Planète techno
HUTTE VÉGÉTALE Jane et Tony ont quitté Londres il y a dix ans pour s’installer en plein cœur d’un parc national où ils ont construit leur nid douillet de leurs propres mains, et sans autorisation. Le soir, ils mangent à la lumière de la bougie pour éviter de consommer de l’électricité (en médaillon).
CHEZ LES ROBINSONS DU E XXI SIÈCLE
Au pays de Galles, un couple d’écolos coule des jours heureux dans un parc national protégé. Son credo : vivre en harmonie avec la nature, sans se priver du confort moderne. PHOTOS : ANDREW MCLEISH POUR VSD
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ÉCOMAISON TOUT CONFORT Ce couple de militants est loin d’être déconnecté des débats environnementaux, qui agitent aujourd’hui notre société. En témoigne leur habitat conçu pour consommer le moins d’énergie possible. Il est surmonté d’un beau toit végétal qui constitue un isolant très efficace (1), avec au centre un puits de lumière pour profiter au maximum de l’ensoleillement (2 et 3). Jane (6) et Tony (4), qui n’ont pas totalement renoncé au confort moderne, disposent aussi d’un téléphone et d’un ordinateur portable avec connexion Wi-Fi. Et c’est une éolienne plantée en bordure du potager (5), ainsi qu’un panneau solaire fixé sur le toit, qui produisent l’électricité nécessaire pour faire fonctionner tous ces appareils. 56 -
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onjour, c’est par là ! », lance Jane Faith, surgissant du bois. La quadra en robe à fleurs usée, la peau tannée par le soleil, désigne une petite butte derrière les arbres. Recouverte d’herbes, voici donc la hutte digne des hobbits de Tolkien1, qui déchaîne tant de passions. Derrière la tenture en peau de mouton apparaît l’intérieur d’une belle chaumière circulaire. L’odeur du feu de bois s’est incrustée dans les rondins, que les araignées ont constellés de leurs toiles. « Pas question de les tuer, c’est notre meilleur rempart contre les moustiques », se défend le partenaire de Jane, Tony Wrench, sourcils malicieux et barbe poivre et sel. À droite de la cheminée qui crépite trône un lit double fabriqué lui aussi avec de gros rondins. Les vitres ont été récupérées sur des chantiers – « les architectes changent tout très vite, en ville » – et la hutte est surtout éclairée par un « puits de lumière », un pare-brise de bus installé sur le toit. Une entorse à mère nature ? « Non, on recycle. Et puis, à ce jeu-là, nous avons aussi une bouteille de gaz », se défend tranquillement Tony. « Nous ne sommes pas des écologistes “hardcore”, nous sommes modérés », précise Jane. L’électricité est produite par une éolienne et trois capteurs solaires fixés sur le toit, entre la vigne, l’herbe et les ronces. En cas de panne, il y a toujours les bougies. L’eau, dont on peut suivre le parcours le long d’un muret de pierres dans un tuyau jaune, provient d’une source située en amont. Les sanitaires, en plein air, fournissent neuf tonneaux annuels « sans odeur » de compost, pour le potager. Quant au téléphone, « c’est horrible quand il sonne, alors on le laisse dans une maison abandonnée à l’entrée de la communauté pour ne pas perturber nos chakras [centres énergétiques, NDLR] avec les ondes. On n’écoute que les messages ». Bienvenue sur la côte ouest du pays de Galles. Près de Newport, la communauté de Brithdir Mawr regroupe trois familles « hippies » new age, vivant dans une ferme abandonnée et quelques huttes planquées au milieu de la verdure. Buvant son thé après une harassante récolte puis un tri de pommes de terre et de radis riquiqui, Jane raconte : « La communauté s’est installée dans la ferme en 1990. Avant, Tony était fonctionnaire municipal. Et moi, psychologue à Londres. Nous sommes arrivés en 1997 et nous avons fabriqué cette hutte. » Mais ce bonheur est fragile. En 1998, un avion des gardes-côtes survole leur habitat. Les autorités du Parc national de Pembrokeshire déclarent aussitôt la guerre aux occupants de
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LEUR MODE DE VIE d’écolos purs et durs pourrait influencer nos comportements
MENACÉE DE DESTRUCTION. Les autorités du Parc national de Pembrokeshire ne veulent pas de cette cabane qui “dénature le site” et n’a pas de permis de construire. Si, après un ultime appel, leur habitat devait être rasé, Jane et Tony quitteraient le pays de Galles.
cette maison qui n’a pas reçu de permis de construire et qui « dénature la côte ». En 2002, la justice ordonne sa destruction pure et simple. Après plusieurs appels, amendes et autres manifestations, la décision – loin d’être exécutée – a, au contraire, poussé un autre couple de la communauté à bâtir trois nouvelles huttes ! « Notre idée est de démontrer que l’on peut vivre simplement en polluant le moins possible l’environnement, et sans renoncer au confort, poursuit Jane. On aimerait que des gens “normaux” se disent : “Je peux faire comme eux. Ils ont la télévision, un ordinateur, ainsi qu’Internet en Wi-Fi, et ne nagent pas dans la boue.” En plus, c’est économique. Notre maison n’a coûté que 5 000 livres (7 500 euros env.), pour une durée de vie d’une dizaine d’années au moins. Avec quinze volontaires, nous l’avons érigée en cinq jours seulement. » Le toit, étanchéifié par une bâche de caoutchouc, repose sur treize poutres rondes disposées en étoile. Il couvre ainsi la case de 75 mètres carrés sur le modèle de « nos ancêtres préceltiques », assure Tony, auteur d’un ouvrage sur le thème 2. « Avec moins de 1 hectare, une personne vit en autosubsistance à 75 % : elle dispose d’un espace suffisant pour construire son habitat, se DU 5 AU 11 SEPTEMBRE 2007 -
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loger, se chauffer et se nourrir. » Pour ces adeptes du naturel, rien de tel qu’un potager bio – il est planté derrière la bâtisse. Au dîner, commencé par des « bénédicités » païens, ils se régalent de pommes de terre. Viennent ensuite une salade de carottes et du poisson, un luxe importé du village, arrosé de vin maison fabriqué à partir de framboises, de myrtilles et de mûres. Pour se procurer ce que ses 2 hectares ne fournissent pas, le couple échange des œufs contre du pain artisanal, car « on n’aime pas trop l’argent ». « On est bien obligé d’acheter du lait, mais directement au fermier, pour ne pas payer la TVA et financer indirectement la guerre en Irak », explique très sérieusement Jane. Ils descendent aussi au village de temps à autre pour y vendre des assiettes et des bols en bois, quand ils ne se produisent pas l’été dans des ballets folkloriques. Pour ces longs trajets, ils utilisent une vieille Ford appartenant à la communauté et paient l’essence au prorata de leurs déplacements. Jane avoue regretter une seule chose : le lave-linge, « même si c’est un cercle vicieux car, comme c’est facile, vous lavez de plus en plus. Alors on s’en passe, il suffit de moins se salir ». Il fallait y penser. Tony met donc plusieurs tenues pendant la journée. Après avoir coupé le bois et sué en débardeur, il met sa tenue d’intérieur. Et s’il va en ville, il se change encore. « Et puis, vous savez, rappellet-il, la laine se nettoie toute seule. » « Jusqu’à maintenant, nous avons eu de la chance », veut croire Jane en touchant du bois. Pourtant, en juillet, la dernière décision de justice leur a encore été défavorable. Ils ne pourront faire appel qu’une dernière fois auprès de l’Assemblée de Galles. Sinon, leur écomaison expérimentale devra disparaître. Une hérésie, selon Tony, car « détruire notre maison avec des bulldozers occasionnerait plus de dégâts que de la laisser debout ». ANTOINE DE TOURNEMIRE (1) www.thatroundhouse.info. (2) Building A Low Impact Roundhouse, Permanent Publications, 2001.
FESTIVAL “L’ŒIL EN SEYNE” Le reportage d’Andrew McLeish sera exposé au Festival international de photographies de La Seyne-surMer (Var), consacré cette année aux liens vitaux qu’entretient l’homme avec la Terre. Du 28 septembre au 29 octobre. www.loeil-en-seyne.fr.