De la puissance à l'influence?

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Globalist The Paris

Vol. IV n°2 septembre-octobre 2010

Entretien avec Hubert Védrine La fin du monopole occidental Entretien avec Bertrand Badie Considérations sur un monde apolaire

Valeur

5,60 €

de la puissance à l’influence ?

Afghanistan : la bataille des coeurs

The Great game Redux

Gazprom : au coeur de la nouvelle stratégie de puissance du Kremlin

EN PARTENARIAT AVEC L’ ASSOCIATION ­­­­­­­­­­­FRAnçaise pour les nations unies


SOMMAIRE 5

EDITORIAL Judith Chetrit

DOSSIER : de la puissance à 24 l’influence ?

Afghanistan, la bataille des cœurs Anna Schuster

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La diplomatie culturelle du Japon Sébastien Deniau

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REPORTAGE PHOTOGRAPHIQUE Le Pérou, entre tradition et modernité Florence Couque

6 Entretien avec Bertrand Badie considérations sur un monde apolaire Nathan R. Grison

10 Entretien avec Hubertvédrine

VARIA

La fin du monopole occidental Nathan R. Grison et Eléonore Peyrat

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18 Fidèle à l’esprit de la revue, la Rédaction conserve l’objectif principal de celle-ci : publier des articles qui analysent de façon exigeante les relations internationales contemporaines. The Paris Globalist évolue aussi pour répondre le mieux possible aux attentes de ses lecteurs. L’une des nouveautés est la publication, dans chaque numéro, d’un article provenant d’un partenaire de Global 21, le réseau auquel appartient The Paris Globalist. Pour le présent numéro, il s’agit d’une contribution du London Globalist ( London School of Economics).

1ère de couverture Creative Commons License photo credit : Andrea Booher (FEMA)

La nouvelle politique régionale de Beijing : Hu Jintao est-il un nouveau Bismarck ? Côme Dechery

The Human Cost of War: How Canada is Coping with its Soldiers’ Mental Health Issues Katelyn Potter

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Brazil: The New Eldorado? Aline Marsicano Figueiredo

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Après un an de présidence, quelle diplomatie pour Jacob Zuma ? Louis Boillot

Le Soft Power au cœur du crime organisé Corentin Valleray

VUES D’AILLEURS

The Paris Globalist est dirigé par une nouvelle équipe.

The Paris Globalist est une revue ouverte à tous les auteurs. Si vous souhaitez être publié dans ses colonnes, vous pouvez soumettre votre proposition d’article à la Rédaction :

Gazprom : au cœur de la nouvelle stratégie de puissance du Kremlin Jérémy Armand

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theparisglobalist@sciences-po.org

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L’Iran en puissance : impressions et réalités de l’influence iranienne au Moyen-Orient Camille Le Coz

Quand l’Union Européenne accouchera t-elle de son armée ? Judith Chetrit

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The Great Game Redux Brijesh Khemlani

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Leçons d’Haïti avant la crise Mikaël Schinazi

Creative Commons License phtoto credit : Dennis Marciniak

The Paris Globalist is a member of


EDITORIAL

Chers lecteurs, Alors que la Chine est dépeinte comme la puissance incontournable de demain par les médias, The Paris Globalist a souhaité questionner cette notion de puissance que l’on dit dépassée ou modifiée par la mondialisation. Dans la grammaire des relations internationales, des puissances se font et se défont. Que signifie la puissance pour un pays aujourd’hui ? Quels en sont les critères, alors que le soft power de Joseph Nye est plébiscité ?

Directeurs de la Rédaction Nathan R. Grison Judith Chetrit

Rédactrice en Chef Eléonore Peyrat

Éditeurs Sébastien Déniau Inès Lévy Tiphaine Mérot Sarah Nahoum Sarah Struck Leslie Tourneville

Graphisme

Après la course à l’armement de la guerre froide, la politique internationale idéale est souvent résumée comme une subtile combinaison de hard power (puissance coercitive) et de soft power (puissance douce ou persuasive). Les moyens traditionnels de la puissance comme l’industrie, le militaire ou les ressources énergétiques s’acommodent d’un raisonnement stratégique. Le Japon militaire s’est ainsi servi de ses ressources économiques pour adoucir sa réputation et développer son influence culturelle à travers les mangas et jeux vidéos. C’est aussi le parti pris par l’Union Européenne, encore marquée par les guerres du XXème siècle, quand elle axe son discours et sa puissance autour de normes, laissant de côté ses attributs militaires. L’influence serait-elle une alternative à la puissance? Que sont devenus le soldat et le diplomate, traditionnels maîtres de la scène internationale pour Raymond Aron? Lors de la conférence annuelle des ambassadeurs de France fin août, le malaise au sein de la diplomatie française est décrié. La notion de puissance demeure encore aujourd’hui auréolée de contours flous. Elle est ainsi une capacité d’influence sur les autres pays, alimentant une stratégie nationale : le leadership régional de la Chine, de l’Iran ou même celui du couple franco-allemand dans l’Union Européenne constitue une projection de puissance efficace sur la scène internationale. La puissance dépend alors de ressources: c’est le gaz russe qui fait la loi en Ukraine ou les importants effectifs de l’armée américaine en Afghanistan et l’Irak après le 11 Septembre. Mais, l’utilisation de la puissance a un prix. La mission de combat en Irak s’achève sur un demi-échec. Le vrai coût de cette guerre n’est pas seulement économique ou humain, il est tout autant symbolique : les Etats-Unis ne sont pas une puissance infaillible. Une puissance perdure lorsqu’elle a les moyens et l’influence liée à sa puissance. « La puissance, c’est faire croire », si l’on pouvait actualiser cette phrase de Machiavel au sujet de la fonction de gouverner. Telle une main de fer dans un gant de velours, les attributs de la puissance sont alors mis au service d’un discours de la puissance. C’est ainsi que pour les organisations criminelles, dont les attributs organiques s’apparentent à un Etat, la bataille des esprits importe tout autant que la pression économique subie par les riverains.

Solveig Ferlet

Maîtrise-t-on pour autant tous les critères de la puissance ? Si elle est souvent l’objectif d’une politique internationale, elle s’impose de facto pour des pays : la démographie chinoise ou indienne et la manne agricole du Brésil, par exemple. Pour la rentrée, The Paris Globalist dévoile les multiples visages de puissances qui se cherchent, se recomposent ou acceptent leur failles pour rebondir. L’influence, que l’on présente comme le nouvel âge de la puissance serait-il un critère de puissance en devenir ? Face à un soft power présenté comme un antidote à la puissance, il serait utile de rappeler que le ‘‘soft’’ reste un adjectif. La grammaire des relations internationales est un programme en soi. En vous souhaitant une excellente lecture,

Judith Chetrit Directrice de la Rédaction du Paris Globalist Master Affaires Publiques, section Culture.

Creative Commons License photo credit : Jayanth Chennamangalam

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Entretien avec Bertrand Badie C

omment définiriez-vous la situation internationale actuelle ? Sommes-nous dans un monde multipolaire, unipolaire ou apolaire ?

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Bertrand Badie est diplômé de l’Institut de Sciences Politiques de Paris. Depuis 1990, il est professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, où il est devenu directeur de publications pour les Presses de Sciences Po, entre 1994 et 2003.

dossier : PUISSANCE

Bertrand Badie a également été directeur du Centre des Etudes Internationales sur la Paix et la Résolution des Conflits et de la Fondation Rotary, de 2002 à 2005. Depuis 1999, il dirige le Cycle Supérieur des Relations Internationales (Recherches) à l’IEP, et, depuis 2003, il est membre du Comité Exécutif de l’Association Internationale en Sciences Politiques. Il est l’auteur, entre autres, d’ouvrages comme Le retournement du monde, L’Etat importé, ou La fin des territoires.

Le drame, depuis 1989, c’est justement que nous ne savons pas dans quel système international nous nous trouvons. Les interprétations qu’on en donne sont aussi contradictoires que les usages que l’on en fait : ceux-ci varient au gré des intérêts divergents des uns et des autres. Certains discours s’adossent sur l’unipolarité, comme ce fut le cas du diagnostic néoconservateur du monde. D’autres plaident, avec des intensités variables et des significations très différentes, pour un monde multipolaire. Mais alors la question se pose de savoir où sont ces pôles multiples. Appartiennent-ils à chacun des grands ensembles régionaux, ou aux fameuses puissances émergentes qui viendraient ainsi concurrencer la superpuissance sortie vainqueur de la Guerre Froide ? Faut-il prendre en considération des formes nouvelles de puissance tirées, par exemple, des ressorts culturels et religieux ? Faut-il tenir compte de la diversification des registres de puissance, alors que s’affirment aux côtés de la force militaire, des puissances commerciales, financières, culturelles, économiques voire démographiques ? Personne ne sait répondre à ces questions. À titre personnel, je penche plutôt pour l’idée d’apolarité. Parce qu’un regard sur l’histoire du monde westphalien et post-westphalien indique que la polarité n’a pas été de tous les temps, et que le phénomène de polarisation n’était pas connu avant 1947 et le début de la Guerre Froide. La polarisation, comme l’image le suggère, c’est une faculté d’attraction et de regroupement, de petits et de moyens derrière des plus forts. Ce phénomène de rassemblement ordonné ne s’observait nullement pendant l’entre-deux-guerres, et encore moins dans l’Europe du Congrès de Vienne, ou dans l’Europe post-bismarckienne. On s’aperçoit que, derrière la polarisation, se tient une stratégie qui n’a rien d’universel, celle de considérer qu’il est avantageux d’abdiquer une part de son autonomie et de son indépendance, voire de sa souveraineté, pour obtenir en échange la protection du plus fort. Encore faut-il que la menace soit visible, que l’ennemi soit évident, et que celui-ci soit lui-même ordonné selon

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ces mêmes logiques d’attraction. C’était clairement le cas international et se trouve concurrencé par toute une série jusqu’en 1989. Mais aujourd’hui, la notion d’inimitié tend à d’acteurs non-étatiques qui jouent un rôle croissant sur la se dissoudre dans des réalités infiniment plus complexes et scène internationale. D’autre part, la capacité de l’Etat dans subtiles. La menace devient diffuse. La faculté d’attraction l’exercice de sa souveraineté se trouve de plus en plus réduite. des forts sur les moyens et les faibles tend à s’éroder. On l’a notamment vu à l’occasion de la dernière crise. Elle a Certains continuent à miser sur l’idée de multipolarité et en donné naissance à quantité d’appels à l’Etat, et on a même font la base de leur politique étrangère. Néanmoins, l’idée parlé de son retour, ce qui est absurde car l’Etat n’est jamais d’apolarité refait d’ailleurs son chemin aux Etats-Unis, parti. Mais cette crise a aussi montré que l’Etat seul, hors depuis que le néoconservatisme est entré intégration et concertation internationales, en crise. Au moment où un certain nombre Derrière les faiblesses des ne pouvait pas grand chose. Il se trouve de ses proches, tels que Richard Haas , ont Etats-Unis se profile non ainsi impuissant hors des logiques de tendance, eux aussi, à parler d’apolarité, mondiale qui impliquent tout pas le déclin américain gouvernance Barack Obama a discrètement admis l’idée cet éventail d’acteurs que sont les grandes que les Etats-Unis ne pouvaient plus exercer mais la fin de la puissance entreprises, les grandes banques, mais aussi le même leadership qu’autrefois. les acteurs sociaux transnationaux. Comment analysez-vous les effets de la mondialisation sur les fondements et les fonctions de l’Etat-nation ? L’importance de l’Etat dans la résolution de la récente crise économique mondiale vient-elle remettre en question l’idée que celui-ci serait en train de perdre son rôle d’acteur central sur la scène internationale ?

Comment s’exerce aujourd’hui la puissance des Etats-Unis à l’échelle mondiale, et quelles sont les limites à leur hégémonie ? L’Union Européenne est-elle, ou pourra-t-elle devenir, une alternative plausible à cette puissance ?

Le leadership américain est, depuis longtemps, mis à mal. Si l’on considère que la guerre de Corée n’était pas de leur Nul doute que la globalisation a des effets de contre-indication exclusivité et si l’on admet que l’invasion de Grenade n’était sur la polarisation. La mondialisation recèle en effet des pas une guerre décisive pour révéler le leadership américain, facultés d’attraction mais aussi de nombreux facteurs de les Etats-Unis n’ont plus gagné une guerre depuis 1945. Les fragmentation et d’éparpillement qui viennent s’actualiser exemples du Vietnam, de l’Irak, de l’Afghanistan, ainsi que dans des logiques d’interaction ou d’interdépendance. L’idée le cas iranien, ou le conflit israélo-palestinien montrent que simple d’un monde bipolaire ou même d’un monde polarisé cette superpuissance, qui réunit à elle seule la moitié des vient à s’ébranler. ressources militaires du monde, n’a jamais pu prendre un Par ailleurs, la mondialisation suppose l’interdépendance, avantage décisif ni dans l’accomplissement d’un conflit, ni c’est-à-dire la dépendance du fort par rapport au faible. Les dans la tentative de le résoudre. logiques d’attraction ne sont plus à sens unique comme elles Il est donc difficile de prétendre que l’hégémonie américaine l’étaient du temps de la Guerre Froide, et tout le monde est n’a pas souffert de ce changement de contexte. A cet égard, donc dépendant de tout le monde, tandis que les espaces de le néoconservatisme a représenté une forme de bouquet final, souveraineté absolue sont de plus en plus difficiles à tenir. c’est-à-dire une tentative idéologique de démontrer à tout prix Cela s’observe sur le plan de la sécurité politico-militaire, et à la face du monde que la force des Etats-Unis accompagnait même plus encore à travers l’importance réellement l’importance de la mission qui grandissante des grands enjeux sociaux La mondialisation suppose leur était attribuée. mondiaux : alimentation, santé, grands Désormais, les Etats-Unis sont entrés dans l’interdépendance, équilibres économiques, commerce, ce travail de révision dont on voit, à travers finance. Aujourd’hui, tout conduit c’est-à-dire la dépendance la complexité de la rhétorique du Président inévitablement l’un à dépendre des affaires du fort par rapport au faible Obama, à quel point il est difficile à intérieures de l’autre et donc à vouloir agir accomplir. Difficile de dire d’ailleurs si le sur ces dernières. En cela, on entre clairement dans un monde Président américain ira jusqu’au bout de sa logique. Il reste post-souverain. prudent, et se montre souvent équivoque et ambiguë dans ses Cela ne veut pour autant pas dire que l’Etat disparaît. D’abord affirmations. Sa lecture du leadership n’est pas une lecture parce que l’Etat dispose d’une résistance institutionnelle. aisée. Ce qui a manqué dans sa campagne électorale, et même Celle-ci s’incarne avant tout dans la résistance des classes dans ses premiers messages présidentiels, c’est le courage politiques, comme on le voit très clairement à travers le de mettre en place un véritable New Deal international. comportement des chefs d’Etat qui entendent maintenir, voire L’incertitude est donc encore forte sur ce que les Etats-Unis renforcer, la voix des Etats sur la scène internationale. De vont faire de leurs propres faiblesses. plus, cette logique interétatique se maintient dans la mesure Pour autant, je crois que ni la Chine, ni l’Europe, ni personne où notre droit international est un droit interétatique, de même n’est appelé à prendre le relais. Car derrière les faiblesses des que toutes les pratiques diplomatiques. Il n’y a donc aucune Etats-Unis se profile non pas le déclin américain mais la fin de raison de penser que derrière l’affaissement du principe de la puissance. Nous sommes dans un monde où la puissance, et souveraineté apparaît le déclin, et a fortiori la disparition, de surtout la puissance militaire, ne peut plus imposer sa vision. l’Etat. Peut-être parce que nos relations sont de moins en moins Pour autant, l’Etat perd de plus en plus son monopole d’acteur internationales et de plus en plus intersociales, l’action

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7 dossier : PUISSANCE

considérations sur un monde apolaire


Exister sur la scène internationale nécessitera-t-il de recourir à la régionalisation ? On aurait pu le croire. Mais à mesure que s’affirmait la crise économique mondiale, l’Europe, comme d’autres ensembles régionaux, s’est engagée dans une impasse et s’est quasiment mise à reproduire les nationalismes d’antan. La concurrence d’intérêts contradictoires entre les Etats membres de l’Union Européenne est alors devenue évidente. A cet égard, l’imprudent élargissement à l’Est a conduit à une telle diversification des paramètres à l‘intérieur même de l’Union Européenne que le processus d’intégration régionale en est devenu factice et illusoire. L’Europe traverse désormais la plus grave crise de son histoire. De même, les autres grandes constructions régionales, après avoir connu un grand succès, stagnent voire régressent. Tous ces ensembles qui avaient pris leur envol, comme le Mercosur, l’ASEAN, ou même la SADC, ne semblent pas prendre pour le moment le dessus sur la crise. Le Japon tente d’exister sur la scène internationale sans possibilité de recourir offensivement à la force. L’influence peut-elle alors être crédible sans la puissance ?

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trouver entre cette part de particularisme dont nous avons besoin et ce grand vecteur d’universalité qui est indispensable pour que le monde, tout en demeurant plural, soit encore suffisamment synergétique. Le nucléaire est-il et sera-t-il l’instrument central de la puissance, notamment en tant qu’égalisateur des forces entre les pays qui le possèdent ? Le nucléaire est en train de changer de nature. Il perd de sa pertinence militaire et stratégique car, à mesure qu’il prolifère, il devient de moins en moins un marqueur décisif de puissance. L’hypothèse d’une guerre nucléaire, n’est plus aujourd’hui prise au sérieux. En revanche, le nucléaire gagne une importance politique dans la mesure où il permet de distinguer une aristocratie constituée des Etats dotés de l’arme nucléaire. On voit donc se développer une volonté croissante, notamment de la part d’acteurs marginalisés, exclus, voire humiliés, de rentrer dans le jeu international par l’acquisition de l’arme atomique. À cet égard, les cas nord-coréen et iranien sont prototypiques. L’acceptation de la prolifération lors de la fabrication des armes nucléaires indienne, pakistanaise et israélienne, a entraîné la nucléarisation de facto du grand Moyen-Orient. Chacun des acteurs de la région cherche à son tour mécaniquement à se distinguer et à se hisser parmi l’élite nucléaire.

dossier : PUISSANCE

L’influence appartient à une toute autre logique que la Le multilatéralisme sera-t-il l’instrument de l’émergence puissance, et elle marque des points. L’Europe, par exemple, des BRIC ? Ces pays s’imposeront-ils à travers des a su influencer ses voisins, comme la Turquie qui dans son institutions comme l’ONU ou par d’autres moyens ? objectif de rejoindre l’Union Européenne a profondément Cette émergence a déjà eu lieu. La scène internationale a été changé. Le rejet actuel de la candidature turque nous conduit transformée par la montée en puissance des BRIC (Brésil, dès lors à l’absurde , voire à un réel danger. Russie, Inde, Chine), ou encore de l’IBAS (Inde, Brésil, Dans ce monde mondialisé et interdépendant, chaque acteur Afrique du Sud). Ces pays se sont distingués en ayant acquis dispose donc de considérables Les BRIC prennent chacun à leur depuis plusieurs années déjà une ressources pour faire valoir ses droits, véritable diplomatie mondiale. sa vision, ses attentes, même s’il manière le multilatéralisme comme Le Brésil joue partout, y compris n’est pas superpuissant. L’économie, point d’appui au moment où les en Afrique. La Chine est présente, mais aussi la culture, la religion ou paradoxalement non pas partout, puissances classiques semblent s’en la manipulation identitaire en font mais là où elle a besoin de l’être, se partie. Cela peut se faire de même détourner désintéressant de questions pourtant à des niveaux micro-sociologiques, fondamentales comme le conflit israélo-palestinien, ou le comme par rayonnement, par réticularisation, c’est-à-dire dossier irakien. L’Inde est sur une pente semblable de même par la construction de réseaux multiples extra-étatiques et que l’Afrique du Sud. Ils prennent chacun à leur manière méta-étatiques. le multilatéralisme comme point d’appui au moment où les puissances classiques semblent s’en désintéresser et s’en détourner. Il s’agit donc d’un phénomène en cours depuis La langue anglaise s’impose partout, tandis que des entités plusieurs années déjà. comme l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et le Commonwealth constituent une part de leur Après l’effondrement du Bloc Soviétique, la Russie a influence sur l’unité linguistique. Les langues sont-elles quasiment disparu de la scène internationale. Assiste-t-on à une reconquête de la puissance ? essentielles pour avoir une influence ? Le meilleur exemple de la capacité des langues est en effet la manière avec laquelle la culture anglo-saxonne s’est imposée à notre monde contemporain. Cela m’alerte car, même si il est fondamental de disposer d’un dénominateur commun permettant à tous de communiquer, il reste néanmoins indispensable que demeure la particularité de chaque langue afin que la subtilité et la spécificité de chaque culture puissent spontanément s’exprimer. L’équilibre est donc difficile à

donc par leur affirmation internationale. Il n’est donc pas étonnant de voir une diplomatie russe de plus en plus active, cherchant à renouer avec le passé et y réussissant d’un certain point de vue, d’autant que les maladresse néoconservatrices ont conduit la Russie à s’imposer comme contrepoids aux Etats-Unis à la fin des années 1990, un peu comme elle l’était du temps de la Guerre Froide. Quel rôle envisager sur la scène internationale pour le continent africain, aujourd’hui sans puissance ni influence ? Le problème de l’Afrique est que ce continent a longtemps été construit comme un « monde inutile ». Le résultat en fut catastrophique. L’Afrique représente moins de 2% du commerce mondial, et s’y concentrent la plupart des pays les moins avancés (PMA), tandis que les indices de développement humain y sont les plus faibles. Tant attendu, le grand plan de relance de l’Afrique est pour l’instant conduit à l’envers. On retourne en effet vers l’Afrique pour se servir à titre personnel, soit pour y exercer une puissance militaire, soit pour tenter d’en extraire à son profit les ressources propres, ou encore pour en faire un champ de réserve de capacités diplomatiques défaillantes. La grande inconnue est donc de savoir comment l’Afrique pourra réellement rentrer dans le système international et qui est en mesure d’être son porte-parole. Les pays du Nord du continent, appartenant au monde arabe, veulent jouer ce rôle mais ne sont pas considérés comme les représentants naturels du continent noir. L’Afrique du Sud qui voudrait aussi pouvoir accomplir un tel rôle est, quant à elle, perçue de manière de plus en plus suspicieuse par la plupart des Etats africains à mesure qu’elle joue dans la cour des grands.

On entend aujourd’hui beaucoup parler d’un supposé déclin français, autant en termes d’influence que de puissance. Partagez-vous cette analyse ? Quelle place peut-on imaginer pour la France dans le monde de demain ? Il est vrai qu’il y a une régression des capacités diplomatiques de la France. Le génie du général de Gaulle avait été de rechercher activement des ressources inédites de puissance capables de remettre la France dans le jeu après la Seconde Guerre mondiale. Il en avait trouvé trois : d’abord l’Europe, d’où l’importance que le Général de Gaulle donnait à la réconciliation franco-allemande. Mais le moteur qu’était le tandem franco-allemand ne joue plus car l’Europe n’est plus la même depuis l’élargissement de 2004. La deuxième niche de pouvoir qu’avait trouvée le Général de Gaulle c’était le pré carré africain, élargi au monde arabe. Or, la Françafrique est aujourd’hui en crise et la diplomatie arabe de la France est quasiment ruinée du fait d’un net réalignement pro-israélien. Reste le troisième qui n’est pas tant imputable au général de Gaulle qu’à ses successeurs qu’était le multilatéralisme. Puissance moyenne, la France s’était rangée parmi les piliers du multilatéralisme. Mais face à la crise du système onusien depuis le départ de Kofi Annan, et face à l’engouement dangereux pour la diplomatie de club, le multilatéralisme n’est plus un instrument efficace. La France n’a plus désormais de levier pour exercer sa politique étrangère. Propos recueillis par Nathan R. Grison Directrice de la Rédaction du Paris Globalist Master Affaires Internationales

La Russie est un cas particulier car Moscou souhaite, non pas émerger, mais rebondir. Ancienne superpuissance, ce pays a tellement souffert de l’effondrement de l’Union soviétique que ses dirigeants ont très vite compris que leur légitimité dépendait de leur capacité à reprendre sur la scène internationale une part de l’initiative et de la puissance dont ils disposaient autrefois. La survie de la société et du système politique russes passent Creative Commons License photo credit : United Nations Photo

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9 dossier : PUISSANCE

internationale appelle désormais d’autres recours que celui de la force.

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Entretien avec Hubert Védrine

10 dossier : PUISSANCE

Hubert Védrine est diplômé de Sciences Politiques, licencié en histoire, et ancien élève de l’ENA. Il est appelé en mai 1981 à l’Elysée par le Président Mitterrand comme conseiller diplomatique. Hubert Védrine est ensuite nommé porte parole de la Présidence de la République et conseiller pour les affaires stratégiques (1988-1991), puis Secrétaire général de l’Élysée (1991-1995). De juin 1997 à mai 2002, il occupe le poste de Ministre des Affaires étrangères dans les gouvernements de Lionel Jospin. En 2003, il crée « Hubert Védrine Conseil », société de conseil en géopolitique et stratégies internationales. En 2007, le Président de la République Nicolas Sarkozy, lui confie le Rapport sur la Mondialisation. Hubert Védrine est l’auteur de nombreux ouvrages de relations internationales et d’atlas géopolitiques. En 2009, il publie notamment Le temps des chimères, recueil de textes et d’articles ainsi qu’un Atlas des crises et des conflits avec Pascal Boniface.

P

ourriez-vous dresser une cartographie des rapports de force dans le monde contemporain ?

Après la fin de l’Union Soviétique, les Occidentaux ont crû être entrés dans un monde global, post-historique, post-identitaire et post-national, dominé par eux, et notamment par l’hyperpuissance unipolaire des Etats-Unis. Les Occidentaux ont vécu un temps dans le confort de ce rêve aux formes gentilles mais un peu niaises, qui comportait par ailleurs des formes dures, comme l’a montré l’Amérique de Georges W. Bush. Or, c’est tout à fait le contraire qui se présente à nous aujourd’hui. La réalité contemporaine est celle des émergents, qui n’avaient pourtant été vus pendant des années que sous un angle économique, comme des marchés d’exportation potentiellement porteurs. Mais ces marchés émergents se sont révélés être en réalité des puissances émergentes. Nous nous trouvons donc dans une situation complexe, qui se rapproche de ce que Pierre Hassner appelle le désordre stratégique, et qui est le résultat de la fin du monopole occidental. C’est la première fois dans l’histoire du monde que tous les peuples sont politiquement actifs. On retrouve donc un certain nombre de pôles : évidemment les Etats-Unis, même s’ils sont en déclin relatif parce qu’ils sont concurrencés par d’autres pôles émergents comme la Chine. Le Japon est, quant à lui, un pôle qui se maintient bon gré mal gré, tandis que la Russie n’est pas une puissance émergente, mais plutôt surnageante. Il y a par ailleurs des pôles régionaux qui cherchent à devenir mondiaux, comme le Brésil et l’Inde. L’Europe, elle, interroge car elle possède théoriquement la superficie, la population, la capacité économique, et même les armées

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Le sens que je donne au mot hyperpuissance n’est pas celui L’échec de Copenhague a-t-il montré l’échec du modèle de d’une omnipuissance invulnérable. Elle est simplement en gouvernance mondiale ? rupture par rapport à la superpuissance, car les Etats-Unis sont aujourd’hui plus que simplement l’une des deux La gouvernance mondiale n’existe pas. Le mot lui-même est superpuissances de la Guerre froide. L’hyperpuissance est une abusif. Une gouvernance idéale n’existe pas justement car emphase pour décrire ce qui est actuellement la plus grande personne ne gouverne le monde. Le terme de gouvernance, puissance de tous les temps. Il n’y a en effet pas d’équivalent au lieu de gouvernement, est apparu après la fin de l’Union par le passé d’un empire qui ait rayonné à ce point au travers Soviétique, et le délire collectif de la chute du mur. Nous de son soft power sur l’ensemble du monde. Mais aujourd’hui, sommes allés prendre un mot du jargon anglais de la Banque même l’hyperpuissance américaine ne peut maintenir, dans le mondiale pour montrer que les problèmes n’étaient plus meilleur des cas, qu’un leadership relatif, et cela représente un politiques mais organisationnels. C’est à ce moment là que changement. le mot gouvernance a tout envahi. Or, c’est une erreur. Nous Sur le plan économique, la crise a représenté l’effondrement ne sommes pas dans une phase de l’histoire du monde dans de l’économie-casino qui s’était imposée laquelle il s’agit simplement de Le passage de ce monde sous prétexte de dérégulation depuis plus s’organiser sous l’égide du FMI, de de vingt ans. Et, sur le plan géopolitique, bipolaire, puis unipolaire, à un la Banque mondiale et de l’OMC. la crise a un effet d’accélération pour monde multipolaire chaotique, C’est une vision technocratique des phénomènes qui avaient déjà débuté complètement abstraite qui ne auparavant. Même si les Occidentaux ont instable et compétitif bouleverse correspond pas à la réalité. Il n’y a pas été complètement victimes d’une illusion les puissances occidentales de gouvernance autre que le rapport d’optique dans les années 1990, le fait de force du moment. que la Chine émerge est connu depuis longtemps, de même Excepté le Conseil de Sécurité de l’ONU, la plupart des que l’émergence d’une trentaine d’autres pays. La crise est organismes ne sont pas des pouvoirs. Ce sont des enceintes venue renforcer ces phénomènes, et notamment la force de au sein desquelles la compétition continue, y compris le l’Asie. G20. Copenhague a montré que les opinions publiques européennes sont sur une ligne complètement différente Les ONG sont-elles des acteurs légitimes des relations du reste du monde. Leurs gouvernements aujourd’hui sont internationales ? souvent à la remorque des opinions publiques, et les dirigeants L’exagération idéologique des quinze dernières années selon européens se sont eux-mêmes fait des illusions énormes sur laquelle les Etats sont dépassés a entraîné un procès en leur capacité à mobiliser leurs homologues. Il était évident illégitimité contre les Etats et les gouvernements. Cependant, qu’aucun pays émergent n’allait accepter d’arrêter de croître au moment de la crise, ce sont ces mêmes gouvernements qui pendant trente ans jusqu’à ce que des technologies vertes nouvelles apparaissent. Comment a-t-on pu organiser une ont été appelés à la rescousse. L’idéologie ONG qui prétendait, dans son exagération, telle auto-intoxication collective qui a amené à croire que supplanter les gouvernements et avoir une légitimité plus forte c’était le sommet le plus important de l’époque moderne ? que ces derniers a donc montré ses limites. Cela ne veut pas La gueule de bois européenne post-Copenhague est

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11 dossier : PUISSANCE

La fin du monopole occidental

pour devenir un pôle mondial, mais il lui manque une volonté dire que les ONG ne vont pas continuer à exister. Cependant, claire des peuples qui la composent de transformer l’usine à les pseudos nouveaux acteurs sur lesquels se base ce discours ne sont en réalité pas si nouveaux, mais la crise est venue gaz européenne en polarité. Au-delà, on retrouve toute une série de pays qui ne sont pas remettre de l’ordre dans la hiérarchie des acteurs. À l’évidence, les concepts qui ont des pôles en tant que tels mais qui vont jouer un rôle dans le rapport de force. Il Nous entrons dans une phase dominé après la fin de l’URSS ne pourra s’agir de l’Arabie Saoudite, du d’instabilité durable. Il n’est pas sont donc pas opérants. L’idée d’une communauté internationale est une Mexique, de la Turquie, de la Corée, approprié de parler d’un monde sympathique et belle aspiration, mais de l’Iran sous un autre régime, ou de pays émergents comme la Thaïlande, ou multipolaire comme un schéma force est de constater que le monde ne forme pas encore une telle communauté. encore le Maroc. architecturé et stable La société des Nations n’était pas une La situation mondiale est donc particulièrement complexe aujourd’hui. Nous entrons en société, mais bien plutôt une jungle des nations, de même effet dans une phase d’instabilité durable. Il n’est donc pas qu’aujourd’hui, les Nations Unies sont loin d’être unies. Cette approprié de parler d’un monde multipolaire comme un aspiration kantienne est évidemment compréhensible mais schéma architecturé et stable à l’image de ce qu’était la Guerre elle n’est pas opérante en réalité. froide. Aujourd’hui, nous ne savons pas ; d’où la nécessité Il faut distinguer les acteurs vrais dans la foire d’empoigne absolue de revenir à l’analyse des relations internationales au générale. C’est pour cela qu’il faut revenir à une analyse de sens propre. La sympathique communauté internationale est la géopolitique qui n’égare pas les gens en parlant de l’ONU, des mécanismes du droit international, etc… Je respecte ces un beau concept, mais pour plus tard. concepts comme aspiration, ou idéalisation, de l’organisation L’hyperpuissance américaine a-t-elle trouvé ses limites du monde, mais il ne faut pas se tromper sur ce qui fonctionne dans la crise économique actuelle ? réellement aujourd’hui.


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incompréhensible. Elle n’est que le résultat d’attentes chimériques. Il en était déjà de même avec la Déclaration du Millénaire, lettre au Père Noël dont aucun objectif n’était atteignable. Il en va de même de la Cour Pénale Internationale. Toutes ces institutions sont forgées sur de nobles sentiments, mais il faut accepter que le monde ne fonctionne pas ainsi. C’est peut-être triste, mais il faut revenir à l’analyse des mécanismes vrais. Les Etats ont besoin de décider collectivement, mais ils restent les acteurs de cette décision collective. La stratégie nucléaire occupe-t-elle une place centrale dans les rapports de force internationaux ? Il faut avant tout relativiser l’importance de la question nucléaire. Des puissances nucléaires existent et le resteront, mais la situation d’un monde dénucléarisé, dont parlait Reagan et dont reparle Obama, est fortement improbable. Pour abandonner totalement les armes, il faudrait que les dirigeants soient entièrement convaincus que le monde est sûr et sans danger. Cela n’est pas évident, et un monde dénucléarisé n’est pas forcément un monde plus sûr. En revanche, la marge de manœuvre pour le désarmement est conséquente. Même pour dissuader, les Etats-Unis et la Russie n’ont pas besoin d’autant d’armes. Le concept français de dissuasion « niveau minimum » a de beaux jours devant lui. Somme toute, la prolifération est restée limitée. A l’époque de Kennedy, on pensait qu’il y aurait jusqu’à quarante puissances nucléaires dans le monde.

En réalité, la question nucléaire est contrôlable tandis que les nouveaux enchaînements de puissances sont incertains. Le passage de ce monde bipolaire, puis unipolaire à un monde multipolaire chaotique, instable et compétitif bouleverse les puissances occidentales qui ont du mal à gérer ce nouveau leadership relatif. Va-t-on réussir à gérer collectivement ce système avec cinq ou six pôles et une trentaine d’émergents ? Le problème de cette gestion collective sera primordial. Dans ce monde désordonné, certains pays comme la Suède, choisissent la neutralité comme stratégie d’influence. Est-ce judicieux ? Dans le système Est-Ouest, on pouvait être neutre, mais aujourd’hui la stratégie de neutralité n’a plus aucune signification réelle. Il ne s’agit que d’un mot fétiche. De plus, un pays ne choisira de stratégie d’influence que lorsqu’il n’aura plus de puissance. Tant que les pays ont de la puissance, ils l’utilisent et la complètent : au hard power, ils ajoutent le soft, et si possible le smart. Mais les pays européens, pour compenser leur perte de puissance, ont théorisé le fait que le soft power était mieux que le reste. En réalité, ils redoutent le hard power depuis 1945. Voilà pourquoi l’Europe échafaude collectivement cette idée de puissance par exemplarité : superpuissance morale, elle se pose en prédicateur mondial. Pour autant, toutes les stratégies d’influence ne sont pas à bannir, mais il faut veiller à la surinterprétation angélique souvent attribuée à l’influence.

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en politique ils remettent en cause le statut du monde issu de l’après 1945, mais la comparaison s’arrête là. Leurs désaccords sont multiples et aucune alliance solide ne peut Bien sûr que la France compte. C’est d’ailleurs le seul pays qui s’établir entre eux. Pour comprendre leurs comportements, il compte et qui se pose la question. Pourtant, beaucoup de pays faut analyser plus en détail la stratégie indienne ou chinoise. européens comme la France ont été des puissances dominantes Ainsi, l’Inde est une puissance régionale évidente, mais et ne le sont plus. Mais en France, cette interrogation demeure, elle n’est pas dévorée par l’envie de devenir une puissance affreuse, brûlante, quotidienne. Son handicap réside dans son mondiale. Précautionneuse, l’Inde pourrait y être amenée incapacité à trouver un équilibre. Alternant entre des sursauts par son besoin de matières premières, d’énergie et par la hystériques qui clament sa « vocation avec la Chine. L’Inde Le contournement des verrous compétition universelle » et l’excès inverse subit un effet d’entraînement. Si le qui empêchent la réforme du gouvernement indien exprime depuis d’abandon et de laisser-aller, notre pays peine à se trouver une position stable. Conseil de Sécurité pourrait peu son souhait de jouer un rôle en La France doute car nous avons Afghanistan c’est parce qu’il voit d’un bien s’opérer via le G20 longtemps assimilé le fait d’avoir une mauvais œil le rapprochement des politique étrangère à la domination des autres. Comme nous Etats-Unis avec le Pakistan. Petit à petit, dans le G20, l’Inde ne sommes plus dominateurs, nous pensons que cela ne vaut sera amenée à se positionner sur des sujets variés de plus en plus le coup et qu’il vaut mieux tout abandonner. Or, si l’on plus nombreux, lui faisant accéder à un statut international regarde la hiérarchie mondiale, on s’aperçoit qu’après les de fait. Etats-Unis, il y a une dizaine de puissances qui comptent encore, parmi lesquelles la France qui siège au Conseil de Faut-il chercher à promouvoir la démocratie à travers le Sécurité, détient l’arme nucléaire, participe au G7 et au G20. monde, que ce soit par la coercition ou par l’influence ? De surcroît, la France possède une langue de communication Aujourd’hui, on ne peut plus se poser cette question de façon internationale et elle a tort de négliger cet atout. Tandis que théorique car nous disposons d’expériences précises qui nous les Britanniques refinancent l’enseignement de l’anglais en ont démontré les limites de cette ingérence. Les Occidentaux Inde, que les Chinois développement leur système d’Instituts ont longtemps prêché, voire menacé d’autres pays, sans pour Confucius sur l’ensemble du globe, et que les Allemands autant réussir à changer fondamentalement ce qu’est la Chine, promeuvent leur langue en Europe Centrale, en France nous ou la Russie, ou ce que sont les pays arabes ou africains. considérons la politique linguistique comme ringarde. L’efficacité de ces politiques droits-de-l’hommistes est très Plutôt que de se poser des questions existentielles, la France faible. Les droits de l’homme sont fondamentaux, mais le devrait se focaliser sur ses intérêts stratégiques essentiels afin droit-de-l’hommisme consiste à en faire le contenu même de de les défendre, tant au niveau national qu’au niveau européen la politique, du simple prosélytisme. et multilatéral. Bush a adopté cette ligne car il essayait d’échapper à la Quel sera l’avenir de l’ONU ? Faut-il réformer le Conseil question palestinienne à la demande du Likoud, et a voulu détourner le sujet en affirmant qu’il fallait d’abord changer de Sécurité ? les pays arabes, de gré ou de force. La situation de l’Amérique L’ONU n’est qu’un cadre et le nom donné à la salle de réunion. à la fin de l’administration Bush a prouvé l’échec de cette Fort heureusement, il existera toujours un endroit où discuter politique. Le bilan global des Occidentaux en matière de collectivement. La SDN comme l’ONU ont été créées par les propagation de la démocratie est ainsi minime. Imposer la vainqueurs qui ont imposé leur organisation. Or aujourd’hui, démocratie en partant de zéro, de l’extérieur, dans des pays nous n’avons pas de vainqueur, d’où le non-aboutissement où les esprits, les mentalités, les comportements, et l’appareil des divers plans de réforme qui se succèdent depuis une d’Etat ne sont pas préparés, est amplement illusoire, voire vingtaine d’années. Pour élargir le Conseil de Sécurité et le dangereux. rendre plus représentatif, il faudrait déjà s’accorder sur la liste Les Européens se sont intoxiqués avec cette idée d’ingérence des pays. Mais la Chine met son veto contre l’entrée du Japon, démocratique car ils ont voulu croire qu’ils vivaient dans certains pays européens refusent l’entrée de l’Allemagne, et un monde post-historique et post-traumatique sans enjeu personne n’est en mesure d’imposer une quelconque réforme. stratégique ni géopolitique. L’idéologie droit-de-l’hommiste a En revanche, si dans le cadre du G20 les pays prennent tout envahi et l’Europe est devenue une Europe missionnaire l’habitude de travailler ensemble, peut-être qu’alors, dans et prosélyte, autant que Bush peut-être. Cela, l’Occident le cinq ou dix ans, cela paraîtra absurde que la Chine bloque fait depuis toujours : le droit d’ingérence remonte à Urbain l’entrée de l’Inde et du Japon au Conseil de Sécurité alors II qui a prêché la première croisade. Or l’Occident n’a plus qu’elle travaille déjà pleinement avec eux par ailleurs. Le le monopole, son attitude est remise en cause dans ce monde contournement des verrous qui empêchent la réforme du multipolaire où il y a d’autres puissances et où il faut négocier Conseil de Sécurité pourrait bien s’opérer via le G20. sur chaque point avec réalisme. Peut-on réellement considérer les BRIC comme une catégorie à part entière ? Les émergents ne sont pas forcément homogènes. Certes, ils ont en commun d’avoir une croissance très rapide, et

Propos recueillis par Narhan R. GRison et Eléonore Peyrat

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La France compte-t-elle internationale ?


de puissance du Kremlin

Profitant de la hausse des cours mondiaux d’hydrocarbures de ses dernières années, le retour de la Russie sur le devant de la scène mondiale sous l’ère Poutine a donné à sa politique de puissance une configuration singulière, marqué par l’influence notable du consortium gazier Gazprom.

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n ce début de XXIème siècle, la Russie cherche par tous les moyens à maintenir son rang de grande puissance sur l’échiquier mondial. L’élite dirigeante russe peut compter pour cela sur un atout majeur : l’arme énergétique. Plus puissant que jamais avec l’envolée du cours des matières premières, le potentiel énergétique, couplé au contrôle des voies d’exportations, offre un levier d’influence décisif à la Russie à l’égard de ses clients, aussi bien dans son « étranger proche » qu’à la confluence de l’Europe et de l’Asie. Avec

31% des réserves mondiales de gaz, le cœur de cette stratégie d’influence internationale est concentré sur un acteur particulier, le consortium gazier Gazprom. À travers une reprise en main méticuleuse, la classe dirigeante russe s’est ainsi employée à faire du géant gazier la figure de proue de son dessein de puissance. Dans la définition d’une nouvelle politique étrangère russe mêlant tentations néo-impérialistes et soft power, Gazprom occupe désormais une place emblématique.

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pour la Fédération de Russie, à la fois d’un point de vue des velléités impérialistes du pays, vivant dans la nostalgie d’un espace géographique immense et redouté ; mais également dans un souci de survie économique, les énergies constituant une source de revenue indispensable à l’autonomie du pays. »

Mais l’élite russe définit aussi une stratégie de puissance plus originale, intégrant une sorte de soft power. Pour les libéraux partisans d’une telle perspective, le mastodonte Un événement significatif du poids croissant de Gazprom Gazprom peut servir de vecteur d’influence internationale, au cœur du régime russe a été le choix porté sur Dimitri qui se substituerait en quelque sorte à celle que représentait Medvedev comme successeur de Vladimir Poutine à le communisme autrefois. Les libéraux comprennent que le pouvoir d’attraction de l’élection présidentielle de 2008. Ce juriste proche de Poutine, désigné Dans la définition d’une nouvelle Gazprom est indispensable au pour ménager une place de choix politique étrangère russe mêlant consortium gazier pour bénéficier investissements étrangers au nouveau Premier ministre au tentations néo-impérialistes et soft des indispensables à sa modernisation. sommet de l’Etat, avait surtout été le président du conseil d’administration power, Gazprom occupe désormais Ce versant de la politique étrangère russe s’est tourné tout de Gazprom depuis 2002. Depuis ce une place emblématique naturellement vers l’Europe, poste clé, et fort du soutien du géant gazier, il a su s’imposer au sein de l’élite dirigeante. Dans la fortement dépendante du gaz russe. Profitant des directives plus pure tradition de la nomenklatura soviétique, deux clans européennes sur la libéralisation du marché de l’énergie, s’affrontent aujourd’hui dans les arcanes du pouvoir : les Gazprom a pu développer des liens étroits avec les opérateurs siloviki, partisans d’une ligne dure, autour de Poutine, et les gaziers européens, usant de clauses pour vendre directement siviliki, les libéraux représentés par le nouveau président russe son gaz aux consommateurs européens, ou pesant de tout son et forts du ralliement de Gazprom. La politique étrangère poids pour promouvoir la construction de nouveaux gazoducs russe, et le rôle que doit y jouer Gazprom, est ainsi le produit ralliant l’Europe. C’est le cas du projet de gazoduc « South Stream » qui devrait atteindre l’Italie en 2015. C’est surtout de ces rapports de force dans l’élite dirigeante. le cas du tracé « North Europe », prévu pour 2010 bien qu’il Nouvel instrument de hard power, l’arme du gaz offre aux concurrence le projet de gazoduc européen « Nabucco ». conservateurs, partisans d’un pouvoir de contrainte à l’égard de « l’étranger proche » de la Russie, un levier redoutable. Néanmoins, l’idée d’un Gazprom auquel rien ne résiste a été L’exemple dans toutes les mémoires reste celui du long bras remise en cause depuis la crise financière d’octobre 2008 qui de fer opposant la Russie à son voisin ukrainien depuis la a frappé très sévèrement le consortium gazier. Ainsi le fleuron Révolution orange de 2004, qui porta au pouvoir le leader de l’économie russe s’est révélé à cette occasion être un de l’opposition Victor Iouchtchenko. Au terme de deux colosse aux pieds d’argile, souffrant, qui plus est d’une brutale chute de la demande énergétique, « guerres du gaz », en janvier 2006 et janvier 2009, au cours Gazprom a pu développer des liens de gigantesques problèmes de desquelles les coupures de étroits avec les opérateurs gaziers corruption, d’un manque de et d’attractivité. livraisons de Gazprom ont été européens, pesant de tout son poids compétitivité Le futur du géant gazier pourrait ressenties jusqu’en Europe, la facture gazière de l’Ukraine a pour promouvoir la construction de donc devoir passer par une cure été réalignée sur les cours du nouveaux gazoducs ralliant l’Europe d’austérité, de même que par un considérable renforcement des marché, c’est-à-dire multipliée par quatre. De manière moins médiatique, le Belarus a dû projets vers l’Asie, porteuse des potentialités de croissance céder face aux pressions de Gazprom pour le contrôle de son de demain. Au final, Gazprom peut se confondre avec la gaz, afin d’éviter un renchérissement du prix de ses livraisons Russie, son activisme international ne souffrant d’aucune contestation, mais sa puissance réelle court le risque d’être de gaz russe. celle d’un tigre de papier. Les ambitions de Gazprom se focalisent aussi autour des ex-républiques du Caucase comme d’Asie centrale, dont la compagnie cherche à intégrer au maximum les réserves à son dispositif. Ainsi la problématique énergétique n’est pas absente de la guerre contre la Géorgie de 2008, un pays par lequel gazoducs et oléoducs peuvent contourner le territoire russe. Gabrielle Chomentowski2 a expliqué au Paris Jérémy Armand Globalist que « ces différents cas nationaux démontrent toute Étudiant en 3ème année l’importance que revêt une entreprise telle que Gazprom En échange à l’Université du Michigan

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Un empire qui s’étend jusque dans la banque, la construction, les transports, ou les médias. Gabrielle Chomentowski est Docteure en science politique spécialisée sur la Russie, actuellement ATER à Sciences Po Paris

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Gazprom : au cœur de la nouvelle stratégie

Sous la houlette du Kremlin, le consortium gazier se hisse rapidement au rang de géant énergétique, à la tête d’un empire colossal1 ne pesant pas moins de 8 % du PIB russe et disposant des plus importantes réserves de gaz de la planète. Mais loin d’être un simple pion dans le jeu russe, Gazprom a des arguments à opposer face au Kremlin. L’Etat et la société gazière sont en effet deux entités étroitement imbriquées, qui s’influencent mutuellement.


La nouvelle politique régionale de Beijing : Hu Jintao est-il un nouveau Bismarck ?

Depuis le milieu des années 1990, la Chine s’est engagée de plain-pied dans la construction d’un nouvel ordre régional. Doit-on y voir une instrumentalisation temporaire ou une vision à long terme ?

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17 chinois. En accentuant son interdépendance avec ses voisins, le régionalisme rend chaque jour le recours au conflit plus onéreux alors que la floraison de forums et de sommets régionaux réduit le coût de la coopération tout en augmentant son efficacité.

Côme Dechery Étudiant en année de césure, assistant au Bureau de presse du Point à Pékin.

Le régionalisme devient alors pour Beijing une stratégie visant à convertir sa puissance en influence. En se liant partiellement les mains, la Chine apaise les peurs de l’Asie. Parallèlement, elle construit les fondations de son soft power : influence culturelle au travers de ses Instituts Confucius, ouverture sur le monde par l’accueil de 65000 étudiants asiatiques dans ses universités, etc. Le régionalisme devient alors une alternative à la « tragédie des grandes puissances »4 en permettant à l’architecture internationale de faire place à un nouveau pouvoir sans heurts ni conflits.

L’ASEAN+3 (incorporant la Chine, le Japon et la Corée) est en effet l’espace de libre échange le plus peuplé du monde (2 milliards d’habitants) et le 3ème plus riche (3 trilliards de dollars de PIB cumulé). 2 À l’exception notable de sa dispute avec l’Inde (actuellement en cours de négociation) et de ses disputes sur ses frontières maritimes – notamment avec le Japon (Îles Diaoyu) et Taïwan. 3 Miles Kahler est professeur de Relations Internationales à l’International Relations and Pacific Studies (IRPS) Graduate School - Université de Californie à San Diego (UCSD). 4 Expression utilisée par l’universitaire américain John Mearsheimer pour décrire la fatalité d’un conflit entre pouvoir ascendant (la Chine) et pouvoir dominant (les Etats Unis). Se reporter à « The Tragedy of Great Power Politics », New York: Norton, 2001 1

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es jours où, au plus fort de la Révolution Culturelle, la L’enthousiasme régional de la Chine est-il cependant Chine cherchait à exporter son maoïsme et à déstabiliser sincère ? Force est de constater que la volte-face chinoise ses voisins semblent révolus. La gestion responsable de n’est pas arrivée à n’importe quel moment. La Chine est par la crise financière asiatique de 1997 par exemple devenue aujourd’hui un partenaire Beijing semble en effet avoir convaincu La Chine est devenue un constructif dans les négociations nucléaires ses voisins que l’on pouvait désormais lui moteur du régionalisme avec la Corée du Nord. Cependant, l’attitude faire confiance. Depuis, le pays est devenu chinoise n’a changé que car Beijing s’est asiatique un moteur du régionalisme asiatique. La aperçue que la menace nord-coréenne signature d’un accord de libre-échange entre la Chine et risquait de donner aux Etats-Unis une bonne excuse pour l’ASEAN en 2002, a ainsi marqué la création du plus vaste mettre à jour ses alliances avec le Japon et la Corée du Sud, marché du monde1. La Chine a également été le maître un résultat potentiellement désastreux pour la diplomatie artisan de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) chinoise. De même, les multiples disputes territoriales entre – une organisation destinée originellement à combattre les la Chine et les pays de l’ASEAN ne se sont calmées que « nouvelles menaces » (terrorisme, crime transnational, lorsque les dirigeants chinois ont réalisé que Taïwan pourrait séparatisme) mais qui s’est aujourd’hui étoffée pour devenir déclarer son indépendance. Ne pouvant mener une guerre un centre de dialogue portant sur l’aide au développement et diplomatique (voire militaire) sur deux fronts, la Chine a alors la sécurité énergétique de la région. préféré calmer le jeu. Cette vigoureuse stratégie a eu deux retombées positives pour Pour de nombreux experts, la Chine instrumentalise le la région. Elle a tout d’abord permis de développer largement régionalisme. Son enthousiasme ne serait qu’un subtil les liens économiques entre la Chine et ses voisins. Durant réajustement tactique destiné à prévenir les tensions et la seule année 2002-2003, la Chine a augmenté la valeur de coalitions qui pourraient retarder son accession au statut de ses échanges avec l’ASEAN de 36,5%. En outre, les tensions superpuissance. À la manière de l’Allemagne bismarckienne régionales se sont considérablement apaisées. Depuis 1996, dans l’Europe du concert des nations, la Chine cherche à isoler Beijing a clairement délimité, au travers d’une série d’accords ses rivaux potentiels et à empêcher la formation d’alliances bilatéraux, 20222km de frontières, mettant ainsi fin aux dirigées contre elle au travers d’une politique de la main disputes territoriales2 qui empoisonnaient la plupart de ses tendue vers ses voisins les plus importants. Elle coopérerait relations avec l’extérieur. Parallèlement, le pays a cherché à alors tout en attendant son heure. bâtir un climat de confiance et à rassurer ses voisins quant à 3 la croissance continue de ses forces armées. En joignant des Comme l’explique Miles Kahler au Paris Globalist , « il serait forums régionaux comme l’ARF (ASEAN Regional Forum) naïf de penser que la Chine ne mène pas une politique régionale ou le CSCAP (Council on Security le régionalisme a sa dynamique intéressée. Tous les Etats du monde font de même. Cependant, ce n’est pas parce Cooperation in the Asia Pacific), la propre et limite la marge qu’elle poursuit ses intérêts qu’elle sera Chine a cherché à faire preuve de plus de toujours en mesure d’obtenir le résultat d’action de la Chine transparence. Elle a également cherché à qu’elle désire ». Qu’il soit utilisé de réduire le mystère entourant son armée en opérant en 2003, pour la première fois depuis 1954, des exercices militaires manière stratégique ou non, le régionalisme a sa dynamique propre et limite la marge d’action de la Chine. De fait, en conjoints avec le Pakistan, la France et le Royaume Uni. 2008, l’Asie représente 36% de la valeur du commerce


Le Soft Power au cœur du crime organisé mafieux parvient à s’institutionnaliser, ce soft power criminel se substitue presque entièrement au hard power (intimidation, menace, violence). La réelle puissance d’une OCT, son pouvoir coercitif, réside dans sa capacité d’influence. Le soft power définit le stade ultime de l’évolution criminelle. Une organisation criminelle n’atteint les sommets de la puissance que lorsqu’elle parvient à s’institutionnaliser, à se fondre dans le paysage économique, social et politique d’un pays, jusqu’à en devenir un élément à part entière. On constate que les poids lourds du crime organisé mondial (triades chinoises, mafias italiennes, yakuzas japonais, fraternités criminelles russes) sont devenus des institutions dans les pays où ils sont actifs, que ces derniers soient démocratiques ou non. Cette institutionnalisation a été possible grâce à la es entités non-étatiques que sont les Organisations combinaison de plusieurs facteurs : une présence forte et Criminelles Transnationales (OCT) sont engagées dans durable sur un territoire donné, la pénétration des sphères des jeux de puissance et d’influence qui obéissent à d’autres décisionnelles de ce territoire, un déploiement de puissance règles que celles qui prévalent traditionnellement dans les important (effectifs criminels, structure, renouvellement, relations internationales. Dans les rapports entre mafias, le discipline interne) et une part de mythe qui ajoute une soft power est autrement plus important que le hard power. Le dimension supplémentaire à la stricte dynamique criminelle. pouvoir d’une OCT se calcule surtout à son degré d’influence Cette institutionnalisation, qui renforce le pouvoir coercitif et d’attractivité. La démonstration de la puissance par la des mafias, est concomitante au développement du soft power force est un signe de faiblesse. Pour le criminologue Xavier criminel. Raufer1, « les menaces mafieuses «classiques» ne sont que Différents exemples illustrent cette institutionnalisation des la partie émergée de l’iceberg ». Les affrontements sanglants organisations criminelles. En Sicile, les grandes entreprises sont marginaux dans le système criminel international. En qui s’installent incluent dans leur budget une « clause mafia » : coulisse et au quotidien se joue une guerre autrement plus elles réservent une somme d’argent destiné au pizzo, l’impôt intense et beaucoup moins spectaculaire. mafieux, et cèdent au racket sans intimidation préalable. A Contrairement aux idées reçues, la domination criminelle ne New York, le secteur de la construction est sous la tutelle des s’acquiert pas à coups de revolver. L’usage de la force est le signe cinq familles de La Cosa Nostra new-yorkaise, qui coopèrent d’une certaine fragilité et d’un manque d’autorité. Le degré de dans la répartition des parts de marché. Leur emprise est telle violence d’un groupe criminel est même proportionnellement que ce sont les entrepreneurs qui sollicitent eux-mêmes la pour gagner des marchés. Ces inverse à son niveau de pouvoir réel. La Si le groupe mafieux parvient à Mafia deux exemples n’ont rien d’anodin guerre du narcotrafic qui se déroule au Mexique en est aujourd’hui un exemple s’institutionnaliser, ce soft power quand on sait que le racket est frappant. Le Cartel de Ciudad Juarez est criminel se substitue presque l’instrument premier du contrôle criminel. Ils montrent que les gens engagé dans un conflit meurtrier avec entièrement au hard power ont accepté l’autorité mafieuse et la des groupes rivaux depuis plusieurs années. Cette force criminelle reconnue peine à exercer une force de contrainte quasiment naturelle qu’elle exerce. autorité durable et doit faire parler les armes pour s’assurer un Le soft power criminel n’est pas réservé aux espaces aussi semblant de domination. criminalisés que la Sicile. L’exemple du contrôle criminel des La capacité à contraindre demeure une condition ports de Montréal et Melbourne illustre bien la suprématie du fondamentale de l’exercice criminel, mais elle doit s’opérer soft power. Ces deux ports sont sous le contrôle incontesté sans violence pour être efficace et durable. La notion de du crime organisé irlandais (le West end Gang à Montréal, « puissance criminelle » s’affranchit de la nécessité d’une et le Clan Moran à Melbourne) qui règne sur ces lieux démonstration physique de la force : elle devient soft power, économiques et criminels stratégiques. Ce pouvoir ne s’est ou capacité d’influence par persuasion, sans recours à la force pas acquis uniquement par la force : il est principalement le (Machiavel parle de « craintes respectueuses »). Si le groupe fruit d’une présence durable (ces deux groupes sont en activité

A l’image du système étatique, le Soft Power est devenu un attribut majeur des rapports de force criminels. Derrière l’image de violence extrême qu’il véhicule, le monde du crime organisé privilégie surtout des enjeux de domination culturelle où il s’agit davantage de gagner les esprits que de dégainer les armes.

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depuis plusieurs décennies) et d’une parfaite infiltration l’Herrschaft wébérien. Dés lors, les organisations criminelles des différentes institutions liées à l’activité portuaire. Voilà fournissent une alternative à la domination étatique et mettent comment avec un niveau de hard power limité, un groupe en péril les fondements politiques de l’Etat. criminel peut jouir d’une influence Les formes les plus dangereuses Il s’agit donc de faire de la limitation majeure. du développement du « soft power Les formes les plus dangereuses et les et les plus avancées de menaces criminel » l’enjeu premier de la lutte plus avancées de menaces criminelles criminelles ne sont pas celles contre le crime organisé. C’est une ne sont pas celles qui fondent leur ardue qui confère davantage à qui fondent leur pouvoir sur la tâche pouvoir sur la violence, mais celles qui la violence symbolique et aux autres s’institutionnalisent et qui disposent violence, mais celles qui disposent aspects intangibles du monde criminel. d’une influence quasi-naturelle. d’une influence quasi-naturelle. Elles privent les Etats d’une partie de leur souveraineté et parasitent leur autorité. Max Weber voyait dans le monopole de la coercition légitime l’attribut substantiel de l’Etat. En augmentant directement le pouvoir coercitif des mafias, le soft power constitue le danger principal du phénomène criminel. Il repose sur une stratégie Corentin Valleray d’attraction plutôt que sur une stratégie de menace. Il offre Diplômé du Master Sécurité Internationale donc aux mafias une posture quasiment légitime, et en fait Diplômé de l’Institut de Criminologie de Paris, Département des autorités morales capables de susciter l’obéissance, de recherche sur les Menaces Criminelles Contemporaines

-Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études à l’Institut de Criminologie de Paris, et auteur de plusieurs ouvrages sur le crime organisé et le terrorisme.

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impressions et réalités de l’influence iranienne au Moyen-Orient

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Les interventions des Etats-Unis au Moyen-Orient, dans les années 2000, ont entrainé une recomposition des rapports de force régionaux. Les Américains ont certes mis fin à deux régimes hostiles à l’Iran, en Irak et en Afghanistan, mais ils encerclent désormais la République islamique. Aujourd’hui décrit par la plupart des capitales occidentales comme la principale menace à la paix et la sécurité dans la région, le poids du régime iranien peut toutefois être relativisé. La puissance de l’Iran ne serait-elle pas illusoire ?

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Dans les Etats arabes, de nombreux chiites entreprennent de s’engager pour revendiquer un traitement plus équitable. Au Bahreïn et en Arabie Saoudite, des révoltes éclatent. Chaque trouble est dénoncé par les régimes arabes comme une ingérence iranienne. Au Liban, le mouvement chiite Hezbollah, créé et soutenu par l’Iran, élargit son audience. Le retrait israélien du Sud Liban, en 2000, et l’impuissance d’Israël lors de la guerre de 2006 renforcent son prestige. La République islamique confirme cette image de résistant à Israël en nouant une relation étroite avec le Hamas. Vali Nasr qualifie de moment prussien le « renouveau chiite » de la République Islamique depuis les années 2000. Pour autant, l’Iran n’est pas une puissance entière. Selon Bernard Hourcade2, dans une interview accordée au Paris Globalist, « l’Iran est surévalué ». La menace iranienne est instrumentalisée politiquement. D’une part, Israël utiliserait le risque d’une attaque de l’Iran pour justifier son refus de reprendre les négociations avec les Palestiniens. D’autre part, le président iranien Ahmadinejad joue de cette situation pour rallier des soutiens internes et externes à ses initiatives. De fait, la situation géopolitique de l’Iran s’est compliquée depuis les années 2000. L’échec de l’Iran tient à ce que les attaques du 11 septembre 2001 ont été menées par des sunnites et que ce sont ensuite les forces américaines qui sont intervenues pour mettre un terme aux régimes sunnites menaçant l’Iran. En d’autres termes, la République Islamique aurait failli à assumer son rôle de leader de la lutte anti-impérialiste contre les Etats-Unis.

’influence de l’Iran au Moyen-Orient a longtemps été limitée. L’Etat iranien suscite traditionnellement crainte et mépris chez ses homologues arabes. De confession chiite, les Iraniens sont considérés comme des hérétiques par les sunnites. L’importance démographique de l’Iran, avec près de 75 millions d’habitants, son poids énergétique et sa position stratégique lui confèrent néanmoins un statut de puissance régionale incontestable. D’ailleurs, les mutations des années De plus, l’Iran se détournerait de son ambition d’exercer un 2000 semblent avoir permis une extension de l’influence leadership régional, ses priorités actuelles étant la préservation iranienne. Jouant sur la disparition de Les mutations des années des fondamentaux du régime et la protection régimes voisins hostiles, des communautés de son territoire. De ce fait, la République 2000 semblent avoir chiites en effervescence et des mouvements Islamique est dépendante des Etats-Unis. armés en quête de patronage, l’Iran permis une extension de En effet, tant que les forces américaines s’affirme comme un acteur de premier plan seront présentes dans la région, la stabilité l’influence iranienne sur la scène politique du Moyen-Orient. de l’Irak, de l’Afghanistan et du Pakistan est en partie garantie. C’est donc un repli des Etats-Unis que Après le 11 septembre 2001, l’intervention américaine en l’Iran pourrait craindre. Afghanistan met fin au régime des talibans, sunnites radicaux qui constituaient une menace potentielle pour l’Iran. En 2003, Par ailleurs, l’influence de la République Islamique sur les l’invasion américaine de l’Irak provoque la chute de Saddam chiites de la région n’est pas synonyme de puissance car le Hussein, l’adversaire de l’Iran pendant la guerre de 1980 à régime n’est pas capable de contraindre ses alliés à faire ce 1988. Selon Vali Nasr1, la disparition du régime baathiste qu’il voudrait qu’ils fassent. Ainsi, au Liban, le Hezbollah constitue une victoire stratégique pour la République s’affirme de plus en plus comme un acteur politique autonome. Islamique. Celle-ci est renforcée par la nature du nouveau En Irak, l’Iran n’exerce pas de pouvoir réel. Les chiites pouvoir irakien. En instituant un régime démocratique dans ce irakiens et iraniens sont certes liés, par des réseaux religieux, pays à majorité chiite, les Américains favorisent indirectement économiques et familiaux, mais chaque communauté est la montée en puissance de cette communauté. marquée par le nationalisme.

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Enfin, la question du nucléaire devrait être appréhendée comme un enjeu géopolitique ancien pour l’Iran, et non comme l’expression des volontés incontrôlées du Président Ahmadinejad. À cet égard, il convient de rappeler que ce programme nucléaire a connu ses premiers développements à l’époque du Shah. Fonder une stratégie efficace, et empêcher que l’Iran ne se dote de l’arme nucléaire, implique donc L’Iran n’est pas une d’appréhender son programme puissance entière comme un enjeu national. Adopter une perspective radicale, notamment en ce qui concerne les sanctions, tend en effet à renforcer les initiatives jusqu’au-boutistes du gouvernement actuel. Sur le plan de la politique intérieure, l’ouverture vers l’Iran impulsée par le Président Barack Obama a entraîné une recomposition des alliances qui pourrait mettre en péril les équilibres du régime. Les discours d’apaisement du Président américain ont en effet rendu possible une rupture entre deux courants jusque là alliés, les nationalistes et les islamistes. C’est cette dynamique nouvelle qui s’est manifestée lors des élections de juin 2009. Or, ce sont essentiellement des préoccupations internes qui fondent les choix des dirigeants iraniens. Cette variable mériterait donc d’être prise en considération dans l’évaluation de la puissance de l’Iran. Les années 2000 ont été marquées par une affirmation de la menace iranienne, dans le discours. S’il est incontestable que la République Islamique dispose de plusieurs relais au Moyen-Orient, son influence ne lui confère pas des marges de manœuvre effectives. C’est donc une appréciation mesurée de la puissance iranienne qui est nécessaire pour permettre, éventuellement, l’apaisement des tensions politiques régionales.

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L’Iran en puissance :

Camille Le Coz Étudiante en 5ème année Double Diplôme SciencesPo/LSE en Affaires Internationales 1 Vali Nasr est professeur de Politique Internationale à la Fletcher School of Law and Diplomacy de l’université Tufts. Il est spécialiste des questions du Moyen Orient et de l’Islam et l’auteur du Le Renouveau chiite, publié en France en 2008. 2 Bernard Hourcade est un géographe spécialiste de l’Iran. Il est actuellement Directeur de recherche au CNRS.

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22 dossier : PUISSANCE

Creative Commons License photo credit : hdptcar

Chaque haut sommet de l’Union Européenne est l’occasion de revenir sur l’histoire en dents de scie d’une défense communautaire à l’émergence improbable. Le Traité de Lisbonne est venu rappeler la difficulté à franchir le pas vers la création d’une armée européenne en réaffirmant à nouveau la souveraineté des Etats en matière militaire. Une Union Européenne sans armée est-elle une puissance incomplète ?

S

ur un continent meurtri par l’atrocité des deux guerres mondiales consécutives, l’idée européenne est née, scellée de la promesse d’une paix structurelle entre Etats voisins. Elle mettait alors fin à une longue rivalité franco-allemande en créant des institutions qui seraient espaces de dialogue et de confrontation pacifique. Ainsi naissait l’aversion européenne pour le pouvoir militaire, antagoniste de son objectif politique de coopération interétatique.

Toutefois, l’inconstance d’une armée exclusivement modelée sur des contributions volontaires réduit considérablement les bénéfices qu’apporterait une armée européenne intégrée. Mais ce projet nécessiterait la constitution d’un conseil des ministres de la Défense. Delphine Deschaux-Beaume1, dans un entretien avec The Paris Globalist, insiste sur « le problème de coordination entre les politiques d’acquisition d’armements et la politique de défense ». Les moyens

Après le refus du Parlement français de ratifier la Communauté Européenne de Défense en 1954, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, créée en 1949, est apparue comme le cadre exclusif d’une défense commune européenne. La fin de la

Delphine Deschaux-Beaume , enseignante à Sciences Po Grenoble, a réalisé sa thèse sur la sociologie historique de la Politique européenne de sécurité et de défense. 2 Jean-Paul Hebert est chercheur au Centre interdisciplinaire de recherches sur la paix et d’Etudes stratégiques, 3 Titre de l’ouvrage de Patrice Buffotot, Europe des armées ou Europe désarmée ?, publié aux éditions Michalon en 2005.

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Judith Chetrit Étudiante en 4ème année Master Affaires Publiques, filière Culture.

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23 dossier : PUISSANCE

Quand l’Union Européenne accouchera t-elle de son armée ?

guerre froide et l’élargissement européen ont rendu le projet militaires s’avèrent désordonnés et le problème de leur d’une défense communautaire autonome plus hypothétique adéquation témoigne de leur inefficience, bien que l’Europe devant la méfiance des Etats d’Europe de l’Est, ravis par la des armements soit une puissance technologique affirmée. solidarité transatlantique naissante avec Constituer une armée européenne L’idée d’une armée les Etats-Unis. La Pologne, la Hongrie et est donc perçu comme le moyen de la République Tchèque sont entrées dans européenne se heurte rationaliser un outil militaire coûteux et l’OTAN en 1999, cinq années avant de de mutualiser les intelligences militaires à la question de son rejoindre l’UE, en mai 2004. Néanmoins, dont les Etats-membres disposent. En commandement les frontières de l’OTAN ne coïncident pas 2007, le budget européen alloué à l’aide avec celles de l’UE : l’Irlande, l’Autriche, humanitaire et à la politique étrangère et la Finlande, la Suède, Chypre et Malte n’en font pas partie et de sécurité commune représentait 5% du budget européen bénéficient d’un statut de neutralité. total. L’éparpillement et le manque de formalisation de ses ressources ainsi que l’insuffisance de ses dépenses Le préambule du traité de Maastricht en 1992 a marqué la militaires expliquent les carences de l’Europe de la défense. naissance d’un embryon de politique étrangère de défense et de sécurité commune. Il affirme que les Etats-membres se Cependant, la relative impuissance coercitive de l’Union sont « résolus à mettre en œuvre une politique étrangère et de Européenne est compensée par sa puissance normative sécurité commune, y compris la définition progressive d’une incarnée par la Cour de Justice des Communautés politique de défense commune, qui pourrait conduire à une Européennes ou l’influence de la Cour Européenne des défense commune ». L’Europe de la défense alors envisagée est Droits de l’Homme. L’Union Européenne réinvente à sa davantage une Europe de la sécurité qui promeut le maintien manière l’idée de puissance, l’imprécision sémantique de la paix et la multiplication de missions humanitaires, et de la notion lui permettant de jongler entre d’une part non la défense territoriale des Etats-membres. L’Union des capacités de persuasion et négociation à travers ses Européenne obtient de meilleures performances dans la mise institutions et d’autre part des capacités militaires par le en œuvre d’instruments dits d’accompagnements de crise qui relais de ses Etats-membres. Bien que l’essence même de reflètent sa puissance civile, à l’image du soutien financier l’Union Européenne l’ait conduite à restreindre les volontés apporté aux pays en développement à travers des programmes de puissance des Etats qui la composent, elle additionne humanitaires ou d’aide alimentaire. néanmoins les éléments de puissance pour modifier son statut de nain politique et militaire. « L’armée européenne De plus, l’idée d’une armée européenne se heurte à la question serait un besoin si l’Union Européenne était une entité de son commandement. L’Allemagne, l’Espagne, la France, politique » explique Jean Paul Hebert2 au Paris Globalist l’Italie et le Royaume-Uni sont les puissances européennes en s’appuyant sur l’idée militaire, en tant qu’expression du qui investissent le plus dans leur défense en pourcentage de pouvoir régalien d’un Etat européen. leur PIB (plus de 65% des dépenses européennes de recherche militaire). Selon le traité de Lisbonne entré en vigueur En l’absence d’une armée, l’Union européenne serait-elle en décembre 2009, un Etat rallie les opérations militaires démunie face à un conflit militaire se jouant sur son européennes sur une base volontaire. Un Etat-membre ne peut propre territoire ? On se rappelle l’impuissance de l’Union donc être contraint de rejoindre les rangs européenne face à la situation dans les La relative impuissance de l’armée européenne qui n’est, dès Balkans au début des années 1990, coercitive de l’Union lors, que simple agrégation des armées qui a rendu nécessaire un fort soutien des Etats-membres. Ce traité représente Européenne est compensée par américain. Les limbes de l’Europe de toutefois une innovation puisqu’il la défense sont à rechercher dans ses sa puissance normative propose de créer des « coopérations failles constitutionnelles et politiques, structurées permanentes » entre plusieurs Etats sur certains pour ne pas que le projet d’une Europe des armées domaines militaires sous l’égide de l’Agence Européenne de n’aboutisse à une Europe désarmée3. défense, sans que l’unanimité des autres Etats-membres ne soit requise.


Afghanistan, la bataille des cœurs Neuf ans après le début de l’intervention en Afghanistan, la question de l’avenir du pays se pose avec acuité. A l’heure du bilan, force est de constater que les Occidentaux ne sont pas parvenu à imposer leur modèle. Cependant, en l’absence d’alternative crédible, le destin des Afghans demeure en suspens.

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Force est de constater pourtant qu’aucun modèle concurrent ne semble être en mesure de gagner l’ensemble de la population et assurer la reconstruction de l’Etat afghan.

dossier : PUISSANCE

Le modèle taliban, s’il propose un cadre idéologique, politique et religieux complet et cohérent, est entaché par la dure expérience qu’en ont faite les Afghans pendant cinq ans (1996-2001), une période marquée par le recul économique, le délitement de la structure étatique et l’intolérance religieuse pour la majorité de la population. Formés dans les madrasas pakistanaises et financés en grande partie par le Pakistan – les salaires, dit-on, de l’administration talibane étaient versés directement aux fonctionnaires par le Pakistan – les Talibans sont assimilés à l’action de la puissance voisine. L’expérience difficile du régime taliban et la dépendance à l’égard de l’étranger sont des obstacles structurels à l’horizon des prochaines années, qui rendent peu crédible le rétablissement de l’autorité talibane à Kaboul, malgré les avancées notoires des derniers mois et les efforts récents du Mollah Omar.

Les seigneurs de la guerre, les warlords, qui se sont imposés depuis la Loya Jirga - l’assemblée constitutionnelle - de juin Sans entrer dans les débats sur la crise du modèle occidental, 2002 comme des acteurs incontournables de la vie politique il est certain que ce modèle, dans sa version libérale portée afghane, n’offrent pas de modèle global de société. Au par les Etats-Unis, n’a plus la force et le rayonnement qui contraire, leur puissance fondée sur la culture du pavot et le étaient siens à la suite de ses deux victoires sur le nazisme système de domination qui l’accompagne s’est étendue grâce et sur le communisme. Cette crise, qui dépasse la situation au délitement de l’autorité centrale et à la fragmentation du afghane, n’en est pas moins ressentie à travers le prisme de territoire induites par l’intervention militaire. Ironiquement, l’intervention militaire. Cible permanente des discours talibans ils sont les grands gagnants de l’opération « Enduring et nationalistes, le modèle occidental est systématiquement Freedom». Leur forte assise locale repose précisément sur remis en cause et dénoncé dans ses de modèle consensuel et Cible permanente des discours l’absence incohérences: une erreur d’aiguillage structurant à l’échelle nationale. Leur lors d’un bombardement qui frappe talibans et nationalistes, le modèle vision de la société est assimilable des civils ne peut être qu’une occidental est systématiquement tout au plus a un système économique destruction intentionnelle, étant proche du féodalisme, garanti par un donné la supériorité technologique remis en cause et dénoncé dans ses service de sécurité musclé. Quant occidentale. Ce discours associant au gouvernement d’Hamid Karzai, incohérences infaillibilité et posture dominante du il suffit de dire qu’il satisfait les modèle américain, encourage auprès des Afghans le cynisme warlords pour comprendre que son influence et sa crédibilité et l’incrédulité. Les postures maladroites et simplificatrices ne s’étendent guère au-delà des marches du palais présidentiel de l’OTAN dans ses Information Operations, programmes de Kaboul. destinés à convaincre les Afghans de la légitimité de la présence occidentale, achèvent de saper la crédibilité des Il semble fort difficile, dans le contexte actuel, de s’extraire de l’impasse idéologique afghane. Bien que certains y voient forces militaires.

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25 la manifestation pratique du fameux choc des civilisations, une analyse appropriée du contexte national met en évidence l’indigence de l’offre idéologique.

afghane. En conclusion, rompre avec l’image de citadelle imprenable s’impose comme une étape incontournable, pour les Etats-Unis et ses alliés, du rétablissement de la crédibilité d’un modèle fondé sur des valeurs de tolérance, d’égalité et d’ouverture.

« Ils peuvent tuer toutes les hirondelles, ils n’empêcheront pas la venue du printemps » dit un proverbe afghan. La réintégration de l’Afghanistan dans la Rétablir ce prestige et effacer communauté des Etats garantit l’aide l’image chaotique du pays au développement, mais fait aussi écho aux racines identitaires du pays. Capitale est un désir porté par de orientale de l’empire d’Alexandre, étape nombreux afghans incontournable de la route de la soie, l’Afghanistan a une longue tradition d’échange et d’ouverture. Rétablir ce prestige et effacer l’image chaotique du pays est un désir porté par de nombreux Afghans. Les exilés de la guerre civile revenus en masse au début des années 2000, mais aussi les jeunes – plus de la moitié de la population a moins de 16 ans – sont les plus sensibles à cette réintégration. La progression de l’accès collectif à Internet jusque dans les Anna Schuster villes moyennes de province où les cybercafés se multiplient Etudiante en 4ème année, Master Affaires Internationales est un indicateur significatif d’ouverture au monde. Cet article a été réalisé avec l’aimable collaboration de A l’horizon des dix prochaines années, les Occidentaux peuvent miser sur ce désir d’intégration, à condition qu’ils l’encouragent et dépassent l’ambiguïté de l’intervention en Afghanistan, entre volonté de s’engager et rejet de l’identité

Robert Kluijver. Professeur à Sciences-Po, il a travaillé pendant six ans en Afghanistan, sous le régime des talibans, puis pour l’UNAMA (United Nations Assistance Mission to Afghanistan) et l’Open Society Institute.

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dossier : PUISSANCE

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n mars 2009, le livre blanc sur la stratégie américaine en Afghanistan et au Pakistan faisait état d’un déficit de confiance envers les Etats-Unis. A ce déficit qui ne sera pas passé inaperçu au reste du monde, les stratèges de Washington répondent par une solution presque intuitive: une meilleure coordination et une gestion plus effective de l’aide au développement américaine et internationale. Sans doute les promesses de l’aide, une économie stable, une démocratie forte et une société civile florissante, sont les conditions nécessaires à la normalisation des relations internationales du pays avec le reste du monde, et à l’éradication à long terme de la menace talibane en Afghanistan. Cependant cette réponse procède d’une inversion de paradigme fort embarrassante : le succès de l’aide dépend de l’adhésion des populations et donc précisément de la confiance qu’elle prétend rétablir. Comme l’affirme Joseph Nye dans son article The Velvet Hegemon, le succès de l’intervention militaire dépend de la capacité des Etats-Unis à fédérer ses alliés autour de valeurs menacées et à rallier les éléments modérés de la société afghane au modèle libéral. Mais une telle politique d’influence est elle encore possible dans le contexte afghan ?


Comment le Japon développe-t-il au travers du soft power sa diplomatie culturelle et sa capacité d’influence sur le monde ?

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aire du Japon une nation pacifique ouverte aux échanges culturels », voici le leitmotiv du rapport remis en 2005 par le Conseil pour la promotion de la diplomatie culturelle. L’objectif, ainsi défini, de la diplomatie d’un Japon « entravé » par son article 9 et l’interdiction du recours à la force, ainsi que par l’encadrement très strict des modes d’intervention des Forces d’autodéfense, serait de promouvoir la paix mondiale au nom de l’idéal de la nation pacifique (heiwa kokka) et d’inciter au dialogue des cultures et à la coexistence (kyôsei). Ce fut grâce au développement de sa puissance financière au cours des années 1980 que le Japon s’est imposé comme l’un des principaux donateurs publics internationaux, renforçant ainsi un soft power compensateur. Et, bien que les difficultés

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consommateurs au niveau de vie élevé et entièrement acquis aux modes de consommation japonais, bien que très critiques vis-à-vis de l’interprétation historique du Japon et du tournant nationaliste pris à partir des années 1980. En Occident, le boom de la culture populaire japonaise est croissant depuis plus d’une vingtaine d’années.

dossier : PUISSANCE

Les années 1980 ont également été le théâtre du tournant Quel bénéfice le Japon en a-t-il retiré ou en espère-t-il ? Il est culturel pour le soft power japonais. En effet, la « décennie possible de prendre l’exemple du manga, le plus frappant tant perdue » des années 1990 ne l’a pas été pour tout le monde. Si dans son expansion rapide que dans la place primordiale qu’il semble avoir pris dans l’imaginaire des économiquement et socialement, le Japon a peiné à la surmonter, cette période a aussi "A cool diplomacy for a cool jeunes générations. Leur vision du Japon été celle d’un bouillonnement de la culture Japan" résumerait bien le a changé et les mythes n’hantent plus tant le Pavillon d’Or, les temples shintô (jinja) populaire japonaise, dont l’exportation s’est accrue depuis les années 1980. Les « mot d’ordre du MOFA à et leur festivals attenants (matsuri) que les rues branchées des quartiers d’Harajuku, produits de plaisir pur »2, destinés à l’homo ses diplomates d’Ikebukuro ou d’Akihabara. L’attractivité ludens post-moderne, se sont répandus à travers l’Asie et l’Occident et parmi eux, un nombre croissant des produits japonais tient sûrement d’un savoir-faire national, de produits Made in Japan, des jeux vidéos adaptés aux largement imprégné de son histoire sociale, politique, consoles du même producteur, aux mangas, animes et films, culturelle et littéraire mais également du fait qu’ils apparaissent accompagnant la culture traditionnelle (théâtre, poésie, comme des « produits de la globalisation culturelle » (JeanMarie Bouissou). Pour autant, l’intérêt pour le Japon et sa littérature). culture s’est accru et in fine le Japon a finalement misé sur C’est à la suite de cette expansion formidable que le une industrie du tourisme, largement délaissée jusque dans gouvernement a progressivement développé le concept les années 1990. En conséquence, le Ministère de la Culture de diplomatie culturelle, dans la droite ligne de l’usage japonais a progressivement mis en place diverses célébrations politique du soft power selon Joseph Nye. Le rapport de 2005, de son patrimoine culturel, notamment par la nomination d’ précédemment cité, lui donne trois objectifs : accroître la « Ambassadeurs » de la culture populaire japonaise, afin de compréhension du pays et améliorer son image en éveillant promouvoir la place du Japon en tant que grand exportateur l’intérêt et la curiosité ; cultiver le dialogue interculturel pour de produits culturels, le deuxième derrière les Etats-Unis. Le prévenir les conflits ; développer des valeurs et des idéaux JETRO, organisme extérieur de promotion économique, s’est universellement partagés. A ces trois objectifs s’ajoutent trois également impliqué au niveau culturel. principes d’action : transmettre une culture plus « cool », mieux adaptée au XXIème siècle ; accepter les autres cultures En contrepartie, le mode d’expression particulier qu’est le pour développer une créativité mutuelle ; contribuer à la manga a été repris dans toute l’Asie et réadapté par certains coexistence en servant de pont entre les cultures et les valeurs. Etats pour développer leur propre industrie culturelle et justifier une certaine indépendance vis-à-vis du Japon. Ainsi “A cool diplomacy for a cool Japan” résumerait bien le mot s’est développée en Corée du Sud et plus récemment en d’ordre du MOFA à ses diplomates. La culture est devenue une Chine une industrie nationale, respectivement du manhwa et affaire de diplomates internationaux et force est de constater du manhua, preuve que des produits culturels renvoient aussi qu’il n’est pas un Etat qui n’ait pris acte de ce changement à des enjeux d’identité et de politique. Il serait cependant et réorienté une partie de l’activité de sa représentation réducteur de limiter le soft power japonais à son industrie diplomatique vers la coopération culturelle et l’exportation culturelle. Claude Meyer3, dans une interview au Paris de biens et d’idées. Le rapport de 2005 insiste entre autres Globalist, rappelle que « si la culture est la première à venir sur la diffusion des produits culturels (J-Pop, films, manga, à l’esprit lorsque l’on évoque le soft power, le Japon a entre anime…) et le développement des capacités et réseaux de autres également exporté très largement ses méthodes de transmission et de collaboration, notamment à destination de production et son système économique au reste de l’Asie l’Asie orientale mais également du Moyen-Orient. Ainsi, le orientale ». soft power japonais n’est pas, en priorité, destiné à l’Occident mais vise d’abord et avant tout ses voisins extrême-orientaux. Comment le Japon pourrait-il utiliser comme instrument de soft power les biens culturels, qui fleurissent sur le marché international  ? Le marché asiatique des biens à haute valeur ajoutée culturelle représente près de 300 millions de

Meyer, Cl., « Chine ou Japon. Quel leader pour l’Asie ? », Presses de Sciences Po, Paris, 2010, p.139 Bouissou, J-M., « Pourquoi aimons-nous le manga ? », Cités n°27, 2006 3 Claude Meyer, docteur en sciences économiques, a longtemps vécu et travaillé au Japon pour une banque japonaise. Il enseigne notamment l’économie internationale à Sciences Po. 1 2

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Sébastien Deniau Étudiant en 5ème année Master Affaires Internationales

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La diplomatie culturelle du Japon

budgétaires l’aient incité à réduire son aide publique au développement, le Japon reste, avec 9,4 milliards de dollars en 2008, le cinquième dispensateur d’aide mondiale. L’Asie, longtemps première bénéficiaire de l’aide japonaise au développement, a cependant été supplantée en 2000 par le continent africain1.


Les bateaux Uros traditionnels abritent désormais les touristes venus visiter les îles.

Le Pérou, entre tradition et modernité

REPORTAGE PHOTOGRAPHIQUE

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u carrefour des Andes et des herbages de l’Altiplano péruvien, les rives du lac Titicaca furent jadis le berceau de civilisations anciennes. Aujourd’hui, la région abrite des populations d’ascendances aymara et quechua, qui luttent pour conserver leur identité culturelle et leur mode de vie traditionnel. Face à l’afflux de touristes, les communautés ont adopté des attitudes différentes et parfois ambiguës. En effet, les voyageurs apportent les revenus économiques nécessaires à leur survie mais aussi les germes du changement menaçant leur identité.

Un habitant des îles Uros montre la composition du sol et la profondeur du lac.

Les îles flottantes du peuple Uros, principale attraction touristique du lac Titicaca, sont aujourd’hui confrontées à une commercialisation effrénée. Le métissage avec des Indiens de langue aymara a entraîné la disparition des Uros pure souche et de leur langue. Ces îles sont confectionnées avec des roseaux légers appelés totora qui poussent en abondance dans les eaux peu profondes du lac. La vie des Uros est

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Les hommes portent des bonnets de laine aux mailles serrées qu’ils tricotent eux-mêmes tout en marchant. Les couleurs ne sont pas choisies au hasard : rouge pour les hommes mariés, rouge et blanc pour les célibataires. Les autres teintes peuvent refléter la position sociale présente ou passée.

indissociable de ces plantes, en partie comestibles, qui servent aussi à réaliser leurs maisons, leurs bateaux et l’artisanat qu’ils vendent aux touristes. Cependant, le mode de vie simple et dénué des anciens Uros se perd progressivement, et de nombreuses familles ne vivent plus à temps plein sur les îles, regagnant leurs maisons de tôle, avec télévision et électricité, dès que les derniers bateaux de touristes ont regagné les rives du lac. Plus éloignés de Puno, les 2.000 habitants de l’île de Taquile ont vécu relativement isolés du reste du pays jusque dans les années 1950. Peu encline aux mariages extracommunautaires, la communauté préserve farouchement son identité et n’est que peu influencée par le modernisme du continent. Ainsi, des traditions ont pu subsister : importante vie communautaire, prise de décision collective, langue quechua ou encore une culture artisanale qui suit des coutumes sociales spécifiques.

Les habitants de l’île de Taquile font revivre les danses traditionnelles mimant le rythme des saisons et des activités agricoles.

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Habitations en totora sur les îles flottantes des Uros.


Le tissage, hérité des anciennes civilisations Inca, Pukare et Colla, fait partie de l’activité quotidienne des habitants de l’île qui ont su maintenir vivants certains aspects des cultures andines préhispaniques. Le tourisme, contrôlé et limité par les habitants eux-mêmes, a favorisé le développement de cette économie textile. Aujourd’hui, les habitants tentent de concilier les changements rendus nécessaires par la demande croissante et le maintien des styles et techniques traditionnels du tissage. Les défis rencontrés par les communautés Uros et taquilienne illustrent la difficile adaptation des populations du lac Titicaca à l’intensification des échanges avec le reste du Pérou et les touristes. Les habitants des îles adoptent des stratégies différentes pour faire face à ces bouleversements mais deviennent progressivement dépendants des revenus générés par le tourisme, au risque de perdre leur identité culturelle, leurs coutumes et leur mode de vie traditionnels.

Costumes traditionnels (et sac Spiderman !).

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Florence Couque Etudiante en 5ème année Master Affaires Publiques

Les femmes tissent de larges ceintures colorées pour leurs maris qui les portent sur des chemises blanches en tissu grossier et d’épais pantalons noirs coupés au mollet.

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REPORTAGE PHOTOGRAPHIQUE

REPORTAGE PHOTOGRAPHIQUE

Crédit photographies : Florence couque

Un enfant de Taquile porte les vêtements caractéristiques de l’île : le chullo, bonnet tricoté avec oreilles, et la ceinture tissée qui illustre le cycle annuel des activités rituelles et agricoles.

Femme aymara sur le bord d’une île Uros.

Les femmes portent de nombreuses jupes superposées et des blouses finement brodées.

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anada has confirmed its remaining 2800 troops to be removed from Afghanistan by end 2011. Over this period, tens of thousands of soldiers from other countries will also leave Afghanistan. It is estimated that approximately one third of all soldiers deployed to Afghanistan will suffer from post-traumatic stress.

The Human Cost of War: How Canada is Coping with its Soldiers’ Mental Health Issues War claims lives not only in combat, but long after, through the intense psychological trauma suffered by soldiers. Canada has taken a unique approach- worthy of consideration- to treating the recent influx of post-combat stress in soldiers. If made easily accessible to all soldiers, this multi-faceted program could impact not only on the victims, but society as well, challenging the general acceptance of war and the traditional way soldiers are deployed.

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The difficulty soldiers face in transitioning from an intense combat zone back to former lives and families is grossly underestimated both by political and military institutions. Some feel an overwhelming sense of guilt having left compatriots in the field, others feel angst related to acts committed or witnessed in combat. The resulting influx of soldiers returning from Iraq and Afghanistan suffering from such psychological trauma is worrisome. According to recent reports by mental health experts, post-deployment military suicides in the US to date outnumber the total combat related deaths in Afghanistan and Iraq combined. In Canada, the number of operational stress injury cases in 2007 represented an increase of over 400% over the five years prior.

result of military service.” These specialized medical facilities are partnered with advocacy campaigns and peer networks to reach out to sufferers. The peer-support program is the most innovative part of treatment: it breaks down the taboo of mental illness by enabling soldiers to share their experiences, in a safe environment. This successful grassroots initiative, coupled with the OSI institution-based programs, has created a multi-faceted, comprehensive and effective approach to treatment. Senator Romeo Dallaire, dedicated advocate of OSISS, believes that “peer interventions are saving us a suicide a day.” Acknowledging the progress made to date, mental health still remains a major issue in the Canadian military. The available programs and services remain reactive, but need to be paired with proactive solutions in order to treat the problem at the root. Canada has recently invested in psychological testing and preventative training in order to better identify symptoms and stress coping abilities of soldiers prior to deployment.

Despite the realization of the tremendous psychological Albeit impossible to make a historical comparison, a clear repercussions suffered by its soldiers, Canada’s security phenomenon of the 20th century is the shift away from agenda and decades-long commitment to human security classical inter-state to intra-state warfare, and thus the is not expected to change in the foreseeable future. What disappearance of clearly identified actors. “Winning hearts has changed within Canada’s military operations is the and minds” of communities also raises the issue of heightened peacekeeping mandate from classic observation to NATO’s, and the UN’s expanded roles in interpersonal interaction with a foreign population, for which soldiers lack One third of all soldiers deployed peace-building. Lightly armed observers have become psychological preparation. With the to Afghanistan will suffer from neutral active combatants, a mandate which disappearance of front lines and the lack post-traumatic stress Canadians have accepted, and with of uniforms, one can neither escape to it, significantly greater risks to their a so-called safe area, nor distinguish between warring factions and civilians. This shift has had a personnel. Today, the number of PTSD affected soldiers seems profound impact on the soldier’s psyche. Exposed to hostile exponentially greater than could have ever been predicted. If environments in active combat for extended periods of time, nothing would indicate that this progressive acknowledgement of the scale of the problem could impact the political will to they are understandably unable to cope. deploy, it has at least piloted the development of infrastructure The US, in their own struggle against stress disorders, have and support systems required behind such military efforts. committed 50 million dollars to conduct research in order to address the issue of post-deployment suicide, but with few Leading in the field of mental health, this visible commitment concrete implementations to date. And yet the urgent need to personnel is a reassuring and humanist approach to a once persists. An upsurge in health claims related to tours in Iraq impersonal and inflexible military institution, a paradigm shift and Afghanistan has resulted in a sharp spike in unprocessed that could very well have future implications on the general health claims from 253,000 to over 400,000. This increase has tolerability of war. slowed processing time and access to treatment, averaging a considerable delay of over five months. Without early detection and treatment, the soldiers’ symptoms of depression, insomnia and flashbacks worsen. This can lead to selfisolation, the inability to work, substance abuse, destruction of families and ultimately, suicide. To address this problem, Canada has adopted an innovative approach to psychological treatment that deserves recognition. Since 2001, ten OSI (Operational Stress Injuries1) clinics have opened across Canada, as well as 19 Support Centers for military families, with a commitment to hire 218 mental health professionals. Dr. Charles Nelson2, Psychologist of the London OSI Clinic, shares his perspective with The Paris Globalist: “For many veterans asking for help does not come easy. Thankfully, the peer-support program with the Operational Stress Injury Support System (OSISS) helps break down the stigma of experiencing mental health problems as a

Katelyn Potter Master Affaires Internationales Membre de la marine canadienne depuis 2002

1 The term OSI was introduced to replace the term stress-related disorders as part of an initiative to de-stigmatize mental illness in the military community. The term “OSI” is not a medical condition: it is to be used within a non medical context to describe various types of psychological difficulties that can develop as a result of military operations. 2 Dr. Charles Nelson, Ph.D., C.Psych, is a Psychologist of the London OSI Clinic, Parkwood Hospital, Canada.

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Brazilian aspirations to become a major global player go beyond that of national rhetoric, with real potential to succeed.

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razil has enjoyed a great deal of popularity over the past few years. President Lula plays an important role on this matter, through his charisma and ability to skillfully govern the giant that Brazil is. Just as interesting is the country’s gain of territory in the international arena regarding Brazil’s ambition to become a major global player. The country has managed to increase cooperation with its neighbors, consolidated alliances overseas and, above all, has gained influence regionally and internationally. Many believe Brazil’s buildup and recent success to be the path the country has tried to follow for so many years, the one that leads to becoming a major actor on the international scene. Will the country fulfill this golden destiny?

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Regarding material aspects, Brazil does not have the ambition to be a military power, having estimated military expenditures close to 2% of what the US have spent in 2006. Then again, Brazil’s opportune geo-political strategy makes it possible to focus on other matters, since the country has the material conditions to do so, presenting the largest territory and population in the region and also having cleverly leaded moderate foreign policies focused on alliances and economic development rather than engage in acts of force.

In addition, there is great diversity in Brazil’s economy, in various sectors such as oil, mining, agriculture and a new addition, bio fuels, perhaps the most interesting strategic resource, a true coup de génie. Ethanol and bio diesel are both clean technologies, providing a viable market alternative and reduce dependence on fossil fuels. This presents a certain level of independence regarding such energy resources. The high oil prices have given a new strategic value to bio fuels, both economically and politically, becoming a key topic on the international agenda, and subject of the Copenhagen forum. The country also boasts a great capacity to produce hydroelectric energy – about 85% of the country’s consumption - and ranks among the top ten largest oil reserves in the world. In the agriculture sector, the country has become a leader in sectors such as soybeans, cotton, sugar cane, tropical fruits and corn.

Compared to the other BRIC countries, Brazil is recognized as the more democratic and peaceful of the group, with no problems regarding ethnic violence, neighbor enemies nor aspirations to possess a nuclear weapon. With solid institutions and stability, leaders feel greater legitimacy to exercise Brazil’s role as a mediator, which is expressed by its engagement on the Honduras incident and the increasing participation in

Aline Marsicano Figueiredo Étudiante en 5ème année Master Affaires Internationales, En échange à Columbia University Brazil’s, 9.3% in 2008 and 7.9% in 2009; Germany’s, 9.0% and 7.8%; Spain’s, 8.3% and 13.9%.

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Brazil is part of the select group of strong emerging countries referred to as the BRIC countries (Brazil, Russia, India and China). In examining Brazil’s position as compared to the other BRICs, it may appear disappointing, with an economic growth rate of 3,7 % in 2007, far below that of China, 11.7%, or India with 9.0% according to the World Bank. And still, Brazil remains a prospect of success in the international arena. How can this be explained? To begin with, economic growth must be analyzed more thoroughly, because, even if Brazil remains slightly behind the other BRIC countries in terms of economic growth, Brazil can pride itself on having a $1.58 trillion GDP, joining the world’s privileged top ten ranking. The strength of Brazil’s economy and resilience is reinforced by the country’s ability to cope in light of the international financial crisis. Export rates and investments decreased, but did not prevent Brazil from an overall positive performance over the period. And the country has low unemployment rates, comparable to Germany among other European nations, and lower than that of Spain.

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Brazil: The New Eldorado?

These facts point to recent Brazilian triumphs, made international humanitarian missions such as in Haiti. Brazil possible through the empowerment of national political has nonetheless fought to maintain an independent position, institutions and the democratic process. The impeachment in particular regarding trade issues. The attempt to obtain of President Fernando Collor in the 1990’s and reoccurring permanent membership to the UN Security Council is where corruption scandals caused the country as a whole great strife. the strategy focused on international influence becomes more Nevertheless, Brazil has established great political stability, evident and alliances such as the G5 are developed. largely due to President Fernando Henrique Cardoso who struggled to gain international credibility and to combat the In both political and economic terms, Brazil has made hyperinflation. He left a legacy of sound democratic structures considerable progress towards its plan to become the global which enabled future progress, promoting a considerably more player. And yet, it must be recognized that there are no diversified foreign policy, focusing both on trade and political shortcuts. In order to achieve this global status, Brazil must first address many internal issues, influence, in particular throughout South America. MERCOSUR is most Brazil has made considerable such as corruption, general social certainly a product of its era. progress towards its plan to inequalities and substandard education. The success in light of these challenges become the global player President Lula’s arrival in 2003 depends on the continued dedication to brought with him new ambition, in his attempt to intensify its successful strategies and on substantial innovation within relations with neighboring countries. This was perhaps too the aforementioned sectors, the most difficult task. much too soon and put into question Brazil’s credibility in In view of October’s upcoming elections, Lula’s time is quickly the region, specifically through the proximity to the President running out and the rumors that point to a possible “right turn” of Venezuela, Hugo Chavez, and other leftist governments. in Latin America may touch the continental promise that is Some felt that Brazil would act in accordance with leftist Brazil. But whether it be Cardoso’s political party or Lula’s expectations within the region and a partial refusal of the neosuccessor that opens the new chapter of Brazilian history, all liberal model. However, Lula’s government has showed no evidence points to the country’s dedication and capacity to intention of complying, honoring previous trade commitments carry on its march hasta la victoria. and fully abiding by the Washington consensus.

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Après un an de présidence, quelle diplomatie pour Jacob Zuma ? Critiqué en Occident, le président Zuma effectue pourtant des débuts surprenants. S’il honore l’héritage de l’ANC en matière de droits de l’homme, il renforce aussi le leadership sud-africain sur le continent et multiplie les partenariats économiques afin de combattre la récession. La diplomatie sud-africaine semble cesser de voir les relations internationales à travers le prisme de l’apartheid.

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olygame, tribun populiste, acquitté pour des affaires de viol et de corruption : voici comment l’Europe décrit souvent Jacob Zuma, 68 ans, président de la République d’Afrique du Sud, élu depuis près d’un an. Cet habile tacticien s’est fait élire le 20 avril 2009 sur des questions intérieures, en promettant une baisse de la pauvreté et une hausse de l’emploi. Les résultats sont pour l’instant nuls dans ce domaine, un an après le discours d’investiture du 9 mai 2009. Ce jour là, il s’était contenté de réaffirmer les vieux principes de l’African National Congress en politique extérieure :

refus de l’impérialisme, coopération Sud/Sud, promotion des droits de l’homme. On fut loin des desseins de « Renaissance africaine », annoncés bruyamment par Thabo MBeki en 1999. Pourtant, un an après, l’appliquée « diplomatie Zuma » semble avoir réussi ses débuts. Elle s’est d’abord montrée promotrice des libertés fondamentales dans le monde, une orientation depuis toujours inséparable de la politique de l’ANC. La Freedom Charter du 26 juin 1955 indique : “All Shall Enjoy Equal Human Rights […] from South Africa

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Plusieurs réunions ont déjà eu lieu entre l’Afrique du Sud, l’Inde et le Brésil, centrées sur le renforcement de leur coopération économique et environnementale. Jacob Zuma doit prouver à l’aile gauche de sa coalition que sa diplomatie peut aider à faire baisser dans son pays la pauvreté et le chômage, officiellement estimé à 24%. Pour ce faire, Pretoria souhaite renforcer ses liens avec les trois plus grands pôles économiques représentés au nouveau G20 : les Etats-Unis, l’Union Européenne et la Chine. « Le gouvernement sudafricain demande un échange gagnant-gagnant aux grandes puissances : il ouvrirait le marché intérieur en échange d’une coopération dans le domaine de la formation » ont

Louis Boillot Étudiant en 2ème année

Marianne Séverin est Chercheur Associée à Sciences Po Bordeaux - Centre d’Etude d’Afrique Noire (CEAN). Spécialiste de l’ANC, et de la formation du leadership en Afrique du Sud après l’apartheid, elle a en 2009 signé un portrait de Jacob Zuma dans Jeune Afrique. 2 Le gouvernement souhaite par exemple faciliter les investissements de la diaspora en Afrique du Sud. 3 Si Nelson Mandela avait pris parti pour la Chine dans son conflit avec Taïwan, l’exécutif sud-africain ne soutient aujourd’hui plus si explicitement la Chine dans ses conflits territoriaux. 1

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abroad”. Ainsi, en faisant campagne pour l’envoi d’une aide expliqué des sources officielles au Paris Globalist. Et cette humanitaire supplémentaire au Sri Lanka après la défaite des formule convient aux européens, puisqu’elle a été inscrite tigres tamouls en mai 2009, le gouvernement n’a pas dérogé dans la déclaration finale du sommet UE-Afrique du Sud en à cette règle. Sur la question du Darfour, septembre 2009. Zuma et sa ministre des Affaires En fait, l’Afrique du Sud Mais un tel partenariat est encore Étrangères, Maite Nkoana-Mashabane, n’hésite plus à présenter difficile à envisager avec les Etats-Unis. ont indiqué qu’ils arrêteraient le chef Jacob Zuma tente d’effacer les traces sa diplomatie comme un d’Etat soudanais Omar El-Béchir s’il se rendait sur leur sol. Ceci a fortement instrument au service de son des critiques de Washington concernant la politique de santé publique sudmécontenté l’Union Africaine, développement économique africaine. Les propos de Thabo Mbeki, majoritairement opposée à l’application pendant son mandat, contestant l’origine de ce mandat d’arrêt. Toutefois, les Sudvirale du sida avaient été si sévèrement condamnés que Africains ont aussi critiqué le manque de soutien des Nations la défiance historique de l’ANC vis-à-vis des Etats-Unis Unies aux populations du Darfour, empêchant ainsi la rupture est depuis redevenue vive. Le Président actuel s’emploie avec l’Union Africaine. donc à rendre régulièrement hommage à la politique « Cet épisode montre que l’Afrique du Sud souhaite se conformer progressiste » du président Obama, qu’il n’a toujours pas aux règles onusiennes tout en affirmant son leadership sur le rencontré. En revanche, il s’est entretenu de nombreuses fois continent africain, facilité par la personnalité de Jacob Zuma. avec les dirigeants chinois pour augmenter les échanges de En effet, « mises à part les élites occidentalisées, les populations marchandises entre les deux pays, ce qui a fini par nuire au d’Afrique l’apprécient et voient en lui un véritable Africain, gouvernement. En effet, la fabrication en Chine des mascottes fier de sa culture zouloue » assure Marianne Séverin1 au Paris de la Coupe du Monde de football a choqué bon nombre de Globalist. Fort de sa popularité, il a pu mener une action sud-africains. L’Afrique du Sud semble à l’avenir vouloir entre compréhension et fermeté au Zimbabwe. La formation faire de la Chine un discret partenaire économique, et non d’un gouvernement d’union nationale s’éternisait pendant plus politique3. l’intérim de Kgalema Motlanthe à la présidence de l’Afrique du Sud, de septembre 2008 à juin 2009. Depuis, Zuma a durci Jacob Zuma incarne la lente maturation de la diplomatie son discours face à Mugabe, et le gouvernement s’est formé. sud-africaine depuis la fin de l’apartheid. La critique de Mais il ne faut pas exagérer son influence, compte tenu des l’impérialisme ou l’invocation lyrique de la « Renaissance négociations préalables des ministres et du conseil exécutif africaine » ne sont plus au programme. Pretoria agit pour de l’ANC d’un côté, et de l’aide ancrer son leadership en Afrique, Pretoria agit pour ancrer son financière américaine de l’autre. pour porter la voix des pays du Sud et pour dynamiser son économie grâce leadership en Afrique, pour porter En fait, l’Afrique du Sud n’hésite des partenariats avec les principales la voix des pays du Sud et pour àpuissances. plus à présenter sa diplomatie comme A ce titre, la Coupe du un instrument au service de son dynamiser son économie grâce à Monde de football organisée en juin développement économique, ce qui 2010 en Afrique du Sud pourrait être, n’était jamais dit explicitement avec des partenariats avec les principales pour le pays, l’occasion de montrer au Nelson Mandela ou Thabo MBeki. Le puissances monde entier sa qualité de puissance nouveau « Département des Relations émergente dynamique. Ironie du sort, Internationales et de la Coopération » s’appuie d’ailleurs sur « la Renaissance africaine » clamée par l’ancien frère ennemi des agendas de cinq ans contenant de nombreux objectifs de Jacob Zuma, Thabo MBeki, revient au centre de l’actualité. économiques2. Pour les remplir, le Président ne veut s’interdire aucun partenariat.


The Great Game Redux Coined by 19th century British imperialists, the term Great Game was used to illustrate the Russian-British geo-political struggle for dominance on the strategic chessboard of Afghanistan and Central Asia. Marked by limited military engagements and intelligence forays, the Great Game was the Machiavellian embodiment of great-power politics and dominance in the region. Fast-forward to a century later and the game still continues. This time, however, the number of players has proliferated, the intensity of the violence is deadlier and the regional stakes are much higher. Seven years after being toppled by an American invasion, the Taliban has staged a bloody comeback as the besieged Hamid Karzai administration is rapidly losing credibility both home and abroad. Afghanistan is once again a proxy battleground as regional powers such as India, Pakistan, Russia, China and Iran jockey for power and influence in a nation poised on a razor’s edge.

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Augmenting its soft power, India is playing a major developmental role by pledging more than $1.2 billion to build Afghanistan’s shattered infrastructure. Some of the major Indian development projects include the new parliament building, erecting power transmission lines in the north, and building roads to facilitate transport. This rising Indian profile in Afghanistan has rattled Pakistan as the two archrivals escalate their presence in the war-torn country. Pakistani officials accuse Indian embassies and consulates in Afghanistan of arming, training and funding Baloch insurgents as well as elements of the Pakistani Taliban for sabotage and subversion operations against Pakistan. In the same vein, India blames Pakistan for rising attacks against Indian interests within Afghanistan. The Indian Embassy in Kabul has been the site of two deadly suicide bombings blamed on local Taliban elements. Allegedly aided by Pakistan’s Inter-Services Intelligence (ISI), an increasing number of Indian nationals working on reconstruction projects have been targeted. Islamabad’s continuing links with the Taliban, reinforced by Western as well as Indian intelligence sources, stem from its strenuous efforts to contain India and re-gain its lost strategic depth once Western forces evacuate the country. In a rare media briefing to journalists in February, General Ashfaq Pervez Kayani, Pakistan’s powerful Chief of Army Staff, put it succinctly, “We want a strategic depth in Afghanistan but do not want to control it”, he adds, “A peaceful and friendly Afghanistan can provide Pakistan strategic depth.” Pakistan’s readiness to train the Afghan army in response to a similar offer made by New Delhi reflects Islamabad’s concerns over rising Indian influence in Kabul. Expect a rising body count as an intensifying proxy war between the two mortal foes plays out in the Afghan theatre Russia Still smarting from its disastrous intervention in Afghanistan in the 1980’s, Russia has no stomach for another military adventure in the region. Yet, the Kremlin harbors no desire to witness another Taliban takeover in its strategic backyard which could embolden Jihadist fighters in Chechnya,

Dagestan and Central Asia as a whole. Having faced the ignominy of a military defeat in Afghanistan, the Russians are more interested in a diplomatic rather than military solution to the crisis and provide significant economic assistance to the Hamid Karzai government in Kabul. Moscow views with disquiet the increasing American military presence in the region, as well as recent American overtures to Central Asian countries for bilateral transit treaties that would allow the flow of critical military supplies into Afghanistan as an alternative to Pakistan. Not willing to play second fiddle to their Cold War rivals and highly suspicious of Pakistani machinations, the Russians have stepped up their engagement with the Karzai administration in tandem with key players such as Iran and India through regional forums such as the Shanghai Cooperation Organization (SCO). China Another major actor in the arena, China has huge stakes in a stable and prosperous Afghanistan to secure its Western corridor in order tap its growing energy interests in Pakistan, Iran and Central Asia. Moreover, Beijing is wary of a Taliban victory as this could directly impact the restive Muslimmajority province of Xinjiang. Like its enormous African safari, Beijing is also pumping massive economic firepower into infrastructure projects in Afghanistan. With an eye on Africa’s treasure trove of natural resources, China has embarked on a massive aid and investment spree to modernize the continent’s creaking infrastructure by building new and better roads, schools, computer networks, telecoms systems and power plants. While China’s foray into Afghanistan barely measures that of Africa, Beijing has reportedly promised to invest $3 billion in one of the world’s largest copper mines south of Kabul. Through this calculated maneuver, the Chinese have seemingly announced their intentions of leveling the playing field with the US through economic and possibly military assistance to Afghanistan. On the eve of President Karzai’s bilateral visit to Beijing in March, Zhang Xiaodong, Deputy Chief of the Chinese Association for Middle East Studies, told the government-owned China Daily, “As Afghanistan’s neighbour, China is very concerned about the country’s future”. In a subtle hint of shifting geopolitical

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priorities, Zhang hinted, “Afghanistan should cut reliance on the US. At the moment, Washington is deeply involved, and it makes other neighbours nervous. Karzai now hopes to seek more support from other big countries and find a diplomatic balance,» At the twilight of the Afghan War, the stage is set for Beijing’s increasing involvement in its embattled neighbourhood. Iran Finally, Afghanistan’s enormous neighbour to the west, Iran, faces a dangerous ideological adversary in the Sunni Taliban. The Iranians will not easily forego the brutal murder of their diplomats at the hands of the Taliban in 1998 that almost escalated into a military conflict. The regional giant commands significant influence among the Shia Hazara minority as it also pumps in significant economic investment to develop the country. Tehran certified joint investment companies, sponsored food fairs, opened cement factories, extended purchase credits to traders, and trained commercial pilots. The extension of an electric line into the western Afghan city of Herat and joint sponsorship of highway projects with India throughout the Afghan west have been some of Tehran’s key projects. While Iran is loath to accept a Taliban take-over of Afghanistan, it is wary of the presence of US-led NATO troops on its eastern frontier. Pentagon officials allege that Tehran supplies arms and other material to Taliban insurgents and other groups in Western Afghanistan. , With Iran’s deepening ties with various Afghan communities such as the Shia Hazara and others, it is inevitable that any heightening of US-Iranian tensions can be played out in a violent proxy face-off in the fiery deserts of the war-torn nation.

In the aftermath of the London Conference, the end game has intensified fears of further instability as Western forces gear for an eventual withdrawal. Held on January 28th 2010, the London Conference, attended by major actors in the international community, endorsed plans to transfer military leadership from NATO to Afghan security forces beginning at the end of this year and for the reintegration of the Taliban into the Afghan political structure via monetary benefits. Simmering tensions between regional powers are likely to boil over as consensus emerges regarding negotiations with the Taliban. A possible political settlement with the Taliban, with the involvement of Pakistan, is likely to spark reactions from India, China, Iran and Russia including the backing of other anti-Taliban groups undermining any peace and stability in the region. Recent weeks have witnessed an upsurge in regional diplomacy as world leaders shuttled between New Delhi, Moscow, Kabul, Islamabad and Tehran - be it Prime Minister Manmohan Singh’s visit to Riyadh, President Mahmoud Ahmedinajad ’s visit to Kabul, President Hamid Karzai’s visit to Islamabad, or Prime Minister Vladimir Putin’s visit to Delhi. As the clock in Afghanistan ticks down, the coming weeks and months are likely to witness an escalation of intensity in the cloak and dagger game being played between regional powers for the ultimate prize that is Afghanistan.

Brijesh Khemlani Master in Comparative Politics, London School of Economics

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India and Pakistan


Leçons d’Haïti avant la crise A

u correspondant du journal Le Monde qui l’interrogeait sur « l’énorme défi que représente la reconstruction » d’Haïti, le président René Préval répondait : « Le 12 janvier, en une minute l’Etat haïtien s’est effondré ». Ce constat pourrait aisément être appliqué à d’autres acteurs présents sur le terrain lors du récent séisme : organisations non gouvernementales (ONG), dont un grand nombre est issu de la diaspora haïtienne, et organisations supranationales, plus particulièrement l’important contingent de l’ONU à Port-auPrince, que 25 kilomètres à peine séparaient de l’épicentre du séisme, près de Léogâne. Face aux défis immenses auxquels sont confrontés ces deux types d’acteurs, que peut nous apprendre le Haïti d’avant-crise sur la crise actuelle et sa résolution future ?

ONU et ONG avant le séisme, une action difficile

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grandes et localisées de violences.

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Dans plusieurs villes et villages du Plateau Central et de Surtout, c’est l’image de ces deux acteurs qui, avant la crise l’Artibonite, les voitures blanches à lettres noires, ONU, du 12 janvier, n’était pas toujours favorable. Ainsi, certains sont bien connues. En effet, depuis 1993, date de la première habitants de l’Artibonite et du Plateau Central ont rapidement intervention des Nations Unies en Haïti, de nombreuses apposé un épithète aux forces de la MINUSTAH: « volè forces multinationales se sont déployées dans le pays, souvent kabrit », c’est-à-dire des « voleurs de chèvres » contribuant sans pouvoir porter leur mandat à terme. Ainsi, la Mission à ruiner l’économie locale. Plus grave encore furent des accusations de viols, comme en 2005 des Nations Unies en Haïti (MINUHA), confrontée au refus de coopérer des autorités L’élargissement du champ aux Gonaïves. Comme l’explique Patrick haïtiennes, a dû avorter son action. De 1994 à humanitaire ne s’est pas Sylvain1, « Ces accusations concernaient le contingent pakistanais des 2001, d’autres interventions onusiennes ont toujours accompagné surtout forces de la MINUSTAH et, à Port-ausuivi (MANUH, MITNUH, MIPONUH), essuyant elles aussi des revers, avant la mise d’une professionnalisation Prince, l’expression petit pakistanais en est d’ailleurs venue à qualifier les victimes de en opération, en 2004, de la Mission des de ses acteurs viols ». Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH), créée par la résolution 1542 du Conseil de sécurité des Nations Unies et dont la résolution 1892 proroge Plus largement, la vision d’une aide internationale ne servant que ses propres intérêts a souvent été employée dans les le mandat. médias. Ainsi, un article publié le 30 décembre 2009 dans un En parallèle, dans le secteur humanitaire, le nombre d’ONG quotidien national, Le Nouvelliste, déclarait sans ambiguïté a considérablement augmenté en Haïti, après la dictature : « C’est l’étranger qui planifie, finance et contrôle nos duvaliériste (1957-1986) et suite à la première chute de Jean- élections ». Plus loin, le même journaliste qualifiait l’exBertrand Aristide en 1991. Toutefois, cet élargissement du président américain Bill Clinton, devenu envoyé spécial de champ humanitaire ne s’est pas toujours accompagné d’une l’ONU pour Haïti, de « lobbyiste de luxe ». En août 2007, professionnalisation de ses acteurs, et bien que de nombreuses sans toutefois se faire porteur de telles accusations, l’actuel ONG en Haïti fassent aujourd’hui leurs preuves, d’autres ne président René Préval avait lui aussi déclaré à des journalistes parviennent pas à surmonter une réalité souvent difficile : de la BBC que « si l’on demandait au peuple haïtien de dire manque abyssal d’infrastructures (notamment de routes), s’il souhaitait que les forces de l’ONU s’en aillent, il dirait risque permanent d’instabilité politique, vagues plus ou moins oui ». Creative Commons License photo credit : Defence Images

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Il est à souhaiter que le séisme du 12 janvier 2010 permette aux forces onusiennes d’améliorer leur image auprès de la population haïtienne et aux organisations humanitaires de mieux coopérer entre elles, afin que leur action sur le terrain gagne en efficacité.


Gagner en efficacité Aujourd’hui, bien entendu, l’heure est à la gestion de crise et au soutien logistique, sécuritaire et financier (en tête de file, les États-Unis, dont l’aide d’urgence s’élevait à 100 millions de dollars, et la France, qui devrait verser plus de 326 millions d’euros à Haïti). Par ailleurs, la réponse tardive du gouvernement haïtien et le coup porté à la MINUSTAH (qui a perdu, parmi de nombreux employés, son Chef de mission, le Tunisien Hédi Annabi, dans le tremblement de terre) exigeaient de la communauté internationale une réponse commune. Lles efforts de reconstruction devront se poursuivre bien au-delà, dans les mois et années à venir. Avec déjà des séismes majeurs en 1751, 1770, 1842 et 1946, il ne faut pas oublier que le tremblement de terre du 12 janvier 2010 (et sa cinquantaine de répliques) n’est pas le dernier qui frappera Haïti, d’où l’intérêt de regarder en arrière. Le 18 octobre 1751, les dégâts auraient été minimaux lors d’un séisme près de Port-au-Prince, mais plusieurs milliers d’haïtiens (surtout des esclaves) auraient péri suite à une famine dans le pays.

Le contexte aujourd’hui est certes entièrement différent. Pour autant, rester vigilant face aux nombreux risques qui font suite au séisme et apporter une aide sur le long terme n’en demeure pas moins crucial. L’ONU et les ONG auront un rôle clef à jouer en Haïti dans les années qui viennent. Il est donc à souhaiter que l’image des forces onusiennes auprès de la population haïtienne et la capacité de coopération des organisations humanitaires s’améliorent pour que leurs actions sur le terrain soient ainsi rendues plus efficaces. Mikael Schinazi Étudiant en 3ème année à Harvard University

The Paris Globalist - Association loi 1901 27 rue Saint-Guillaume 75007 Paris Responsables : Nathan R. Grison, Eléonore Peyrat, Inès Levy, Judith Chetrit

Directeur de la Rédaction : Nathan R. Grison Rédactrice en chef : Eléonore Peyrat Impression : Impression Design, 17, rue de la Ferme, 92100 Boulogne-Billancourt Date de parution : Octobre 2010 - Dépôt légal : à parution N°ISSN : 1969-1297

Auteur de nombreux ouvrages de poésie et de littérature, Patrick Sylvain enseigne le Créole haïtien à Harvard et Brown University.

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Les chiffres donnés datent de mars 2010.

Valeur : 5,60 € - 2500 exemplaires Tarif d’abonnement : prix normal pour un an (trois numéros) France Métropolitaine : 12,90 € TTC UE : 19,20 € DOM-COM et reste du monde : 22,40 €

Licences Photos: Flickr : http://creativecommons.org/liicenses/by-nc-nd/2.0/ Wikimedia : http://commons.wikimedia.org/wiki/GNU_Free_Documentation_License

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43 Creative Commons License photo credit : United Nations Photo

VUES D’AILLEURS

www.global21online.org/paris Contact : theparisglobalist@sciences-po.org

L’équipe du Paris Globalist remercie pour leur soutien l’Association Française pour les Nations Unies SciencesPo. BNP Paribas

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The Economist & l’Atelier de- VOL. cartographie THE PARIS GLOBALIST IV N°2

de SciencesPo.



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