3 minute read
Franco Sbarro, l’infatigable
À 83 ans, le designer et constructeur automobile Franco Sbarro commence ses journées de travail à quatre heures du matin, cumulant parfois les nuits blanches pour donner vie à ses projets automobiles. Rencontre marquante dans son atelier de Grandson.
En tant que novice du secteur automobile, je n’avais pas mesuré l’immensité du génie créatif de Franco Sbarro avant notre rencontre. Toutefois, après quelques bribes de conversation téléphonique, je comprends que cette rencontre sera unique en son genre. Quelques jours plus tard, samedi 29 octobre 2022, le brouillard est dense lors de mon arrivée à Grandson à 9 h du matin. C’est au volant de ma voiture que je franchis la grille des ateliers Sbarro, installés depuis 1978 dans une ancienne usine de cigarettes. Le bâtiment est imposant. Désorienté, je cherche mon chemin.
Au loin, j’aperçois un homme en complet de travail rouge qui se dirige vers moi d’un pas vif et assuré : c’est notre homme. Après quelques échanges d’usage, c’est avec un regard perçant que ce passionné m’interroge : « Vous et les voitures, ça fait un ou ça fait deux ? » Je le rassure quant à mon intérêt, qui semble être la condition sine qua non pour franchir le seuil de l’usine, dont la porte est saturée de panneaux compor- tant des avertissements, destinés à repousser les curieux.
Une fois à l’intérieur, je suis décontenancé par ce que je découvre. Je ressens un mélange d’excitation enfantine et de déférence face à l’ampleur de l’œuvre de Franco Sbarro. Les questions se bousculent dans ma tête tandis que je détaille du regard les innombrables véhicules, créations originales ou répliques de modèles iconiques. L’une d’elles, prégnante, me brûle les lèvres : à quoi cet homme carbure-t-il ?
Franco Sbarro, d’où tirez-vous cette énergie créatrice ?
Depuis tout petit, je cohabite avec cette énergie. Je suis né dans le sud de l’Italie. Après la guerre, les gens mouraient presque de faim. Pour moi, la vie ne pouvait pas se résumer au village dans lequel j’étais né. J’ai très vite ressenti le besoin d’aller voir au-delà. Si bien qu’à l’âge de cinq ans, j’ai demandé à sauter une classe pour avancer plus vite. J’ai terminé ma maturité avec deux ans d’avance. En parallèle de mes études, le dimanche durant mon temps libre, je me consacrais entièrement à la mécanique. Je n’avais pas de vélomoteur donc je réparais ceux des autres pour finalement avoir le plaisir de rouler avec. Je n’étais pas un rêveur mystique. Je rêvais les yeux grands ouverts mais les pieds sur terre. Je visualisais les différentes pièces mécaniques en trois dimensions et en couleurs.
Pourquoi ce besoin de travailler sur plusieurs projets simultanément ? Ma curiosité est sans limites ! Je n’ai pas satisfait toutes mes envies. Je souhaiterais vivre encore 100 ans pour réaliser 500 projets supplémentaires. J’ai toujours énormément travaillé et le résultat de ce travail n’a jamais été proportionnel à l’énergie investie, mais exponentiel. C’est pour partager cette passion et cette envie de créer que j’ai d’ailleurs fondé plusieurs écoles de design automobile.
Que se passe-t-il dans les moments où vous ne pouvez pas créer ?
On souffre d’être créatif. Il faut passer par des phases d’insatisfaction. Il m’arrive de maltraiter mon physique pour suivre le rythme de mes idées. Je pense souvent à de nouveaux projets dont je ne parle à personne avant de terminer la phase « d’incubation ». Une fois cette étape franchie, une forme d’urgence intérieure se manifeste. Je dois alors mettre cette idée en forme dans la matière. J’ai toujours travaillé avec cette urgence dont la nature a évolué au fil de ma vie.
Que répondez-vous aux gens qui vous parlent de retraite ?
Le mot retraite, je l’ai effacé de mon vocabulaire. Sans travail, il m’arrive de penser que je pourrais mourir… (NDLR : il marque un temps d’arrêt). J’ai soigné ma santé en travaillant. La satisfaction que me procure mon travail est une forme de drogue dont les effets sur moi sont positifs. Pour moi, la retraite n’existe pas ! Vincent Magni
Franco Sbarro en quelques dates
1939 Naissance à Presicce dans le sud de l’Italie
1957 Arrivée à Neuchâtel comme mécanicien
1959 Achat d’un garage à Grandson
1968 Création de l’Atelier de Construction Automobile (ACA)
1989 Invention de la roue orbitale sans moyeu
1992 Fondation de l’Espace Sbarro, école spécialisée pour la construction automobile artisanale