jean-claude seguin
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culture hispanique
imรกgenes
Collection Imágenes Dirigée par Nancy Berthier « Imágenes », collection de référence sur l’image dans le monde hispanique (cinéma, photographie, télévision, arts, BD, etc.), propose des ouvrages signés par des chercheurs de renom, spécialistes de ces questions. La collection est dirigée par Nancy Berthier, Professeur des Universités (Paris-Est, LISAA EA 4120).
Dans la même collection : La télévision espagnole : un contre-modèle ?, Jean-Stéphane Duran Froix (2009)
Conception graphique originale : Isabelle Glomaud Réalisation : Compo 2000 Couverture : Conception et réalisation : Frédéric Schaffar Image de couverture : Autoportrait, © Pedro Almodóvar
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays. Toute représentation, reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. Par ailleurs, la loi du 11 mars 1957 interdit formellement les copies ou les reproductions destinées à une utilisation collective.
ISBN 978-2-7080-1232-5 © Editions Ophrys, 2009. Imprimé en France Editions Ophrys, 25 rue Ginoux, 75015 Paris, www.ophrys.fr
L’ auteur tient à remercier Pedro Almodóvar, Agustín Almodóvar et El Deseo S.A. qui ont donné leur autorisation pour la reproduction des photos. Il adresse également ses plus vifs remerciements à Fran Zurián qui a eu l’ amabilité de rentrer en contact avec Diego Pajuelo Almodóvar, lequel a fait preuve d’une disponibilité et d’une gentillesse particulières lors de l’édition de cet ouvrage.
Pedro Almodóvar, Congrès Almodóvar, Cuenca, 2003 © Jean-Claude Seguin
Avant-propos P
edro Almodóvar reste un cinéaste polémique, et malgré son assagissement, il provoque toujours d’intenses débats, tout particulièrement en Espagne, où il ne parvient pas à obtenir l’adhésion d’une critique toujours intraitable avec les metteurs en scène trop reconnus hors des frontières (Buñuel, Saura, etc.), à l’exception sans doute de Víctor Erice. Entre le provocateur de Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier [Pepi, Luci, Bom y otras chicas del montón] et le cinéaste de Volver dans la plénitude de sa création, s’il y a eu une indéniable évolution, Pedro Almodóvar est resté ce qu’il a toujours voulu être, « un auteur ». Surgie au sein de la mouvance underground du Madrid de la Movida1 et de la Transition, sa première trilogie, scandaleuse pour certains, annonciatrice pour d’autres d’un futur grand cinéaste, rompait les habitudes, dérangeait les cinéphiles. Ses provocations contrôlées et le personnage public qu’il allait devenir au cours des années 80 accompagnaient une production plus sage sans doute et certainement plus profonde que ses audaces. Le cinéaste va se débarrasser peu à peu de ce qui avait fait sa réputation, pour laisser place à des œuvres plus sereines, traversées, comme chez tout grand créateur, de questions sans réponses, de doutes. Il y a des sourires souvent, mais il y aussi des larmes, car son cinéma est parsemé de morts, de douleurs. Le gender et les genres cinématographiques filent de film en film un canevas où le cinéaste ne cesse de nous surprendre, tout en revenant inéluctablement à son univers parfois tragique. Mais la frivolité – tout aussi dramatique –, l’extravagance et les rires viennent alors se poser sur les récits comme un baume apaisant. L’œuvre de Pedro Almodóvar n’en finira jamais de dire la fiction pour supporter l’existence. Dans cet ouvrage, nous avons souhaité rendre accessible l’œuvre d’un cinéaste dont on peut dire que de façon contradictoire le succès public et les polémiques qui ont entouré la sortie de ses films, en Espagne tout particulièrement, n’ont pas toujours contribué à faire comprendre un univers finalement plus complexe qu’on ne pourrait le penser. Car si Pedro Almodóvar est un auteur, il est aussi un cinéaste, le cinéaste qui a permis de pousser le cinéma espagnol hors de ses frontières. 1|Movida : mouvement culturel qui surgit à la fin du franquisme et s’achève vers 1986. On désigne par « el rrollo » les premières années de la Movida (1973-1980) qui sont marquées par une effervescence alternative et contreculturelle. Elle s’oppose à la Movida proprement dite (1981-1986), qui voit le mouvement s’institutionnaliser grâce au soutien actif de la municipalité socialiste de Madrid et de son maire Enrique Tierno Galván.
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Je veux ressembler à Pedro Almodóvar et je crois que je finirai par ressembler à Pedro Almodóvar. Pedro A LMODÓVAR , La Edad de oro, 26 juillet 1983
Enfance et adolescence (1951-1967) La vie et l’œuvre de Pedro Almodóvar sont intimement liées, et l’une éclaire souvent l’autre. Parcourir sa biographie, c’est aussi mieux comprendre certains aspects de sa création cinématographique. L’Espagne de la fin des années 40 est encore un pays qui vit dans l’autarcie née de la guerre civile et où les conditions d’existence sont, pour l’essentiel de la population, particulièrement précaires. Ce n’est qu’avec les années 50 que la dictature va sortir progressivement de son isolement pour adopter à la fin de la décennie, sous l’impulsion de l’Opus Dei, une politique très libérale. C’est dans le contexte d’une dictature féroce que le cinéaste n’abordera qu’en de rares occasions – En chair et en os [Carne trémula] et La Mauvaise Éducation [La Mala Educación] – que naît Pedro Almodóvar, le 24 septembre 1951, à Calzada de Calatrava, dans la province de Ciudad Real, en pleine Castille. « Mon enfance n’a pas été triste, mais elle n’a pas été joyeuse non plus2 », dit-il, mais ses origines rurales et le retour mythique à la terre natale ont fini par constituer un leitmotiv d’une part importante de sa production que ce soit dans La Fleur de mon secret [La Flor de mi secreto] et le voyage au village ou, de façon plus récente, dans Volver, un hymne à la ruralité et un hommage discret à la grande figure littéraire de Don Quichotte.
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Troisième enfant d’un père muletier et d’une mère femme de ménage, Pedro Almodóvar, peu après la naissance d’Agustín – qui deviendra le producteur attitré des films de son frère –, quitte avec sa famille la Manche pour s’installer en Estrémadure (Cáceres), en 1957, autre région déshéritée d’Espagne. Afin que le jeune Pedro poursuive ses études, ses parents l’inscrivent chez les Salésiens et les Franciscains, ce qui ne constitue pas, à proprement parler, une exception dans un pays où l’essentiel de l’enseignement secondaire est entre les mains de l’Église, situation renforcée par le Concordat de 1953. L’éducation religieuse – il fut également choriste – est évoquée dans une séquence de 2|STRAUSs Frédéric, Pedro Almodóvar, Paris, Cahiers du cinéma, 2000, p. 18.
La Loi du désir [La Ley del deseo] et d’autre part comme élément structurant de La Mauvaise Éducation. Si le regard que porte le cinéaste est globalement négatif, Pedro Almodóvar échappe à tout manichéisme lorsqu’il aborde ces sujets délicats. Cette intimité entre la vie et l’œuvre trouve dans la figure de la mère son exemple le plus parfait ; il fera de Francisca Caballero, sa propre mère, l’actrice occasionnelle de nombreux films (Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? [¿Qué he hecho yo para merecer esto?], La Fleur de mon secret [La Flor de mi secreto], etc.) et de Chus Lampreave, la mère par substitution, la mascotte d’une part importante de sa production (Femmes au bord de la crise de nerfs [Mujeres al borde de un ataque de nervios],Volver, etc.). Il serait abusif de considérer ses films comme des autobiographies, voire des autofictions, mais on ne peut ignorer ce substrat biographique dans la plupart de ses œuvres. L’adolescence de Pedro Almodóvar est aussi peuplée des nombreuses productions cinématographiques qu’il découvre dans la provinciale Cáceres, où se trouvent pêle-mêle les comédies américaines (Billy Wilder, Frank Tashlin, Blake Edwards, etc.), les œuvres d’art et d’essai (la nouvelle vague française, les films d’Antonioni, le cinéma d’Ingmar Bergman, etc.) et le tout-venant de la production espagnole (les musicales3 en particulier avec les folklóricas du moment comme Lola Flores).
Les années d’apprentissage (1968-1973) L’enfance, l’adolescence, le village, La Mancha décrivent ainsi une géographie du passé et du retour qui informe la création almodovarienne. C’est la partie la plus sensible, la plus humaine qui sans cesse refera surface. Cependant, la formation intellectuelle du jeune Pedro Almodóvar se déroule davantage au cours des années qui suivent alors qu’il a terminé ses études secondaires et qu’il se décide à quitter la province espagnole pour la capitale. Le cinéaste n’a que dix-sept ans en 1968, une année qui, même en Espagne, aura une influence incontestable sur la jeunesse encore opprimée par le franquisme. Avant qu’il ne soit question de Movida, le pays a commencé à connaître une évolution, sans doute limitée, mais bien réelle, à partir du milieu des années 60. Sous la poussée d’un tourisme qui, tout en apportant des devises à l’économie du pays, fait évoluer les mœurs et d’une classe politique et 3|Les musicales sont les comédies musicales dont les Espagnols, sous le franquisme, étaient particulièrement friands. Les vedettes étaient appelées folklóricas.
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intellectuelle de plus en plus en désaccord avec les choix de la dictature, une nouvelle culture protestataire surgit tant dans la presse (Cuadernos para el diálogo) que dans la chanson (los cantautores4) et le cinéma (Víctor Erice, Carlos Saura). Ces années sont celles de la formation intellectuelle de Pedro Almodóvar qui s’imbibera de ces courants contestataires renforcés par un séjour bref de cinq mois qui le conduit à Londres, en 1971, traversée par les nouvelles cultures dont les différentes « pop », pop music, pop art et underground et d’autres voyages à Paris et à Ibiza où l’on respirait déjà des airs de liberté. Il participera des dernières années de la modernité avant de devenir l’un des acteurs essentiels de la postmodernité espagnole. Après avoir exercé différents métiers, le jeune provincial finit par obtenir un emploi plus stable à la Telefónica – la société nationale de téléphone – où il restera pendant une douzaine d’années, ce qui lui permet de découvrir toute une société variée de la classe moyenne madrilène dont il peuplera par la suite ses œuvres. La souplesse des horaires de travail lui offre la possibilité de consacrer ses après-midi et ses soirées à se cultiver, à voir des films et à prendre contact avec des figures en vue de la culture espagnole. La rencontre avec la troupe d’avant-garde Los Goliardos (1964-1974), qui, en 1973, se reforme à peine, sera décisive. Son créateur, Ángel Fabio, soulignera l’évolution du groupe théâtral indépendant, en ironisant : « Nous sommes passés du marxisme-léninisme à la socio-déconnante. C’est-à-dire du matérialisme historique à l’hystérie matérialiste. » Tel est le creuset immédiat où le cinéaste va faire des rencontres aussi déterminantes que celle de Carmen Maura (1945) qui deviendra pour un temps son actrice fétiche ou Félix Rotaeta (1942-1995) qui produira son premier long métrage, Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier. Alors que Los Goliardos se dissout définitivement, l’Espagne vit ses derniers mois de dictature. Madrid est traversé d’une fébrilité nouvelle tout particulièrement dans des quartiers comme le Rastro5 – auquel Pedro Almodóvar rendra hommage dans Le Labyrinthe des passions [Laberinto de pasiones] – et se constituera en décor presque exclusif de ses films.
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Les créations alternatives (1974-1980) S’il est vrai que Pedro Almodóvar devient en quelques années l’une des figures essentielles des cultures alternatives madrilènes, le rrollo et 4|Les cantautores, auteurs-compositeurs-interprètes, ont marqué l’Espagne de la fin du franquisme. Ils ont chanté souvent des chansons engagées (protesta). 5|Célèbre marché aux puces madrilène, le Rastro est devenu l’un des hauts lieux de la contreculture à la toute fin du franquisme.
les Movidas, il le doit avant tout à ses premiers pas comme créateur. Un créateur polymorphe, un touche-à-tout qui puise dans l’irrespect underground – dont il produira une version amusée et hispanique – la provocation qui le caractérise à ses débuts. Tout en restant employé à la Telefónica, Pedro Almodóvar va se consacrer à sa vocation première et armé d’une caméra super-8, il va réaliser ses premiers courts métrages. Ces tournages sont révélateurs d’une approche nouvelle et insouciante d’un créateur en herbe. Pendant près de cinq ans, Pedro Almodóvar va réaliser une quinzaine de courts métrages, en super-8, qui participent d’une contreculture qui était en train de naître et dont la revue Star (1974-1980) de Barcelone, à laquelle a collaboré le cinéaste, fut l’indéniable fer de lance dont on a dit parfois qu’elle était à l’origine de la Movida. Dans ses cinquante-sept numéros, on trouve les photographies d’Ouka Lele, García-Alix…, les dessins de Ceesepe – qui réalisera les affiches de Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier et de La Loi du désir –, Nazario…, mais également des signatures comme celle de la future cinéaste Isabel Coixet. Dans ses colonnes, on y défendait également le punk-rock des Ramones et les courants alternatifs de la culture des années 70. C’est ce contexte qui préside à la réalisation de films comme Dos Putas, o historia de amor que termina en boda (1974) –, La Caída de Sodoma (1975), Trailer de ¿Who’s afraid of Virginia Woolf? (1976) ou Las Tres Ventajas de Ponte (1977) dont l’idée sera reprise dans Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier. S’il réalise ses films en format amateur, Pedro Almodóvar n’en a pas moins le désir de montrer ses œuvres et pour ce faire, il organise des projections, où il présente ses films en les doublant lui-même pendant les présentations, comme il l’avait fait, en novembre 1976, lors de la 2e Semaine nationale du film super-8 de Barcelone. J’ai commencé, explique-t-il, à avoir beaucoup de succès comme ‘superhuitard’, mais, en même temps, les vraiment modernes ont commencé à me rejeter.
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Il était assez naturel qu’après ces multiples expériences réussies le cinéaste souhaitât tourner son premier long métrage… toujours en super-8, ce qui était un véritable tour de force compte tenu des limites
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Découpage d’une séquence représentative Ce découpage prend comme point de départ le scénario, publié en espagnol, Pedro Almodóvar, Volver, guión, Madrid : Ocho y Medio/El Deseo, 2006, p. 146-154. Le découpage original après montage que nous présentons ici offre quelques altérations par rapport au découpage avant montage publié en Espagne. Cela explique notamment la numération discontinue des plans qui ont conservé ici leur numéro initial.
1 0 9 . M a i s o n S o l e . C h a m b r e G rand- Mèr e. I nt . J our.
01. Plan rapproché de Paula qui referme la porte derrière elle. PAU L A : ¡Abuela! [Grand-Mère !] 02. Gros plan de la Grand-Mère qui surgit sur un côté, sous le lit. A B U E L A [GRAND-MÈRE] : ¡Estoy aquí! [Je suis là !] PAU L A : ¡No te muevas, ni me hables, que está mi madre! [Ne bouge pas, ne me parle pas, ma mère est là !] 03. Suite plan 01. A B U E L A : ¡Ya la he oído! [Je l’ai entendue !] 04. Suite plan 02. La Grand-Mère disparaît à nouveau sous le lit. 05. Suite plan 03. La caméra suit Paula qui s’assoit sur le lit et prend la télécommande pour allumer le téléviseur. 1 1 0 . M a i s o n S o l e . S a l o n de c oi f fur e. I nt . J our.
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01. La Cliente surgit, en gros plan, avec une serviette et les cheveux pleins de mousse. C L I E N TA [CLIENTE] : ¿Y la rusa? [Et la Russe ?] 02. Gros plan de Raimunda et Sole. R A I M U N DA : ¿Quién es la rusa? [C’est qui la Russe ?] S O L E : Una que tengo para ayudarme. [Une femme qui vient m’aider.] 03. Suite du plan 01. C L I E N TA : Sí, porque estaba contándole lo de mi Borja, que me lo han vuelto a “apercibir de expulsión”. ¿Qué te parece? Le ha pinchado las ruedas al cura que le da religión. Pues se lo estoy contando y me deja allí sola, hablando y con la cabeza a medio lavar… [Oui, j’étais en train de lui raconter ce qui est arrivé à Borja, ils ont menacé de l’exclure du collège. Tu te rends compte ? Il a crevé les roues du curé, le prof de religion. J’étais en train de lui raconter ça et elle me laisse parler toute seule et les cheveux à moitié lavés…] 04. Suite du plan 02. S O L E : Ha debido salir. [Ella a dû sortir.] Sole se rapproche de la Cliente (panoramique). C L I E N TA : Ha debido, no, es que se ha ido corriendo. [Elle n’est pas sortie, elle est partie en courant.] La Cliente, Sole et Raimunda se dirigent vers le salon de coiffure. S O L E : Yo te la termino, mujer. Es que padece claustrofobia y a veces necesita, la mujer, salir a la calle. [Je m’en occupe. Elle est claustrophobe et elle a besoin parfois de sortir dehors.] R A I M U N DA : ¡Pues menuda ayuda! [Tu parles d’une aide !] 05. Plan rapproché de Raimunda. R A I M U N DA : ¿Y la pagas? [Et tu la paies ?]
06. Suite du plan 04. Sole finit de rincer les cheveux de la Cliente. Raimunda de dos en amorce. S O L E : No, la tengo recogí(d)a. Come y duerme aquí, le he dado la ropa de mamá. [Non. Je l’ai recueillie. Elle mange et elle dort ici, je lui ai donné les affaires de maman.] 07. Suite du plan 05. On commence à entendre faiblement l’émission « Où que tu sois » qui passe à la télé. RAIMUNDA : No me gusta que vayas recogiendo a gente que no conoces, Sole. [Sole, je n’aime pas que tu recueilles des inconnus.] 08. Suite du plan 06. C L I E N TA : Se lo tenemos dicho, que es demasiado buena y la gente se aprovecha. Mira la rusa, no se puede imaginar cómo vive aquí, ¡como una reina! [On le lui a déjà dit, elle est trop bonne et les gens en profitent. Regarde-moi la Russe, c’est incroyable, ici elle vit comme une reine !] S O L E : ¿Y Paco? ¿Qué tal la otra noche? [Et Paco, comment ça s’est passé l’autre soir ?] 09. Suite du plan 07. RAIMUNDA : Muy mal.Vino a casa a por su ropa.Yo creo que ahora vive con una, pero, bah, no sé dónde ni me interesa. Oye, y tú ¿Por qué no me dijiste que tenías una rusa? [Très mal. Il est venu chercher ses affaires à la maison. Je crois qu’il est avec quelqu’un, mais, je ne sais pas où, ça ne m’intéresse pas. Dismoi pourquoi tu ne m’as pas dit que tu avais une Russe.] 10. Suite du plan 08. SOLE : Se me olvidaría… No sé… [J’ai dû oublier. J’en sais rien.] On entend plus fort le téléviseur et des applaudissements. 1 1 2 2 6 . L ’ é m i s s i o n « O ù q u e t u s oi s ».
Agustina par une porte entrouverte pénètre dans le studio, alors que l’on entend les applaudissements du public saluant son entrée. 1 1 1 . Ch a m b r e G r a n d - M è r e . I n t . J our.
Paula, en plan rapproché, sur le lit regarde la télévision hors-champ. La caméra glisse vers la Grand-Mère qui est toujours sous le lit. A B U E L A : ¡Anda! Pero si esa es la Agustina. [Tiens ! Mais c’est Agustina !] |95 26|L’ordre des deux scènes 111 et 112 a été inversé lors du montage du film.
1 1 2 b. L ’ é m i s s i o n « O ù q ue t u s oi s ».
01. Plan d’ensemble d’un décor où apparaît en grandes lettres « Où que tu sois ». Bouquets de fleurs et fauteuils rouges symétriques. Agustina s’assied tandis que le public continue d’applaudir. L O C U T O R A [PRÉSENTATRICE] (hors-champ) : Muy buenas tardes Agustina. [Bonjour, Agustina.] A G U S T I N A : Buenas tardes. [Bonjour.] 02. Plan de demi-ensemble de la Présentatrice avec une partie du public derrière elle. L O C U T O R A : A ver, por tu hermana sabemos que vuestra madre os tuvo de soltera. ¿Verdad que sí? [Dites-moi27. Bon, ta sœur nous a dit que vous étiez les filles d’une mère célibataire. C’est ça ?] 03. Suite du plan 01. A G U S T I N A : Sí. Mi madre es que… era hippie. [Oui, ma mère était… hippie.] Rires du public. 1 1 3 . M a i s o n S o l e . S a l o n de c oi f fur e. I nt . J our.
04. Reprise du plan 110-08. Sole continue à rincer les cheveux de la Cliente et Raimunda se retourne en reconnaissant la voix d’Agustina à la télévision. R A I M U N DA : ¡Esa es la Agustina! [C’est Agustina !] Raimunda sort du champ par la gauche. En hors-champ, on entend les dialogues d’Agustina et de la Présentatrice. A G U S T I N A (hors-champ) : No se casó nunca. [Elle ne s’est jamais mariée.] L O C U T O R A : (hors-champ) : Ya o sea que practicaba el amor libre, claro.Vuestra madre tenía una amiga, que murió justo el día en que… [C’est ça, elle était adepte de l’amour libre, évidemment. Votre mère avait une amie qui est morte le jour même où…] 1 1 3 b. C h a m b r e G r a n d - M èr e. I nt . J our.
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01. La Grand-Mère glisse vite sous le lit pour ne pas être vue par Raimunda qui court voir la télévision avec Sole et la Cliente.] L O C U TO R A (hors-champ) : … desaparece. [Elle disparaît.] 02. De dessous du lit on aperçoit la porte de la chambre qui s’ouvre et les chaussures à talons de Raimunda. A G U S T I N A (hors-champ) : Sí. [Oui.] 03. Plan rapproché de Raimunda, Sole et la Cliente qui regardent (horschamp) le téléviseur. L O C U TO R A (hors-champ) : ¿Cómo muere esta amiga? [Comment est morte cette amie ?] 27|Le tutoiement naturel en espagnol a été remplacé par le vouvoiement français.
Analyse d’une séquence représentative
S
ituée vers la fin de Volver, cette séquence réunit l’essentiel des personnages du film : Raimunda, sa fille Paula, sa sœur Sole, sa mère et Agustina, son amie. Dans son appartement, Sole a aménagé un salon de coiffure et a recueilli sa mère, à l’insu de Raimunda. L’arrivée surprise de cette dernière provoque soudain la panique dans la maison. La diffusion, à la télé, d’une émission où intervient Agustina, fige brusquement le remue-ménage.
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La séquence, d’une assez grande complexité, se présente avant tout comme un jeu territorial triangulaire. D’une part, deux pièces de l’appartement de Sole – le salon de coiffure et la chambre de la grand-mère –, d’autre part, le studio où se déroule l’émission de télévision « Où que tu sois ». Or le statut dans le film de ces trois lieux reste pour le moins incertain. La transformation d’une pièce en salon de coiffure est déjà la marque d’une première instabilité fonctionnelle. C’est pourtant la chambre, un lieu unique, qui va poser avec une acuité plus marquée la question des territoires. On peut en effet y déceler quatre espaces : sous le lit (la grand-mère), sur le lit (Paula), à la porte (Raimunda, Sole et la cliente) et le téléviseur (Agustina). La structure privilégie ici un objet central – le téléviseur – qui capte l’attention des trois points de vue, comme unis et fusionnés par un même écran. Cette fascination qui rappelle celle qu’exerçait un autre téléviseur sur Juana dans Kika ne doit pas nous égarer. Si l’écran est aussi présent, c’est que Pedro Almodóvar en dénonce l’omniprésence, la violence et la vulgarité. Capable de tout absorber, la douleur, le chagrin et la maladie, la présentatrice de « Où que tu sois » a perdu son humanité brûlée au pied de la divinité médiatique. Non sans une incontestable subtilité, le cinéaste va jouer sur les effets de cadrage et de surcadrage pour passer du studio d’enregistrement (112a-b-c-d) à la chambre de la grand-mère (113b-04-06-08-10) et montrer comment le petit écran s’immisce dans le quotidien des personnages. On ne peut qu’être sensible aux contrastes entre l’intérieur modeste de l’appartement de Sole et le côté artificiel et inauthentique du studio d’enregistrement. D’une manière qui lui est propre, Pedro Almodóvar va dévoiler tout le dispositif avec caméra, grue, etc. renvoyant ainsi l’émission à son côté factice et sa supercherie. Mais la richesse de l’univers du cinéaste, c’est que rien n’échappe à des
formes multiples de lecture. Si le téléviseur est un objet ô combien détestable pour le cinéaste, il n’en est pas moins celui qui va permettre de réunir soudain dans un même lieu l’ensemble de la famille dispersée. Contrairement à l’univers médiatique, l’intérieur de l’appartement de Sole grouille d’humanité, on y dévoile des secrets, on y préserve des intimités. La grand-mère, remarquablement interprétée par Carmen Maura, est sans nul doute le personnage le plus novateur du film, celle qui glisse sans difficulté d’un territoire à l’autre. Le cinéaste se plaît à la saisir en gros plans, tantôt glissant sous le lit (109-04 ; 113b-01), tantôt surgissant comme le diablotin de sa boîte (109-02), observant – la caméra se subjectivise soudain – aussi bien l’écran du téléviseur que les chaussures de Raimunda (113b-02), dans des effets dont le cinéaste a le secret – les talons de Talons aiguilles, de Femmes au bord de la crise de nerfs, d’En chair et en os, etc. La grand-mère – un personnage interprété aussi, dans d’autres films, par Chus Lampreave qui tient ici le rôle de la tante Paula – fait preuve d’une extrême adaptabilité : tantôt présente, tantôt absente, tantôt manchega, tantôt russe. Les scènes 110 et 113 sont parfaitement révélatrices du travail qu’opère le cinéaste sur la courbe narrative de ses films. L’arrivée de Raimunda va plonger le petit monde de la maison dans l’affolement et va donner lieu à une situation particulièrement savoureuse où la cliente, Raimunda et Sole vont échanger des dialogues saugrenus et presque surréels au sujet de la « Russe », un personnage inventé – comme le cinéaste lui aussi invente les siens – à partir d’une situation bien réelle, le développement en Espagne d’une immigration venue des anciens pays de l’Est… et bien sûr de Russie. Le cinéaste parvient, comme il l’avait fait dans Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?, à rendre supportable la banlieue en retrouvant un tissu humain, une atmosphère qui imprègne les quatre coins de l’appartement. La seconde figure que la séquence met en valeur, c’est bien entendu Agustina. Interprétée remarquablement par Blanca Portillo, elle est en quelque sorte le pendant de la grand-mère dans la mesure où elle se retrouve elle aussi déterritorialisée. Mais la comparaison s’arrête là. Le corps d’Agustina surgit dans l’entrebâillement de la porte du studio (112), un corps maladroit, mal à l’aise, qui apparaît immédiatement
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1974 Dos Putas, o historia de amor que termina en boda (Deux putains, ou histoire qui finit en mariage)
R é a l . : Pedro Almodóvar. F o r m a t : super-8. D u r é e :
10 min.
Sexo va, sexo viene (Sexe va, sexe vient)
R é a l . : Pedro Almodóvar. F o r m a t : super-8. D u r é e :
17 min.
Film político (Film politique)
R é a l . : Pedro Almodóvar. I n t e r p r é t a t i o n : Pedro Almodóvar. F o r m a t : super-8. D u r é e : 4 min. 1975
El Sueño (Le rêve) ou La Estrella (L’étoile)
R é a l . : Pedro Almodóvar. I n t e r p r é t a t i o n : Pedro Almodóvar. F o r m a t : super-8. D u r é e : 12 min.
La Caída de Sodoma (La chute de Sodome)
R é a l . : Pedro Almodóvar. F o r m a t : super-8. D u r é e :
10 min.
Blancor (Blancheur)
R é a l . : Pedro Almodóvar. F o r m a t : super-8. D u r é e :
5 min.
Homenaje (Hommage)
R é a l . : Pedro Almodóvar. F o r m a t : super-8. D u r é e : 10 min.
1976 Trailer de ¿Who’s afraid of Virginia Woolf? (Bande annonce de Who’s afraid of Virginia Woolf ?)
R é a l . : Pedro Almodóvar. I n t e r p r é t a t i o n : Pedro Almodóvar (Martha, l’étoile du cinéma Le Moderne). F o r m a t : super-8. D u r é e : 5 min. Sea caritativo (Soyez charitable)
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R é a l . : Pedro Almodóvar. F o r m a t : super-8. D u r é e :
5 min.
Muerte en la carretera (Mort sur la route)
R é a l . : Pedro Almodóvar. P h o t o : Roberto Gómez. F o r m a t : 35 mm (couleur). D u r é e : 8 min. I n t e r p r é t a t i o n : Paloma Hurtado, Juan Lombardero, Pepe Maya, Miguel A. Requejo, Iván Villafranca, Carlos Villafranca. P r o d u c t i o n : Ayax Films. 1977 Sólo soy una mujer (Je ne suis qu’une femme)
R é a l . : Pedro Almodóvar. F o r m a t : super-8. D u r é e : inconnue.
Las Tres Ventajas de Ponte (Les trois avantages de Ponte)
R é a l . : Pedro Almodóvar. F o r m a t : super-8. D u r é e : 5 min.
20-N (20-N)
R é a l . : Pedro Almodóvar. F o r m a t : super-8. D u r é e :
Inachevé.
1978 Salomé (Salomé)
R é a l . : Pedro Almodóvar d’après l’opéra d’Oscar Wilde. P h o t o : Luciano Berriatúa. P r o d u c t i o n : Manuela Films. F o r m a t : 16 mm. D u r é e : 13 min. I n t e r p r é t a t i o n : Isabel Mestres (Salomé), Fernando Hilbeck (Abraham),Agustín Almodóvar (Isaac).
Folle… Folle… Fólleme Tim (Baise Baise Baise-moi Tim)
R é a l . : Pedro Almodóvar. I n t e r p r é t a t i o n : Carmen Maura, Eva Siva, Kiti Manver. F o r m a t : super-8. D u r é e : 1 h 30. S o r t i e p r é v u e : 15 décembre 1978 (Barcelone) [le film ne fut pas présenté].
1979-1980 Pepi, Luci, Bom y otras chicas del montón (Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier)
R é a l i s a t i o n e t s c é n a r i o : Pedro Almodóvar. P h o t o : Paco Femenia (16 mm gonflé en 35 mm). S o n : Miguel Ángel Polo. C h a n s o n s : Do The Swim, Tu loca juventud, Estaba escrito, Murciana. M o n t a g e : Pepe Salcedo. C o s t u m e s : Pedro Almodóvar et Manuela Carnacho. P r o d u c t i o n : Figaro Films. P r o d u c t e u r e x é c u t i f : Pepón Corominas. I n t e r p r é t a t i o n : Carmen Maura (Pepi), Olvido Gara « Alaska » (Bom). Eva Siva (Luci), Félix Rotaeta (le policier), Kiti Manver (la chanteuse), Julieta Serrano (l’actrice), Concha Grégori (Charito), Cecilia Roth (la fille du spot), Cristina S. Pascual (la femme à barbe), José L. Aguirre
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Pedro Almodóvar et Jean-Claude Seguin, Congrès Almodóvar, Cuenca, 2003 © Jean-Claude Seguin
Jean-Claude Seguin, Professeur des Universités (Université Lumière Lyon 2), directeur du laboratoire LCE EA 1853 et Président du GRIMH (Groupe de Réflexion sur l'Image dans le Monde Hispanique), est à l'heure actuelle l'un des meilleurs spécialistes du cinéma espagnol.
Et si Pedro Almodóvar était le dernier «auteur» du 7e art? Son œuvre offre une telle cohérence, un univers si personnel que l’on retrouve sa patte dans le moindre de ses plans. Ce postmoderne est avant tout un remarquable cinéphile qui se nourrit d’images et qui les recompose dans des récits qui mêlent allégrement l’ancien et le moderne. Il échappe ainsi à toute classification, déroutant ses fidèles comme ses détracteurs. Pedro Almodóvar est déjà un classique, mais aussi un des grands créateurs de la culture hispanique qui s’inscrit dans la lignée de ces figures exceptionnelles que l’Espagne a produites au cours des siècles. Jean-Claude Seguin retrace ici la vie et l’œuvre du cinéaste, et s’attache à dégager les grandes caractéristiques d’un style cinématographique complexe qui a permis de pousser le cinéma espagnol hors de ses frontières. Cet ouvrage s’adresse autant au spécialiste qui trouvera une somme d’informations qu’à l’étudiant hispaniste et au cinéphile.
Ce titre s’intègre dans la collection «Imágenes», collection de référence sur l’image dans le monde hispanique (cinéma, photographie, télévision, arts, BD, etc.), qui propose des ouvrages signés par des chercheurs de renom, spécialistes de ces questions. La collection est dirigée par Nancy Berthier, Professeur des Universités (Paris-Est, LISAA EA 4120).
ISBN: 978-2-7080-1232-5