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EN 2006, les entreprises françaises ont réalisé 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires en Chine
POURQUOI LA FRANCE NE VEUT PAS BOYCOTTER LES JO DE PÉKIN moins de cinq mois de l’ouverture des JO […], tous les moyens sont bons pour dénoncer les violations graves des libertés fondamentales en Chine. » Après avoir perturbé, avec deux autres membres de Reporters sans frontières, la cérémonie d’allumage de la flamme olympique, Robert Ménard menace. De fait, un sondage mené dans la foulée lui donne raison. Cinquante-trois pour cent des Français seraient favorables au boycott de la cérémonie d’ouverture, le 8 août, par le président Sarkozy. La France peut-elle sincèrement sermonner l’un de ses plus importants partenaires économiques ? Selon une grande banque française qui envisageait cette option, en cas de rupture de toute relation commerciale, le PIB de la Chine plongerait, mais l’Europe et les États-Unis – privés entre autres de tee-shirts et d’écrans plats à bon marché – perdraient aussi un point de croissance et verraient leurs prix grimper encore de 4 à 5 %. Nous n’en sommes pas encore là. Pourtant, sous couvert d’anonymat, le président d’un grand groupe implanté à Shanghai marche sur des œufs : « On peut tout dire aux Chinois… Mais à condition d’y mettre les formes. Le président Sarkozy bénéficie d’une très bonne image en Chine. Je ne connais pas ses dernières déclarations, mais le boycott serait une très mauvaise décision. » Un autre
A
expatrié atteste bien qu’il « n’a jamais entendu parler d’entreprises qui auraient eu à pâtir de mesures chinoises de rétorsion après des déclarations françaises sur les droits de l’homme. Cela dit, lâchet-il prudent, je ne suis peut-être pas là depuis assez longtemps ». « Le chiffre d’affaires [des entreprises françaises, NDLR] représente 20 milliards d’euros en 2006 – soit deux fois et demie les 8 milliards d’euros de nos exportations directes », explique Hervé Ladsous, l’ambassadeur de France. Des résultats dus aux 1 800 implantations réalisées par 850 entreprises françaises. De quoi offrir du travail à 250 000 salariés dans l’Empire du milieu. Selon Le Livre blanc : Le défi des investissements français en Chine, édité l’an dernier par Unifrance, ne pas s’implanter dans le plus vaste marché du monde passerait presque pour une faute professionnelle. Ainsi, la venue d’Alcatel-Lucent n’est peut-être pas tout à fait étrangère au fait que ce marché de 500 millions d’abonnés au téléphone mobile croît de 5 millions de nouveaux usagers chaque mois en Chine. Quant à Internet, avec 160 millions d’internautes, le marché chinois dépassera bientôt celui des États-Unis. Longtemps cité interdite, l’Empire s’est ouvert sous l’impulsion de Deng Xiaoping, en 1979. Avant cette date, seuls Air France, en 1938, et Technip, en 1964, avaient eu le privilège de pouvoir s’implanter. Mais la véritable ouverture date du début des années quatre-vingt. Alstom, Elf et Total ont été les pre-
CARREFOUR ALSTOM
SODEXHO
2 4 5 6 8 1
1
ACCOR
1
2 3 5 7 9
2 3 6
2 5
BNP PARIBAS
1
2 3
SOCIÉTÉ GÉNÉRALE
contrefaçons et de l’espionnage
VSD
1
2 3 4 5 6 7 8 9
SAINT-GOBAIN
Le CAC 40 accourt, en dépit des
50 -
1
LAFARGE
1
L’ORÉAL
2 5
PSA
4
1
TOTAL
1
AREVA
1
1
7 Liaoning 2 3
Pékin 1 6 Tianjin 8 Shandong
2
5 Jiangsu 5
2 Shanghai 9 Zhejiang
4 Hubei
AUCHAN
2
DANONE
2
RENAULT
4
PLANETOBSERVER/HOA-QUI/EYEDEA
Malgré la répression brutale contre le soulèvement au Tibet, notre diplomatie ne s’opposera pas au président chinois, Hu Jintao.
3 Guangdong
PRÈS D’UN MILLIER D’ENTREPRISES FRANÇAISES À L’ABOR DAGE DE LA CHINE a majorité de nos entreprises prospèrent près de Shanghai. La moitié s’illustre dans l’industrie, 40 % dans les services et 10 % dans l’agroalimentaire et les biens de consommation. Après avoir inauguré son centième hyper, Carrefour envisage l’ouverture d’au moins une vingtaine de magasins par an pour s’implanter dans toutes les villes de plus de 500 000 habitants. Da-
L
- DU 2 AU 8 AVRIL 2008
none vient d’acheter dix-neuf usines de yaourts pour inonder le marché lors des JO. Le constructeur automobile PSA entend multiplier par 2,5 ses ventes locales d’ici à 2010 et ambitionne d’y fabriquer un million de voitures. Alstom prévoit le doublement de son chiffre d’affaires sur cinq ans. Accor va construire, en six ans, 120 hôtels Ibis (soit 50 % de son parc en France). Total a des
projets ambitieux dans le raffinage et la distribution. Areva, pour ses ventes, et EDF, pour ses investissements, devraient connaître une très forte progression de leurs activités avec la conclusion de contrats pour les centrales EPR. Société Générale compterait sur une vingtaine d’agences d’ici à 2010. Pour Lafarge Gypsum, la Chine devrait devenir le deuxième marché mon-
dial d’ici à 2010, avec une progression attendue du chiffre d’affaires de l’ordre de 15 à 20 % par an. L’Oréal a rapporté une croissance de 30 % à 523 millions d’euros de ses ventes en Chine en 2007, croissance à deux chiffres pour la septième année consécutive. Enfin, Saint-Gobain comptabilise une quarantaine d’entreprises qui font travailler plus de 12 000 personnes. A. DE T.
miers à s’y installer. Rhône-Poulenc (devenu Rhodia) leur a emboîté le pas, suivi, notamment, par Peugeot. Les banques s’y sont mises ensuite, comme la BNP. Le premier hôtel Accor – ouvert en jointventure – est sorti de terre en 1985. Mais c’est dans les années quatre-vingt-dix que les Français se décident vraiment. Citroën y lance la ZX avec succès, en même temps qu’en France. Airbus atterrit en 1994, suivi par l’inventeur de la Cocotte-Minute, Seb, en 1995, en même temps que le fabricant de verres correcteurs Essilor et que Carrefour, qui inaugure cette année-là son premier hyper. Même Ubisoft, en 1996, vient y produire et vendre des jeux vidéo voués à l’export pour cause de piratage généralisé sur place. Enfin, depuis 2005, Carrefour Chine s’étend, au rythme haletant de 20 nouveaux hypermarchés par an, passant de 40 à 100 sites en quatre ans seulement. Ce sont aujourd’hui près de 40 000 employés qui font du géant français de la grande distribution le premier employeur tricolore sur place. Si les Français tentent de percer sur l’immense marché chinois, à l’inverse, les petitsfils de Mao commencent eux aussi à s’implanter dans l’Hexagone. Avec la bénédiction des autorités nationales, qui attendent beaucoup de ce septième investisseur étranger. Chimie, textile, objets de décoration, équipements électroniques (Watchdata) et télécoms (ZTE, Huawei), fret, transport aérien (Air China, China Eastern, China Southern) ou électroménager, une centaine d’entreprises chinoises sont actuellement recensées sur le territoire par l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII). Dont une quarantaine seulement dûment enregistrées auprès de l’ambassade
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chinoise à Paris. Des chiffres qui peuvent sembler assez faibles mais ce n’est apparemment qu’un début. Car ces deux dernières années, on assiste à une accélération de la création de sociétés et donc d’emplois : 582 salariés en 2005 contre 1 459 en 2007. Aujourd’hui, 8 000 employés travaillent donc au service de patrons venus de Chine. Autre nouveauté, la structure de ces firmes. Hier encore, les Chinois possédaient des bureaux régionaux ou des représentations d’entreprises. Aujourd’hui, ils rachètent des sociétés connues mais en difficulté comme Terraillon en 2002, les Parfums Marionnaud et Rhodia silicone en 2005, Adisseo, spécialiste mondial des additifs et solutions nutritionnelles pour les animaux, en 2006, ou le tunnelier NFM technologies, en 2007. Selon l’AFII, ils effectuent une vingtaine d’investissements par an, ce qui représente environ 500 millions d’euros. Une somme encore modeste au regard des 12,23 milliards de dollars (7,70 Md €) investis par le pays à l’étranger en 2005 mais qui laisse malgré tout aux Français de grands espoirs. Ils savent qu’avec 700 000 touristes chinois par an, soit pour la première fois, en 2006, plus que les Japonais, le secteur du tourisme pourrait être encore boosté. Mieux, ils espèrent, comme le laissent entendre certains dirigeants communistes, que la patrie des droits de l’homme puisse devenir la porte d’entrée des entreprises chinoises dans l’Union européenne. Les faits leur donnent raison : China Corn Oil, spécialisé dans l’huile de maïs alimentaire, vient d’entrer à la Bourse de Paris. Des perspectives qui ne vont, hélas, pas non plus inciter à aborder les sujets qui fâchent. Les morts du Tibet ne valent pas le sacrifice d’un peu de croissance. ANTOINE DE TOURNEMIRE,
Son taux de croissance de 9,8 % sur la période 1980-2006 aiguise les appétits
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AVEC MARIE-AUDE PANOSSIAN