Le vert très délavé de la nouvelle PAC

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Dossier

Le vert très délavé de la nouvelle PAC La Commission européenne a préféré laisser la notion de « verdissement » à la libre appréciation des gouvernements. Au grand dam des écologistes, qui plaçaient beaucoup d’espoir dans cette mesure phare de la réforme de la politique agricole commune, censée encourager l’agro-écologie et protéger la biodiversité. Par Tatiana Kalouguine pplaudissements des syndicats d’agriculteurs, grimaces des écologistes. L’adoption le 11 mars des « actes délégués », ces textes législatifs nécessaires à l’application de la nouvelle PAC, a ravivé les passions à Bruxelles. Et pour cause. Dans ses propositions, la Commission européenne a cédé face aux pressions d’une majorité de députés européens, laissant une marge confortable aux États membres pour mettre en œuvre la nouvelle politique agricole commune (PAC). Pour les associations écologistes, cette nouvelle PAC, que l’on annonçait plus verte et plus responsable, est devenue une entreprise de green-washing à destination des agriculteurs. « Cette dernière étape de la réforme de la PAC ne fait que confirmer que le verdissement n’était qu’un prétexte pour conserver un budget élevé et qu’en réalité les pratiques ne seront pas plus vertes, voire au contraire », s’emporte Faustine Defossez, responsable de la politique agricole du Bureau européen de l’environnement (BEE).

Lobbying, trahison et tractations Principal point d’achoppement, les aides liées au processus de « verdissement » des surfaces exploitées. Dans son texte de base, la réforme de la PAC impose que 5 % des exploitations soient considé-

3 questions à

ELYAS BARBIER/AFP

A

rées comme « d’intérêt écologique », afin de permettre le développement de la biodiversité. Il restait cependant à définir l’essentiel dans un acte délégué : qu’est-ce qu’une « surface d’intérêt écologique », comment se mesure-t-elle ?

Tâche ardue, consistant entre autres à fixer la surface « officielle » d’une haie, d’un arbre, d’un talus. Par ailleurs la position de la Commission était aussi très attendue sur la possibilité, offerte dans l’acte de base, d’utiliser engrais et pesticides

sur les zones destinées à protéger la biodiversité ! On s’en doute, les commissaires ont été l’objet d’un intense lobbying au cours des semaines précédant l’adoption du texte final. Outrés par la question des pesti-

cides, les écologistes n’ont pas lésiné sur les moyens. Le Groupe PAC 2013, qui réunit une vingtaine d’organismes militant pour une agriculture alternative, a ainsi inondé de courriers les commissaires, et mis en place des cam-

« Le processus de verdissement est

complètement vidé de sa substance »

DR

Vous n’êtes pas étranger au concept de « verdissement » apparu dans le projet de réforme de la PAC. Racontez-nous…

SAMUEL FÉRET COORDINATEURDUGROUPEPAC2013 (UNEVINGTAINED’ORGANISATIONS POURUNEAGRICULTURE ALTERNATIVE)

Les idées sont toujours les bienvenues dans les travaux préparatoires, car les politiques n’en reçoivent pas beaucoup, et le lobbying se positionne généralement en aval. Nous avions organisé dès 2009 un cycle de conférences autour de thématiques précises. Nous avons rencontré le ministère de l’Agriculture en 2010 et, en effet, l’une de nos propositions a été retenue dans sa communication en automne 2010. Il s’agissait d’introduire une « com-

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posante écologique » dans les paiements directs. Cette composante écologique a été reprise par la Commission européenne, pour ensuite devenir greening ou « verdissement ». En quoi le verdissement est-il devenu selon vous du green-washing ?

Le concept initial du verdissement était de distinguer les processus les plus agro-écologiques. Mais les seuils ont été abaissés, de telle façon que la plupart des exploitations sont de fait exemptées du verdissement. Désormais la majo-

L’HÉMICYCLE NUMÉRO 479, MERCREDI 2 AVRIL 2014

rité des agriculteurs peut y entrer sans avoir à modifier ses pratiques. Ceci revient à une nouvelle façon de prévoir les dépenses agricoles, car 30 % des aides directes étaient censées être orientées vers un paiement « vert ». Le processus de verdissement, tel qu’il a été agréé en juin 2013, est désormais complètement vidé de sa substance. C’est de la communication. Les grands céréaliers sont-ils pour autant les grands gagnants de cette réforme ?

Non je n’irai pas jusque-là. Les 28 États membres n’ont pas pu se

mettre d’accord sur tous les points, on a décidé de laisser la possibilité aux États de faire les choses à la carte. Avec la possibilité pour eux d’aller plus loin et faire des choses pour rendre la PAC plus verte et plus juste, mais tous ne le feront pas. En France, le président de la République a donné un signal politique intéressant en octobre en souhaitant que la PAC soutienne un peu mieux les petites exploitations, avec des prêts bonifiés pour les premiers hectares. Le principal marqueur en France c’est ce paiement redistributif.

Propos recueillis par T.K.


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Les pesticides autorisés sur les surfaces « écologiques » Dans une ultime tentative d’apaisement et préférant éviter un blo-

cage, la Commission a donc préféré donner raison aux États et au Parlement. Au final, ce sont les gouvernements qui établiront leurs propres listes de critères définissant ce que doit être une surface « d’intérêt écologique ». En outre, le texte définitif n’interdit pas l’usage des pesticides et engrais sur ces surfaces et allège même les pénalités financières et sanctions prévues à l’encontre des agriculteurs rétifs. C’est un véritable camouflet pour les écologistes, qui avaient placé beaucoup d’espoir dans cette mesure. « Selon un eurobaromètre, 92 % des citoyens de l’UE se disent favorables à des aides plus équitables et plus ciblées. Nous nous attendions logiquement à ce que le Parlement se fasse l’écho des citoyens et non de quelques agriculteurs, regrette Faustine Defossez. Malheureusement la commission de l’agriculture

commissaire européen en charge de l’Agriculture.

La loi d’avenir, une troisième voie ? Il reste désormais deux mois au Parlement européen et aux gouvernements pour exprimer leurs éventuels désaccords sur les actes délégués. Par la suite, les États membres devront adopter des règles au niveau national « à très brève échéance », comme l’a souhaité le commissaire européen à l’Agriculture, Dacian Ciolos. Quelle sera la retranscription française du verdissement ? La réponse est sans doute dans le projet de loi d’avenir pour l’agriculture et la forêt, qui met l’accent sur l’agroécologie, « troisième voie, entre l’agriculture biologique et la culture ou l’élevage intensifs » comme le définit le site officiel du ministère. Le texte sera étudié en séance publique le 8 avril au Sénat. Mais le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, qui affirme vouloir mettre l’agriculture française « sur la voie de la transition écologique », a récemment brouillé les pistes. En février dernier, lors du Sommet du végétal à Nantes, Le Foll rassurait les céréaliers, leur promettant de se faire leur ambassadeur à Bruxelles. Parmi les mesures « iniques » qu’il souhaitait stopper, la grille d’équivalences entre les différentes surfaces d’intérêt écologique entrant dans les critères de verdissement. « La Commission doit revoir sa copie, expliquait-il. Sous leur forme actuelle, les actes délégués qui transcrivent les accords de juin 2013, sont inacceptables. » Alors, verdissement ou green-washing ?

« Le point de vue des écologistes n’était pas celui du Parlement »

Cette réforme de la PAC semble avoir surtout favorisé les grands agriculteurs du Sud de l’Europe. Est-ce du fait de l’entrée du Parlement européen dans ces négociations ?

3 questions à

Ce qui est certain c’est qu’au Parlement européen, les grandes délégations sont celles de la France, de l’Espagne, de l’Italie et du Portugal. Les quatre rapporteurs étant originaires de ces pays, le rapport et la réforme ont bien entendu été marqués au Parlement par les pays du Sud. Chacun est façonné par sa culture, son expérience. Je ne peux pas dire que je n’ai pas, à un moment ou une autre, été influencé par ce qu’était la réalité française. Le Sud a notamment percé sur la nécessité d’organiser les producteurs. Nous avons aussi tenu bon sur la question de l’eau. Si nous étions restés sur la seule décision des pays du Nord, il aurait fallu réduire l’eau dans l’agriculture, or il n’y a plus d’agriculture dans le Sud, s’il n’y a pas d’eau. Les critères de verdissement ont été laissés aux bons soins des États, à la demande du Parlement. Que pensez-vous des protestations des écologistes ?

Les textes basés sur les différents piliers ont été votés à de très larges majorités. Les écologistes ne représentent que 10 % des parlementaires européens, et leur point de vue n’était simplement pas celui de la majorité du Parlement.

MICHEL DANTIN DÉPUTÉEUROPÉEN(PPE)ET RAPPORTEURPOURL’ORGANISATION COMMUNEDESMARCHÉSÀLA COMMISSIONDEL’AGRICULTURE, LACOMAGRI En quoi ce texte final est-il une réussite selon vous ?

Tout d’abord, l’entrée de la démocratie et du Parlement dans la négociation de la PAC, pour la première fois depuis 50 ans, a contribué à faire évoluer considérablement les décisions du Conseil, en les rendant plus pragmatiques et plus pratiques. Les députés ont un contact direct avec les agriculteurs, c’est ce qui les distingue des ministres de l’Agriculture. Ensuite, je suis satisfait d’avoir obtenu une modification qui me tenait à cœur: le relèvement des ICHM, ou indemnités compensatoires de handicaps naturels. Il s’agit des aides à l’agriculture de montagne, pour lesquelles nous avons obtenu un relèvement de 330 euros à 450 euros l’hectare.

Propos recueillis par P.T.

« Si l’on veut une amélioration au plan environnemental, il faut éviter de placer la barre trop haut » Vous étiez très remonté contre l’acte délégué portant sur le calcul des surfaces d’intérêt écologique dans le cadre du « verdissement ». La décision de la Commission de laisser aux États fixer les critères vous satisfait-elle ?

L’enjeu était la capacité à compter les mètres de haies, les éléments topographiques qui permettent la biodiversité. Pour nous l’Europe était trop généreuse dans son calcul de surfaces, ce qui ne semblait pas en mesure d’encourager les agriculteurs à être plus vertueux. Nous trouvions cette approche trop élitiste. Pourtant nous avions salué le verdissement, qui était pour nous une façon de sortir d’un système bête

et méchant de conditionnalité, et de promouvoir des pratiques vertueuses. Mais s’il s’agit d’en exclure la moitié des bénéficiaires, pour nous c’est un non-sens. Si l’on veut une amélioration au plan environnemental, autant mettre en place des solutions assez simples pour encourager un maximum de monde à y aller plutôt que mettre la barre trop haut. Du point de vue des jeunes agriculteurs, quel est le point le plus important de cette réforme ?

Le premier pilier « installation » est une bonne chose. La France a ainsi obtenu 100 millions d’euros de budget supplémentaire pour

encourager l’installation. En outre, la Commission a retenu que les agriculteurs de moins de 40 ans pourront bénéficier de la majoration de 25 % des aides, et elle a élargi les critères d’éligibilité aux salariés ou membres de la famille qui travaillent sur l’exploitation. En cela, la Commission a fait preuve de bon sens en donnant une réponse au premier défi de l’agriculture européenne, qui est le renouvellement des générations. Rappelons que les deux tiers des agriculteurs ont plus de 55 ans et seulement 6 % moins de 35 ans. Que pensez-vous globalement du résultat de ces négociations ?

Ce n’est pas encore la réforme globale que nous attendions, celle qui nous permettra de sortir de la situation de rente pour aller vers des aides-levier qui soient vraiment favorables aux jeunes agriculteurs. Je pense en particulier à des aides contracycliques permettant de gérer des aléas climatiques et sanitaires. Certes, on note une légère inflexion avec le retour d’enjeux un peu plus ciblés comme, pour ce qui nous concerne, la surdotation des premiers hectares. C’est un premier pas vers un modèle qui soutient les actifs exploitants et ne se focalise plus uniquement sur le nombre d’hectares.

Propos recueillis par T.K.

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3 questions à

ERIC FEFERBERG/AFP

GEORGES GOBET/AFP

Dacian Ciolos,

(Comagri) s’est faite la seconde voix du Conseil, et n’a pas du tout demandé les éléments d’amélioration que l’on attendait. Elle a en particulier ignoré les avis de la commission environnement. »

PIETRO NAJ-OLEARI

pagnes incitant les citoyens de toute l’Europe à écrire à leur ministre de l’Agriculture. Les choses se sont envenimées lorsque la direction générale de l’environnement à Bruxelles a rendu un avis négatif sur l’utilisation de pesticides. Les syndicats d’agriculteurs, soutenus par une majorité de députés et par les États membres, ont alors crié à la « trahison », estimant que l’esprit des décisions du Parlement était « dévoyé ». « Cette proposition va dans un sens d’un verdissement renforcé qui n’est pas le sens du vote du Parlement ni de l’accord avec les ministres, ce n’est pas acceptable d’un point de vue politique », déclarait alors un député français.

FRANÇOIS THABUIS PRÉSIDENTDESJEUNESAGRICULTEURS


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