LE DIVAN DU RENSEIGNEMENT Du latin politia, trouvant son origine dans le grec politeia, en l'occurrence l’art de gouverner la cité et dérivant du mot polis (cité), au fil du temps, le mot police est devenu l’instrument de l'État chargé du maintien et du rétablissement de l'ordre public. Cet ordre puise sa force sur la notion du renseignement issu d’une subtile et discrète infiltration, laquelle doit aboutir généralement à des actions préventives. On ne connaît pas complètement une science tant qu'on n'en sait pas l'histoire. Les services de renseignements au sens générique du terme, est un sujet omniprésent dans notre culture populaire : médias, série, cinéma, romans, etc., au point qu’elle nous semble à la fois familière et méconnue, proche et lointaine, fantasmée et redoutée. A mi-chemin entre l’effroi et la fascination, elle reste
inexorablement la source de ce fantasme de la fonction de la police dans le corps social, qui consiste à traiter de la part sombre de notre nature humaine : la violence, le mensonge, le secret, l'espionnage, la délation et la mort. Toute étude sociologique sur ces services se heurte invariablement aux murs de cette ambiguïté. La police est une institution close, peu encline à la transparence et à l’ouverture. C’est inscrit dans sa nature primaire, presque instinctive. Car la police elle-même cultive cette distance, quitte à parfois déplaire. Dissiper ce nuage de mystère sur la nature de ce corps nécessite obligatoirement d’adopter une approche originale, loin des stéréotypes souvent véhiculés, et à contre-courant des chemins balisés que celle-ci aimerait nous voir emprunter. Le rapport paradoxal à la force est l’un des mythes, participant sans nul doute à notre fascination pour le corps policier. Comme la notion du secret est indissociable au travail de ces services, car c’est le garant de leur efficacité et de la sécurité de leurs éléments, ils n'apprécient guère de voir exposer à la lumière du jour les dossiers, les méthodes, les interventions ou les actions dont la confidentialité leur paraît une condition sine qua non de la réussite de leur mission, de la crainte qu'ils inspirent et de la puissance fictive qui les auréole. Joseph Fouché, maître absolu dans le domaine des renseignements et des tractations souterraines, avait l’habitude de dire que la force de la police tient à ce que l'on ignore ses faiblesses. De ce fait, le nuage de mystère dans lequel les services de renseignement aiment s’immerger, la croyance générale à son omniscience et à son ubiquité qui résulte de cette opacité, le fait que l'on sache qu'ils surveillent constamment faits et gestes concernant la vie privée de chacun, constituent les bases de leur savoir et pouvoir. Du renseignement de source ouverte par l’utilisation d’informations en accès libre , à la veille humaine ayant recours à des agents, initiés, et informateurs, en passant de nos jours, par la
veille automatique basée sur le principe d’interception de systèmes de communication et émissions électroniques etc … Toutes les données et informations ne deviennent renseignement, qu’une fois traitées et analysées. Ces analyses aident les responsables politiques à définir les intérêts nationaux pour mettre en place des stratégies de sécurité nationale cohérentes et adaptées pour anticiper et résoudre les crises et prévenir les menaces pour l’État et sa population. Secret et renseignement sont imbriqués : le premier donne sa valeur ajoutée au second, garantit son intérêt opérationnel et assure son importance symbolique. Les États confient la quête et l’exploitation du renseignement ainsi que l’action clandestine à leurs services dits secrets qui sont les détenteurs des véritables intentions des gouvernements. Les services de renseignement rêvent d’omniscience et d’ubiquité mais gardent ils un chemin pour passer du rêve à la réalité ? Pour revenir à Joseph Fouché, l’homme qui a fait de la trahison un art, et pour avoir une idée plus claire sur le personnage qui aurait pu devenir le beau frère de Maximilien Robespierre si l’issue de son idylle avec Charlotte Robespierre n'avait pas mis fin à leur amitié, ce dernier s’est fait méme élire président du club des Jacobins pour nuire d’avantage à celui célèbre pour sa devise Liberté, Égalité, Fraternité, et qui finira par se faire guillotiné le 28 juillet 1794. La chute de Robespierre marque la fin du grand rôle politique exercé par le club et entraîne sa dissolution en novembre 1794. Et comme disait Chateaubriand, tout à coup, une porte s’ouvre. Entre silencieusement le vice appuyé sur le bras du crime, Monsieur de Talleyrand soutenu par Monsieur Fouché. Emmanuel de Waresquiel, historien, essayiste et biographe, en lisant les travailleurs de la mer de Victor Hugo, la description de la pieuvre l’a fait irrésistiblement penser à Fouché (Fouché, les silences de la pieuvre, Paris, Fayard, 2014). Cette même description m’a fait penser aux services de renseignements en général. Comparées à la pieuvre, les vieilles hydres font sourire.
Si l’épouvante est un but, écrivait Victor Hugo, auteur de ‘’Police partout, justice nulle part’’, la pieuvre est un chef-d’œuvre. La pieuvre n’a pas de masse musculaire, pas de cri menaçant, pas de cuirasse, pas de corne, pas de dard, pas de pince, pas de queue prenante ou contondante, pas d’ailerons tranchants, pas d’épines, pas d’épée, pas de décharge électrique, pas de virus, pas de venin, pas de griffes, pas de bec, pas de dents. La pieuvre est de toutes les bêtes la plus formidablement armée. Qu’est-ce donc que la pieuvre à part ses ventouses... La griffe, c’est la bête qui entre dans votre chair ; la ventouse, c’est vous-même qui entrez dans la bête. Cette loque avance vers vous peu à peu, soudain, elle s’ouvre, huit rayons s’écartent brusquement autour d’une face qui a deux yeux ; Cette bête s’applique sur sa proie, la recouvre, et la noue de ses longues bandes. Ses nœuds garrottent ; son contact paralyse. Elle est inarrachable. Elle adhère étroitement à sa proie. Dans l’absolu, être hideux, c’est haïr. Le difforme se débat sous une nécessité d’élimination qui le rend hostile. La pieuvre en chasse ou au guet, se dérobe ; elle se rapetisse, elle se condense ; elle se réduit à la plus simple expression. Elle se confond avec la pénombre. Elle a l’air d’un pli de la vague. Elle ressemble à tout, excepté à quelque chose de vivant. La pieuvre, c’est l’hypocrite. On n’y fait pas attention ; brusquement, elle s’ouvre. Une viscosité qui a une volonté, quoi de plus effroyable ! De la glu pétrie de haine. C’est dans le plus bel azur de l’eau limpide que surgit cette hideuse étoile vorace de la mer. Elle n’a pas d’approche, ce qui est terrible. Presque toujours, quand on la voit, on est pris. Elle n’a pas d’os, elle n’a pas de sang, elle n’a pas de chair. Elle est flasque. Il n’y a rien dedans. C’est une peau. Le drapé et le nu font partie des réalisations, comme le caché et le révélé, traditionnelles dans les beaux-arts. L’artiste a toujours essayé d'indiquer par des attributs ou des procédés stylistiques, un message qu’il souhaiterait transmettre au pouvoir et
au public. A cet egard, il y a lieu de noter que les valeurs propres aux services de renseignement s'expriment aussi par les métaphores composant leurs insignes. Inspiré de Cesare Ripa, Eustache Le Sueur (1616-1655) dépeint la réunion improbable de quatre personnages symboliques et mystérieux à la fois. Un vieillard, vêtu de rouge et tenant un livre ouvert, représente probablement le Conseil. Il s’appuie sur Minerve, reconnaissable par ses attributs guerriers, qui incarne la sagesse. À ses pieds, une femme tenant un miroir évoquant la prudence. Enfin, dans l’ombre et en retrait, un éphèbe pose un doigt sur ses lèvres : c’est le Silence. Harpocrate incarne depuis l’Antiquité le culte du silence et des mystères. L’union des quatre vertus représente l' homme d’État parfait, celui du renseignement. Du Père Joseph, ministre secret de Richelieu, en passant par Voltaire, espion du roi Louis XV auprès du roi de Prusse, aux services secrets contemporains, l’histoire du renseignement produit par l’État est faite d’hommes dont les actions et l’organisation ont connu au cours de plusieurs siècles de nombreux changements ayant abouti à la création d’une véritable bureaucratie spécialisée à la fin du XIXe siècle, et assez imbue de ses exploits à travers ce qu'elle appelle fièrement son inflexibilité dans l’ombre, et son étincelance dans la lumière. Sur le territoire français, c’est à la police qu’a été confiée une mission de surveillance. C’est à l’époque de la Régence que l’on assiste à l’apparition d’une première police d’information chargée, en se dissimulant, de s’informer sur l’état des esprits dans le cadre de la lieutenance générale de police de Paris, créée en 1667. Mais c’est sous les régimes impériaux au XIXe siècle que se mettent en place des polices nationales centralisées avec de puissantes polices de renseignement. Ces polices écoutent, surveillent et relèvent ce qu’elles entendent. De la création, en 1855, de la police des chemins de fer au décret de 2014 créant la Direction générale de la sécurité intérieure , il y a une forte continuité des missions en l'occurrence,
constamment collecter de l’information à caractère politique pouvant menacer le régime et lutter contre l’espionnage étranger. Les gares de Paris furent mises sous surveillance dès leur apparition. La question de la surveillance des gares est à priori banale, pourtant cette mission de police est intervenue dans le contexte d’une réorganisation complexe de la société relative aux catégories de propriété, d’espace et de police. Dans le lent processus de différenciation complexe entre espace public ( le terrain sur lequel sont construites les gares) et espace privé (propriété d’une compagnie ferroviaire), la gare apparaît comme un espace éminemment problématique. Le lieu était ouvert au public, constituait une menace pour l’ordre public parisien et nécessitait une réponse sécuritaire appropriée. Au-delà de leur mission officielle de police des chemins de fer, en mars 1861, un décret va permettre aux commissaires spéciaux la surveillance du mouvement des étrangers et la création de la police des ports et des frontières. L'année suivante, une circulaire les mettra à la disposition des préfets. Leur nombre va augmenter régulièrement , mais pas suffisamment aux yeux du médecin interne des hôpitaux de Paris devenu directeur de l’administration pénitentiaire pour se voir nommé plus tard directeur de la Sûreté générale, Emile-Honoré Cazelles qui s'en plaint dans un rapport célèbre, envoyé le 30 juin 1880, au ministre de l’Intérieur dans lequel Il est d'ores et déjà clair que les commissaires spéciaux sont à même de constituer une véritable police politique. Interceptions du courrier, Filatures, fichages, ces fonctionnaires deviennent de vrais agents de renseignement. Ils n'opèrent plus seulement dans les gares et les lignes de chemins de fer, les ports et les frontières pour la surveillance du mouvement des étrangers, mais à partir de 1893, dans leur département de résidence ils sont chargés peu à peu socialement et politiquement d’autres tâches sensibles comme la police des courses, des casinos puis la surveillance de tous les suspects. A partir du 1er mai 1899, ces fonctionnaires sont désignés pour les opérations de
contre-espionnage. Finalement on est bien loin des wagons voies ferrées, au point qu'en 1911, on désigne le service comme « police spéciale » tout court, avant qu'il ne prenne le nom de police des renseignements. La personnalité d’Emile-Honoré Cazelles reste assez particulière, et assez stéréotypique de l’homme du renseignement. Son véritable laboratoire finalement pour un homme de médecine, fut l’administration pénitentiaire, où il a su mettre en place tous les moyens pour gérer toutes les prisons de France, avant de prendre en main la gestion policière de la république. Dans son rapport du 30 juin 1880 présenté au ministre de l'intérieur, il ressort parfaitement un caractère très finement opportuniste,manipulateur par le verbe avec un zest de mégalomanie. Le 30 juin 1880, dans la fragilité de la République encore mal assurée, le rapport adressé au ministre de l’Intérieur met en relief les enseignements tirés des actions récemment menées et expose ce que devraient être les futures missions et organigrammes d’une police politique républicaine qui reste encore à inventer. Cette lettre est d’un grand intérêt pour le chercheur qui veut connaître les méthodes et l’organisation d’une police embryonnaire, ainsi que toute la réflexion pour les enjeux et les mécanismes qui présideront à l’élaboration et à la mise en place d’une administration policière républicaine évoluée. Depuis l'époque de l’éminence grise conseiller de l'ombre et manipulateur à la grande noirceur de Richelieu, aux services de renseignements de nos jours, l’histoire produite par l’État est faite d’hommes dont les actions ont connu au cours de plusieurs siècles les changements ayant abouti à la fin du XIXe siècle, à la création d’une véritable bureaucratie spécialisée du renseignement, avec d’une part une police de renseignement orientée vers la surveillance de l’opinion et le contre–espionnage. Les responsables des services de renseignement sont placés au plus près du chef de l’État, leur accordant une importance inégale et proportionnelle à la confiance qu’il leur témoigne. Souvent le lien quotidien avec ces services est
assuré par un conseiller de confiance, aussitôt entouré d’un halo de mystère car la géographie du secret a toujours su renforcer la souveraineté. La notion de «sûreté de l’État» à partir de 1810, puis le respect des «intérêts fondamentaux de la nation» à compter de 1994 ont été le socle du droit pénal français protégeant le secret de l'État. Ils sont complétés après 1886 par des lois qui répriment l’espionnage. Toujours est-il que plus le Parlement montrait d'intérêt aux services de renseignement, mieux se portait la démocratie. Pour revenir au capucin, une profonde amitié, pleine de complicité politique s'établit entre l'homme en rouge et le moine aux mille ressources surnommé affectueusement Ezéchiel, ou Tenebroso-Cavernoso par le Cardinal Richelieu, admiratif de ses talents de prédicateur et de fin négociateur. En effet, grâce à son vaste réseau de capucins, le père Joseph a réussi à créer un maillage pour ne pas dire un véritable service de renseignements avant l'heure, qu'il mit entièrement au service de Richelieu. Du père Alais chargé des relations avec la Bavière, au père de Casal responsable de celles avec l'Empire germanique, les moines devenus agents de renseignements lui permettaient d'avoir en permanence des informations confidentielles en provenance des différentes zones de conflits engagées dans l'inextricable guerre de Trente ans, permettant à Richelieu de recadrer ses alliances au gré des événements. Homme de l'ombre, entre les deux religieux règne une confiance aveugle et une grande amitié doublée d'une proximité de tous les instants. À l'âge de huit ans, il suppliait d'être envoyé en pensionnat au motif qu'il était gâté par sa mère, qui en voulait faire un délicat . A dix ans, il parlait couramment le grec et le latin, discutait des problèmes les plus profonds de la métaphysique et de la religion. A quatorze ans, horrifié par sa propre concupiscence, il est poussé à la religion. Capucin, son goût spartiate pour l'inconfortable lui fait préférer prier debout, pieds nus, sur le sol de pierre.
Le père Joseph aux pieds nus, visita les rois, les nobles rebelles, les agents étrangers, le Pape qui le nomme Commissaire Apostolique des Missions. Il est devenu un impérialiste ardent, a écrit un mémorandum historique sur la colonisation et la puissance maritime . Aussi anonyme que les émissaires nazis d'avant-guerre, von Ribbentrop ou Otto Abetz, le père Joseph a erré à travers l'Europe, dan l’apparence d’un pauvre itinérant, qui était en fait le centre d'un gouvernement au pouvoir, dont il a favorisé les desseins sur ses voisins à travers d'innombrables contacts et intrigues. En effet, Le père joseph partisan de la croisade contre les Turcs au début du Siècle des Saints, se mit en tête entre 1617 et 1625, de rédiger 4600 de vers latins, la Turciade, poème décrivant le monde marqué par les affrontements religieux et le rêve de l’unité chrétienne déchue par les turcs. Il se mit dès lors, à défendre l’évangélisation comme ultime moyen d’assurer la présence de la France sur l’ensemble des côtes de la méditerranée. La turciade présentée au pape Urbain VIII, laissait son lecteur planer dans la voute céleste parmi les anges où le Christ exprimait sa douleur de voir le Proche et le Moyen-Orient dominés par l’islam et invitait les forces du ciel à y porter secours. Dans les vers de la truciade, Jésus se tourne vers les deux principaux rois de la Chrétienté, Louis XIII et Philippe IV, et essaie de les convaincre d’engager la guerre sainte contre la Sublime Porte. Nommé préfet des missions d’Orient et d’Angleterre en 1625, Il prit le soin de répandre son ordre en Acadie, en Grande-Bretagne, le plateau anatolien, la Grèce, le Proche et le Moyen-Orient et enfin l’Afrique du Nord sous la forme d’un grand maillage d’agents de renseignement. Dans ce portrait rocambolesque et assez hollywoodien du renseignement, l’on pourrait parler du côté hideux de la pieuvre et notamment les troubles de la personnalité rencontrés chez certains agents de renseignement. Les deux plus courants sont le trouble de la personnalité antisociale et le narcissisme. Ces deux troubles ont des caractéristiques communes et se retrouvent parfois ensemble. Une personne atteinte d'un trouble de la personnalité antisociale a
tendance à rejeter les règles et normes normales de la société, avec l'absence de tout sentiment de culpabilité ou de remords lorsqu'elles font quelque chose de mal. Les valeurs qui, chez la plupart des gens, inhibent les comportements illégaux font défaut. Ces personnes à l’image du Père Joseph, Fouché ou Edgar Hoover, adorent jouer dans l’art subtile de la manipulation de l'égoïsme, et recherchent la satisfaction immédiate de leurs désirs. Ils sont orientés vers ce qu'ils peuvent obtenir maintenant, avec peu d'intérêt pour l'avenir et aucun intérêt à apprendre du passé. Ils ont peu de capacité à former des attachements ou à développer un engagement envers qui que ce soit ou quoi que ce soit. Cela suggère que leur opacité doublée de leur capacité à développer n'importe quel degré de loyauté est sérieusement compromise. Au travail, ils repoussent les limites des règles et règlements pour voir jusqu'où ils peuvent s'en tirer, ou contourner ou enfreindre les règles lorsque cela sert leur intérêt personnel. Ils ont souvent la capacité de l'escroc à se sortir des ennuis. Edgar Hoover était un phénomène. Premier directeur du FBI , il est resté en poste pendant 48 ans, de sa nomination après la Première Guerre mondiale à sa mort en 1972, atteignant une renommée et un pouvoir extraordinaire. A sa mort, le président Richard Nixon a fait son éloge publiquement en le décrivant comme de L'un des géants… un symbole national de courage, de patriotisme et d'honnêteté et d'intégrité dignes du granit. Il a ordonné aux drapeaux de flotter en berne et que le corps de Hoover repose dans le Capitole. En privé, en apprenant qu'il était mort, Nixon avait simplement répondu : Jésus-Christ ! Ce vieux connard!. Selon un décompte officiel après sa mort, le directeur détenait 883 dossiers sur les sénateurs et 722 sur les membres du Congrès. De tels rapports, ont été utilisés pour plier les politiciens à la volonté de Hoover. Il pourrait avoir besoin de leur coopération pour se procurer des fonds, pour gagner du poids politique ou pour éviter une enquête sur des opérations qu'il préférait garder cachées. Hoover a fouiné non seulement sur les politiciens, mais aussi sur les hauts et les bas fonctionnaires, sur au moins douze juges de la Cour
suprême et même sur les présidents. Il a construit des dossiers sur des écrivains, des acteurs, sur des citoyens de tous horizons qui ont attiré son attention malveillante. Beaucoup craignaient ce que le directeur aurait pu trouver, s'il avait ou non des informations compromettantes à leur sujet. Un homme a rendu les G-men légendaires, transformé un FBI maladroit en ce qui était perçu comme une armée de vérité et de justice connue dans le monde entier, et s'est fait une légende américaine imposante : J. Edgar Hoover. Pendant près de 50 ans, il a dirigé le FBI. En tant que gardien de ses secrets, de son pouvoir et de son image, Hoover a gardé les clés d'un royaume appelé Washington. Quand il est venu au FBI ou Bureau of Investigation à l'époque, son mandat était de le nettoyer et de le rendre légitime. Et s'il y a une chose qu'il a faite, c'est de commencer à tout cataloguer, de tout organiser. Cette organisation comprenait l'introduction de fichiers d'empreintes digitales, de laboratoires criminels et, bien sûr, il y avait les agents eux-mêmes. Hoover a insisté pour qu'ils soient éduqués, dévoués à leur travail et dévoués à lui. Toute cette équipe d'hommes n'était fidèle qu'à lui. Ils ne répondaient qu'à lui. Ils n'ont pas répondu au procureur général, ils n'ont pas répondu au président des États-Unis, qui avait les services secrets, Ils ont répondu à Hoover, point final. Hoover a consulté pendant un certain temps Dr Marshal D. Ruffin, un psychiatre de Washington qui est devenu président de la Washington Psychiatric Society. La veuve de Ruffin, se souvient avoir appris de son mari que son patient distingué était "certainement troublé par l'homosexualité". Après plusieurs séances, cependant, "Hoover est devenu très paranoïaque à l'idée que quiconque découvre qu'il était homosexuel et a eu peur." Comme pour compenser, Hoover s'en est pris et a cherché à dénoncer d'autres homosexuels. Pendant des années, il a fait infiltrer et surveiller des groupes de défense des droits des homosexuels par ses agents, tandis qu'il parlait publiquement des "déviations sexuelles dans la fonction publique". En 1950 le comité Wherry a publié un rapport
recommandant qu'un comité sénatorial plus important enquête sur la question des « pervers moraux » et de la sécurité nationale. Des spécialistes de renom en psychiatrie et en psychologie ont déclaré qu'ils pensaient que les tourments sexuels de Hoover étaient très pertinents pour son utilisation et son abus de pouvoir en tant que plus haut responsable de l'application des lois aux États-Unis. Le Dr John Money, professeur de psychologie médicale à l'Université Johns Hopkins, pensait que Hoover "avait constamment besoin de détruire les autres pour se maintenir. Il a réussi à vivre avec son conflit en faisant payer le prix aux autres". Le Dr Harold Lief, professeur émérite de psychiatrie à l'Université de Pennsylvanie, a conclu que Hoover souffrait « d'un trouble de la personnalité, un trouble narcissique avec des caractéristiques obsessionnelles mixtes… des éléments paranoïaques, une méfiance excessive et un certain sadisme. Une combinaison de narcissisme et de paranoïa produit ce qui est connu comme une personnalité autoritaire. Hoover aurait fait un parfait nazi de haut niveau. La publicité favorable dont Hoover a bénéficié était en partie méritée. Il a nettoyé un bureau qui était connu pour sa corruption et son inefficacité, le remplaçant par un corps d'agents devenu synonyme d'intégrité. Un vétéran a défini la nouvelle recrue idéale comme un homme qui devait représenter « la grande classe moyenne », qui « mangera toujours bien et s'habillera bien, mais n'aura jamais ce Packard élégant ou cette somptueuse maison. Il appartient corps et âme au Bureau. Hoover a apporté modernité et coordination à une époque de désorganisation. Il a construit la première banque fédérale d'empreintes digitales et sa division d'identification offrirait finalement un accès instantané aux empreintes de 159 millions de personnes. Son laboratoire du crime est devenu le plus avancé au monde. Il a créé la FBI National Academy, une sorte de West Point pour la future élite des forces de l'ordre. Alors que tout cela était positif, la division 8 de Hoover, intitulée par euphémisme Crime Records and Communications, avait
une mission prioritaire. Crime Records a diffusé une propagande qui a favorisé non seulement l'image du FBI en tant qu'organisation qui défendait ce qui était juste et juste, mais du directeur lui-même en tant que champion de la justice luttant contre la « détérioration morale » et les « éléments anarchistes ». Hoover a utilisé le département pour prêcher l'idée que la gauche politique était responsable de toutes sortes de maux perçus, de la modification des normes sexuelles à la délinquance. Le livre « Official and Confidential : The Secret Life of J. Edgar Hoover » affirme que l'ancien chef du FBI, J. Edgar Hoover, était un homosexuel qui a été soumis au chantage de la mafia pour nier l'existence du crime organisé pendant des décennies. L'auteur Anthony Summers écrit que les plus grandes figures du crime organisé, Meyer Lansky et Frank Costello, ont obtenu des photos de l'activité homosexuelle présumée de Hoover et les ont utilisées pour s'assurer que le FBI n'a pas ciblé leurs activités illégales. "L'attitude de Hoover", a déclaré Neil Welch, un ancien agent senior qui s'est finalement distingué en combattant la mafia, "était si contraire à la réalité qu'elle était une raison pour de grandes spéculations". Lorsque J. Edgar Hoover meurt en mai 1972, il légua la quasi-totalité de sa succession à son compagnon de longue date. Tolson a également pris le contrôle des fichiers secrets considérables de Hoover. Tolson a pris sa retraite du FBI et selon ses amis, que la seule fois où il a quitté la maison était de visiter la tombe de Hoover. Lorsque Tolson est décédé en avril 1975, il a été rapporté que les agents du FBI sont arrivés chez lui et ont retiré tous ces documents. Clyde Tolson est enterré avec Hoover au cimetière du Congrès à Washington. Clyde Tolson est né à Laredo, Missouri, en 1900. Il est allé à l'université de commerce et à l'âge de dix-huit il a déménagé à Washington où il a trouvé du travail comme commis au département de la guerre. Pour tenter d'améliorer ses perspectives d'avenir, Tolson a suivi des cours du soir à l'Université George Washington.
Lorsque Tolson obtient un diplôme en droit en 1927, il a demandé à rejoindre le Federal Bureau of Investigation (FBI), mais est rejeté. Il a réessayé l'année suivante et cette fois sa photo et son formulaire de demande ont été vus par J. Edgar Hoover, directeur adjoint du FBI. Hoover a embauché Tolson et il a rapidement gravi les échelons et après seulement trois ans, il a été nommé directeur adjoint du FBI. Tolson et Hoover sont devenus des amis très proches et pendant les quarante années suivantes, ils ont été des compagnons constants. Au FBI, le couple était connu sous le nom de "J. Edna et Mother Tolson", pendant que l'écrivain américain Truman Capote, préférait les noms "Johnny et Clyde". Hoover est devenu très dépendant de Tolson. Hoover a dit à ses amis : "Clyde Tolson est mon alter ego. Il peut lire dans mes pensées." Un haut responsable du FBI a rappelé plus tard que les deux hommes étaient toujours ensemble : "Tolson était plus intelligent que M. Hoover - il avait un esprit vif comme un rasoir. Son grand échec était qu'il suivait servilement tous les diktats de M. Hoover." En France, Roger Wybot, le premier patron de la DST, a longtemps été comparé à Edgar Hoover, le directeur charismatique du FBI, organisme dont l'ancêtre même appelé à l'époque, Bureau of Investigation a été créé le 26 juillet 1908 par Charles Joseph Bonaparte-Patterson, petit-neveu de Napoléon I. Physiquement Hoover et Wybot, célibataires très endurcis, se ressemblaient. Tous deux ont régné d’une main de fer sur leur service, pendant une durée exceptionnellement longue. Exigeants envers eux-mêmes et infatigables, ils ont eu la réputation de pousser leur personnel au maximum. Mais la comparaison s’arrête là, car les circonstances et l’histoire des deux pays sont différentes. En 1944, Roger Wybot, alliage infernal de Cagliostro et de Vidocq, militaire français, spécialisé dans les renseignements, ayant entre autre dirigé la section de contre-espionnage du Bureau central de renseignements et d'action (BCRA) durant la Seconde Guerre mondiale, organise les services de la DST, puis finalement prend la
place de directeur, qu'il conserve jusqu'en 1958. Cultivant volontiers le goût du secret, en exerçant un fort ascendant sur ses collaborateurs. Roger Wybot élabore des méthodes de gestion de l’information sur lesquelles repose la spécificité de la DST. Créée par ordonnance en novembre 1944, la DST reste longtemps marquée par la personnalité de son fondateur : Roger Wybot, ce personnage atypique et redouté, malgré son amertume envers le Général de Gaulle qui l'eut chassé de la DST. Roger Wybot, dira plus tard de son subordonné Marcel Chalet qui restera pour l'histoire le "patron" qui a dirigé et organisé l'affaire Farewell, mais aussi l’homme à l’origine de l'arrestation de l'espion pro-soviétique Georges installé dans l'appareil militaro-politique français à partir de 1943, qui ne fut confondu que vingt ans plus tard, alors qu'il était en poste à l'Otan, qu'il était "très fin, très observateur, très obéissant". L'obéissance pour ne pas dire la soumission reste un gage sine qua non sur la voie ascendante de la réussite,rude pente du pouvoir. Les caractéristiques d'une personnalité narcissique sont marqués par des sentiments injustifiés d'importance et d'estime de soi (grandeur), un sentiment de droit et un manque d'empathie pour les autres, communément appelées un grand ego. Le besoin d'être à la hauteur de leur propre image est le catalyseur de leur réussite. De telles personnes peuvent être incapables d'accepter la critique ou l'échec, car cela menace leur image de soi exagérée. Lorsqu'ils sont critiqués par un superviseur ou s'ils se sentent dévalorisés par l'organisation, les narcissiques peuvent réagir avec de la colère. La relation d'un narcissique avec les autres peut rapidement passer de l'admiration à la haine, ou vice versa, selon que la relation soutient ou sape le besoin émotionnel impérieux du narcissique de valider une image de soi grandiose. Les narcissiques qui se sentent sous-évalués par leur superviseur ou leur organisation ont généralement besoin de se défendre contre un sentiment d'inadéquation. Ils peuvent réagir de manière rebelle, passive-agressive ou vindicative. Ils peuvent également rechercher une autre source de validation et d'affirmation
de leurs capacités ou de leur importance perçues. Dans certains cas, ils peuvent se tourner vers un service de renseignement étranger pour répondre à leurs besoins émotionnels de décorations, tirant la satisfaction de travailler comme espion et déjouant l'organisation qui les a dévalués. La plupart d'entre nous possèdent dans une certaine mesure une ou plusieurs faiblesses de caractère ou de personnalité, mais cela ne signifie pas que nous sommes un risque pour la sécurité. Tous les jugements de sécurité sont basés sur le concept de la personne entière, ce qui signifie qu'il faut examiner les forces d'une personne ainsi que ses faiblesses. Un certain nombre de caractéristiques positives sont généralement associées à des individus fiables, dignes de confiance et loyaux, et ces points forts contrebalancent souvent les faiblesses. Les caractéristiques positives comprennent la capacité d'accepter les critiques sans devenir sur la défensive, la capacité d'exprimer sa colère et sa frustration de manière appropriée, d'être compatissant et prévenant envers les autres, respectueux des droits des autres, capable de coopérer et de travailler en équipe avec les autres pour atteindre un objectif commun et faire partie d'un solide système de soutien social. D'autres caractéristiques positives incluent l'autodiscipline pour retarder la satisfaction immédiate des désirs afin d'atteindre un objectif à plus long terme, être fiable dans le respect des engagements. Toute personne qui possède ces caractéristiques positives dans une bonne mesure est peu susceptible de se livrer à la trahison malgré certaines faiblesses évidentes et quels que soient les stress ou les tentations qu'elle rencontre dans la vie. L’agent de renseignement perçoit clairement le monde comme un endroit dangereux et imprévisible, perpétuellement au bord d'une menace catastrophique et avec un mélange de compétences et de grandeur, il se considère comme le sauveur de la société. Son radar parfaitement adapté à la peur et au pouvoir s'avère tout à fait adapté à son intelligence sociale. À un niveau fondamental, ses relations avec les autres sont aussi instables que
sa relation avec lui-même. Il ne semble pas désirer l'intimité avec les autres. Les personnes socialement intelligentes dégagent une atmosphère d' assurance , un désir de se connecter et une conscience de certaines normes et règles. Occupé à se cacher de lui-même au lieu d’être ouvert et confiant, il devient aussi embarrassant et maladroit et ignorant les principaux scripts sociaux. La principale force de l’agent de renseignement, une source d'énergie vraiment rare et impressionnante qui a prospéré malgré ses autres faiblesses de personnalité : sa cognition . Les éléments de base de l'intelligence cognitive : une mémoire de travail robuste, une soif de nouvelles informations, une capacité à saisir et synthétiser rapidement divers types d'informations (verbales, visuelles, etc.), une capacité à détecter des schémas et à imaginer de nouvelles relations entre les informations. L’agent possède un éventail de dons intellectuels. Il est également maudit avec un sentiment de soi conflictuel qui lui procure une intelligence sociale et émotionnelle sous-développée. C'est un visionnaire, et aussi un solitaire malheureux qui juge mal son propre héritage et dont les réalisations sont périodiquement déraillées par des poursuites fanatiques et paranoïaques. Sa détermination et sa persistance à poursuivre les autres découlent en partie d'un besoin excessif d'être admiré et d'une vision déformée de lui-même en tant que héros. L’Amiral Pierre Lacoste disait que les services spécialisés dans le renseignement sont confrontés à de redoutables défis. Pour y répondre, il faut qu'ils soient en mesure d'apporter une réelle valeur ajoutée aux informations brutes qui saturent les esprits des autorités de décision. Ils doivent, au delà de leur savoir- faire traditionnel en matière de recherche et de collecte des informations secrètes qui demeure de leur exclusive responsabilité , faire appel à une grande variété de compétences et se plier à des méthodologies rigoureuses de contrôle, d'analyse et d’évaluation de l'ensemble des informations disponibles. C'est dire qu'ils doivent obligatoirement s'insérer dans les circuits gouvernementaux,
dans un esprit interdisciplinaire.
de concertation et
de
collaboration
Cette situation est pour partie responsable de tous les fantasmes et légendes qui entourent le côté police-ex-machina, qui cherche à tout expliquer avant le lever de rideau, en termes de manipulations, de complots, d'interventions occultes. Une vision qui doit sans doute beaucoup au mythe de Fouché qui pèse d'un poids encore lourd dans les représentations que l'on peut avoir de la police et du modèle essentiellement de renseignements qu'elle est censée incarner. Comme disait Edgar Morin, Il faudrait enseigner des principes de stratégie, qui permettent d’affronter les aléas, l’inattendu et l’incertain, et de modifier leur développement, en vertu des informations acquises en cours de route. Il faut apprendre à naviguer dans un océan d' incertitudes , à travers des archipels de certitude. Dans sa remarquable biographie de Fouché, Stefan Zweig brosse le portrait sans nuance de celui qu'il a plus qu'aucun autre contribué à transformer en une légende vivante, forcément noire, celle du policier par essence, de l'homme de l'ombre et du double jeu. Sa description physique du personnage est non seulement inquiétante, mais loin de ses portraits peints, colorés et presque avenants du tout-puissant ministre de la Police générale de Napoléon conservés au musée de Versailles. Lorsque Fouché lutte pour le pouvoir, il devient maître dans l'art du double ou du triple jeu, dans celui aussi de la manipulation de l'information parfois tue ou retenue, parfois fausse, toujours dosée et grossie en fonction des partis en présence. Du grand art au service d'une ambition froide, peu ostentatoire, qui n'aime le pouvoir que pour lui-même. Aussi, la machine policière montée par Fouché, surtout à partir de 1804, l'arme qu'il s'est donnée au service de son ambition, restera toujours particulièrement intéressante à étudier.
Dans le livre de ses mémoires d’exilé, lequel ressemble à la fameuse lettre à Francesco Vettori de Niccolo Machiavelli , Fouché écrivait: Quel plus grand malheur en effet que dans le bannissement hors de son pays ! France qui me fut si chère , je ne te verrai plus ! Hélas ! que je paie cher le pouvoir et les grandeurs ! Ceux à qui je tendis la main ne me la tendront pas. Je le vois , on voudrait me condamner même au silence de l'avenir. Vain espoir ! Je saurai tromper l'attente de ceux qui épient la dépouille de mes souvenirs et de mes révélations; de ceux qui se disposent à tendre des pièges à mes enfants. Si mes enfants sont trop jeunes pour se défier de tous les pièges , je les en préserverais en cherchant, hors de la foule de tant d'ingrats, un ami prudent et fidèle : l'espèce humaine n'est point encore assez dépravée pour que mes recherches soient vaines. La rechute m'a exposé sans défense aux clameurs des méchants et aux outrages des ingrats; moi qui longtemps revêtu d'un pouvoir occulte et terrible , ne m'en servis jamais que pour calmer les passions, dissoudre les partis et prévenir les complots; moi qui m'efforçai sans cesse de modérer, d'adoucir le pouvoir , de concilier ou fondre ensemble les éléments contraires et les intérêts opposés qui divisaient la France. Qu'ai- je à opposer , dans ma terre d'exil , à de forcenés antagonistes, à cette tourbe qui me déchire après avoir mendié à mes pieds ? Leur opposerai- je de froides déclamations, des phrases académiques et alambiquées ? Non certes. Je veux les confondre par des faits et des preuves , par l'exposé véridique de mes travaux , de mes pensées , comme ministre et comme homme d'état ; par le récit fidèle des événements politiques , des incidents bizarres au milieu desquels j'ai tenu le gouvernail dans des temps de violence et de tempête. Voilà le but que je me propose. Pour ne rien arranger à son exil, une rumeur vint pourrir le séjour pragois de Fouché et elle concernait sa seconde épouse, Ernestine de Castellane, la fille d’une illustre famille aristocratique, de près de trente ans sa cadette, laquelle entretiendrait un commerce licencieux avec un certain Adolphe Thibaudeau. La légende raconte que Fouché avait dix milles écouteurs à gages ou mouchards à Paris, cinq milles en province et cinq cent à
l‘etranger. Il avait le souci d’organiser méthodiquement les archives. Les dossiers individuels sont classés et chaque individu fait l objet d'une fiche classée au fichier général. Il fit rédiger la topographie chouanique, qu’il surnomme son atlas, cette notice topographique qui renferme tous les documents relatifs aux localités et aux individus. Il fut le premier à utiliser la filature comme source de renseignement. Nul n' a su comme lui mettre en valeur la nécessité de la centralisation des renseignements. Il fit concrétiser la synthèse du travail de recherche de renseignements remis quotidiennement à l'empereur Napoléon 1er. Ce dernier souvent disait à Fouché que l’art de la Police, afin de ne pas punir souvent, est de punir sévèrement
Joseph Fouché, tel un Felix Dzerjinski, a toujours subjugué à travers les temps par sa longévité dans une période trouble de l'histoire de France et où bien peu d'hommes ont survécu aux purges qui ont suivi. L' inaltérable attitude de marbre de Fouché en bon élève de Machiavel devant ses déboires et les avanies que lui a fait subir Napoléon, reste remarquable pour ce mitrailleur de Lyon, ancien enseignant de sciences, athé et franc-maçon, traître et parvenu de l'Empire à la direction de la police et celle de la gendarmerie. « Je n’ai connu qu’un traître véritable, un traître consacré : Fouché » dira Napoléon à Saint-Hélène. L'héritage de Félix Dzerjinski, qui a dirigé la police secrète soviétique dans la Terreur rouge , confond encore la Russie. Tenter de changer le comportement humain aboutit souvent à une violence inimaginable. La carrière et la pensée de Félix Dzerjinski témoignent de cette notion. Surnommé Iron Félix, il a fondé la tristement célèbre organisation de sécurité soviétique Tcheka , connue pour son application brutale du régime. La Tchéka est finalement devenue le KGB une institution d'espionnage qui a acquis une importance internationale pendant la guerre froide. Le 20e siècle a été la période la plus sanglante de l'histoire de l'humanité en raison d'une combinaison désastreuse de
facteurs. Le principal d'entre eux était l'horrible intersection entre la propagation massive d'idéologies dangereuses et l'avancement des technologies qui pourraient nuire à l’humain. Dans l'exemple de l'Union soviétique, un projet visant à transformer radicalement la société humaine a fait des millions de morts. La Révolution de 1917 a tenté d'instituer le communisme en ré imaginant complètement le rôle d'une personne dans sa communauté, mise en œuvre par la force brutale, une nouvelle structure gouvernementale et la rééducation continue d'une grande partie de la population. Un nouveau monde avait besoin de nouveaux dirigeants. Felix Dzerjinski fut l'une des figures très instrumentales de cet effort. Il était considéré comme un véritable héros de la Révolution qui fit beaucoup pour rendre possible le communisme soviétique. C'était un vrai bolchevik, arrêté à de nombreuses reprises pour ses activités pré-révolutionnaires avec les sociaux-démocrates polonais et lituaniens entre 1895 et 1912. Les arrestations étaient généralement suivies d'exilés en Sibérie, d'où il s'évaderait par la suite. Il a été enfermé pendant un certain temps entre 1912 et 1917, lorsque la Révolution de Février l'a libéré. Dzerjinski a joué un rôle clé dans la révolution d'octobre 1917 qui a porté les bolcheviks au pouvoir en Russie. Fervent partisan de Vladimir Lénine, il est nommé en décembre 1917 à la tête de la nouvelle Commission extraordinaire de lutte contre la contre-révolution et le sabotage. Cette police secrète avait le plein appui de Lénine dans l'exercice de tous les moyens nécessaires pour éliminer ceux qui étaient perçus comme les ennemis de l'État. Stimulée par une tentative d'assassinat ratée de Lénine en août 1918, la lutte contre les contre-révolutionnaires est devenue connue sous le nom de "Terreur rouge" une période d'exécutions de masse de septembre à octobre 1918, menée par la Tchéka avec l'aide de l'Armée rouge. Les méthodes de la Tchéka étaient très efficaces. De l'arrestation à l'exécution ne prenait qu’un jour. Les meurtres ont eu lieu dans les sous-sols des prisons et des lieux publics. Aucun autre
organisme gouvernemental ne les a supervisés. Bien que les enregistrements soient difficiles à confirmer, on pense qu'au moins 10 000 à 15 000 personnes ont souvent été arbitrairement tuées par la Tchéka au cours de cette période. Le nombre réel pourrait aller jusqu'à un million comme certains le prétendent. Les assassinés étaient des ennemis de classe, des propriétaires terriens, des scientifiques, des prêtres ou souvent simplement ceux qui étaient juste pris dans le filet. Dzerjinski acceptait les dommages collatéraux, déclarant que « La Tchéka doit défendre la révolution et vaincre l'ennemi, même si son épée tombe accidentellement sur la tête d'innocents ». Le poids d'une police politique aux pouvoirs exceptionnels est très vite important. Telle une pieuvre tentaculaire, elle envoie ses agents quadriller la société, pour espionner, manipuler, désinformer, instruire les procès, condamner, déporter et éventuellement assassiner. Redoutable instrument de répression, cette police politique, des mœurs et de la pensée a pour mission d'inspirer la peur, afin de forger l'homme nouveau que le projet bolchevique veut voir émerger. Dzerjinski reste controversé à ce jour. Alors que son travail a été brutal et a fait d'innombrables morts, ceux qui le soutiennent le voient comme un héros qui a protégé la Révolution. Comme l'a déclaré l'historien et officier du FSB à la retraite Alexander Zdanovich : "Dzerjinski a fondé un service de sécurité, l'un des plus puissants du 20 ème siècle. Il serait contre-productif de peindre un portrait de cet homme extraordinaire en noir uniquement." L'un des devoirs du « bon citoyen », tel qu'il est constitué dans l'Europe moderne, était d’informer les autorités afin d'empêcher la commission de crimes, suivre réprimer les criminels ou maintenir l'ordre existant. Les sociétés de surveillance qui sont apparus au cours des deux derniers siècles peuvent être distinguées de leurs prédécesseurs en partie sur la base de leurs nouvelles activités policières formelles, mais surtout en raison du rôle envisagé pour les citoyens, dont le devoir est devenu de regarder, d'écouter, et d'informer les autorités. Au fur et à mesure que cette participation devenait plus systématisée, une société panoptique dans laquelle
personne ne se sentait jamais à l'abri de la surveillance a été mise en place. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les dénonciations se multiplient au fur et à mesure de l'introduction de nouvelles réglementations. C'est l'âge d'or des mouchards. Une infraction en particulier reposait fortement sur les dénonciations du public : l'écoute d'émissions de radio étrangères, notamment celles de la BBC. La Gestapo fonctionnait comme une sorte de centre d'information pour les innombrables dénonciations reçues directement du peuple ou transmises par l'intermédiaire des organisations et des institutions du parti et de l'État. C’était un élément clé du système terroriste nazi. Le mot même évoque une image cauchemardesque d'une toute-puissante force de police secrète orwellienne de style "Big Brother" gardant le public allemand sous surveillance constante. Films, romans et documentaires télévisés ont ancré cette image dans l'esprit populaire. Himmler était un administrateur très efficace et un chercheur de pouvoir impitoyable et adroit qui était servilement dévoué à Hitler jusqu'aux dernières semaines de la guerre. Il a combiné un penchant pour le mysticisme philosophique avec une adhésion fanatique et de sang-froid à l'idéologie raciste nazie dans son rôle de principal architecte de l' Holocauste. Himmler était obsédé par la pureté raciale en Allemagne. Plus que tout autre individu, Himmler était l'homme qui a créé le réseau de terreur d'État par lequel le Troisième Reich a réprimé son opposition, éliminé ses ennemis internes et forcé l'obéissance des citoyens allemands. En avril 1934, Himmler est nommé chef adjoint de la Gestapo (police secrète d'État) en Prusse, et à partir de cette position, il étendit son contrôle sur les forces de police de tout le Reich. En 1943, Himmler était devenu ministre de l'Intérieur et plénipotentiaire de l'administration du Reich. Dans les derniers mois de la guerre, Himmler souffre de plus en plus de maladies psychosomatiques et est progressivement mis de côté par l'entourage d'Hitler. En avril 1945, on apprit que
Himmler espérait succéder à Hitler , ce dernier a rapidement dépouillé Himmler de tous ses bureaux et ordonné son arrestation. Déguisé en simple soldat, Himmler tenta de s'échapper. Capturé par les Alliés occidentaux, il se suicide en prenant du poison. Le halo dont s’enveloppent ceux qui veulent être visibles sans être vus, ainsi que les représentations littéraires ou hollywoodiennes du renseignement ne cessent de fasciner. Il ne faut pas se croire plus grand que son ombre, par le simple fait d'être dos au soleil, car L'exercice des fonctions officielles en rapport avec les renseignements et le maniement des documents à double enveloppe, ne peut rendre une personne plus intéressante. Dans le domaine du renseignement, la complaisance est plus qu’une faiblesse,elle est la négation même de la mission. Les services de renseignement, et non seulement leurs coordonnateurs, auront besoin de juristes dans les années à venir. Et puisqu’il faut appliquer le droit, ne confondons pas l’armée et la police. L’extérieur et l’intérieur. Il est clair que la police et l'armée restent liées et les menaces doivent être analysées dans le contexte global du vocabulaire magique du renseignement, friand des mots « mutualisation », « communauté », « coordination ». Mais l’usage de la notion de « sécurité nationale » ne doit pas affaiblir une conception du monde qui nous protège des confusions. Car l’armée est aveugle et muette. Elle frappe devant elle, à l’endroit désigné. C’est à la noblesse et à la force militaire de la rendre moins aveugle. La police, pour sa part, est perspicace et parfois bavarde. Elle cherche tout, et n’oublie rien. Le renseignement extérieur sert la souveraineté pendant que le renseignement intérieur la protège. Pour les services de renseignement, le respect des principes de bonne gouvernance est synonyme de responsabilité démocratique, transparence ,respect des droits humains et de l’état de droit, efficacité dans la réalisation du mandat, efficience des objectifs avec un usage optimal des ressources nationales. Le non-respect des principes de bonne gouvernance peut avoir des répercussions néfastes et peut nuire à la crédibilité et la
légitimité des services de renseignement. Dans les cas extrêmes, une mauvaise gouvernance peut aboutir à la création d’une police politique servant des intérêts politiques particuliers, voire chargée de la répression politique. Le renseignement dans sa noble diffraction prismatique, est là pour éclairer l’invisible, dans l’erreur, le manque d'évidences, l'échec. Mais le renseignement, toujours aux aguets, ne connaît pas la paix. Il est prêt à tout, comme le marine placé en éclaireur dans la jungle avec cette intuition constante de l’embuscade. Une branche bizarrement courbé sur le sentier, provoque la bouffée d'adrénaline qui le sauve. L’intuition, c' est ce sixième sens, qui fait partie de la panoplie de l’homme de renseignement. Le renseignement est là pour traiter l’inexistant et assumer l’inavoué. Toujours entre le drapé et le nu, le caché et le révélé. Il ne faut pas attendre que l'événement existe, Le service de renseignement anticipe (Et quelques fois le crée…). Non pas au sens codé du Rainbow Warrior où anticiper voulait dire détruire , mais au sens d’analyser, prévoir, agir le premier. Le renseignement doit agir en admettant et acceptant les contrôles malgré l’incontrôlable, un peu comme la pieuvre de Victor Hugo. A l’ombre de tous les personnages précédemment cités, la notion de pouvoir s'étend de toute sa force. Le pouvoir, cet instrument à multiples facettes, qui fait référence à la capacité à influer sur les comportements et les idées des autres, ainsi qu'à leur capacité à contrôler leur propre vie. Le pouvoir est nécessaire à l'autorité, mais il est possible d'avoir du pouvoir sans autorité. L'autorité fait référence au pouvoir accepté comme une influence fondée sur la légitimité, le respect, le mérite. Sur la base de ces travaux, Weber a développé un système de classification de l'autorité. Ses trois types d'autorité sont l' autorité traditionnelle, autorité charismatique , et l'autorité légale-rationnelle: - Le pouvoir de l'autorité traditionnelle est accepté parce que cela a toujours été le cas; sa légitimité existe parce qu'elle est acceptée depuis longtemps. La reine Elizabeth de
Grande-Bretagne, par exemple, occupe une position dont elle a hérité sur la base des règles traditionnelles de succession de la monarchie. Les gens adhèrent à l'autorité traditionnelle et se sentent obligés de la perpétuer. - L'autorité charismatique prend sa source dans les qualités personnelles du leader. L'attrait d'un leader charismatique peut être extraordinaire et peut inspirer ses adeptes à faire des sacrifices inhabituels ou à persévérer au milieu de grandes difficultés et de persécutions. Les leaders charismatiques émergent généralement en temps de crise et proposent des solutions innovantes ou radicales. Ils peuvent même offrir une vision d'un nouvel ordre mondial. Les dirigeants charismatiques ont tendance à détenir le pouvoir pendant de courtes périodes et, selon Weber, ils sont tout aussi susceptibles d'être tyranniques qu'héroïques. - Le pouvoir légitimé par les lois, les règles écrites et les règlements est appelé autorité rationnelle-légale. Avec une autorité rationnelle-légale, le pouvoir d'influence logiquement ne revient pas aux individus eux-mêmes, mais à une instance spécifique, structurée et bureaucratique. Les individus dotés provisoirement de ce pouvoir n’ont le pouvoir que d'agir au nom de tels postes. C’est ce dernier pouvoir dont étaient investis les personnages en amont: un pouvoir volatil au gré des nominations.