VSD Bilderberg, la reunion secrete des puissants

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ÉPOQUEREPORTAGE

Zapatero a fait un discours ‘‘ politique plat. Des bilderbergs l’auraient pris de haut…» ’’

Daniel Estulin, auteur

LE CHOC DES CULTURES Une centaine d’altermondialistes manifestaient à l’entrée de l’hôtel Dolce pour dénoncer le « complot » Bilderberg. Dans une des limousines, serait-ce Jean-Claude Trichet, le directeur de la Banque centrale européenne ?

BILDERBERG

La station balnéaire de Sitges, près de Barcelone, a accueilli, du 3 au 7 juin, le groupe Bilderberg, qui conviait l’élite de la politique et de la finance mondiale. Par Antoine de Tournemire

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our un peu, Bilderberg ferait passer Davos pour une réunion Tupperware. Ce sommet, qui réunit des responsables de multinationales, des ministres, des têtes couronnées et des économistes, exclusivement sur invitation, est si sélect que, malgré son demi-siècle d’histoire, le grand public ignore jusqu’à son nom. D’aucuns mettent en doute son existence même tandis que d’autres l’imaginent comme un hybride du G20, de la World Company et du Spectre, la société criminelle secrète que combat James Bond. Pourtant, Bilderberg existe bel et bien, malgré tous les efforts déployés pour qu’il ne soit pas connu. Pour en avoir le cœur net, direction Sitges, près de Barcelone, où s’est tenue l’édition 2010. En ce jeudi 3 juin au matin baigné du soleil méditerranéen, l’imposante présence des Mossos d’Esquadra – les gardes mobiles espagnols – qui veillent sur l’entrée de l’allée de l’hôtel Dolce est bien réelle. Camions et 18

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hélicoptères de la police, inspecteurs en civil et, au large, des vedettes de la Guardia civil et des douanes escortées de Zodiac noirs chargés de commandos de marine, sont autant de preuves qu’il se passe quelque chose d’exceptionnel dans cette petite ville. Et ce n’est pas le ballet des limousines noires autour du complexe aux allures de bunker blanc qui dissipera les doutes.

CRÉÉ EN 1954, EN PLEINE GUERRE FROIDE Au loin, l’hôtel Dolce, doté de cinq cents chambres, a été intégralement réservé pour les cent vingt participants du Bilderberg. Un nom emprunté à l’hôtel néerlandais où s’est tenue la première réunion, en 1954. À l’époque, en pleine guerre froide, il s’agissait de rapprocher l’Amérique du Nord et l’Europe pour lutter contre l’Union soviétique. Depuis, une fois par an, le prince Bernhard des Pays-Bas – remplacé depuis par sa fille, la reine Béatrix – et le banquier milliar-

daire David Rockefeller, épaulé par l’ancien ministre des Affaires étrangères de Nixon, Henry Kissinger, réunissent les pontes des multinationales des secteurs de l’énergie à l’assurance, des ministres, des patrons d’organisations internationales comme l’Otan, etc. On compte même des hommes de médias. Pourtant, aucune information ne sort de ces réunions secrètes, ni sur les participants ni sur les débats. Pour en savoir plus, mieux vaut s’adresser à Daniel Estulin, l’auteur du best-seller sur Bilderberg *, qui enquête depuis dix ans, et disposerait de taupes parmi les participants et le personnel des hôtels. Il croit savoir que Bill Gates et la reine Sofia d’Espagne sont à Sitges. D’autres noms circulent : ceux de José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, Herman van Rompuy, le président du Conseil européen ou la chancelière allemande Angela Merkel. Jean-Claude Trichet, le directeur de la Banque centrale européenne (BCE), était là aussi, en VSD N° 1711 DU 9 AU 15 JUIN 2010

habitué. De dignes successeurs de Bill Clinton, de Tony Blair ou de David Cameron venus lors des sessions précédentes. Christine Lagarde, ministre de l’Économie, et Dominique Strauss-Kahn, patron du FMI, présents l’an dernier, n’ont pas pu venir. Et ces dernières années, des Français tels que Bernard Kouchner, Pascal Lamy (OMC), Jean-François Copé, Xavier Bertrand ou le directeur général du Nouvel Observateur, Denis Olivennes, ont participé à ce sommet.

UNE CERTAINE LIBERTÉ DE TON Pour ouvrir les débats, le Premier ministre espagnol, José Luis Zapatero, est venu souhaiter la bienvenue aux participants, comme le fit le président Chirac lors de l’édition 2003, à Versailles. Hélas, « Zapatero a fait un discours politique plat, déplore Estulin. Certains l’auraient même pris de haut. » Si les bilderbergs se réunissent à huis clos, c’est, semble-t-il, justement pour éviter radicalement ces grands discours politiques et la langue de bois. C’est également dans ce but que les intervenants parlent en leur nom propre et non en celui de leur organisation ou de leur pays. Une liberté de ton qui permet, sans doute, des analyses plus fines VSD N° 1711 DU 9 AU 15 JUIN 2010

et de dégager des solutions. D’ailleurs, selon l’usage, les interventions sont elles-mêmes minutées, afin de préserver l’intensité des débats. Selon la rumeur, les débats portèrent cette année sur la Grèce, l’avenir de l’euro, la stratégie européenne de « sortie de crise ». Mais aussi sur le programme de l’Otan en Afghanistan, les rapports entre l’Iran et la Russie, le bilan de la « guerre contre le terrorisme ». Ou encore, les perspectives de l’économie japonaise, l’avenir du dollar et les « scénarios alternatifs ». Des questions tellement ambitieuses qu’elles font dire à Daniel Estulin que « Bilderberg est une réunion d’esprits potentiellement dangereuse, dont le but serait de centraliser le pouvoir économique global aux mains des multinationales ». Bilderberg serait aussi le lieu où sont choisis les futurs présidents américains et Premiers ministres britanniques. Ce que confirmerait la participation à la conférence de Bill Clinton en 1991, de Tony Blair en 1993 et celle, plus récemment, de James Cameron. En 2004, le magazine Time révélait que John Kerry avait choisi son colistier John Edwards parce qu’il avait brillé lors de la session Bilderberg en Italie. Jadis, le président John Kennedy a largement recruté les membres de son administration parmi d’anciens

PHOTOS : ARNAUD BACH/VSD

LA RÉUNION SECRÈTE DES PUISSANTS OPACITÉ TOTALE. Loin de la foule, les bilderbergs arrivent à la réunion. Et s’engagent à ne rien dévoiler des débats sous peine d’exclusion.

participants de Bilderberg, et le président Carter prenait part aux réunions annuelles du groupe. Dans l’avion du retour vers Paris, un sexagénaire roux aux allures de professeur de Yale tire une valise à l’étiquette marquée d’un « B » majuscule – l’emblème des bilderbergs. Comment a-t-il trouvé l’édition 2010 ? D’un ton enjoué et avec un brin de cynisme, il répond avant de disparaître : « Le mieux, cette année, c’était la cuisine. La cuisine était fabuleuse. » 쐍 (*) La Véritable Histoire des Bilderbergers, éd. Nouvelle Terre, 2009.

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