6 minute read

Ephad quand on veut, on peut

Next Article
Fraternités

Fraternités

Ehpad : quand on veut, on peut !

Les récentes enquêtes ont de nouveau mis en lumière la maltraitance dans certains Ehpad. Pourtant, de belles initiatives voient aussi le jour chez les seniors : repas fait maison, jardin partagé, échanges avec les enfants. Tour d’horizon des résidences où « ça se passe bien ».

Advertisement

Par Sarah Boucault

Chaque matin, munie de son chariot, Marianne Burési, 80 ans, réceptionne le courrier et le distribue aux résidents de l’Ehpad de Saint-Julien-du-Sault, dans l’Yonne. « Le lundi, il y en a beaucoup car il s’accumule le week-end et il y a les magazines télé », remarque la factrice aguerrie, qui habite la résidence depuis dix ans. Cet Ehpad public, situé en plein cœur d’un village de 2 400 habitants, entre deux écoles et en face du cinéma, accueille soixante-cinq résidents. « Nous créons avant tout des lieux de vie, pas des lieux où l’on attend la mort, ni des lieux de travail, affirme Hugo Vidal-Rosset, directeur depuis quatre ans. Tout d’abord, nous appelons les personnes “résidents” ou “habitants” : ce sont des gens avec un paysage intérieur, un passé, des compétences. Sur les portes, on inscrit “Bienvenue chez” avec le prénom et le nom de la personne, et on ajoute des images de ce qui fait sens. » Sur la sienne, Daniel Dieudonné, 89ans, a affiché des épagneuls. « Vic, mon épagneul, mangeait 250 g de bourguignon tous les jours. Il a vécu dix-huitans et trois mois », se souvient l’ancien chef d’atelier mécanique, joueur de Triomino et photographe attitré de la résidence. Hugo Vidal-Rosset ne se reconnaît pas dans les descriptions de maltraitance faites par le journaliste Victor Castanet dans son livre Les Fossoyeurs à propos des Ehpad du groupe Orpea, ou par l’émission Cash Investigation concernant ceux gérés par Korian. Mais il n’est pas dupe pour autant : « Il faut sans cesse remplir des appels à projets, solliciter les fondateurs, l’agence régionale de santé, le département.Il y a un sous-financement chronique de tous les Ehpad, mais on essaie d’être dans une logique vertueuse. Par exemple, de meilleures conditions de vie au travail entraînent moins d’absentéisme, donc une diminution des coûts et une situation financière positive. Même si on n’a jamais assez d’argent. » Pour casser l’aspect institutionnel, la résidence s’est basée sur la philosophie québécoise Carpe Diem : les soignants, hors soins, enfilent une tenue civile. L’Ehpad a aussi créé une unité Alzheimer où neuf chambres sont disposées autour d’une cuisine ouverte, un salon et un jardin. « Pour recréer un esprit colocation »,

affirme le directeur. La structure a également reproduit un diner américain des années 1960 avec frigo, tisanerie vintage et baby-foot. Les deux chiens de la psychologue se promènent en liberté dans la structure trois jours par semaine. « Les chiens sont recommandés pour les gens qui ont perdu les pédales », affirme avec aplomb et humour Daniel Dieudonné. Le résident apprécie aussi les visites de la chatte Chaussette, qui, elle, appartient à l’Ehpad. Dehors, dans le potager, les seniors récoltent les œufs des six poules et, l’été, tomates, courgettes, poivrons, fraises, aubergines, pour cuisiner ratatouilles et tartes.

Pour une cuisine digne de ce nom Depuis 2018, Christophe Arlot a travaillé dans vingt-trois Ehpad dans l’ouest de la France, mais n’est resté plus d’un mois que dans un seul, l’Ehpad public des Chênes Verts, à l’île d’Yeu, en Vendée, qui accueille soixante-sept résidents maximum. Pour ce cuisinier, l’alimentation et le choix des produits sont essentiels au bien-être des résidents. « Huit mois, c’est mon plus long contrat, et de loin ! Ici, les soignants sont bienveillants car ils s’occupent de leurs grands-mères, grands-pères, voisins », pointe-t-il. À l’île d’Yeu, Christophe Arlot prépare des langues de bœuf sauce Madère et des sautés de veau faits maison et il apprend les spécialités locales : la morgate (un poisson) ou la tarte au thon. « Impossible à faire dans les cuisines des grands groupes. Au goûter, je fais des quatrequarts et des fars bretons maison, tout le monde descend ! » « 80 % des repas sont frais et faits maison par les cuisiniers, dont la soupe du soir, pour lutter contre la dénutrition des usagers, fréquente à cet âge, souligne Nathalie Semelin, la directrice de l’Ehpad. Cette initiative est encouragée par la diététicienne. L’établissement fait appel à un mareyeur deux fois par semaine pour le poisson frais. » Le cuisinier Christophe Arlot a lancé une pétition sur change.org pour demander un budget de repas par jour d’au moins 8,50 € par résident. « L’important c’est que les gens mangent, que ça ait du goût, insiste-t-il. Les personnes âgées aiment la crème et le beurre. Pas de diététique à 80ans. Il faut de bons produits mais aussi du personnel formé, du matériel adapté. Un Ehpad doit être un hôtel-restaurant avec une clinique à l’intérieur. » La bientraitance ne va pas toujours de pair avec un tarif élevé : à l’île d’Yeu, le prix de journée y compris ticket modérateur dépendance s’élève à 62,06 €. Chez Orpéa, selon l’enquête de Victor Castanet, les tarifs sont trois à six fois plus élevés.

Ateliers intergénérationnels À l’Ehpad de Saint-Julien-du-Sault, un système de correspondants a été mis en place entre écoliers et résidents sur la base de leur couleur et animal préférés. Grands et petits débattent aussi une fois par mois lors d’un café philo et se retrouvent dans le potager. Ces échanges intergénérationnels sont le point de départ du projet d’Astrid Parmentier et Pauline Faivre. Les deux entrepreneuses ont créé Tom&Josette en 2019. « On se disait : “Ce n’est pas possible que ce soit un endroit fermé, cloisonné, où l’on va à contrecœur”, raconte Astrid Parmentier. En allant rendre visite à ma grand-mère, j’ai remarqué qu’il existait un lien incroyable entre mes neveux et elle. » Les jeunes femmes ont alors lancé le concept de microcrèche dans les Ehpad disposant de 120 m2 libres.

Après Rennes en 2020, une autre a vu le jour en mai 2021, à Montussan, en Gironde. Lolita el-Abbas y travaille. À 31 ans, cette ancienne auxiliaire de vie auprès des personnes âgées vient de se reconvertir en éducatrice de jeunes enfants. Elle est devenue la référente intergénérationnelle de la microcrèche de Montussan, située à quelques kilomètres de chez elle. « Une aubaine, souligne-t-elle. J’ai la possibilité d’avoir les deux casquettes et de ne pas laisser tomber les personnes âgées. Je sais à quel point elles ont besoin de nous. » Chaque mardi et jeudi, de 10 à 11heures, des seniors de la résidence encadrent des enfants de deux ou trois ans lors d’un atelier : préparation d’une galette des rois en janvier, fabrication de masques et de maracas pour le carnaval en février,etc. Tous les lundis et mercredis, la veille des ateliers, Lolita el-Abbas appelle chacun des onze habitants la résidence seniors : « Pour prendre de leurs nouvelles et leur rappeler l’activité. Un monsieur n’était pas venu depuis trois semaines à cause de sa santé alors qu’il venait tout le temps. Ça lui manque.Un regard, un sourire, un enfant qui attrape un livre et le tend à un

«Un Ehpad doit être un hôtelrestaurant avec une clinique à l’intérieur.»

résident, c’est tout simple mais ça procure de la joie. Pour les résidents, c’est la vie, la spontanéité. Ce monsieur met des boules de graisse dans le jardin car il sait que les oiseaux viendront les picorer et que les enfants pourront les observer. » Les microcrèches Tom&Josette sont locataires de la maison de retraite et signent une convention de partenariat de projet intergénérationnel. En 2022, l’entreprise, au chiffre d’affaires de 330 000€ – en 2021 avec deux crèches –, ouvrira huit nouvelles crèches intergénérationnelles dont une à L’Houmeau (Charente-Maritime), une à Albi (Tarn), une à Brest (Finistère), une à Meudon (Hauts-de-Seine), une à Laval (Mayenne), une à Vourles (Rhône) et une à FarguesSaint-Hilaire (Gironde). « Il y a aussi un parti pris pédagogique, explique Astrid Parmentier. “Dépêchetoi” est la phrase qu’un enfant entend le plus avant trois ans. Les enfants ne côtoient que des adultes speed qui sont dans la vie active, Avec un papy ou une mamie, il n’y a aucune pression, de la tendresse, du temps, de la douceur. Et lorsqu’une personne âgée transmet des choses, elle travaille sa motricité et ça fait sens pour elle. »•

This article is from: