1 Extrait de Contre le courant n° 2 (mai 1978), revue éditée par le groupe Combat communiste.
Terrorisme et communisme (1978) Le développement du terrorisme, avec l'enlèvement et l'exécution du patron des patrons allemands, l'ancien SS Schleyer par le groupe Baader, puis celui d'Aldo Moro par les Brigades rouges a entraîné une campagne hystérique de la bourgeoisie contre « la violence ». Cette campagne a reçu l'appui du Parti communiste italien comme du Parti communiste français qui ont même surenchéri pour démontrer leur bonne volonté à la bourgeoisie. Au nom de la « défense de la démocratie », une véritable Union nationale s'est même réalisée à cette occasion de la droite au Parti communiste français. Face à une telle situation, quelle doit être l'attitude des révolutionnaires ? En premier lieu, les révolutionnaires ne condamnent pas le terrorisme pour des raisons « morales ». La bourgeoisie exerce quotidiennement la violence contre les travailleurs, que ce soit sous la forme ouverte de la répression policière, des assassinats, des massacres, de la torture dans les pays de dictature ou contre les peuples qui se révoltent contre l'impérialisme, ou sous la forme « voilée » des conditions de travail et de vie qu'elle impose à la classe ouvrière, des accidents du travail qui tuent un travailleur par heure de travail. La violence des opprimés, des exploités, des révoltés n'est donc qu'une conséquence du terrorisme patronal et étatique. Non seulement les révolutionnaires ne la condamnent pas, mais ils affirment que la violence sera indispensable pour abattre la société capitaliste. Ceux qui rejettent la violence pour des raisons « morales » contribuent à désarmer et à endormir les travailleurs et à leur faire accepter le monopole de la violence par les classes dominantes. Si la violence n'est donc pas une fin en soi pour les révolutionnaires, il est important de faire comprendre aux travailleurs, surtout dans les pays de longue tradition de démocratie bourgeoise, que le renversement de la bourgeoisie ne pourra pas se faire sans violence, de combattre leurs illusions pacifistes et démocratiques. Le terrorisme n'est qu'une des formes de la lutte violente. Dans certaines circonstances, les révolutionnaires peuvent parfaitement être amenés à l'utiliser, dans le cadre d'une guerre civile par exemple. Si pendant la Commune, un communard s'était introduit à Versailles et avait fait sauter Thiers et son état-major, ou si, pendant la guerre d'Espagne, un militant avait fait sauter Franco, ces gestes auraient pu servir la cause des travailleurs. Dans certaines circonstances, des méthodes de lutte terroriste pourraient être envisagées contre le personnel des prisons pour protéger des militants emprisonnés des mauvais traitements et tortures. La classe ouvrière au pouvoir ne se privera pas non plus d'utiliser éventuellement le terrorisme pour paralyser la classe bourgeoise, lui faire courber la tête, la dissuader de fomenter la contre-révolution. Les bolcheviks ont ainsi été amenés à employer ces méthodes, non par sadisme ou goût de la vengeance contre les bourgeois, mais pour défendre la jeune révolution russe menacée. Mais le terrorisme, employé par une organisation révolutionnaire, doit s'inscrire dans une tactique et une stratégie générale, il doit être relié à la lutte générale de la classe ouvrière dont il ne peut constituer qu'un aspect. Conçu comme un moyen à lui seul d'abattre l'Etat bourgeois ou comme un moyen de « réveiller » les travailleurs par des coups d'éclat, il ne peut être d'aucune utilité. Toute l'histoire en atteste, celle d'une fraction des anarchistes du XIXe siècle, comme celle des populistes russes ou celle plus récente de mouvements de « guérillas urbaines » comme les Tupamaros d'Uruguay. De telles actions ne peuvent qu'aboutir à la défaite et à la destruction des organisations qui les entreprennent. Se lancer dans une guerre privée contre l'Etat bourgeois est un combat perdu d'avance, en dehors de situations où de larges masses de travailleurs sont prêtes à se lancer dans l'action et où l'appareil d'Etat est déjà en voie de désagrégation. Quels que soient leur audace, leur habileté, leur esprit de sacrifice, les organisations comme les Brigades rouges ou la Fraction Armée Rouge ne luttent pas à armes égales contre le gigantesque appareil militaire, bureaucratique et policier qu'elles affrontent. Les moyens considérables dont dispose l'Etat lui donnent tôt ou tard la victoire. Pour ceux qui se sont engagés dans cette voie sans issue, c'est la mort, la prison et la démoralisation pour les rescapés. Pour le mouvement ouvrier révolutionnaire, cela représente donc un sacrifice en pure perte d'énergies révolutionnaires de militants dévoués et prêts à tout qui auraient pu être mieux employés. Pour ces diverses raisons, nous condamnons politiquement et tactiquement l'action menée aujourd'hui par des
2 groupes tels que les Brigades rouges ou la Fraction Armée Rouge. Nous n'en considérons pas moins leurs membres comme des camarades - même s'ils ont choisi une voie que nous jugeons erronée - et nous sommes sans réserve à leurs côtés contre la répression qu'ils subissent. La libération des militants emprisonnés de ces groupes fait partie de nos mots d'ordre. Il en va de même du terrorisme spontané dans lequel peuvent être amenés à se lancer des fractions de jeunes travailleurs ou même de petits-bourgeois déclassés. Plongés brusquement dans la misère par la crise, certains groupes de travailleurs qui ne voient aucune perspective de changement peuvent parfaitement se lancer dans des actions violentes contre des membres des classes dirigeantes, pour exprimer leur haine contre cette société. Des membres d'autres classes sociales - petite-bourgeoisie intellectuelle - peuvent également ressentir profondément cette haine contre la société monstrueuse dans laquelle nous vivons sans être personnellement frappés par la misère. Il est même inévitable que de tels actes de violence se multiplient avec l'approfondissement de la crise, car il est évident que tous les exploités, les opprimés, tous ceux qui ne peuvent plus supporter le système, ne sont pas prêts à attendre patiemment que l'ensemble de la classe ouvrière soit organisée et prête à agir collectivement pour en découdre avec les exploiteurs. Cela peut aller du chômeur qui prend son fusil contre l'huissier qui le menace de saisie au saccage de magasins de luxe par des « loubards », à l'émeute dirigée contre les quartiers riches. Il est quasiment impossible, dans certaines circonstances, de distinguer l'acte de violence individuel de la violence collective. Ces actions de violence et de révolte spontanés peuvent rejoindre la forme du terrorisme politique organisé que nous évoquions précédemment quand des groupes de révoltés s'organisent pour porter des coups plus efficaces aux membres de la bourgeoisie. C'est le cas par exemple, à une toute petite échelle, des jeunes qui se sont organisés pour donner une raclée au service d'ordre musclé des concerts Pop « KCP » après l'assassinat de Lucien Meillon. Il est évident que de telles formes d'action violente, spontanées ou organisées, ne peuvent porter de coups sérieux à la bourgeoisie. Mais il ne faut pas oublier qu'elles accompagnent inévitablement tout mouvement révolutionnaire et toute période de crise. De toute façon, même s'ils ne préconisent pas ces actions, les révolutionnaires communistes choisissent leur camp : ils sont résolument du côté des exploités qui s'y trouvent réduits. Quelle attitude aujourd'hui ? Une fois affirmées ces positions de principe, quelle doit être concrètement l'attitude des révolutionnaires ? Indiscutablement, ils doivent combattre politiquement les tenants de la théorie de l' « acte exemplaire » qui va réveiller les travailleurs. Ils doivent expliquer que seule l'action collective et consciente de l'ensemble de la classe ouvrière permettra d'abattre le capitalisme, qu'un petit groupe isolé ne peut prendre en charge la lutte d'émancipation du prolétariat en s'engageant dans la lutte armée contre l'Etat bourgeois. Nous devons combattre politiquement ceux qui préconisent actuellement le terrorisme comme méthode de lutte. Notons cependant qu'en France le problème ne se pose pas aujourd'hui, car il n'existe pas de courant politique significatif qui préconise l'action terroriste… Mais nous devons surtout faire face à la vague de propagande bourgeoise et stalinienne et en prendre le contre-pied : nous ne devons pas faire de concessions aux préjugés des travailleurs entretenus par le bourrage de crânes de la bourgeoisie. C'est-àdire que l'essentiel de notre propagande doit aujourd'hui être dirigée contre la bourgeoisie et son appareil d'Etat, leur hypocrisie et leur cynisme. Nous devons affirmer notre solidarité avec les militants des groupes, même si nous les combattons politiquement. Cette contre-propagande est d'autant plus importante que ce ne sont pas seulement les groupes terroristes que vise la mobilisation de la propagande bourgeoise, mais toutes les formes de lutte violente contre l'ordre établi. La bourgeoisie cherche à contraindre à cette occasion toutes les organisations à désavouer la violence, à s'engager à respecter les institutions, la légalité bourgeoise. Il s'agit d'une préparation contre les actions violentes que la crise entraînera les travailleurs à utiliser : autodéfense des entreprises occupées, séquestration de patrons, occupation de bâtiments publics, etc. La capitulation des groupes d'extrême gauche Or nous assistons, face à cette situation, à une véritable capitulation des groupes d'extrême gauche. Ainsi LO dirige pratiquement toute sa propagande contre les Brigades rouges comme elle l'a dirigée contre la Fraction Armée Rouge. Dans le numéro 16 de la Lutte de classe (son organe théorique) LO a certes écrit en janvier 1974 que « face aux tenants de l'ordre bourgeois (….) nous sommes évidemment du côté des opprimés. Même quand ils se trompent. Même quand leurs gestes peuvent avoir des conséquences négatives pour la classe
3 ouvrière. » Mais cette belle position de principe sera réservée aux lecteurs de la Lutte de classe : les travailleurs et les sympathisants de LO qui lisent son hebdomadaire ou ses bulletins d'entreprise ne connaîtront, eux, que la condamnation des Brigades rouges. Si nous prenons par exemple Lutte ouvrière n° 417 du 29 avril 1978 (le dernier paru au moment où nous écrivons), une demi-page est consacrée aux Brigades rouges. Du titre (« Une politique néfaste pour les travailleurs ») à la conclusion, l'article entier est consacré à dénoncer les Brigades rouges dont la politique ferait le jeu de la bourgeoisie. Il n'y a pas un mot pour affirmer la solidarité avec les militants emprisonnés et exiger leur libération. LO ne renvoie même pas dos à dos les Brigades rouges et l'Etat, comme elle l'a fait à certaines occasions pour le groupe Baader, elle porte tous ses coups du même côté. La solidarité de principe est donc réservée aux initiés et elle ne viendra pas heurter les préjugés des travailleurs. Une telle attitude fait de la propagande de LO sur cette question la force d'appoint et la caution de celle du Parti communiste français. Car mis à part les crapuleries du PCF et ses insinuations sur la manipulation des Brigades rouges, LO mène campagne sur le même thème : la violence des Brigades rouges donne un prétexte à la bourgeoisie pour renforcer son appareil d'Etat et ses lois répressives. LO écrit même : « Le résultat de l'action des Brigades rouges est de rendre plus difficile en Italie les luttes de la classe ouvrière face à l'Etat qui se pare, au nom de la lutte contre le terrorisme, d'une nouvelle légitimité. » Ces arguments sont en fait de même nature que tous ceux des démocrates et des libéraux qui disent : « Il ne faut pas lutter car cela amènera l'Etat à devenir très méchant et à supprimer toutes les libertés dont nous disposons » ou des dirigeants syndicaux qui affirment au cours d'une grève : « Il ne faut pas organiser de piquets car cela va entraîner l'intervention de la police. » On pourrait dire également qu'il ne fallait pas faire Mai 68 car depuis la police a augmenté ses effectifs, amélioré son matériel et son entraînement… Car en effet, toute lutte, toute révolte, contre la classe dominante entraîne celle-ci à renforcer son appareil répressif. Dans une situation de crise comme celle que connaît l'Italie, la bourgeoisie sait de toute façon qu'elle devra affronter des luttes ouvrières et qu'elle doit renforcer son arsenal répressif. Elle n'a pour cela besoin d'aucun prétexte et, même si des prétextes étaient nécessaires, elle saurait les fabriquer ! Bien sûr, il est souhaitable pour la classe ouvrière de n'engager un combat décisif que dans les meilleures conditions et de ne pas gaspiller de forces prématurément. Mais il ne dépend pas de la volonté des révolutionnaires que des groupes minoritaires s'engagent sans attendre dans la révolte. Il est donc parfaitement stupide de leur faire porter la responsabilité de l'accentuation de la répression. LO ne va pas bien sûr jusqu'à dire, comme les bourgeois libéraux, que les Brigades rouges mettent en danger la démocratie, mais sa campagne va rigoureusement dans le même sens. Une telle attitude est particulièrement grave car elle contribue à faciliter le gigantesque bourrage de crânes de la bourgeoisie qui n'est ainsi troublé par aucune fausse note. Cette attitude ne peut s'expliquer que par le souci de respectabilité qui coïncide avec l'investissement massif de LO dans la campagne électorale, avec la réussite de LO à s'exprimer un peu plus souvent dans la grande presse, à la télévision, etc. Cet abandon de positions de principe importantes va de pair avec la volonté de LO de regrouper le maximum de voix sur ses candidats sur les positions les plus floues. Il est évident qu'une déclaration de solidarité avec les militants des BR ou de la Fraction Armée Rouge emprisonnés fermerait bien des portes et aurait fait perdre bien des sympathies… Et les positions de LO sur le terrorisme sont aussi signifiecatives de toute une évolution droitière de LO (1). 1. Il est à cet égard significatif que LO soit le seul groupe révolutionnaire français à avoir publié un communiqué de presse dénonçant l'enlèvement du baron Empain, alors qu'il était impossible à l'époque de savoir s'il s'agissait d'un acte politique ou criminel, et que de toute façon il y a bien d'autres événements plus importants pour la classe ouvrière que LO ne prend pas la peine de dénoncer dans des communiqués de presse.