LA DÉSOBÉISSANCE CIVILE par Daniel Dupont L'homme au chapeau marche la tête basse. Il se dirige vers le grand édifice gris. Il semble soucieux et distrait lorsque soudain son attention est attirée par un groupe de manifestants. Il ne bronche pas, il a l'habitude. Il les contourne et continue son chemin aussi discrètement que possible... Trop souvent les manifestations sont associées soit à des jeunes en révolte contre la société (il faut que jeunesse se fasse dit-on), soit à des groupes sociaux qui veulent rendre leur cause publique mais sans que nous soyons en mesure d'en comprendre les enjeux réels ou soit encore à des grévistes cherchant à faire valoir la justesse de leur cause mais sans que cela n'éveille vraiment notre attention (tout le monde a ses problèmes). Dans les faits, cela fait partie du cours normal : d'un côté il y a le pouvoir, un gouvernement ou un employeur, de l'autre des citoyens ou des travailleurs. Les mouvements de contestation apparaissent tous comme ayant la même nature, celle de contester l'autorité et cela parfois en enfreignant la loi. Or, si cette action contestataire viole une loi peut-on nécessairement parler d'un acte de désobéissance civile ? Si nous décidons de rouler à 160 km sur l'autoroute parce que nous ne sommes pas d'accord avec la loi de l'impôt, est-ce que nous faisons un acte de désobéissance civile ? Si, au soir de la première journée de la rencontre de l'O.M.C. à Seattle, la foule casse les vitrines des magasins d'une rue commerciale, peut-on parler d'actes de désobéissance civile ? D'une façon intuitive, nous répondrons que non. Mais pour être plus formel, il faudra établir le fondement par lequel l'on peut différencier un acte de nature criminelle d'un acte de désobéissance civile. Il est important de définir ce qu'est la désobéissance civile véritable puisqu'il en va d'une compréhension claire de ce qu'est l'action véritable d'un citoyen. D'ailleurs, le pouvoir en général a tout intérêt à maintenir une compréhension confuse de ce concept puisque cela lui permet d'associer tous les actes de contestation, incluant la désobéissance civile, à des actes plus ou moins de nature criminelle et, par conséquent, à entretenir la perception que ces actes sont plus ou moins illégaux. Pour réaliser cette distinction, il faudra d'abord faire une certaine déconstruction du concept pour que, par la suite, on puisse examiner sur quel fondement il peut s'interpréter et, sur cette base, comprendre son rôle démocratique. D'emblée, on ne peut discourir à propos de la désobéissance civile sans faire état de la pensée de Thoreau qui n'est rien de moins que l'inventeur de ce concept. Thoreau montrait que le citoyen devait agir en conformité avec les principes prescrits par sa propre conscience même si cette action était contraire à la loi. En effet, si à la lumière de cet examen de conscience un citoyen conclut qu'une loi est injuste, alors il n'a d'autre choix que de l'enfreindre. L'exemple de Thoreau arrêté parce qu'il n'avait pas payé ses impôts a été maintes fois mentionné sans qu'on ait à y revenir. Mais, il faut réexaminer les bases sur lesquelles il a assis son argumentation. Dans son réquisitoire à propos de la désobéissance civile, il fait valoir que l'acte de conscience est à la base du devoir de citoyen. Selon lui, la responsabilité sociale d'un individu se limiterait à agir en conformité au jugement de sa propre conscience, "...si je suis venu en ce monde, ce n'est pas d'abord pour en faire un lieu où il fasse bon vivre ; c'est pour y vivre,..." et "...il ne m'appartient pas plus de faire parvenir des pétitions au gouverneur ou à la Chambre qu'il ne leur revient de m'en adresser.". Or, cet acte de conscience dont Thoreau fait état est beaucoup plus relié à l'acte individuel moral qu'à l'acte civil du citoyen. L'interprétation de Thoreau à l'effet qu'une action doit être juste est tout à fait valable, mais en voulant la restreindre au seul champ individuel moral, il lui enlève toute portée civile réelle. Par conséquent, à cette interprétation de Thoreau, on doit lui opposer celle de l'action de la multitude politique, l'action du citoyen. Ainsi, d'un côté nous avons l'acte privé et de l'autre l'acte public. Dans les faits, cette interprétation de Thoreau relie l'acte de conscience individuel au comportement qu'un individu doit avoir envers les lois dans une société donnée. Ne laissant ainsi comme seul rapport du citoyen avec l'état que l'acceptation ou le refus de se conformer aux lois. Hannah Arendt l'explique ainsi: "...c'est que Thoreau lui-même...introduisant ainsi ce terme de "désobéissance civile" dans notre vocabulaire politique, s'est placé sur le terrain de la conscience individuelle et des obligations imposées par cette conscience morale, sans invoquer la question des rapports de la conscience du citoyen avec la loi...". Et là se situe une partie de la confusion à l'égard de la désobéissance civile. En effet, en associant