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Le feuilleton de Notre-Dame

L e feuilleton de NotreD a m e

Par Bernadette Sauvaget

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Et voilà que Notre-Dame de Paris est en train de retrouver une luminosité qui lui faisait défaut depuis bien longtemps. Le grand ménage lancé à l’automne dernier est en cours d’achèvement, et projet d’aménagement intérieur et restauration vont désormais grand train.

Dans la nef, la lumière dorée de la pierre calcaire issue des carrières d’Île-de-France illumine de tons nouveaux la cathédrale. En entrant, il y a quelques mois, dans NotreDame, l’un des principaux responsables du chantier de reconstruction du monument a été saisi, comme il nous le raconte, d’émerveillement. Il est vrai qu’avant l’incendie ravageur du 15 avril 2019 les visiteurs plongeaient dans une étrange obscurité en entrant dans l’édifice. Notre-Dame, noire et sombre, à l’architecture peu spectaculaire, n’était pas très attractive, dissimulant ses beautés sous des couches de poussières et de crasse. Sa réouverture au public – en 2024 sans doute mais ce n’est pas certain – réserve des surprises. La couleur de la pierre, la nouvelle lumière intérieure en raviront plus d’un. Gardé comme un coffre-fort de la Banque de France, le chantier de la cathédrale a atteint, ce printemps 2022, un nouveau palier. « C’est le début de la renaissance de Notre-Dame, commente le responsable du chantier. Tous les vestiges de l’incendie ont été évacués, plus de bois brûlé, ni de traces de l’échafaudage. Nous avons maintenant l’impression que la restauration commence. » À l’abri des regards, un vaste ménage a été entrepris dans le monument. De fond en comble, comme il arrive une fois par siècle. « Il y a eu un grand nettoyage en 1984, explique un spécialiste. Mais, à l’époque, nous n’avions pas ces échafaudages, ceux qui ont été dressés il y a un an pour consolider les voûtes et qui vont demeurer en place jusqu’à la fin de la rénovation. » Mené par une équipe spécialisée d’une trentaine de personnes, le grand ménage de NotreDame a démarré en octobre et se termine au début de ce printemps. Sous combinaison spéciale et masque à ventilation assistée, il ne s’agit pas seulement de nettoyer Notre-Dame de ses strates de poussières, mais aussi dépolluer la cathédrale. Lors de l’incendie du 15 avril 2019, la toiture en plomb, sous l’effet de la chaleur, a fondu. Tout comme la structure de la flèche néogothique ornementale. Au bas mot, ce sont plus de 460 tonnes de plomb qui sont devenues poussières, se disséminant ce soir-là dans l’air de Paris, se déposant aux alentours du monument et polluant fortement l’intérieur de l’édifice. Jusqu’à il y a peu, les teneurs en plomb atteignaient des niveaux exceptionnels. Autant dans la cathédrale que sur le parvis. Pendant les semaines qui ont suivi l’incendie, des mesures inquiétantes ont même été relevées dans des écoles situées à proximité. De polémiques en controverses, deux plaintes pour mise en danger de la vie d’autrui ont fini par être déposées, en juillet 2019 et en octobre 2021. Elles ont été classées sans suite. L’association de défense de l’environnement Robin des bois promet d’en déposer une nouvelle. L’inspection du travail et la préfecture de région ont, elles, suspendu le chantier à l’été 2019 pendant plusieurs semaines et imposé de strictes mesures pour la centaine de personnes qui y travaille. Les teneurs en plomb sont-elles dangereuses ? Ou l’ont-elles été ? Le débat est difficile à trancher. D’autant que Paris est soumis depuis belle lurette à des pollutions au plomb liées à la circulation automobile. Sur le chantier, on se veut rassurant. « Il faudrait lécher le sol ou les murs pour que cela produise des effets nocifs », explique l’un de ses responsables. Métal lourd, le plomb n’est pas habituellement présent dans l’air. Les poussières se déposent sur le sol et les murs. Cependant, elles peuvent devenir volatiles lorsqu’il y a des déplacements, des coups de vent… Ce qui a été le cas à plusieurs reprises, au moins sur le parvis. Sur le chantier de Notre-Dame, les compagnons testent régulièrement leur plombémie (taux de plomb dans le sang). Aucun n’a eu, assure-t-on, de résultats inquiétants. Ce que

nous avait d’ailleurs précisé, dès l’été 2019, le responsable de l’équipe des cordistes, qui travaillent pourtant dans des zones très polluées par les poussières de plomb. Pollution ou non, il fallait bien nettoyer NotreDame. « Jamais depuis Viollet-le-Duc, elle n’a été aussi propre », raconte l’un des intervenants. Comme dans une maison, on a procédé de haut en bas. Pour finir par un vaste lessivage des sols. Pour les vitraux, l’opération était particulièrement délicate. Une épaisse couche de poussières de plomb, comme nous l’avions constaté de visu en juillet 2021, s’était déposée sur les armatures. Lors de leur « ménage », les spécialistes de l’aspiration étaient cornaqués par des maîtres verriers pour éviter que les vitraux ne soient endommagés. Pour les sculptures, il y a d’abord eu un brossage. Pour finir, les murs ont reçu une patine. « Pour harmoniser la couleur », dit-on sur le chantier.

En attente d’un archevêque À l’écart jusqu’alors de batailles politiques et patrimoniales, Notre-Dame est devenue, depuis l’incendie du 15 avril 2019, un enjeu majeur, et chacun essaie de tirer la couverture à soi en termes de notoriété. Si la reconstruction du monument à l’identique – version Viollet-le-Duc du xixe siècle – a été actée assez vite sans trop de discussions, il reste deux chantiers pour lesquels les combats s’annoncent féroces, celui de l’aménagement du parvis, où pourront intervenir des artistes contemporains, et celui de l’intérieur de la cathédrale. Comme affectataire, le diocèse de la capitale est en charge du second. Et s’est déjà fourvoyé dans une première polémique. À l’automne 2020, l’affaire des vitraux a fait grand bruit. Passant outre les prérogatives de l’État, maître chez lui car propriétaire des lieux, des têtes brûlées du diocèse avaient imaginé remplacer les verrières inférieures au ton grisé par des vitraux contemporains. Tollé des défenseurs de Viollet-le-Duc – parfois intégristes, il faut bien le dire –, colère du ministère de la Culture, récrimination des responsables du chantier. Et rapide volte-face… Même si, paraît-il, certains, en secret, n’auraient pas complètement abandonné la partie. Que faire de la grande nef de Notre-Dame, de sa douzaine de chapelles, de ses tribunes, devenues, les années passant, des greniers et qui seront remises à neuf d’ici deux à trois ans ? La tâche de penser cet aménagement intérieur a été confiée à Gilles Drouin, prêtre du diocèse d’Évry et spécialiste de la liturgie. Son projet, encore plus ou moins à l’état d’ébauche, a été avalisé en décembre 2021 par la très officielle Commission nationale du patrimoine et de l’architecture. Celle-ci a quand même retoqué un étrange projet de bancs lumineux dans la nef. Et fermé aussi le clapet des intégristes de Violletle-Duc, qui rêvaient, eux, de réinstaller dans la cathédrale les grandes grilles du chœur, déménagées sur instruction du cardinal archevêque Jean-Marie Lustiger. Dans la foulée de l’accord de la Commission, le ministère de la Culture publiait un communiqué, au ton assez ferme, pour signifier qu’il gardait un œil vigilant sur les projets du clergé. À grands traits, le projet Drouin prévoit un parcours à dimension catéchétique, avec projection de versets bibliques sur les murs nus des chapelles de la cathédrale. Le petit monde du patrimoine, assez élitiste et cruel, ricane déjà de cette idée. « Dans dix ans, ce sera totalement démodé », tacle l’un des responsables du chantier. En fait, l’Église catholique voudrait bien profiter du flot annuel de touristes qui viennent jeter un œil dans la cathédrale, une douzaine de millions chaque année, pour évangéliser un peu. Mais le pari est difficile : les visiteurs qui ne viennent pas pour prier restent en moyenne une douzaine de minutes à l’intérieur de la cathédrale. Pour tout cela, il faudra, bien sûr, la bénédiction du prochain archevêque de Paris, dont l’arrivée est prévue pour l’été 2022, suite au départ fracassant de Michel Aupetit. Son successeur devra trancher d’épineux dossiers. Et naviguer dans

des eaux agitées. Bref, il est attendu au tournant. Aupetit avait décidé de commander un nouveau mobilier liturgique, c’est-à-dire un autel, un baptistère et un ambon. Et de remiser au grenier celui du cardinal Lustiger, créé par Jean Touret et peu apprécié, paraît-il, du clergé parisien. En tout cas, la décision du prochain archevêque aura indéniablement valeur de symbole.

Un voyage virtuel Voulez-vous rencontrer Eugène Viollet-le-Duc, l’architecte qui, au xixesiècle, a rénové de fond en comble Notre-Dame de Paris ? Muni d’un casque de réalité virtuelle et harnaché d’un –léger – sac à dos contenant un ordinateur, c’est désormais possible. En attendant la réouverture pour de vrai du monument, l’exposition – si l’on ose dire – « Éternelle Notre-Dame », un voyage dans le temps et dans l’espace, genre jeu vidéo, retrace les grandes lignes de l’histoire du monument. Le visiteur est piloté dans son périple par un hologramme incarnant l’un des compagnons qui a participé à l’édification du monument. L’odyssée démarre dans l’une des rues médiévales qui jouxte Notre-Dame. Remontant le temps, le voyageur hume l’atmosphère du Moyen Âge, côtoie les tailleurs de pierre, grimpe sur une plate-forme imaginaire, sorte de tapis volant qui le hisse sur les hauteurs de la cathédrale, d’où il découvre les fameuses rosaces. Il voit la nef vide, telle qu’elle était au Moyen Âge, s’écarte pour laisser passer les chanoines. Et croise Viollet-leDuc. Pour notre part, nous avons un regret. Nous aurions préféré palabrer avec Victor Hugo. L’expérience immersive est réussie. Trois grands moments sont restés dans nos souvenirs. Le plus émouvant sans doute est la traversée virtuelle, en équilibre sur une poutre, de la « forêt »,

Annaud entre en scène

Le soir de l’incendie de Notre-Dame de Paris, le cinéaste Jean-Jacques Annaud ne voit pas les flammes dévorer la toiture et la flèche. La télévision, là où il se trouve, est en panne. Le réalisateur de La Guerre du feu, L’Ours, Le Nom de la rose ou encore Stalingrad, au succès avéré, se moque, en prenant à témoin sa femme, des futurs réalisateurs qui voudront tirer un film de cette catastrophe patrimoniale. « Des crétins », les qualifie-t-il. Le crétin, reconnaît-il de lui-même, désormais c’est lui. Notre-Dame brûle, son nouvel opus est une narration à grand spectacle de l’incendie du 15avril 2019. Et fidèle, d’après les témoins de cette nuit tragique qui ont visionné le film. Notre-Dame brûle est, en fait, une commande de Pathé, le producteur habituel du cinéaste. La maison a d’abord proposé un documentaire à Jean-Jacques Annaud. Mais, faute d’images exploitables de l’incendie lui-même à l’intérieur du bâtiment, il a opté pour un film de fiction, construit au plus près de la réalité. Selon les personnes sollicitées, Annaud a très sérieusement bâti son scénario, qui court sur vingt-quatre heures. « Ma star, c’est Notre-Dame, elle risque de mourir », raconte Jean-Jacques Annaud dans La Fabrique de Notre-Dame, le journal publié par l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris. L’équipe de tournage a eu l’autorisation de filmer sur le parvis et à l’intérieur du monument et a reconstitué une partie de l’incendie dans des studios à Saint-Denis. Plusieurs séquences ont été tournées dans d’autres cathédrales, celles de Sens, Bourges et Amiens. « Le feu est un très bon acteur. C’est le méchant, celui qui détruit, avale tout, raconte encore Annaud. Les pompiers l’appellent Belzébuth, Lucifer, le démon, la bête. C’est leur ennemi. Ils se battent contre le diable. Ce combat d’une grande dangerosité est aussi très sensuel, du fait même de ce danger. »

B.S.

© Orange/Emissive, Éternelle Notre-Dame, 2021

la fameuse charpente médiévale de la cathédrale, celle d’origine, que seuls quelques privilégiés avaient le droit de visiter. C’était l’une des rares à être parvenue intacte jusqu’à nous. Le soir de l’incendie, elle est dramatiquement partie en fumée. Sa résurrection virtuelle est, pour le coup, très touchante. Nous avons aussi beaucoup apprécié la montée vertigineuse dans le beffroi nord. Il y a trois ans, les pompiers y ont héroïquement combattu les flammes pour que sa charpente en bois ne soit pas ravagée par l’incendie. Et que le sinistre ne gagne pas la tour sud. Au long de ces quarante-cinq minutes, il y a évidemment de la pédagogie. Ainsi, on apprend que la charpente en bois, à l’intérieur du beffroi nord, protège la structure de pierre des vibrations des cloches. Enfin, le moment le plus spectaculaire et le plus instructif est la promenade – virtuelle, toujours – en haut des tours. Il faut serpenter, oser encore tutoyer le vide. De là, comme dans la réalité, le point de vue est à couper le souffle. Le regard, lui, plonge en contrebas et découvre les vestiges noircis de l’incendie. La cathédrale, sans toit, sans charpente, apparaît soudain fragile et… belle dans son dénuement. À la fin du voyage, Guillaume Dauvergne, évêque de Paris de1228 à1249, se voit remettre les clés de la cathédrale. Au-delà du temps et de l’espace, le message est clair : Notre-Dame de Paris n’est pas seulement un objet patrimonial. C’est d’abord un lieu de culte catholique. Comme s’il était nécessaire, au fond, de le dire et le redire. En réalité, les visiteurs de 2019 étaient essentiellement des touristes. On l’a déjà écrit moult fois : NotreDame de Paris est le monument le plus visité de France. Et, à cet aune-là, les fidèles pèsent peu. « Tiens un donateur ! » s’exclame quand même Guillaume Dauvergne. Les initiateurs et bienfaiteurs de ce voyage dans le temps et dans l’espace – en particulier l’opérateur Orange, qui, selon Le Parisien, a mis quatre à cinq millions d’euros sur la table – ne perdent pas le nord. Un tiers du prix du billet d’entrée – 30euros en ligne, 35 sur place (tarifs réduits : 20 et 25euros) – viendra financer la reconstruction de Notre-Dame, notamment son aménagement intérieur. Présentée cet hiver sous le parvis de la Grande Arche de la Défense, « Éternelle Notre-Dame » s’installe également ce printemps au cœur de Paris, à la Conciergerie. Et elle sera aussi dès septembre sous le parvis de la cathédrale, avant d’ouvrir à Rome et à Berlin.

À suivre…

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