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LE PROJET URBAIN PAR LA MARCHE Tiffany Sutter

Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris La Villette



MEMOIRE DE FIN D’ETUDES Séminaire : Environnement, Territoires et Paysage Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris La Villette

2014-2015

LE PROJET URBAIN PAR LA MARCHE

Tiffany Sutter Enseignants tuteurs Rosa DEMARCO Catherine ZAHARIA Enseignant tuteur à l’étranger André FONTES


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INTRODUCTION 37Percevoir la ville 32L’Expérience d’habiter

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77Lire et Dire la ville par la marche

PARTIE 1 la marche 19

L’Expérience d’être Conclusion Partie 2

122 Conclusion Partie 1

PREAMBULE

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La marche, le marcheur : termes pluriels

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PARTIE 2 la ville par la marche

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SOMMAIRE

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PARTIE 3 le projet urbain par la marche

MOTS-CLES

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CORPUS

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Le projet urbain

Conclusion Partie 3

Le projet urbain par la marche participative

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BIBLIOGRAPHIE

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Posture de l’architecteurbaniste

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REMERCIEMENTS

CONCLUSION

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INTRODUCTION Pourquoi choisir l’expérience comme méthode de travail ? Expérience, expérimentation ou l’art de faire Pourquoi la marche ? Problématique et étapes de réponse

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Pourquoi choisir l’expérience comme méthode de travail ? Ayant décidée d’utiliser l’expérience comme outil de travail et de compréhension pour élaborer ce mémoire, la question se pose. Et la question a pris d’autant plus de sens à un stade avancé du travail. Après avoir relu mes premiers écrits, les hypothèses et les affirmations annoncées, j’ai eu envie de les réfuter, toutes, ou presque. Ou en tout cas de les questionner, d’en douter. C’est peut-être un peu de ça l’expérience, un processus qui vise à questionner des préjugés, des pressentis, des hypothèses. Soulignons que le travail de mémoire est une expérience en soit, son processus lui confère toute sa richesse, son intérêt et sa complexité. L’expérience implique donc une temporalité, elle ne se termine pas quand la marche s’arrête par exemple, quand « l’expérience physique » est terminée, l’expérience est un vécu, et l’expérience peut s’avérer complète quand justement elle ne répond pas de façon catégorique à la question, à la problématique de départ, mais où au contraire elle ouvre sur des pistes de réflexion différentes, fait appelle à une ou plusieurs dimensions non envisagées auparavant. L’expérience par elle-même ouvre à une autre dimension qui est celle de la compréhension, l’implication personnelle. Pour s’approprier une idée, il faut la penser, « l’accepter », et l’action par le corps a fait écho à celle de la pensée, comme si ces deux actions l’une plus physique et l’autre plus mentale (« à tête reposée » dirons-nous), ont réussi à construire l’Expérience. Avant, pendant, après. Action tant mentale que physique et du temps. L’Expérience, pour se faire, a besoin de temps, elle se constitue par un avant ; l’expérience différencie un avant d’un après et pour autant l’expérience ne réside pas il me semble dans le « pendant », c’est une erreur me semble-t-il de la restreindre à cela. C’est lorsque l’action est terminée, dans « l’après » que l’avant est remis en question. Et voilà pourquoi l’expérience ne peut finalement avoir de fin définie, elle voyage dans le temps et se transforme continuellement.

Expérience, expérimentation ou l’art de faire Quelle différence entre expérience et expérimentation ?

La signification d’expérience est très large. D’après le dictionnaire Larousse le mot expérience prend ses racines du latin experientia, de experiti, qui signifie faire l’essai. Et sa définition complète proposée est la suivante *: « Sens 1. Pratique de quelque chose, de quelqu’un, épreuve de quelque chose, dont découlent un savoir, une connaissance, une habitude ; connaissance tirée de cette pratique : Conducteur sans expérience. Sens 2. Fait de faire quelque chose une fois, de vivre un événement, considéré du point de vue de son aspect formateur : Avoir une expérience amoureuse. Sens 3. Action d’essayer quelque chose, de mettre à l’essai un système, une doctrine, etc. ; tentative : Tenter une expérience de vie commune. Sens 4. Mise à l’épreuve de quelque chose, essai tenté sur quelque chose pour en vérifier les propriétés ; expérimentation : Faire l’expérience d’un médicament. Sens 5. Épreuve qui a pour objet, par l’étude d’un phénomène naturel ou provoqué, de vérifier une

* Dictionnaire Larousse, édition 2013

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hypothèse ou de l’induire de cette observation : Expérience de chimie. » De ces variations on en retient que l’expérience implique deux notions, deux temporalités ; l’action en elle-même et l’acquisition de connaissances qui en résulte. Dans la notion d’expérience il y a tant l’idée de vivre, d’éprouver quelque chose que l’action d’essayer, de tenter. Lorsque l’expérience est une action pensée préalablement, planifiée, il me parait important de dire que « l’avant » est également une temporalité à intégrer dans cette définition. Les sens 4 et 5 témoignent de la subtile différence entre expérience et expérimentation, rendant compte du fait que les gens couramment les emploient sans distinction. Le suffixe « ation » d’expérimentation exprime l’idée d’action mais aussi le résultat de l’action. De plus, « Pour en vérifier les propriétés » dans le sens 4 implique l’intention, le but par l’expérimentation de vérifier une hypothèse. En somme, l’expérimentation se repose sur la volonté de mener des actions –des expériences- dans un cadre structuré, suivant un protocole établi, dont le résultat –qui est la raison de cette actionconfirmera ou infirmera l’hypothèse de départ. Tandis que l’expérience n’accuse pas forcément l’idée d’un cadre établi pour se faire. Au sens de la vie de tous les jours, l’expérience est celle que l’on subit, l’expérience que la réalité, la vie, nous impose, exprimant ainsi une certaine passivité. C’est pourquoi il nous faut distinguer cette expérience de l’expérience scientifique, synonyme d’expérimentation, qui invoque une action consciente, un questionnement. Et là aussi prenons garde quant à dire qu’une expérience produit un savoir. Pour qu’il y ait acquisition de connaissance par l’expérience il faut qu’il y ait compréhension, sinon ce n’est rien de plus qu’un conditionnement. Nous retenons deux types d’expérience ; l’expérience immédiate, celle qui arrive sans prévenir et l’expérience qu’on a planifiée. Et finalement lorsqu’on que je parle d’expérience sensible lors de mes marches, les deux s’entremêlent. En effet, diverses expériences imprévisibles ont lieu au cours de la marche, qui elle est planifiée. La marche, par l’interaction entre le sujet en mouvement et son environnement lui-même vivant, organique, mouvant, implique un vécu, une expérience unique, ouverts à l’imprévu et au hasard. Analyser le territoire par l’expérience, par la marche, se démarque de l’analyse scientifique qui fait appel à l’expérimentation, à l’expérience scientifique. La marche est sensible, donc subjective. L’objectif de ce travail n’est pas de démontrer qu’une démarche doit prévaloir sur l’autre, mais plutôt de voir qu’une approche sensible est tout aussi nécessaire qu’une démarche objective, elle offre un éclairage différent, sensible et affirme, revendique le caractère vivant du territoire. Il est difficile de parler d’expérimentation lorsque le sensible est en jeu. Si l’on entend « expérimentation » comme une expérience rationnelle, mes marches appartenant au domaine du subjectif, ne sont pas du domaine de l’expérimentation. Néanmoins, pareil aux expériences scientifiques, certaines d’entre elles sont faites dans un cadre établi. Mais alors que signifie ce cadre ? L’expérience urbaine étant multiple, « multidimensionnelle », l’insérer dans un protocole ne réduit-il pas la richesse des informations qu’elle offre ? Ou bien, le protocole oriente simplement le regard sur un des aspects de l’expérience urbaine, étant donné qu’il est vain de vouloir représenter toutes les données que l’expérience urbaine dévoile. Les données sensibles sont infinies, or la représentation implique un support fini. A partir de là, d’autres questions se posent alors ; quelles données mettre

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en valeur ? Par quelle méthode ? Ainsi, ma démarche est une expérimentation faite d’expériences sensibles. Dans le sens où elle s’inscrit dans un cadre, dans une volonté de répondre à des questionnements autour du sujet de l’expérience urbaine par la marche (son impact sur l’individu, mais aussi du rôle qu’elle peut avoir dans le projet urbain). Au demeurant, l’importance que je donne aux expériences urbaines dans ce travail défie la démarche purement théorique couramment utilisée. Non pas que je m’oppose à cette démarche, l’empruntant en grande partie, je m’oppose à son emploi exclusif. Intuitivement et naïvement sûrement, il me paraissant intéressant de pratiquer le sujet dont je voulais parler, le sujet étant une pratique même. C’est finalement aussi le moyen de questionner la méthode à utiliser pour écrire un mémoire. Comment répondre à une problématique après 4 années d’études en architecture ? Mon intention était bien de faire l’essai de quelque chose, parfois dans un cadre protocolaire établi pour interroger une hypothèse, mais parfois non. Parfois juste par intuition, par envie, par curiosité « pour voir ce qu’il se passera ». C’est ainsi que s’explique mes diverses expériences . Mais à chaque fois, dans l’idée que l’expérience soit une interaction entre mon corps et l’espace, le territoire. Finalement même dans les cas où il n’y a pas de protocole établi, j’essaie d’être ouverte à ce qu’il pourrait se passer, réceptive, attentive, au mouvement de l’environnement. Ma toute première expérience de marche à révéler un fait important, clé ; l’image que j’avais du territoire à changer après l’expérience vécue –par la marche- de celui-ci. Je l’ai choisi parce qu’elle impliquait une temporalité d’action à l’échelle du mouvement du corps humain. C’est en cela que marcher est une expérience. Initialement l’expérience se voulait spontanée, avec comme seule condition l’ouverture et l’attention à ce qu’il se passe, mais très vite est venue la question de la rationalisation, de la représentation pour rendre l’expérience intelligible, compréhensible par quelqu’un d’autre. Et le processus de traduction de l’expérience transforma encore mon rapport à l’expérience, son analyse permis une mise à distance, désirant une certaine « objectivation » des sensations ressenties. Au fur et à mesure de l’avancé du travail, de nouveaux questionnements apparaissaient. Notamment sur les raisons et le rôle de ces expériences. Ou encore sur leur représentation ; Faut-il les représenter ? Si oui, pour qui ? Alors, comment faut-il le faire ? N’est-il pas vain de vouloir objectiver une expérience qui est subjective par définition ? L’expérience collective est peut-être une réponse à cette volonté de traduire le plus justement un territoire de manière sensible. La mise en essai de mon corps se définie comme une manière « d’entrer en matière », de questionner le sujet autrement, de m’y confronter, de le tester.

Pourquoi le faire par la marche ? J’ai choisi d’axer mon travail sur la marche comme expérience sensible de la ville, du territoire. Bien entendu, ceci ne suppose pas que cette mobilité soit la seule façon d’expérimenter l’espace urbain ; il aurait été tout aussi intéressant de considérer son exploration par le biais du skate board,

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vélo, de l’automobile, du bus, du train, du bateau, de l’avion, etc. Chacun de ces moyens de locomotion offrent par leur différente vitesse, structure ouverte ou fermée sur l’extérieure, une perception spécifique de la ville. L’immobilité est aussi une expérience possible de l’espace, du territoire, de la ville. Alors pourquoi avoir choisi le mouvement ? Et pourquoi celui de la marche ? D’un part, la marche implique un rapport fort avec sol, l’appréhension non pas d’un lieu mais de plusieurs. Ainsi, elle offre à voir et comprendre les articulations entre ces derniers. Aborder le projet urbain par le mouvement est un moyen d’interroger ce qui définit l’architecture, la ville. Tout élément statique appartient à un parcours, il est indissociable au mouvement qui l’entoure, qui l’englobe. Voilà le caractère premier de cette étude ; ne pas penser l’architecture sans le mouvement dans lequel elle s’inscrit, sans géographie, sans repères, sans contexte, sans territoire. Parce que créer une ville, c’est penser les lieux et leurs articulations. De la même façon, on ne fabrique pas un raisonnement sans articuler ses étapes. Ce qui m’intéresse dans la marche est qu’elle ne dépend d’aucun appareillage autre que le corps humain. Elle demeure le premier moyen donné à l’homme pour se mouvoir. Et au regard des exemples de locomotion cités ci-dessus, la marche est lente par définition, elle est limitée par la résistance du corps. Le marcheur peut s’arrêter s’il le souhaite, ralentir, faire demi-tour, etc. Cette lenteur qui signifie la marche, perçue parfois comme résistance, ou encore faiblesse en terme de rentabilité distance/temps est aussi et surtout un support de liberté par l’autonomie à se déplacer qu’elle invoque, sa facilité à accéder aux chemins interdits, inaccessibles à d’autres locomotions, ou encore inexistants au vue de la ville. De plus, la marche permet un rapport physique direct entre le corps et la surface de la terre. Dénué de tout appareil motorisé ou non, c’est par la marche que l’individu s’expose le plus entièrement à son environnement, tous ses sens sont sollicités. La première expérience urbaine par la marche (P. 19-21) a révélé ce constat, finalement après plusieurs heures de marche, la montre importe peu, comme si le corps acceptait sa condition, sa vitesse, son épuisement, le rapport espace/temps habituellement accéléré par les nouveaux moyens de communication et transport se modifie. Le temps mobilisé « s’étire, flâne, se détache de l’horloge »*. L’expérience d’un territoire par la marche permet de (re)prendre connaissance des distances, mais aussi de situer les lieux : l’un par rapport à l’autre. La marche entre ma résidence et mon école m’a permis de me faire une représentation de ce qu’il y avait entre ces deux lieux. Avant cette marche, ces deux lieux étaient comme deux ilots perdus dans une mer, une mer constituée de territoires inconnus. Mer et ilots formant la ville, « la ville liquide » dont Francesco Careri parle ; « Une ville dans laquelle les espaces où rester sont des îles dans la grande mer formée par l’espace où aller. »** « Le marcheur, en dépit de sa légèreté, de son oisiveté et de sa nonchalance, serait l’individu scrupuleux par excellence –là, serait sa gravité-, celui qui note les infimes moments du monde »***, par cette énonciation Thierry Davila exprime toute la dualité qui siège dans le statut du marcheur. D’autre part, la marche est un sujet d’actualité. Depuis une dizaine d’années, nous observons un retour à la marche dans le quotidien des sociétés occidentales. Les politiques d’aménagements du territoire veulent favoriser les mobilités douces, les projets urbains défendent les espaces réser-

* David Le Breton, Eloge de la marche, 2000 ** Francesco Careri, Walkscapes, 2013 *** Thierry Davila, Marcher, Créer, 2002

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vés aux piétons, les associations de marcheurs se multiplient, etc. La marche a le vent en poupe dirons-nous ! Cet engouement pour la marche traduit une période de transition, une prise de conscience face aux actes commis ces cinquante dernières années sur notre environnement. Il s’inscrit dans une démarche durable globale. Et s’oppose ainsi à l’urbanisme des villes modernes. Ce dernier, se caractérise entre autre par une mondialisation exaltant rapidité et rendement, se base sur l’idée d’espaces infinis, sans limites et d’uniformisation. De plus, les nouvelles technologies de communication ont largement contribué à ce processus d’urbanisation qui n’a cessé de modifier notre rapport au réel, au public. Or voilà, la terre est finie, limitée et composée de territoires différents. Dans la ville moderne, l’usager semble emporté dans le tourbillon de la ville, plutôt spectateur qu’acteur. Hannah Arendt contestait dans sa définition de l’homme moderne l’exaltation de la contemplation sur l’action. La nostalgie ambiante de la ville d’antan témoigne de cette volonté de reconquérir la ville, ses rues, ses places. Comment habiter la ville, comment participer au paysage urbain ? Tout le monde le sait, tout le monde le dit : il faut « réparer », construire la ville de manière raisonnée, en accord avec les ressources qu’offre la planète, stopper l’uniformisation, la politique de séparation qui creusent les inégalités sociales, etc. Marcher exprime une solution de l’urgence, un acte de revendication. C’est pourquoi, la marche est un sujet crucial dans l’élaboration du projet urbain : Comment la marche peut-elle être plus qu’une finalité ? Comment la marche peut-elle contribuer au projet urbain ? A quelles étapes ? A quelles échelles ? Quelles informations la marche peut-elle apporter sur le territoire ? Comment les utiliser au profit de ce dernier ? Sont autant de questions qui ont motivé ce travail.

Une problématique, une réponse en plusieurs étapes Choisie comme méthode de travail et comme corpus, l’expérience est au cœur de ce mémoire. Et la problématique principale qui anime ce dernier est la suivante ; comment la marche peut-elle servir à l’élaboration du projet urbain ? Ce mémoire est structuré en trois parties ou trois « étapes », qui tenterons d’y répondre. Dans un premier temps, nous nous intéresserons à la marche dans sa définition large ; aux interactions entre l’individu et l’environnement qu’implique cette dernière. L’expérience du corps immobile (cf. P. 19-21) fera office d’amorce, de socle. Cette pratique questionnera l’interaction corps-espace, préalablement à la question du corps en marche. Cette première étape permettra de comprendre comment la marche peut signifier différentes expériences, qui toutes influent sur le statut de l’homme sensible et social - deux attributs indissociables à la nature de l’individu -. L’expérience urbaine pour le marcheur n’appartient pas à un seul domaine. Afin de percer sa complexité, d’appréhender toutes ses caractéristiques, il nous faut l’accepter comme « multidimensionnelle » et de ce fait, l’aborder sous des angles différents ; les dimensions corporelle et sociale.

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Dans un second temps, nous questionnerons la ville et le territoire par la marche. Comme nous l’avons dit précédemment, analyser le territoire en le parcourant, l’expérimentant, se démarque de l’analyse objective. Cette dernière offre des informations dites « objectives » et donc donne une description partielle du territoire. Ici, il sera question de décrire, de décomposer la ville et le territoire par le prisme de la marche : expérience subjective. Quelles informations donne la marche sur notre territoire ? Et comment pouvons-nous les traduire, les restituer ? Cette étape interrogera les modes de représentation possibles –et leur pertinence- d’expériences du territoire par la marche. Nous étudierons différentes démarches : du subjectif à l’intersubjectif. Les documents produits dans le corpus d’expériences, et des références extérieurs alimenteront cette réflexion. Dans une dernière étape, les expériences mises en lumière seront celles d’autrui et celles effectuées en partenariat avec des organismes. Nous verrons à travers des exemples concrets de projet urbain qui emploient la marche, comment elle peut aider à « fabriquer » la ville et constituer un outil pour le projet urbain.

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PREAMBULE Ouverture au monde social Ouverture au monde sensible


Ouverture au monde au monde social Applaudi par vos parents lorsque pour la première fois vous vous êtes dressé sur vos jambes, et avez avancé seul, un pas, puis un second, dans une direction de votre choix. Haut comme trois pommes, cette étape marque votre capacité à vous mouvoir librement ; une liberté de déplacement. Par définition, l’autonomie est une indépendance vis-à-vis des hiérarchies extérieures. Chez Kant l’autonomie est une notion centrale de la morale ; un individu agit moralement à partir du moment où il s’impose à lui-même une loi, à partir du moment où il est autonome. Marcher serait donc une liberté simple mais non moins capitale. Ces premiers petits pas indécis par l’expérience de la gravité, serait les premiers marqueurs de votre autonomie, de votre individualité. L’homme qui marche est autonome par sa capacité à se mouvoir librement, à décider de la direction qu’il prend. La marche est tant un outil qu’une démonstration d’autonomie, et elle permet à l’homme de se libérer du joug des règles imposées par la société. Déconsidérée pendant fort longtemps parce qu’elle ne répondait pas aux exigences de vitesse et de rendement, la marche, plus qu’un signe d’autonomie, témoigne est un acte engagé, une protestation. En soit, la marche est garante d’indépendance, de mobilité. Cette mobilité lui offre un accès à la vie urbaine, au travail, au logement, à la culture, à l’éducation, à la santé, aux loisirs. Cette accessibilité aux institutions majeures qui composent une société est capitale, et à l’opposée l’immobilité peut être source d’isolement, d’exclusion, voire de désocialisation. En soit, cette mobilité lui donne accès à la sphère sociale, au monde.

Ouverture au monde sensible La marche : moyen inné de découvrir le Monde* L’homme marche, et ce depuis bien longtemps. 3,6 Millions d’années ? Bien plus ! Si on considère la marche en tant que caractéristique physique dans l’espèce humaine ; la bipédie, on comprend que son rôle fut dès le début pour l’homme une manière particulière d’appréhender le monde. Néanmoins, si ce caractère est commun à tout homme, il est aujourd’hui controversé de penser que la bipédie est un caractère exclusif à l’homme. Le fait de marcher ne différencie pas l’homme de l’animal, contrairement à ce que les scientifiques du siècle dernier nous disaient. Des chercheurs ont en effet prouvé que l’hypothèse de la bipédie en tant qu’évolution était erronée. Cette dernière avançait l’hypothèse que l’environnement avait conduit les australopithèques à se dresser, à avancer sur deux jambes. Une nouvelle hypothèse serait que la bipédie est un caractère commun à tous les hominidés. Ce mode de locomotion est plus fréquent chez l’homme mais pourtant pratiqué par tous les hominidés. Ainsi, la théorie serait qu’un ancêtre commun aux hominidés était bipède. Ce qui repousse l’origine de la bipédie chez l’homme à plus de 6 Millions d’années et rejetant donc l’idée que la marche soit une acquisition récente et propre à la lignée humaine.

* Pascal Picq, Les origines de l’homme : odyssée de l’espèce, 2005

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La marche : interaction physique « Eminemment sensible et sensuelle »* d’après David Lebreton, la marche est un moyen d’interaction entre le corps et le milieu qu’il parcourt. Un milieu constitué de tensions multiples, où objets et lieux cohabitent. Si marcher implique une interaction avec un lieu, elle suppose avant tout le fait de prendre possession de son corps, une communication étroite entre son corps et son esprit. Chacun a déjà fait l’expérience de ce besoin simple de se dégourdir les jambes, de faire quelques pas après un long trajet en voiture, ou une journée passée derrière son écran d’ordinateur. Ce plaisir alors de redécouvrir les sensations corporelles par le mouvement. Tant une nécessité qu’un plaisir simple. Si les médecins préconisent de marcher un peu tous les jours pour sa « bonne santé », son « bien-être » c’est qu’il a été démontré que ses bienfaits sur le corps humain sont multiples ; votre colonne vertébrale, votre cœur, et pleins d’autres, aiment la marche. Ce qui explique cette envie de marcher, ce besoin ; votre corps le réclame à votre esprit. Ou votre esprit le réclame à votre corps. Comme l’exprime Montaigne « Mon esprit ne va si mes jambes ne l’agitent », corps et esprit sont étroitement liés. (Cf. Expérience du corps immobile P. 19-21) Marcher c’est faire endurer son corps, l’éprouver. Sa capacité est limitée, la fatigue, l’épuisement sont tant de sensations qui en rendent compte. Alors, prendre conscience de son corps c’est prendre conscience de son échelle, de sa posture, de ses limites. Une forme de relativité nait durant la marche, conscient de ses limites physiques, l’heure ne compte plus tellement. Durant l’expérience urbaine de Bergen, au bout d’un certain temps à marcher l’heure qu’il était ne m’inquiétait plus, je me disais :« A quoi bon savoir ? Je ne peux pas aller plus vite. ». L’individu est un être sensible et c’est bien une interaction physique qui s’opère entre le marcheur et un lieu, ses cinq sens sont en exergues. L’environnement est lui aussi un corps qui exprime des choses, qui vit. Plus les sens sont sollicités, plus la mémoire corporelle est active et plus le souvenir d’un lieu sera fort, comme « ancré en nous ». Très souvent on se souvient d’un lieu par la remémoration des sensations ressenties, la mémoire corporelle est forte. Concernant l’affectation du titre de « bon » ou de « mauvais » souvenir il dépendra de la subjectivité de chacun, des attentes et rejets filtrés par la culture, l’éducation, etc. La forte odeur iodée du marché au poisson d’Istanbul marque chaque visiteur, et qu’elle plaise ou non. David Lebreton l’explique d’une autre façon : « La marche urbaine ne se réduit pas à des impressions purement esthétiques, elle condense toute l’ambivalence du monde et appelle parfois ce mélange de grâce et dégoût car de toute façon elle participe de la qualité d’un monde qui ne se vaut que par ses contradictions»*. Les interactions physiques entre un lieu et un individu offrent à ce dernier des repères, des signes qui font foi du réel. Comme nous allons le voir plus loin, le corps est un seuil, indispensable dans la conception d’espaces. Olivier Mongin soulève la question de la résistance du corps face aux « nonlieux », ces lieux sans caractère, sans contexte ou encore ces lieux virtuels ; « Le corps résiste en tant que corps, il ne peut se soustraire à un relation au réel, à un monde, il ne peut vivre dans un

* David Le Breton, Eloge de la marche, 2000

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réel qui ressemble à « n’importe quoi », dans un lieu qui est « n’importe quel lieu », un « n’importe où » »*. Le corps réagit, « résiste » à un lieu qui ne créer par d’interaction physique. Des ruelles sinueuses d’Istanbul qui aspirent à nous perdre, des maisons troglodytes de la Cappadoce qui nous interrogent sur notre propre mode d’habiter, des fjords brumeux sans signe de civilisation pour nous rappeler la courte vie de l’humanité face à la nature, aux boulevards parisiens relevant l’anonymat pluriel des passants ; sont autant de lieux qui stimulent l’individu tout entier, et l’invitent à continuer à marcher. C’est par sa lenteur et sa souplesse que, la marche demeure le seul moyen au corps de ressentir pleinement un lieu. Libre, le marcheur profite de l’éveil de tous ses sens. Marcher plusieurs jours au cœur de la Cappadoce, dormir à la belle étoile, se réveiller au creux d’une maison troglodyte non protégée, marcher plusieurs heures pour admirer les couleurs bleu du glacier Jostedal, sentir le vent glacial à son approche, voir la nuit tomber à 15h, le soleil se coucher à 22h (…) sont des expériences de marche qui s’apparentent à un réel accompagnement des éléments et phénomènes naturels. L’exploration de la nature est parallèlement une exploration de soi, le cycle de la nature questionne notre existence si minuscule. Mais si découvrir une ville, un territoire, en marchant seul demeure un gage d’autonomie, on constatera le sentiment de vulnérabilité qui s’y associe. Partir à la découverte de territoires inconnus nécessite une préparation préalable afin de pouvoir s’adapter au mieux au lieu, appréhender des habitudes, des rites différents des nôtres. Et si la ville appartient à tous en théorie, les faits en sont tout autres. La traversée de la place Stalingrad en pleine nuit, la promenade dans les quartiers dits « conservateurs » d’Istanbul, ou encore le franchissement du tunnel souterrain dans le quartier Arstad de Bergen (unique moyen de traverser la rue, cf. diagrammes expérience de marche P. 3746) témoignent d’un sentiment d’inconfort, de vulnérabilité, d’insécurité voire de rejet de la part du lieu et de ses habitants auquel un marcheur seul peut être confronté. En somme, toutes les sensations ressenties au cours de la marche font écho en grande partie à ce qui se passe dans le lieu. Si l’on se réfère aux diagrammes effectués à la suite du parcours résidence-école à Bergen, nous lisons les pulsations tant du marcheur que de la ville. Le sismographe des sensations ressenties est un écho de ce qui ce passe dans ce milieu, de son rapport avec lui. Ces pulsations sont indicatrices de tensions intéressantes à expérimenter, elles stimulent l’individu. Il paraît essentiel de garder ce phénomène vivant, stimulant mais en transformant les espaces urbains positivement afin d’inciter le marcheur à les parcourir, les expérimenter, les vivre. Marcher est une ouverture au monde complète, au réel. Parce qu’elle implique l’appréhension subjective de ce qui constitue ce réel, avec ce qu’il a de riche et complexe ; la sociologie, l’ethnologie, la géographie, la météorologie, etc. Le corps par la marche établi une relation physique entre lui et son environnement, amenant le marcheur à prendre conscience de sa place, de sa culture, de son individualité, de son échelle, de son existence. En soit, la marche est l’expression de la liberté et de la sensibilité de l’homme.

* Olivier Mongin, La condition urbaine, 2005

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PARTIE 1 la marche

L’expérience d’être Corps – Espace Corps en marche – Espace

La marche, le marcheur : termes pluriels Nomadisme et architecture Des marches, des marcheurs

L’expérience d’habiter Conclusion


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L’expérience d’être Corps – Espace La marche est par définition une expérience corporelle. Elle décrit le mouvement d’un corps -qui marche- dans l’espace. Cependant, avant même d’évoquer ce corps en marche, intéressons-nous à l’attribut premier et indissociable à cette pratique ; l’interaction entre le corps et l’espace qui l’entoure. La démarche consiste à appréhender la relation corps-espace, préexistante à la marche, afin de percer toute la portée et le sens de l’expérience corporelle qu’elle offre. Qu’implique la présence d’un corps dans l’espace ? L’expérience du corps immobile (voir ci-contre) interroge cette question et offre des pistes de réflexion, de réponse. L’exercice fut réalisé dans le cadre d’un cours d’Arts Plastiques (dispensé par Marco Dessardo). La consigne générale était de « Réparer le corps ». En partant du constat « d’un corps surmené et fatigué » cette expérience propose en guise de réponse, d’hypothèse : d’« Arrêter de s’agiter pour reprendre conscience de son corps. Ne plus répondre aux sollicitations. Possibilité d’action : inaction. ». La méthode consiste à rester immobile le temps du cours, 7 heures, assis sur une chaise, dos à la porte d’entrée. La position du sujet (voir plans) est symbolique -dos à la porte d’entrée-, elle marque une opposition au mouvement. Les observations témoignent d’un changement de comportement chez le sujet au cours du temps : « Première heure : douleurs physiques (…) Heures qui suivent : douleurs physiques de moins en moins présentes. Pensée calme, sensation de calme, repos. Impression d’arrêt du temps (…) ». Les conclusions révèlent une prise de conscience d’une relation de cause à effet entre la position du corps dans l’espace et du mental. Et soulignent le phénomène d’action dans « l’inaction », action dans le sens où quelque chose a été modifié, crée. Outre mes propres observations sur l’expérience, à posteriori, professeur et élèves ont également noté des changements au sein de la classe ; « l’atmosphère était plus calme, le fait d’avoir quelqu’un immobile pendant autant de temps inspirait la sérénité, le silence, la lenteur. », « Nos déplacements étaient différents, étant dans l’entrée tu faisais obstacle et nous devions faire attention à ne pas te bousculer. Au début tu perturbais l’ordre habituel de la classe, on s’interrogeait, et après quelques heures tu faisais comme partie de la salle, on s’habituait à cette nouvelle situation. » Que pouvons-nous tirer de cette expérience ? Premièrement, elle a mis en lumière le pouvoir du corps à « être là ». « Là » que l’on peut définir par la salle, ou plus généralement l’environnement, le lieu, l’espace. Le corps est vivant, d’où son pouvoir à «être là », il ne peut se dissocier de l’espace qui le contient, qu’il perçoit. Merleau Ponty a longuement travailler sur ce sujet : « Loin que mon corps ne soit pour moi qu’un fragment de l’espace, il n’y aurait pas d’espace pour moi si je n’avais pas de corps »*. L’expérience choisie se réfère ainsi à ces propos, dans le sens où le corps et l’espace forme un tout, le corps ne peut se définir sans son environnement et vice versa. Il y aurait un rapport étroit entre le corps et

* Maurice Merleau-Ponty Maurice, La Phénoménologie de la Perception, 1945

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la conscience, rendant le corps objectif au statut de concept. Je ne peux avoir conscience de mon corps qu’à travers la conscience que j’ai du monde. Or si l’on suit notre logique cette conscience du monde passe par le corps ! En bref, le corps est un outil à percevoir -grâce à nos sens- le monde, le penser et agir en son sein. C’est par sa nature inhabituelle, originale, perturbante, aux yeux des autres que cette expérience a mis en lumière cette relation du corps à l’espace. Elle a ainsi remis en question l’usage de la pièce, l’usage du corps dans cette dernière. Le corps peut choisir l’immobilité, la mobilité, dans tous les cas il sera présent, modifiera le monde. D’autre part, la relation du corps à l’espace impose une caractéristique physique fondamentale qui influe notre positionnement, notre mouvement ; la pesanteur, rendant ainsi le corps extrêmement sensible au sol sur lequel il est. Le temps, donnée fondamentale, est ressortie à plusieurs reprises lors de l’expérience. Et en effet le corps est lié au temps, l’espace est lié au temps. Le temps conditionne la perception du monde par le corps. Si l’on se réfère aux lois sur la relativité ; l’espace et le temps sont deux notions indissociables. Le corps étant temporel, appartient à l’espace-temps. (Merleau Ponty). Alors, la relation au temps renvoie à l’aspect vivant du corps, à son existence.

Corps en marche – Espace Par la marche, le corps part à la rencontre de son territoire. Le corps bouge dans un environnement qui se meut également. Au fil du temps le corps et son environnement se transforment, chaque moment est unique. Chez David Lebreton le paysage s’apparente à une superposition de filtres sensuels qui se transforment au fil des saisons ; « Chaque espace est en puissance de révélations multiples, c’est pourquoi aucune exploration ne l’épuise jamais. »*. Le corps en mouvement est sollicité par ses sens dans le paysage qu’il traverse, arpente, découvre ou redécouvre. Indissociables l’un à l’autre le corps en marche et l’espace (-temps) se répondent. La marche induit une immersion complète dans l’environnement pour celui qui la pratique. Le corps est un capteur multi-sensoriel, qui permet de sentir le monde, d’appréhender l’imperceptible, noter « les infimes moments du monde »**. L’environnement est perçu par la vue, l’ouïe, l’odorat et le toucher. La lenteur Dans la marche, le temps semble « s’étirer ». En marchant le temps est mobilisé et c’est un temps qui « s’étire, flâne, se détache de l’horloge »*. La marche se caractérise par la lenteur des mouvements du corps. La lenteur est une donnée relative, elle se mesure « par rapport à ». Et vivant à une époque où les moyens de locomotion sont de plus en plus rapides, la marche parait d’autant plus « lente » qu’avant. Ces progrès dans la rapidité des temps parcourue s’associent aux impératifs généraux de vitesse et de rendement. David Lebreton illustre ce fait en citant la pensée de Taylor et sa « Guerre à la flânerie ». L’auteur voit la marche comme « une résistance à ces impératifs du monde contemporain qui élaguent le goût de vivre »*. De la même manière dans la formule : « J’ai choisi mon camp, celui de la lenteur »***, Pierre Sansot exprime son rejet face aux impératifs

* David Le Breton, Eloge de la marche, 2000 ** Thierry Davila, Marcher, Créer, 2002 *** Pierre Sansot, Du bon sens de la lenteur, 1998

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ambiants et fait l’éloge de la lenteur. Il met en garde contre l’accélération de « la machine »-monde, société-, et contre un « acharnement culturel »*. On remarque que la lenteur représente bien plus qu’un mouvement physique du corps lent. La lenteur est un engagement social, une revendication. Dans l’œuvre d’Alys « The Leak », le rapport au temps est mis en lumière. Il déverse un pot de peinture tout en marchant. Un filet de peinture est déversé au sol, témoin de son parcours. Il y déverse « L’écoulement des minutes et des heures nécessaires à la dérive »**. La trace de peinture finira par disparaitre avec le temps, l’usage, comme le marcheur quelques minutes avant elle. « Le temps passé à marcher, la durée du déplacement, est la matière même de l’action du piéton, le ferment de la plasticité de son mouvement »** décrit Thierry Davila en parlant des œuvres d’Alys. On comprend toute l’importance de cette notion dans le fait de marcher, qui rend cette pratique, le déplacement induit simplement éphémère. Marcher-penser Peut-on marcher sans penser ou penser sans marcher ? Comme l’expérience du corps immobile l’a illustrée ; le corps est indissociable à la pensée. Il en va de même donc pour le corps en marche. Déjà dans la Grèce Antique on faisait la relation entre déambuler et penser. « Le palais de la Mémoire » est le nom du procédé mnémotechnique qui visait à mémoriser des idées ordonnées en les associant à un itinéraire architectural. Egalement, nous avons l’exemple de la méthode d’enseignement d’Aristote, qui donnait cours à ses élèves tout en marchant. Il fonde ainsi l’école péripatéticienne, issue du grec ancien peripatetikós qui signifie « qui aime se promener en discutant ». Les séquences spatiales s’apparentent alors à un enchainement d’idées. *** Mais qu’en est-il aujourd’hui ? En parlant du retour de voyage, Michel Onfray met en tension, ces notions : l’expérience corporelle du déplacement et la mémoire : « La multitude d’informations qui assaillent le corps ne peut subsister comme telle. Le tri sévère écarte l’anecdote pour permettre à l’esprit de se concentrer sur l’essentiel –des émotions cruciales, des perceptions cardinales ». Et il soulève qu’à partir de là « s’architecture un monde »****. Il ajoute que la société actuelle tend à réduire cette capacité de mémorisation ; « Nous vivions une époque de renoncement de la mémoire. Tout contribue à cet holocauste du souvenir »****. Les prouesses techniques dématérialisent les supports et rendent le réel « sans racines ni prolongements ». Voilà pourquoi la marche est urgente, et au cœur des nouvelles préoccupations. La marche stimule corps et pensée. Et puis par la marche, le corps témoigne d’une certaine résistance du corps à la gravité. Marcher c’est être debout et avancer. Cette notion de résistance du corps est aussi une résistance de l’individu; résistance à la mort, résistance symbolique et physique à une situation. Après avoir posé la question du rapport entre le corps et l’espace, il reste à approcher celle de l’individu et du territoire. Si marcher implique une expérience corporelle, elle engage certainement une expérience culturelle et sociale. La marche est sensible, et les diverses raisons de sa pratique en font d’elle une pratique culturelle et sociale du territoire. Nous reviendrons sur ces notions après avoir identifié les principaux usages de la marche.

* Pierre Sansot, Du bon sens de la lenteur, 1998 ** Thierry Davila, Marcher, Créer, 2002 *** Olivier Mongin, La condition urbaine, 2005 **** Michel Onfray, Théorie du voyage, 2006

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Pourquoi marchons-nous ? Comment marchons-nous ? Où marchons-nous ? Sont des questions qui trouvent des réponses différentes en fonction du type de marche dont on parle. Mais l’ensemble de ces réponses donnent à voir la richesse de cette pratique. De nature lente, le rythme, la cadence, la durée de la marche seront toutefois différents en fonction de celui qui la pratique. Les différents profils de marcheur nous aideront à cerner les nuances.

La marche, le marcheur : termes pluriels Nomadisme et architecture Nous venons d’aborder un point essentiel ; la présence d’un corps dans l’espace opère une transformation du lieu, et en modifie ses significations. La transformation opérée n’est pas physique, mais par ses perceptions que l’individu change l’espace en lieu. Le domaine dans lequel s’inscrit ce mémoire est celui de l’architecture. C’est pourquoi nous tenterons de comprendre les significations de la marche par le prisme de l’architecture. Parce que, si l’architecture se définit comme l’action de construire l’espace, la marche n’en serait-elle pas un début ? La marche prend ses racines dans le nomadisme. Mais qu’est-ce que le nomadisme exactement ? Quelle est sa relation à l’architecture ? Couramment le nomadisme est opposé à la sédentarité, qu’est-ce qui en serait l’origine ? Quelles sont les conséquences de cette division ? Appréhender ses questions nous permettra d’en savoir davantage sur la relation entre marche et architecture. Dans son livre Walkscapes, Francesco Carreri cherche à « démentir l’imaginaire antiarchitetural du nomadisme et de la marche »*. Il met en lumière le premier objet architectural ; le menhir. Il le caractérise comme le «premier objet situé dans le paysage à partir duquel l’architecture s’est développée »*. Alors, l’origine de l’architecture proviendrait de nos ancêtres du paléolithique, associés à la civilisation de l’errance. Le menhir s’exprime par sa relation au parcours. Le parcours précède le menhir, et dans le même temps le menhir donne sens au parcours. « C’est probablement le nomadisme, et plus exactement l’errance qui a donné vit à l’architecture en faisant émerger la nécessité d’une construction symbolique du paysage. »* Couramment on associe plus facilement l’architecture à la sédentarité, au fait de « rester, s’installer », et l’antiarchitecture au nomadisme, au fait « d’aller ». On dissocie le paysan du berger, comme on divise le sédentaire du nomade. Le mythe de Abel et Caïn** véhicule cette idée de séparation, ainsi que la portée négative et punitive de l’acte d’errer. De cette opposition nait alors deux manières différentes d’habiter le monde et de concevoir l’espace. Si la sédentarité s’associe au lieu, à la statique, à la construction ceci ne signifie pas que le nomadisme s’y oppose. Au contraire, source des lieux, le nomadisme les alimente continuellement. L’architecture comprend la statique et le mouvement. Parce que les lieux sont les témoins d’errances primitives, « de marches incessantes ». Les lieux (repères spatiaux) et les parcours (lignes) traduisent ensemble, une appréhension du territoire, sa représentation mentale, et son appropriation par les hommes. « Le lieu ne donne pas tout, il ne peut suffire à l’action, à la vita activa s’il ne fournit pas l’occasion

* Francesco Careri, Walkscapes, 2013 ** Le mythe d’Abel et Caïn est issu de la Génèse. Abel et Cain sont les fils d’Adam et d’Eve. Caïn était cultivateur et Abel pasteur de petit bétail. L’un sédentaire, l’autre nomade. Caïn offrit à Yahvé les produits du sol et Abel offrit les premiers nés de son troupeau et leur graisse. Mais seule l’offrande d’Abel est agréée. Alors Caïn tue son frère Abel. Après cet homicide, Caien, «le maudit», fut puni à l’érrance eternel.

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de tisser des liens avec d’autres lieux, s’il ne rend pas possible une mise en mouvement »*. Par ce propos, Olivier Mongin appuie l’importance et la nécessité de la considération du mouvement. Ce dernier est intrinsèque au lieu. En somme, la marche étant le premier instrument donné à l’homme pour lire et écrire le territoire serait une forme primitive de l’architecture. La traversée du territoire est une première mise en scène de l’espace, qui fera par la suite l’objet d’une construction, un aménagement physique, symbole d’un usage.

Des marches, des marcheurs La marche est un terme large, utilisé dans diverses situations, donnant lieu à divers profils de marcheurs. Voyons à présent les noms et significations qui se cachent derrière la marche et le marcheur. Précédemment, nous avons souligné l’appartenance de la marche à l’errance et au nomadisme dans son sens large et premier. Or à travers l’Histoire, on voit l’évolution d’une stigmatisation des nomades. Le nomade est associé à l’errance, elle-même à l’erreur, la punition. (mythe de Abel et Caïn). La marche forcée, la marche de loisir Lorsque Michel Onfray marque la relation du voyageur au nomade et donc au marcheur, il expose le caractère autonome de ce personnage vis-à-vis de la société. Une autonomie qui de tout temps inquiète les pouvoirs ; «Le voyageur déplait au Dieu des chrétiens, il indispose tout autant les princes, les rois, les gens de pouvoir désireux de réaliser la communauté dont s’échappent toujours les errants impénitents, asociaux et inaccessibles aux groupes enracinés.»**. Nous disions précédemment que le marcheur était un individu autonome, le voyageur lui pousse son autonomie très loin. En effet, il est vu comme « un électron libre » par l’Etat, et son autonomie est entière par son opposition à la communion grégaire. Le voyageur parcourt des longues distances à la découverte de contrées nouvelles, sans attentes, avec comme seul bagage l’innocence ; « L’innocence suppose l’oubli de ce qu’on a lu, appris, entendu. »**. Le voyageur, amoureux du mouvement et de la liberté, chez Michel Onfray, a choisi de partir mais aussi de revenir chez lui, il ne porte pas en lui l’errance éternelle. C’est pourquoi il se différencie de l’image que l’on se fait du vagabond. Le vagabondage, lui, serait synonyme de fuite et de contrainte. David Lebreton décrit ce passage dans l’histoire de notre société de la marche forcée à la marche de loisir. Le vagabond, explique-t-il, incarne cette figure du marcheur contraint, c’est-à-dire lorsque le seul moyen de transport serait son propre corps. L’idée que la marche possède une fin, « un retour » ou encore un but est un marqueur de différenciation entre les marches. La marche entendu tel un voyage véhicule la notion d’expérience ; le fait d’essayer ou encore d’atteindre un objectif, tel un « changement existentiel » ou une « quête de soi ». La marche du pèlerin incarne plus que celle du voyageur cette « quête de soi ». De la même manière Michel Onfray différencie le voyageur du touriste. Il condamne le comporte-

* Olivier Mongin, La condition urbaine, 2005 ** Michel Onfray, Théorie du voyage, 2006

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ment du touriste qui se déplace avec ses préjugés, milite « de son propre enracinement »*. Contrairement au voyageur, pareil à l’ethnologue, essayant de comprendre ses découvertes. Soulignant avec force la distinction entre le touriste et le voyageur, il dénonce le fait que « Le touriste compare » tandis que « le voyageur sépare. »*. Aussi, chez Marc Augé le touriste « reste chez lui, même lorsqu’il est ailleurs »** alors que le voyageur cherche à aller « hors de lui-même ». Il s’agit de deux manières différentes d’aborder le voyage, la traversée. Ainsi, le marcheur prend des étiquettes différentes, des significations diverses, selon son époque et sa situation. Avant l’avènement de la voiture, la marche était un des principaux moyens de locomotion en France (ce qui est toujours le cas dans un grand nombre de pays), sa fonction était utilitaire. Le statut de la marche a été marqué par ces changements de mode de vie. Il est intéressant de comprendre les transformations de significations de la marche, et du marcheur au fil des années. Après les années 1950, les voyages à pieds se fond de plus en plus rares, « les itinéraires sont désormais motorisés »***.Par sa rareté, le marcheur, parait alors d’autant plus suspect au regard de la société. C’est dans les années 1990 que la marche revient, associée au loisir et à la disponibilité. L’essor des chemins de pèlerinage, de leur réaménagement, des initiatives à la marche par les communes (« Sentiers de la découverte ») sont témoins de la popularité de la marche aujourd’hui. La marche de loisir appelle au tourisme. Et par définition le tourisme serait une « action de voyager, de visiter un site pour son plaisir. »****. Soulignons que la marche évoque d’une certaine manière l’espace de transaction ; le nomadisme « dès l’époque d’Homère, a eu un second sens : négocier, partager ou distribuer-particulièrement la terre, les honneurs ou la boisson »***** . Par extension, le tourisme porte en lui ce caractère économique. Le tourisme par sa mobilité « consomme » des lieux. Finalement, si de toutes les marches le tourisme s’apparente le plus à la marche de loisir, on nuancera qu’elle s’inscrit dans une société de loisir qui incite à voyager, une société poussant le voyage dans un but financier. C’est une liberté qui prend place dans un contexte organisé et contrôlé. Ce qui questionne alors réellement le libre arbitre dans l’acte touristique. Il nous faut distinguer la marche en ville de la marche en pleine nature. La marche de loisir, comme la marche fonctionnelle peuvent avoir lieu dans les deux environnements ; par exemple : se promener dans la forêt, se promener dans la ville ou bien marcher afin de chercher du bois dans la forêt, marcher afin de chercher du pain à la boulangerie. Même si, aujourd’hui la marche en pleine nature est plus souvent associée à une marche de loisir (randonnée dans les montagnes, promenade dans les bois, etc.) et la marche urbaine à une marche fonctionnelle –bien que les projets urbains contemporains tentent de mixer ces activités plutôt que de les séparer-. Nous nous intéresserons plus particulièrement à la marche urbaine. Marcher dans la ville c’est la vivre selon un parcours plus ou moins choisi en fonction des situations et du tissu proposé. Ce parcours est caractérisé par une succession de différents espaces publics aux qualifications variées, parfois variables qui en définitive constitue pour le marcheur une expé-

* Michel Onfray, Théorie du voyage, 2006 ** Marc Augé, Pour une anthropologie de la mobilité, 2009 *** David Le Breton, Eloge de la marche, 2000 ****Dictionnaire Larousse, ed.2013 ***** Bruce Chatwin, Le Chant des pistes, 1987

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rience unique avec la ville. Il existe ainsi en résumé, deux grandes catégories de marcheurs urbains : ceux qui marche par nécessité, obligation et ceux qui marche par plaisir, choix. Ces derniers exigent aux espaces publics des qualités environnementales, faute de quoi ils n’y marcheront pas. Le marcheur urbain n’est ni complètement l’un ni intégralement l’autre, il doit avoir la possibilité de passer d’un statut à un autre. Or comme le dénonce David Le Breton, dans nos villes contemporaines «le marcheur urbain se mue en flâneur même s’il est souvent transformé en piéton»*. Dans un contexte urbain très motorisé, le marcheur est toujours en alerte, son espace de déambulation est limité et strict. Les obstacles et les frontières sont nombreux pour le marcheur urbain constamment « rangé » dans son couloir (pardon, trottoir.) En référence au travail de Jan Ghel**, par extension, on distingue ainsi deux formes d’activités : -activités nécessaires (se rendre au travail, faire des courses, attendre le bus, etc.) -activités optionnelles (prendre l’air, flâner, etc.) En présence de ces deux types d’activités, une troisième forme apparaît : les activités sociales. Elles sont le fondement, l’essence d’une ville. La diversité du type de marcheur dans un lieu urbain exprime la richesse, la multitude de possibles de ce dernier. Cela témoigne de sa haute qualité spatiale et sociale. Par exemple on constate que certaines places publiques ou parcs sont utilisés par des marcheurs différents, tant traversés par des personnes pressées qui choisissent le chemin le plus court, que parcourus, arpentés par des promeneurs, flâneurs. Ces lieux publics sont le théâtre de mouvements de marche divers. Et chacun de ces mouvements possède son propre rythme. En effet, une « allure hâtive » diffère d’une allure plus lente et reposée. Ces caractéristiques renseignent sur le profil du marcheur. Le piéton affairé ira plus vite que le flâneur. Marcher mobilise un temps spécifique. Le rythme de la ville, de la foule tendent à nous emporter dans un tourbillon, un mouvement incessant. Cette folle farandole comme la chante Piaf, telle un corps qui danse emporte les gens dans son mouvement infernal, à en faire vaciller un derviche. Or, l’observation exige la lenteur du pas. Et pour accepter la rencontre avec un lieu, il est nécessaire de prendre le temps de recevoir les informations qu’il nous envoie. La preuve est qu’à contrario, lorsqu’on se sent en insécurité le pas se fait plus rapide que d’habitude, témoin de fuite, d’un refus d’interagir avec ce milieu hostile. Le flâneur : une figure composite Cette figure est née à une époque où la marche est exclusivement utilitaire, à l’époque où nait la cité moderne. Ceci expliquant le caractère singulier du flâneur, dont le mouvement est sans but. Ce tournant marque le changement spatial des villes et l’arrivée de la foule. Il a fait couler beaucoup d’encre. Dont celle de Charles Baudelaire et Benjamin Walter. L’origine du flâneur fait encore débat. Nombreux polémiquent sur le fait qu’il soit né à Londres ou à Paris. D’abord employé par Baudelaire, se terme se généralise et sera associé à la modernité par Walter Benjamin, notamment dans son œuvre Paris, capitale du XIXème siècle. Il associe les passages parisiens aux lieux du flâneur. Tous deux, Baudelaire et Benjamin, empruntent la figure du flâneur à Edgar Allan Poe, « L’homme

* David Le Breton, Eloge de la marche, 2000 ** Jan Ghel, Life between buildings, 2001

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des foules » situé à Londres. Ils voient dans le personnage d’Edgar Allan Poe « un nouvel archétype urbain, celui d’une figure isolée et solitaire qui est à la fois homme de la foule et son observateur détaché »* . Et paradoxalement, il existe en tant qu’être de la nostalgie de la ville « d’avant », il erre dans la ville qu’il ne reconnait plus. Le flâneur ne serait-il pas un idéal à atteindre? Baudelaire décrit le flâneur comme un artiste, un penseur, un observateur, un poète. Il cherche à trouver une place entre la foule et la solitude. La stricte séparation entre la sphère publique et la sphère privée ne plait pas à ce marcheur, qui oscille entre les deux. Or cette séparation radicale est de plus en plus présente et nait de la modernité, de l’individualisation. Le flâneur est une réponse à ce mal de la société, une résistance à cette opposition, un désir d’entre-deux. Il marche par envie, on le dessine la tête levée, regardant les façades, observant les passants… La flânerie se définit comme un art, celui de déambuler, l’art de se perdre. Walter Benjamin décrit la flânerie comme une pratique, un art qui s’apprend : « Paris m’a appris cet art de s’égarer »**. Pierre Sansot associe directement la flânerie à un usage de la lenteur ; « prendre son temps, se laisser guider par nos pas, par un paysage »***. De même, Benjamin souligne cette relation à la lenteur « vers 1840 il fut de bon ton de promener des tortues dans les passages. Le flâneur se plaisait à suivre le rythme de leur marche. S’il avait été suivi, le progrès aurait apprendre ce pas. » Dans cette dernière phrase Benjamin dénonce les exigences de vitesse et de circulation caractéristiques à la cité moderne. Ici, le flâneur est synonyme du vagabond, au sens où il cherche à s’affranchir du mouvement général. La flânerie est marquée par une ambiguïté, elle est tant active que passive. La lenteur est associée bien souvent à l’oisiveté, la nonchalance, etc. et Pierre Sansot cherche à en démontrer au contraire la valeur positive. Son livre « du bon usage de la lenteur » est un véritable « procès instruit à l’encontre des infatigables qui accélèrent un processus déjà à l’œuvre et l’emballent. Mais aussi une mise en garde contre un éventuel acharnement culturel.»*** De la même façon que Benjamin, il met en garde contre le tumulte et la hâte. Si la flânerie est un art, est-elle donnée à tous ? Un simple piéton peut-il être flâneur ou cette pratique est-elle réservée à un certain nombre ? Un piéton est d’après l’urbaniste Hyppolyte Amaury « un individu qui n’utilise pas de véhicule »****. L’opposition au véhicule, autre moyen de transport répandu, serait une caractéristique essentielle au piéton d’après l’urbaniste. Le terme de piéton est associé à une personne qui se déplace en ville à pieds, se différenciant des autres modes de transport tels que le vélo, l’automobile, les transports en commun. Ce terme est principalement utilisé dans le domaine juridique ; est piéton pour la circulation routière celui qui ne circule pas à voiture mais à pieds. Cependant, dans l’ouvrage Le piéton de Paris de Léon-Paul Fargue (1993), le mot piéton n’a pas ce caractère froid et purement fonctionnel énoncé plus haut. Bien au contraire, pour Léon-Paul Fargue le piéton est proche de ce qu’on a défini comme le flâneur, amoureux de la ville, poète des rues. Afin donc de ne pas se perdre dans les mots et leurs interprétations, je précise que le mot piéton sera dans le cadre de ce mémoire utilisé dans son sens premier afin de parler simplement « d’une personne qui marche en ville » mais lorsqu’il est utilisé en comparaison au flâneur, le terme de « piéton fonctionnel » sera synonyme d’un « un marcheur urbain dont la marche possède un carac-

* Merlin Coverley, Psychogéographie ; Poétique de l’exploration urbaine, 2006 ** Walter Benjamin, Berliner Kindheit um 1990 *** Pierre Sansot, Du bon sens de la lenteur, 1998 **** Magazine Ville & Transports, article Piétons et voitures comment cohabiter ?, 14 juin 2007

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tère fonctionnel » (Hyppolyte Amaury et David Lebreton). On parlera alors dans ce deuxième cas de figure du piéton pour parler d’une personne qui effectue un déplacement fonctionnel, son regard est orienté vers le sol le plus souvent, afin de lire tous les signaux guidant son parcours ; passage piéton, barrières de sécurité, bancs publics, obstacles, feux de signalisation, etc. Le promeneur, lui se rapproche du flâneur même si il ne va jamais très loin. Et le plus souvent effectue un parcours familier, connu, tel un rituel, contrairement au flâneur qui se laisse porté, se dirige sans but spécifique. Aujourd’hui, la promenade bat son plein, incités fortement par la société qui l’associe au loisir, à la disponibilité, au bien-être. De nombreuses décisions politiques sont prises pour offrir au promeneur des parcours balisés. Ces derniers sont appelés sentiers de la découverte. Néanmoins, des promenades balisées et payantes ont vu le jour. Le sentier « pieds nus », récemment pratiqué dans les Vosges, bien qu’attrayant et riche en sensations est affuté d’un aspect commercial bien regrettable. Si chez Baudelaire le flâneur est un artiste, poète, personnage omniscient, figure divine, etc., chez Benjamin, le flâneur ne peut réellement se soustraire à la foule, il est victime de la cité moderne plus que héro. Benjamin annonce le triste sort du flâneur, qui serait source et objet du tourisme, en accusant « le décor des grands magasins, qui mettent ainsi la flânerie même au service de leurs chiffres d’affaires »*. En définitive, le terme de flâneur est proie aux contradictions. Le flâneur est un idéal aussi bien qu’un piéton ordinaire, une victime du consumérisme autant qu’un vagabond. D’après Benjamin, la capacité à flâner dépend de la ville dans laquelle on se trouve, certaines s’y prêtent moins que d’autres. La composition de la ville à un rôle à jouer dans la flânerie. Le flâneur incarne plusieurs figures de marcheurs à la fois, c‘est une figure composite. La marche de démonstration Chaque marche est involontairement une sorte de démonstration parce qu’elle compose une mise en scène. Mais certaines marches, qu’on nommera « marche de démonstration » expriment une volonté consciente de montrer ou de dire quelque chose. Et ces dernières sont obligatoirement urbaines, parce qu’elles ont besoin de l’espace public pour exister. Elles agissent sur la scène théâtrale qu’offre la cité. Les rues alors, ne sont plus seulement espace de circulation mais bien espace de communication. La marche silencieuse, la manifestation, la marche de commémoration, ou encore les cortèges, défilés, etc. font parties de cette catégorie « marche de démonstration ». En effet, elles sont différentes dans le message qu’elle véhicule, par leur contexte, force symbolique, etc. mais toutes utilisent l’espace public afin de dire, de délivrer un message ». Dans la liste des marches exclusivement urbaines, on trouve les marches de démonstration. Contrairement aux autres types de marches évoquées plus haut, celles-ci sont par définition collectives. Thierry Davila distingue ces marches des marches simplement collectives en prenant appui sur le travail de Louis Marin ; « A chaque fois, « un système hiérarchisé et articulé de valeurs » apparait explicitement, s’expose dans l’espace public soit sous une forme triomphante, soit sous une forme protestataire violente ou non, soit sous une forme commémorative, soit sous toute autre forme qui implique que la marche est une façon de faire signe, une manière de vouloir dire. »**

* Walter Benjamin, Paris capitale du XIXème siècle, 1979 ** Thierry Davila, Marcher, Créer, 2002

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La marcheuse Dans ce mémoire le terme « marcheur » est utilisé sans distinction entre masculin et féminin, il inclut les deux à la fois. Pourtant, peut-on dire que la marcheuse est égale au marcheur ? Ce caractère simplement physique à l’origine, a entrainé une distinction culturelle et sociale entre les deux genres. Marcher signifie s’exposer au monde, aux autres, donc se rendre vulnérable. Ouvrons une parenthèse, pour signaler que si la marche est une exposition de soi dans le monde social, dans tous les types de marcheur, la marcheuse tient alors généralement une place singulière. David Lebreton exprime clairement et avec désolation cette réalité : « si les hommes parcourent sans dilemme les sentiers ou les trottoirs des villes, indifférent au jour ou à la nuit, sauf sans doute dans certains quartiers le soir, il n’en va pas de même pour les femmes (…) »*. Il s’appuie sur les propos de Rebecca Solnit dénonçant « cette limitation de leur liberté de mouvement »*. D’après lui, le succès des pèlerinages au près des femmes s’explique en partie par le fait qu’elles se sentent entourées et peuvent marcher sans crainte. En outre, dans un article du journal Le Monde datant du 21 aout 2014, on y lit** « Selon le sexe, l’usage de la rue n’est donc pas le même : les hommes occupent les trottoirs, les cafés, les bas d’immeubles de manière statique ; les femmes, elles, ne stationnent pas. Elles sont en mouvement, flânant rarement et évitant les lieux trop masculins. Leur usage de la rue est plus pratique que ludique : aller chez le médecin ou au métro pour rejoindre son travail, faire ses courses… » La journaliste justifie ses dires en citant les travaux menées par l’ethnologue-urbaniste Marie-Christine Hohm. Cette dernière met en lumière le sentiment d’insécurité liée particulièrement aux femmes plutôt qu’aux hommes dans l’espace public. Elle réalise une étude en 2012 dans le quartier du Grand Parc, dans le nord de Bordeaux, auprès de femmes recrutées en trois groupes : lycéennes et étudiantes, femmes précaires et isolées, et seniors. Et elle en conclut que « Les femmes ne se sentent pas légitimes dans l’espace public. Elles n’y sont pas avec la même insouciance ». Or l’insouciance dont parle l’ethnologue-urbaniste est sûrement l’une des plus grandes caractéristiques du flâneur… D’autant que la flânerie est une pratique solitaire, et comme le signale David Lebreton, le sentiment d’insécurité s’amoindrie par la force du nombre. Alors, la marcheuse peutelle prétendre flâner avec la même insouciance qu’un marcheur ? Bien entendu, une part de subjectivité siège dans le sentiment d’insécurité ou non, certaines marcheuses peuvent se sentir plus ou moins à l’aise par rapport à d’autres. Aussi, l’intensité d’insécurité pour une marcheuse dépend de certains lieux, quartiers, pays plus ou moins hostiles aux femmes. La marcheuse n’est donc pas en insécurité partout, mais il est clair qu’elle possède une carte mentale avec les parcours à éviter, et même lorsque le danger est inexistant il se peut qu’elle refuse de parcourir certains lieux par méfiance, par appréhension fabriquées par l’imaginaire collectif. A chaque échelle, qu’elle soit planétaire ou locale, la marcheuse est plus ou moins en alerte. Employant dans ce travail des expériences de marche personnelles, il est probablement intéressant de noter que dans ma subjectivité du paysage perçu, entre en jeu le fait que je sois marcheuse. Ceci, pouvant par ailleurs expliquer le choix d’évaluer le « sentiment de sécurité » durant la marche n°1 (P. 37-46).

* David Le Breton, Eloge de la marche, 2000 ** Journal Le Monde,article Les femmes ont un usage réduit de l’espace public par Sylvia Zappi, 21 aout 2014

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Ou encore, ce fait peut justifier la représentation de l’option du trajet n°3 dans la marche n°2 (P. 52-61). Cette diversité d’option de trajet est courante chez la marcheuse urbaine en fonction du jour ou de la nuit. L’option n°3 fut envisagée en cas de parcours de nuit, préférant « par sécurité » emprunter une rue animée tandis qu’une rue calme (pourtant pratiquée de jour).

L’expérience d’habiter Le temps est l’un des témoins de l’usage du territoire par le marcheur. La marche lie le corps au territoire par le fait même de le pratiquer. Si marcher signifie pratiquer, rime-t-il alors avec habiter ? Il faut distinguer le simple fait d’occuper un lieu et l’acte d’y habiter. Or dans « pratiquer » il y a l’idée d’un savoir-faire, d’un art de faire. Et un savoir-faire implique la durée, le temps passé à faire. « La fonction de l’artifice humain, dit Hannah Arendt, est « d’offrir aux mortels un séjour plus durable et plus stables qu’eux-mêmes ». On ne peut s’empêcher de penser ici à l’analyse de Heidegger sur l’acte d’habiter. C’est cet acte qui en dernier ressort trace la ligne qui sépare la consommation et l’usage »*. Ici le terme usage dépasse la simple nécessité et possède en lui la notion de permanence, durabilité. Et en effet, la référence à Heidegger s’explique par ses écrits sur l’importance d’« apprendre à habiter». Pour ce faire, il faut bâtir « à partir de l’habitation » et penser « pour l’habitation». Cette remarque fait ainsi écho à la notion d’usage, prérequis à l’habiter et à la vita activa. L’acte d’habiter est aussi rattaché –étymologiquement- à l’idée d’habitude, c’est-à-dire la répétition dans le temps, voire dans le quotidien, d’un usage. « L’étymologie rapporte d’ailleurs qu’entre installer sa demeure dans un endroit précis, demeurer quelque part de manière récurrente […] il existe bien évidemment une relation intime : à chaque fois on a tardé. […] Habiter signifie donc tarder autour du foyer, à la manière préhistorique, près du feu qui réchauffent, éloigne du danger des bêtes et protège des intempéries »**. Passer du temps et habiter iraient alors de pair. Mais pouvons-nous étendre cette idée d’habiter à non pas seulement un endroit fixe –notion classique de la maison- mais aussi à un parcours, un espace dilaté ? Sansot formule la question autrement : « Est-il assuré que circuler soit le contraire d’habiter, que le premier incite à la célérité et le second à la sédentarité ? »*** Et affirme qu’ «Il nous parait possible de dépasser dès maintenant cette opposition – du moins dans certaines circonstances. » Et il met en lumière en guise de réponse, la notion d’habitude évoquée plus haut « Habiter c’est d’abord avoir des habitudes à tel point que dehors devient une enveloppe de mon être et du dedans que je suis. C’est pourquoi on peut affirmer que, d’une certaine manière, j’habite une ligne de bus, dès lors que je l’emprunte chaque jour. » ***De la même manière, nous pouvons dire que nous habitons le trajet que nous parcourons chaque jour liant notre maison à la bouche de métro. Habiter évoque alors bien plus que l’acte de découvrir un lieu, il se rapporte à un usage répété, à une connaissance de l’environnement fréquenté. Et ce qui différencie le simple passant de l’habitant serait la durée d’usage.

* Préface par Paul Ricœur dans Condition de l’homme moderne, Hannah Arendt 1958 ** Michel Onfray, Théorie du voyage, 2006 *** Pierre Sansot, Du bon sens de la lenteur, 1998

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Mais à partir de combien de fois, combien de temps, combien de saisons, pouvons-nous parler d’habiter ? Habiter est une forme d’expression de soi, une mise en pratique d’être dans l’espace par son appropriation. Habiter implique qu’un individu s’habituer à un espace autant que ce dernier s’habitue à lui. L’habiter est inhérent à l’homme, c’est un besoin qui lorsqu’il est altéré provoque un réel mal-être –tant mental que physique- « L’âme humaine a besoin de s’approprier un espace qui soit comme le prolongement d’elle-même et du corps » (Simone Weil). Parce que le sentiment d’habiter fait écho au sentiment d’appartenance au monde, à un territoire, une ville, ou encore à une société, communauté, etc. -Divers facteurs socio culturelles sont à considérer dans la possibilité d’habiter.Michel de Certeau soutient la puissance de l’acte de marcher dans sa capacité à participer à une appropriation de l’espace. Il met en relation l’acte de parler et l’acte de marcher en expliquant que « l’acte de marcher est au système urbain ce que l’énonciation (le speech act) est à la langue ou aux énoncés proférés. Au niveau le plus élémentaire, il a en effet une triple fonction « énonciative » : c’est un procès d’appropriation du système topographique par le piéton (de même que le locuteur s’approprie et assume la langue); c’est une réalisation spatiale du lieu (de même que l’acte de parole est une réalisation sonore de la langue) » Il conclut de cette manière, que la marche « semble donc trouver une première définition comme espace d’énonciation »*. La marche, espace d’énonciation, transforme l’espace parcouru en espace habité. Rachel Thomas assure que la marche représente « un enjeu de la durabilité et « du renouvellement urbain » mais insiste surtout sur le point majeur de son travail de recherche : la marche « constitue, dans son essence même une activité d’ancrage du piéton à la ville »**. Ses écrits sur le sujet font écho à la relation entre marcher et l’acte d’habiter que nous venons de développer, puisque habiter invoque cette idée d’être ancrer, d’appartenir à un environnement –ici urbain-. Ces ancrages se traduisent par le fait « d’être urbain et de faire la ville ». Elle en dégage 4 registres; l’ancrage pratique, social, perceptif et l’ancrage affectif. Son travail de recherche tend à mettre en avant la codétermination entre des ambiances architecturales et urbaines et des pratiques ordinaires. »**, elle s’intéresse au « caractère sensuel, quasi charnelle » de la marche urbaine. Son travail vise à entreprendre « une ethnographie sensible de ces expériences déambulatoires ». Or dans l’étape qui va suivre, la seconde partie de ce mémoire, des expériences personnelles de marche poseront aussi en partie, la question de l’interaction entre pratique et ambiances. La marche demeure ici objet d’étude et instrument à appréhender de la ville, et sa relation avec celleci. Parce qu’expérimenter l’environnement à partir du corps relève du sensible et du paysage perçu.

* Michel De Certeau, L’Invention du quotidien, I : Arts de faire, 1990 * Rachel Thomas, La marche en ville. Une histoire de sens, 2007

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Conclusion

Partie 1

Marcher c’est faire l’expérience d’être là, et le rapport au temps implique plus précisément l’expérience « d’avoir été là ». Le mouvement démultiplie le « là », les lieux, les repères, sont multiples. Et c’est par la marche, le mouvement du corps, que ces « là » se connectent entre eux spatialement et mentalement. Par la marche, l’expérience « d’avoir été là » impose l’échelle non plus d’un seul et même lieu mais l’échelle d’un parcours ponctué de lieux. Marcher possède une dimension sociale, en fonction de où vous marchez, comment et pourquoi on vous attribuera un statut particulier ; vous serez flâneur, promeneur ou vagabond pour d’autres. Marcher inclut l’interaction entre l’homme et son environnement, et donc aussi l’individu et son monde social, entre moi et les autres. Nous développerons dans la seconde étape de ce travail plus longuement, cet aspect social de la marche ; c’est-à-dire, comment la marche renseigne sur le rapport entre le domaine public et le domaine privé dans la ville. Enfin, marcher se défini comme l’acte d’être au monde et l’acte de l’habiter. Par sa pratique, son usage du territoire le marcheur transforme l’espace. La traduction sur la ville de cet usage sera développée plus en détail dans la seconde partie, où nous tenterons de comprendre la ville à travers la marche. Dans l’expérience de marche n°1 (P. 37-46), l’un des objectifs était de tester le sentiment d’appartenance à la ville après l’avoir parcourue par la marche. Comme nous l’avons vu précédemment pour parler « d’habiter » ; habitudes, rituels et donc répétitions d’usage sont nécessaires. Or le trajet réalisé pour la première fois en marchant était emprunté via bus depuis 6 mois environ quotidiennement. Je peux dire avoir habité cette ligne de bus. Concernant le parcours « au sol » il en est moins certain, l’ayant emprunté une seule fois seulement. Il aurait fallu le pratiquer à plusieurs reprises, à différents moments de la journée, diverses saisons, etc. Pourtant, le sentiment d’appartenance, d’attachement, synonymes de l’habiter étaient bel et bien présents et plus prégnants encore après l’expérience. A quoi explique-t-on cela ? Le parcours déjà « connu » par bus, s’est révélé au corps après la marche. Le paysage de la ville perçu est bien plus complexe par la marche. En effet le corps est immergé dans l’environnement urbain, il fait appel à tous nos sens et ainsi plusieurs types de paysages apparaissent : visuel, sonore, tactile, olfactif. L’immersion totale ancre le corps dans l’environnement, l’intensité des échanges entre sujet et espace est plus forte par la stimulation accrue des sens. Des visages nouveaux de la ville apparaissent, ceci pouvant expliquer un rapport plus intime à la ville. L’expérience charnelle à la ville donne à l’individu une appréhension plus complexe et plus aboutie de son environnement. L’attachement se définit en ces mots : « Sentiment d’affection, de sympathie ou vif intérêt qui lie fortement à quelqu’un, à un animal, à quelque chose »*. Or la marche effectuée, témoigne d’un intérêt pour la ville et par l’action même a entrainé une stimulation des sens et de l’affect, et donc crée ce lien entre sujet et ville. En somme, l’habiter initié au préalable par la mobilité en bus quotidienne a été renforcé, consolidé par la marche. Ces paysages sensoriels ajoutés aux interprétations individuelles (« ses filtres perceptifs, ses repré-

*Dictionnaire Larousse, ed.2013

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sentations sont éminemment personnelles et dépendantes des motivations, des intentions, des projets associés à l’action ») forment notre propre perception de la ville. La ville perçue est invariablement subjective. Juhani Pallasmaa décrit l’architecture –au sens large- tel une « médiation entre nous-même et monde», par laquelle « Nous nous identifions à cet espace, à ce lieu, à ce moment, et ces dimensions deviennent des parties de notre existence même. »* L’architecture qui « s’effectue par les sens », et donc plus largement ; la ville, n’existe réellement qu’en tant que paysage perçu.

* Juhani Pallasmaa, The eyes of the skin, 2010

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PARTIE 2 la ville par la marche Percevoir la ville par la marche Subjectivité Distances perçues versus distances réelles Rapport au sol Définition et composition d’une ville

Lire et Dire la ville par la marche Démarches de lecture de la ville : entre subjectivité et intersubjectivité De la représentation mentale à la représentation physique Les supports de représentation

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Itinéraire réalisé à pieds

photos prises

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Percevoir la ville par la marche Subjectivité – Paysage urbain multiple En parlant de perception « La ville passe ainsi du concret au perçu, au représenté, de l’objectif au subjectif »*. Et la ville perçue est constituée d’ambiances. Qu’est-ce qu’une ambiance ? Comment la mesure-t-on? L’ambiance est synonyme d’atmosphère. Et d’un point de vue purement étymologique l’atmosphère est un nom féminin tiré du grec signifiant vapeur et sphère. Au sens physique du terme on retrouve cette relation du corps à l’espace évoquée précédemment : « Tout fluide subtil et élastique qui enveloppe un corps et en suit les mouvements.»** L’ambiance est composée d’immatériaux tels que le son, le vent, la lumière, etc., aussi par les émotions, l’être du sujet. « Il s’agit là de configurations complexes où se nouent indissolublement corps et connaissance, objets et sujets. Les ambiances ne sont pas que matérielles, elles engagent en fait une rhétorique pratique des sentiments, des réactions et des attitudes. Il suffit qu’un visage hostile ou fermé rentre dans une réunion pour que l’atmosphère change. »*** .Pour mesurer une ambiance il faut un sujet. Parce que « le corps est un instrument de mesure de l’espace et du temps ». Et la marche est un outil à « saisir les changements de direction des vents, de la température, des sons »***. On peut dire alors que « Le paysage n’existe donc qu’à travers chaque regard »* et cette expérience subjective du paysage urbain s’inscrit dans divers paysages sensibles. Puis, la culture conditionne également la réception d’information, la perception du sujet. « Selon les cultures, les individus apprennent dès l’enfance, et sans même le savoir, à éliminer ou à retenir avec attention des types d’information très différents. » **** Ainsi dans l’expérience de marche n°1 (P.37-46), le paysage perçu de la ville de Bergen est associé à quatre attributs ; le sentiment de sécurité, la présence de nature, l’activité rencontrée, et la sensation d’échelle. Pourquoi ces attributs –majoritairement socio-culturels- plutôt que d’autres ? Ce choix est subjectif, il témoigne d’une construction mentale d’un paysage perçu. Cette sélection de critères marque l’intérêt personnel porté à ceux-ci. Ce choix pourrait représenter une sorte d’exigence subjective des sentiments devant naître de la pratique de la ville. Mis en tension, ces attributs mettent en lumière la corrélation entre eux et « espaces forts », temps forts et ambiances spécifiques. Pareille à un récit, cette « construction de sensations » confirme le caractère narratif de l’expérience urbaine composée de rebondissements, tensions, relâchements. La traversée du tunnel pour piétons constitue un moment extrêmement marquant dans le récit. Il se lit par les graphiques qui l’isolent des autres moments (pics maximal ou minimal dans presque toutes les catégories). Ses caractères représentent les produits formés à partir de perceptions affectives et sensibles. Or ici, les filtres sensuels mis en jeu ne sont pas clairement traduits. Et il aurait pu être intéressant de comprendre comment par exemple les sons participent à la perception d’un paysage « sécurisé ou

* Arnaud Piombini, Contexte spatial des ambiances urbaines et usages des lieux, 2013 ** Dictionnaire de l’Académie Française, 1835 *** Jean-François Augoyard, Le Débat, La vue est-elle souveraine dans l’esthétique paysagère ?, mai-aout 1991 **** Edward T. Hall, La dimension cachée, 1971

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comprendre comment par exemple les sons participent à la perception d’un paysage « sécurisé ou non ». En effet, dans les modes de représentation (photographies, dessins) on lit une place importante accordée au paysage visuel, plutôt qu’à d’autres. Pourtant, le paysage sonore participe lui aussi fortement à l’élaboration des intensités des attributs choisis. C’est pourquoi, à posteriori, on s’aperçoit qu’une étape manque à cette traduction d’expérience –marche : activité tant sociale que sensible- ; comme des données plus brutes sur les paysages sensibles qui renseignent sur le paysage perçu global. Lorsqu’on parle de perception on pense aux écrits de Merleau-Ponty sur la Phénoménologie. Cette approche cherche à appréhender la perception en étant centrée sur le sujet qui perçoit. De cette manière, la phénoménologie aspire à définir ce que signifie « voir » pour la conscience du sujet. Il met en lumière le fait que percevoir est plus complexe que simplement voir ; « La perception des objets n’est pas limitée précisément par le champ visuel »*. D’ailleurs Jean-François Augoyard dénonce cette « souveraineté du voir dans la perception du paysage »**. L’auteur constate que dans ces conditions l’individu devient spectateur de la ville : « Le regardeur dont l’œil est régi par une esthétique de la contemplation devient, au sens étymologique, spectateur. » Et ce fait serait d’après lui une conséquence de notre culture occidentale et moderne, dont la notion de paysage serait « construite à partir d’une expérience du regard. ». On pense alors aux écrits de Hannah Arendt, dans lesquels elle prône l’action –au service de la vita activa- plutôt que la contemplation. Augoyard insiste lui alors sur la nécessité de « redécouvrir la pluralité des sens, rentré dans le décor, réinventer le trop connu »**. Concernant la mesure de ce paysage sonore elle passe obligatoirement par le sujet, étant donné qu’il y contribue, il est acteur. « Si le monde et l’autre peuvent facilement pénétrer phoniquement dans ma privauté, voire dans mon corps propre - et les voix de la paranoïa étudiées en psychopathologie disent cette vulnérabilité de l’écoute -, en contrepartie je suis doué d’un pouvoir sonore potentiellement équivalent. »** Ainsi, plus que la vue, l’ouïe opère une relation constante avec son environnement. Le son est présent même dans votre sommeil, il « vous déborde, vous dépossède». Le rapport qu’entretien le marcheur au paysage sonore des grandes villes est complexe aujourd’hui. Les sons ressemblent plus à des bruits, des nuisances. La saturation de sons empêche la distinction des uns des autres (Le Breton). Le paysage sonore en ville tend à être qualifié de source de désagrément, « exposé aux nuisances sonores quasi permanentes du trafic urbain, le piéton appréhenderait la ville comme un milieu agressif »***. Cependant, force est de constater que nous sommes capable d’opérer une mise à distance de ces nuisances sonore, par « un écran des sens », un refus volontaire de ne plus entendre, de s’enfermer dans sa bulle. Ce phénomène justifie la non soumission totale du marcheur à son entourage sensible, et conforte sa position d’acteur de son propre mouvement dans l’espace. Composer les sons de la ville, les harmoniser est un challenge à relever au vue de l’importance du paysage sonore perçu par un individu. Le paysage sonore forge l’identité d’une ville. Les cartographies sensibles ci-contre rendent compte d’un site et de son quartier perçus par la marche. Dans le cadre d’un projet d’étude à Berlin, nous avions décidé d’appréhender l’identité du site par la marche, l’arpentage. Le temps passé dans ce quartier nous a permis de récolter des

* Maurice Merleau-Ponty Maurice, La Phénoménologie de la Perception, 1945 ** Jean-François Augoyard, Le Débat, La vue est-elle souveraine dans l’esthétique paysagère ?, mai-aout 1991 *** Rachel Thomas, La marche en ville. Une histoire de sens, 2007

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informations clés pour la suite du projet. Sons, matières, vues, histoires d’usage, activités, intimité, etc. traduisent un fragment de paysage urbain perçu. (Expérience de marche n°4, P. 111-115) Le paysage sonore fut l’un de nos plus grands centres d’intérêt. Pour la simple et bonne raison que nous avons été surpris du silence qui habitait le centre du site en contraste au brouhaha environnant. Le silence a besoin de son contraste pour être apprécié. Le silence n’était bien sûr pas total, mais il y avait une réelle mise à distance avec la profusion des sons de la ville. Et à contrario, nos propres pas résonnaient fortement dans la ruelle déserte. Des sons qui dans les rues bruyantes sont presque inaudibles, car confondus parmi d’autres. De là, est née notre collection des sons du site et de ses alentours. Nous voulions comprendre cette identité sonore, et par la suite faire naître une proposition spatiale (choix des matériaux au sol, traitement des ouvertures, etc.) et programmatique qui préserve ce contraste sonore voire même harmonise les sons entre eux. On ne peut opposer la logique visuelle à la logique sonore parce que le son « est partout en termes d’espace (360°), contrairement à la vision. »*. Et signalons aussi que le paysage sonore dépend du temps ; « le son est du temps qualifié. »*. Voilà peut-être pourquoi un paysage sonore calme, de faible intensité en termes de décibels fait appel à un ralentissement du mouvement, à une pause. C’est précisément cette ouverture au paysage urbain des sons –des odeurs, des matières- qui marque la différence de perception entre le trajet résidence-école en bus et le celui à pieds. Dans les mobilités autres dites « rapides », c’est essentiellement la vue qui est sollicitée. Et nombreux exemples témoignent d’une adaptation des paysages urbains à ce phénomène. La photo ci-contre (P.50) révèle une domination de la vision et sa conséquence sur le paysage. Cette devanture s’adresse aux automobilistes, sa grande taille impacte fortement le paysage urbain. Le piéton « subit » ces gigantesques visuels publicitaires qui ne lui sont pas adressés. Il s’agit d’un paysage urbain motorisé, donc visuel –hors échelle humaine-. Ce type d’action sur l’environnement participe à l’effacement du piéton. L’exemple le plus frappant, à l’échelle d’une ville, reste Las Vegas. (référence à Learning from Las Vegas, Robert Venturi). La vitesse de mobilité modifie en profondeur la perception de la ville par la baisse de capacité des sens à capter les informations. L’augmentation de la vitesse perturbe le temps de réaction du sujet face à un évènement. La lenteur, qui caractérise la marche permet d’être plus disposé aux évènements qui ponctuent un parcours urbain. En effet chacun possède un temps de réaction face aux manifestations externes. La lenteur dispose le marcheur à mieux recevoir et comprendre ces informations, lui donne le temps de les anticiper. Dans un train ou dans une voiture, ou même à bicyclette, la rapidité du mouvement balayent de nombreuses informations, et rendent l’individu moins attentif à ce qu’il se passe. Un phénomène qui en dehors du fait de diminuer les interactions physiques avec la ville et ses habitants est aussi rappelons-le très souvent source d’accidents de la route. En référence à la dimension cachée de Edward T. Hall, Jan Ghel décrit comment les sens agissent sur notre perception de la ville, et réciproquement comment la composition de la ville modifie nos perceptions et donc notre rapport au monde, aux autres. Son intérêt porte essentiellement sur les contacts sociaux que peuvent suggérer les situations urbaines.

* Jean-François Augoyard, Le Débat, La vue est-elle souveraine dans l’esthétique paysagère ?, mai-aout 1991

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Crédit personnel : Photographie prise à bord d’une voiture, RN3 Seine-Saint-Denis Crédit personnel :Photographie prise à pieds, RN3 Seine-Saint-Denis

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Pour ce faire, il distingue les récepteurs de distance (yeux, nez et oreilles) des récepteurs immédiats (peau, muscles). Il qualifie l’odorat comme le champ le plus limité. Au-dessus de 2 mètres de distance seules les odeurs fortes peuvent être senties. Tandis que l’ouïe possède un champ de perception très important, au-dessus de 35 mètres la personne peut toujours entendre d’autres individus crier. Dans les rues une distance sépare les marcheurs des uns des autres. La distance entre les individus – La bonne distance ? D’après les travaux d’Edward T.Hall*, le champ visuel social est compris entre 1 à 100 mètres. A partir de 20 mètres de distance on distingue l’humeur et la posture de l’autre, et entre 1 à 3 mètres une conversation est possible. Expérimenter la ville c’est parcourir des espaces qui offrent l’opportunité de s’isoler ou d’aller au contact des autres. La possibilité de choisir entre solitude et multitude. La séparation entre la sphère publique et privée a détruit toute idée de graduation entre l’isolement et le contact. De cela, on peut réussir à comprendre comment favoriser des contacts sociaux, la communication en fonction des distances qui séparent les individus. Donc, même si précédemment nous avons mis l’accent sur le problème que pose la souveraineté du paysage visuel –au détriment des autres paysages sensibles-, cela ne signifie pas que la vue ne doit pas être considérée. Son rôle est fondamental dans la marche. En effet, la vue sert au marcheur à cerner l’espace, projeter des obstacles et donc anticiper sa direction, à visualiser des points de repères. Or nous avons vu dans la première partie que cette visualisation mentale favorisait la mémorisation des lieux, voire son attachement. Et enfin, par le fait de pouvoir voir le mouvement des autres piétons et d’être vu par ces derniers, la vue est « un vecteur de régulation de la sociabilité urbaine »**. Les odeurs et les sons apparaissent comme des informations diffuses dans le paysage urbain et donc en termes de repères sont peu fiables. Mais cela entre, soulignons-le encore une fois, dans un cercle vicieux. En effet, cette situation conforte le fait de mettre en avant la visibilité parce qu’elle est plus simple et efficace, or cette situation est justement dû à cette domination du paysage visuel –encouragée par la société-. Dans le sujet qui va suivre, la domination du paysage visuel sera clairement exposée. Nous verrons comment notre rapport au sol dans la ville –ici un quartier de Paris- est conditionné par des obstacles visant à séparer les flux et la signalétique associée. Notre vue est happée par ses objets qui dictent nos trajectoires. La marche « obéit à un code de la circulation piétonne strict. Pour ceux et celles qui la pratique, il s’agit d’avancer dans les flux engendrés par la ville tout en évitant les collisions. »**

* Edward T. Hall, La dimension cachée, 1971 ** Rachel Thomas, La marche en ville. Une histoire de sens, 2007

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Distances perçues versus distances réelles L’expérience de marche n°2 (P.52-61) décrit trois options de trajet liant un point A à un point B : du parc des Buttes Chaumont à la Place des Fêtes. Ces deux espaces publics, différents par leur forme, fonction, esthétique et histoire, sont tous deux emblématiques au quartier. L’option la plus rapide est celle du parcours de la rue Crimée, dont la distance est de 752 mètres contre 894 mètres pour l’option 2 et 1,131km pour l’option 3. Or, la première est perçue plus longue que les deux autres. Le problème du trajet n°1 se présente à différents niveaux. Le parcours est décrit comme moins agréable que les deux autres, la distance parcourue parait ainsi longue, « trop » longue. D’abord, il s’agirait de sa forme en ligne droite. D’après certaines études*, sous bonnes conditions extérieures, un trajet tortueux avec des rues sinueuses ou interrompues (de distance égale ou presque à un parcours en ligne droite) serait perçu moins long. Parce que la distance à parcourir n’est pas immédiatement visible. S’ajoute à cela la topographie de cette ligne droite ; la montée assez raide donne la sensation vertigineuse de gravir une montagne, et met le corps à l’épreuve. Puis, d’après la cartographie relevant l’intensité du trafic routier, on s’aperçoit que lors de son trajet n°1 le marcheur empreinte la voie la plus rapide et dense du quartier. Les mouvements rapides montant et descendant (unidirectionnels) des autos sont permanents et extrêmement proche de lui. Ce flux coupe la rue en deux et le pousse à rester sur son chemin (trottoir). Le trafic ici est associé à deux gênes pour le marcheur ; nuisances sonores et sentiment d’insécurité. Dans l’option n°2, les rues empruntées sont résidentielles, le trafic est moindre et lent, donc le paysage sonore est bien plus agréable. Dans l’option n°3, on fait un crochet dans la rue de Belleville. Le paysage sonore change encore, la rue est animée par le trafic routier mais aussi par les commerces. A la différence de l’option n°1, les commerces sont très présents, rendant le piéton « plus légitime ». Les sons des piétons se mêlent aux bruits des klaxons. De plus, il n’existe aucune échappée sur ce parcours, excepté un escalier menant à la rue des Annelets. Or qui dit escalier, dit barrière, obstacle, difficulté. La grille sémantique de De Wolf** expose la relation qui peut être faite entre la perspective qu’offre une rue et l’effet qui en résulte, « effet de choix » lorsque la rue se divise en deux voies par exemple. Ces effets doivent être cernés et appréhendés par les architectes et urbanistes afin de supposer le mouvement des marcheurs dans la ville -et la perception qu’ils auront de leur parcours urbain-. En outre, les séquences (voir séquentiel P. 56) sont moindres et pauvres-en matière de qualité spatiale- en comparaison au trajet n°2 pour une distance presque égale (différence de durée de 1 à 2 minutes). Le premier trajet offre peu de contrastes entre des grands et des petits espaces, tandis que dans les deux séquentiels suivant on apprécie plus amplement le jeu de compression-dilatation des espaces urbains. Les rues s’élargissent puis se rétrécissent à nouveau, etc.

* Jan Ghel, Life between buildings, 2001 ** Référence à l’analyse séquentielle, grille sémantique des rues d’après De Wolf, 1963

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Enfin « les étapes » sont elles aussi un facteur de stimulation du marcheur. Elles se trouvent sous différentes natures. Les espaces d’arrêt, de pause tels que des bancs, square, fontaine, etc. en font parties. Il y aussi, les lieux emblématiques comme l’Eglise de Jean-Baptiste de Belleville qui symbolise un repère dans le paysage et donc marque une « étape » dans le parcours (trajet n°3). Les trajets n°2 et n°3 possèdent davantage d’étapes, de séquences, par rapport au trajet n°1. Même si on constate avec désolation, les marques d’un banc retiré derrière l’église (voir cartographie du trajet n°3 P. 61). En sommes, la perception d’une distance dépend fortement des qualités spatiales qu’offre le parcours, comprenant « la protection et la stimulation »* du marcheur. Les cartographies du sol (P. 57,59 et 61) visent à montrer le trajet au travers du point de vue d’un piéton pressé. Contrairement au séquentiel, qui traduit le point de vue du flâneur. Ces deux méthodes sont intentionnellement manichéennes. Le but était de révéler le parcours d’après deux caractéristiques emblématiques ; les perspectives qui parlent de la construction spatiale et des zooms sur le sol qui renseignent sur la matérialité des rues mais aussi sur les frontières et bordures qui les composent. Dans quelle mesure le marcheur urbain est-il maître de son rythme, de son allure, de sa direction ? En effet, le système de réseau urbain tend à inciter l’option de la rapidité. « La ville « magnétise » le pas, l’attire ou le rejette vers des zones plus ou moins attractives »**.

Rapport au sol La marche possède un rapport au sol extrêmement étroit et sensible. La matérialité et la texture du sol renseignent sur les codes d’utilisation de ce sol. En effet, les revêtements recherchés, soignés, travaillés (etc.) associés à des matériaux « nobles » tels que l’ardoise, le granit, la brique, la mosaïque, ou encore le bois s’adressent directement au piéton. C’est une sorte de langage du sol, qui parle de la ville. Dans le langage plus codifié de la signalétique, le jeu de texture au sol peut être utilisé au profit de personnes malvoyantes qui grâce à cela peuvent s’orienter. Ces types de revêtement qu’on trouve fréquemment dans les centres historiques anciens, exigent de l’entretien de la part de la commune pour rester en bonne état. C’est pourquoi par manque d’investissement, nombreuses villes choisissent l’option « goudron » (ou graviers) matériaux peu esthétique mais peu couteux, utilisé pour les voies routières. Un sol mal entretenu traduit une négligence de la ville par rapport à l’endroit où l’on se trouve, par manque de moyen ou par manque d’intérêt. « Un trottoir défoncé révèle la faillite d’une municipalité incapable de le réparer ou la pauvreté d’un quartier »***. Les marques de retirement d’un banc dans la cartographie du trajet n°3 (P. 61) témoigne de ce langage du sol. Et en ville, la partie du sol réservé spécifiquement aux marcheurs c’est le trottoir.

* Jan Ghel, Life between buildings, 2001 ** Rachel Thomas, La marche en ville. Une histoire de sens, 2007 *** Thierry Paquot, L’espace public, 2009

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Le dictionnaire défini le trottoir comme la « partie latérale d’une rue, surélevée par rapport à la chaussée et réservée à la circulation des piétons».* On différencie la chaussée du trottoir, la voiture du piéton. Alors, si un travail précis et délicat du sol est réalisé il s’appliquera généralement au trottoir -sauf dans les rues pavés mais où alors le trafic automobile est faible voire absent -. Intéressons-nous donc de plus près à cet élément urbain. C’est son état physique et esthétique qui renseigne particulièrement sur l’état de la ville. Car, depuis son origine « la propreté du trottoir et son animation expriment la « bonne santé » de la ville et de sa population »**. Dans chacune des cartographies relatives aux trois trajets, on y voit des craquements de matériaux, des fissures liées aux intempéries. Et autant d’autres blessures du sol laissées à nu pouvant gêner la marche ; surtout celle des personnes à mobilité réduites. L’intérêt de ces cartographies du sol est de dévoiler des informations sur la ville qu’aucun plan GoogleEarth ou plan de cadastre ne peuvent indiquer. Ce sont des détails qui renseignent sur des situations à plus grande échelle ou plus globales. A l’origine, le trottoir, fut conçu afin de « protéger les passants qui se rendent au spectacle, de la circulation hippomobile »**. Le mot « trottoir » provient du mot « trotter ». Or « trotter » vient du francique ripuaire trotton, forme intensive de treten, qui signifie « marcher ». (Ce choix de nomination est assez ambiguë me semble-t-il, parce que dans le langage courant, trotter fait aussi écho au trot du cheval, et à cette époque c’était de la circulation hippomobile dont il fallait se protéger.) La première rue a s’en être doté fut celle de l’Odéon, à Paris en 1781. Puis sous le Second Empire, toutes les grandes villes du monde ont suivi le pas ; le trottoir est signe de prestige pour la ville. Le mot s’intègre dans différentes langues. L’idée de « marche » est dans la racine même du mot. En allemand, nous avons « gungbana » qui signifie « voie pour la marche ». Et il en va de même pour l’italien et l’anglais (respectivement : marciapiede et footway). Il est étonnant de constater que l’absence de trottoir peut signifier le sens inverse d’un contexte à l’autre. Soit il s’agit d’une omniprésence de la voiture et alors l’aménagement urbain n’inclut pas le piéton et donc inévitablement pas le trottoir (cas des autoroutes), soit vous vous trouvez dans une rue dite « partagée » ou piétonne dans laquelle la place du marcheur est centrale, légitime, voire majoritaire. Soulignons l’une des caractéristiques physiques majeures du trottoir : son dénivelé. Il est « surélevé par rapport à la chaussée ». La distinction faite entre deux types de circulation est marquée physiquement. Elle est sculptée dans le sol. A la question « faut-il niveler les rues ?», Nicolas Soulier répond oui, cela permettrait une mixité des circulations. Il donne aussi l’exemple d’un projet alternatif, qui dans le cadre d’un réaménagement de ville proposait de reconvertir les trottoirs en jardinières pour ne pas les détruire. Le trottoir accentue la séparation des réseaux et par son dénivelé témoigne d’une volonté de réduire la liberté de mouvement des piétons. Les marcheurs sont dépossédés de leurs rues, donc l’espace principal est réservé aux autres circulations. De plus, le dénivelé (d’une hauteur de 30cm en 1788 !) est une contrainte pour le marcheur, c’est à lui que revient l’effort. Sans parler des personnes à mobilité réduite pour qui, le trottoir est un grand obstacle.

* Dictionnaire Larousse, ed.2013 ** Thierry Paquot, L’espace public, 2009

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En somme, ce qui se voulait être une protection au départ devient un espace d’enfermement, de contrôle et de contrainte pour le marcheur. Et les installations telles que les poteaux et les barrières ajoutées avec le temps, n’ont fait qu’accentuer ce phénomène. Ces objets urbains, dont l’un des objectifs principaux est d’empêcher le stationnement des voitures a comme conséquence d’ajouter des obstacles au cheminement du marcheur. Sur les cartographies, les « frontières » ont été signalées. Ces dernières, comprennent des éléments statiques : les murs des immeubles, les trottoirs -par leur dénivelé-, poteaux, barrières, grilles, arbres, automobiles stationnées et les parcmètres. Tous ces éléments dictent la possibilité de passage du piéton. Le statut du passage piéton est hybride, il marque dans l’espace public ; tant une frontière qu’une connexion. Nous avons dit précédemment que le paysage urbain était majoritairement traité comme un paysage visuel, le sol n’échappe pas à la règle. Il sert de support à l’écriture de la signalétique. Le rapport au sol pour le marcheur et fondamental et le code de la route sait comment en tirer avantage. Les passages piétons, par exemple sont assez grands pour être visibles tant par les marcheurs que par les automobilistes. Cloutés, ils permettent aux malvoyants d’être perçu. Marqueurs eux-aussi de domination de la voiture par rapport aux piétons, des nouveaux projets urbains essaient d’atténuer leur emprise visuelle. Sur la photo ci-dessous on y voit un nouveau graphisme des passages piéton pour la rue du Faubourg du Temple. Cette action n’est pas simplement esthétique, elle s’inscrit dans une modification des priorités de circulation également. En effet, la rue est depuis peu, dotée de nouveaux visuels signalétiques qui indiquent que « la priorité du piéton gagne du terrain ». Le panneau « zone de rencontre à 20km/h » s’adresse aux automobilistes et aux deux-roues. Sur le carré bleu marine, on y voit un grand marcheur qui représente un ¼ du dessin. Puis en plus petit, on y voit un cycliste et une voiture. S’ajoute au schéma, le logo rond qui indique la vitesse 20km/h. L’ensemble se traduit par « priorité absolue aux piétons. Vous entrez dans une «zone de rencontre» où la vitesse est limitée à 20 km/h. ». Christophe Najdovski, adjoint au Maire de Paris en charge des transports, de la voirie et de l’espace public, défini les « zones de rencontre » comme étant des «intermédiaires entre les zones 30 et les rues piétonnes ».*

Source : Site officiel du Journal le 20Minutes

* Le Journal 20Minutes, article Nouveaux marquages au sol: Un an après, les Parisiens toujours perplexes par Fabrice Pouliquen, le 7 juillet 2014

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Sur la carte de Paris ci-contre, on comprend qu’il s’agit d’un plan d’aménagement plus large. Ceci s’intègre au programme «La rue en partage» annoncé par la ville de Paris en juin 2013. Julien Bargeton, adjoint au Maire, confie sur le sujet que « Le développement de la marche et du vélo nous amène à repenser les règles de circulation et les usages de la rue. Nous souhaitons étendre les aménagements qui permettent à tous, en particulier les enfants et les personnes âgées, de se déplacer de façon sûre et agréable. »* La ville déclarant que ces panneaux sont insuffisamment perçus par les usagers et décide de tester de nouveaux marquages au sol. Les pixels en guise de passage piéton dans les zones de partage -évoqué plus haut- en fait partie. Ainsi, aujourd’hui, plus grande est la place du piéton plus estompés sont les marquages au sol. Et depuis juin 2013, cinq nouvelles familles de passages piétons ont été expérimentées: les portées, les rectangles, les clous, les lettres et les pixels. La portée par exemple, « consiste à inverser le principe du passage piéton : c’est le véhicule qui traverse sur des lignes blanches. Elle se compose de trois fois trois bandes fines en zone 30 et d’une fois 5 bandes fines en zone de rencontre. Le rappel est réalisé par la répétition d’un module issu du passage piéton de la zone 30, disposé sur la chaussée ou à cheval sur le trottoir et la chaussée. »** Il est intéressant de voir que le dessin cherche à communiquer un message fort, celui d’un inversement des priorités préexistantes. Mais, un an après ces expérimentations, l’article du journal 20Minutes***, révèle une mécompréhension général du sens de ces marquages. Nombreux passants interviewés déclarent que les marquages sont esthétiques –certains parle de « street art »- mais pas assez clair ni pour le marcheur ni pour l’automobiliste. Une mère de famille confie : «La signalisation est trop discrète. Surtout au carrefour des rues Florian et Bagnolet. C’est par là que les voitures entrent dans le quartier.». Le marcheur urbain ne peut être indifférent à ces marquages, ces repères. Parce que marcher en ville signifie cohabiter avec différents modes de circulation. Ces signaux sont des repères caractéristiques et évocateurs du statut de la zone. Ainsi, le sol codifié de la ville influence son parcours mais aussi l’identité qu’il se fait de l’espace urbain. Son comportement, sentiment de sécurité ou non, de légitimité et de liberté dépendent de ce paysage visuel codifié. C’est pourquoi, le sens de ces codes doit être compris par tous. Un défi difficile à relever si on croit l’exemple des nouveaux marqueurs au sol parisiens. Pour entrer dans les mœurs ils auront sûrement besoin d’une communication efficace, et de temps. C’est l’habitude qui permettra aussi de les intégrer, de les accepter mentalement. En résumé, le processus de ralentissement de la voiture est en marche. Nous espérons qu’il se généralise partout et rapidement. Les espaces choisis –voir carte ci contre - étaient déjà des lieux où la présence du piéton était importante, en raison de l’attractivité présente. Mais une application de ce projet dans les rues où le piéton est peu présent permettrait à l’attractivité de s’y installer. L’objectif serait d’arrêter d’« enfermer les passants dans des rets dont ils sortiraient difficilement, mais de mettre fin, de-ci, de-là, aux accélérations auxquelles ils ont de la peine à résister.(…) que l’on conserve ou que l’on restaure des espaces d’indétermination où les individus auraient la liber-

* Article La rue en partage : de nouvelles règles pour tous sur le site officiel de la Mairie de Paris, le 6 juin 2013 ** Le Journal Paris Dépêches S.Gaspar, article La Mairie de Paris expérimente de nouveaux passages piétons par S.Gaspar, le 13 juillet 2013 *** Le Journal 20Minutes, article Nouveaux marquages au sol: Un an après, les Parisiens toujours perplexes par Fabrice Pouliquen, le 7 juillet 2014

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té de demeurer dans un état de vacance ou de poursuivre leur marche .»* L’urgence est réelle parce que ce type de projet permet au piéton de marcher de manière plus insouciante, d’un pas plus léger ; une démarche chère au flâneur.

Source : site officiel de la Mairie de Paris

LA RUE EN PARTAGE

1 CHARLES HERMITE

JONQUIÈRE

Aires piétonnes Principales zones et voies à 30 km/h Zones de rencontre Expérimentation de marquages au sol

2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35

Rue André Bréchet (17è) Rue Émile Duployé (18è) Marché de l’Olive (18è) Abbesses (18è) Rues Joubert et Victoire (9è) Rue Ambroise Thomas (9è) Rue du Fbg St-Denis (10è) Rue Lune (2è) Rue Chabanais (2è) Rue Jean-Jacques Rousseau (1è) Rue Rambuteau (3è/4è) Rue du Fbg du Temple (10è/11è) Carreau du Temple (3è) Rues Temple et Vieille du Temple (3è) Rue Coutures St-Gervais (3è) Rue des Rosiers (4è) Rue Jouy (4è) Rue Popincourt (11è) Rue de Lappe (11è) Rue Bonne Graine (11è) Marché d’Aligre (12è) Rue Robert Houdin (11è) Passages des Tourelles et Gambetta (20è) Rue Florian (20è) Montgallet (12è) Buttes aux Cailles (13è) Rue du Pot de fer (5è) Saint-André des Arts et Buci (6è) Rue de l’École de Médecine (6è) Odéon (6è) Rue du Dragon (6è) Gaîté (14è) Place Adolphe Chérioux (15è) Place Commerce (15è) Rues Buis et Désaugiers (16è)

SIMPLON FLANDRE

2

DAVY

PAJOL

3

BROCHANT

BUTTE MONTMARTRE

MAIRIE DU 17E

MOSELLE

GOUTTE D’OR

4 AQUEDUC

ADOLPHE MAX AMBROISE PARÉ

PONCELET

Voies et quartiers en zone de rencontre (20 km/h) 1

POTEAU

MILTON

VERDUN

5

6 FBG MONTMARTRE

7

EYLAU

PLACE DU CARROUSEL

CORTEMBERT UNIVERSITÉ

PLACE DE LA RÉPUBLIQUE

LUNE-SENTIER

PALAIS ROYAL

10

30

ST-SULPICE COMMERCE

16

ST-BLAISE ROQUETTE

19

ST-PAUL BERNADIN ST-VICTOR

29

21 ULM-MOUFFETARD NOTRE-DAME ARÈNES DES-CHAMPS VAL DE 27 GRÂCE

33

32

FALGUIÈRE

RÉUNION

ALIGRE

ST-PLACIDE

34

FORGE ROYALE

20 ARSENAL

35 SÉBASTIEN MERCIER

24 18

MARAIS

17

ODÉON

PORTE DE MÉNILMONTANT

ST-SÉBASTIEN

15

14

28

31

SORBIER OBERKAMPF

13 11

MAIRIE DU 1ER

22

BEAUBOURG TEMPLE

LES HALLES

ST-GERMAIN

DUPLEIX

FBG DU TEMPLE

25 SAHEL DUGOMMIER

CENSIER BROCA PASCAL

BRÈCHE AUX LOUPS

CROULEBARBE

PLAISANCE

TOMBE ISSOIRE

26

NATIONALE

BUTTE AUX CAILLES MONTSOURIS PEUPLIERS

* Pierre Sansot, Du bon sens de la lenteur, 1998

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LILAS

23 BELLEVILLE

12

MONTORGUEIL

ST-HONORÉ

VERNEUIL

STE-MARTHE

LANCRY

8

9

PLACE VENDÔME

PLATEAU RÉBEVAL

FBG ST-DENIS

CHÂTEAU DES RENTIERS

VOÛTE BEL-AIR


Dans le projet « la ligne verte » à Nantes, on y voit le pouvoir du sol en tant que support, et ce au profit de la ville. Initié par la mairie, un nouveau marquage au sol voit le jour : une ligne verte. Son existence n’est pas liée au code de la route, et là est sa singularité. Cette ligne, longue de12km, tracé au sol invite le marcheur à découvrir la ville sous un angle spécifique. Ce projet s’inscrit dans le cadre d’un projet plus global « Le voyage à Nantes », réel moteur de vie urbaine. La ligne est dessinée de façon à mettre en valeur certains lieux, actions, paysages ; les visages multiples de la ville. C’est « Une ligne qui sert de guide, progresse à travers la ville. Elle emmène d’éléments remarquables du patrimoine à des points de vue surprenants, de lieux culturels à une installation qui surgit au détour d’une rue ou même d’une rive entre Nantes et Saint-Nazaire ! »* (extrait du site officiel Le Voyage à Nantes, 2014) Ce dessin au sol s’inscrit dans l’identité de la ville, dans l’usage de ses passants. Chaque habitant de la ville ou voyageur ayant pu y faire une halte, pourraient-vous en parler. « On sortait de la gare et on voulait juste se promener un peu. On ne savait pas où aller alors on a suivi la ligne verte.» m’a confié Pierre, un ami breton, séjournant régulièrement à Nantes. Le rapport au sol est inhérent au marcheur, inhérent à l’expérience urbaine. Une modification, visuelle ou autre du sol foulée sera perçue, remarquée, enregistrée. La stimulation des flux amène le marcheur à rester en alerte, son attention sera alors portée au sol sur lequel tout s’agite. Alors, si ce projet se joue de notre attention abusive de ce qui se passe parterre, de notre manie à « regarder nos pieds » plutôt que les cieux, il a le mérite et la singularité d’inviter à la promenade, à la flânerie, à l’exploration de la ville. La communicante ligne verte se démarque ainsi des autres marquages qui emballent l’allure du piéton.

source : site blog paper le-voyage-a-nantes-encore

source : site officiel du journal MetroNews

* Extrait du site officiel Le Voyage à Nantes, 2014

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Définition et composition d’une ville Nous venons d’appréhender la ville par son sol et les codes qui en émanent. Essayons maintenant de comprendre ce que cette entité signifie exactement. Qu’offre-t-elle ? Comment se compose-telle ? Quel est son essence ? Et finalement que signifie marcher en ville ? Essayons aussi de comprendre ce que désignent les frontières spatiales rencontrées à l’échelle de la ville et ce qu’elles disent de la société. Alors, qu’est-ce que « la ville »? « Un grand nombre de maisons et de rues ?(…) Le gens qui l’habitent ?(…) Tout cet ensemble c’est ce qui fait une ville. La ville dépend de la campagne qui la nourrie (…) La ville dépend donc du transport. Et sinon, comment vit-on en ville ? Enfaite la vie peut être agréable si la ville n’est pas trop grande. On y circule facilement, on peut y trouver beaucoup de choses et on peut y regrouper beaucoup de gens. Mais la vie dans une grande ville est très différente, on circule très difficilement (…) on rencontre plus de gens qu’on est capable d’en connaître (…) La grande ville moderne est la vraie colonisatrice de la terre. Toutes les campagnes sont des colonies qui nourrissent la ville. La ville épuise les ressources de la terre. (…) La ville d’aujourd’hui si on y trouve pas de remède est un vrai danger pour l’humanité. Si la ville moderne pouvait se suffire à elle-même et produire sa propre nourriture alors elle pourrait servir de modèle pour un monde à venir où le nombre d’humains pourrait être dix fois supérieur à celui d’aujourd’hui. La ville pourrait être formée de petites communautés (…) »* Comme le présente ce texte la ville est indissociable à ses bâtiments, ses rues et ses gens. La ville est un corps. Elle est vivante. C’est un corps qui contient d’autres corps. Pierre Sansot l’explicite, lorsqu’il dit de ces marches en ville qu’« il nous fallait aussi « fatiguer » la ville, non pas par cruauté ou pour la prendre en défaut, mais pour qu’elle nous livre enfin son vrai visage »**. Alors, la ville « épouse d’emblée une double dimension corporelle : celle de la ville vue comme un corps, et celle de la ville vue comme un tissu de trajectoires corporelles infinies »***. La ville est le siège d’une mise en tension des corps et pose la question « que faire de mon corps au sein de ce corps collectif ? »*** Corps de la ville Chaque ville possède un corps différent, une forme, une structure différente. Paris ne s’est constituée tout autrement que Londres par exemple. La structure de Paris est concentrique ; elle s’est formée à partir d’une île et s’est étirée à partir de ce centre. Sa forme est marquée par des enceintes successives au cours de sa formation. Or « le centre ne peut renvoyer qu’à lui-même, la force d’aspiration est telle qu’aucune extériorité n’est concevable »***. Le corps de Londres est tout à fait différent, il n’est pas identifié par un centre, il « n’a ni milieu, ni axe »***. « Le mouvement n’est pas ici celui d’un corps en extension, il correspond à la juxtaposition d’organes associés dans le but d’emmagasiner et de fabriquer »***. Le corps de Londres fait écho à la production, c’est un corps industriel. Puis, nous avons le corps de New-York, encore différent des deux autres. New-York se défini par son

* Extrait de la vidéo Une Ville, une utopie de Yona Friedman remixée par Emmanuel Belgrade, 2010 ** Pierre Sansot, Du bon sens de la lenteur, 1998 *** Olivier Mongin, La condition urbaine, 2005

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caractère d’entre-deux. « Cette capacité de mettre en relation, de faire le lien entre l’eau et la terre, entre deux rives, entre deux fleuves, entre deux continents, fait de New York la ville qui synthétise la capacité d’amasser et de produire de Londres et la force d’extension de Paris»*. L’entre-deux évoqué ici fait appel à l’entre-deux continents, et à l’entre-deux époques. La ville est un corps, c’est une forme, et une image mentale différente chez chacun. La ville peut se définir comme « la conjonction d’éléments hétérogènes –des lieux, des parcours, une idée de la ville –auxquels fait écho une toponymie qui renvoie au « nom », au nom propre de la ville »*. Il est vrai que, le sentiment d’habiter est fortement lié à ce nom, lui-même intégré à l’image mentale qu’on possède de la ville. Il ne s’agit pas seulement du nom de la ville, mais aussi des noms de rues, de stations de bus ou de tramway, de repères, d’emblèmes, de personnes, etc. La forme d’une ville dépend donc des strates qui la composent, d’une mémoire. La forme de la ville fait écho à un tissu narratif dont l’histoire se réinvente à chaque fois. La ville contient du temps, « elle correspond à une rythmique temporelle et spatiale »*. C’est pourquoi, marcher dans la ville impose l’existence de seuils, de séquences, de passages, qui activent les strates de la ville, afin de ne pas faire de la ville un objet de contemplation, un musée. « Si le corps est l’image qui surgit spontanément quand le poète ou le phénoménologue évoquent la ville, si le cœur de la ville bat à un rythme plus ou moins soutenu, s’il peut connaitre l’arythmie ou un battement excessif, il y a autant de poétiques de la ville que de corps qui la parcourent et s’y aventurent»*. Du corps découle une forme, mais la forme de la ville dépend des mouvements des corps singuliers qui arpentent le corps de la ville. Ce dernier, est un espace limité qui offre une infinité de trajectoires. Parler de la ville c’est parler des espaces publics. Aujourd’hui en occident, leurs premières caractéristiques est leur gratuité et leur accessibilité, « ce sont des rues et des places, des parvis et des boulevards, des jardins et des parcs, des plages et des sentiers […], le réseau viaire et ses à-côtés qui permettent le libre mouvement de chacun »**. (Thierry Paquot, L’espace public) Cette multitude de trajectoires qu’offre la ville dessine l’émancipation, la liberté. Et c’est bien là, le caractère paradoxal de la ville. Marcher en ville revient à une expérience de mise en tension de termes opposés : intérieur-extérieur, privé-public. Autrement, on peut parler d’une certaine mise en scène de la ville. Et « l’inscription dans un espace public exige de trouver un rythme, le meilleur rythme concevable entre le privé et le public, entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’intériorité et l’extériorité. »* Alors comment d’écrire cette expérience publique ? Que signifie marcher en ville ?

* Olivier Mongin, La condition urbaine, 2005 ** Thierry Paquot, L’espace public, 2009

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Lieu d’exposition S’y exposer – espace public L’espace public est ce qui caractérise l’espace de la marche urbaine. C’est le facteur social de la ville, là où tout se rencontre et s’affronte. Habermas, un des premiers à définir l’espace public, le décrit en 1962 comme « la sphère intermédiaire entre la vie privée de chacun et l’Etat monarchique qui affectionne le secret, l’arbitraire et la délation, qui se constitue en Angleterre et en France de la fin du XVIIIème siècle au début du XIXème siècle. »* Il exprime ici, la tension qui y règne entre la sphère privée et la sphère publique. Et il informe, sur le danger d’une publicité politique soutenue par l’Etat qui manipule plus qu’elle n’informe et vise à « dépolitiser le citoyen réduit au rôle de consommateur de presse, sans conscience critique, sans désir de jugement, sans volonté de débattre »*. Parce que l’espace public est avant toute chose un espace de communication. Il s’agit de s’adresser au plus grand nombre, à la société. Et qui dit communication, dit échanges, c’est donc aussi le lieu où l’on peut s’exprimer, s’exposer aux autres. Thierry Paquot qualifie l’espace public comme la « fabrique des opinions ». En exemple, nous pouvons citer les marches de démonstration explicitées dans la Partie 1. Ces actions manifestent du sens de communication présent dans le terme espace public. L’espace public devient un espace où l’on se montre, où l’on s’expose, où l’on s’exprime. Pour le marcheur, l’espace public qui nous intéresse le plus est probablement la rue. Une ville se définie entre autre par son maillage, par ses rues. Chez les romains, « bâtisseurs d’un véritable empire au réseau routier incroyablement maillé »**, la ville se composait à partir de ses rues. Et du simple espace de circulation, la rue est devenue au fil des siècles un espace de communication au sens large, un véritable théâtre. Sous Louis XVI, il devient important d’avoir des rues belles, elles doivent traduire l’identité de la ville. Elle devient lieu d’exposition pour l’Etat, pour la société et pour chacun de ses passants. (Ceci entrainant l’attention portée aux trottoirs). Dans nombreux écrits, la rue est assimilée au théâtre de la vie. Dans le poème Les Foules de Baudelaire*** les passants sont des personnages, dont les masques sont variés. Un monde d’apparences où chacun joue un rôle, possède un masque qu’il peut échanger avec un autre, est la description faite de l’espace public. L’Autre est une source de stimulation, de réflexion. Il fait écho au marcheur que nous sommes. Se confronter à lui dans l’espace public aide à se positionner, à trouver sa place. « C’est dans les espaces publics que le soi éprouve l’autre […] chacun perçoit dans l’étrangeté de l’autre la garantie de sa propre différence. »**. (Mais ne pouvant pas cerner l’Autre, parce qu’il possède un masque lui-même créée en relation aux autres, peut-on finalement trouver sa place en ville ? C’est la question que soulève Le Spleen de Baudelaire.) Expérimenter la ville c’est parcourir des espaces qui offrent l’opportunité de s’isoler ou d’aller au contact des autres. La possibilité de choisir entre solitude et multitude. Marcher en ville c’est aussi expérimenter l’imprévu, le hasard, l’inattendu. C’est une expérience aux

* Jurgen Habermas, L’espace public : archéologie de la publicité comme dimension constructive de la société bourgeoise, 1962 ** Thierry Paquot, L’espace public, 2009 *** Charles Baudelaire, Les foules, Le Spleen de Paris, XII, 1869

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multiples possibles. Cette caractéristique est celle qui distingue le monde réel du monde irréel. Contrairement à ce que l’on peut penser, l’irréel offre peu de possibilités. Le monde virtuel est un monde programmé. Les informations que vous obtenez par le biais du monde virtuel vous pouvez également l’obtenir via le monde réel. Elles seront peut-être plus difficiles d’accès, mais cela ne signifie pas que le monde réel offre moins de possibles. Dans une société contrôlée, où votre individualité se résume à un nom d’utilisateur, de consommateur, la rue est bien le seul endroit où tout et rien à la fois peut se passer, où personne ne pourra le contrôler. Même dans des villes où les comportements du marcheur sont surveillés et contrôlés personne ne peut prévoir telle une pièce de théâtre ce que l’expérience urbaine offrira. Et à chaque fois elle sera unique, parce que le réel bien que limité physiquement est acteur d’une multitude de possibles. En sortant dans la rue vous ne pouvez prévoir sur qui vous allez tomber, combien de personnes allez-vous croiser, si une seule vous adressera la parole ou non, si elle sera aimable ou pas. Et cela, à moins de vivre dans The Truman show* personne ne peut le prévoir. Le hasard est maître dans l’expérience urbaine. Siegfried Kracauer soutient que « La valeur des villes se mesure au nombre de lieux qu’elles réservent à l’improvisation »**. En voyageant un peu nous avons tous fait cette observation. Pourquoi la ville de Berlin laisse-t-elle plus de place à l’improvisation que Paris ? Serait-ce le processus de ville-musée qui l’étouffe, la réprime, la soustrait de la vie urbaine ? Comment ne pas devenir visiteur de musée plutôt qu’habitant? La ville appelle à la pratique, à la viva activa, sans quoi on ne peut parler de ville réellement. Force est de constater que certains espaces publics sont plus généreux que d’autres en termes d’imprévus, d’évènements fortuits. On s’attriste devant ces nouveaux spectacles de rue organisés pour attirer les touristes et vendre du folklore, de cette règlementation de l’occupation de la rue toujours plus stricte. « Le spectacle de rue n’existe plus »*** appuie Thierry Paquot. Or, si l’habitant devient spectateur plutôt qu’acteur, si la vie urbaine se meurt, peut-on parler d’espace public ? Rappelons que l’espace public n’est pas seulement lié à son caractère juridique, l’espace public existe par l’usage qui s’y rattache. Rapport entre le domaine public et le domaine privé L’architecture du passage possède l’attribut d’entre-deux, c’est « Un lieu qui rend possible l’expérience urbaine par excellence, celle d’une mise en relation à double distance du privé et du public, de la trop haute solitude et de l’enfer de la multitude »****. (Olivier Mongin, la condition urbaine, 2005) Les passages, emblèmes de l’architecture parisienne, sont construits entre 1820 et 1840. Ils se définissent comme des rues intérieures, sortes de raccourcis, et opèrent le glissement entre le dedans et le dehors. « La première condition pour leur développement est l’apogée du commerce des tissus. » et la deuxième est « fournie par les débuts de la construction métallique »*****. (Walter Benjamin, A. Fourier ou les passages, Paris, capitale du XIXème siècle, 1939). Ainsi les passages parisiens incarnent le symbole de l’ère industrielle (par l’usage du fer et du verre) et l’apogée de l’industrie de la mode (exposition à travers les vitrines). Ils véhiculent le symbole du prestige et de

* The Truman Show : film de Peter Weir (scénario : Andrew Niccol), 1998 ** Siegfried Kracauer, Rues de Berlin et d’ailleurs, 1964 *** Thierry Paquot, L’espace public, 2009 **** Olivier Mongin, La condition urbaine, 2005 ***** Walter Benjamin, A. Fourier ou les passages, Paris, capitale du XIXème siècle, 1939

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la réussite. Et de cet espace singulier, est associée une pratique qui l’est tout autant : la flânerie. Le flâneur se mêle à la foule sans se laisser emporter par elle, il joue de cette tension, de cet entredeux. Le flâneur symbolise la dualité qui siège dans l’espace public ; une volonté de quitter sa solitude tout en gardant son individualité dans la foule. Nous l’avons dit, l’espace public est rempli de hasards, d’incertitudes, et donc de risques. Il semble que le flâneur trouve l’équilibre sensible entre les deux sphères (privée/publique). « Le passant profite de la liberté urbaine, celle qui passe par la mobilité et l’anonymat, il invente des rythmes singuliers entre un privé étouffant, car trop solitaire ou embourgeoisé, et une foule dangereuse, car vite oppressante et labyrinthique.»* L’espace public est vécu différemment d’un pays à l’autre, d’où sa complexité. Néanmoins, en comparant son usage et sa définition entre diverses cultures, on constate que les nuances sont essentiellement dues aux différentes façons d’aborder le rapport du domaine privé au domaine public. De ces études comparatives et analyses sur l’évolution de l’espace public au cours des siècles, un constat apparait : « plus l’individualité d’un sujet s’affirme, plus la distinction entre « privé » et « public » lui parait essentielle »**. Serait mis en cause ici : la modernité. Les avancées technologiques et sociales offrent à l’homme plus de libertés, un accès plus important à la propriété privée. Or, dans un même temps ces changements vont conforter la séparation de la sphère privée à la sphère publique. L’espace public est alors mis à mal, et l’homme, être relationnel, celui qui lie, « l’homme-frontière qui n’a pas de frontière »***ne peut que souffrir de cette situation. Dans le film L’homme qui dort (1974), Perec représente l’expérience intime, la solitude. La ville, ici Paris est le lieu de l’errance. Il semble que le personnage n’arrive pas à se mêler au monde. Il y a au départ, un certain équilibre, son mouvement entre sa chambre et les rues : dormir, manger, se promener dans la vie. Mais finalement imperméable au monde, la solitude l’emporte dans un tourment sans fin. Et tout autrement, il y a Le locataire (1976) de Roman Polanski qui semble dire que l’absence d’intimité peut rendre fou. Mais au fil de l’histoire, ce huis-clos oppressant, amène à se demander si ce n’est pas l’enfermement, l’absence d’interaction avec l’extérieur, l’espace privé enclavé, qui tourmentent le personnage. Deux exemples, qui sont témoins de la nécessité d’un glissement du dedans au dehors, du privé au public. Au sens plus large, la frontière est une notion fondamentale dans la manière d’aborder la ville. La ville se révèle différemment à son usager en fonction de comme la frontière est traitée ; « Une frontière n’est pas un barrage, c’est un passage. Les frontières ne s’effacent jamais, elles se redessinent. La frontière a toujours une dimension temporelle : c’est la forme de l’avenir et, peut-être, de l’espoir. Voilà ce que ne devraient pas oublier les idéologues du monde contemporain qui souffrent tour à tour de trop d’optimisme ou de trop de pessimisme, de trop d’arrogance dans tous les cas. ».****

* Olivier Mongin, La condition urbaine, 2005 ** Thierry Paquot, L’espace public, 2009 *** George Simmel, Pont et Porte, 1909 **** Marc Augé, Pour une anthropologie de la mobilité, 2009

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Tissu urbain Dans la définition même du mot tissu, il y a l’idée d’une combinaison d’éléments afin de constituer une unité, un corps. Le tissu urbain renseigne sur la position de la ville concernant le rapport entre le domaine privé et le domaine public. A cette échelle, on constate avec le temps une évolution du tissu urbain, un passage entre ces deux domaines plus brutal. Ce phénomène est induit entre autre, comme nous l’avons dit précédemment, par la révolution technologique où « la privatisation se développe sur tous les plans (l’intime, le public, le politique) ».* En moins d’une décennie on constate le passage de l’ilot à la barre. L’ilot est un élément déterminent de ce tissu urbain, il donne une échelle, « celle de l’organisation sociale des tissus. ».* L’ilot témoigne d’une façon efficace de vivre ensemble, il permet la création de liens spatiaux et sociaux. En effet, l’ilot permet le passage d’une échelle à une autre : l’appartement, la cour, le trottoir, la rue, et dont une transition entre le privé et le public. Mais déjà Haussmann va basculer cet équilibre entre privé et public. En effet, la valorisation de l’ilot fermé qu’il prône, celui de l’espace privé sera au détriment de l’espace public. Cette transformation ne sera pas simplement spatiale, la vie urbaine en sera modifiée, et « rend Paris étranger à ses propres habitants ».** Dans sa forme la plus radicale de séparation du dedans et du dehors, on retrouve la barre. La Cité radieuse par La Corbusier est l’exemple type. On ne parle plus de glissement d’un monde à l’autre mais de séparation. C’est une dynamique de privatisation et de séparation mis en marche. Or l’entre-deux est indispensable à l’expérience urbaine. Et cela fait écho également à une inversion du rapport entre flux et lieux. Les flux survalorisés emprisonnent les individus dans leur espace privé, l’espace public ayant peu à offrir à l’habitant. Processus d’urbanisation : Entre ville diffuse et ville compacte La ville est vivante, changeante et s’est vu se modifier fortement et rapidement au cours des dernières décennies. La mondialisation a généralisé des processus d’urbanisation, des manières de penser la ville. Les cartes le montre, l’urbanisation gagne du terrain. La ville germe même dans sous des climats extrêmes. Or la ville consomme. Alors La grande ville moderne est la vraie colonisatrice de la terre. La ville s’étale au détriment de la nature, elle cherche alors à se densifier mais comment « bien densifier » ? Parce que rappelons que l’idée de densification a fait naitre la barre. Il s’agissait de limiter les coûts, d’accroitre les liens sociaux… Mais la ville doit être comprise comme un ensemble constitué de lieux liés entre eux. Alors, où densifier ? Et comment densifier sans déséquilibrer et séparer le couple privé-public ? Que signifie densifier une ville pour l’expérience du marcheur ? L’étalement urbain, à l’échelle planétaire, assure une continuité entre les villes, et de la même façon des fragmentations de territoires. Les infrastructures liées au flux morcellent le territoire. Et les franchissements difficiles par la marche entrainent une perte de la sensation du sol, une déterritorialisation. (Exemple de la ville de la Courneuve fragmentée par ses infrastructures, créant ainsi des quartiers-ilots, séparés les uns des autres.) L’étalement urbain appelle à une croissance infinie des villes ; La ville alors devient « un espace

* Olivier Mongin, La condition urbaine, 2005 ** Walter Benjamin, A. Fourier ou les passages, Paris, capitale du XIXème siècle, 1939

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illimité qui rend possible des pratiques limitées et segmentées ».* La définition de l’étalement urbain par l’Insee, distingue deux dimensions : «la consommation d’espace se mesure à travers l’étalement du bâti » et « l’expansion d’une ville peut se mesurer par l’accroissement de son rayonnement, c’est-à-dire la dépendance des communes environnantes en termes d’emplois ou d’équipements par rapport à la ville pôle ». L’origine de ce phénomène est liée aux transformations démographiques. Cela entraine « une densification des pôles d’emploi, qui déborde ensuite sur les communes voisines ».** Mais l’étalement urbain est aussi fortement appuyé par nos manières d’habiter. La population s’accroit en même temps qu’elle vieillie et s’individualise (moins d’habitants par foyer). Il faut donc fournir plus de logements. Le conférencier Francis Beaucire explique que dès le Moyen-Age, on constate une agglomération d’habitations autour des limites de la ville, elles veulent entrer dans la ville. Et « à partir de la seconde moitié du XIXème siècle c’est un mouvement inverse qui s’opère ».*** Et nait alors la périphérie, les maisons s’installent à l’extérieur de la ville. Il prend l’exemple de Nantes pour exposer la notion de ville diffuse. Il montre qu’à partir des années 1970 la ville se diffuse de plus en plus et prend la forme d’une ville éclatée (on retrouve des zones urbanisés dépendant du centre à plus de 40km de celui-ci : « un actif sur deux vient travailler dans la ville de Nantes »). Ce changement, cette urbanisation du péri-urbain est liée à la naissance d’une dépendance de notre société à l’automobile dans les années 1970. Sur la carte, on observe des taches urbanisées, détachées de la forme centrale elles semblent flotter dans « le vide ». Alors quels sont ces vides ? On parle d’abord des vides en périphérie : les « vides urbains ». « Autour de la ville, quelque chose était né qui n’était pas la ville et qu’ils [les architectes] hésitaient à définir comme une « non-ville » ou comme un « chao urbain », un désordre général à l’intérieur duquel on ne pouvait rien comprendre sinon des fragments d’ordre juxtaposés par hasard sur le territoire. (…) Les architectes abordaient cette chose comme un médecin aborde un patient : il fallait guérir le cancer, remettre de l’ordre, tout ceci ne pouvait pas être accepté, il fallait intervenir, requalifier, apporter de la qualité. »****Mais leur ampleur est telle qu’on en vient alors à parler de ville diffuse : « un système d’habitat suburbain de basse densité, qui s’étendait en formant des tissus discontinus sur de grandes aires territoriales ».**** Ainsi on comprend que la notion de ville diffuse ne se défini pas seulement par sa forme mais par les usages de ses habitants, de leur mouvement de la périphérie vers le centre, et même du péri-urbain vers le centre.*** Les habitants cette ville –de la non-ville- sont « les « diffus », des gens qui vivaient hors des règles civiles et urbaines les plus élémentaires, habitant le seul espace privé de la maison et de l’automobile, et concevant comme seuls espaces publics les centres commerciaux, les auto-grills, les stations-service et les gares, détruisant ainsi tout l’espace conçu pour leur vie sociale. ».**** Alors pour lutter contre l’étalement urbain, certaines villes préconisent la densification urbaine. Rennes et Montpellier en font parties, et sont appelées « ville archipel ». Dans les termes de « villes archipel » on comprend l’idée d’avoir la ville entourée de nature et coupée d’autre ville.

* Olivier Mongin, La condition urbaine, 2005 ** Site officiel de l’Insee, Cahier d’Aval n°87 septembre 2010 *** Francis Beaucire, Conférence Ville Compacte, Ville Diffuse , 2006 (vidéo partagée par le site canal u, webtv de l’enseignement supérieur) **** Francesco Careri, Walkscapes, 2013

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Par sa volonté de compacter les activités, la ville archipel offre une proximité des lieux les uns par rapport aux autres, donc une place plus importante au marcheur avec une baisse de consommation de la voiture et favoriserait alors la mixité sociale. Les économies d’énergie que propose la densification urbaine confortent la valeur durable qu’elle véhicule. Toutefois, reste à trouver la limite de la densification. Lorsqu’une ville tend vers la densification excessive, les attraits sont plus économiques qu’écologiques. (Le centre dense de Paris voit le prix du foncier s’envoler par exemple.) Et la collectivité souffre de ce manque d’espace perçu comme un étouffement. D’autre part, appréhender les processus d’urbanisation des villes, des métropoles, appelle à plus de considération que le simple contraste entre la ville compacte et la ville diffuse. La métropole est composée de divers pôles hétérogènes. Et « L’analyse du devenir des métropoles permet d’échapper à l’interprétation binaire en termes de dualisation et d’exclusion, mais aussi en termes de villes diffuses ou de villes compacte ».* On pense alors au Projet du Grand Paris, dont le but est de s’affranchir de ce schéma d’étalement urbain qui a touché le territoire de Paris. Il s’agit de repenser la métropole. Le Grand Paris express facilitera les relations périphérie-périphérie plutôt que centre-périphérie, et des clusters seront créés pour conforter ces rapports. « La dynamique métropolitaine fait rupture avec la logique urbaine classique : alors que la ville classique draine la périphérie, son dehors, vers le centre, la métropole symbolise le retournement de cette dialectique urbaine. ».* Et la ville, ou plutôt la métropole pourrait être formée de petites communautés, afin d’amoindrir la dépendance d’un territoire par rapport à un autre, et de créer de la densité au sein de ces entités.

* Olivier Mongin, La condition urbaine, 2005

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Lire et Dire la ville par la marche Dans ce chapitre, nous allons voir comment la marche peut être un outil à lire la ville. Dans l’idée de lire, il y a celle d’un exercice volontaire. En effet, on ne nait pas lecteur, il nous faut apprendre à lire. Et pareil ici, lire la ville est quelque chose qui s’apprend et se pratique. Ici, lire la ville sous entends un but, l’objectif de la comprendre. Pratiquer la ville avec conscience, dans le but de l’appréhender ; voilà ce dont il est question ici. Et avec cela l’idée, de transmettre cette connaissance, de l’exprimer. La question de la traduction des informations récoltées sur la ville sera explicitée plus largement dans le chapitre suivant. Ici, nous verrons quelles méthodes volontaires ont été expérimentées par la marche dans le but d’appréhender la ville. Il existe diverses manières de le faire, les pratiques peuvent appartenir au monde de l’art ou à celui de la science, mais dans chacun la recherche sera de mise. En bref, nous nous intéresserons ici à différents groupes de personnes, organismes, qui ont tous par la marche essayé de comprendre la ville et de la révéler. Et comme nous l’avons vu au début de la partie 2, la ville inclut différents éléments. Par exemple, les usages sont des éléments constitutifs de la ville. Comment marcher pour lire la ville ?

Démarches de lecture de la ville : entre subjectivité et intersubjectivité Chaque représentation qu’on peut produire sur la ville est partielle. L’analyse objective, l’expression de données rationnelles telles que le nombre d’habitant au mètre carré, l’évolution architecturale, etc. n’offrent qu’un regard partiel sur la ville. La marche, la pratique de la vie permet de renseigner sur la ville vécue par ses habitants. Ainsi dans les démarches utilisant cet outil qu’est la marche, il n’est pas question d’objectivation.-Le matériel de travail étant lui subjectif. - Toutefois, on constate que les scientifiques, les chercheurs veulent représenter des analyses sur la ville de manière à tendre vers une « vérité », ils basculent de la subjectivité à l’intersubjectivité. En effet, tels des collectionneurs, ils récoltent rigoureusement diverses subjectivités en obéissant à une méthode intersubjective (via la participation). L’intersubjectivité fait écho à la notion de communication. Parce qu’il s’agit d’une reconnaissance de l’autre, avec sa propre subjectivité. Nous verrons que la communication de l’expérience sensible est chère aux démarches revendiquant l’intersubjectivité justement. Si l’on distingue l’approche artistique de l’approche scientifique ici, ce n’est pas dans le but de les présenter comme opposées l’une de l’autre. Au contraire, leur mise en tension peut révéler des interactions, l’une peut nourrir l’autre, et réciproquement. D’ailleurs, les exemples qui suivent témoignent d’influences de certaines approches sur d’autres, au cours du temps. Mais il paraissait essentiel de les distinguer, parce qu’elles entretiennent chacune un rapport singulier à la question de la représentation, traduction, communication (message à adresser ; lequel, pour qui ? etc.) de l’expérience urbaine par la marche. Dans le domaine de l’art, la déambulation peut être le processus nécessaire à la création de l’œuvre,

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ou bien œuvre par elle-même. La marche, manière de lire et comprendre serait aussi une pratique esthétique. Il s’agira de marcher dans un but artistique. Ce qui nous intéresse dans la marche en tant que pratique esthétique est qu’il y a cette idée de recherche, l’artiste procède à la marche afin de rechercher quelque chose, puis de créer quelque chose. « La marche est ainsi : un instrument de recherche qui nous met en présence de l’imperceptible ». * Ainsi dans la cinéplastique, lire et dire se confonde, autant que le processus se confond avec l’œuvre. Dans certaines des démarches ci-dessous, il est difficile de les catégoriser parce que plusieurs dimensions entre en jeu : la dimension culturelle, mais aussi politique, sociale. Certains chercheurs ancre leur travail dans la sociologie, d’autres plus dans l’architecture, etc. Le laboratoire Stalker, par exemple, oscille entre l’approche artistique et politique. Lorsque la marche est sollicitée, cette mixité est de mise, parce que comme nous l’avons décrit précédemment la marche est une action, qui conscient ou non est un acte engagé. Chacune ayant cette particularité de vouloir transmettre quelque chose au gens, d’éveiller un intérêt sur le territoire, la ville, les usages, voire apprendre à « lire », « regarder » ce dernier. Et de ce point d’attache, des méthodes vont se distinguer. Ce chapitre met en tension la notion de processus et de finalité. Dans cette volonté de lire et dire la ville, peut s’employer différemment, avec plus ou moins d’importance et à divers moments en termes de processus-finalité. La visite-excursion dadaïste La flânerie, nouveau sujet qui anime les écrits de Walter Benjamin et autres écrivains au début du siècle dernier, n’est pas oubliée dans le domaine de l’art. Même si l’aspect conscient et actif de la démarche se détache du caractère « insouciant » que l’on attribut souvent à la flânerie. Et il est vrai que, l’action des dadaïstes se rapproche de l’exploration, ils parleront « d’excursion » ou de « visite ». Autre fait qui les distingue de la flânerie; l’aspect collectif, il s’agit d’organisation de visite et d’excursion collectives au sein de la ville. Un communiqué de presse** annonce leur première action le 14 avril 1921 ; « Aujourd’hui à 15 heures, dans le jardin de l’église St-Julien-Le-Pauvre, Dada, inaugurant une série d’excursions dans Paris, invite gratuitement ses amis et adversaires à visiter avec lui les dépendances de l’église (…) ». Cette première action doit redonner un nouveau souffle au groupe dada, elle doit marquer quelque chose de neuf. De plus, elle ne se voulait pas unique, elle devait ouvrir la voie à une série d’excursions urbaines des lieux banals de la ville. Elle inscrit dans le monde de l’art une transition, une forme d’antiart. Nous pouvons dire que c’est la première fois, que le monde artistique revendique la marche comme un outil esthétique à découvrir la ville. Les dadaïstes s’affranchissent des codes habituels de l’art, ils les rejettent, et l’exprime en ces mots : il s’agit d’« une nouvelle interprétation de la nature appliquée cette fois non pas à l’art, mais à la vie. »** Francesco Careri défini cette action de ready made urbain, en référence au ready made de Marcel Duchamp (1917). Le terme de ready made urbain explicite le caractère avant-gardiste de la manifestation. En effet « le ready made urbain réalisé à Saint Julien le Pauvre est la première opération symbolique à attribuer une valeur esthétique à un espace vide et non à un objet. Dada passe du fait d’introduire un objet banal dans l’espace de l’art au fait d’introduire l’art –en la personne et le corps

* Thierry Davila, Marcher, Créer, 2002 ** Communiqué de presse, Dada à Saint Julien le Pauvre, Paris , 14 avril 1921

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des artistes Dada- dans un lieu banal de la ville »*. Plus qu’un décor, la ville est entendue comme un potentiel créateur, objet artistique. La perception de la ville, avec tout ce qu’elle signifie (voir partie 2, chapitre 1) est considérée comme une pratique esthétique en soi, comme œuvre d’art. Ainsi les dadaïstes ouvrent le passage de la représentation à l’expérience en tant que finalité. «L’œuvre est dans le fait d’avoir conçu l’action à accomplir, la visite et non dans les actions qui lui sont corrélées. ».* Photographies, récits et articles documentent leurs actions, mais sont des satellites de l’œuvre et non l’œuvre en soit. L’action était justement de ne laisser aucune trace sur le lieu. L’usage, la vie étaient invoqués et non la production de quelque chose. Même si finalement, la communication et documentation renvoient leur œuvre aux codes plus classiques de l’œuvre d’art, ils constituent la trace de l’œuvre, sa durabilité.** Ce qui intéresse les dadaïstes dans la ville, ce sont les lieux banals. Ils cherchent de la sorte à interroger les lieux auquel on ne s’intéresse pas forcément, les lieux que l’on pense connaitre parce qu’ils sont familiers et pourtant Paradoxalement, en visitant des lieux banals de la ville ils opèrent une mise à distance avec cette dernière. On sort du rôle de pratiquant, d’habitant pour passer à celui de l’explorateur Remise en question de ce qu’on pense connaitre. Ils amorcent une démarche de rechercher et donc de valorisation, du quotidien urbain. Lire la ville par la marche est ici une manière d’en révéler sa banalité, son déjà-vu, ses lieux familiers : ceux qui participent à la vie urbaine, à l’identité de ville. Leur démarche est ludique et cherche à provoquer la société, en invitant l’art là où on ne l’attend pas. La déambulation surréaliste De l’exploration des dadaïstes nous passons alors à la déambulation surréaliste. Initiée par André Breton, une déambulation est organisée, en 1924, dans la campagne française. Plus encore, la place est laissée au hasard, l’inconscience. La déambulation est perçue comme un outil à appréhender l’inconscience du territoire. Dans des textes d’André Breton, qui racontent les déambulations surréalistes, l’environnement est présenté comme un corps vivant, d’où cette quête d’inconscience à révéler. Cette volonté d’aller au-devant du territoire renvois au contexte de l’époque marquée par les transformations urbaines et sociales de la ville. Marcher est alors un moyen de reprendre possession de l’environnement changeant. Des déambulations surréalistes se multiplient alors dans les « zones marginales de Paris » afin « de sonder ces parties inconscientes de la ville qui échappaient aux transformations bourgeoises »*. Ces dernières font écho au réaménagement urbain de Haussmann. Alors que les dadaïstes ont mis en lumière la ville banale, les surréalistes eux, cherchent à voir ce qui se cache derrière cette banalité. Ils assimilent le territoire à un organisme vivant doté de conscience, leurs déambulations ressemblent alors à une « exploration psychologique de notre rapport avec la réalité urbaine ».*

* Francesco Careri, Walkscapes, 2013 ** Référence au propos de Hannah Arendt, La condition de L’homme moderne, 1958

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La dérive situationniste Guy Debord, leader du mouvement situationniste (1957-1972) considère que la déambulation surréaliste ne va pas assez loin. Il qualifie « d’échec morne »* la déambulation surréaliste. Et il oppose à cette dernière la dérive, qu’il considère plus effective pour appréhender la ville. La dérive ne se fonde pas sur le hasard (même si elle l’accepte). Il estime que la dérive doit se faire en ville et non à la campagne où « les interventions du hasard y sont plus pauvres que jamais »*. De plus, l’Internationale situationniste cherche à atteindre un public plus large ; les dérives sont collectives et des écrits tentent d’expliciter la démarche. Les situationnistes, plus que les dadaïstes ne l’incitaient, prône le jeu. Ils remplacent « la ville inconsciente et onirique surréaliste par une ville ludique et spontanée ».** Le jeu est la condition nécessaire à la dérive. Et derrière ce prérequis aux allures fantaisistes, se cache un message social et politique. En effet, au même moment, les transformations des modes de vie de la société, laissaient présagées la réduction du temps de travail (automatisation). Et ce temps libre doit se séparer de tout système productif (le loisir entendu comme consommation passive), pour n’être qu’un temps ludique. Comme dans tout jeu, il existe des règles à suivre. Elles sont les suivantes ; « établir d’avance, sur la base de cartes psychogéographiques, les directions de pénétration de l’unité environnementale à analyser ; l’étendue de l’espace peut varier de l’îlot jusqu’au quartier, et au maximum « à l’ensemble d’une grande ville et de ses banlieues »».** De plus, la dérive se fait collectivement, par groupes de deux ou trois personnes et la durée de l’expérience est en moyenne d’une journée. (Voir aussi la présentation du projet Seety dont la démarche est proche de la dérive situationniste. Mais il diffère par « ses règles de jeu », sa mise en application. P. 100-101) Le courant situationniste comme son nom l’indique se rapporte à « la théorie ou à l’activité pratique d’une construction de situations »***, le situationniste est alors « celui qui s’emploie à construire des situations »***. La dérive est la méthode appliquée à la Psychogéographie. Ces deux notions sont explicités dans le glossaire crée par L’Internationale situationniste (juin 1958) : La Psychogéographie serait l’ « étude des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le comportement affectif des individus »***. Et la dérive, déjà énoncée par des mouvements pré-situationnistes (Chtcheglov appelle à la « dérive continue » dans Le Formulaire pour un urbanisme nouveau, 1953), est définie d’après le glossaire comme un « Mode de comportement expérimental lié aux conditions de la société urbaine : technique de passage hâtif à travers des ambiances variées. Se dit aussi, plus particulièrement, pour désigner la durée d’un exercice continu de cette expérience. »*** En d’autres termes, ce mouvement a pour intention de créer une méthode plus objective pour explorer la ville, « l’espace urbain est un terrain passionnel objectif et non plus seulement subjectivo-inconscient »**. Et Guy Debord l’exprime par l’emploi du terme « psychogéographie », qui sous-entend la rencontre entre deux disciplines objectives : la psychologie et la géographie. Alors on comprend que « toute notion de pratique esthétique est évacuée : il s’agit ici d’une expérience

* Guy E. Debord, Théorie de la dérive, 1956 ** Francesco Careri, Walkscapes, 2013 *** Définitions, Internationale situationniste n°1, 1958

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devant être conduite dans des conditions scientifiques, dont les résultats seront rigoureusement analysés. ».* En 1957, Guy Debord publie une carte (ci-dessous) : « Guide psychogéographique de Paris ». Ceci fait partie des rares représentations de dérive que le groupe situationniste aura produite. Nous verrons plus explicitement cette manière de représenter et ce que cela signifie, dans le chapitre suivant. Il subsiste que nous possédons peu de représentations graphiques qui traduisent leurs expériences et peu d’éléments sur les résultats réels des expériences. Le groupe se dissout avant d’avoir pu exposer « la moindre preuve concrète d’activité psychogéographique »*. C’est essentiellement leur démarche et leur théorie sur la dérive qui marquera et influencera par la suite d’autres artistes, organismes et laboratoires de recherche.

source : site Strabic, carte issue dépliant édité par le Bauhaus Situationniste, imprimé chez Permild & Rosengreen, Copenhague, mai 1957

* Merlin Coverley, Psychogéographie ; Poétique de l’exploration urbaine, 2006

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Par exemple, le travail de Constant sur la ville nomade est l’héritier de la théorie situationniste. Et il sera même plus actif que le groupe situationniste, il applique la théorie à un projet architectural nommé New Babylon. Cette action marque un glissement de la théorie à la projection tridimensionnelle d’une ville par la marche, d’une ville nomade. Après avoir visité un camp de nomade, il décide de concentrer ses travaux sur la recherche d’une architecture fondée non plus sur la sédentarité mais le nomadisme. Sa démarche « assume le mythe dadaïste du « dépassement de l’art » pour en faire la première tentative de « dépassement de l’architecture ». »* New Babylon est une utopie sociale fondée sur l’idée d’une ville ludique, notion caractéristique à la dérive situationniste. Le point troublant du projet est qu’il déconsidère le territoire, il veut s’affranchir du sol. « Il ne s’agit plus d’une ville sédentaire enracinée dans le sol, mais d’une ville nomade suspendue dans l’air, une tour de Babel horizontale qui surplombe les territoires immenses pour envelopper la surface terrestre ».* Cette nouvelle ville-monde sans frontières, « ni collectivités (puisque l’humanité est fluctuante) » dessine un futur utopique où tout serait à refaire. « La vie est un voyage sans fin à travers un monde qui se transforme si rapidement qu’il semble à chaque fois autre ».** (Ce projet complètement novateur, mais aussi radical qui souhaite s’opposer au fonctionnalisme moderniste, soulève une question ; cette remise en question totale du rapport au sol, au territoire, aux modes de vie, ne se rapproche-t-il pas finalement de l’urbanisme « table rase » moderniste ?) Constant a produit nombreuses maquettes, écrits (etc.) mais New Babylon ne sera jamais réalisé. New Babylon incarne l’utopie de la transhumance, la dérive continue. Stalker Le laboratoire d’art urbain est créé en 1994, à Rome. Et Francesco Careri est l’un des membres fondateurs. Il reconnait être influencé par les situationnistes. En effet, la dérive –bien que le terme n’apparaisse pas explicitement- est l’outil employé par le groupe Stalker. L’errance est la base de travail du laboratoire urbain. D’ailleurs, le nom du groupe provient du film homonyme d’Andrei Tarkovski*** dans lequel un personnage accompagne deux autres d’un territoire habité à un territoire désert, inconnu, abandonné, interdit. Pour le laboratoire, « la ville, l’architecture, sont un processus, un devenir à l’œuvre qui se confond avec un espace abandonné, et qui révèle ce que la ville formatée n’a pas forcément le temps, l’occasion ni la volonté de regarder : une autre possibilité d’existence qui sommeille dans la mégapole supposée connue, une fluctuation urbaine qui fonctionne comme le refoulé du territoire résidentiel. »* Stalker comprend un grand nombre d’architectes, qui contrairement aux architectes classiques s’attachant aux projets pérennes –édification de bâtiments, etc.-. Ils se consacrent plutôt à la circulation créée par la ville contemporaine, « à ces mouvements, à ces devenirs dont les territoires abandonnés, refoulés par l’organisation urbaine, les terrains vagues, sont le théâtre. ».* La marche est une œuvre collective, qui s’effectue par un sujet multiple en allant à la rencontre d’un

* Francesco Careri, Walkscapes, 2013 ** Constant, New Babylon, 1974 *** Stalker : film d’Andrei Tarkovski, 1979

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espace, dont la disponibilité l’ouvre à une multitude d’avenirs possibles. Et Stalker se diffère des situationnistes parce qu’ils ne limitent pas le nombre de marcheur. De plus, ils n’ont pas le même cadre d’intervention. Le terrain de prédilection de Stalker n’est pas la ville ordonnée. Rappelons que les situationnistes affectionnaient la ville et sa banlieue. En effet, le laboratoire urbain s’intéresse à la « ville résiduelle », ou en d’autres termes « la ville inconsciente : une grande mer dans le liquide amniotique de laquelle se trouvait le refoulé urbain, des territoires qui n’avaient pas encore été explorés, mais denses en perpétuelle découverte ».* Le laboratoire est à la fois proche et éloigné du projet conçu par Constant. En effet, le groupe Stalker dit ne pas vouloir projeter pas de projet, parce qu’il est hors de tout désir de géométrisation de l’espace, il choisit la circulation à la construction. Francesco Careri invite à la transhumance, « transurbance » : « Concevoir une ville nomade, cela semblerait être une contradiction dans les termes. Aussi, peut-être devrions-nous faire comme les néo-babyloniens : nous devrions la transformer de manière ludique de l’intérieur, la modifier pendant le voyage, redonner vie à ces dispositions primitives au jeu qui permirent à Abel d’habiter le monde. »* La création d’un regard sur un territoire s’opère grâce à la traversée. Le corps collectif est donc l’outil de lecture de la ville, outil de discernement. Mais pourtant, Stalker retrouve le rôle de l’architecte, du « sédentaire » lors du projet de construction d’une maison pour et avec un groupe de nomade –qui ne l’étaient plus réellement parce qu’ils étaient installés sur un campement clos, et surveillé par l’Etat italien-. Dans son livre « Walkscapes, la marche comme pratique esthétique »*, Francesco Careri présente la démarche de Stalker essentiellement comme pratique esthétique. Or le message est aussi politique. En effet, leurs actions engagées témoignent d’une critique du système établi dans son ensemble. Il l’explique par l’évolution au cours du temps de leur démarche. « Lorsque nous avons fait le planisphère de Rome, le discours politique n’existait pas encore », leur objectif par ce travail était « d’inviter à se perdre ». On note certaines contradictions entre le discours du début et les actions d’aujourd’hui, la démarche du laboratoire changea au cours du temps. A la question de l’urbanisme participatif, Francesco Careri préfère le terme de « relationnel » par rapport à « participatif »**. Il estime que la participation est aujourd’hui un terme galvaudé et trop administratif, institutionnel, « il faut inventer, savoir parler à l’autre »**. Et cette méthodologie du relationnel s’apprend par l’expérience d’après lui. Puis, à la question comment « ces cartes sont-elles utilisées et réussissent à basculer dans un processus de conception architecturale, de la ville ? »,** Francesco Careri reste très vague. Il pense qu’il n’y a pas de contradiction entre la marche et l’architecture, parce que « Marcher c’est la connaissance, trouver des territoires inédits et raconter des histoires »**, et que le projet peut être initié par le fait de marcher, « trébucher ». Néanmoins il n’explicite pas de « méthode » ou de processus établi qui permettrait le passage de la pratique à la conception du projet urbain. Et soulève certaines contradictions dans l’approche du laboratoire, notamment sur la question de la conception ou non.

* Francesco Careri, Walkscapes, 2013 ** Conférence de Francesco Careri, Walkscapes, tenue à l’ESA le 3 octobre 2013 et diffusée sur le site officiel de l’école.

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FICHE PARTENAIRE Association DéMarches, Jacques Clayssen et Patrick Laforêt Projet Hors Circuit, présenté dans le cadre de la Biennale de Belleville 2014 Présentation de l’Association DéMarches est une association fondée par Jacques Clayssen et Patrick Laforet. Elle est dédiée à la pratique du Walkscape. Ses créateurs définissent le Walkscape comme une nouvelle forme d’art, utilisant la marche à pieds tout à la fois comme un support et un outil créatif. Il s’agit pour eux de créer, par la marche, une structure narrative, permettant de faire de cette activité une « fabrique de mémoire ». L’association organise ainsi des marches collectives. Elles sont restituées par les artistes par le biais de photographie, de prise de son, de compilation de documentations. La marche joue alors un rôle double : outil sensible et ouvert servant à décrypter le paysage, avant d’en retranscrire l’expérience sur un autre support, et celui de support, lorsque le marcheur profite de cette activité pour produire dans l’espace-temps de la marche, une œuvre à part entière. Dans les deux cas, la marche devient alors une pratique esthétique, issue d’une volonté d’étudier par le mouvement les différentes strates du paysage. Il s’agit, pour ses fondateurs, « de penser avec les pieds » et « de voir avec les pieds ». Présentation de la marche La marche s’est effectuée dans le cadre la Biennale de Belleville 2014 « La piste des Apaches ou la marche comme expérience artistique et esthétique», Patrice Joly (commissaire général de Biennale) explique que l’intention était de s’interroger sur la place de l’œuvre d’art dans l’espace public et sur la notion d’expérience esthétique. Il détermine ainsi la problématique : «Qu’est-ce qui définit une œuvre d’art si ce n’est l’expérience que l’on en retire, la portée intellectuelle, imaginaire et sensible qui en découle ?» (journal de la Biennale de Belleville 2014) L’objet d’art serait ainsi simplement le moment donné de l’acte créatif. Et pourrait donc prendre place en tous lieux et moment, puisque n’étant dépendant que de la capacité des gens à ressentir de manière intellectuelle, imaginaire ou sensible un endroit et/ou un instant. Faisant de la ville, par cette définition, « l’œuvre collective ultime » en évolution permanente. Puisqu’ étant l’agglomérat constant des ressentis et sensibilité de ses habitants face à leurs espace-temps. L’objectif de cette marche était ainsi de faire prendre conscience (et de permettre d’expérimenter) aux marcheurs de cet état créatif constant de la ville et de l’environnement urbain. La marche s’est déroulée sur un trajet de 15 km environ. Elle liait deux météorites mondialisées du milieu artistique international situées dans la banlieue parisienne : La Galerie Thaddaeus Ropac à Pantin et La Galerie Gagosian au Bourget. Le choix de ce parcours étant parti d’une envie des créateurs de découvrir l’espace qui se déploie entre dans l’interstice de deux pôles artistique, pour montrer que cet interstice représente également, lorsqu’on prend le temps de le « vivre » au travers d’une expérience sensible, un pôle artistique. « Cette démarche s’inscrit dans le cadre d’un suivi des évolutions et mutations des territoires traversés. » Il s’agit là de l’une des caractéristiques majeures de Walkscapes : aller à la découverte de lieux oubliés et délaissés (tel qu’on en trouve beaucoup en banlieue) et qui constituent des « lieux du déchet et du vide, des espaces sans qualité, sans codes, où le pouvoir est absent, où donc la liberté peut se déployer sans obstacles, poser de nouvelles questions, trouver de nouvelles réponses. » « Un ensemble photographique permettra à travers un avant/après de constater les changements que nous aurons notés chaque année. » De plus, une carte retraçant le parcours est en ligne, afin de permettre à quiconque d’expérimenter les lieux. 84


Points d’intérêt pour mon mémoire - Contribution respective La marche, et de manière plus générale, le Walkscape, représente une étude de cas très représentative des problématiques de ce mémoire. Puisque symbolique de la mise en application d’une démarche artistique qui emploie la marche de manière collective pour ressentir et penser son espace. Ici la marche est le projet, intégré dans une démarche globale, celle de l’association Démarches. Et le projet est une œuvre d’art. Ayant été marcheuse, j’ai fait partie ponctuellement du corps collectif de l’œuvre.

Retour sur la marche AVANT -Mes préjugés et interrogationsL’initiative me surprend, m’interroge, qu’allons-nous faire avec les artistes ? « Juste » marcher ? Peut-être que le parcours est semé d’œuvres d’art … Comment vont-ils traduire la marche ? Combien sommes-nous à marcher avec eux? Le parcours proposé m’intéresse parce qu’il concerne un territoire que j’ignore. Cette marche sera l’occasion de découvrir une tranche de la banlieue parisienne. Même si j’essaie d’appréhender ce parcours avec un regard neuf, je ne peux m’empêcher d’avoir des aprioris sur ce que je vais voir, l’image que je me fais de la banlieue se rattache à ce qu’on m’en à raconter, à ce que j’ai entendu ou lu dans les médias, à sa réputation peu flatteuse ; triste, grise, pauvre, dangereuse, etc. PENDANT -Mon récitAPRES -Mes conclusionsL’expérience du territoire efface les jugements, les aprioris qu’on porte à ce dernier pour laisser place au simple vécu, à la simple appréhension de la complexité du territoire qui ne se résume pas à une image positive ou négative. L’image devient réalité, la marche crée le paysage. L’expérience d’un lieu par la marche permet de quitter un système binaire. Si cette expérience est perçue comme une œuvre d’art, elle est alors immatérielle. (Et sort-elle alors du schéma descriptif de l’œuvre d’art chez Hannah Arendt?) Sources : Journal de la Biennale de Belleville 2014 / Site officiel de l’association DéMarches / Propose recueillis au cours de la marche / logo issu du site officiel de l’association DéMarches

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Association DéMarches : Marcher, Créer. L’une de mes marches fut réalisée dans un cadre très différent de toutes les autres. Son statut est singulier, parce que cette marche témoigne d’une participation à une démarche artistique initiée par d’autres. Comme en témoigne la « fiche partenaire : association DéMarches»(P. 84-85) , j’ai pu expérimentée ce que voulait dire pour certains artistes « Marcher c’est créer »*. Lors de cette marche conçue et organisée par Jacques Clayssen et Patrick Laforet dans le cadre de la biennale de Belleville automne 2014, j’ai pu appréhender un territoire qui m’était totalement inconnu. La marche Hors circuit est un parcours de 15 km environ entre deux météorites mondialisées du milieu artistique international situées dans la banlieue parisienne : La Galerie Thaddaeus Ropac à Pantin et La Galerie Gagosian au Bourget. Cette œuvre fait écho –et les artistes le revendiquent- au mouvement situationniste. Et s’inscrit dans un mouvement général, il est courant aujourd’hui de parler de marche. Particulièrement dans le monde de l’art contemporain, où nombreux artistes explorent cette pratique. Richard Long et sa « Line made by walking » (1967) est sûrement l’un des premiers à avoir posé les bases d’une acceptation de la marche comme œuvre. « L’anti-art »** s’est banalisé et appartient désormais à « l’art contemporain » qui joue de ses codes, ou plutôt non-codes –le thème de la biennal «Marcher, Déambuler, ...» en est témoin-. Et la société actuelle favorise tout autant ce type d’initiative autour de la marche, qu’elle soit revendiquée comme «action artistique » ou pas. Les documents ci-joints explicitent plus en détail l’association Démarches, son intention, les caractéristiques de la marche et dans quel cadre elle s’insère. A la différence des autres démarches que nous avons cité, la dérive et le hasard sont moins prégnants, il s’agit d’un circuit organisé et répété depuis plusieurs années par le couple d’artistes. Ils jouent justement de cette récurrence, parce « chaque marche est différente » confie Jacques Clayssen. Et ils voient ces marches comme une œuvre globale, ces répétitions leur permettent de voir le territoire évolué au cours du temps. La temporalité est inhérente à leur démarche. Ce qu’on peut dire toutefois, il me paraissait intéressant d’inclure cette expérience, ce partenariat en exemple de démarches artistiques visant à lire le territoire par la marche. Les artistes revendique l’action de marcher pour apprendre à regarder, il faut « voir par les pieds ». En soit, une belle formule pour inviter les gens à regarder, à découvrir. Leur intention s’apparente à celle des Stalker, mais s’en différencie par le choix du cadre d’intervention. En effet, la marche ayant lieu dans la périphérie parisienne, dans sa banlieue et non pas dans le péri-urbain. Pour les artistes, la banlieue a aussi des « lieux délaissés » à révéler. D’ailleurs, l’une des conclusions que j’ai pu tirer de cette expérience était mon rapport à l’identité de ce territoire. Dans les notes prises avant mon expérience on peut lire une appréhension à l’idée de traverser un territoire jugé négativement : « L’initiative me surprend, m’interroge, qu’allons-nous faire avec les artistes ? « Juste » marcher ? Peut-être que le parcours est semé d’œuvres d’art … Comment vontils traduire la marche ? Combien sommes-nous à marcher avec eux? Le parcours proposé m’intéresse parce qu’il concerne un territoire que j’ignore. Cette marche sera l’occasion de découvrir une tranche de la banlieue parisienne.

* Thierry Davila, Marcher, Créer, 2002 et propos recueillis lors de la marche de Jacques Clayssen ** Francesco Careri, Walkscapes, 2013

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Même si j’essaie d’appréhender ce parcours avec un regard neuf, je ne peux m’empêcher d’avoir des aprioris sur ce que je vais voir, l’image que je me fais de la banlieue se rattache à ce qu’on m’en à raconter, à ce que j’ai entendu ou lu dans les médias, à sa réputation peu flatteuse ; triste, grise, pauvre, dangereuse, etc. » Et les conclusions révèlent un point évoqué dans le premier volet de ce travail : le pouvoir de la marche sur l’image mentale que l’on se fait d’un lieu. En effet, on lit que « L’expérience du territoire efface les jugements, les aprioris qu’on porte à ce dernier pour laisser place au simple vécu, à la simple appréhension de la complexité du territoire qui ne se résume pas à une image positive ou négative. L’image devient réalité, la marche crée le paysage. L’expérience d’un lieu par la marche permet de quitter un système binaire. » Si cette expérience est perçue comme une œuvre d’art, elle est alors immatérielle. (Et sort-elle alors du schéma descriptif de l’œuvre d’art chez Hannah Arendt?) » En somme, là où l’expérience est intéressante est qu’elle permet de quitter un point de vue objectif pour se placer à un niveau subjectif. Ce qui apporte un pont de vue concret parce qu’il est ancré dans le réel par le biais de l’expérience. La seconde partie de réponse témoigne de la curiosité née de la marche par rapport au statut de la marche mais aussi de l’œuvre d’art. Qu’appelle-t-on œuvre d’art ? Ainsi cette expérience m’a permis de structurer mon propos lors de ce mémoire, la marche dans une démarche artistique, la capacité de la marche à « créer », ou bien à « être création ». Les fondateurs de l’association Démarches se revendiquent artistes et positionnent leur action dans la catégorie de l’œuvre artistique, c’est une création. En tenons compte du fait que le paysage existe à travers notre perception de ce dernier, la marche s’intègre dans un processus de création du paysage. La marche est un outil à regarder le paysage, et donc à le transformer, c’est un acte créatif. J’ai traduit cette expérience, cette fois-ci, par le texte, par « un récit » composé à partir des notes prises durant la marche, et des souvenirs qui en restaient. Association les Promenades Urbaines L’une des marcheuses présente lors de la marche organisée par l’association Desmarches, m’a confié « je suis venue parce que je suis curieuse. J’aime découvrir de nouveaux territoires ! » et a ajouté que pour cette raison elle participait depuis longtemps aux « promenades urbaines ». Là encore, l’association les « promenades urbaines » possède un statut différent même si l’approche semble proche des artistes. L’idée est : « Le temps d’une journée ou d’une demi-journée, la promenade urbaine permet aux participants d’acquérir et de construire les clefs d’une lecture critique des espaces parcourus. Dans les lieux en mutation, elle facilite la compréhension des évolutions en cours. » Et les objectifs sont premièrement de donner à voir le territoire, apprendre à le lire et le comprendre par la marche. Les promenades à thèmes, tel que l’eau, le son, permet d’attirer la curiosité des personnes, mais aussi d’offrir une expérience sensorielle plus avertie. Puis, sa démarche s’inscrit dans la recherche, celle de l’urbanisme et de l’architecture, le but étant « Animer un réseau de professionnels de la médiation dans les domaines de la ville, du paysage et de l’architecture. »* ainsi qu’ « Inventer la ville de demain avec les chercheurs, les collectivités, les institutions et les entreprises. »*. Leur présence à la biennale de Belleville d’art contemporain

* Extraits du site officiel de l’association Les Pomenades Urbaines, janvier 2015

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témoigne également d’une approche sensible et artistique affichée. Ce que les marches urbaines tentent de faire s’inscrit finalement dans une approche engagée, civique et participative. Leur but est de créer un dialogue entre plusieurs acteurs par la marche, afin de questionner le territoire et donc le projet urbain. Mais le questionner dans un but de transformation possible, d’où la volonté de rassembler des professionnels de l’aménagement, des chercheurs, des institutions, etc. Filature L’artiste Francis Alys (années 1990) use aussi de la dérive. Ses projets cinéplastiques joue du rapport entre le déplacement du marcheur et la ville, il cherche à créer des situations dans la ville. Son œuvre s’identifie à cette action en soi, c’est ce qu’on appelle dans le monde de l’art : une performance. Son action n’a pas pour but de laisser une trace physique permanente, mais il change l’espace par la création de situation. Il ne recherche pas l’objectivation, au contraire il joue de cette subjectivité. Ses opérations interpellent la manière dont on perçoit la ville, et transforment notre représentation mentale de celle-ci. Ses performances sont héritières des actions dadaïstes, surréalistes et situationnistes. Elles s’intègrent au mouvement général de l’art contemporain qui revendique la dématérialisation de l’art. Chez Alys, c’est moins le fait de performer qui surprend que ses actions en elle-même, ses créations de situations uniques par le déplacement. Sa posture est bien celle d’un artiste et non d’un scientifique qui cherche à démontrer quelque chose ou de l’architecte qui projette une transformation permanente de la ville (Constant). J’ai choisi de mettre en lumière ici The Doppelganger. Cette déambulation fut réalisée entre 1998 et 1999 dans trois métropoles différentes : Mexico, Istanbul et Londres. D’une part parce qu’elle exprime bien sa démarche artistique, sa pratique de la dérive. Et d’autre part, elle possède des ressemblances avec l’expérience personnelle n°3. En pratiquant la dérive, il crée ses propres règles du jeu. Il met en place un protocole simple, afin que le « jeu » puisse être joué par n’importe qui. « Il s’agit, pour un touriste arrivant dans une des trois villes citées, de chercher parmi les passants anonymes un piéton susceptible de lui ressembler. Une fois que le choix s’est porté sur une personne, il suffit de suivre ce double, ce sosie inconnu, jusqu’à ce que les pas du touriste s’apparient à ceux du marcheur rencontré. Une photo témoigne alors de la filature (…) ».* Comme le souligne Thierry Davila, ce travail ressemble à celui décrit par Edgar Allan Poe dans l’Homme des foules, où un homme suit un inconnu toute une journée. Mais chez Poe le personnage témoigne d’une volonté acharnée de cerner l’autre ; « Il me vint alors un désir ardent de ne pas perdre l’homme de vue, d’en savoir plus long sur lui. »** Alors que chez Alys ce n’est pas revendiqué comme tel. L’œuvre d’Alys reste ouverte aux interprétations ; « Alys y est tour à tour un detective, l’autre du marcheur anonyme, son supplément d’âme silencieux et discret, son fantôme ou son ange gardien, le temps de quelques pas esquissés d’une même foulée, au cours d’une rencontre dont l’un des protagonistes ne saura jamais qu’elle a eu lieu. »*

* Thierry Davila, Marcher, Créer, 2002 ** Edgar Allan Poe, L’homme des foules, 1840

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Mon expérience de marche n°3 (P. 89-94) s’inscrit dans cette démarche de la dérive. Elle fait écho à l’œuvre The Doppelganger de Francis Alys, et finalement à l’impossibilité de percer le mystère du marcheur dont parle Poe. En effet, la dérive est le moyen par lequel j’ai voulu appréhender la ville. Dans ces filatures il y avait l’aspect ludique propre à la dérive. Dans tout jeu, il y a des règles à suivre, ce que j’appelle ici « protocole ». Les règles étaient les suivantes : je devais attendre à l’extérieur, à la sortie de la bouche de métro Saint-Georges. Lorsqu’une personne sortait je devais la suivre, en essayant de ne pas me faire remarquer. Je devais les photographier régulièrement, spécifiquement lorsqu’un changement d’attitude ou de direction de leur part apparaissait. La filature prenait fin lorsque la personne stoppait sa marche, marquait un arrêt pour pénétrer quelque part ; elle entrait dans une boutique ou dans un bâtiment privé. Je notais le temps et la distance du parcours, ainsi que mes observations sur son comportement, allure ou tout signe singulier qui ont marqué sa marche. De ces informations, je faisais des suppositions sur leur profil de marcheur. « Les gens dans les rues : d’où qu’ils viennent ? Où qu’ils vont ? Qui qu’ils sont ? »* Toutes ces données ont alors été retranscrites dans les comptes rendus ci-joints. Séquences de photographies, annotations et trajet marqué sur le plan, représentent la trace matérielle de ces poursuites. Ici, toutefois, contrairement à la dérive situationniste, l’intérêt se porte plus sur les usages des lieux que sur les lieux eux-mêmes. Il s’agit de voir la ville à travers le mouvement d’un autre, essayer de saisir le marcheur, l’autre. Parce qu’il est élément de la ville. (Notons que, grâce à cette expérience, j’ai été confrontée au phénomène de « la rue privée ». Cela m’a permis d’expérimenter les notions théoriques énoncées dans le premier chapitre 1 traitant de la séparation spatiale entre la sphère privée et la sphère publique ; frontière spatiale et sociale à la fois.) L’expérience oscille entre la démarche artistique et celle du chercheur qui tient à organiser, rendre compte de son expérience. Ceci est visible dans la production d’éléments graphiques. On retrouve la volonté de « suivre ce qui ne se laisse approcher qu’allusivement, et d’imaginer une vie à partir des menus indices qu’un personnage sans nom abandonne au gré de ses déplacements»** ; en soit, la volonté de cerner l’autre. On pense alors à la lecture de la ville par ses usages, ce dont Michel de Certeau dévoile à sa manière dans L’Invention du quotidien. Dans cet ouvrage, le sociologue tente de comprendre et de théoriser les pratiques de l’homme. Les pratiques quotidiennes telles que parler, lire et marcher sont pour lui caractéristiques à la vie urbaine moderne. Le quotidien qui déjà intéressait les dadaïstes. Son essai sur la marche nous intéresse particulièrement parce qu’il s’adresse à tout le monde, tous les marcheurs, marcheurs pris au hasard ; « à l’homme ordinaire. Héros commun. Personnage disséminé. Marcheur innombrable. »*** En analysant, décodant, ces pratiques du quotidien, il tente d’exprimer la relation entre les habitants et la ville. Il décrit les nouvelles possibilités offertes au marcheur à New York. Les hauteurs des buildings transposent le marcheur en voyeur. Il met en exergue ce détachement du sol opéré dans les villes modernes, qui accentue l’individualisme et rappelle que « L’histoire commence au ras du sol, avec

* Georges Perec, Espèces d’espaces, 1974 ** Thierry Davila, Marcher, Créer, 2002 *** Michel De Certeau, L’Invention du quotidien, I : Arts de faire, 1990

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des pas ».* Il est intéressant de noté que Michel de Certeau appuie sa théorie sur ses propres expériences de voyage. Il tente de les objectiver par l’écriture de compte rendu. Sa pratique est celle d’un observateur engagée, d’un chercheur. Mais il avoue être confronté aux contradictions entre ces méthodes de compte rendu se voulant objectives et la subjectivité contenue dans les histoires racontées. Ce à quoi, j’ai été confrontée dans mon expérience également. Le travail de Michel de Certeau met aussi en lumière «les inévitables limites que rencontre tout dispositif théorique systématique, psychogéographie comprise, dans son entreprise de capture de la relation entre la ville et ses habitants.».** Le laboratoire urbain par la marche Le Professeur Jean-François Augoyard, s’est lui aussi intéressé à la question des usages de la ville. Son travail sur les cheminements urbains débuté dans les années 1970 nous interpelle. Son domaine de recherche s’apparente à la macrosociologie. C’est le premier à mettre en place les concepts de « manières d’habiter », de « façon d’habiter » (avant Michel de Certeau). Ses méthodes de recherche se basent sur des entretiens de marcheurs. Il travaille la question de manière in situ. Et son approche est singulière, parce qu’ici le chercheur collabore. « Cette démarche renverse complètement la façon d’aborder la pratique d’espace des gens de ce fait ». Et il explique sa démarche en ces termes : « la première démarche que j’ai tentée, en disant aux enquêtés : « Je ne vous demande rien, je reviens dans 15 jours, dans 15 jours vous me direz où vous avez marché. Ce qui m’intéresse surtout, c’est comment vous marchez. Comment est la ville pour vous ? ». Ces questions simples inversaient toute la méthode, parce que certains enquêtés m’ont fait un journal écrit, d’autres me racontaient en détail, chacun avait un peu ses techniques. ». Ainsi ce qui intéresse le chercheur c’est la façon dont les gens racontent leur marche, parce que « L’important, comme en psychanalyse, ce n’est pas le rêve lui-même, mais ce qu’on en raconte. » Il a récolté des enregistrements audio et analysé les entretiens. D’après lui « cette démarche précise et systématique était capitale. ». A partir de ces analyses écrites, il dessine tous les trajets sur des plans et il observe que « Parfois, certains trajets se superposent. Certaines personnes occupent très peu d’espace, d’autres beaucoup. Mais les trajets dessinés avec des écarts déterminés sur une échelle de grandeur ne rendent absolument pas compte ni de la qualité, ni de la modalité. De même, certaines personnes effectuent des parcours énormes, parce qu’ils sortent leur chien le matin. Ces personnes ne s’intéressent ni au quartier, ni au parc, alors que d’autres, sur une distance de 50 mètres lisent tous les signes de l’espace, en disant : « tiens il y a eu un casse cette nuit, il y a une flaque d’urine, etc. » – ils ré-imaginent le quartier. La diversité d’un espace social, la vie, c’est aussi cela : ces habitants ne vont pas ailleurs ; l’ampleur et la variété de leurs rencontres se situent dans la mobilité mais aussi dans la réélaboration des situations. L’idée d’étendue, l’espace comme étendue remplie, ne fonctionne pas ici. ».*** Il parvient à trouver une méthode de recherche qui tire profit de la subjectivité des marches. (Et c’est en cela qu’il pousse le sujet plus loin que Michel de Certeau.) La subjectivité relevée et transcrite de l’usage d’un quartier par ses habitants est la plus fidèle possible parce que le chercheur interroge les usagers eux-mêmes. L’ensemble de ses travaux mettent en tension l’espace conçu et

* Michel De Certeau, L’Invention du quotidien, I : Arts de faire, 1990 ** Merlin Coverley, Psychogéographie ; Poétique de l’exploration urbaine, 2006 *** Extraits de l’entretien : Une pensée de la modalité : Approcher la ville quotidienne avec Jean-François Augoyard par Jean-Christophe Sevin, Dimitri Voilmy, 13 juin 2008

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l’espace perçu. Enfin, Jean-François Augoyard ouvre la voie de l’utilisation de l’intersubjectivité comme outil de travail pour le chercheur. Soulignons que Jean-François Augoyard est à l’origine du laboratoire de recherche CRESSON qui est spécialisé dans les ambiances architecturales et urbaines. Il compte dans ses chercheurs Rachel Thomas, dont les travaux ont appuyé le développement de ce mémoire. Son travail a surement ouvert aussi la voie à d’autres laboratoires de recherche scientifiques. Le laboratoire scientifique Laa, qui prône une approche anthropologique de la transformation urbaine, (fondé dans les années 1980) use de la marche également dans ses méthodes de recherches. La première démarche de la méthode est faite d’enquêtes, de relevés, d’arpentages, d’entretiens, etc. La thématique pour la ville en Italie fut les rythmes, l’enquête était très liée à la temporalité. Et à partir de cela ils ont défini des catégories (lié à la question du temps) : « silencieux », « en attente », « en pause », etc. issues des premiers entretiens avec les habitants. Un petit livret est édité pour expliquer le choix de ses adjectifs sensibles, montre la genèse des catégories, comment les mots sont employés par les habitants. Le travail de sémantique tient une place majeure dans ce travail. Parce que c’est de ces mots que l’on tentera de définir spacialement (sur la carte) des ambiances, des perceptions de la ville. L’expérience de marche n°1 (P. 37-46) s’est elle aussi basée sur des mots. Cependant ils ont été choisi beaucoup plus instinctivement, sans travail de sémantique tel que chez le laboratoire Laa. Or, cette étude sémantique donne de la force au propos, lui confère une dimension scientifique. Une fois que ses catégories sont définies, ils demandent au gens de cartographier grâce à un fond de plan ces adjectifs sur la carte. Par le biais de la marche, plusieurs cartographies subjectives des habitants sont livrées aux chercheurs. Puis, il s’agit d’opérer un travail de traduction graphique, de traduire les données enregistrées par les habitants. D’ailleurs, nous étudierons cette traduction graphique plus précisément dans le chapitre suivant. Les cheminements ici sont moins importants que la qualification des lieux en soi. Le cheminement est ce qui sert à qualifier. Le corps en mouvement est l’outil. Autre étape de la méthode : le travail réalisé avec les habitants est le rendu est public –place publique- . Le document n’est pas un juste objet en soi, il a pour objectif d’être saisi par les politiques, habitants, chercheurs, etc. L’importance dans ce travail est aussi celui du chercheur qui fait lui-même la carte. Sur le rapport entre individu et collectif, c’est un travail d’entretiens individuels dont le chercheur en fait la synthèse (le chercheur collabore comme chez Jean-François Augoyard). C’est un travail fait à partir d’un panel, ce qui le rapproche un peu des sciences sociales parce qu’il cherche à être représentatif de la population. Le chercheur juxtapose les points de vue afin de voir là où ça se recoupe et là où ça se différencie, etc. L’objectif est de rendre les données subjectives et sensibles possibles à intégrer et à comparer aux données quantitatives. Leur but est de se lier aux cartes opérationnelles, dans une phase de participation. Les cartes créées ont un rôle communiquant important dans la lecture de la ville par la marche, la

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représentation physique appartient au processus autant qu’au résultat.

De la représentation mentale à la représentation physique L’ensemble de ces démarches ont en commun la volonté de pratiquer la ville par la marche. Certaines dans des but plus précis et revendiqués que d’autres, et chacune avec sa méthode singulière. Il est intéressant de faire le tour de ces démarches parce qu’elles appartiennent parfois à des domaines très différents l’une de l’autre. Et pourtant revendiquent chacune la marche comme médium entre l’espace et l’individu, entre le territoire et la compréhension que nous en avons. Dans ces démarches on distingue la marche comme œuvre d’art en soi (ou œuvre d’anti-art), de la marche comme outil à créer une action ou une œuvre d’art matérielle, ou un résultat de recherche, d’expérience, ou encore de la marche comme outil à créer un « objet d’usage », c’est-à-dire le projet urbain ou l’architecture (Hannah Arendt). Nous tenterons d’éclaircir cette dernière option dans le troisième volet. La marche est une pratique, et qui plus est une pratique propre à chacun qui appelle à la subjectivité. Le rapport entre le corps, la pensée et l’espace (Partie 1) confirme la création d’une représentation mentale du territoire par la marche. C’est un fait, inhérent à chacune des démarches énoncées ci-dessus. On constate que les démarches scientifiques qui traitent du sujet cherchent à restituer les informations récoltées à travers un matériau physique (carte, compte-rendu, etc.). La volonté de comprendre des phénomènes existants (interaction entre habitant et ville) est fondatrice dans la démarche du chercheur. Et pour ce faire, ils s’appliquent à trouver la meilleure méthode pour d’une part récolter les informations, puis les ordonner, les sélectionner et enfin les représenter. Nous avons vu quelques exemples traitant de la manière de récolter les informations propre à chaque chercheur (entretien, voyage, enregistrement, individuellement, collectivement, etc.). Mais concernant l’étape de la représentation, elle soulève encore nombreuses questions. L’artiste, quant à lui se sent plus légitime dans sa non-objectivation. Et il est intéressant de constater que sa démarche révèle elle aussi la ville, donne donc des informations précieuses pour le chercheur. Il n’est donc pas question ici de choisir une méthode par rapport à une autre mais de se positionner en fonction du but à atteindre. Les expériences que j’ai réalisées témoignent bien de cette mixité entre les démarches. Or, quel était mon but ? Pas celui de créer un projet à partir de toutes ces expériences hétérogènes. Ni d’en faire d’elles des œuvres d’art. Alors quoi ? Il me semble que leur enchainements, moins « protocolaire » que ce qu’il n’y parait, participent à l’expérimentation d’une appréhension du sujet dans sa globalité. Les expériences étaient une manière de soulever des questions en ayant par moi-même rencontrée des problèmes. Quel lieu ? Comment y marcher ? Quelle hypothèse ai-je envie de questionner ? Comment vais restituer mes résultats, mes impressions ? Quel protocole ? En représentant on formule un message, c’est en cela qu’il est difficile de représenter. Représenter signifie sélectionner des informations, et donc en rejeter d’autres. La subjectivité ne quitte donc

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jamais la représentation. En représentant on expose un point de vue, un angle d’attaque. Il s’agit de formuler une penser, traduire une pensée, une intention aussi, retranscrire une représentation mentale en une représentation physique, perceptible par d’autres. Mais pourquoi représenter ? Pourquoi « dire » ? Finalement, représenter physiquement une représentation mentale c’est le premier pas vers la communication, vers le « dire ». La représentation physique va à la rencontre des autres en soi. Et en créant un objet de représentation on communique avec l’autre. Et de la même façon qu’il y a codes à connaitre dans le langage parlé pour être compris par l’autre (vocabulaire, conjugaison, intonation, etc.) le langage graphique possède des codes, une grammaire. Par exemple, le chercheur, tend à rendre compte de ses expériences au monde, il va alors se plier aux « règles » graphiques de son domaine afin d’être compris par ses confrères. Après son auto-validation, il cherche dans un second temps celle de ses semblables. Son but est d’être compris le plus clairement possible, de produire des documents intelligibles. Et c’est dans cette élaboration de traduction par le biais d’un système préétabli que la subjectivité de sa démarche, ou de ses données se soustrait à processus qui tend à l’objectiver –sans y parvenir totalement. Pour un chercheur, le problème majeur est de rendre scientifique une représentation sensible du territoire. Quelles données prendre en compte ? Comment rendre cette représentation sensible opérante pour les acteurs du territoire ? Le paysage étant en mouvement permanant, comment peut-on le représenter sans figer un rapport sensible à un lieu ? Plus la personne fera appel à ces « codes » plus elle aura de chance d’être comprise par le public qu’elle vise. Parce que ces derniers mots soulèvent une question importante : à qui s’adresse-t-on ? A cette question est liée le « comment dire ». Choisir un support de représentation c’est choisir un support pertinent, adapté au message, adapté au public. Le support dit autant sur le message que le message lui-même. En somme, il est très important de noter que les supports de représentations sont intrinsèques à ce que l’on veut dire. Le chapitre qui va suivre est moins une notion supplémentaire ou annexe qu’un zoom, un approfondissement, un éclairage sur les problématiques que posent les démarches ci-dessus. Dans le terme de « dire » nous entendons l’idée de diffusion, de rendre public. Concernant les lieux de diffusion, ils peuvent être numériques ou physiques. Les lieux de communications ne sont plus seulement physiques, l’espace public immatériel –internet- invite à la diffusion des connaissances. L’espace public est indispensable à la communication.

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FICHE PARTENAIRE Application Seety, Clémence et Marine Chastan

Présentation et Analyse de l’Application Seety Fondée en 2014, Seety est une société et une application smartphone créée par les sœurs Clémence et Marine Chastan. L’application reprend le principe des applications de jogging classique (proposer aux joggeurs un accompagnement de leur activité par le biais de leur téléphone) en les détournant de leur valeur « d’outil de performance » pour en faire un « outil d’exploration urbaine »... ...« En faisant du running une découverte urbaine, une exploration unique de ta ville ! Seety, c’est une application collaborative de création et de partage de circuits sonores, des audioguides créés en live qui te font voir ta ville en rose. » Car au lieu de proposer un calcul de la vitesse de déplacement/distance parcourus/nombre de calories dépensées, ou d’un quelconque marqueur de performance sportive, Seety offre à ses utilisateurs la possibilité de suivre un parcours de jogging prédéfinis, basé sur une thématique donnée (arts et patrimoine, bon plan shopping, humour, etc.) et agrémenté d’une bande sonore composée pour un tiers de commentaires audioguide (sur la thématique du circuit) d’un tiers d’indication GPS (permettant de suivre le parcours) et d’un tiers d’intermèdes musicaux (rythmant le parcours). Seety incorpore par ailleurs une dimension communautaire, en offrant à ses utilisateurs la possibilité de créer et partager leurs propres parcours, dont ils peuvent définir le trajet autant que les composantes sonores qui l’accompagneront. La démarche est ainsi proche de celle impulsée par les situationnistes. Les deux créatrices confiant par ailleurs que l’idée de seety est née à la suite « d’un travail scolaire d’analyse à rendre sur le courant situationniste », qui les as amenés à penser à une nouvelle manière d’adapter la démarche situationniste à la société actuelle. A leurs yeux, Seety est donc une réponse possible à cette problématique, puisque proposant une nouvelle manière de faire découvrir la ville, par le biais du jeu et de l’expérience corporelle. Comme les situationnistes l’ont fait à leur époque, les jeunes créatrices désiraient opérer un contre-pied : En partant du constat que l’essentiel des applications liées à la course à pied étaient basées sur un objectif de rapidité, d’efficacité et de rendement, elles ont souhaité donner une valeur différente à cette pratique et inscrire leur projet dans une critique de la société de consommation. D’autre part, l’application est gratuite, ce qui conforte la portée réellement ludique du projet. Toutefois, l’ambition des créatrices de rejeter la société de consommation se retrouve rattraper par une forme dichotomie technique : L’application n’étant accessible qu’a la condition sine qua non de posséder un téléphone « intelligent » haut de gamme (Seety n’étant disponible que sur les supports Iphone et Android). Là où Seety atteint en revanche ses objectifs, c’est dans sa volonté de lutter contre l’obsession de la performance (ici à entendre comme performance physique, au sens de rendement). En effet, les jeunes créatrices voulaient profiter du succès que rencontre le jogging en ville afin de concevoir une manière de valoriser cette interaction de l’individu à la ville. Car si la plupart des applications de jogging partent du principe que leur utilisateur évoluera dans la ville en courant. Seety ne revendique pas la notion de « vitesse » et n’impose aucune obligation d’allure. Elle laisse au contraire l’utilisateur libre de faire le choix de la marche, et donc du rapport qu’il entretiendra à la ville (forcément différent selon l’allure à laquelle il la parcourt) au cours de son utilisation de l’application. Son fonctionnement : Soit en tant que simple consommateur : En choisissant l’un des parcours de Jogging proposés par Seety sur un lieu/ une thématique donnée. Et en évoluant sur ce parcours, via le GPS, tout en profitant des commentaires et intermèdes musicaux y étant associés. Soit en tant « qu’utilisateur collaboratif » : En proposant soi-même à la communauté de créer de nouveaux parcours, 100


que d’autres utilisateurs-consommateurs pourront alors emprunter. Pour ce faire, la démarche (entièrement assisté par l’application est simple : « 1) géolocalise tes positions pour plus tard guider les seetyzers à travers ton futur circuit grâce à une voix GPS ; 2) détecte ta voix automatiquement pour lancer les phases d’enregistrement ; et constituer toi-même les commentaires de l’audioguide. 3) glisse, lorsque tu ne parles pas, des intermèdes musicaux spécialement créés pour le running par nos designers sonores ; 4) module ces pauses sonores en fonction du rythme du seetyzer qui testera ton circuit, pour un phasage optimal entre l’audioguide et l’environnement urbain. » Les créatrices de l’application la présente ainsi : « Seety c’est adopté le collaboratif, en likant et commentant les jog’ que tu testes, en t’abonnant au compte des amis, voisins et seetyzers les plus inventifs, en créant à ton tour des jog’ qui te ressemblent ! Grâce à Seety, redécouvre ta ville à travers les yeux d’un autre, aventure-toi dans les circuits les plus surprenants, deviens un coureur-voyageur. » Points d’intérêt pour mon mémoire Leur projet est un exemple d’application réelle d’une théorie. Le concept de Seety peut alimenter mon travail sur, la marche en tant qu’outil à « créer ». Mon sujet questionne les manières d’utiliser la marche, et le choix des supports de représentation. Or le support numérique de Seety est intéressant à intégrer dans la réflexion globale. . Collaboration éventuelle L’entretien du 22 septembre 2014 amorça une collaboration. La contribution que j’en tire est directement liée aux points d’intérêt pour mon mémoire que Seety soulève. A savoir : un exemple d’application concret de la marche comme outil à « créer », Seety permet d’apprendre à lire la ville, à l’explorer, et invite à occuper les rues, la ville dans son ensemble. Seety créé de l’usage, il est activateur de vie urbaine. En outre, mes recherches et ma démarche liée à l’expérience peuvent contribuer à la plateforme interactive qu’offre Seety. Clémence et Marine Chastan m’ont demandé de mettre en ligne une marche. Et cela sera possible lorsque l’application sera en ligne, donc active (lancement prévu pour mars 2015). Cette marche « thématique » devrait restituer les informations, les questionnements récoltés au cours de mon mémoire. Ma marche pourrait mettre en lumière, « dire », les usages de la rue, nos manières de l’habiter. Parce que, le regard attendu est celui d’une étudiante en architecture. La marche pourrait raconter différemment (par les paroles) les trajets déjà effectués entre les buttes Chaumont et Place des Fêtes. Le parcours et les propos que je vais enregistrer lors de cette future marche restent encore à définir. « Mon jog » à l’allure d’un marcheur sera en ligne sur la plateforme interactive de Seety au courant du mois de mars : http://www.seetyapp.com. Ce sera ma manière de participer au projet, de contribuer au « jeu », mais aussi de « dire la ville » publiquement. (Sources : propos relevés d’un entretien effectué avec les deux créatrices le 22 septembre 2014, et extraits du site officiel de Seety).

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Les supports de représentation Le corps Plus largement, dans chaque marche on retrouve l’idée d’une représentation physique de quelque chose : son corps et plus particulièrement le corps en mouvement, le corps en action. On met le corps en situation, on crée alors une situation, une nouvelle interaction. Et bien entendu, le corps est le support premier, substantiel aux supports qui suivent. Dans la représentation sur un support figée, matériel, il y a l’intention d’une représentation pérenne. Exprimée clairement dans la performance (au sens d’acte artistique) : la volonté de « mettre en scène ». Il s’agit de la création d’une situation, exposition d’une réalité par le prisme de l’artiste, de son jeu. De la même façon qu’on parle de « représentation de pièce de théâtre ». La représentation se fait dans l’action de montrer, de faire, de pratiquer. Et chez certains artistes, leur travail, leur œuvre est revendiqué comme tel. C’est le cas de Francis Alys et Richard Long ; l’action est la « représentation », l’exposition. Leur œuvre siège en la non-représentation pérenne et figée. La performance suffit à représenter. Les photographies ou vidéos de l’action sont des supports de communication, pour rendre l’histoire de leur action connu par tous, ceux qui n’étaient pas là. Cependant, ces supports ne sont pas choisis au hasard, ils font foi d’une certaine réalité « objective ». Et par cette façon que leur œuvre se pérennise pour revenir à son entité d’œuvre d’art (Hannah Arendt). Plateforme interactive : exemple de l’application SEETY (voir fiche détaillée P.100-101) La communication peut également se faire via le monde numérique. Prenons l’exemple de l’application Seety. C’est un projet qui utilise le corps pour « dire » la ville, mais qui dépend d’un support numérique. Monde réel et virtuel collaborent dans la représentation. Clémence Chastan souligne qu’une « application qui fonctionne doit avoir un impact sur le réel ». Et c’est pourquoi l’application Seety vise à générer des expériences réelles, physiques, corporelles entre la ville et l’individu. Le support virtuel permet une évolution continue et interactive de la représentation. La pérennité est toujours présente par ce que les données sont mémorisées. Le fait que Seety soit une plateforme interactive indique que le support numérique n’est pas seulement communiquant il est aussi source d’interaction ; chacun peut y participer en enregistrant et postant sa propre expérience du territoire. La voix, les commentaires, la localisation, la durée du parcours, des photographies de lieux sont les informations retransmises sur la plateforme. La plateforme interactive en tant que support présente une représentation des expériences urbaines tel un corps changeant, inconstant, grandissant.

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Récit de la marche du 25/10/2014 Journal de marche. (Récit écrit 05/11/2014 à partir de notes prises durant la marche) Rendez-vous à la galerie Thaddaeus Ropac à Pantin, départ prévu à 13h30. 13h20 : Je sors du métro, équipée du tracé du parcours esquissé au dos d’un ticket de caisse préalablement. Il commence à pleuvoir un peu, espérons que ça ne dure pas. La perspective des cinq heures de marche sous la pluie, dans la banlieue, m’enchante moyennement. L’expédition commence là. Après cinq bonnes minutes de marche, mon gribouillis de carte m’indique que je dois passer sous un pont très sombre, circulation automobile rapide et intense. Sous le pont, le trottoir est coincé entre un mur de pierre sale et des barrières en tôle, sûrement par mesure de « sécurité » … J’hésite à m’engager dans ce tunnel, pensant m’être perdue, j’appelle la galerie. La réponse est sans appel, la direction est bonne, l’espace culturel n’est plus très loin une fois la sous face traversée. La galerie détonne un peu avec les environs, non pas par son architecture étant une réhabilitation de bâtiments industriels en brique, mais plutôt par son attrait culturel. Je comprends mieux les propos lu dans le journal de la Biennal qui désignait les deux galeries d’art comme des « météorites » dans la banlieue parisienne. Un petit groupe se forme dans la cour, composé des deux artistes et des personnes participantes. Les artistes se présentent, introduisent la marche. Ils nous expliquent que le parcours expose différentes strates de la périphérie. « Là où la vie se défait ». Un trajet plus direct aurait pu être effectué, par l’avenue de Flandre, annonce l’artiste Patrick Laforet, mais ils ont décidé de zigzager. Il nous prévient que le parcours sera ponctué par des arrêts. Ils informent que le circuit est sur internet, n’importe qui peut le faire s’il le souhaite. On sort à gauche, certains sont venus seul d’autres en groupe de deux ou trois, les gens parlent, le bruit des voiture m’empêche de suivre les conversations. Nous sommes onze –les deux artistes compris-, je suis surprise par la majorité de personnes paraissant assez jeunes. La trentaine pour sept d’entre eux. Entre cinquante et plus pour les trois autres. Je suis la plus jeune. Au bout de quelques minutes, premier arrêt : les artistes nous pointent du doigt un immense fleuriste situé sur le trottoir d’en face. Le nom inscrit sur la devanture est « THOREAU », Jacques Clayssen y voit comme un clin d’œil à notre expérience parce que Thoreau est également le nom d’un grand écrivain anglais qui a initié la marche dans la société…On avance. On passe le porche du cimetière, deuxième arrêt, le cimetière de Pantin est le plus grand d’Europe nous dit l’un des artistes. Il y aurait 8000 arbres et chaque voie porte le nom de l’essence de l’arbre qui l’occupe. J’essaie de voir le bout de l’allée, je n’y parviens pas, elle parait sans fin. Le cimetière réputé pour son calme, « ordinairement il n’y a personne » déclare Jacques, est à notre arrivé bondé de voitures, de personnes d’origine africaine, fleurs à la main. Dans l’allée principale. Toutes semblent être là pour la même raison, le même enterrement. L’afflux de personnes est impressionnant, et attise la curiosité, sûrement quelqu’un « d’important ». J’oublie l’appareil photo que j’avais brandi au commencement de la marche, un climat de compassion et de recueillement s’impose. On se fait « tout petit » face à la foule qui occupe le lieu. On empreinte une voie secondaire, à droite. Nous sommes seuls. Silence, calme. Les bruits des cailloux sous nos pas. Je discute avec quelques participants, avec chaque fois là même entrée en matière, la question que chacun se pose « Et toi, pourquoi tu es là ? ». L’un deux me conseille la revue « Tous urbain », je note. Lui, est un jeune aménageur du territoire. Il me confie qu’il fait partie de l’association Les Mystères du Grand Paris. Le but étant de donner un éclairage différent de la banlieue parisienne par le biais d’interventions et créations d’artistes. Les arbres nous entourent, chaque allée est différente, différentes couleurs de feuillage. Il ne pleut plus, l’odeur de la pluie mêlée à celle des arbres me rappelle les balades en Alsace, dans la forêt, en automne. Les allées sont sans fin, tout est si paisible, Si l’on regarde au loin on voit quelques barres, mais les arbres brouillent l’image. Dans l’avenue Tilleul d’hollande on entend le train. Nous sortons du cimetière, nous arrivons sur une petite rue, Patrick nous conseille le restaurant portugais. Je regarde dans les assiettes des clients. J’ai faim. Je repense à mes vacances à Lisbonne l’été passée. Je note l’adresse. Nous passons devant d’anciens terrains militaires, on aperçoit le fort d’Aubervilliers au loin. Puis là devant nous, le théâtre Zingaro fait par Patrick Bouchain. Les tours en brique d’Aubervilliers nous font face, déjà vu auparavant en descendant à cette station. L’une des marcheuses, s’adresse à moi, elle est professeur d’italien et diplômée en histoire de l’art. Elle a entendu parler de la marche par le biais de l’association Les Mystères du Grand Paris qu’elle soutient. Les artistes attirent notre attention sur « le jardin des vertus », inconnu pour ma part auparavant. Ils nous racontent l’histoire du lieu ; terrains militaires dans le passé, aujourd’hui réhabilité en jardins. A travers le grillage on aperçoit la diversité et le bon entretien des jardins. Légumes, arbres fruitiers, roses, une cabane. Les habitants des tours bénéficient d’une parcelle, ils sont forcés en contre partie du bon entretien du jardin et de la culture de légumes. Je n’imaginais que de pareil endroit pouvaient exister ici. Contraste fort avec les hauts monolithes. On continue. Bastien et son ami me parlent plus en détails des Mystères du Grand Paris. Bastien en est le président. Face à la prise de conscience que le Grand Paris va changer la banlieue parisienne, va définir un « avant et un « après », l’idée est de constituer une banque de données de ce que la banlieue est maintenant. Regards sur la banlieue. Bastien explique qu’il n’est pas question de regards de valeurs, image positive ou négative de la banlieue, mais juste de donner 103


un regard, des images qui témoignent de son existence. La cité des Courtilières. Un arrêt : Jacques nous pointes la fenêtre d’un immeuble « c’est ici que vivait Emile Alisio, le créateur d’Astérix et Obélix ». Immeuble construit en 1953. C’est un enfant du quartier qui leur a dit cela un jour. Une plaque en verre vissée à la façade fait foi de l’histoire. Ironie de l’histoire : nous sommes rue d’Alésia. Jacques : « Est-ce que les territoires marquent le destin des individus ? ». On raconte qu’après le succès de son fils la mère du dessinateur quitta le quartier pour aller vivre dans quelque chose de plus coquet. Seizième arrondissement de Paris. On raconte qu’elle est revenue visiter son ancien quartier en affirmant qu’elle y a passé les plus beaux moments de sa vie. Elle n’aurait jamais retrouvée la solidarité et la vie de quartier qui caractérisaient le quartier. Solidarité et cité ne s’opposent pas comme on pourrait le présupposer. La Cité Serpentine. A droite, un terrain de jeu. Bruits des voitures, bruits du ballon et des joueurs. Les artistes nous parle du bâtiment que l’on voit au loin. Anciennement une usine à papier et château d’eau qui possédaient leur propre voierie. Aujourd’hui : la faculté de Paris 13. On tourne à gauche. Pavillon de style japonais construit dans les années 70 pour les riches personnes arrivant à l’aéroport du Bourget. Pas de succès, aujourd’hui utilisés comme salles de réunions. Pause pipi. Cité U étoile au loin. Jacques explique qu’étant classé au patrimoine les projets de rénovations de la cité sont difficiles. Sur quels critères classons-nous des bâtiments comme patrimoine ? On marche dans l’allée, entourée de terrains de sport occupés. Un match de football. On tourne à droite, et on se retrouve sur l’ancienne voie de chemin de fer. Des murs en pierre taggués bordent le chemin. Des street artistes nous saluent, munies de leur bombes de peinture, ils tagguent le mur déjà habitué. On traverse une rue. Nous voilà dans un quartier pavillonnaire calme. Patrick : « Pour un quartier pavillonnaire il est particulièrement calme, savez-vous pourquoi ? Les familles qui vivent ici n’ont pas de chien. Question de culture, de moyens financiers aussi. ». D’un côté les pavillons à l’architecture vernaculaire, de l’autre un long mur qui longe toute la voie. Arrêt : les artistes nous pointes un bâtiment de l’autre côté du mur. C’est l’ancienne gare de Bobigny, entourée de végétation sauvage. Ancien lieu de la déportation des juifs pendant la seconde Guerre Mondiale, aujourd’hui réhabilité en lieu de mémoire. Les artistes expliquent que le projet de réhabilitation est ici bien particulier. Les familles de déportés s’opposaient à un projet de réhabilitation où l’entretien du lieu serait continu. Ensemble ils choisissent de créer un projet commun de biodiversité, de laisser la nature reprendre ses droits. Geste symbolique, Patrick : « leur discours est de laisser le nuisible se propager là où « les nuisibles » ont été détruits.». Froid dans le dos. Je pense aux familles, à cette gare qui laissait partir les trains de la mort. Puis à ce qu’il est aujourd’hui. Le sujet de la mémoire est difficile à traiter. Le projet parait juste, fort. L’image que j’avais de cette friche en arrivant se modifie. Avant, je ne savais pas. On continue. Les maisons sont petites et l’esthétique hétérogène. On s’arrête devant un terrain en friche, un « trou » dans le quartier. Des mauvaises herbes. Un grillage. Aucune possibilité d’appropriation de cet espace par les habitants. Jacques : « Nous faisons cette marche depuis plusieurs années et nous avons constatez que cet espace s’est fait grillagé après que la mairie soit passée à droite (…) ». L’état de l’espace publique influencé par des décisions politiques. On continue. Une chapelle de petite taille, construite par un prêtre ouvrier. On longe la voie de chemin de fer. Un escalier qui monte sur la route. Qu’est-ce que ce garçon fait-il couché sur le grillage horizontal. Entre le pont et les voies. Il peut tomber. Et mourir. En montant l’escalier je le vois de plus près. Il est éveillé. Il s’assoit. Mais que fout-il ici ? La vue peut-être. On continue un peu. Une vieille dame nous interpelle « Un mort ! Un mort ! Mon dieu, j’peux pas regarder ça. S’il vous plait dites-moi s’il est mort.». La situation prend une dimension grave. L’une des marcheuses veut appeler la police. Un autre, déconseille d’appeler : « il n’a peut-être pas de papier ». On rassure la vieille dame « il bouge, il n’est pas mort ». La grand-mère va mieux, elle nous parle maintenant de son age avancée, de sa santé. Patrick nous confie « c’est le terrain de jeu des consommateurs de crack ici. Il doit être sous crack ce garçon. » Cela pourrait expliquer ce geste inconscient. Je ne sais pas quoi penser. Une marcheuse et un inconnu essaie de lui parler. Il ne parle pas français, la communication est difficile. En contre bas : « le champ des pierres ». Patrick : « Ces grosses pierres ont été posées là pour éviter l’installation de camp de Rom. Mais les pierres sont devenues des chaises et des tables basses parfaites aux dealeurs et consommateurs de crack. (…) Le mot « zone » est né ici. » Il me semble que l’une des marcheuses appelle les pompiers. Deux des marcheuses doivent rentrer sur Paris. Nous avons pris du retard dans notre marche je crois. Photo de groupe. Avec la grand-mère et sa sœur. On continue. Nous sommes 9 marcheurs désormais. Tout en marchant, je discute avec deux marcheuses, elles sont venues ensemble. L’une d’entre elle, celle qui a entendu parler de la marche d’aujourd’hui, pratique la marche depuis de nombreuses années, par plaisir, par curiosité. Elle me cite le nom des organismes et associations qui en organisent. Promenades urbaines. Marche sonore. Parcours de l’eau. Ses expériences sont intéressantes. Je ne connaissais pas l’existence de toutes ces associations autour de la marche. La marche : un grand réseau. Elle est venue aujourd’hui parce qu’elle « ne connaissait pas bien ce territoire, contrairement à Paris qui est familier ».Par curiosité. On traverse un terrain de jeu, coincée entre deux voies plutôt rapide. Faux gazon. Un des marcheur fait remarqué qu’il n’y a personne, ce qui est plutôt étrange pour un samedi après-midi. Le lieu est complètement étrange, ça doit faire mal de tombé sur ce gazon-plastique. Il est déconnecté du tissu urbain. Qui voudrait jouer ici ? On continue. Un chemin étroit entre des buissons. Un caddie de supermarché dans les buissons. Des wagons de trains. Patrick : «certains de ces wagons contiennent des produits radioactifs. Apparemment si l’un d’entre eux explose, Il faudrait huit minutes au nuage radioactif pour voyager jusqu’à Paris. (…) situés trop près des habita104


tions par rapport à ce que la loi autorise. (…) une association de quartier se bat pour qu’ils disparaissent (…) ». Il suffirait d’un seul accident. On continue. Qu’est-ce que cet immense bâtiment de béton ? C’est l’autoroute ! Le long de la voie de chemin de fer. Un immense mur dépouillé de son revêtement. On voit l’isolation. Pourquoi ? Jacques : « Le revêtement qui était là peut être utilisé pour le sol des terrasses (…) ». On traverse le monstre de béton. Un passage de volume important qui contient de nombreux tags. Des graffitis expriment l’affrontement entre deux « groupes », deux villes qui réclament chacun la propriété de ce passage à leur ville. Bobigny et Pantin. On revient sur nos pas. On traverse un pont. Le bruit des trains. Vue d’ensemble. Des rails, des tours, des arbres au loin. Des fils de cuivre coupés, volés. On continue. Nous arrivons dans un quartier d’habitation à nouveau. Boulangerie dans un quartier calme, immeubles anciens de quatre ou cinq étages. Pause. Un pain turc de la maison, une bouteille d’eau. On continue. Rue principale. La marcheuse expérimentée : « à force de regarder je trouve que ce n’est pas si moche (…) Tout le monde dit que c’est moche la banlieue, mais cette rue avec ces bâtiments dépareillés je ne la trouvé pas laide, elle est vivante finalement c’est l’essentiel (…) ». Je suis d’accord. Vivant, c’est l’essentiel. Les gens qui y habitent fabriquent leurs propres repères ici. Repères qui ne dépendent pas de la norme esthétique, mais de repères sociaux, familiaux, etc. On continue. Façade étroite et très remarquable d’un temple Indien. Ornementations à foison. On rentre pour voir à l’intérieur chacun notre tour. Rose, cyan, jaune. Des gens veulent prier, je sors. On continue. Il y a moins d’habitations, le bruit des voitures en permanence. Les trottoirs sont étroits. A droite, un grand bâtiment contemporain fraichement délivré. Un hôtel peut être. Juste à côté, en contre-bas, un bidonville. C’est la première fois que j’en vois un de si près. D’ordinaire c’était de la fenêtre de la voiture, en traversant l’autoroute. Là il suffirait de descendre les quelques marches. Un bébé. Un caddie. Des abris de tôles ondulées sous les arbres. On continue. Une fabrique de la ville. Un arrêt devant une pierre sculptée, Jacques : « La justification historique de ce choix de parcours est qu’avant 1860 Belleville appartenait à Pantin (…) ». Je discute avec une marcheuse qui est jeune urbaniste. Je m’intéresse à son parcours. Science Po puis un master d’urbaniste à Science Po. Elle me conseille de voir les projets des Ateliers de création urbaine. Je note. Nous marchons sur des bords de voies rapides. Il est difficile de s’entendre. Il y a du vent. Jacques et Patrick nous pointe du doigt une plante qui pousse au bord de la route, elle sort du macadam. Jacques : « Elle s’appelle Polonia, vient de Chine, et pousse où rien d’autre ne pousse. C’est un très bon fixateur d’azote. ». On continue. On s’approche du musée de l’aviation - Le Bourget -. Je discute avec Jacques, à l’annonce du sujet de ma venue, il me conseille des lectures « Walkscapes de Francesco Carreri (…) Marcher, créer de Davilla (…) La Révolution de Paris (…) Le Voyage Métropolitain ». Aller voir son site internet. Jacques me dit qu’il y a « tout un tas de marches organisées aujourd’hui, c’est un effet de mode », il me parle de Balzac, des dadaïstes qui ont initié ce mouvement dans le monde de l’art, puis des situationnistes, des stalkers, etc. Il différencie voir de regarder et ajoute « On ne choisit pas ce que l’on voit mais on construit son regard (…) Marcher c’est créer le paysage (…) ce que nous sommes en train de faire s’oppose au marché de l’art, loin de l’aspect économique, à l’œuvre matérielle (…) Je me demande bien ce que la journaliste de la biennale de Belleville qui est avec nous aujourd’hui va raconter parce que c’est de l’art immatériel ». Un arrêt devant le musée. Nous sommes bientôt arrivés. Jacques explique le logo de l’association. Un pied avec un œil dedans. Le message est « regarder avec ses pieds ». Une référence à Œdipe, le pied enflé et Jacques cite « Je cherche quelqu’un pour quitter mon pied aveugle ». On continue. On longe l’aéroport Le Bourget. De l’autre côté, Patrick :« (…) cité Germain Dorel construite à l’époque pour les hôtesses de l’air et les pilotes. Aujourd’hui la cité est habitée par des populations à faible revenues. » La façade est en piteux état. « Dans les années 50, une ligne de tram reliait directement le quartier de l’Opéra à Paris à Le Bourget. (…) Des casinos et cabaret longeaient l’avenue (…) ». Il est difficile d’imaginer cette situation lorsque l’on regarde ce qu’il en est maintenant. Le quartier de l’aéroport est désert. Au loin, quelques personnes en costard et tailleurs réunis devant un bâtiment. Nous voilà arrivée à la Galerie Gagosian. Encore une fois, je comprends mieux la réplique « météorite dans la banlieue parisienne ». Les voitures garées devant le lieu culturel sont luxueuses. Nous entrons. J’apprends que la réhabilitation de l’entrepôt en galerie est signée Jean Nouvel. La scénographie permet un grand volume au centre entouré de coursives. L’espace est ouvert et lumineux. Le sol au second étage est surprenant, des pavés couleur écru de petite taille. Peut-être celui d’origine. Les œuvres sont soient des installations d’objets, de sons, ou des photographies de grandes tailles, ou encore des sculptures. Toutes dans un registre contemporain. On fait tous un tour. On s’assoit autour d’une table en bois, quelques mots pour conclure la marche. Fatiguée, apaisée. Les artistes nous distribuent leur carte de visite. J’irai voir leur site internet en rentrant. Nous nous dirigeons vers l’arrêt de bus. Il est là, on retourne à Paris. Voies rapides. Rondpoint. Immeubles haussmanniens, rue étroites, denses. Paris. Le groupe se dissout, chaque arrêt dans Paris fait office d’au revoir, de merci, à une prochaine fois peut-être. La marcheuse « attachée de presse de la Biennale » : « C’est drôle j’ai l’impression d’être partie en weekend end. » Jacques : « Ah ! A chaque marche quelqu’un nous fait cette remarque. Ça aurait été dommage que personne ne le dise aujourd’hui ! Merci.» C’est vrai, je ressens la même chose, sûrement parce que nous avons emmagasinés des centaines d’images, traversées des territoires différents. Et la marche a comme étiré le temps. On approche de Gare de l’Est. L’un des marcheurs me dit qu’il est photographe et designer. Il a fait un projet de photographie pendant ses études autour du périphérique avec un ami étudiant en architecture. Je prends son contact, il s’appelle Salim. Tiens, je regrette un peu de ne pas avoir demandé le prénom 105


des autres marcheurs. Je descends à Gare de l’Est, dit au revoir aux marcheurs restant, et m’engouffre dans la bouche de métro. Mon téléphone, 3 appels en absence. Voilà, j’ai vu un peu avec mes pieds.

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Le texte Le texte est un support d’expression qui fige une pensée par le langage. Merleau Ponty* explique que la pensée et le langage ne font qu’un, ils dépendant l’un de l’autre, se construisent l’un par rapport à l’autre. Le sens du message émane du choix et de l’assemblage des mots entre eux. La compréhension d’un texte suppose l’habilité à comprendre la langue. Or qui dit langage dit culture, ainsi appréhender l’un signifie appréhender l’autre. Le corps peut parler, exprimer des choses (langage corporelle) mais face à un texte ce sont les mots, leur sens et leur composition qui disent quelque chose. On parle de « la barrière de la langue » dans certaines situations. Ainsi, le texte est un support de représentation dont l’accès est limité à un public capable de comprendre la langue exprimée. Dans le récit de la marche Hors Circuit (P. 103-106), je voulais tester un support différent de la carte, photographie, ou encore dessin. On constate que dans ce récit les phrases sont hachées, le rythme est saccadé ce qui rend peut-être la lecture difficile. La structure grammaticale n’est pas toujours respectée, voilà pourquoi les données paraissent un peu «brutes». Je me suis inspirée de la manière dont Georges Perec décrit la rue dans Espèces d’espaces. C’est ainsi que je voulais illustrer mes sensations, interrogations, observations, afin de rester fidèle aux notes prises durant la marche. La retranscription n’est que partiellement fidèle, les notes manuscrites révèlent des choses différentes que celles tapées à l’ordinateur. (Sans parler du temps écoulé qui modifie la perception de l’expérience.) Sur les notes on lit des mots plus gros que d’autres, peut-être plus importants. On lit la fatigue qui rend les mots presque illisibles et donc incompréhensibles –même pour celui qui en est l’auteur. La manière d’écrire est aussi riche en signification sur l’expérience vécue que le sens des mots. Ces nuances disparaissent lors de la retranscription informatique. Alors pourquoi retranscrire ces notes? Il s’agissait encore une fois de les rendre intelligibles, plus claires, accessibles. Lors de la retranscription, le récit est soigné, la narration est plus importante que dans les notes prises à la main jugées trop « abruptes ». Les souvenirs sont sollicités, des détails oubliés dans les notes apparaissent dans cette seconde représentation. Chez Perec, on lit un inventaire méticuleux de l’observateur, une sorte d’acharnement, d’obsession à collecter, noter des détails, des impressions, etc. «(…) Lire ce qui est écrit dans la rue : colonnes Morris, kiosques à journaux, affiches, panneaux de circulation, graffitis, prospectus jetés à terre, enseignes des magasins. (…) je regarde attentivement une affichette, le tarif des glaces et mystères, une ferrure, un store, le cendrier jaune, hexagonal (en fait, c’est un triangle équilatéral, dans les angles coupés duquel ont été aménagées les dépressions en demi-cercle où peuvent être posées les cigarettes (…)»** On repense aussi au personnage d’Edgar Allan Poe qui tentait de comprendre l’homme des foules, qui tentait de saisir l’insaisissable. Ici, le paysage dans son ensemble est le sujet à déchiffrer. Je remarque que dans mon récit, il y a aussi l’idée de décrire avec le plus de détails possible, d’établir une sorte d’inventaire, de ne « rien oublier de dire », « tout noter ». Il s’agit encore de cette

* Maurice Merleau-Ponty Maurice, La Phénoménologie de la Perception, 1945 ** Georges Perec, Espèces d’espaces, 1974

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intention de s’approcher le plus proche possible de la réalité. (Cette écriture me paraissait la plus adapter à ce que je voulais dire de l’expérience, me permettant d’être dans le sensible sans tomber dans le sentimental.) La composition dense de mon récit, telle un flot de mots continu est une manière de représenter le mouvement de la marche. Parce que même lorsqu’elle est marquée par des pauses, le système de pensée lui ne s’arrête pas. Le corps perçois, observe, analyse, enregistre de manière continue, presque effrénée. « (…) On continue. Façade étroite et très remarquable d’un temple Indien. Ornementations à foison. On rentre pour voir à l’intérieur chacun notre tour. Rose, cyan, jaune. Des gens veulent prier, je sors. On continue. Il y a moins d’habitations, le bruit des voitures en permanence. Les trottoirs sont étroits. A droite, un grand bâtiment contemporain fraichement délivré. Un hôtel peut être. Juste à côté, en contre-bas, un bidonville. C’est la première fois que j’en vois un de si près. D’ordinaire c’était de la fenêtre de la voiture, en traversant l’autoroute. Là il suffirait de descendre les quelques marches. Un bébé. Un caddie. Des abris de tôles ondulées sous les arbres. On continue. (…)».* Ici, comme dans le récit qui relate l’expérience de marche n°1 (P. 42-44), l’emploi du temps présent est significatif. Le récit de la marche n°1 relate plus les sensations corporelles qu’une description avertie de l’espace «(…) J’ai froid (…) Une sensation de liberté m’envahie (…) ».** Manifeste chez Perec également, l’emploi du temps présent, donne l’impression que le mouvement, l’action se déroule au moment où on lit les mots. Mais derrière l’emploi du présent se cache aussi une valeur de « vérité générale », le récit se présente comme « irréfutable ». L’intérêt n’est pas de donner une représentation complète de la ville, de l’expérience vécue, parce qu’aucun support de représentation ne peut le faire. La représentation sera toujours partielle. L’intérêt est d’avoir le regard sur la ville de quelqu’un l’ayant vécu, traversé, et qui plus est avec l’œil observateur et engagé de celui qui voyage, qui explore. « Tout récit est un récit de voyage – une pratique de l’espace ».*** La photographie La photographie est un support très utilisé pour parler de la ville. Un support dont je me suis également beaucoup servi dans mes représentations graphiques. La photographie va capturer un angle de vue précis de la réalité en le restituant de manière assez exacte. La photographie fige dans le temps et rend matériel un paysage visuel. Concernant ce support on retient son caractère à figé dans le temps une image unique. Le regard est ainsi le sens le plus sollicité, et le point de vue choisi rend compte d’une manière de vouloir dire. Le point de vue donne des informations orientées sur l’image. L’expérience de marche n°2 (P. 54-61-) témoigne clairement du rapport entre le message à communiqué et l’angle de vue. L’angle de vue « tête baissée » tenait à représenter le paysage visuel du sol lors d’une marche. Parfois l’objectif est si proche du sol que la perspective est à peine visible. Lors d’un gros plan, la platitude du sol est accentuée, il s’apparente à une feuille emplie de graphismes différents ; on s’intéresse à montrer des détails, des textures. Et à contrario, le séquentiel donne des informations encore autre du trajet ; la perspective donne une seconde dimension au paysage. La vue plus large donne une vision plus globale et distancée des lieux.

* Extrait du récit de la marche Hors Circuit, 25 octobre 2014 ** Extrait du récit de la marche n°1, Bergen, 24 février *** Michel De Certeau, L’Invention du quotidien, I : Arts de faire, 1990

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Avoir recourt à ce support peut aussi témoigner d’une volonté de tendre vers une représentation relativement objective de la réalité, de la ville telle qu’on la voit. La photographie fait office de preuve. Les photographies prises de la performance de Richard Long* par exemple peuvent être considérées comme des œuvres à part entière, mais l’intention initiale de photographier était de rendre compte, témoigner, prouver. Par sa capacité à restituer assez fidèlement l’image du réel, la photographie est associée à la réalité, elle fait foi de quelque chose, elle rationalise un discours ; c’est l’image qui parle. D’ailleurs, une majorité de personne emploie la formule « je ne crois que ce que je vois »**, et la société de consommation joue de cela en donnant un pouvoir à l’image très important. A line made by walking, Richard Long, 1967

Source : site internet artwiki

* Richard Long, A line made by walking, 1967 ** Formule entrée dans le langage courant en référence à l’histoire de l’apôtre Saint Thomas, d’après la Bible

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La vidéo La vidéo possède un pouvoir de persuasion plus élevé encore que la photographie. En effet, en restituant du temps et du son, on se rapproche d’une représentation de réalité encore plus « objective ». Chez Stalker, c’est en ce sens-là qu’est utilisée la vidéo. Lors d’une exposition visant à restituer la marche parcourue aux alentours de Rome : « L’installation Stalker Attraverso I Territori Attuali qui se compose de trois tables rectangulaires, disposées en parallèle au milieu d’une salle, accompagnées de la projection, sur un seul écran, de séquences vidéo et de diapositives retraçant les différents moments de la traversée ».* « les vidéos de Stalker réalisées pendant les traversées durent très longtemps, quelquefois plusieurs heures, pour annuler tout contrôle de l’opérateur sur son objet d’étude en faisant triompher l’expérience du pur écoulement du temps et du pur déroulement de l’espace, l’expérience de la traversée seule. »*. Temps et espace : voilà deux notions inhérentes à la marche qui sont traduites avec une relative exactitude par le biais de la vidéo. Si les vidéos projetées lors de l’exposition veulent parler d’elles même, elles sont toutefois positionnée d’une certaine façon dans la salle de l’exposition, elles font partie d’une composition, d’une mise en scène. D’ailleurs la salle d’exposition est en soi un support de communication, un lieu de diffusion. La plateforme de Seety est un lieu virtuel de diffusion, la salle d’exposition est physique. Ils peuvent tous deux être considéré comme des espaces publics (si gratuits et libres d’accès). Dans le cinéma, « déformer le réel » est un jeu, il sollicite le regard et l’ouïe. Il s’amuse à perturber la représentation mentale que le spectateur perçoit de la ville. A travers des histoires, par le biais de techniques (montage, son, lumière, etc.) le cinéma met en scène le réel. Sansa**, nous fait passer d’une ville à l’autre en quelques secondes, sa course effrénée nous emporte dans son tourbillon. Son mouvement est si rapide et fluide qu’il semble que chacune des villes du monde qu’il parcourt n’en forment qu’une seule. Le croquis Le croquis se distingue par son caractère très subjectif ; moins exacte que la vidéo ou la photographie il est en revanche plus sensible. En effet, il possède un pouvoir de synthèse. Celui qui dessine va représenter ce qui lui parait essentiel en mettant de côté ce qu’il estime superflu. Le croquis est une sélection d’information plus claire et affirmée. Je constate avoir très peu utilisé ce support -excepté dans l’expérience de marche 1 et 2-, parce qu’il n’était pas le plus adapté aux situations expérimentées. Le croquis demande du temps et des bonnes dispositions. Lors de l’expérience de marche n°1 (P. 42-44), les notes prises expliquent « Qu’il fait froid aussi. Le vent glace la peau de mon visage, mes doigts au contact du stylo noir ne bougent presque plus. J’arrête de dessiner ».*** En outre, dans chaque marche je voulais capturer l’image rapidement, tout en marchant (la filature est l’exemple le plus probant), et la pratique du croquis ne s’y prêtait pas. D’autre part, je cherchais un support se rapprochant le plus possible de ce que je voyais, une reproduction la plus exacte possible du réel, d’où l’usage fréquent de la photographie.

* Thierry Davila, Marcher, Créer, 2002 ** Sansa : film de Siegfried, 2003 *** Extrait du récit de la marche n°1, Bergen, 24 février

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La carte sensible La marche est un mouvement sur la surface de la terre, elle appelle à une géographie de la même manière que le fait la carte qui tend à représenter cette dimension spatiale. La carte est une représentation et un support de représentation en soi. Au cours de ce travail, j’ai tenté de fabriquer des cartes. La cartographie s’apparente à cette « fabrication » : une pratique de la carte permise par la marche. La carte n’existe que par ce processus. Alors, si la carte est un objet, un résultat, comme peut-elle rendre compte d’un tel processus ? Ces cartes proviennent d’une expérience sensible avec le territoire. De là, il s’agit de conception de cartes qu’on pourrait qualifier de sensibles, qui contiennent des données dites subjectives. Si on les distingue des cartes rationnelles qui elles, contiennent des informations objectives chacune d’entre elle reste plus ou moins subjective finalement. Parce qu’une carte se définie comme un support et a pour qualité de compresser des données. Or les données d’une ville, d’un territoire sont infinies, la cartographie reviendrait à faire rentrer de l’infini dans du fini. (Paul Ferren) Contrairement aux autres cartes –toutes subjectives finalement- est que celles-ci assument et revendiquent cette particularité de subjectivité. Ces dernières sont souvent particulières par leur mode de fabrication ; issues d’expérience vécue du territoire telles que des marches, visites, repérages, etc. Elles intensifient, déforment… La carte est alors double, elle est autant un objet rationnel gouverné par des codes et des normes qu’un matériau mis en forme selon des attributs plus personnels, subjectifs, informels. Et en tant qu’objet de représentation, comme le tableau dans l’art, le risque est une réduction du réel, un appauvrissement de l’expérience faite. Sur la carte de Guy Debord « Guide de la psychogéographie de Paris » (voir P. 81), on y voit un collage de Paris divisé en dix-neuf sections. Ces dernières sont séparées l’une de l’autres et semble disposées au hasard sur le fond blanc. La géographie de Paris objective est alors éclatée. Les « morceaux » de villes sont des « unités d’ambiance » urbaines. Les flèches qui lient ces unités indiquent que l’utilisateur de la carte peut choisir sa propre direction. Cette carte quasi abstraite donne peu d’informations pour la comprendre et la suivre, elle apparait moins comme un support à se repérer qu’un symbole à se perdre. Plus la carte est abstraite moins elle apparait comme objet d’utilité et d’information. Les cartes de l’artiste Catherine Jourdan revendiquent leur subjectivité, leur « non utilité d’orientation ». La carte de Péruwelzis* P. 118, annonce cette volonté : « Si vous souhaitez flâner dans le Péruwelzis en étant sûr de vous perdre ou bien redécouvrir l’entité sous un nouveau jour (…)». La carte est fabriquée sans fond de plan, elle fait écho aux cartes mentales (c’est-à-dire la représentation physique d’un territoire d’après la mémoire qu’on en a). Parce que, dans ses cartes sensibles, on lit principalement des usages d’habitants, une « Géographie subjective ». Parler de ses cartes c’est parler de sa démarche, l’un ne va pas sans l’autre ici. D’ailleurs, la carte tente par son graphisme de représenter le processus de la création de la carte. Elle réalise une carte subjective d’un territoire à l’aide qu’un habitant ou d’un groupe d’habitants.

* Catherine Jourdan, association «Géographie Subjective» : La carte de Péruwelzis, 2014

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Ce qui est intéressant avec l’idée du groupe est que la carte joue de la diversité des points de vue. Des réunions de travail sont mises en place avec le groupe. C’est une méthode collaborative, avec des groupes très précis déjà constitué préalablement ; une classe d’élèves par exemple. Ainsi, l’élaboration de la carte se base sur la parole de ces habitants (mots, dessins, etc.). Ici, la carte ne nait pas d’un parcours, d’une traversée mais se base sur la représentation mentale du territoire qu’en ont les habitants par leurs usages quotidiens. -Usages qui incluent donc celui de la marche-. La carte subjective est « parlante » -ce qui la distingue de la carte de Debord -. L’étape de traduction, de composition graphique sont très importantes dans le travail de Catherine Jourdan. A partir du travail collectif elle opère sa traduction graphique sur un seul document, une carte. Elle reprend les codes graphiques des cartes IGN : les couleurs vertes utilisées pour les espaces verts, les légendes sur les côtés, etc. Cette carte est une sorte de parodie de la carte traditionnelle (IGN), elle applique les codes et cadre qui l’identifie pour parler de données tout autres, non plus objectives mais subjectives. La reprise des codes ne s’arrête pas au graphisme, les dimensions, le pliage, la couverture et sa vente en ligne participent à l’efficacité du message : « Imprimée, pliée, elle a tout d’une vraie fausse carte ». Il s’agit de revendiquer l’importance des usages dans la définition d’un territoire. Cette dernière n’est pas seulement constituée de données « objectives ». Dans mes cartes j’ai aussi été confrontée à une réflexion sur le graphisme ; sur la carte Buttes Chaumont-Place des Fêtes, les éléments de barrières et de frontières sont représentés conceptuellement. L’épaisseur du trait, sa forme, visent à traduire un phénomène, une graduation. Les murs des bâtiments sont plus foncés et opaques indiquant une possibilité de franchissement moindre. Alors que les pointillées indiquent une porosité : soit strictement visuelle soit physique (ou les deux à la fois). J’ai fait appel à l’idée que transmet un dessin généralement. Cette traduction est instinctive et ne s’inscrit pas dans la même rigueur de Catherine Jourdan qui joue avec des codes précis et établis. Pour comprendre la signification de la production d’un tel objet, signalons que la carte imprimée est alors rendue publique dans la ville. Elle est affichée dans les rues, sur des panneaux publicitaires servant à la diffusion d’informations officielles. En effet, la mairie est impliquée dans le projet, elle le soutient et l’appui. Au début les cartes se faisaient par l’initiative de Catherine Jourdan mais au cours du temps elle fut sollicitée par des mairies, des institutions politiques donc. Ces cartes sont des réelles commandes publiques. Lorsque les scientifiques utilisent la carte, leur but n’est pas d’être abstrait, ils se plient à des codes graphiques. Catherine Jourdan cherchait en jouant avec les codes classiques à interpeller mais aussi à diffuser un objet intelligible. Le géographe et chercheur Hervé Duret*, énonce que chaque carte possède un message, une thématique afin de décrire l’espace, de transmettre une information et pour cela elle utilise un langage cartographique classique et codifiée et qui lui sert de référence. Quel est ce langage cartographie utilisé ? Jacques Bertain serait un des pères fondateurs de la sémiologie graphique. Son système est basé sur des signes, des structures visuelles. Ce langage est devenu la référence de toute représentation scientifique et permet de produire une grande variété de représentation graphique. Mais les représentations spatiales évoluent sans cesse. D’où, la difficulté pour un scientifique à représenter des données sensibles dans un cadre scientifique.

* Propos relévés lors de le colloque La Fin des cartes ? Territoires rêvés, territoires normalisés : Cartographie sensible et projets urbains, le 13 octobre 2014 à l’ENSA Paris Belleville (Voir annexes «Retour de conférence»)

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118 Source : site officiel de La Géographie Subjective

Carte de Péruwelzis par Catherine Jourdan, 2014


Certaines cartes s’affranchissent de la réalité géographique afin de mettre en lumière un phénomène. L’anamorphose par exemple peut représenter le rapport distance-temps en cours sur un territoire au travers la vitesse du transport ferroviaire. En train, Marseille n’est plus qu’à trois heures de Paris, or Quimper, bien plus proche est toujours à 4h30. En se basant sur ce phénomène, la perception du territoire est déformé, et la géographie se traduit différemment que ce qu’elle n’est en réalité ; Marseille est plus proche de Paris que Quimper. La plupart des représentations utilisent un fond de plan basé sur la géo localisation. L’utilisation d’un fond de plan « géographique objectif », j’entends par là un plan à l’échelle avec des repères spatiaux, indique une volonté de faciliter la localisation, comme pour la photographie : c’est une manière de se rapprocher du réel, de l’objectif. Le fond de plan était lors de mes expériences un outil de travail pendant la marche même et donc réutilisé pour l’objet fini (la carte). Outre la possibilité de localiser dans l’espace, le fond de plan met en lumière les informations ajoutées. De cette manière l’accent est mis sur les informations ajoutées qui sont plus lisibles, et renseignent sur les lieux où elles ont été collectées. Toutefois, des questions se posent sur le choix du type de fond de plan. Dans la représentation de la filature (P.89-94), j’ai décidé du fond plan provenant de Google Earth, dans les cartographies berlinoises seules les lignes cadastrales sont présentes (P.111-115), enfin, dans les cartographies dans le 19ème arrondissement de Paris le fond de plan a été redessiné avec la base cadastrale mais en y ajoutant des couleurs et des textures. Que disent ces différences ? Le fond de plan GoogleEarth n’est rien de plus qu’une photographie, pixélisée elle n’est pas très précise mais donne une « image objective » de la ville, une réelle vue aérienne. En transparence le fond de plan ne sert finalement qu’à localiser un cheminement ou encore des éléments sensibles (cartographies du sol P.111-P.115, cartographies berlinoises). Le fond de plan du 19ème arrondissement est lui plus travaillé, plus sensible ; les couleurs expriment des textures. Contrairement au fond de plan du quartier berlinois qui lui ne donne que peu d’information n se limitant aux traits du cadastre. Mettant ainsi en avant les données colletées tel que les sons, le sentiment d’intimité. Je constate que mes cartographies lient bien souvent photographie et fond de plan ; deux outils qui tendent vers une représentation objective. L’objectif est dans ces travaux, de rendre lisible une représentation d’expérience sensible, de mettre en exergue une subjectivité tout en excluant toute abstraction dans le mode de représentation. Lorsque la carte est utilisée en tant que support de travail seulement, d’autres manières graphiques de traduire cette cartographie peuvent être pensées. Le plan n’est plus présent est tant que tel mais des indications géographiques peuvent entretenir sa fonction de repère. Par exemple, lors de la marche à Bergen, le fond de plan me servait de support à pointer les impressions ressenties. On parle de cartographie sensible donc, mais la carte sensible n’est pas le support utilisée pour communiquer l’expérience. (voir P. 37-46) Des notes étaient associées à chaque thématique. Une fois la marche terminée, ces notes –issue de ma propre subjectivité- ont été réajustées –du fait de la distance prise par rapport à l’expérience-. Puis, dans l’idée de « structurer » mes sensations, je me suis tournée vers le dessin propre aux scientifiques : le diagramme, une représentation visuelle simplifiée et structurée de l’expérience.

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Dans les coordonnées, on trouve ; en abscisses, la distance du parcours en mètres, et en ordonnées, l’échelle de notation allant de 0 à 10. Des indications écrites visent à expliquer, à définir cette échelle de notation propre à chaque thème. Par exemple pour « la sensation d’échelle » que procure l’espace urbain, la note 5 indique l’échelle humaine, 10 celle de l’avion et 0 celle de la fourmi. Concernant le sentiment de sécurité, la réelle présence de danger est signifiée par le chiffre 0, tandis que le sentiment de sécurité totale (dans sa chambre par exemple) s’apparente à 10. Le système de notation, appelle aux chiffres et donc invoque les sciences. Ici la volonté de communication est fortement présente. Comme le dit Hervé Duret*, il s’agit d’utiliser des codes existants comme repères. Dans l’ensemble de mes représentations je cherche à expliciter, à convaincre l’autre. Inévitablement, ce processus élaguent des informations, mais permet aussi de mettre en avant une idée, de la synthétiser, de la formuler. Sur un fond de plan en annexe est marquée la ligne du parcours. Et cette dernière est détachée de son plan afin d’être disséquée. En ordonnées, on a la distance parcourue en mètres, puis sont indiquée sur la ligne du trajet les photos prises (carré orange). Chaque photo est répertoriée chronologiquement dans un même catalogue. L’ensemble de ces documents permettent d’illustrer la correspondance en photo et en plan à une établie dans le diagramme. Cet ensemble de supports ont pour objectif d’offrir à l’autre une meilleure compréhension de l’expérience. De sorte que la lecture des documents se rapproche le plus possible de la lecture de la ville faite par la marche. Concernant les cartes habitantes du laboratoire LAA, le fond de plan cadastral est également utilisé. Comme nous l’avons dit dans le chapitre précédent la carte est une étape importante dans la démarche globale du LAA. Après avoir définie avec les habitants des adjectifs qualificatifs à attribuer aux lieux, les habitants marchent cartographie sur un fond de plan ses mots relatifs aux sensations ressenties. Puis ces cartes subjectives, véritables documents de travail sont remis aux chercheurs, qui eux vont concevoir les cartes finales. Il s’agit alors d’opérer un travail de traduction graphique, de traduire les données des habitants. La carte est support de travail et support de représentation. On voit sur la carte projetée des couleurs correspondants à une catégorie en particulier (adjectif qualificatif : « silencieux », « lumineux », etc.), et des intensités plus ou moins fortes de la couleur. Ceci s’explique parce que chaque habitant représente « une couche », donc la carte finale est l’accumulation de toutes ses couches. Et chaque habitant devait cartographier chacune des catégories choisies. C’est par un jeu de transparence que les choses se territorialisent. En somme, l’intersubjectivité est à la base de la démarche, et on la retrouve dans la manière de fabriquer les cartes. La carte habitante produite, par ce jeu de superposition de calques se définie telle une représentation intersubjective de la ville. Si le laboratoire s’intéresse au cartes habitantes ou sensibles c’est parce qu’elles elles cherchent à collecter les sensibilités des habitants en les liant à la représentation du territoire politique, du projet urbain. La représentation met en forme l’identité territoriale initiée par la marche. Dans l’exemple de carte ci-contre, le laboratoire s’est associé à l’atelier d’urbanisme l’APUR, en 2005, pour réaliser le même type de travail de cartographie énoncé. La recherche s’intitule « Habiter Paris ou comment apprécier la qualité de la vie urbaine ? » visait à mettre au point une méthode interdisciplinaire : « confronter la représentation statistique et cartographie classique de Paris (celle

* Propos relévés lors de le colloque La Fin des cartes ? Territoires rêvés, territoires normalisés : Cartographie sensible et projets urbains, le 13 octobre 2014 à l’ENSA Paris Belleville (Voir annexes «Retour de conférence»)

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que les urbanistes et les services de la ville de Paris utilisent) à la représentation de la ville que renvoient les habitants à travers leur parole et leur représentation graphique de cette même ville ».* La confrontation de données quantitatives à des données qualitatives permet à une nouvelle cartographie de voir le jour. Il s’agissait de déterminer des « indicateurs de qualité de vie ». Et ainsi, de définir une méthode applicable à d’autres territoires, pouvant servir d’outil de comparaison de la qualité de vie d’un territoire à l’autre. De cette façon, ces résultats peuvent aider à prendre des décisions concernant la politique urbaine d’un territoire. Notons que la numérisation des données et l’informatisation est une révolution, elles ont étendu la capacité des cartes. L’application Seety est une nouvelle manière d’aborder la cartographie par exemple. Elles ont permis une meilleure qualité graphique, un gain de temps, la possibilité à tous de réaliser une carte, et de la diffuser au plus grand nombre. On constate une explosion des modes de représentation de ces cartes. D’ailleurs le support numérique accentue aussi ce rapport à la géolocalisation dont nous parlions, il est extrêmement facile de localiser les personnes, les objets etc. et ceci pose la question de l’intimité, de la vie privée. Il est alors important de savoir à quelles fins nous voulons concevoir ces cartes. On peut également craindre un manque de lisibilité dans cette masse d’informations. Même si finalement, c’est surtout, pour la carte, l’opportunité de développer d’autres champs de représentation, d’autres langages sémantiques. A qui s’adresse-t-elle ? La carte peut être considérée comme une annexe, un supplément qui aide à comprendre une œuvre ou une action. Tel est le cas dans les cartes faites à la main P. 9-21, elles sont assez schématiques, ne cherchent pas à être extrêmement précises dans les dimensions. Leur but était de « parler » de l’action du corps immobile autrement que par les mots, le dessin signal rapidement ce qui se passe, la position du corps dans l’espace, sa position par rapport aux autres. Mais la carte peut aussi être par son processus, sa démarche et/ou sa capacité à évoluer : un objet social, une pratique collective de la ville. Catherine Jourdan se revendique cartographe publique de la subjectivité collective, elle souhaite se réapproprier un espace d’expression qui jusqu’à maintenant était réservé, faire faire des cartes par ceux qui n’est font pas et rendre le travail public. Et ayant été sollicité par des mairies, on suppose, par cette commande publique, une volonté des décideurs d’écouter ce qu’une représentation sensible du territoire peut dire. Mais finalement on connait mal l’usage de ces cartes dans l’élaboration du projet urbain par les professionnels, ainsi que par les habitants. On peut voir les limites d’un objet figé ici, une fois terminé on ne sait pas exactement quel place il occupera dans la vie de tous les jours. Même si on espère qu’il changera le regard des habitants et des décideurs sur leur territoire. Comment savoir si elles sont plus que des cartes de définition de territoire ? L’application Seety qui ne revendique pas explicitement la volonté de s’adresser à des professionnels, se tourne par contre entièrement vers les habitants, parce qu’elle en dépend. Cette cartogra-

* Extrait du livret « Habiter Paris ou comment apprécier la qualité de la vie urbaine ? », étude réalisée par LAA et et L’APUR, novembre 2005

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phie informatisée est évolutive, interactive. Et donc elle permet d’enregistrer, de rendre compte en continue de son efficacité, ou de quel manière elle est utilisée ( : Quelle relation opère-t-elle entre l’individu et sa ville ?). Concernant le travail du LAA, il est demandé par les opérateurs de projet urbain donc mieux reçu. Les cartes sensibles créent par le laboratoire ont pour vocation de dialoguer avec les acteurs du territoire. Leur collaboration avec l’agence d’urbanisme l’APUR en est témoin. Le projet urbain appelle à la transversalité et la carte sensible en est un outil. Pour débattre du projet urbain des représentations d’expériences sensibles sont nécessaires, et comme nous l’avons vu précédemment ces manières de dire peuvent croiser les manières de lire la ville. Dans la partie qui va suivre, nous verrons des exemples de projet urbain qui emploient dès les premières étapes du processus, la cartographie. Cette dernière, de la même façon que chez LAA, est à la fois outil de travail et support de représentation du territoire. Et chaque fois, les mêmes questions se posent : que montrer ? Par qui ? Comment ? En sélectionnant des informations, on formule un message, on ouvre un débat sur une question précise. Une réflexion doit être mené avant la fabrication de cartes, la démarche de projet doit être définie, afin que la carte puisse constituer un support de travail, d’analyse. Plusieurs cartes sont alors nécessaires généralement, chacune d’elles dévoilant différentes informations, thématiques. (Voir questionnement sur l’élaboration de cartes, Bellastock, (P. 129-130).

Conclusion Partie 2 La ville perçue par la marche nous révèle des informations précieuses qu’objectivement nous ne pourrions pas obtenir. Plus généralement, la ville perçue nous renseigne sur l’interaction entre la ville et ses habitants, sur les usages qui y règnent et donc sur le complexe rapport entre le domaine privé et le domaine public. Marcher donc c’est percevoir la ville, s’en faire une représentation mentale, continuellement en évolution. Différentes démarchent visent à explorer, saisir, lire, la ville par la marche. Elles constituent un large éventail, en appartenant à des domaines divers tel que l’art, la sociologie, l’urbanisme, la géographie, etc. Lire la ville par la marche invoque des domaines pluriels par tout ce que représente et créé cette pratique (partie 1.). Il n’est pas très constructif dans le cadre de ce mémoire de les opposer l’une à l’autre, mais il est intéressant de les distinguer. Ceci dans le but de comprendre les nuances d’intention, d’objectifs, de posture, de méthodes d’action. Se positionner en tant que scientifique indique quelque chose de différent que se positionner en tant qu’artiste. Ils n’entretiennent pas le même rapport à la représentation, ni à la subjectivité. On discerne des démarches oscillant entre la subjectivité et l’intersubjectivité, par le biais de méthodes participatives. Lorsqu’on lit la ville par la marche et qu’on veut communiquer cette lecture, la question du « comment » traduire, représenter entre en jeu. Et ces étapes sont intrinsèquement liées, dans certaines démarches plus que d’autres le choix du support renseigne sur le processus déterminant la démarche. La question reste ouverte sur la posture de l’architecte et de l’urbaniste.

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A travers cet ensemble de démarches de lecture de la ville par la marche, à travers ces différentes manières de communiquer et représenter la ville, où et comment se positionnent-ils ? Qu’est-ce que la marche a-t-elle à leur offrir ? Comment sortir de constat, d’analyse d’expériences sensibles pour rentrer dans une phase d’élaboration du projet urbain ? Après avoir et lu et dit la ville par la marche, comment la projeter ? Comment utiliser ces représentations sensibles de la ville ? Jusqu’où la marche peut-elle accompagner le projet urbain ? Comment le projet urbain peut-il se construire à partir de cette pluralité de support de représentation ? La marche participe à la création d’une identité territoriale, celle-ci peut être représentée sous divers supports : comment faire participer cette identité territoriale au projet urbain ?

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PARTIE 3 le projet urbain par la marche Le projet urbain Posture de l’architecteurbaniste Le projet urbain par la marche participative Conclusion


Le projet urbain Dans le terme « projet urbain » il y a d’abord « projet ». Par définition* un projet renvoie à un but qu’on se propose d’atteindre et donc à l’idée d’une représentation mentale de ce qui peut advenir. Ce terme inclue une temporalité de réalisation, de projection. Le projet urbain est avant tout un processus. On s’intéressera ici à un processus qui tient compte des étapes précédentes, c’est-à-dire lire et dire la ville par la marche. Et nous verrons comment la conception du projet urbain s’intègre à ce processus global. Mais où commence le processus ? Où s’arrête ce processus ? Quand pouvons-nous dire qu’un projet urbain est terminé ? Lorsque le chantier est terminé ? D’ailleurs, ce processus, ce projet s’arrête-t-il un jour ? On aura compris, pour approcher le territoire il suffit d’y marcher. Mais pour le saisir (partiellement) il y a différentes manières d’y marcher, différentes postures de lecture. Et le rôle de l’architecte, de l’urbaniste n’est-il pas plus qu’approcher le territoire ? On attend d’eux qu’ils agissent sur ce territoire. De la même façon qu’un chercheur questionne un phénomène, l’architecte doit constater, formuler une hypothèse, la vérifier, en tirer des conclusions et ouvrir à des propositions, à un projet. Puis, il y a « urbain ». Est urbain, ce qui appartient à la ville. Nous avons dans la Partie 2 de ce travail tenté d’appréhender la ville. La ville est un corps vivant, la ville est composée de corps vivants. La ville existe par ses bâtiments, ses rues, ses habitants qui la perçoivent et l’habitent par des usages. Alors créer de l’urbain c’est créer de l’usage. On repense au projet des jeunes créatrices Clémence et Marine Chastan … Leur projet vise à produire des explorations urbaines corporelles (la marche, le jogging). Seety permettra d’apprendre à lire la ville, à l’explorer, et invite aussi à occuper les rues, à partager, communiquer ses expériences. Seety veut créer de l’usage, pourrait alors être activateur de vie urbaine. Oui mais, pouvons-nous dire que Seety est un projet urbain ? Seety peut dévoiler des lieux, témoigner de comment est utiliser la ville mais ne modifie pas physiquement la ville. Il peut initier cette modification en révélant des situations, des interactions qui demandent à être changé. Il peut faire lever des voix, faire parler les habitants pour faire parler les lieux. Les habitants pourraient par le biais de Seety, par leurs promenades urbaines, par leurs restitutions publiques de la ville, appeler à une « lutte des lieux »**. Mais le rôle de l’architecte-urbaniste reste indispensable à la concrétisation du projet urbain, à la réponse physique de l’espace. Par son expérience et ses connaissances techniques, ce professionnel peut opérer des transformations spatiales afin de favoriser, améliorer, solliciter les usages, et donc la vie urbaine. Mais comment peut-il opérer ce processus de projet urbain au vue de ce que nous avons exposé précédemment ?

* Dictionnaire Larousse, ed. 2013 ** Olivier Mongin, La condition urbaine, 2005

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Posture de l’architecte-urbaniste Considérer la marche en termes de méthode et d’objet pour le projet urbain n’est pas aujourd’hui répandu chez l’architecte-urbaniste. Le faire, appuie le caractère remarquable de cette posture. Qu’est-ce que cela signifie exactement? En posant la question du projet urbain par la marche, la posture de l’architecte et de l’urbaniste est en ligne de mire. Bien sur l’architecte-urbaniste n’est pas seul décideur, le projet urbain est motivé et décidé par un ensemble de personnes (décideurs politiques, habitants dans certaines démarches, etc.). Mais son rôle est crucial, et en tant qu’étudiante en architecture, la manière d’aborder le projet urbain, la méthode et donc la posture à adopter sont indispensablement des sujets à questionner. D’ailleurs, c’est bien l’un des objectifs de cette période charnière que sont les études ; se questionner sur la posture que l’on choisira d’adopter durant notre profession. Le processus d’apprentissage ne cesse bien entendu pas après l’obtention du diplôme, bien heureusement. Mais ce que je veux souligner, c’est l’opportunité qu’offre les études, de prendre le temps de solliciter des questions et de construire un raisonnement. Un projet urbain n’est pas seulement spatial, c’est une projection d’actions, de programmes, d’usages qui visent à améliorer la ville. On comprend alors que s’il s’agit de la ville, le projet urbain concerne les usagers de la ville. Comme on l’a vu précédemment, l’architecture se définie par des lieux et des parcours. Le mouvement est intrinsèque à l’architecture et la mobilité l’est à l’urbanité. (Jacques Lévy) Voilà la posture à souligner ; l’appréhension de la mobilité douce, telle que la marche dans le projet urbain. La marche participe à l’urbanité. La marche même, en est une condition. Mais plus qu’une finalité au projet urbain, la posture dont nous parlons vise à intégrer la marche dans le processus même de fabrication du projet urbain. La marche serait tant objet que méthode. Il s’agit de créer de l’urbanité par les fondements de celle-ci, par la pratique de l’espace de la ville. L’architecte-urbaniste pourrait afin d’accomplir son rôle, en parallèle à dessiner et programmer ; rencontrer, échanger, habiter la ville, pratiquer, marcher. Rappelons que le fil conducteur du mémoire est l’Expérience. Et des expériences personnelles avec l’espace, la ville, le territoire ont illustrées et motivées les réflexions des deux premières parties essentiellement. Dans cette dernière partie, il s’agira d’avantage des expériences « d’autres » (voire « avec d’autres »), d’acteurs dont la démarche permis d’élaborer un projet urbain. D’une part, parce que cette dernière étape du raisonnement réclame des exemples concret d’application de projet urbain par la marche, et donc d’expériences de marche dans le cadre d’un processus d’élaboration du projet urbain. D’autre part, explicité plus tôt, la marche invoque la subjectivité. Et dans une démarche employant la marche au service du projet urbain, nous parlerons plutôt d’intersubjectivité. C’est le cas des expériences « d’autres » qu’on mettra en lumière dans cette partie. En somme, l’enchainement des étapes du mémoire expriment une posture face au projet urbain, face à la manière de concevoir la ville en tant qu’architecte.

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La marche permet d’appréhender le territoire et de l’habiter. Nous avons vu que pour se révéler, la ville dépend de la marche. Et la volonté de ce mémoire est de savoir : comment exploiter cette sensibilité ? Ici, il s’agit de dire que la marche seule, en tant qu’objet, finalité, n’est pas suffisante à l’élaboration du projet urbain. Mes expériences personnelles m’ont permis de soulever les limites de la subjectivité. Et à partir de là, nous distinguons la marche d’arpentage de l’urbaniste de la marche participative qui elle sert de socle au projet urbain. La marche ayant pour objectif de lire et dire la ville doit être collective. D’une part, la marche collective permet d’exprimer une identité territoriale. D’autre part, une marche avec les habitants, donc une marche participative permet de sortir de la simple définition du territoire afin de cibler des potentiels et proposer des transformations spatiales. La marche participative permet à la démarche de s’inscrire non plus seulement dans une approche subjective du territoire mais intersubjective, au service de la collectivité. La marche sert de medium, et alors les habitants ont un rôle double : acteurs et sujets d’étude. La marche dévoile des informations en constante évolution. Donc la marche comme outil de travail chez un architecte-urbaniste signifie que le projet urbain est bien envisagé comme un processus, un corps changeant et évolutif par les usages. Le projet urbain dépend de divers acteurs, pas seulement les habitants et les architectes. Le projet urbain appelle un croisement des regards sur la question du territoire : scientifiques, artistes. Une démarche incluant la marche participative comme outil de médiation amène l’architecte à se positionner en chercheur et médiateur. Bellastock et Le Bazarurbain sont deux collectifs qui s’ancrent dans cette démarche. La participation est pour eux une nécessité dans l’élaboration du projet urbain. De plus, la marche participative est un médium qu’il mette en application. Voilà pourquoi, notre propos s’appuiera sur des exemples concrets, dont principalement celle de Bellastock et du Bazar Urbain. L’idée n’est pas de les opposer ou de les comparer, ayant tous deux de grandes similitudes dans la manière de procéder. Mais ces deux exemples mettent chacun en lumière différents aspects du projet urbain par la marche participative. Présentation et Posture de Bellastock* L’association Bellastock est créée en 2006 par des jeunes architectes. Elle vise à faire une architecture plus respectueuse de l’environnement et en accord avec notre temps. Sa création est issue d’un constat de ses trois créateurs : les études d’architecture manquent cruellement d’expérimentation pratique. De là, ils ont réalisé une ville éphémère expérimentale sous la forme d’un festival. L’idée est que la ville soit conçue, construite et habitée par les participants. Par le biais de festivals et workshops, ils sollicitent les étudiants d’architecture à réfléchir sur la ville de demain, la ville durable. Ils initient le débat et l’expérimentation via le festival dans un processus de recherche, de projet urbain. Avec le temps, Bellastock a grandi, a diversifié ses activités en multipliant ses partenariats.

* Sources multiples : Site officiel de Bellastock / Plaquette de présentation du projet « Play Mobile » / Entretien et correspondance avec Julien Domingue, responsable de projet.

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Leurs actions visent à valoriser les territoires et leurs ressources en proposant des façons différentes de construire, construire la ville. De plus, Bellastock a développé, à l’issue de festivals, un laboratoire (ACTLAB) axé sur la question du réemploi dans la construction. Leur démarche se veut collaborative et reproductible, et cherchent à se positionner comme médiateur à l’architecture, par la réunion lors de leurs projets d’acteurs variés. Enfin, soulignons l’intérêt que Bellastock porte au potentiel d’un lieu, d’un territoire, où naissent des expérimentations de fabrication de la ville. Présentation et Posture du Bazarubain* Le collectif du Bazar Urbain, est né il y a 15 ans et est composé de différents profils de professionnels du territoire. Constitué de praticiens, d’enseignants et de chercheurs de différentes disciplines (architecture, urbanisme, histoire de l’art, etc.), le collectif revendique cette pluridisciplinarité. Son terrain d’intervention est l’espace urbain construit et social. Il y procède par « la réflexion et l’action sur les usages, les ambiances et la conduite de projet ». Le collectif, cherche par le biais d’une approche in-situ et participative, à développer des méthodes d’appréhension et de construction du projet. Bazar Urbain porte un grand intérêt à l’ensemble des acteurs ; « Nous faisons l’hypothèse que les acteurs qu’ils soient habitants, techniciens, élus, associatifs, etc. sont les plus à même de révéler et d’exprimer les potentiels des lieux, dont ils sont de fait les principaux experts. » Pour le collectif, la matière première à l’élaboration du projet se définie par les pratiques habitantes et leurs représentations. Pour ce faire ils sollicitent des cartes mentales, marches commentées, coupes urbaines, observations et micro-entretiens in situ. « Ces paroles –d’usagers, d’habitants, d’associations, d’élus, de techniciens– constituent un support unique pour une définition affinée des actions et de leurs périmètres. Ces paroles, mises en récits, sont le témoignage vivant d’une cité et de ses espaces, expressions du passé, du présent comme des enjeux et des débats pour le futur. Ces méthodes sont aussi le moyen de mettre tout un ensemble d’acteurs en situation d’énonciation et de réflexion sur les espaces de projet, amorçant ainsi des lieux et des temps de concertation. » Après avoir présenté les grandes lignes de ce qui caractérise ces deux organismes, tentons maintenant de comprendre comment à travers des exemples de projet, ils mettent en pratique leurs intentions. Et donc, voyons comment ils emploient la marche au profit du projet urbain.

* Site officiel du Bazar Urbain

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FICHE PARTENAIRE Association Bellastock – Projet « Play Mobile »

Présentation de l’Association Voir Partie 3 Présentation du Projet Voir Partie 3 Points d’intérêt pour mon mémoire La démarche de Bellastock m’intéresse particulièrement parce qu’elle est issue d’une volonté d’associer le faire au penser l’architecture, et ce dans un processus d’expérimentation, de recherche. L’action et la réflexion s’alimente respectivement. Ainsi cette notion clé et fondatrice fait écho à mon sujet de mémoire, au sens où la marche comme outil à faire du projet urbain exprime l’action-recherche au service d’un projet urbain. Et plus largement, ma démarche tend à interroger la place de l’agir, de l’expérimentation dans les études d’architecture mais dans la profession-même, dans la conception de l’espace urbain, de la ville. Ce projet soulève des questions chères à mon processus de réflexion ; Quel rapport entretien l’architecture avec la mobilité ? Quelle relation l’homme contemporain, l’homme mobile par excellence cultive-t-il avec l’espace urbain ? Quelle force opère l’usage sur un territoire ? D’autre part, rapport au lieu, on s’intéresse au potentiel du lieu. Créer un imaginaire commun, transhumance dans le but aussi de révéler un territoire. Et pour finir, leur projet « Play Mobile » : « une réflexion sur le thème de la mobilité, axe exploratoire d’une stratégie territoriale », est indubitablement lié à ma thématique, la marche étant une mobilité parmi d’autres. Et ce qui m’interpelle ici c’est la place qu’occupe cette dernière dans le projet ; à différentes échelles, à différents moments dans le processus du projet. Le territoire a été choisi parce qu’il pose des questions sur la place du marcheur, du nomade, il est caractérisé par ses fortes mobilités « rapides » qui connectent le territoire à la métropole, à la France, au monde, mais n’intègre pas de mobilités douces à ce jour. Les mobilités locales souffrent d’un sol fragmenté. Et les « marches exploratrices » organisées marquent le premier geste, contact, avec le territoire, elles témoignent de la place fondamentale donnée à la marche, telle un outil à explorer, à activer le territoire. En bref, le projet « Play Mobile » constitue un exemple parfait de l’utilisation concrète possible de la marche dans le projet urbain, outils de réflexion, d’expérimentation, de recherche, de valorisation et d’activation des lieux urbains. De surcroit, Julien Domingue, responsable du projet « Play Mobile » m’a proposé d’y contribuer, en raison de mon travail de mémoire lié aux réflexions du projet. Ainsi, en plus d’être un objet d’analyse, je vais pouvoir me confronter à un cas réel de projet urbain, interroger mes propres méthodes, contribuer à en tester de nouvelles, en bref, participer (un peu) au processus de fabrication d’un projet urbain. Et tout cela en utilisant la marche. Contribution respective La méthode de travail du projet Play Mobile est en quelque sorte «un cas d’école », qui bénéficie de l’expérience acquise par l’association au fil du temps. Aujourd’hui le projet est dans sa première phase, celle des recherches préparatoires. Julien Domingue, responsable de « Play Mobile », et moi-même avons pris contact au mois de novembre 2014. Après quelques emails d’échange sur le sujet de mon mémoire, celui du projet Play Mobile, il fut assez clair que nos travaux respectifs pouvaient s’enrichir l’un et l’autre. Mes expériences de marche, de représentation, l’intéressaient, spé129


cialement dans le cadre de cette première phase du projet comprenant des « workshops itinérants » dont le but est de « concevoir plusieurs cartographies, caractérisées par une expertise spécifique » sur ce qui compose le territoire. Les thèmes à aborder seront les suivants : « - les ressources matérielles (gisements de matériaux, végétation, nature des sols, paysages...) - les ressources immatérielles (histoire «sourde» des lieux, expériences et connaissances des habitants et usagers...) - la représentation des mouvements (flux, types de mobilité, ruptures, continuités, passages...) » - > L’idée est « qu’on puisse ensemble (eux et moi) expérimenter une méthode pour organiser, représenter et cartographier les marches exploratoires. » Synthèse de la réunion du 05/12/2014 : En perceptive de la marche exploratrice du 13/12/2014, nous avons réfléchi ensemble sur son déroulement, sur la méthode à suivre. Des questions ont été soulevées et répondues en partie ; Quelles données voulons-nous repérer prioritairement ? Combien de sous-thème aborder durant la journée du samedi 13 décembre ? Combien de personne par sous-thème ? Quel outil donner aux marcheurs ? Un fond de carte ? De quel type ? Quelle échelle ? etc. Plus précisément, . Autres informations à cartographier : Nous avons réfléchi à d’autres « sous-thème », tels que les usages, les activités de production de matériaux existantes (exemple de l’imprimerie qui pourrait nous fournir certains matériaux de construction), le vent, la topographie. Objectifs de la marche exploratoire du samedi 13/12/2014 L’idée est que chaque marcheur participe au travail de cartographie, son vécu, ses impressions et sa capacité à observer ce qui l’entoure seront sollicités. Nous avons décidé quels seraient les premiers sujets à traiter pour cette marche : -Les moments forts paysagers -Le gisement de matériaux possible en termes d’activités locales existantes -Les usages existants Le nombre de thématique sera à modifier en fonction du nombre de participant. Cette marche s’inscrit dans une quête de sites pouvant accueillir le festival. Méthode envisagée Trois équipes seraient organisées, s’occupant chacune d’une des trois thématiques. Le nombre varierait entre 3 et 5. Quel parcours emprunteraient-ils ? Le parcours suivrait les 3 sites déjà « pré- sélectionnés », formerait une boucle avec comme départ et arrivé la gare. Néanmoins une consigne sera communiquée : incitation à emprunter des chemins aux alentours du parcours indiqué, à explorer les environs, à suivre ses intentions, ses envies (cf. la dérive des situationnistes). Les supports Comment représenter ces informations ? Il nous parait essentiel de passer par l’outil de la carte, elle permet une localisation des données indispensable à une future élaboration de projet, savoir où se trouve quoi. Chaque équipe possèderait des fonds de carte. De quel type ? Google earth ou autre ? Après un aperçu rapide de mes dernières cartographies en guise d’exemples, nous sommes arrivés à la conclusion qu’un fond de carte dessiné à l’ordinateur (Autocad) ne montrant que le cadastre était plus neutre qu’un plan google earth. Or cette neutralité sera privilégiée dans ce type d’exercice, permettant de capter l’attention du marcheur sur ce qui l’entoure sans que la carte ne l’influence trop dans ses choix (de direction, d’attention, de ressenti, etc.) 130


En parallèle à la carte un complément via la vidéo, le croquis, la photographie, le texte, l’entretien peut être envisagé. Chacun de ces supports s’adaptent plus spécifiquement à une thématique, la photographie pourrait être associée aux « moments forts paysagers », elle traduit fidèlement la réalité, et sous forme de séquences elle isole des « moments forts » (contrairement à la vidéo). La photographie pourra aussi servir à capter l’image des structures fabricants les divers matériaux, même si ce travail sera majoritairement basé sur de l’arpentage, la traduction sur carte, et la récolte d’informations données par la mairie ou autres institutions. Des entretiens avec les usagers rencontrés (retranscription par le biais de texte) pourront servir d’outils à appréhender les divers usages du territoire. D’autres parts, nous inviterons très fortement les marcheurs à retranscrire sur la carte des impressions personnelles autres concernant les lieux. Autre : Peut-être faut-il repenser l’intitulé des thématiques ; « ressources matérielles » « ressources immatérielles », « représentation des flux » ; les termes sont-ils adaptés ? (Sources : Plaquette de présentation du projet « Play Mobile » par l’association Bellastock / Entretiens et correspondances avec Julien Domingue, responsable de projet.)

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Le projet urbain par la marche participative Le choix du projet Play Mobil s’explique par une opportunité de rencontre avec l’architecte chargé du projet Julien Domingue. Il était intéressant pour lui comme pour moi d’échanger sur le sujet de marche. Le projet Play Mobile est en cours. (Voir fiche partenaire p.00-00). Et le choix du projet urbain à Dijon vient du fait que la demande n’était, contrairement à Play Mobile non pas émergeante du collectif mais sollicité par une mairie, une institution politique. C’est une commande publique. De plus, dans le projet de Dijon, le travail du collectif est considéré comme terminé. Le projet est-il lui achevé ? Ces deux projets permettent ainsi de questionner les temporalités du projet urbain. Projet « Play Mobile»* Description des étapes et actions du projet (Sources : plaquette de présentation du projet « Play Mobile » par l’association Bellastock, entretien et correspondance avec Julien Domingue, responsable de projet.) L’enjeu principal est lié au territoire : «l’association Bellastock souhaite accompagner la mise en œuvre du CDT Roissy-Terres de France par un travail sur les mobilités douces et les liaisons actives, dans le cadre d’un projet opérationnel et mobilisateur, construit par phases successives avec de nombreux acteurs ». La plateforme de l’aéroport Charles de Gaulle, cœur économique du territoire, devient « une centralité cloisonnée ». Le territoire est fragmenté par le réseau de transports, les barrières urbaines rendent les mobilités douces quasi inexistantes sur le territoire. Ainsi, en partant de la question de la mobilité en milieu urbain, « ses enjeux économiques, sociaux, environnementaux, ses échelles locales, métropolitaines et internationales » qu’elle invoque, l’association Bellastock souhaite participer au développement territorial. Leur démarche étant de questionner « les liens entre les différents modes de mobilité », « mettre en cohérence les ressources locales et les déplacements humains », et de préfigurer « l’activation de futurs lieux d’intensification urbaine ». Tout ceci en partenariat avec la société du Grand Paris et les acteurs territoriaux locaux. Play Mobile est le nom du projet que Bellastock propose cette année, « une réflexion sur le thème de la mobilité, axe exploratoire d’une stratégie territoriale prenant la ville éphémère comme point de départ. Problématique omniprésente dans les développements urbains, la mobilité se trouve intimement liée à l’évolution des modes de vie, du nomadisme moderne aux outils numériques de connexion.». Le projet se joue en 3 temps ; avant le festival, le festival, après le festival. Ce schéma reprend le processus déjà expérimenté par l’association, sur l’Ile Saint-Denis par exemple en 2012 (Projet « Le Grand Détournement). En amont du festival, des cartographies analytiques du territoire, marches appelées « marches exploratoires », workshops, conférences, débats etc. sont organisées dans le cadre de recherches

* Sources multiples : Site officiel de Bellastock / Plaquette de présentation du projet « Play Mobile » / Entretien et correspondance avec Julien Domingue, responsable de projet.

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préparatoires. D’ailleurs, Le travail de réflexion débuté avec Bellastock sur la cartographie (P. 130131) relève les questions soulevés dans les chapitres précédents, telles que : quelles informations notées ? Par qui ? Comment les restituer ? Ces démarches auront pour but entre autre de définir 3 sites principaux d’action. Le projet fera l’objet de « plusieurs transhumances parcourant le territoire (…) impliquant plusieurs étudiants et jeunes professionnels. Ces workshops itinérants auront pour but de concevoir plusieurs cartographies (…) » Le festival devrait durer 4 jours, 3 nuits, et accueillir 1000 participants. Ils devront construire leur propre habitat. Chaque structure devra être mobile, pouvant être ainsi transportable d’un site à l’autre. Si les participants doivent être issus d’école en architecture, le dernier jour du festival sera ouvert au grand public (environ 2000 visiteurs). Le concept de la ville éphémère se veut collaboratif, le but étant « de créer une réelle interaction entre les différents acteurs du territoire : institutions, entreprises, industries, associations culturelles … ». Enfin la ville éphémère « est surtout un outil de valorisation locale ; elle permet d’investir et d’activer un lieu par un chantier collectif, et de le mettre en valeur par l’évènementiel ». « L’évènement agit comme une fiction urbaine, dévoilant un imaginaire commun ». Le festival constitue un « véritable stimulateur du projet « Play Mobile », a pour enjeu la fabrication d’une fiction collective autour d’une ville éphémère nomade. » Et son rôle est celui d’un catalyseur, afin « d’activer plusieurs sites sur le territoire de Roissy – Terres de France » et d’amorcer un travail plus long. C’est pourquoi après le festival, une « résidence d’été » sera installée sur le site. Elle consiste en l’organisation d’un chantier collectif afin de créer un aménagement temporaire dans l’espace urbain. Ce chantier permettra d’activer le lieu de manière immédiate et de rentre pérenne les actions sur place, d’accompagner un projet urbain à l’échelle du territoire. Le projet fera l’objet de retranscription, publications, et expositions, de manière à communiqué au plus grand nombre les réflexions et actions accomplies. Enfin, pour inscrire le projet durablement, accompagner au mieux le projet urbain, le projet intégrera un laboratoire. Il a pour vocation de devenir un lieu de recherche-appliquée, « outil unique en France d’expérimentation sur la mobilité en milieu urbain », et aussi « un moyen efficace d’occuper et d’activer un territoire en mutation ». L’idée de diffusion de leur action étant chère à l’association, le laboratoire sera un lieu accessible à tous, un espace d’accueil et de médiation. Et de la même manière que dans les étapes précédentes, le laboratoire donnera lieu à des partenariats divers et variés (dont les associations locales), intégrants des acteurs de tout azimut. Pour l’association, la pluridisciplinarité est une condition majeure à intégrer au projet. L’initiative du projet est issue du collectif Bellastock, ce qui signifie qu’ils doivent trouver pour l’élaboration du projet un soutien de la part des décideurs du territoire. Grâce à ces nombreux partenaires et sa notoriété grandissante, Bellastock possède déjà cet appuie. Mais ces accords prennent

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du temps sur le projet. Et il est facteur d’instabilité. Dernièrement, le droit d’accès au potentiel site a été remis en question de la part d’un des maires d’une des communes concernées. Ces types d’obstacles freinent le projet urbain. De plus, ces incertitudes ont ralenti mon travail de participation sur les cartes sensibles, amorcé en décembre. Projet « Mobilier et Structure de repos pour le centre-ville de Dijon »* Description commentée des étapes et actions du projet En amont de l’intervention du Bazar Urbain, la Commission de quartier du centre-ville de Dijon a initié une étude sur le besoin de structure de repos dans la ville. Cette intention s’insère dans les projets de budget participatif 2010 de la Commission. Avec l’aide du service technique ils ont identifié 8 lieux publics à étudier, comprenant des places et des rues. L’origine de ces choix n’est pas explicitée. Après cela, les membres de la Commission se sont réunis en groupes de travail pour établir un cahier des charges et choisir un prestataire. Ce prestataire fut le collectif Bazar Urbain. La qualité du collectif à savoir marier réflexion, actions sur les usages, ambiances urbaines et conduite de projet, répondait au profil recherché. La fonction du collectif était donc de proposer une étude des lieux mais aussi d’aboutir à des propositions, à un projet urbain. A la suite de cela, la Commission amorce la démarche participative par le biais d’ateliers avec les habitants, élus et services municipaux, afin de communiquer le projet en cours et recueillir les premières attentes et besoins des usagers. La première étape de travail du Bazar Urbain débute avec des parcours commentés en juin 2011. Ces marches participatives sont composées de membres du collectif et de participants (comprenant les élus, la commission de quartier centre-ville, les commerçants, des habitants et les services municipaux). Le but était d’observer les lieux et leurs usages afin de réfléchir sur les possibilités d’implantation de ces structures de repos (forme et emplacement). L’itinéraire était défini au préalable, la dérive situationniste n’était pas appliquée ici. Il s’agissait de tester par la pratique les lieux sélectionnés, c’est pourquoi l’itinéraire comprenait ces derniers. Les parcours ont été effectués selon des temps différents. Trois parcours ont été réalisés comprenant une quarantaine de participants (élus et habitants) : le premier entre 12h et 14h, le deuxième entre 18h et 20h, et un troisième de nuit. Un quatrième parcours de jour (toujours le même itinéraire) fut pratiqué avec seulement les services municipaux. Ces parcours commentés par les marcheurs ont permis de révéler les usages et besoins des lieux. Ont été pris en compte également les remarques de la part des structures de services municipaux concernant le mobilier urbain, tels que la pose, l’entretien, le détournement d’usage, l’accessibilité, etc. Octobre 2011 annonce une nouvelle étape de travail du collectif, celle des ateliers participatifs. Dans un premier temps, il s’agit de la restitution publique des visites de terrain. Pour ce faire, un

*Site officiel du collectif Bazar Urbain / Film réalisé par la mairie de Dijon

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travail de traduction des paroles des marcheurs a été mené par le collectif. Le support de reproduction majoritaire est la carte. Dans un second temps, des groupes de travail ont débattu sur ces cartes, permettant leurs réajustements. Dans les cartes produites, on compte des cartes pointant la présence des aménités (structures de repos, fontaines, toilettes, etc.) sur les lieux étudiés, des cartes présentant le flux de piétons actuel et celui envisagé après la mise en service du tramway, ainsi que des cartes d’utilisations des lieux et leur attractivité. Puis, ces éléments relevés lors des parcours (textes, cartes, etc.) ont été synthétisés dans des livrets, et mis à la disposition des participants. Un moment clé de la démarche fut le jeu de cartes inventé par l’équipe. Ce support a dévoilé les postures et attitudes souhaitées sur les structures de repos. Les participants devaient positionner sur chacun des lieux (fond de plan de la ville de grande taille) le niveau d’intervention nécessaire : une intervention faible signifie qu’elle peut être réalisée rapidement, tandis qu’une intervention lourde nécessite des travaux plus lourds et plus longs, ou encore des interventions ponctuelles étaient envisagées. Les cartes de jeu indiquaient des usages également (déjeuner, lire, courir, etc.). Ensuite, les propositions émises par le jeu ont été soumises à l’expertise des différents services. Ces ateliers participatifs ont permis d’affiner les définitions et les qualités des structures de repos envisagées. La synthèse de toutes ses réflexions et la proposition de projet urbain qui en émane signale la dernière étape du travail attendu par le collectif. Les documents de synthèse et de propositions sont représentés à travers un livret. Ce dernier fut rendu public afin de communiquer les conclusions tirées de ce processus. Le livret exprime les concepts et idées forts de l’étude, à savoir : s’inscrire dans un cheminement piéton, travailler avec les usagers, travailler avec le temps, questionner la place de l’automobile et profiter du moindre espace végétal. Il ainsi rappelle l’objectif du projet : favoriser la marche, permettre la pause. Dans le livret, on distingue chacun des lieux étudiés. Les analyses et projections, appelées « lecture des sites et pistes de projet », contiennent au début une photographie caractéristique de l’espace étudié et un plan le situant. Puis on lit la succession des étapes de travail qui définissent l’étude du site. D’abord, nous lisons des paroles de marcheurs représentatives telles que « C’est que du parking » pour décrire la place des Halles Champeaux. Ensuite, on retrouve les « Perceptions du corps » observées tout au long du processus : le corps en pause, le corps en mouvement et les particularités des sites (architecturales ou d’usages). S’en suivent, « des pistes de projets issus des parcours ». Par exemple pour les sites rue Lamonnoye et la place des Halles Champeaux sont proposés (entre autres): « des structures de repos au niveau de la DPAR et des Archives départementales (pour manger, se reposer, attendre le bus). ». Et enfin, les « principes généraux et les images de projet ». Ce dernier point décrit plus en détail les structures futures. L’accent est mis sur les temporalités de ces interventions urbaines, on distingue l’intervention immédiate de l’intervention durable (« réduction des voieries (…) »), ou encore de l’intervention éphémère. Sur la place des Halles Champeaux, « l’intervention durable » tente de s’inscrire dans une dé-

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marche durable en présageant une modification des usages par l’arrivée de tramway qui rendra le site d’autant plus utilisé par les piétons. Bazar Urbain propose des réponses spatiales au site «pour le transformer en une véritable place ». Ils exposent la nécessité par exemple de « récupérer de l’espace actuellement occupé par de la voirie et du stationnement. Ainsi, par le recalibrage de la chaussée, par la suppression de la voie parallèle à la rue Chaudronnerie reliant la rue Auguste Comté et la rue Jean-Jacques Rousseau jouxtant au nord la place, par la réduction de l’essentiel du stationnement, par l’augmentation du trottoir nord de la rue Chaudronnerie, il devient possible d’augmenter les surfaces allouées aux piétons. (…) Enfin, l’idée à été soumise en atelier, de mettre des bancs ronds autour des arbres, ce qui serait une manière simple et évidente de souligner une des particularités du site : la présence d’arbres, assez rares dans le centre-ville (…) ». Le texte descriptif du projet est illustré par un dessin. Le dessin est un mélange entre la photographie et le croquis. Sur la photographie en transparence, a été ajouté des traits de stylo. Cette représentation permet de rester fidèle au réel connu (photographie) tout en accentuant les nouveaux éléments qu’offre la proposition de projet. Le croquis est un support pertinent ici parce qu’il révèle la sensibilité du projet, montre l’essentiel des intentions tout en restant ouvert aux interprétations sur les détails de design du mobilier qui n’ont pas encore été décidé. Le livret, véritable support de représentation du processus mis en œuvre, du projet urbain, a ensuite été soumis à l’avis de la Commission de quartier et au Conseil municipal. Aujourd’hui, d’après Laurent Dessay, chargé du service urbanisme de la Société du Grand-Dijon, certaines des propositions seraient réalisées, d’autres toujours en cours. Bazar Urbain communique peu sur le suivi du projet après leur intervention. Or le projet continue toujours –et heureusement-. Dans ce projet, le socle représente les parcours commentés inscrits dans une démarche participative. La marche participative est fondatrice de propositions spatiales. La perception intersubjective est créateur de projet urbain d’après cet exemple. En effet, le processus proposé permet la création d’une identité de la ville. Et de la lecture de cette dernière, des potentiels sont pointés, des propositions sont soumises au débat public. En somme, le projet travaille avec les usages, les lieux et le leurs temporalités. Le projet s’adresse à l’ensemble des éléments constitutifs de la ville, de l’urbain. Travailler avec le temps inscrit le projet dans une démarche durable. Les propositions décrivent l’existence d’un temps multiple dans le projet urbain : le temps de la ville, le temps d’un usage, le temps de l’habitant, etc. Alors, une intervention éphémère ou évènementielle permettra d’être visible tout de suite, l’institution se rapproche ainsi du temps de l’habitant dont la perception du lieu aura changé durablement (représentation mentale modifiée par le vécu). Comme nous l’avons dit dans le chapitre précèdent, envisager le projet comme un processus continuellement mouvant s’intègre dans une démarche de développement durable : tel est le cas de ce projet. Cette méthode implique un engagement et un soutien de la municipalité sans quoi elle ne pourrait se réaliser.

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Deux cartographies du Bazar Urbain représentant l’intensité des usages dans le centre ville de Dijon à deux moments différents de la journée issues des marches participatives commentées , d’observations Source : livret de synthèse deu projet urbain

Projection de la transformation spatiale par le Bazar Urbain

Source : livret de synthèse deu projet urbain

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Conclusion Partie 3 Les actions de ces deux projets sont dans des lieux d’échelles et de natures différentes. L’un est péri-urbain et l’usage qu’en font ses habitants est relativement faible, l’autre est central, il s’agit du centre historique d’une ville très fréquentés et d’attractivité élevée. Et il est intéressant de voir que dans les deux cas, le processus mis en place par les deux équipes d’architectes (mais aussi urbanistes, chercheurs, sociologues, etc. pour le Bazar Urbain) appelle à révéler une identité par la marche participative : l’identité d’un fragment de ville, d’une commune, d’une communauté de commune, en soit l’identité territoriale. Ensuite, les deux projets s’inscrivent dans une approche durable de l’environnement : le projet urbain est un processus ouvert, qui tient compte d’une réversibilité. Le laboratoire de recherche devant s’installé sur le site à l’issu du festival Play Mobile préfigure cette caractéristique. Et dans le projet du Bazar Urbain, cette durabilité est présente dans la considération de propositions d’intervention de différentes temporalités (adaptées aux besoins). D’ailleurs, Seety, ce support de représentation sensible de la ville (physique et numérique) qui évoluerait constamment pourrait être partenaire du projet urbain. Il pourrait faire le lien entre l’usage –les habitants- et l’espace urbain –architecte et urbaniste-. Par le biais de Seety, nous pourrions « tester », « contrôler » à tout instant les effets des lieux modifiés par les architectes. Le projet urbain est bien un processus qui évolue continuellement, par l’usage des habitants, « le deuxième chantier »* dont parle Nicolas Soulier. La démarche basée sur des marches participatives comme elle est évoquée au travers de ces exemples décrit un processus certes lent (par les actions de mobilisation des acteurs) mais durable. Un « bon usage de la lenteur » caractérise le travail de ces architectes-urbanistes. Ils revendiquent un «urbanisme retardataire : c’est-à-dire que, sans entraver la libre circulation des personnes et des marchandises, nous prendrons en compte le souci d’habiter, donc de demeurer dans des lieux avec lesquels nous nous sentons en bonne intelligence. ».** Nous l’avons dit, le projet urbain est entièrement pensé dans un processus de recherche, donc d’expérimentation, parce qu’il doit s’adapter à la vie urbaine qui se meut sans cesse, le mouvement et l’évolution sont des notions intrinsèques au territoire et donc au projet urbain. La marche est alors tant un outil à la projection spatiale (créateur de proposition), qu’un objectif à atteindre, un enjeu urbain (volonté de favoriser la pratique de la marche). De même, l’usager possède un rôle double ; il autant participant que sujet d’étude. Si la démarche prend comme socle la marche participative, elle intègre d’autres étapes de travail essentielles telles que : étape d’observation et d’interprétations (afin de cibler les besoins et les potentiels des lieux), une étape de reproduction (faisant appel à différents support), de débat, et d’ateliers, ainsi qu’une étape de de synthèse, de projection, et de communication publique. Sans quoi, le projet resterait à l’étape de découverte, d’exploration et de lecture de la ville. Ces projets urbains attestent tous deux un grand intérêt à la production de cartes, la carte est traitée tant tel un outil de travail qu’un support de représentation, de communication. Elles dévoilent une représentation sensible du territoire, tout en restant un outil de repérage (fond de plan géo

* Conférence de Nicolas Soulier, Reconquérir les rues, à l’ENSAPLV, Paris, le 7 octobre 2014 ** Pierre Sansot, Du bon usage de la lenteur, 2000

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localisé). Notons que dans une démarche participative, il peut être difficile pour un non professionnel de saisir quelles informations sur soi, en tant qu’habitant, peuvent servir au projet urbain. Il peut être difficile de prendre de la distance par rapport à soi, d’objectiver, ou de se sentir légitime dans le débat. C’est pourquoi, la marche pourrait jouer un rôle majeur dans toute démarche dite « participative ». Etant sujet d’étude, la marche commentée d’un usager permet de révéler plus d’informations au groupe d’architectes-urbanistes sur ses usages. (Ou bien lorsque le territoire connu est parcouru par la marche pour la première fois, cela permet de récolter des informations, des commentaires in-situ). Puis, la marche permet aussi à l’habitant d’adhérer mentalement et physiquement au projet. L’aspect pratique (et ludique) de la démarche stimule l’individu, le conforte dans sa position d’habitant et d’acteur. Cela engendre chez ce dernier un sentiment d’appartenance à la ville, au territoire. Ainsi, par un tel processus, la participation prend d’autant plus son sens. En sommes, la marche participative intégrée à une démarche participative, témoigne d’une volonté de faire le projet urbain autrement, avec les lieux, avec les habitants en questionnant leurs usages par la pratique. Il ne s’agit plus seulement pour l’architecte-urbaniste d’aménager les lieux urbains, mais de les « ménager »*, c’est-à-dire en « prendre soin. N’importe quel lieu urbain mérite qu’on en prenne soin. ». Et d’en « prendre soin », on devine la nécessité de prendre du temps, d’appréhender, d’écouter, de valoriser.

* Thierry Paquot, L’espace public, 2009

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CONCLUSION


Ce mémoire est né d’une volonté de questionner la place de l’expérience, de la pratique dans un travail comme celui-ci. Plus précisément, il s’agissait de prouver la relation entre la marche et l’architecture : l’architecture dépend de cette pratique.-Ainsi, la question du projet urbain était posée.Parce qu’après avoir énoncé ce fait, la question était de savoir comment faire l’architecture par la marche. Comment la marche peut-elle initier, participer à un processus de création, de transformation spatiale et donc sociale ; celui du projet urbain ? Cette problématique pose les bases d’une réflexion plus large sur la posture de l’architecte-urbaniste, puis son rôle, face au projet urbain. La marche étant une pratique, un usage ; elle concerne l’homme. Et c’est donc à partir de là que nous avons commencé notre propos. La marche se défini comme l’acte d’être au monde et l’acte de l’habiter. Par cette pratique, le marcheur transforme l’espace. Le point d’intérêt étant le projet urbain, nous nous sommes intéressés plus particulièrement à la marche urbaine. Une expérience urbaine par la marche se caractérise par expérience publique, de par sa mise en contact avec les autres. Dans les rues, le marcheur a la possibilité d’aller au contact des autres ou pas. Mais même si il n’y a pas de contact direct, le marcheur est parmi eux, il ne peut les ignorer, il les voit, les entends. Le simple fait d’être présent est un déjà un acte en soit de participation à la vie urbaine. Qu’elle soit consciente ou non la marche est une exposition de soi. Dans la rue, chacun se revêt d’un costume de marcheur différent ; piéton, flâneur, vagabond, etc. Marcher, se montrer à l’autre, au monde, est une première forme de communication. Et l’espace public se défini par cette habilité à faire communiquer, à créer des usages, de la vie urbaine. L’urbanité nait dans les pas des marcheurs. Marcher en ville signifie appartenir à un corps plus grand que le sien, le corps de la ville. Elle constitue un corps vivant qui en contient d’autres en mouvement. La ville ne peut se définir que partiellement, les définitions sont aussi nombreuses que les perceptions de ses usagers. Ainsi, la ville perçue par la marche nous révèle des informations précieuses qu’objectivement nous ne pourrions pas obtenir. Elle nous signale les tensions qui y règnent. Celles-ci s’expriment par le jeu de phénomènes opposés. La ville tantôt rejette, tantôt attire. La marche permet de passer d’un sentiment à l’autre, d’une sphère public à une sphère privée. Le corps du marcheur est un medium à la vie urbaine. Des lieux dits « d’entre-deux » facilitent cette expérience. Soit, marcher revient à percevoir, appréhender la ville, s’en faire une représentation mentale, continuellement en évolution. Différentes démarches visent à explorer, saisir, lire, la ville par la marche. Elles constituent un large éventail, en appartenant à des domaines divers tel que l’art, la sociologie, l’urbanisme, la géographie, etc. Lire la ville par la marche invoque des domaines pluriels, invite à la transversalité. On discerne des démarches oscillant entre la subjectivité et l’intersubjectivité. Cette dernière permet de lire l’identité de la ville à travers plusieurs subjectivités. Mais, lorsqu’on lit la ville par la marche et qu’on veut communiquer cette lecture, la question du « comment » traduire, représenter, convaincre, entre en jeu. Et ces étapes sont intrinsèquement liées. Dans certaines démarches plus que d’autres le choix du support renseigne sur le processus déterminant la démarche. Pour ce faire, différents supports sont appelés, tel que le corps, le dessin, la photographie, la carte, etc. Le support numérique peut aussi en être un, son caractère évolutif et public peut être recherché dans une telle démarche de communication et de partage d’informations. 141


En créant un objet de représentation on communique avec l’autre. Or le projet urbain nécessite lecture, représentation, projection et communication. Ces représentations concèdent au projet urbain, dès ses premières étapes, une appréhension de la ville, du territoire, sur lequel il faut opérer. Le projet urbain commence avec les habitants, avec leurs expériences sensibles du territoire par la marche. Puis, il continue et évolue par l’usage des habitants. Or, le projet urbain s’arrête lorsqu’il est dépossédé de ses fonctions, c’est-à-dire lorsqu’il ne projette plus, lorsqu’il n’est plus urbain. Voilà pourquoi le projet urbain doit faire en sorte de s’intégrer dans un processus durable afin de s’adapter au temps, de muter. La démarche globale envisagée ici est participative. Participative dans le sens où elle doit est interdisciplinaire et mobiliser les acteurs locaux dans chaque étapes du processus. Le rôle de l’architecte-urbaniste sera celui de faire le lien entre ces étapes, entre ces personnes. Et pour cela il aura besoin de la marche participative. Après plusieurs mois à travailler sur le sujet, je dois avouer que les cas d’études tel que le Bazar Urbain ne sont pas très répandus. Si la démarche dite « participative » est courante, populaire, aujourd’hui, elle n’inclut pas obligatoirement des marches participatives. L’autonomie est l’un des marqueurs de la marche, donc baser une démarche de projet urbain sur la marche collective revient à rendre le projet urbain autonome. Le projet s’autonomise dès le début par la participation d’acteurs variés. Dans cette démarche, l’usager possède un rôle double ; autant participant que sujet d’étude. C’est pourquoi, penser une démarche participative de projet urbain basée sur la marche collective nous parait pertinent. Il s’agit de marches participatives, faisant intervenir divers acteurs, et donc divers regards sur la ville. Elles profitent aux étapes suivantes du projet urbain. A savoir : une étape d’observation et d’interprétations (afin de cibler les besoins et les potentiels des lieux), une étape de reproduction (faisant appel à différents support), de débat, et d’ateliers, ainsi qu’une étape de de synthèse, de projection, et de communication publique. Sans quoi, nous resterions à l’étape de découverte, d’exploration et de lecture de la ville. Seulement, le projet urbain implique une proposition de transformation de l’espace social et spatial. En conclusion à ce travail nous pouvons dire que, la marche participative rend la démarche du projet urbain plus efficace et renforce la participation. En effet, elle permet de sensibiliser les habitants, et autres acteurs, aux enjeux de leur ville, de leur territoire, et ce, par l’expérience sensible de ces derniers. Il s’agit de se servir de toutes les qualités de la marche. Elle constitue un outil de sociabilité, de dialogue, par son caractère « concret » et simple d’application. Parce que dans une démarche participative, il peut être difficile pour un non professionnel de saisir quelles informations sur soi, en tant qu’habitant, peuvent servir au projet urbain. Prendre de la distance par rapport à soi, objectiver ses usages, ou encore se sentir légitime dans le débat, peuvent se révéler complexes. Ainsi, la marche pourrait jouer un rôle majeur dans toute démarche dite « participative » de projet urbain. Ce dernier commence donc, non pas dans l’abstrait et le théorique mais par la pratique, par le corps, par l’usage. De l’expérience collective, on tire profit de son intersubjectivité. Cette dernière est représentée sous divers supports, qui servent d’éléments d’analyse, de support de débat et de réflexion pour la projection. En somme, la ville est entendue comme corps vivant, elle participe elle aussi au projet. 142


Cette posture permet de poser les conditions d’une approche durable au projet urbain. Et cela sans pour autant figer la méthode. La démarche reste ouverte et peut s’adapter en fonction des enjeux du projet. Par exemple, à la marche participative peut s’ajouter d’autres moyens de circuler. Le rôle de l’architecte est celui d’un marcheur engagé, engagé à faire du projet urbain : un activateur de vie urbaine, assez flexible et ouvert pour donner aux usagers la liberté de le réinventé. Etudiant, généralement nous sommes moins confrontés au travail en équipe qu’au travail introspectif. Et il me semble, que cette étape est cruciale pour devenir architecte. Faire l’expérience de la marche en tant qu’étudiant permet à ce dernier d’acquérir des méthodes de lecture, d’analyse et de représentation du territoire. Si l’expérimentation ne peut avoir lieu à l’école, où est-elle possible ? Une fois architecte, cet apprentissage continuera et lui permettra d’affiner sa démarche. Néanmoins, les études sont un moment clé pour définir sa posture, son rôle futur, afin d’être prêt à travailler avec et pour les autres, à savoir : rendre un projet urbain autonome. Donc, il me parait nécessaire, en tant que future architecte de pratiquer le sujet de mon étude. Et ce, surtout dans le cadre d’un tel travail, visant à prendre position sur l’architecture, et la manière de faire l’architecture. Ce travail se conclu donc sur ces deux énonciations : La marche participative au service du projet urbain. Le projet urbain au service de la marche.

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MOTS-CLES Marcher Habiter Sensible Architecture Mouvement Paysage Ville Usage Identité Intersubjectivité Représentation Projet urbain Marche participative



CORPUS DE TEXTES Fiches de lecture ONFRAY Michel La théorie du voyage: Poétique de la géographie, 2012 BAUDELAIRE Charles Les foules, Le Spleen de Paris, XII, 1869 LEBRETON David Marcher : Eloge des chemins et de la lenteur, 2012 PAQUOT Thierry L’espace public, 2009 AUGOYARD Jean-François La vue est-elle souveraine dans l’esthétique paysagère ?,1991

Retours Conférence-Colloque SOULIER Nicolas, Reconquérir les rues, conférence à l’ENSAPLV, Paris, le 07/10/2014 Cartographie sensible et projets urbains, École Nationale Supérieure d’Architecture Paris-Belleville, le 13/11/2014


Fiche de lecture

Théorie du voyage Poétique de la géographie, 2012 Michel ONFRAY Points principaux Dans cet essai, Michel ONFRAY débute en pointant la distinction faite depuis la nuit des temps entre l’homme nomade et l’homme sédentaire. Ou aussi entre le berger et le paysan. Cette fraction est considérée par différentes institutions et ce au travers de l’histoire. Il explique comment le nomade inquiète les pouvoirs, pourquoi la société oblige à la sédentarité. Dans l’Ancien Testament par exemple l’errance s’apparente déjà à une punition ; cf. la tragédie des frères Caïn et Abel. Le nomade est associé à cette punition, cette faute, cet affront à dieu, à la société. «Le voyageur déplait au Dieu des chrétiens, il indispose tout autant les princes, les rois, les gens de pouvoir désireux de réaliser la communauté dont s’échappent toujours les errants impénitents, asociaux et inaccessibles aux groupes enracinés.». L’auteur associe les aspirations du nomade à celles du voyageur ; telles que le goût pour le mouvement, le désir de mobilité, le culte de la liberté et de l’indépendance, l’opposition à la communion grégaire. Autant de qualités qui témoignent du choix d’une autonomie plutôt qu’une implication dans la vie collective. Le voyageur veut se libérer du joug du «quadrillage et chronométrage de l’existence ». Son rapport à l’espace-temps est celui qu’il décide, qu’il choisit, différent au temps social, celui qu’impose la sédentarité dont la logique serait de répondre à une demande de rentabilité et de transformer le temps en argent ; «Asocial, insociable, irrécupérable, le nomade ignore l’horloge et fonctionne au soleil et aux étoiles ». L’écrivain nous décrit le voyage comme l’occasion d’élargir ses cinq sens, contrairement au cycle journalier qui endort le corps. Pour lui, le voyage permet au corps de s’enrichir d’expériences et d’émotions, et c’est grâce à cette ouverture du corps au voyage que la mémoire se constitue ; « Le corps s’ouvre à l’expérience, il enregistre et emmagasine le diffus, le divers ». L’auteur explique que les conditions requises pour être un bon voyageur tiennent plus dans la capacité de ce dernier à « enregistrer les moindres variations », être attentif à ce qui l’entoure, que du temps passé dans un lieu. Il introduit la notion de nomade-artiste, parce qu’un bon voyageur doit avoir la qualité d’artiste, « un tempérament sismographique » pour regarder, enregistrer le monde. « Le nomade-artiste sait et voit en visionnaire, il comprend et saisit sans explications, par impulsion naturelle. » Il compare également le voyageur à un prédateur, dont la proie serait « le réel sous toutes ses formes ». Le dépassement du corps, l’exercice des sens tient une place prépondérante d’après l’auteur à la constitution d’un voyageur ; « L’élargissement du corps est nécessaire à l’exercice du voyage. ». En outre, il aborde la notion d’innocence et défend l’importance de s’en inventer une lors du voyage. « L’innocence suppose l’oubli de ce qu’on a lu, appris, entendu. » Il blâme l’étroitesse d’esprit du missionnaire, « missionnaire qui condamne » et encourage la démarche de l’ethnologue, « essayant de comprendre ». De la même façon, il souligne avec force la distinction entre le touriste et le voyageur. « Le touriste compare, le voyageur sépare. » Ici, Michel ONFRAY condamne le comportement du touriste qui se déplace avec ses préjugés, milite « de son propre enracinement », loin d’acquérir l’innocence requise au voyage. L’auteur met l’accent sur la géographie en tant que diversité, rappelle que le réel ne se réduit pas aux mégalopoles ; « Penser le monde sans les ruraux et sans les paysages, voilà visions et obsession d’urbains ». Il défend que si la globalisation mondiale a rendu nos villes « toutes semblables » elle n’a pas encore touché à la géographie. Il fait l’éloge de la nature, de ses évènements, de ses actions qui accompagnent le voyageur : l’ethnologue, le géographe, l’artiste, le philosophe, le poète. « Une poétique de la géographie génère une esthétique matérialiste et dynamique, une philosophie des forces et des flux, des formes et des mouvements. » Aussi, Michel ONFRAY se distingue des fervents de la lenteur et « des formes anciennes et dépassées du 147


voyage », il avoue aimer prendre l’avion et il voit en la modernité une chance, l’occasion de pouvoir choisir son mode de transport, son propre rapport au temps. Enfin, l’auteur défini le voyage en tant que quête de soi. Que le voyage ne serait qu’un prétexte à partir à sa propre rencontre mais que « le tour de la planète ne suffit pas toujours pour obtenir ce face-à-face ». Il pose les questions que nombreux philosophes antiques ont posés avant lui : « Que puis-je apprendre et découvrir à mon propos si je change de lieux habituels, de repères et modifie mes références ? […] Que subsiste-t-il de mon être dès soustraction des appendices grégaires ? ». L’écrivain souligne également son opposition au voyage qui prendrait la forme d’un chemin de croix, pour lui la souffrance n’est pas nécessaire à la quête de soi, bien au contraire. Michel ONFRAY distingue le vagabond du voyageur par le simple fait que contrairement au premier, le second retrouve son habitat, son foyer, sa maison. Ce retour est pour lui indispensable à l’esprit, qui dans un lieu sécurisé tel que le foyer permet au voyageur de reprendre les forces et l’énergie dépensées au cours du périple. « Ne jamais rentrer, toujours tourner, produirait une ivresse de derviche » alors que ces courses et arrêts, départs et retours créent un équilibre, un mouvement général. Habiter donne sens à voyager et vice versa. Mots-clés Nomade - errance – voyageur – espace-temps – sens – corps – expérience – modernité - ethnologue – touriste – géographie - quête – vagabond – habiter. En quoi cet ouvrage peut m’être utile ? Dans cet ouvrage, Michel Onfray donne une définition du voyageur. Il l’associe au nomade, au géographe, au philosophe, à l’artiste, au poète, mais le distingue du sédentaire, du touriste et du vagabond. Il informe sur la vison que notre société possède concernant le voyageur, comment cette pensée s’est construite au travers de l’histoire. L’auteur nous peint un portrait mélioratif du voyageur et nous explique ainsi quelles sont les qualités requises à un voyageur, nous parle du voyage telle une expérience à « élargir ses 5 sens » mais également une quête de soi. Le développement de Michel Onfray me permet d’avoir un différent point de vue concernant le sujet du marcheur et de son expérience. Car si l’auteur parle de voyageur et non de marcheur, de voyage et non de marche c’est bien du mouvement de l’individu dont il est question, et en l’opposant à ce qu’il n’est pas il met en lumière ce que le voyageur, nomade, marcheur est. Ce travail me permet donc d’aborder le marcheur et la marche sous un autre angle.

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Fiche de lecture

Les foules, Le Spleen de Paris, XII, 1869 Charles BAUDELAIRE Points principaux Ce poème est en prose, argumentatif d’un nouveau genre. Par l’utilisation de cette nouvelle forme de poésie Baudelaire fait référence à la modernité naissante qui transforme la société. Le poète fût particulièrement marqué, bouleversé mais aussi fasciné par les effets de la modernité sur la ville. On note que le rythme du poème est souple, sans rime, « pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ». Baudelaire exprime la supériorité du poète face au reste des individus, il cherche à prouver qu’il est le seul être capable de pouvoir être lui-même et autrui. Seul le poète possède ce privilège parce que « jouir de la foule » est un « art ». Le lexique du sacré et du divin est insistant et témoigne du statut sacré, proche de celui de Dieu auquel Baudelaire attribut au poète ; « incomparable privilège », « à qui une fée a insufflé dans son berceau » insistant sur le fait que ce don lui est venu à la naissance, « pour lui seul, tout est vacants » impliquant que sa volonté est absolue, il décide de tout. Le poète use également du lexique de la jouissance et de l’exagération « singulière ivresse », « jouissances fiévreuses », etc. afin d’éveiller la curiosité du lecteur et peut-être de l’inviter à devenir poète à son tour afin d’atteindre cet Idéal, et regarder ce monde en mouvement continu. Le poète juxtapose à plusieurs reprises deux termes pourtant contradictoires : solitude et multitude. Cette relation singulière qu’il instaure entre solitude et multitude s’apparente à celle faite entre le « privé » et le « public ». Baudelaire signifie que le poète tente de trouver sa place entre les deux, un jeu se fabrique entre le Moi et les autres, entre le Moi et la masse. Ainsi en cherchant l’entre-deux, Baudelaire refuse l’opposition tranchée privé/public. Il aime le mouvement de l’un à l’autre, tension indispensable. Et c’est en cet équilibre instable, cet entre-deux, « entre la vie et la mort » : « comme ces âmes errantes » qu’il trouve son Idéal. Baudelaire met en lumière le caractère théâtral de l’expérience de « jouir de la foule », par cette volonté de se déguiser « le goût du travestissement et du masque ». Dans la foule, le poète peut changer d’apparence, de masque à l’infini. Ce désir de se cacher derrière un masque sous-entend que l’espace public est incertain, le masque est un atout de protection. On observe donc le paradoxe suivant ; sortir dans la rue, se mêler à la foule, est à la fois une volonté de sortir de soi (de sa solitude) mais aussi une sorte de menace, de risque. Enfin, si Baudelaire parle de l’expérience de la foule comme l’Idéal grâce entre autre à un lexique de l’amour, du bonheur et de la jouissance, ce dernier est remis en question par le fait que lorsque le poète emprunte le masque de quelqu’un il est contraint de prendre les bons et les mauvais côtés qui se cachent derrière le personnage « toutes les joies et toutes les misères que la circonstance lui présente. ». L’Idéal a ses limites. Son Spleen, lié à l’idée d’une angoisse d’exister, nous donne à réfléchir sur la place de l’individu dans la ville ; dans ce tourbillon y trouve-t-il finalement sa place ? Mots clés : Modernité – rythme – foule – mouvement – multitude - solitude – théâtre - ville En quoi cet ouvrage m’est-il utile ? Baudelaire dresse un portrait du poète, du flâneur extrêmement positif et le place au-dessus des autres individus. Sa définition de la foule, de la rue est proche d’une mise en scène où chaque individu à un rôle 149


à jouer. Ce qui rend le flâneur différent est qu’il peut emprunter l’identité de quelqu’un d’autre, sûrement par sa capacité à observer, rêvé, son pas plus lent que les autres qui le rend plus attentif au « spectacle ». Le marcheur peut prendre le rôle de flâneur, et ce dernier est particulièrement intéressant à développer dans mon travail étant donné que le flâneur choisit de marcher, il le fait non pas par obligation mais par choix, envie. Son profil est singulier, plus sensible à son environnement, plus observateur, ses exigences sur l’espace public seront-elles aussi plus poussées qu’un piéton qui se hâte pour se rendre quelque part. Un portrait du flâneur fait par Baudelaire donne des informations sur les aspirations du flâneur à la fin du XIXème siècle. Comment ce flâneur est-il né ? Né dans la foule ? Enfant de la modernité ? Le poème de Baudelaire soulève nombreuses questions, ce flâneur baudelairien est-il le même aujourd’hui ? La foule est-elle la même ?

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Fiche de lecture

Marcher Eloge des chemins et de la lenteur, 2012 David Le Breton Points principaux Dans cet essai David Le Breton s’appuie sur des témoignages, des philosophes pour exprimer les bienfaits de la marche. Il articule son propos en abordant différents thèmes, tous tournés vers celui de la marche. Dans un premier temps, l’auteur nous décrit le statut de la marche. Aujourd’hui la marche est associée à « la liberté, santé, tranquillité, soleil, lumière », au loisir et à la disponibilité. « Aujourd’hui la marche s’impose comme une activité essentielle de retrouvailles avec le corps, avec les autres. ». Néanmoins comme le présente l’auteur, autrefois elle pouvait évoquer contraintes, pluie, douleurs, etc. Et ceci est toujours le cas actuellement pour certaines personnes, dans certains pays du monde. La marche n’est pas toujours choisie et elle est parfois synonyme de fuite et de vagabondage. Le corps est parfois le seul moyen de transport. Le statut de la marche a changé en France des années 1950 à aujourd’hui et l’auteur revient dessus. L’explosion des réseaux routiers dans les années 1950-60 en est la cause. Les voyages à pied, commun avant, se font plus rares « les itinérants sont désormais motorisés ». Cette révolution a vu disparaitre au fil des années les refuges et les hôtels destinés aux voyageurs à pieds. Dans les années 1970 à 1990 marcher impliquait au regard de la société une raison utilitaire et non par loisir. Le marcheur peut même paraitre suspect. C’est dans les années 1990 que la marche revient mais étant associé au loisir et à la disponibilité. L’essor des chemins de pèlerinage, de leur réaménagement, des initiatives à la marche par les communes (« Sentiers de la découverte ») sont témoins de la popularité de la marche aujourd’hui. A la question pourquoi marcher ? L’auteur défini la marche comme un acte « naturel et transparent », elle est une nécessité à l’homme. « Elle instaure la dimension physique de la relation au milieu environnant et rappelle l’individu au sentiment de son existence. » Marcher rend l’individu disponible aux circonstances. Marcher est une forme active de méditation. La marche « libère des contraintes d’identité » car sur la route le marcheur est un inconnu, ce qui change sa relation aux autres, il abandonne ses responsabilités envers eux. L’auteur évoque aussi l’importance de l’instant présent par la marche « marcher c’est habiter l’instant et ne pas voir le monde au-delà de l’homme qui vient ». Marcher est acte spirituel qui permet d’élaguer des pensées trop lourdes. Pour appuyer ce point il cite Montaigne « Mon esprit ne va, si les jambes ne l’agitent». Les chemins sont un des thèmes abordé par l’auteur. Ils sont la « mémoire incisée à même la terre », un lien qui uni plusieurs générations. Ils sont des indicateurs de ce qui se passe où s’est passé, une forme de « communication non seulement dans l’espace mais aussi dans le temps ». L’auteur confronte l’automobile au marcheur. Il dresse un portrait négatif de l’automobile et parle de « l’agressivité du pneu » sur le sol contrairement au marcheur dont les pas sont d’une « infini légèreté » ne causant pas de « blessure au sol ». La lenteur est indissociable à la marche. Car en marchant le temps est mobilisé et c’est un temps qui « s’étire, flâne, se détache de l’horloge ». Le marcheur étant maitre de la situation décide de son rythme, de son temps. Il peut décider de s’arrêter ou de rebrousser chemin. La lenteur d’après l’auteur est indispensable à l’observation du monde. La lenteur de la marche invite à un « retour élémentaire à la nature ». Il prône la flânerie et s’oppose ainsi à la pensée de Taylor qui clamait la « Guerre à la flânerie ». L’auteur voit la marche comme « une résistance à ces impératifs du monde contemporain qui élaguent le goût de vivre ». La sensorialité est un thème majeur de l’ouvrage, la marche étant pour l’auteur « éminemment sensible et sensuelle, elle est un dépaysement des routines sensorielles ». Une expérience des sens donc, un moyen de se laisser surprendre en permanence. L’auteur distingue la marche dans la nature de celle en ville. Il déplore le fait que dans la société actuelle, en ville, la vue est le sens le plus stimulé, les autres sont oubliés. 151


Tandis que dans la nature le regard n’est pas le seul à être touché, la marche est « une immersion parmi les nappes d’odeurs, les sons, la tactilité ». Il dresse une image de la marche urbaine comme peu attrayante car « les yeux se heurtent en permanence aux bâtiments qui coupent toute perspective » et le marcheur (devenu piéton) doit sans cesse être vigilant aux automobiles. Le paysage chez David Le Breton est une superposition de filtres sensuels. L’environnement change, le paysage se transforme en fonction des saisons, et l’auteur l’énonce ainsi « Chaque espace est en puissance de révélations multiples, c’est pourquoi aucune exploration ne l’épuise jamais ». Le paysage sollicite l’émerveillement de l’homme. Encore une fois, l’auteur dit là que la ville empêche au marcheur de prendre conscience de la banalité et de la gravité des choses parce qu’il a moins conscience de la Nature et de sa puissance. Il livre une vision négative de l’urbanisme actuel qui « draine une certaine uniformisation du monde ». Le paysage contemporain n’inspire pour lui que la mélancolie. « La ville, à l’inverse, recompose le monde sans souci du paysage pour laisser place à l’asphalte et au béton. ». Les marcheuses, sont-elles égales aux marcheurs ? L’auteur exprime clairement et avec désolation que « si les hommes parcourent sans dilemme les sentiers ou les trottoirs des villes, indifférent au jour ou à la nuit, sauf sans doute dans certains quartiers le soir, il n’en va pas de même pour les femmes (…) » et il s’appuie sur les propos de Rebecca Solnit dénonçant « cette limitation de leur liberté de mouvement ». Le succès des pèlerinages au près des femmes s’explique en partie par le fait qu’elles se sentent entourées et peuvent marcher sans crainte. Marcher en ville est d’après l’auteur une confrontation à l’anonymat, à la foule. Il dénonce l’aspect ultra commercial de la rue piétonne et cite Sansot « la foule y piétine plus qu’elle n’y flâne. Dans une vacuité proche de l’ennui (…). Comment a-t-on pu rapprocher la flânerie du shopping ? » Une ville où l’on se sent bien est une ville où l’on peut flâner. L’auteur distingue le piéton du flâneur ; « Le marcheur urbain se mue en flâneur même s’il est souvent transformé en piéton. ». Le piéton a un déplacement fonctionnel et son regard est rivé sur le sol. Tandis que le flâneur lui déconstruit ce principe de fonctionnalité, il lève les yeux sur les façades, « il fait des rues un espace de déambulation voué au plaisir et à la découverte ». Autre point que l’auteur relève concernant la ville et ses espaces de déambulation (qu’il qualifie « d’espace minimal ») : l’inattendu. Il cite Kracauer « La valeur des villes se mesure au nombre de lieux qu’elles réservent à l’improvisation. ». En effet l’auteur soutien que marcher en ville offre la possibilité de faire des rencontres inattendues. Le lexique du passé et du regret dans l’ouvrage témoigne d’un rejet de la ville contemporaine et une critique de l’urbanisation actuelle par l’auteur. Urbanisation « qui ne cesse de s’étendre et de saturer les alentours des villes et de la campagne environnante ». L’auteur a peur de la ville écrasante, celle qui fait de l’ombre à la campagne, au paysage. Il conclura son chapitre sur la marche urbaine en énonçant que la ville était faite de bonnes et mauvaises sensations ; « La marche urbaine ne se réduit pas à des impressions purement esthétiques, elle condense toute l’ambivalence du monde et appelle parfois ce mélange de grâce et dégoût car de toute façon elle participe de la qualité d’un monde qui ne se vaut que par ses contradictions. ». Mots-clés Loisir – disponibilité – corps – vagabondage – pèlerinage – chemins – lenteur – marcheuse –sens – improvisation – urbanisation – piéton – flâneur – paysage – rue – ville – marcheur urbain En quoi cet ouvrage peut m’être utile ? Dans cet ouvrage, l’auteur aborde le thème de la marche et témoigne de ses propres expériences. Il ex152


-plique comment le statut de la marche a changé ces dernières années, critique la ville contemporaine et décrit les bienfaits de la marche et son rapport étroit au corps, à la nature, au monde. Son point de vue sur la ville actuelle est intéressant à entendre compte tenu de mon sujet. Et l’accent qu’il porte à la relation homme-nature est également un thème à exploiter dans la première partie de mon mémoire ; l’aspect inhérent à l’homme, la nécessité de marcher.

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Fiche de lecture

L’espace public, 2009 Thierry PAQUOT Points principaux L’auteur défini et distingue dans un premier temps « l’espace public » et « les espaces publics ». L’espace public n’est pas physique, géographique, il désigne « le lieu du débat politique, de la confrontation des opinions privées […], une pratique démocratique ». Tandis que les espaces publics sont des lieux accessibles et gratuits au public ; « ce sont des rues et des places, des parvis et des boulevards, des jardins et des parcs, des plages et des sentiers […], le réseau viaire et ses à-côtés qui permettent le libre mouvement de chacun ». Thierry Paquot confronte et réuni ces deux termes tout au long de l’ouvrage en soulignant qu’ils traitent tous deux de la communication. « Ils ont en commun l’idée du partage, de la liaison, de la relation, de l’échange, de la circulation ». Tous deux possèdent des « voies de communication ». Thierry Paquot défend l’importance des espaces publics pour la société, la vie collective, l’individu « Ils facilitent l’urbanité élémentaire […] c’est dans les espaces publics que le soi éprouve l’autre […] chacun perçoit dans l’étrangeté de l’autre la garantie de sa propre différence. ». Ces deux termes subissent des modifications tant de forme que de contenu du fait des bouleversements subis depuis un demi-siècle par la ville moderne, les nouvelles technologies de communication, qui tendent à « nier l’espace en accroissant sans cesse la vitesse ». Il expose l’espace public comme la fabrique des opinions et cite les travaux de Jürgen HABERMAS, qui serait le premier à avoir utilisé le terme « d’espace public ». Ce dernier défend que l’espace public serait « la sphère intermédiaire entre la vie privée de chacun et l’Etat monarchique qui affectionne le secret, l’arbitraire et la délation, qui se constitue en Angleterre et en France de la fin du XVIIIème siècle au début du XIXème siècle. »(Habermas). Habermas informe sur le danger d’une publicité politique soutenu par l’Etat manipule plus qu’elle n’informe et qui vise à « dépolitiser le citoyen réduit au rôle de consommateur de presse, sans conscience critique, sans désir de jugement, sans volonté de débattre ». Selon Habermas l’espace public peut s’identifier sous trois formes différentes ; les journaux, les salons et les cafés. L’auteur précise que l’Art de la conversation, née au siècle des Lumières et pratiqué dans les salons, a « contribué à l’éclosion de l’espace public et à son entretien ». Il soutient que « les salons favorisent l’expression de points de vue contradictoires et délimitent finalement un espace démocratique ». De même, pour le café qu’il définit tel « un prolongement de l’habitation, un entre-deux, à la frontière entre la sphère publique et la sphère privée. » L’auteur insiste sur les mots « privé » et « public », et explique que leur définition change en fonction de l’époque, du lieu, de la culture, du sexe, etc. Alors qu’au Moyen Age les sphères publiques et privées s’interpénètrent, la modernité, elle (de 1850 à nos jours) encourage la vie privée et va brouiller le couple privé/ public. Le manque de promiscuité, l’isolement de l’individu restreint la porosité entre le privé et le public. L’auteur condamne ce phénomène qui s’oppose au bonheur de l’individu, et s’appuie sur Georg Simmel qui soutient que l’individu est un « être relationnel » et que « la société n’existe qu’avec les relations que les individus ne cessent de lier et de délier […] dynamique existentielle indispensable à l’affirmation de soi ». Enfin, pour saisir toute la portée de ces termes, leur complexité et leur dépendance à une culture propre, l’écrivain nous décrit comment est perçu le couple privé/public dans le monde arabe et au Japon. Dans le monde arabe, on constate qu’en fonction de son sexe on ne profite pas de la même façon du privé et du public ; les femmes par exemple « sont privées du privé (leur intimité propre) comme du public ». Concernant le Japon, Thierry Paquot citera à plusieurs reprises Jean Bel qui nous informe sur la vision japonaise du couple privé/public ; « la distinction entre la vie privée et la vie publique soit relativement faible » De plus 154


Jean Bel constate que l’espace gratuit n’existe pas, les rues sont considérées comme des « artères pour la circulation, ainsi il en conclura un point essentiel : « La pratique de l’espace urbain ignore la flânerie et la promenade ». Enfin, Thierry Paquot remarque que « plus l’individualité d’un sujet s’affirme, plus la distinction entre « privé » et « public » lui parait essentielle » et que c’est donc à lui de trouver la frontière entre les deux, tout en acceptant le passage de l’un à l’autre. Thierry Paquot tente de décrire la mutation de la voirie aux espaces publics au cours des siècles. Il annonce qu’une ville « est avant tout un ensemble organisé de voies », « Chacun d’entre nous en a fait l’expérience, une ville c’est d’abord ses rues. » Il distingue les Grecs des Romains, ces derniers explique-t-il, étaient les « bâtisseurs d’un véritable empire au réseau routier incroyablement maillé ». A l’opposé, les grecs favorisent l’ilot, qui déterminera les rues. Le principe de composition urbaine, de perspective fait place à la Renaissance. Et sous Louis XIV la voirie n’est plus simple lieu de circulation, mais devient aussi le théâtre de la ville, elle doit être belle, praticable et facile d’accès. A cette époque, de nombreuses règlementations naissent visant à une bonne circulation et à la salubrité de la ville. Il décrit les changements qu’on opérés sur la ville et la société l’application de l’hausmannisme. L’auteur met l’accent sur le trottoir, l’espace de circulation destiné aux piétions, dont l’état fait foi de celui de la ville ; « la propreté du trottoir et son animation expriment la « bonne santé » de la ville et de sa population ». De plus, il souligne que les poètes, artistes et photographes magnifient dès le début du XXème siècle la rue « la rue acquiert une dimension esthétique », ils sont fascinés par ce caractère propre de la ville moderne « le mouvement ». Ce dernier « ininterrompu utilise la rue comme courroie de transmission et comme lieu de manifestations ». Cette représentation esthétique de la rue nourrie ainsi l’imaginaire des architectes et urbanistes, ces derniers doivent prendre compte du « rythme » qu’impose le « mouvement ». L’expression espaces publics, nous explique l’auteur, est synonyme voirie à partir des années 1980. Thierry Paquot souligne le fait que nombreux d’auteurs à cet époque définissent le terme espaces publics par leur caractère purement juridique et omettent usages et pratiques sociales qui s’y rattachent ; « La rue de l’enclave résidentielle, le mail du centre commerciale, l’autoroute urbaine ont des allures d’ « espaces publics », mais n’en sont pas. […]ce n’est pas le seul régime juridique de la propriété du sol qui décide de la destination d’un terrain, mais les pratiques, usages et représentations qu’il assure. » Thierry Paquot défini les usages et pratiques actuels des espaces publics. Il regrette le manque de communication et blâme la privatisation de rues et places et le contrôle de l’information. Il se désole devant « l’urbain diffus et éparpillé » qui fait concurrence à la ville « là où se déroule encore cette incroyable alchimie de rencontres et d’évitements » qui se transforme en « lieux urbains à consommer ». L’auteur met l’accent sur l’importance non pas d’aménager les lieux urbains, mais de les « ménager », ce qui induit « en prendre soin ».D’où l’importance lors du traitement d’un lieu urbain d’une concertation avec les habitants, d’une coopération des agents municipaux, du soutien de l’Etat, sans oublier la liaison de ces lieux au reste de l’agglomération. L’auteur conclut en questionnant sur la fin de l’espace public ; « Si celui-ci est entendu comme une opposition physique et géographique entre le « privé » et le « public » la réponse est « oui »». Il affirme que la révolution des nouvelles technologies de l’information et de la communication, la montée en puissance des réseaux sociaux transforment notre cadre de vie, de pensée et ainsi notre ville ; « le spectacle de la rue s’efface de plus en plus ». Puis il constate que le citadin se voit dans une position figé de simple spectateur ; « devenus « public », les citadins se cantonnent bien souvent au simple rôle qu’on leur attribue, celui du spectateur. » mais espère que cet état n’est point définitif. Mots clés Espace public – espaces publics – communication - physique – débat – accessible – gratuit – publicité – flâ155


nerie – ville – modernité - promenade –expérience – rue – voirie - trottoir – mouvement – rythme – agglomération – ménager – spectateur En quoi cet ouvrage peut m’être utile ? Cet ouvrage tente de définir l’espace public d’aujourd’hui, en se heurtant à ses complexités, par de nombreuses recherches sur son histoire, ses origines diverses, ses portées différentes d’une culture à une autre. Et de cette manière l’auteur dresse un tableau de l’évolution de la société, le la ville et de l’individu au cours des siècles. Lorsqu’il relève le fait que « les espaces publics (privés ou non juridiquement parlant) préfigurent les modifications de la vie urbaine, les observer revient à établir le sismographe des pics et des pauses des activités individuelles ou collectives en ville et à en mesurer l’intensité » il marque la relation entre la présence d’espaces public et celle de l’activité urbaine. En soit, le travail de Thierry Paquot traite des thèmes tels que l’espace public, les espaces publics principalement, qui se rapportent à celui de la rue et de son activité (voie de communication), donc à celui du piéton, des piétons, du rapport de ce dernier au couple privé/public, et pose la question de l’expérience urbaine aujourd’hui ; des thèmes qui se rapportent directement à ma problématique. Le point fort est qu’ici, l’auteur offre un développement des thèmes riches de sources diverses et d’informations historiques, étymologiques, géographiques, (etc.) ce qui me donne une vision et appréhension plus large et fournie du sujet et une mise en relation entre les différents thèmes claire et indispensable.

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Fiche de lecture

Article, La vue est-elle souveraine dans l’esthétique paysagère ?, Publié dans le Débat, mai-aout 1991, 9p. Jean-François AUGOYARD Points Principaux L’article de Jean-François AUGOYARD est organisé en différents paragraphes, chacun porte les noms ci-dessous. Nous en retiendrons les notions fondamentales qu’ils expriment. - A voir...ou à entendre? – L’auteur dénonce l’association exclusive du paysage à la vue dans notre culture : « la souveraineté du voir dans la perception du paysage est tellement claire qu’elle va de soi, tellement habituelle qu’on tient pour évident que la logique du paysage visible - de sa topique devrait-on plutôt dire -, est aussi celle des autres sens. » Il souligne que cette survalorisation du voir est spécifique à la perception du paysage moderne. Les caractères de ce dernier sont pour lui les suivants : « distanciation, représentation spatialisante, artéfaction. » L’auteur constate que dans ces conditions l’individu devient spectateur de la ville : « Le regardeur dont l’œil est régi par une esthétique de la contemplation devient, au sens étymologique, spectateur. La notion de paysage occidental et moderne parait donc entièrement construite à partir d’une expérience du regard. » En posant la question des autres sens, son intérêt se porte sur le paysage sonore apparu dans les années 1970 lié à « l’idée qu’un paysage pourrait être de l’audible. » Il interroge la relation du paysage sonore au paysage visuel tel que : « Le paysage sonore répète-t-il simplement le paysage visuel ou indique-t-il des éléments, des dimensions oubliées ou mésestimées dans le paysage moderne tel que vu? » - Soundscape – Jean-François AUGOYARD cite le travail de Robert Murray-Schafer « l’inventeur du significatif néologisme : Soundscape. » - Du temps qualifié – L’expérience sensible tient une place importante dans la réflexion de l’auteur : « Quels sont les caractères remarquables du paysage sonore? La réponse à cette question commence nécessairement par l’expérience sensible. » Il dégage une information importante, la relation du paysage sonore au temps. En effet « le son est du temps qualifié. Pour toute écoute élémentaire et a fortiori pour un ensemble complexe, c’est la rétroaction qui vient petit à petit construire le sens de ma perception. » et « Ce que j’entends du paysage ne serait donc pas fondamentalement une organisation spatiale mais une organisation temporelle. Il faut alors s’interroger sur la nature de l’espace sonore. » - Discrétisation – Il explique que « La carte sonore d’une ville telle que se la représente un habitant urbain » se dessinerait sans relation spatiale. Alors « On regroupe et on rapproche ainsi des lieux au titre de leur qualité sonore : aire des lieux bruyants, aire des lieux tranquilles. » Il évoque l’existence de parcours sonores : « pour les marcheurs urbains, un réseau d’itinéraires sonores : chemin des oiseaux, chemins des métiers, chemins de l’eau. A être seulement entendu, le paysage perd donc les caractères intrinsèques de la spatialité newtonienne : continuité, homogénéité, isotropie. » - L’art du paysage sonore – L’auteur répond à la question de la représentation paysage sonore par « toute métaphore graphique d’un phénomène sonore reste contingente et réductrice. » « Murray-Schafer propose en effet de classer, dans l’ordre de l’excellence, d’une part les paysages sonores hi-fi, d’autre part, les paysages sonores low-fi, bruyants ou embrumés, si caractéristiques des villes. Ce tri reprend les critères cartésiens de la bonne représentation : clarté et distinction. C’est la chasse aux para157


sites, aux brouillages du signal et du sens. Qu’arrive-t-il quand la composition sonore est représentée par les catégories de l’intuitus? L’essence même du phénomène sonore est-elle encore rendue? » Il exprime la complexité qu’il y a à traduire une expérience sensible. - MétabolesEn soulevant la question « l’espace sonore ne serait-il pas un espace métabolique? », l’auteur révèle le caractère vivant de l’espace sonore. - La prégnance du sonor – Dans ce chapitre, l’auteur mets l’accent sur la relation au sujet dans l’espace sonore : « Nous savons d’expérience combien la musique mais aussi un paysage sonore in situ peuvent nous transporter. Etre absorbé, exorbité par le bruit de la mer, de l’orage, d’une foule en délire. Etre possédé par le timbre d’une voix ou son seul souvenir. Comment un son peut-il être objectivé? » « Comme le montre l’analyse de l’expérience enfantine de l’écho, l’»intervalle sonore du soi» (Lecourt, 1986) est en effet constitué à partir d’une série de distinctions audibles qui opposent de manière dynamique l’intérieur à l’extérieur, le subjectif à l’objectif, le proche au lointain, chacun des termes ayant d’autant plus besoin de l’autre pour définir sa propre existence qu’il est incarné dans une matière sonore variable et changeante par nature. » - L’écoute immanente – Le paysage sonore ne peut être étudié, appréhender sans le sujet, étant donné qu’il y contribue : « Si le monde et l’autre peuvent facilement pénétrer phoniquement dans ma privauté, voire dans mon corps propre - et les voix de la paranoïa étudiées en psychopathologie disent cette vulnérabilité de l’écoute -, en contrepartie je suis doué d’un pouvoir sonore potentiellement équivalent. » Ainsi, plus que la vue, l’ouïe opère une relation constante avec son environnement « même en dormant ». - Vers un rééquilibrage des sens? – Il prône un rééquilibrage des sens, déjà encouragée par l’intérêt commun : « Il existe d’autres signes indiquant la possibilité d’un rééquilibrage culturel des sens. C’est d’abord l’actuel regain d’intérêt scientifique pour la fonction cognitive des sens et pour la question des corrélations sensorielles. » - Un paysage à revoir – « Vision paysagère et audition paysagère entreront sinon en correspondance, du moins en équivalence fonctionnelle à partir du moment où seront réhabilités les critères de relation avec l’environnement sensible que la conception moderne du paysage masquait. »En conclusion, l’auteur rappelle que le paysage moderne, qui exulte le paysage visuel au détriment des autres paysages sensoriels cause la contemplation du paysage aux dépends de l’action du sujet dans sa ville, son paysage urbain : « L’esthétique de la contemplation et du jugement de goût nous avait fait oublier à quel prix on s’absente du paysage. » C’est pourquoi il incite à « Redécouvrir la pluralité des sens, rentré dans le décor, réinventer le trop connu, voilà trois opérations indispensables pour réussir à revoir le paysage. » Mots clés Sens – contemplation – paysage visuel – paysage moderne – paysage sonore – voir – soundscape - marcheurs urbains – espace – temps – quotidien – métaphore graphique En quoi cet article peut se lier à mon sujet de mémoire ? Jean-François AUGOYARD est un chercheur, ce qui est déjà un aspect intéressant en soi. Il place le sujet de l’espace sensorielle dans un cadre scientifique. Il dénonce une contemplation du paysage au détriment de son vécu. Je vois en cela une relation directe à mon sujet : la marche, par sa nature même d’action, par l’in158


sertion du sujet au sein du paysage, évoque un paysage DES sens. L’auteur expose l’importance de l’espace sonore dans la vie du sujet, dans sa relation à la ville au quotidien. Il attribue à la ville moderne le caractère de paysage exclusivement visuel, il en fait donc la critique, et insiste sur la nécessité de « redécouvrir la pluralité des sens, rentré dans le décor, réinventer le trop connu ». Un parallèle peut être fait avec le propos de Hannah Arendt, qui critiquait aussi d’une certaine manière la contemplation au détriment de l’action chère à la Vita Activa.

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Retour de conférence

Reconquérir les rues, conférence à l’ENSAPLV, Paris, le 7 octobre 2014 SOULIER Nicolas Résumé de conférence « Reconquérir les rues » est le titre du livre de Nicolas Soulier. La conférence présentait donc le contenu de l’ouvrage, et visait à exposer les travaux de l’architecte qu’il a mené durant plusieurs années sur la rue et son usage. Il insiste sur le fait que la rue est un sujet important de l’architecture, mais pourtant peu considérée par les architectes dans l’élaboration du projet. D’où son intérêt à en parler à des étudiants en architecture. Son livre regroupe un catalogue important de photos de rues françaises et étrangères qu’il met en relation, questionne sur leur fonctionnement. Les premières photos projetées montrent des rues françaises ; « désertes et tristes ». L’auteur montre du doigt la fin de la vie urbaine, la population ne vit pas dans la rue. Ou disons plutôt « ne vit plus dans la rue », parce qu’en effet, c’est un phénomène assez récent. Le riverain disparait et il appelle ce phénomène qui frappe nos rues le « processus de stérilisation ». Et on observe également une homogénéité de la rue. La rue accueille principalement les voitures en stationnement et les poubelles. Son intention est de trouver des solutions pour reconquérir la rue, passer de la voie circulée à la rue habitée. Nicolas Soulier soulève un problème caractéristique à la France (en comparaison à l’Allemagne, Les Pays Bas, etc.) ; les mesures pour empêcher « l’indésirable » (accidents, salubrité, squattage, etc) font que « le désirable » n’est plus n’ont plus possible, la vie urbaine n’existe plus. L’auteur mets l’accent sur la relation du bâti à l’extérieur, à la rue et déplore que les immeubles ne donnent plus sur la rue, la relation visuelle n’existe pas. Pour reconquérir les rues, l’auteur nous explique que le bâtiment doit dialoguer avec elle, des espaces intermédiaires le permettent. Ils cataloguent les exemples variés d’interventions spatiales créatrices de vie urbaine : L’exemple du « stoep » aux Pays Bas ; sorte de tablette qui sépare autant qu’elle lie deux espaces. Le « stoop » très rependu en Louisiane représente les quelques marches qui précèdent la porte d’entrée. Le « porche » (en anglais) est espace intermédiaire entre l’entrée de bâtiment et la rue, comprenant régulièrement des marches et un espace ouvert mais protégé liant la rue au bâtiment. La « cour avant » caractéristique des maisons anglaises en fait partie également. … Le frontage est le nouveau terme utilisé pour parler des espaces entre la rue et la propriété privée ; ces espaces peuvent être plutôt privé ou plutôt public, tout dépend de l’appropriation que les usagers en font. La rue peut accueillir des propriétés privées tant qu’elles restent visibles. Le frontage permet de donné part aux riverains dans la vie de la rue, il ne désigne en rien la chaussée, ni le trottoir, ni le stationnement. Il prend en exemple Nantes qui possède une richesse de frontage importante. Nicolas Soulier distingue dans le projet urbain ou architectural deux chantiers : le premier qui applique un tracé de base et le second qui se construit par les habitants avec le temps. Ce processus n’a pas été pensé dans les grands ensembles par exemple, force est de constaté que l’image du projet est la même qu’il y a 50 ans, rien a changé parce qu’on ne donne pas aux habitants cet accès au « second chantier ». « Il faut qu’on aide les gens à faire » explique Nicolas Soulier en s’adressant aux architectes. L’architecte pose la question du partage de la rue. Il explique que la distinction des modes de circulation va à l’encontre de cette idée de partage, la solution n’est pas non plus de rendre piétonne la rue : « il n’y a rien de plus ennuyeux qu’une rue piétonne » mais plutôt d’accepter cette diversité, de tolérer le passage des voitures (vitesse douce). Il parle d’ «une voierie pour tous ». Il donne des exemples de comment le trottoir peut être approprié, peut devenir autre chose que l’espace 160


réservé aux piéton (parce que qui dit trottoir implique « séparation » et non « partage »). Questions/ Réponses : . Comment gérer la question du stationnement si on supprime les places de stationnement dans la rue ? L’architecte répond qu’il est nécessaire de proposer des alternatives non contraignantes à l’usager, avec la possibilité de stationner pour un temps court (décharger les courses, etc.) et de prévoir des trajets maison-parking courts et agréables. Il donne l’exemple de l’Allemagne qui propose des « garages collectifs », en soit des bâtiments réservés aux voitures. . Les rues nivelées ? Nicolas Soulier explique que niveler les rues revient à permettre une mixité de circulation. En quoi cette conférence peut se lier à mon sujet de mémoire ? La situation de nos rues, la condition de la vie urbaine sont je pense étroitement liées à mon sujet de mémoire. Parce que finalement l’envie de marcher dépend de comment sont les rues, comment on les perçoit et comment est-ce qu’on les utilise. Actuellement, et dans nombreuses rues françaises la rue est un lieu de circulation mais plus celui d’un lieu de vie, et cela fait écho à marcher par nécessité sans l’idée de marcher par plaisir ; flâner, déambuler, observer, participer à la vie urbaine ! Ce qui appelle à définir ce qu’est la vie urbaine ; sorte d’appropriation de chacun de la rue dans la conscience de l’autre, acceptation des différents modes de transport sans hiérarchisation, signalisation permise par un respect mutuel … En effet, la société actuelle vise à ré inciter la population à marcher, mais cela doit passer par une transformation de nos rues, une « reconquête », et pour ce faire des modifications/interventions spatiales, architecturales des rues « mortes » sont nécessaires.

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Retour de colloque

Cartographie sensible et projets urbains, partenariat avec le Labex CAP, le CSTB, l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Belleville et La fin des cartes ?, à École Nationale Supérieure d’Architecture Paris-Belleville, le 13 novembre 2014

Intervenants : Journée dirigée par Emeline BAILLY (Urbaniste - Chercheur), Aline CAILLET (Maitre de conférences en philosophie) et Sophie FETRO (Maitre de conférences en design). Invités : Pascal FERREN (Chargé de projets, pOlau-pôle des arts urbains), Margaux VIGNE (Paysagiste - Chercheur), Alain RENK (Architecte urbaniste et programmiste), Dominique CUNIN (Enseignant – Chercheur), Thierry PAYET (Artiste plasticien), Hervé DURET (géographe), Olivier TOURNAIRE (Géomaticien), Théa MANOLA (Architecte urbaniste chercheur) Résumé Première Partie : Expériences urbaines géo localisées / Cartographies subjectives, navigations numériques et déambulations urbaines Quelles approches sensibles des villes et de l’espace public sous le prisme notamment des interfaces numériques ? Sophie FETRO introduit la conférence en explicitant la relation entre la cartographie et le design. Etymologiquement le mot design signifierait le fait de tracer à l’aide d’une charrue le dessin de la ville. Le design est lié à la représentation tant qu’à un concept. La carte étant elle aussi une représentation dans son rapport au dessin n’est pas seulement un objet rationnel gouvernée par des codes et des normes elle est aussi un matériau mis en forme selon des caractéristiques plus subjectives, inattendues, informelles et personnelles. La carte est donc double de par sa fonction et sa dimension sensible. C’est de cette ambivalence que cette journée d’étude tentait de traiter. La carte numérique et la géolocalisation sont récents mais pourtant fortement intégrées, présentes et utilisées dans notre société. De cette nouvelle technologie le flâneur contemporain pourrait être défini tel un corps appareillé. Ce qui, interroge sur l’expérience sensible de l’expérience publique. A-t-on par le biais de ces nouveaux outils numérique un autre rapport à la ville ? La carte peut aussi être vue comme un objet social, une pratique collective de la ville. A quelles fins voulons nous que les cartes soient employées ? Ses supports se diversifient avec le monde virtuel. Comment vivre dans ce monde sans se sentir traqué ? Ceci pose la question de l’intimité, la vie privée. Quelle est la responsabilité du designer dans cela ? Cette journée est l’occasion de faire le tour des différentes formes que les cartes peuvent prendre en fonction de l’intention de leur créateur. Pascal FERREN explique qu’à son arrivé en agence, la question essentielle qu’il devait abordée fut : comment approcher la ville de manière sensible ? Le sujet était au cœur des préoccupations de l’agence qui souhaitait « faire autrement ». Mais quelle méthode utilisée ? Comment transformer la flânerie en projet urbain ? Comment traiter les données d’une approche subjective ? Il annonce qu’un des moyens est de créer de l’intersubjectivité et ce sont des artistes qui leur ont ouverts les portes. La carte sensible est l’outil qui laisse trace d’une subjectivité et de la partager. L’intérêt est de réussir à saisir le ressenti premier du territoire. Son objectif est de laisser vivre, raisonner la connaissance sensible. Qu’est-ce qu’une carte sensible ? Il a tenté de distingué des « types » de carte sensible, estimant que « les cartes sensibles sont mal rangées ». Son regard est celui d’un urbaniste. La carte géographique est « une représentation graphique conventionnelle sur un support de carton, de toile, etc. de données concrètes ou abstraites localisées sur le globe terrestre. » La carte est avant tout un support et a pour qualité de compresser des données. Or comme l’avance Paul FERREN, si l’on considère que les données d’un territoire sont infinies cartographier revient à faire rentrer de l’infini dans du fini. Une carte sensible est-elle plus qu’une représentation de données sensibles ? 162


Les cartes sensibles, dépendent-elles d’un autre système de conventions ? D’après Pascal FERREN une carte sensible représente forcément le territoire, avec parfois un objectif palliatif ou dont la volonté est d’accentuer une des normes. Certaines prennent ainsi un caractère politique de par le message qu’elle traduise (ex. de l’inversion du Nord et du Sud), qu’il nomme « carte subversive ». Autre carte qui joue avec les conventions : La carte de Paris de Marc Andrew Weber est classée dans le type de carte sensible « carte typographique ». Et enfin il y a la carte sensible qui dérive de la représentation graphique conventionnelle en assumant une représentation subjective. Elle renverse l’objectif universel de la carte pour présenter une vision particulière du monde. C’est en cela qu’elle devient un média artistique et possibilité de transmission d’expérience subjective du monde. Contrairement aux autres cartes –toutes subjectives finalement- est que celles-ci assument et revendiquent cette particularité. Ces dernières sont souvent particulières par leur mode de fabrication ; issues d’expérience vécue du territoire telles que des marches, visites, repérages, etc. Elles intensifient, déforment… La carte de Christian NOLD en fait partie ; carte d’émotions faite à plusieurs. Elle traduit des intensités cardiaques, avec les mots des participants expliquant ce qui leur est arrivé au cours de la marche. Il y a aussi les cartes participatives de Catherine JOURDAN. Celles aussi de Julien RODRIGUEZ (collectif Folie Kilomètre) ; ils nomment leur cartes « cartes dramaturgiques qu’ils considèrent comme un support de mode d’emploi de la visite et aussi une trace de ce qu’ils ont fait. Elles sont faites dans le but de se perdre un peu. Et pour finir il y a les « cartes d’imaginaires » qui représente l’imaginaire collectif du territoire, à distinguer des cartes de territoire imaginaire. Elles assument la vision subjective du territoire. Elles vont chercher des visions symboliques du territoire et se reposent sur des récits, etc. http://polau.org/pacs/ est une plateforme de cartes sensibles. « La catégorisation est loin d’être définitive ». Paul FERREN appuie le rôle fondamental dans notre façon d’habiter et dans la manière dont les urbanistes aménagent le territoire. La cartographie sensible n’est pas un outil neutre. « Plus qu’un passage de l’objectif au subjectif on change d’objectif ». Les plans de villes, les google maps ont pour but de représenter les lieux par rapports aux autres pour permettre de se diriger, les plu, les plans d’urbanisme veulent permettre de zoner l’espace pour aménager. Autrement, les cartes sensibles cherchent à rendre esthétiquement l’expérience d’un territoire pour conserver l’essence d’une connaissance sensible du territoire. La méthode pour approcher le territoire sensible nous l’avons « il suffit de s’y promener », mais Pascal FERREN déplore la documentation de ces expériences. C’est pourquoi l’art a tout à fait sa place ici, il permet d’inventer des utopies pas seulement comme distraction mais comme aussi pour donner de la manière et des moyens à l’évolution professionnelle. L’intervenant distingue les cartes géographiques interactives où il y a un fond de carte avec des strates de données des cartes avec une volonté de dire quelque chose. . Remarques et questions du public : Les Cartes sont peut-être plus « alternatives » plutôt que sensibles car elles sont toutes différentes l’une de l’autres. Et par rapport à la pratique ; la carte est un résultat, où est la place au processus ? La plateforme ne témoigne pas de cela. La carte dans bon nombre de cas est simplement une étape dans le processus artistique. Les supports numériques pourraient-ils peut être retranscrire ce processus ? Le sujet de la présentation de Margaux VIGNE fut les cartes participatives, cartes habitantes, cartes collaboratives entre subjectivités individuelles et négociation collective. Dans un premier temps elle a introduit le site « strabic.fr », une revue numérique hybride. Cette dernière traite du design, de l’architecture et de la représentation spatiale. C’est un réseau ouvert, le fonctionnement est spécifique ; système de saisons, de brèves, de dossiers thématiques, etc. Une saison en 2012 parlait de la subjectivité cartographiée sous plusieurs angles (19 articles). En exemple : Cartes de Florent CHAVOUET, d’Ingrid SAUMUR qui pose la question de ce qu’on montre du paysage, de Juliette BACHON qui expose une nouvelle géographie du monde en prenant comme données les lieux existants sur google street view, etc. Dans un deuxième temps ; son travail, les cartes participatives. L’angle qui l’intéresse est celui de la ville, moins l’aspect esthétique. Elle s’intéresse aux cartes habitantes ou sensibles dans le sens où elles cherchent à collecter les sensibilités des habitants en les liant à la représentation du territoire politique, du projet 163


urbain. Ses projets ne relèvent pas du numérique. Dispositif de concertation mais un exemple un réseau social participatif « cartisite ».ce type de projet l’interroge de par l’enregistrement des contributions individuelles des gens (physique ou volontaire) comment elle change le rapport à la carte ? Et quel est leur rôle dans le processus de la fabrication de la carte ? Elle a mis en lumière deux projets avec qui elle a eu des contacts qu’elle aborda sous trois angles : (tous deux sont des processus collectifs) 1/ Les méthodes collectives de la fabrication de la carte 2/ Le rapport entre individu et représentation collective 3/ L’usage de ses cartes et leur rôle dans le projet urbain « Géographie subjective » est un projet de Catherine JOURDAN. Elle définit une carte subjective réalisée par un habitant ou un groupe d’habitants avec l’aide d’une équipe de géographe du dimanche ou d’autres artistes. Elle est ensuite imprimée et rendu public dans la ville. Si au début elle le faisait de sa propre initiative, aujourd’hui ses cartes sont des demandes publiques. Son travail est basé sur la parole des habitants. La carte subjective de Catherine JOURDAN joue avec les codes des cartes IGN (pliage, couverture, achat en ligne, etc.), en ai une parodie en quelque sorte. C’est objet très fini. Sur le système de fabrication de la carte il n’y a pas de fond plan, le travail graphique très important et très marqué. Sur la question du rapport de l’individu et du collectif c’est une méthode collaborative, avec des groupes très précis (déjà constitué préalablement ; classe, etc.). Elle joue avec la diversité des points de vue. Même si on peut souligner et encourager la volonté politique de la mairie qui passe la commande, on connait mal l’usage de l’objet par les professionnels et par les habitants. Et le rôle dans le projet urbain ? Madame JOURDAN se revendique cartographe public de la subjectivité collective. Elle n’est pas forcément dans la contestation du pouvoir mais souhaite se réapproprier un espace d’expression qui jusqu’à maintenant était réservé, faire faire des cartes par ceux qui n’est font pas et rendre le travail public. On peut supposer que ces cartes changent un peu le regard sur la ville des décideurs et des habitants sur la ville. Cela permet de mieux connaitre l’espace urbain… pour mieux le transformer ? Mais finalement elles restent en quelque sorte des cartes de définition de territoire (plus que de projet urbain). « Cartes habitantes » est la deuxième méthode présentée par Margaux VIGNE, créée et pratiquée par le laboratoire de recherche LAA depuis 2005 (anthropologie et architecture, ENSAPLV). Elles ont une allure « plus classique » et proposent une territorialisation d’adjectifs sensibles qui qualifient la ville. Le LAA a mené une étude à Bordeaux, en Italie, auquel Margaux VIGNE a participée. La première démarche de la méthode est faite d’enquêtes, de relevés, d’arpentages, d’entretiens, etc. La thématique pour la ville en Italie fut les rythmes, l’enquête était très liée à la temporalité. Et à partir de cela ils ont défini des catégories (lié à la question du temps) : « silencieux », « en attente », « en pause », etc. issues des premiers entretiens avec les habitants. A Bordeaux, un petit livret a été édité pour expliquer le choix de ses adjectifs sensibles, montre la genèse des catégories, comment les mots sont employés par les habitants. Une fois que ses catégories sont définies, ils demandent au gens de cartographier grâce à un fond de plan ces adjectifs sur la carte. Puis, il s’agit d’opérer un travail de traduction graphique, de traduire les données enregistrées par les habitants. On voit sur la carte projetée des couleurs correspondant à une catégorie, et des intensités plus ou moins fortes de la couleur. Ceci s’explique parce que chaque habitant représente « une couche », donc la carte finale est l’accumulation de toutes ses couches. Et chaque habitant cartographie chaque catégorie. C’est par un jeu de transparence que les choses se territorialisent. Le rendu est public –place publique- comme chez Catherine JOURDAN c’est aussi une étape de travail. Même si ici le document n’est pas un objet en soi, il a plus pour objectif d’être saisi par les politiques, habitants, chercheurs, etc. L’importance dans ce travail est aussi celui du chercheur qui fait lui-même la carte. Sur le rapport entre individu et collectif, c’est un travail d’entretien individuel et le chercheur lui fait la synthèse. C’est un travail fait à partir d’un panel, ce qui le rapproche un peu des sciences sociales parce qu’il cherche à être représentatif de la population. Le chercheur ici, juxtapose les points de vues, afin de voir là où ça se recoupe et là où ça se différencie, etc. Le rôle dans le projet urbain ? L’objectif est de rendre les données subjectives et sensibles possibles à intégrer et à comparer aux données quantitatives. Leur but est de se lier aux cartes opérationnelles, dans une 164


phase de participation. Remarques et questions du public : Question d’une jeune urbaniste et géographe : Réception par les professionnels de ce type de méthodologie, car souvent ce travail est utilisé comme des gadgets ? Concernant le travail de Catherine JOURDAN, Margaux VIGNE explique qu’elle pense qu’il est peut utiliser pour les projets de la ville. Concernant le travail du LAA, il est mieux reçu, demandé par les opérateurs ; l’enjeu est de pouvoir dialoguer avec les acteurs du territoire. Remarque de Michel Marcus qui anime un forum sur la sécurité urbaine : Cartographie actuelle à bout de course, carte sensible imposent des concepts transversaux. L’urbaniste doit sortir du champ de l’urbanisme, de même pour les autres techniciens, afin qu’il y ait des croisements. La carte sensible est un instrument de transversalité. Le nom de la présentation d’Alain RENK est « 7 milliards d’urbanistes, Vraiment ? ». Il est cofondateur de plusieurs structures et collectifs liés au devenir des villes. L’agence R+P développe des projets opérationnels (laboratoires pour Orange, orientations urbaines du quartier d’affaire de la Défense), le collectif host élabore des visions prospectives (Grand Paris Fractal, Construire la ville complexe). Avec ses associés, ils ont créés Une start-up technologique dont le but est d’expérimenter des outils d’intelligence collective dédiés à l’urbanisme. Ils sont accessibles aux habitants et produisent des données scientifiques exploitables par les acteurs des villes concernées. Son collectif effectue des entretiens dans la rue avec les passants sur le futur de leur ville. La capacité de poser des actions sur une carte et de façon temporelle est intéressante et permet d’aller vers une intelligence collective à grande échelle. L’intérêt est d’avoir cette capacité à créer des cartes en temps réel. Il témoigne d’une volonté de faire de l’urbanisme collaboratif, d’obtenir de nouveaux éclairages par les habitants et inversement. Pour lui, il est très réducteur de dire que les habitants sont des experts des usages, ils sont acteurs. Il met en lumière le futur de la ville, le fait qu’aujourd’hui il y a 1 milliards de personnes dans les bidonvilles et que dans 10 ans il y en aura 2 milliards. Ce futur est problématique et l’urbanisme a un rôle à jouer. D’après Alain RENK il y a un danger d’invisibilité des systèmes techniques qui vont mettre à disposition la possibilité de lire la ville. Qui gère ses outils numériques, éléments avec lesquels on va construire notre ville en plus des éléments physiques, ses interfaces sensibles qui vont former notre quotidien et notre imaginaire ? Qui gère ça ? Il est important que cette sensibilité numérique ne soit pas cachée, qu’on puisse intervenir, produire, que les artistes aient leur place. L’intervenant souligne le fait que les outils qu’on a dans nos poches soient dévolu à du commerciale, et pourtant payé par le l’argent public. On pourrait utiliser 30 % de la capacité de ces outils pour un service culturel. De plus il affirme que la position de l’architecte en tant qu’expert n’est plus valide il est plus intéressant qu’il soit dans une position de chercheur. L’architecte a besoin de la société civile pour construire ses réflexions. Comment ils s’organisent pour agir ? Ils ont créé l’association « 7milliards d’urbanistes » qui véhicule l’idée que chaque habitant à quelque chose à dire, mais le projet n’est jamais sorti même si la conviction de mettre la société civile en tant qu’acteur demeure. Alain RENK et ses associés posent la question du sensible dans la ville numérique et ses enjeux. Remarques et questions du public : Comment traduire ces expériences ? La charte ne dépasse pas 7 points et s’inspire des Fablab, prototype saisissable. Pour développer de la puissance et de l’intelligence collective pense que le numérique est indispensable. Si le Fablab n’était pas connecté il n’aurait pas cette force. Les architectures mentales qu’ils produisent sont importantes Le Fablab est plus qu’un modèle il est partenaire. Combien de personnes ? Sur un projet à Evreux : plusieurs milliers de personnes ont participé, et une quinzaine d’associés. S’en est suivie la présentation de Dominique CUNIN « Création artistique et représentation cartographique : cas d’études sur les écrans mobiles ». Il a explicité son propos en prenant l’exemple de son projet réalisé 165


au centre culturel de l’Abbaye Saint-Riquier (en collaboration avec l’artiste Mayumi OKURA). Ils ont conçus une œuvre interactive et numérique qui par un système de géolocalisation donne à découvrir le lieu autrement. Le fond de carte est un ancien plan historique, dessiné. La question qui s’est posé fut la question de la représentation de sa propre personne dans l’espace. Les artistes ont choisi d’utiliser une reproduction du dessin du vitrail (de l’Abbaye) afin d’offrir un regard différent de l’objet qui se recompose au fil de la promenade. Ils ont dû installer le réseau Wifi au sein du parc. Le souhait initial du centre culturel était cette idée de parcours, et cette œuvre devient une sorte de levier pour un « super audio-guide ». Deuxième Partie : Territoires et projets urbains / Enjeux de la représentation de la ville sensible Thierry PAYET divise sa présentation en deux parties « cartographie sensible » et « actions urbaines ». Par la cartographie sensible il cherche à donner des pistes urbaines. (Exemple de lieux étudiés : Paris, Ankara, zones rurales, etc.). Pour ce faire, il identifie des personnages locaux, souvent sur conseils des structures locales. Il va à leur rencontre et leur demande quels lieux dans le quartier comptent pour eux, pourquoi. De ces enregistrements il crée ensuite la carte afin de spatialiser les histoires racontées, les lieux, les données. Et par le biais d’actions il s’attache à comment intervenir directement dans la ville. Il souhaite développer une autre approche que l’infrastructure, il est plutôt dans l’idée de microprojets qui interagissent avec un contexte locale dans lequel ils s’insèrent. Le premier est celui d’un mobilier urbain commandé par la mairie de Paris à La Défense; Une structure faite de boites aux lettres au format divers dans lequel on peut livrer des légumes. Cette proposition de l’artiste vient du fait qu’il est impossible de vendre des légumes –un étale de manière générale, pour des raisons VIGIPIRATE –dans le quartier de La Défense. Or, l’artiste constate qu’à seulement 4km du quartier il y a des maraichers ! Ces derniers et les locaux se retrouvent autour de ces boites aux lettres ; ces trois lieux permettent au quartier d’affaire de bénéficier d’un marché. De plus, je constate que sur la photo projetée, l’installation des boites aux lettres étaient placée sous un petit pont, ce qui permet à ce type d’endroit souvent sombre et inutilisé d’e retrouver un usage, un sens, de l’attractivité. Dans la présentation d’Hervé DURET, la question suivante fut posée ; Paysage perçu, vécu, imaginé : quelles représentations cartographiques ? En terme de cartographie, la plupart des cartes ont des thématiques scientifiques, leur but étant d’analyser le territoire, d’aider à la décision. Elles permettent de traduire spatialement un ou plusieurs phénomènes, un ou plusieurs thèmes (démographie, etc.) La carte thématique permet de décrire l’espace, de transmettre une information et pour cela elle utilise un langage cartographique classique et codifiée et qui lui sert de référence. Ce type de carte est présenté dans le projet urbain, elle sert à illustrer des caractéristiques spécifiques du projet. Quel est ce langage cartographie utilisé ? C’est un langage qui permet de réduire le réel, il indexe certains éléments sélectionnés, c’est un système développé par Jacques BERTAIN, considéré comme le père de la sémiologie graphique. Son système est basé sur des signes, des structures visuelles. Ce langage est devenu la référence de toute représentation scientifique et permet de produire une grande variété de représentation graphique. Néanmoins, les représentations spatiales évoluent sans cesse ; la plupart des représentations 2d utilisent un fond de carte basé sur la géo localisation (représentation géographique du territoire). Mais d’autres cartes s’affranchissent de cela, de la réalité géographique, pour mettre en exergue un phénomène ; exemple des cartes isochrones ou le territoire est déformé en fonction de la variable temporelle, des chorèmes qui visent à représenter des dynamiques spatiales (fréquemment utilisé en géopolitique). La numérisation des données et l’informatisation des carte est une révolution, ont étendu la capacité des cartes. Elles ont permis une meilleure qualité graphique, de gagner du temps, la possibilité à tous de réaliser une carte, et sa diffusion au plus grand nombre. Elles ont aussi permis le développement de la représentation en 3d basé sur les mêmes règles sémantiques (aide à la décision du projet urbain). Elles permettent de plus, grâce à la réalité augmentée d’introduire des éléments virtuels à un environnement réel, ou de faire évoluer des utilisateurs dans un monde virtuel – réalité virtuelle -. 166


La mise à disposition des données publiques -open data- ou le développement du crowdsourcing (production démocratisée des sources d’information) on constate une explosion des modes de représentation. Le risque est un manque de lisibilité. Mais c’est aussi l’opportunité de développer d’autres champs de représentation, d’autres langages sémantiques… C’est ainsi que ce développe une représentation du rapport émotionnel au lieu, avec les habitants, des usagers, etc. La dimension sensible dans les cartes n’est pas nouvelle. On peut se demander si ces cartes sensibles ne pourraient pas être le support d’une représentation plus qualitative et plus riche au service du projet urbain grâce aux nouvelles technologies. Mais est-ce qu’on peut arriver à avoir une représentation sensible scientifique du territoire ? A la fois sensible, et scientifique (basée sur l’analyse), et opérante pour les acteurs du projet urbain ? Quelles données sensibles prendre en compte ? Quels critères de représentation ? Hervé DURET et son équipe se sont basé sur une recherche dans le cadre du « Paysage et Développement durable » qui fut le support de leur questionnement. Ils ont interrogé les concepts de paysage du point de vue des habitants et des politiques publiques à travers des projets urbains. Cette recherche a eu lieu dans des banlieues considérées comme ordinaire, avec un paysage pauvre ; L’Ile Saint Denis en Seine Saint Denis à Paris, dans le Bronx à New York. Il s’agissait de savoir ce qu’il faisait paysage pour les habitants et usagers et quel était leur rapport sensible et émotionnel au lieu. Le protocole fut le suivant ; récolte de données in situ, observation pluridisciplinaire du paysage qui a permis l’élaboration de carte sensible d’observation du paysage. De cela ils ont pu extraire des paysages dynamiques, et par une étape de captation de ces derniers en mouvement sur une journée (time laps) ont a pu lire l’importance du flux urbain dans l’espace public (mouvement des transports, des usages, des individus, des mouvements naturels, etc.). Ce travail a été complété par des captations sonores faisant foi de l’ambiance sonore des lieux. Ensuite, des entretiens promenades ont été faits. Ces derniers ont été réalisés sur un temps long (2-5 h) individuels, avec les habitants. Ce qui a permis de récolter un nombre important de données qualitatives et sensibles (perception, description, émotions des lieux par les habitants). Ces promenades ont fourni des photographie qui ont mis en lumière l’importance du mixte nature/urbain dans le paysage, des lieux aussi d’imperfection (lieux en marge), et des lieux de contemplation. Des cartes mentales ont aussi été produites par les habitants, qui font émerger la perception des paysages. Et c’est le regroupement de toutes ces expériences, données qui a fait naitre des recoupements sur des lieux qui comptent dans le paysage urbain pour les habitants. Cette recherche a fait émerger des informations utiles à l’appréciation du paysage urbain. Certains éléments n’ont pas la même signification pour tous (bruit d’un avion par exemple). En conclusion ; tant l’évolution de représentation cartographique que la recherche paysage montre la richesse de la production de connaissance acquise auprès des habitants et des usagers. De plus ces données peuvent être utilisées pour le projet urbain. Cependant la question reste entière sur le choix de la représentation et sur l’interprétation qui en découle. N’est-il pas illusoire de vouloir figer un rapport émotionnel dans un lieu ? N’y a-t-il pas un risque comme dans toute représentation une réduction du réel ? . Remarques et questions du public : Doit-on avoir un langage universel ou plutôt creuser sur les représentations situationnelles ? Les deux derniers intervenants aboutissent à quelque chose de collectif. Question du récit, quel est le statut de la parole de l’habitant ? Notre rapport à la ville est un rapport au récit, nous vivons la ville dans la narration. Les lieux sont racontés. L’artiste répond en disant que ce qui lie sont travail à celui du géographe est que tout deux partent de l’individu et non pas d’un questionnaire établi. Il affirme qu’il y a cette question du recoupement très importante. Le géographe ajoute qu’il n’est pas seulement question du langage, mais aussi la corporalité le mouvement de ses habitants, eux même dans un rapport à la ville, à sa représentation (photographies). Concernant l’usage de la photographie comment arrivez-vous à objectiver ces prises visuelles pour en sortir ces éléments pouvant être recoupés ? Hervé DURET répond que ce qui lui semble important est de garder la richesse de toutes ces interprétations. Sophie FETRO souligne le fait que dès qu’on parle de carte sensible, on parle de l’individu, il est au centre. 167


Dans ces deux interventions la question est celle de l’intersubjectivité. La cartographie étant une réduction du réel et de l’interprétation, il y a quelque chose à inventer. Dans le projet urbain, la participation a aussi tendance à chercher les points de compromis. Alors que dans la cartographie sensible il y a l’idée de conserver cette diversité, d’établir de l’intersubjectivité. Les méthodes expérimentés sont nombreuses comme les précédentes présentations l’on montrées ; collaboration, participation, etc. Questions d’Alain RENK au géographe : Faites-vous un traitement des données ? Si oui, à qui s’adresse la représentation ? Et mettez-vous en accès libre ces données ? Réponse d’Hervé DURET : Oui il y a un traitement des données. Cette interprétation était faite dans le but de questionner le projet urbain dans les lieux étudiés. Jens DENISSEN, co-fondateur du laboratoire Le voyage Métropolitain, intéressé par le GR 2013 pose les questions suivantes : Quel territoire possède un récit ? A partir de quel moment l’expérience sensible fait déjà projet ? Faut-il représenter les lieux ? A partir de quand il y a récit ? Points forts retenus : Cette journée était animée par des acteurs issus de formation et de profession diverses et variées, abordant et définissant la cartographie sensible différemment. On peut dans un premier temps mettre en lumière la difficulté à définir la carte sensible, différente de la carte symbolique, de la carte alternative, etc. Mais un point essentiel à mettre en avant est la difficulté à déterminer comment représenter une expérience sensible. Et de surcroit, si la démarche scientifique est en mesure de le faire. Un autre point fort était de constater que la carte sensible est un objet, un résultat, mais qu’elle ne rend pas compte du processus. La carte n’est qu’une étape dans le processus artistique ou de recherche. Et en tant qu’objet de représentation, comme le tableau dans l’art, le risque est une réduction du réel, un appauvrissement de l’expérience faite. Cette position peut être légitime en art, mais dans un processus scientifique de recherche, dans une volonté de traduire une expérience, la question se pose. Pour un chercheur, le problème majeur est de rendre scientifique une représentation sensible du territoire. Quelles données prendre en compte ? Comment rendre cette représentation sensible scientifique opérante pour les acteurs du territoire ? Le paysage étant en mouvement permanant, n’est-il pas illusoire de vouloir figer un rapport émotionnel dans un lieu ? En quoi ce colloque peut se lier à mon sujet de mémoire ? Ce colloque pose la question des modes de représentation de l’expérience sensible. Cette dernière est la définition par extension de mon sujet de mémoire : la marche urbaine. Ce colloque a peut-être même précisée ou nuancée mon sujet, ou immanquablement éveillé l’envie de m’intéresser plus particulièrement à la marche péri-urbaine. D’entrée, la marche péri-urbaine appelle à une mise en tension de deux notions antinomiques, à un acte qui s’oppose aux habitudes du plus grand nombre. Ainsi par son originalité, son rapport « à la société organisée » la marche péri-urbaine, si revendiquée comme un acte protestataire, peut être qualifiée d’acte politique. Ayant moi-même fait des expériences sensibles du territoire et des représentations de celles-ci de diverses manières (photographies, dessins, schémas, cartographie sonore, cartographie des matériaux, récits, etc.) la question de la représentation sensible est capitale. Ceci me permet de questionner mes propres pratiques. Dans quel domaine je m’inscris par mes représentations ? Celui de l’art, de l’architecture, des sciences, du paysage … ? Peut-être plusieurs à la fois ? A partir du moment où je les effectue dans le but d’essayer de mieux comprendre un territoire, je m’inscris dans un travail d’analyse. L’analyse sensible n’a-t-elle pas besoin de plusieurs domaines d’approches pour être la plus riche en termes de production de données, de connaissance sensible ? Finalement, pourquoi représenter ces expériences ? Pour laisser une trace, une empreinte ? Mes expériences des lieux arpentés et leur traduction visuelles ne peuvent faire foi de référence par le fait même qu’elles soient individuelles et subjectives et donc non représentatives de l’imaginaire collectif du territoire. Comment analyser une expérience sensible du territoire afin de comprendre autrement ce der168


nier, en se basant exclusivement sur un seul sujet ? Finalement, je me pose la question suivante ; à qui je m’adresse ? Evidemment, l’expérience sensible strictement individuelle ne peut être référence unique pour produire du projet urbain. Et comment l’expérience sensible collective peut-elle le faire ? C’est à cette question que ce colloque a tenté de répondre, en donnant la parole à des acteurs qui de diverses manières -par divers supports, différentes méthodes- s’efforcent de représenter (ou présenter) la ville sensible.

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BIBLIOGRAPHIE


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. SOULIER Nicolas, Reconquérir les rues, conférence à l’ENSAPLV, Paris, le 07/10/2014 . Cartographie sensible et projets urbains, colloque organisé en partenariat avec le Labex CAP, le CSTB, l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Belleville et La fin des cartes ?, École Nationale Supérieure d’Architecture Paris-Belleville, le 13/11/2014

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REMERCIEMENTS Remerciements spécifiques à : André Fontes, Catherine Zaharia, Rosa De Marco, Clémence et Marine Chastan (Seety), Jacques Clayssen et Patrick Laforet (DéMarches), Julien Domingue (Bellastock), ma famille, mes amis...et plus particulièrement Christelle Davrieux. Pour leur soutien, leur aide, et leurs conseils



Expliciter le rapport inhérent de l’architecture à la marche ; c’est la motivation première de ce travail. Pour cela, la marche est ici traitée tant comme méthode que sujet d’étude. L’expérience est au cœur de ce mémoire. Des expériences de marche soit personnelles, en partenariat, ou celles d’autrui, ont alimentés la réflexion. A la suite de différentes étapes, nous tentons de comprendre comment la marche en tant que pratique peut contribuer à l’élaboration du projet urbain, et ce, dans l’ensemble de son processus. La marche est plus qu’un simple moyen de circulation, derrière cette pratique se cache l’expérience d’être au monde et celle de l’habiter. Elle se caractérise par l’interaction entre le corps et l’espace, entre l’individu et son territoire, qu’elle opère. Véritable outil de perception, la marche renseigne sur l’identité de la ville. La question du projet urbain étant posée, la ville fait l’objet d’un intérêt particulier dans ce mémoire. On l’a définie tel un corps vivant, en perpétuel évolution, mutation. Différentes démarches visent à explorer, saisir, lire, ce corps collectif par la marche. Elles constituent un large éventail, en appartenant à des domaines divers tel que l’art, la sociologie, l’urbanisme, la géographie, etc. Et de cette lecture, quelles informations pouvons-nous en retirer ? Comment communiquer ces informations subjectives, sensibles ? Le passage de la représentation mentale d’une ville issue de la marche à une représentation physique interroge la pertinence des choix de supports de représentation. En outre, lire et dire la ville sont généralement deux étapes dépendantes l’une de l’autre. La méthode appliquée peut apparaitre dans le choix du support, dans l’objet final, parce qu’il communique, partage un message, un fragment de la ville pratiquée et perçue. Mais après, comment sortir du constat, analyse d’expériences sensibles pour rentrer dans une phase d’élaboration du projet urbain ? Après avoir et lu et dit la ville par la marche, comment la projeter ? Le projet urbain doit être pensé tel un processus ouvert, sujet à mutation et donc doit tenir compte d’une réversibilité. La marche peut aider le projet urbain à s’inscrire dans une démarche durable et participative. En effet, une démarche basée sur la marche participative, expression de l’intersubjectivité, peut répondre aux enjeux. Comme première étape du processus urbain mais aussi conséquence des étapes qui suivent, la marche s’inscrit dans une démarche urbanistique de manière conséquente, en étant le ferment de celle-ci. L’usager est tant participant que sujet d’étude. La marche est, elle tant un outil à la projection spatiale et sociale (créateur de proposition), qu’un objectif à atteindre, un enjeu urbain. Le rôle de l’architecte-urbaniste tient en sa capacité à : faire l’intermédiaire entre ces différents regards sur la ville, cibler les besoins et les potentiels, rendre un projet autonome. Sa démarche vise alors, à rendre un projet urbain assez flexible et ouvert pour donner aux usagers la liberté de le réinventer.


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