La desobeissance civile

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LA DÉSOBÉISSANCE CIVILE par Daniel Dupont L'homme au chapeau marche la tête basse. Il se dirige vers le grand édifice gris. Il semble soucieux et distrait lorsque soudain son attention est attirée par un groupe de manifestants. Il ne bronche pas, il a l'habitude. Il les contourne et continue son chemin aussi discrètement que possible... Trop souvent les manifestations sont associées soit à des jeunes en révolte contre la société (il faut que jeunesse se fasse dit-on), soit à des groupes sociaux qui veulent rendre leur cause publique mais sans que nous soyons en mesure d'en comprendre les enjeux réels ou soit encore à des grévistes cherchant à faire valoir la justesse de leur cause mais sans que cela n'éveille vraiment notre attention (tout le monde a ses problèmes). Dans les faits, cela fait partie du cours normal : d'un côté il y a le pouvoir, un gouvernement ou un employeur, de l'autre des citoyens ou des travailleurs. Les mouvements de contestation apparaissent tous comme ayant la même nature, celle de contester l'autorité et cela parfois en enfreignant la loi. Or, si cette action contestataire viole une loi peut-on nécessairement parler d'un acte de désobéissance civile ? Si nous décidons de rouler à 160 km sur l'autoroute parce que nous ne sommes pas d'accord avec la loi de l'impôt, est-ce que nous faisons un acte de désobéissance civile ? Si, au soir de la première journée de la rencontre de l'O.M.C. à Seattle, la foule casse les vitrines des magasins d'une rue commerciale, peut-on parler d'actes de désobéissance civile ? D'une façon intuitive, nous répondrons que non. Mais pour être plus formel, il faudra établir le fondement par lequel l'on peut différencier un acte de nature criminelle d'un acte de désobéissance civile. Il est important de définir ce qu'est la désobéissance civile véritable puisqu'il en va d'une compréhension claire de ce qu'est l'action véritable d'un citoyen. D'ailleurs, le pouvoir en général a tout intérêt à maintenir une compréhension confuse de ce concept puisque cela lui permet d'associer tous les actes de contestation, incluant la désobéissance civile, à des actes plus ou moins de nature criminelle et, par conséquent, à entretenir la perception que ces actes sont plus ou moins illégaux. Pour réaliser cette distinction, il faudra d'abord faire une certaine déconstruction du concept pour que, par la suite, on puisse examiner sur quel fondement il peut s'interpréter et, sur cette base, comprendre son rôle démocratique. D'emblée, on ne peut discourir à propos de la désobéissance civile sans faire état de la pensée de Thoreau qui n'est rien de moins que l'inventeur de ce concept. Thoreau montrait que le citoyen devait agir en conformité avec les principes prescrits par sa propre conscience même si cette action était contraire à la loi. En effet, si à la lumière de cet examen de conscience un citoyen conclut qu'une loi est injuste, alors il n'a d'autre choix que de l'enfreindre. L'exemple de Thoreau arrêté parce qu'il n'avait pas payé ses impôts a été maintes fois mentionné sans qu'on ait à y revenir. Mais, il faut réexaminer les bases sur lesquelles il a assis son argumentation. Dans son réquisitoire à propos de la désobéissance civile, il fait valoir que l'acte de conscience est à la base du devoir de citoyen. Selon lui, la responsabilité sociale d'un individu se limiterait à agir en conformité au jugement de sa propre conscience, "...si je suis venu en ce monde, ce n'est pas d'abord pour en faire un lieu où il fasse bon vivre ; c'est pour y vivre,..." et "...il ne m'appartient pas plus de faire parvenir des pétitions au gouverneur ou à la Chambre qu'il ne leur revient de m'en adresser.". Or, cet acte de conscience dont Thoreau fait état est beaucoup plus relié à l'acte individuel moral qu'à l'acte civil du citoyen. L'interprétation de Thoreau à l'effet qu'une action doit être juste est tout à fait valable, mais en voulant la restreindre au seul champ individuel moral, il lui enlève toute portée civile réelle. Par conséquent, à cette interprétation de Thoreau, on doit lui opposer celle de l'action de la multitude politique, l'action du citoyen. Ainsi, d'un côté nous avons l'acte privé et de l'autre l'acte public. Dans les faits, cette interprétation de Thoreau relie l'acte de conscience individuel au comportement qu'un individu doit avoir envers les lois dans une société donnée. Ne laissant ainsi comme seul rapport du citoyen avec l'état que l'acceptation ou le refus de se conformer aux lois. Hannah Arendt l'explique ainsi: "...c'est que Thoreau lui-même...introduisant ainsi ce terme de "désobéissance civile" dans notre vocabulaire politique, s'est placé sur le terrain de la conscience individuelle et des obligations imposées par cette conscience morale, sans invoquer la question des rapports de la conscience du citoyen avec la loi...". Et là se situe une partie de la confusion à l'égard de la désobéissance civile. En effet, en associant


le concept de désobéissance civile à l'acte individuel moral, Thoreau allait conférer à la désobéissance civile un statut d'action de nature négative : refuser ou accepter une loi. De plus, en faisant de la désobéissance civile une affaire de conscience individuelle, il lui a enlevé toute force de persuasion démocratique. Car, la conscience individuelle ne saurait être invoquée comme argument pour rallier une majorité à sa propre cause puisqu'une majorité opposée pourrait invoquer une opinion contraire se justifiant elle-même d'agir au nom de leur propre conscience. Ce qui ne fait que confirmer que l'acte de conscience individuel est un acte apolititique. Pourtant, il n'est pas impossible de trouver des exemples de groupes, prétendant agir selon une conscience commune, qui aient réussi à convaincre d'autres individus de la justesse de leur cause. Dans ce cas, nous pourrions être tenté de conclure que des arguments fondés sur la conscience peuvent effectivement exercer une certaine force sur l'opinion publique. Or, selon Arendt, "...la force de l'opinion ne dépend pas de la conscience, mais du nombre de ceux qui la partagent...". Ceci étant dit à propos de la pensée de Thoreau, il semble que le concept de désobéissance civile fait face à une autre difficulté et non la moindre. En effet, on ne peut que constater qu'à l'heure actuelle dans le monde, une multitude de regroupements revendique publiquement des droits de tous ordres : religieux, politiques, sociaux, syndicaux, etc.. Or, même si dans bien des cas les revendications sont tout à fait justifiées, ceux-ci ne sont pas nécessairement des groupes revendiquant des causes de nature civile, mais de nature privée (défense du fonds de pension d'un syndicat particulier, confrontations à propos de la religion ou revendications syndicales). D'autre part, dans la plupart des états modernes, il s'est développé, parallèlement aux sociétés civiles, des sociétés à caractère criminel (drogue, prostitution, immigration, etc.) qui agissent selon leurs propres lois tout en violant les lois civiles. Mais bien sûr, ce n'est pas parce que celles-ci violent des lois qu'on peut les qualifier de groupes pratiquant la désobéissance civile. Bien au contraire, leurs visées sont illicites, antisociales, violentes et n'ont pour but qu'un intérêt privé. Pour toutes ces raisons, on ne peut que les qualifier de groupes criminels. Dans un tel contexte, il semble que l'on associe trop souvent la désobéissance civile soit à une réquisition d'ordre privé (syndicale par exemple), mais revendiquée publiquement, soit à des actes de nature criminelle qui nécessairement violent la loi mais pour servir un intérêt privé. De plus, la constitution de l'adhésion, autant des groupes d'intérêts privés que des groupes criminels, se fait verticalement (unidisciplinaire) : des travailleurs d'une même usine, des adeptes d'une même religion, des criminels, etc. Ici, il ne s'agit pas de déterminer si un groupe particulier de manifestants est effectivement un cas de désobéissance civile ou pas. Il s'agit plutôt de montrer que le concept de désobéissance civile peut prêter à confusion et que cette confusion sert beaucoup mieux les gens au pouvoir que les citoyens. Or, la désobéissance civile véritable a pour origine tout autre chose. En effet, elle se manifeste lorsque plusieurs citoyens en sont venus à la conclusion que les mécanismes légaux ou législatifs normaux ne fonctionnent plus adéquatement. Ou encore, lorsqu'ils croient que le gouvernement outrepasse son mandat légitime. Ainsi, la désobéissance civile s'exerce par un ensemble de citoyens dans le but de signifier aux gens au pouvoir que des changements désirables doivent avoir lieu afin d'améliorer l'ensemble de la société. À cet effet, l'action de désobéissance civile se distingue de toute action de nature privée puisqu'elle est accomplie par un regroupement de citoyens, de toutes disciplines (adhésion horizontale plutôt que verticale, multidisciplinarité donc), agissant ensemble (interdisciplinarité) pour une cause commune (et non un intérêt commun), revendiquant des droits universels pour chacun des citoyens sans exception (visée universelle). De même, la désobéissance civile se distingue bien sûr de tout acte criminel dans la mesure où l'acte de désobéissance civile se fait publiquement, d'une façon civilisée (donc sans violence) et surtout il vise à améliorer la société plutôt qu'à la brimer. Ce qui bien sûr est tout à fait opposé à l'acte criminel qui lui, dans la plupart des cas, est un acte solitaire ou privé accompli pour un intérêt purement personnel et, plus souvent qu'autrement, est accompagné de violence. Avec ces nouvelles données, on peut maintenant affirmer qu'on a acquis non seulement une compréhension plus claire du concept de désobéissance civile, mais qu'en plus on a acquis une compréhension nouvelle à propos de ce que pourrait être une majorité politique nouvelle, parallèle au système gouvernemental en place. En effet, "...si le groupe dont le citoyen fait partie est stable et suffisamment important, on sera tenté de le ranger parmi les membres d'une "majorité concurrente"".


Mais, même si les actes de désobéissance civile sont justifiables, on doit tout de même se demander s'ils ne sont pas des moyens extrêmes, pour ne pas dire révolutionnaires. En effet, il existe des moyens légaux pour les citoyens de faire valoir leur point de vue, des voies "normales" : présenter un mémoire lors des différentes commisions, lettres à son député, sondages d'opinion, élections, etc. Or, il semble que ces moyens sont insuffisants puisque dans les faits, les citoyens ont depuis longtemps envisagé d'autres façons de faire entendre leurs opinions. La raison n'est pas que ces moyens "normaux" sont nécessairement inefficaces, mais c'est surtout que la désobéissance civile s'inscrit dans un ordre plus général de dynamique de changements, souvent nécessaires et de nature universelle, qui s'est manifesté maintes fois à travers l'histoire à toutes les époques et dans toutes les civilisations. Dans cette perspective, il s'agit donc de faire la distinction entre la désobéissance civile comme moyen extrême et la révolution comme moyen radical. En effet, si la révolution vise à réformer et à éliminer le cadre structurel et politique des institutions d'une société et cela souvent par la violence ; la désobéissance civile, quant à elle, vise à revoir les modes de fonctionnement des institutions tout en acceptant les règles générales du cadre constitutionnel. La désobéissance civile ne vise donc pas à anéantir les règles générales de la société, mais au contraire à les préserver tout en désirant les améliorer. D'une part, elle se manifeste justement parce que les dirigeants politiques y auront dérogé ou encore parce que ceux-ci auront tenté d'instaurer des changements hors du mandat qui leur aura été conféré sans avoir d'abord obtenu la légitimité nécessaire pour les accomplir. Par exemple, au soir des événements de Seattle, lorsque M. Pettigrew s'est expliqué au Point à propos de la présence des milliers de manifestants à la conférence de l'O.M.C., celui-ci conclut que cette présence était principalement causée par une incompréhension de la part des manifestants des enjeux des actions de l'O.M.C.. On aurait dû alors lui rétorquer qu'au contraire les manifestants comprenaient très clairement les enjeux et que leur présence ne venait pas d'une incompréhension des enjeux, mais d'un désaccord aux actions de l'O.M.C.. Mais d'autre part, la désobéissance civile peut aussi se manifester si les citoyens jugent que des réformes nécessaires doivent avoir lieu pour que soit mieux servie la communauté. Ces changements initiés par les citoyens se confrontent normalement à l'ordre établi qui alors se présente comme défenseur des institutions et du mieux être de tous. Conséquemment, on comprend mieux le rapport de force qui existe entre l'autorité et les citoyens. D'un côté, l'autorité tente d'effectuer des changements qui vont dans le sens de l'accroissement de son pouvoir par une emprise accrue sur les institutions ou encore elle se présente comme défenseur de l'ordre face aux changements prétendument déstabilisateurs (c'est selon, l'important pour l'autorité en place est d'accroître ou au pire de préserver les acquis du pouvoir). De l'autre côté, les citoyens tentent de préserver les institutions de l'abus de pouvoir exercé par l'autorité ou encore ils initient des réformes nécessaires et normales dans une société qui évolue. Mais force est de constater qu'il n'y a rien là de bien nouveau. De tout temps, les mouvements et les changements sont venus du peuple. L'autorité n'a fait que les encadrer par des lois et des constitutions. Et si ces lois et ces constitutions ne convenaient plus, les gouvernants devaient les abroger et les réécrire pour éviter de faire face à des révoltes (et ainsi risquer de perdre le pouvoir). Or, ce qui est nouveau avec l'avènement des sociétés modernes, c'est que cette dynamique de changements est maintenant encadrée par un esprit contractualiste auquel chaque parti, l'autorité et les citoyens, souscrit qu'il le veuille ou non. En ce qui concerne la situation actuelle, on ne peut que constater qu'on a affaire à des gouvernements qui ont des structures lourdes et bureaucratiques, et qui, face aux bouleversements extrêmement rapides, ne peuvent plus servir adéquatement les citoyens. La question est importante, car ces bouleversements ne sont plus de simples questions locales, touchant un gouvernement particulier, mais des questions d'ordre mondial et universel. Voilà pourquoi, les mouvements de désobéissance civile sont non seulement interdisciplinaires mais transnationaux. Ils se manifestent plus souvent qu'autrement pour pallier les lacunes démocratiques des différentes instances. On a vu que la désobéissance civile n'est pas une activité visant des intérêts particuliers. Elle n'est donc surtout pas une activité criminelle contrairement à ce que l'on est souvent porté à croire. Mais cette nouvelle compréhension ne montre pas que la désobéissance civile, même si elle est justifiable, est nécessairement légitime. Il faudra donc démontrer que non seulement elle est légitime mais qu'elle peut être légale.


Quoiqu'on dise, la désobéissance civile par ses activités contrevient aux lois. Mais, on a vu que les changements nécessaires plus souvent qu'autrement se produisent hors des voies normales du système. La plupart des démocraties se sont façonnées à coup de luttes et de revendications. Le droit de vote aux femmes et le droit des travailleurs par exemple ont été légalisés après plusieurs années de chaudes luttes. Et dans tous les cas, les lois et la constitution ont entériné la nouvelle donnée bien après qu'elle eut été acceptée par l'ensemble de la population. D'un autre côté, nous devons maintenir un système judiciaire efficace qui garantit la stabilité du système. On ne peut constamment violer la loi sous prétexte que les changements sont utiles et nécessaires. Nous tomberions rapidement dans l'anarchie. On doit donc trouver un mécanisme qui permet aux groupes de désobéissance civile de se faire valoir tout en gardant une certaine stabilité au cadre institutionnel. Mais avant de s'engager dans une discussion à propos de ce mécanisme, il faut démontrer que les actions de désobéissance civile sont effectivement légitimes car ce n'est qu'à cette condition qu'on pourra les faire reconnaître politiquement. Pour ce faire, il faudra revoir certaines théories de Locke. On ne peut dans la présente discussion en faire une critique, là n'est pas le propos. Néanmoins, il sera utile de s'y référer puisque le libéralisme et les libertariens les utilisent abondamment pour fonder la légitimité de leurs propres revendications. De cette manière, ils ne pourront pas argumenter qu'on a utilisé quelqu'obscures théories socialistes ou communautariennes. On discutera ainsi à partir des mêmes bases. La question de la désobéissance civile s'articule autour de la question du rôle du citoyen. En effet, traditionnellement le rôle du citoyen est souvent interprété comme étant celui d'obéir aux lois. Agissant ainsi, le citoyen donnerait un consentement tacite aux actions du gouvernement. Car, puisque ce sont les citoyens qui votent pour les gouvernements et que ce sont ces derniers qui font les lois, par conséquent, pour le citoyen obéir aux lois revient à s'obéir à lui-même, être son propre maître. Cela nous ramène à Thoreau et à la question de la conscience et du consentement où, comme on l'a vu, le consentement a une nature négative : obéir ou ne pas obéir aux lois. Or, Arendt oppose à ce consentement tacite, à cette conception négative de l'action du citoyen donc, un consentement positif celui de l'engagement. Cet engagement se traduit par une participation permanente et constante aux affaires de l'état. Vous me direz que le gouvernement n'en demande pas tant, mais enfin... Arendt montre que les états modernes sont des états de droits et de libertés. Ceci se traduit pour les citoyens par la liberté d'agir mais en respectant l'"esprit" de droit du contrat qui nous lie tous et chacun. Tel qu'annoncé on se restreindra à l'"esprit" du contrat de Locke. Pour celui-ci, il s'agit que chaque citoyen s'engage, "...rien ne peut rendre un homme membre d'une société, qu'une entrée actuelle, qu'un engagement positif, que des promesses et des conventions expresses."(5) Ainsi, sur cette base, les citoyens déterminent la constitution d'une société (le cadre) et par la suite désignent un gouvernement pour l'administrer. En d'autres mots, chacun des citoyens délègue son pouvoir politique au gouvernement pour le bien général de tous à condition que soit respectés ses droits individuels. Or, ce transfert de pouvoir n'est pas absolu. D'une part le gouvernement doit convaincre d'une façon perpétuelle qu'il agit pour le bien de tous les citoyens, "...car, il est impossible qu'un Prince ou un Magistrat, s'il n'a en vue que le bien de son peuple et la conservation de ses sujets et de leurs lois, ne le fasse connaître et sentir...". D'autre part, si le peuple le juge à propos il peut reprendre le pouvoir des mains du gouvernement "...toutes les fois donc que la puissance législative violera cette règle fondamentale de la société...elle perdra entièrement le pouvoir que le peuple lui avait remis...il est dévolu au peuple qui a droit de reprendre sa liberté originaire...de pourvoir à sa propre conservation...". Ici, bien sûr, il ne s'agit pas d'ouvrir un débat sur les conditions particulières qui permettraient effectivement au peuple de retirer une telle autorité au gouvernement, mais bien plutôt de saisir l'essence de l'accord contenu dans ce contrat. À partir de cette compréhension, on peut faire deux constatations à propos de cet engagement. D'abord, cet engagement implique un rôle actif de la part du citoyen en opposition à un rôle passif, celui du consentement. De plus, ce contrat implique aussi un effet de réciprocité entre les partis en opposition à un effet unidirectionnel venant exclusivement du citoyen, "...la substance de ce consentement, semblable au


contenu moral de tous les accords et contrats, consiste dans l'obligation de tous les partis à le respecter, obligation morale caractéristique de tous les engagements."(8) Ainsi compris, "...toutes les organisations humaines, sociales ou politiques, reposent en fin de compte sur la capacité de chaque individu à prendre des engagements et à les tenir."(9) Par conséquent, l'engagement du citoyen d'un état démocratique réside dans le pouvoir d'action d'un consentement actif (appelons-le engagement), celui par lequel non seulement il peut mais il doit agir. En fait ce qui différencie le citoyen d'un état non-démocratique de celui d'un état démocratique c'est sa liberté d'action politique : le consentement ou non pour le citoyen de l'état non-démocratique par une action passive négative, l'engagement pour le citoyen de l'état démocratique par une action active positive. Il existe donc, bel et bien une dynamique d'échange entre le citoyen et l'état. Cette dynamique par laquelle le citoyen s'engage dans l'action politique et promet de respecter les lois renvoie par un rapport de réciprocité à l'état qui lui aussi s'engage à respecter le mandat qui lui a été conféré. C'est de cette dynamique que dépend la démocratie, cette dernière n'existe que parce que la dynamique continue d'agir. Cette dynamique n'a pas d'autre fin en soi que d'exister en exprimant l'effet de la multitude en action. Ainsi pour qu'un état soit considéré comme démocratique, il faut que les deux partis puissent continuellement exercer leur mandat selon les termes prescrits implicitement dans le contrat. Dans le cas contraire, si un ou les deux partis cessent d'agir en conformité avec ceux-ci, nous ne pouvons plus considérer cet état comme une démocratie. Ce qui veut dire que si le gouvernement contrevient à ses prérogatives ou si les citoyens se contentent de consentir plutôt que de s'engager, il y a bris de contrat. Dans cette perspective, on comprend mieux que le citoyen ne peut être restreint à un consentement tacite, alors qu'il a un devoir d'action. Ainsi, la différence entre consentement et engagement est fondamentale pour la survie de la démocratie (à cet effet, connaissez-vous la différence entre une poule et un porc ? La poule quand elle pond un œuf, elle consent. Le porc quand on en fait du bacon, il s'engage.) Ainsi, le citoyen en s'engageant met à contribution non pas uniquement sa conscience morale individuel, mais sa conscience morale civile. En d'autres mots, le citoyen par l'action démocratique passe du consentement individuelle, en conformité avec sa conscience personnelle, à un engagement pour la pluralité, en conformité avec sa conscience civile. Dans ces circonstances, l'argument selon lequel le citoyen vote et qu'ainsi il joue un rôle démocratique actif est sans effet. Puisque, de toute évidence, il n'y a plus aucun lien entre l'expression du citoyen lors du vote et la désignation du premier ministre qui, qu'il soit à Ottawa ou à Québec, a des pouvoirs tout à fait extraordinaires sans commune mesure avec ceux que devrait avoir un chef d'état d'un pays ou d'une province démocratique véritable. Pour donner un exemple concret, le gouvernement canadien veut faire approuver une nouvelle loi électorale selon laquelle toute contribution de quel que montant que ce soit et de quelle que provenance que ce soit n'aura pas à être rendue publique à condition que cela se restreigne à la campagne de chefferie d'un parti. Et comme nous savons que les chefs élus sont ceux qui collectent le plus de fonds privés, ceci signifie que les entreprises les plus riches pourront ni plus ni moins désigner le premier ministre (elles le peuvent déjà mais voilà que cette loi va rendre les choses plus officielles). De plus, puisque les entreprises sont les grands pourvoyeurs de fonds des principaux partis, peu importe pour qui nous voterons, nous désignerons de toute façon un candidat contrôlé par la haute finance (alors voulez-vous bien me dire où est la démocratie là-dedans). De toute évidence la relation de réciprocité entre le citoyen et l'état est brisée. Et lorsqu'on évoque un danger de dérapage à propos des différentes manifestations, qui dans bien des cas sont motivées pour dénoncer l'inertie gouvernementale ou encore pour dénoncer l'abus de pouvoir, cela n'est rien en comparaison du danger de la perte de confiance des citoyens envers non seulement le gouvernement mais envers le cadre institutionnel lui-même. Sans nul doute, les gens au pouvoir devraient s'intéresser à ce que les citoyens veulent leur signifier par ces manifestations plutôt que d'y voir un simple désordre passager. Le gouvernement devrait savoir que les citoyens qui s'engagent dans des actions d'ordre civil ne font rien de moins qu'accomplir leur devoir démocratique. De plus, il devrait aussi savoir que cette action démocratique du citoyen appelle une réponse démocratique de la part de l'état, évidemment si démocratie il y a.


Mais cet appel des citoyens a une conséquence encore plus importante. En effet, si des citoyens, de toutes allégeances et de tout domaine (adhésion horizontale ou multidisciplinaire), se réunissent publiquement en vue d'une cause civile commune, exprimant une opinion articulée, agissant ensemble (effet d'interdisciplinarité), revendiquant pacifiquement des droits ou des changements et cela en enfreignant la loi d'une façon préméditée et ponctuelle, signalant ainsi leurs désaccords, sans nul doute avons-nous affaire à de la désobéissance civile véritable. Mais surtout, nous avons affaire à une majorité, concurrente de celle représentée par le gouvernement. De plus, en vertu de l'"esprit" de contrat de Locke, ce même "esprit" d'ailleurs qui transcende les constitutions anglaises, américaines et canadiennes, on peut maintenant affirmer que cette majorité concurrente agit en toute légitimité. Or, à ce propos Arendt fait une analogie intéressante à propos de la démocratie moderne en la comparant à celle pratiquée au moment de la naissance des États-Unis. En effet, tel que le mentionne Tocqueville , à cette époque les citoyens américains pratiquaient leurs devoirs civils en s'engageant dans des associations volontaires qui visaient justement à régler certaines préoccupations civiles communes. Bien sûr, comme le souligne Arendt, dans les sociétés de masse modernes cela ne pourrait plus se faire. Par contre, selon elle, les groupes pratiquant la désobéissance civile ne sont rien d'autre que la forme moderne de ces associations volontaires de citoyens. À première vue, cela peut paraître quelque peu surprenant. Pourtant, cela n'est pas si farfelu puisqu'il existe déjà d'autres types de ces associations politiques modernes. En effet, il existe des associations qui influencent le pouvoir, qui ont accès au bureau du premier ministre, qui déposent des mémoires, qui jouent donc un rôle actif accepté par les instances politiques : les lobbies. Mais contrairement aux groupes pratiquant la désobéissance civile, chacun des lobbies agit en fonction d'un intérêt financier spécifique (adhésion verticale donc) sans réelle préoccupation pour la société civile. De plus, ils agissent en privé sans que les citoyens aient une connaissance de l'étendue de leur influence. Bref, les lobbies ont toutes les apparences de groupes criminalisés. L'exemple actuel de corruption dans l'affaire Airbus en Allemagne ayant possiblement des ramifications jusqu'au Canada n'est qu'un exemple parmi de nombreux autres. Malgré qu'on ait démontré que les groupes de revendications pratiquant la désobéissance civile agissent en toute légitimité, il n'empêche qu'ils agissent illégalement. En fait, les tribunaux, face aux causes de désobéissance civile, ont à juger si la loi a été violée et non à interpréter les raisons pour lesquelles celui qui a commis le crime avait des raisons légitimes d'agir comme il a agi. Dans les faits, les tribunaux n'ont pas à interpréter les raisons de ces actions non pas uniquement parce que les raisons de ces actions sont irrecevables juridiquement, mais bien parce que les causes de désobéissance civile sont elles-mêmes irrecevables juridiquement. Elles ne sont pas des causes légales mais des causes politiques. À plusieurs reprises dans l'histoire politique moderne, la Cour suprême a renvoyé aux instances politiques des causes qui lui avait été soumises jugeant qu'elle n'avait pas juridiction sur ces questions. Deux exemples à cet effet : la question de la légalité de la guerre du Viêt-nam aux États-Unis et la question de la légalité de la sécession du Québec au Canada. Ainsi, il apparaît qu'un groupe de désobéissance civile ayant pour but de servir la société civile engendre nécessairement un problème juridique, mais un problème qui doit être résolu par le politique et non par le juridique. D'ailleurs, si le politique ne permet pas aux groupes de désobéissance civile légitimement constitués de s'exprimer, alors qu'il permet aux lobbies de mettre la main sur l'appareil démocratique des citoyens, alors ce seront les groupes d'extrémistes qui le feront. Voici pourquoi, comme Arendt le préconise, les groupes de désobéissance civile légitimement constitués devraient être intégrés aux institutions politiques et cela en leur donnant le même statut que les lobbies, ceci pour plusieurs raisons. D'abord, les citoyens retrouveraient un contact direct avec l'appareil politique. Et tout argument voulant démontrer que cela créerait un système parallèle ne tient pas puisque le gouvernement accorde déjà ce privilège aux groupes de pression. De plus, en intégrant les groupes de citoyens à l'appareil politique, on résoudrait la question de l'illégalité des revendications puisque les citoyens auraient l'occasion d'influencer les décisions politiques directement à leur source en "jouant" le jeu de la politique. Enfin, en intégrant tous ces groupes à l'appareil politique et en rendant leurs activités légales et surtout publiques, on rendrait l'activité de tous les groupes y compris bien sûr les lobbies à la


vue de tous les citoyens permettant ainsi à ces derniers de jouer leur véritable rôle de citoyen, celui d'acteur et de juge. La démocratie ne s'en porterait que mieux. L'homme au chapeau en continuant son chemin dû se diriger vers la porte de service en raison de la présence de manifestants qui obstruaient la porte principale du Parlement. En la franchissant, il se dirigea vers le vestiaire des députés et ministres pour y laisser son chapeau et son manteau. Puis, il alla s'asseoir en chambre à la place qui lui avait été assignée se préparant à dire ce qu'on lui avait dit de dire.


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