires
Seychelles
05/01/79
- Accord particulier de coopération en matière navale
Tchad
06/03/76 06/03/76 16/06/76 avril 90 30/07/91 30/06/92
Togo*
10/07/63 29/04/65 28/10/65 23/03/76
Zaïre
22/05/74 09/07/76
- Accord de coopération militaire technique - Convention fixant les règles et conditions du concours au soutien logistique des forces armées - Annexe relative au fonctionnement de l'hôpital militaire de N'Djamena - Protocole relatif au stationnement des troupes françaises au camp de Kossey - Protocole sur l'aide à l'armée nationale tchadienne - Protocole relatif à la restructuration des effectifs de l'armée nationale tchadienne - Accord de défense - Convention fixant les règles et conditions du concours au soutien logistique des forces terrestres, aériennes et de la gendarmerie - Protocole relatif à la sécurité des vols des aéronefs militaires - Accord de coopération militaire technique - Accord général de coopération militaire - accord particulier de coopération en matière d'aéronautique militaire ; - arrangement de coopération militaire technique dans les domaines de l'aéronautique (avenants en date du 7/07/ 75, 02/03/76 et 07/05/77) ; - arrangement relatif à l'instruction du personnel zaïrois dans les écoles de l'armée de l'air française - Arrangement de coopération militaire technique dans le domaine de la force terrestre (avenant en date du 07/02/78)
* Renégociations en cours. Sources : GRIP DATA; Michel Voisin, Avis n°3033, présenté au nom de /a Commission de /a Défense nationale et des forces armées sur /e projet de loi des finances pour 1997, Tome //, Affaires étrangères Coopération, Assemblée nationale, Paris, 10 octobre 1996, pp. 32-34 ; Rapport Amnesty International sur le Tchad, Londres, AFR, 20/04/96F.
Pays Angola Bénin Burkina Faso
Annexe 3 : Répartition de l'aide directe en matériel Aide directe 1997sans transport Opérations (en millions de FF) prévues 0,11 Equipement Gendarmerie 4,50 Aide aux forces armées dans le cadre de la manœuvre franco-béninoise 97 Equipement auto et transmissions, pièces de re 5,00 change
Burundi Cambodge Cameroun Cap Vert Centrafrique Comores
2,50 9,00 0,50 10,00 2,50
Congo
5,00
Côte-d'Ivoire
12,00
Djibouti Gabon Gambie Guinée Bissau
6,50 5,00
Guinée Conakry
6,50
0,50
Remise à niveau des unités Equipement d'une unité de sécurité Remise en ordre des FACA Soutien logistique aux forces de sécurité Equipement de la Gendarmerie Soutien des forces armées Valorisation du soutien logistique Ecole des forces armées Soutien logistique des forces Soutien logistique des forces et de la Gendarmerie
Madagascar
7,00
Mali
5,00
Mauritanie Mozambique Niger
7,00
Aide à l'équipement des forces de sécurité Soutien et équipement des forces de sécurité et des écoles de formation Soutien aux forces de sécurité Soutien et équipement des forces de sécurité Soutien des écoles de formation Soutien des forces de sécurité intérieure Soutien des écoles de formation Soutien logistique des forces de sécurité
6,50
Soutien des forces de sécurité
Guinée équatoriale 0,70
Pays Rwanda
Aide directe 1997 sans transport (en millions de FF)
Sénégal
12,00
Tchad
12,00
Togo
5,00
Opérations prévues Soutien des forces armées et de la Gendarmerie Soutien à l'école des cadres interafricaine Soutien logistique des forces armées Soutien logistique de la Gendarmerie Soutien aux forces de sécurité
Zaïre Transport
27,00'
Non affecté
28,192
Total
180,00
1. Ce montant correspond aux frais de transport à destination des pays bénéficiaires des matériels achetés en France par la Mission militaire de Coopération. Le coût du transport estimé statistiquement à 20% du coût d'achat de ces matériels était intégré en 1994 et 1995 dans le calcul de l'aide par pays. Pour des modalités de gestion et un souci de transparence vis à vis des pays africains, le coût de transport a été différencié en 1996. 2. Ce montant permet à la Mission militaire de Coopération de faire face à des demandes inopinées en cours d'année, liées notamment aux situations de crise en Afrique. Source: Michel Voisin, Avis n° 3033, au nom de /a commission de /a Défense nationale et des forces armées sur /e projet de toi de finances pour 1997 (n°2993), Tome //, Affaires étrangères Coopération, Assemblée Nationale, Paris, 10 octobre 1996, p. 54.
Annexe 4: Répartition des effectifs de coopérants militaires français (Evolution des postes AMT 1995-1996 et prévisions 1997 1995 1996 Prévisions 1997 Angola 2 2 2 Bénin 23 24 22 Burkina Faso 14 14 14 Burundi 24 24' 0 Cambodge 17 2 17 2 15 Cameroun 56 54 50 Cap-Vert 0 1 0 Centrafrique 67 63 59 Comores 36 34 28 Congo 23 25 23 Côte-d'Ivoire 52 50 45 Djibouti 49 47 41 Gabon 60 60 51 Guinée 27 29 27 Guinée équatoriale 4 4 4 Haïti 1 0 0 Madagascar 25 25 24 Malawi 0 1 1 Mali 25 25 23 Mauritanie 53 52 47 Mozambique 2 4 2 Niger 49 50 44 Rwanda 0 0 0 Sénégal 30 32 31 Tchad 60 60 55 Togo 31 34 32 Zaïre 2 0 0 Zimbabwe 0 0 0 Total 715 714 640 Postes budgétaires. 1. Coopération militaire suspendue en juin 1996. 2. Pour mémoire, effectifs sur le budget des Affaires étrangères. Source: Paulette Brisepierre, Avis n'89, au nom de /a commission des Affaires étrangères, de /a défense et des forces armées surie projet de loi de finances pour 1997, adopté par l'Assemblée nationale, Tome 111, Coopération, Sénat, Paris, 21 novembre 1996, p. 38. Annexe 7: liste des interventions militaires majeures de la France (à partir de 1970) Opération Lamantin (Mauritanie, 1977) : Envoi d'avions de combat après la capture de ressortissants français au Sahara occidental. Opération Tacaud 4 (Tchad, 1978) : Accrochages entre le 2ème REP et les bandes du GUNT de Goukouni Oueddeï.
Opérations Bonite et Léopard (Zaïre, mai 1978) : 600 paras sautent sur Kolwezi (parallèlement à une opération belge) afin de mettre fin militairement à l'attaque lancée contre l'ancien Katanga par des troupes venues d'Angola et soutenues par les Soviétiques et les Cubains. Opération Barracuda (République Centrafricaine, septembre 1979) : Envoi d'un détachement militaire pour aider David Dacko à renverser Bokassa. Opération Manta (Tchad, juin 1983-novembre 1984) : Envoi de 4.000 hommes pour soutenir Hissène Habré face aux forces de Goukouni Oueddeï, soutenues par la Libye. Opération (Togo, 1986) : Envoi de 150 paras après la tentative de coup d'Etat contre le président Eyadema. Opération Epervier (Tchad, février 1986- 1997?) : Soutien au gouvernement tchadien contre les tentatives d'invasion territoriale par la Libye. Opération Oside (Comores, 1989) : 200 militaires français débarquent après l'assassinat du président Abdallah. Opération Requin (Gabon, mai-juin 1990) : Intervention de la Légion étrangère (2.000 hommes) lors d'émeutes à Libreville et PortGentil et protection/rapatriement de résidents français. Opération Noroît (Rwanda, octobre 1990-décembre 1993) : Protection de ressortissants français et protection du régime en place par 550 hommes suite aux incursions du FPR. Opération Verdier (Bénin, 1991) : 450 hommes sur l'aéroport de Cotonou, censés répondre à une tentative de putsch contre le Premier ministre togolais de transition, Joseph Kokou Koffigoh. Opération Godoria (Djibouti, mai-juin 1991) : Participation au désarmement de milliers de soldats de l'armée éthiopienne en transit aux frontières de la République de Djibouti et évacuation aérienne de ressortissants français en Ethiopie parallèlement à une aide humanitaire au profit des réfugiés. Opération Baumier (Zaïre, septembre-novembre 1991) : Protection et évacuation de ressortissants français avec l'aide de 450 militaires français (parallèlement à une opération belge). Opération Addax (Angola, 1992) : 50 hommes participent au sein de l'UNAVEM à l'encadrement des élections. Opération Iskoutir (Djibouti, décembre 1992-mars 1993) : Opérations d'interposition et assistance médicale et humanitaire aux populations victimes de combat entre rebelles et forces gouvernementales. Opération Simbleau (Sierra Leone, mai 1992) : Envoi d'une frégate au large des côtes de Sierra-Leone pour secourir éventuellement des ressortissants français après le coup d'Etat militaire. Opération Oryx (Somalie, décembre 1992 - mars 1993) : 2.100 hommes sous commandement américain dans le cadre de l'Unitaf avec zone de transit partiel à Djibouti aux opérations en Somalie dans le cadre de la résolution 794. Opération ONUSOM II (Somalie, 1993) : 1.100 hommes engagés dans l'opération ONUSOM 2. Opération Balata (Cameroun, février-septembre 1994) : Envoi de 9 hommes dans le cadre du contentieux frontalier entre le Cameroun et le Nigeria. Opération Amaryllis (Rwanda, avril 1994) : Evacuation de ressortissants français, de personnalités rwandaises et fermeture de l'ambassade de Kigali par 500 militaires français. Opération Diapason 1 et 2 (Yémen, 5-11 mai 1994) : Evacuation de ressortissants occidentaux du Yémen par voie maritime et aérienne avec le soutien des forces françaises maritimes de l'océan Indien et des forces françaises prépositionnées à Djibouti (FFDJ) aidées de leurs alliés. Opération Turquoise (Zaïre/Rwanda, juin-août 1994) : Avec 2.500 militaires français et leurs alliés ouest-africains, création au Zaïre d'une zone humanitaire sûre, opération sanitaire au profit des réfugiés rwandais et probablement soutien à l'exfiltration d'extrémistes rwandais hutus fuyant l'offensive du FPR. Opération Azalée (Comores, octobre 1995): Intervention des forces spéciales françaises à l'appel du Premier ministre comorien après le coup d'Etat organisé par Bob Denard. Opérations Almandin 1 et 2 (République Centrafricaine, 1996-1997) : Interventions de protection de ressortissants suite à plusieurs mutineries d'une partie de l'armée à Bangui. Intervention militaire française de coercition contre les militaires rebelles suite à l'assassinat de deux militaires français. Opération Pélican (Congo-Brazzaville, mars 1997) : Protection et éventuellement récupération de ressortissants français en cas de troubles lors de la prise de Kinshasa par les forces de Laurent-Désiré Kabila. Opération Pélican 2 (Congo-Brazzaville, juin 1997) : Protection et récupération des ressortissants suite à la guerre que se livrent les différentes milices et armée gouvernementale dans la capitale. Opération Pélican 3 (Congo-Brazzaville, juin 1997) : Evacuation vers Libreville, N'Djamena et Bangui de tous le personnel militaire français de la capitale congolaise. NB: Nous pouvons également citer les opérations Corymbe (Afrique de l'Ouest, mai 1990), Berenice/Armide (Somalie, janvier 1991), Totem (Ethiopie, mai 1991), EFAO (Centrafrique, juillet 1991), MINURSO (Sahara occidental, septembre 1991), Iskoutir (Djibouti, février 1992), Bajoyer (Zaïre, janvier-février 1993), Yabmo (Burundi, octobre 1993), Croix du Sud (Niger, octobre 1994 - mars 1995), Aramis (Cameroun, février 1995), UNAVEM (Angola, mars 1995). Sources: GRIP DATA; Le Monde Dossiers et Documents, janvier 1987; Avis n°1755, Assemblée nationale, 1 er décembre 1994; Air fan, novembre 1989; Le Nouvel Afrique Asie, juin 1995; Défense nationale, mars 1997; Armées d'aujourd'hui, septembre et novembre 1991 ; Rapport 1995 de /'Observatoire permanent de /a coopération française; Olivier Lanotte, L'Opération Turquoise au Rwanda, Notes et études de l'unité de relations internationales n°8, Louvain-la-Neuve, 1996, p. 83 ; Ramsès 1998.