« Mitterrand, une histoire de français », Jean Lacouture, T.1, Seuil, 1998
Jules Lorrain est ici décrit comme « fils de prospères agriculteurs saintongeais de Rouillac ; représentant de maisons de cognac à l’étranger, associé à son ami Despas, il épouse une demoiselle « bien née » ; il est également décrit par Lacouture comme « républicain laïque », et ce ne serait qu’à la mort de son fils Robert qu’il « se serait trouvé catholique »… il raconte avec verve les histoires du barde charentais Goulebenéze. Frère aîné de Yvonne Lorrain, la mère de FM, Robert lorrain avait adhéré au Sillon de Marc Sangnier, dont une des devises était : « tant qu’il y aura la monarchie dans l’usine, il ne saurait y avoir la république dans la société ». a Paris au « 104 », il se lie d’amitié avec François et Jean Mauriac, lequel Jean Mauriac, futur prêtre, consacre à Robert Lorrain lors de sa mort en 1908 un article dans la « Revue Montalembert » (dans laquelle écrira FM également), revue publiée par la « Réunion des étudiants » du 104. dans l’amphithéâtre de la Sorbonne, Robert Lorrain se lève et déclame sa foi catholique face à un enseignant dont le cours conduit à en faire la critique. Le professeur en question assistera pourtant à ses obsèques. Les Mitterrand semblent nettement plus catholiques et conservateurs que les Lorrain. Joseph Mitterrand descend d’une lignée berrichonne dans laquelle on compte quelques bourgeois, dont l’un aurait été prévôt des marchands de Bourges, du temps où le dauphin Charles en était le « petit roi ». mais la prospérité de la lignée connaît le déclin au 19° siècle, si bien qu’à la fin du 19°, l’arrière grand-père de FM, Charles Mitterrand est éclusier sur le canal du Berry, à Rouéron, avant que son fils Théodore Mitterrand ne se marie à Limoges ; « agent voyer », Théodore donne naissance à Joseph Mitterrand, lequel commence par faire carrière dans les chemins de fer. Joseph Mitterrand, taciturne et glacial, arbore un catholicisme assez virulent teinté de jansénisme (il a fait ses études dans un collège janséniste de Blois), s’adonne volontiers aux « pieuses » activités. Il s’intéresse à la politique et se réclame de la Confédération Catholique (FNC), dirigée par le général de Castelnau. C’est sous la bannière de ce dernier que Joseph Mitterrand va porter la « contradiction » aux radicaux dans les réunions électorales. Pierre Boujut, l’amoureux et poète anar éconduit par le père de la belle Colette Mitterrand, dira plus tard de la famille : « des culs serrés, ces Mitterrand ». Yvonne Mitterrand a songé un temps à faire de FM le prêtre de la famille. Le commandant Pichardie, fils de l’ancien maréchal-ferrant de Jarnac, est un ami de la famille Mitterrand. Quant au colonel Moreau, dont la famille est très proche de celle des Mitterrand, c’est un ardent partisan de l’Action Française (et qui a même été, comme tel, exclu des sacrements par son curé). Le Curé de Nabinaud, Joseph Marcellin, dit dans l’entourage des Mitterrand « le cardinal », se vante de « ne jamais avoir embrassé les fesses de la république »j, et est régulièrement invité à la table des Mitterrand. En Charente, le cognac règne, et ceux qui le produisent et le vendent (comme à Bordeaux, Reims, Dijon) sont les « maîtres du bouchon ». FM lui-même évoque « le code proprement brahmanique qui régissait les relations humaines dans ce coin de Saintonge [...] Le feu des guerres de religion couvait encore sous la cendre. Tout catholique se sentait soupçonné d’avoir révoqué l’Edit de Nantes. Par mesure de rétorsion, la haute-société protestante, très assise dans le négoce des eaux-de-vie, penchait à gauche et fournissait d’excellents maires aux majorités radicales socialistes ». Les rapports restent froids, pour le moins, entre « calvinistes sobrement opulents et papistes surclassés, réduits aux ors de leur Eglise ». Hormis la dynastie des Bisquit, catholiques, et que fréquentent occasionnellement les Mitterrand, le cognac est huguenot, souvent aux mains de familles anglaises ou scandinaves (suédoises ?). Jarnac a en effet été un haut lieu des guerres de religions : Calvin y a longtemps séjourné ; à l’issue d’une cruelle défaite des réformés, taillés en pièce par le duc d’Anjou (le futur instigateur de la Saint-Barthélemy avant de devenir Henri III), le chef de l’armée vaincue, Louis de Condé, blessé, y a été sauvagement achevé par un seigneur catholique. Quant à Nabinaud, le village est dominé par les ruines du château de Poltrot de Méré, le seigneur protestant chargé d’assassiner le duc de Guise. Nul doute que parmi les antipathies mitterrandiennes, la plus tenace est celle qui concerne les protestants, particulièrement les riches protestants. C’est à la veille de ses 10 ans que FM entre au collège Saint-Paul d’Angoulême, où les méthodes sont jésuitiques, bien que les prêtres enseignants soient pour la plupart des « curés paysans ». Robert Mitterrand, frère aîné de FM, y entre une année avant lui. Ils y font leur scolarité ensemble, Robert veillant sur son frère François. Une fois par semaine, Joseph et Yvonne Mitterrand « montent » à Angoulême, entre autres pour visiter leur progéniture au pensionnat. Les deux frères Robert et François Mitterrand y noue aussi des relations étroites avec les frères Pierre et François Guillain de Bénouville, qui arrivent au collège accompagnés d’un précepteur, l’abbé Journiac. Se sont des « excentriques », affichant ostensiblement des opinions clairement antirépublicaines, catholiques intégristes. Pierre fait découvrir à FM Montherlant. Tout aussi proche de FM dans ces années à Angoulême, Claude Roy, lui aussi originaire de Jarnac, mais scolarisé au lycée « Balzac » [c’est pas exactement ça…]. Ils viennent ensemble de Jarnac ; tous deux férus de lecture, FM et Claude Roy s’abreuvent de Mauriac, Fromentin et Chardonne ; FM fait lire les pléiades de Gobineau [le « théoricien » ou plutôt théologien de l’inégalité des « races », grand inspirateur des idéologues du nazisme…] à Roy ; Roy fait lire le « Voyage d’un condottiere » d’André Suarès à FM [Suarès fait partie, avec Péguy, de toute une série d’auteurs à la fois « républicains », mais « antianticléricaux » et « patriotes »…]. Dans ce livre de Gobineau, les deux collégiens découvrent « l’esprit du groupe aristocratique », de la « bande élue »… Barrès fait aussi partie de leur lectures. Mauriac est lui aussi passé par le « 104 », où il n’est resté qu’un an, ayant par trop exaspéré ses camarades par ses idées « avancées » ! Mauriac ! Voici comment il décrit l‘endroit et le milieu : « les petits jeunes gens [du 104] bien pensants sont à la longue bien crispants. Ils ont une façon de défendre la famille, la religion et la propriété qui donnerait au pape lui-même l’envie de saper cette auguste trinité… », ou encore « cet ancien couvent que tapissent des dessins modern-style », « l’odeur de soutane et de réfectoire »… Mais entre les deux périodes, les temps ont plus ou moins changé, et le « 104 » c’est en partie adapté à la modernité. A Paris, les correspondant de FM sont Jacqueline et André Lévy-Despas : lui est le fondateur de prisunic, elle est la fille de l’ancien associé du grand-père jules Lorrain dans le négoce de cognac. Chez eux, on tient salon et on accueille musiciens, poètes, écrivains. Son grandpère a aussi recommandé FM à Mauriac, qui a connu Robert Lorrain. FM et Claude Roy ont connu Jean de Fabrègues, le fondateur du journal fasciste « Combat », auquel Claude Roy collabora, non pas à Paris, mais d’abord à Angoulême.