Journée 2016 Actes du colloque
LA SCIENCE, MÉDIATRICE DE PAIX ? 2 novembre 2016 ESPCI Paris
Journée TRACES 2016 - LA SCIENCE, MÉDIATRICE DE PAIX?
ARGUMENT La science, prise au sens très large de ses idéaux, de sa pratique, de ses applications et de sa médiation, peut-elle contribuer à promouvoir la paix, surmonter les conflits ou renforcer le tissu social? Au moins trois types d'attitudes s'opposent face à cette question : - La science ne s'intéresse qu'aux faits. Elle n'a donc rien à nous dire sur les valeurs en général, et sur celles qui fondent le vivre-ensemble en particulier. Il faudrait seulement mettre en place les garde-fous garantissant que ses applications servent le développement social et le bien-être humain, plutôt que la violence et l'oppression. - La science (et peut-être elle seule) possède des valeurs universelles qui la placent suffisamment au-dessus des croyances pour les réconcilier. La diffusion de ces valeurs, par elle-même, contribuerait donc à désamorcer les conflits. - De tous temps la science a été intimement liée à ses applications. Il serait donc illusoire de vouloir séparer celles qui servent au développement humain et social de celles qui rendent la guerre plus meurtrière. En examinant les relations effectives entre science, guerre et paix à partir d'exemples concrets, nous proposons d'analyser ces trois attitudes avec leurs présupposés et de comprendre comment elles se traduisent en termes de pratiques de recherche, d’enseignement et de médiation scientifique.… …
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TABLE DES MATIERES
Présentation générale du colloque [texte intégral] André Klarsfeld
La médiation scientifique en zone de conflit : expérience de terrain [résumé par les auteurs] Leila Périé & Livio Riboli-Sasco Enseignement de la physique-chimie et valeurs de la République [texte intégral] ; [annexe 1] Dominique Obert
La responsabilité sociale du chercheur et son évolution [texte intégral] ; [annexe 2] Christian Byk
Science et paix : l’exemple du mouvement Pugwash [résumé par l'auteur] ; [annexe 3 : texte intégral] Jacques Bordé
La culture de la paix par la culture de la science [grandes lignes du diaporama] Delia Mamon
La science, catalyseur de paix et de démocratie [texte intégral] Jean Audouze
La science, entre valeurs et narcissisme : le témoignage personnel et les propositions d’un biologiste [résumé par l'auteur] Bruno Lemaître
Ateliers de réflexion et de propositions [annexe 4: réflexions préparatoires à l'atelier "Education", par R.-E.Eastes] Richard-Emmanuel Eastes, Bastien Lelu et Matteo Merzagora
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À
PROPOS
DES
INTERVENANTS
:...………………………………….
Jean AUDOUZE est astrophysicien, Directeur de recherche émérite au CNRS et Président d’Honneur de la commission nationale française pour l’UNESCO. Lors de la Journée d’Études, il intervient en tant que Président de l’association Graines de Paix – France ; ...……………………………. .
Jacques BORDÉ est Vice-Président de Pugwash-France. Il a été Directeur de Recherche au CNRS ; …………………………………………...…………………………………………………
Christian BYK est Magistrat auprès de la Cour d’Appel de Paris et Secrétaire général de l’association Droit, éthique et science ; ...………………………………… Richard-Emmanuel EASTES est consultant en communication des sciences, chercheur associé au Muséum d'Histoire Naturelle de Neuchâtel et au Laboratoire de Didactique et Épistémologie des Sciences (Université de Genève), fondateur du groupe Traces ; ………………
André KLARSFELD est membre du groupe TRACES, Trésorier de Graine de Paix - France, et neurobiologiste, Professeur à l’ESPCI Paris ; ... Bastien LELU est président du groupe TRACES, diplômé en Communication des Sciences (ENS, Cachan) et professeur agrégé de sciences physiques ; Bruno LEMAÎTRE est biologiste, Professeur à l’École polytechnique fédérale de Lausanne et auteur de « An Essay on Narcissism and Science » ; ...………………
Delia MAMON est Présidente-fondatrice de l’ONG Graines de Paix (Genève).
Matteo MERZAGORA est Directeur de l’ESPGG depuis 2014. Il travaille depuis de nombreuses années sur la communication des sciences et la question des relations entre sciences et société ; ...…………………………………..
Dominique OBERT est Inspecteur général de l’éducation nationale et Doyen du groupe Physique-Chimie ; .. ...………………...…………………………………………………
Leila PÉRIÉ est membre du groupe TRACES et de l’Atelier des Jours à Venir. Elle est chargée de recherche à l’INSERM et responsable d’une équipe de recherche à l’Institut Curie ; ………………………………………....…………………………………………………………..
Livio RIBOLI-SASCO est membre du groupe TRACES et co-fondateur de l’Atelier des Jours à Venir.
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À PROPOS DES ORGANISATEURS : Groupe TRACES (Théories et Réflexions sur l'Apprendre, la Communication et l'Éducation Scientifiques) est un groupe de réflexion et d’action sur la science, sa communication et son rapport à la société. TRACES réunit des professionnels impliqués dans la recherche, le développement et la diffusion d’idées et d’outils qu’ils croient utiles à l’inspiration d’une juste place de la science et de la technologie dans la société. ESPGG (Espace des Sciences Pierre-Gilles de Gennes) est animé depuis 2011 par le groupe TRACES. L’ESPGG navigue à l’interface entre science, culture et société. Il constitue un lieu ouvert pour favoriser des échanges, des rencontres et des réflexions communes entre chercheurs, enseignants, journalistes, artistes, narrateurs, curieux des sciences et des cultures. L’ESPGG souhaite agir pour être un point de rencontre entre les Parisiens et le monde scientifique. Graines de Paix est une Organisation Non Gouvernementale (ONG) internationale qui développe des solutions éducatives pour une paix durable. Elle propose des programmes de formation et des ressources éducatives pour les Ministères d'Éducation Nationale (MEN), destinés à la fois aux enseignants et aux élèves. Fondée à Genève en 2005, elle est indépendante de toute obédience religieuse, sectaire ou politique, tout en étant activement ouverte au dialogue et à l’échange.
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PRÉSENTATION GÉNÉRALE DU COLLOQUE
L’intitulé de cette journée de réflexion, sous forme d’interrogation, voire d’interpellation, était volontairement provocateur. Pour le préciser un peu : la science, prise au sens très large de ses idéaux, de sa pratique, de ses applications et de sa médiation, peut-elle contribuer à promouvoir la paix, surmonter les conflits ou renforcer le tissu social ?
Les idéaux affichés de la science vont clairement dans le bon sens, et inciteraient à répondre par l’affirmative. Pour reprendre les termes de Jacob Bronowski dans « Science et valeurs humaines » (1956), “la société des scientifiques (...) doit encourager l’indépendance d’esprit en chaque scientifique, et la tolérance au sein de leur communauté. À partir de ces (…) valeurs primordiales, s’enchaînent une série d’autres valeurs : le droit à s’opposer, la liberté de pensée et de parole, la justice, l’honneur, la dignité humaine et le respect de soi.”
On doit toutefois contraster ces idéaux avec la pratique de la recherche, toujours plus compétitive, conduisant à une multiplication de publications fragiles, sinon frauduleuses, et à la promotion de personnalités narcissiques qui utilisent leurs collaborateurs à leur seul profit. Ces deux aspects méconnus de la science « au quotidien » ont été évoqués par la première et la dernière conférence de la journée, à travers l’expérience de Leïla Périé et Livio Riboli-Sasco (qui a conduit celui-ci à créer l’Atelier des Jours à Venir) et l’analyse historique et psychologique de Bruno Lemaître, détaillée dans son livre « An Essay on Narcissism and Science » (2016). La science participative peut contrecarrer de telles tendances, mais elle est difficile à mener sur la durée, et sur une grande échelle. De même, il est difficile d’étendre et transposer les expériences de médiation scientifique en zone de conflit d’un pays à un autre.
La formation du mouvement Pugwash par des scientifiques engagés contre la guerre nucléaire renvoie également au parcours de Jacob Bronowski. Il s’est en effet tourné vers la biologie, puis la médiation scientifique, après avoir fait partie d’une mission militaire britannique à Nagasaki sur les effets de la bombe A. Jacques Bordé, vice-président de Pugwash-France, a retracé les origines et le rôle du mouvement pendant la guerre froide, et la nécessité d’en revoir les objectifs :
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il faut inclure dans la formation de tout chercheur un questionnement sur les retombées de ses recherches. Christian Byk a développé ce point, à partir de son analyse de la recommandation de l’UNESCO de 1974 concernant la condition des chercheurs scientifiques. Sa révision en cours semble l’éloigner du problème général du rôle de la science, pour se concentrer sur les chercheurs eux-mêmes. On retrouve le contraste entre idéal et pratique dans l’exposé de Dominique Obert, sur le rôle de l’enseignement des sciences en collège et lycée dans la formation citoyenne. Il devrait par exemple apprendre à distinguer entre construction d’une connaissance et transmission d’une croyance. Mais les exigences du programme et les manuels ne risquent-ils pas d’encourager une pensée dogmatique plutôt que critique ? Jean Audouze, président de Graines de Paix-France, a présenté une vision très popperienne de « la science, catalyseur de paix et de démocratie ». Il a cité des exemples de collaboration scientifique qui transcendent les frontières et les conflits, comme le CERN. Par ailleurs, raconter la science, ou la mettre en jeu (La main à la pâte), a un impact positif sur l’ambiance dans les classes. La science peut donc contribuer à susciter les réflexes de paix, qui fondent l’approche de l’ONG Graines de Paix, fondée et présidée à Genève par Delia Mamon. Celle-ci décrit ensuite les nombreux parallèles entre les compétences nécessaires à la pratique des sciences et à celle de la paix. Elle conclut que les scientifiques devraient pouvoir jouer un rôle important dans l’éducation à la paix. La journée s’est conclue par trois ateliers réunissant chacun entre six et dix participants à la journée, sur les rôles respectifs du monde éducatif, du monde associatif et des institutions de recherche pour faire de la science une médiatrice de paix.
André KLARSFELD
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LA MÉDIATION SCIENTIFIQUE EN ZONE DE CONFLIT : EXPÉRIENCE DE TERRAIN1
Leila PÉRIÉ et Livio RIBOLI-SASCO
Groupe TRACES et Ateliers des Jours à Venir
Nous invitons tous ceux qui souhaitent partager la science et la recherche avec le grand public, quel qu'il soit, où qu'il soit, en paix ou en guerre, à clarifier de quelle science parle-t-on. S'il existe des grandes généralités quant à ce qu'est la science, ses valeurs fondamentales, ses codes de déontologie, son éthique, force est de constater qu'il existe une multiplicité de mises en pratique de ces idéaux ainsi que des déviations quant à ces pratiques idéales (la fraude par exemple).
Nous prenons donc le parti de spécifier cette science et cette recherche que nous proposons de mettre en partage, notamment en situation de conflit. Il s'agit d'une pratique de recherche qui soit responsable. Cette responsabilité se manifeste par un haut degré de réflexivité, notamment par un exercice de transparence quant à la façon dont notre positionnement genré, culturel, social affecte le regard que nous portons sur nos objets d'étude. En ligne avec les épistémologies des savoirs situés, nous considérons qu'une subjectivité assumée renforce notre objectivité (cf. les travaux de Sandra Harding, Donna Haraway, repris en français entre autres par Elsa Dorlin, Bénédicte Zitouni). Nous assumons aussi la non-neutralité de la science, ne serait-ce que lorsqu'elle vise le bien-être de l'humanité. Cette posture en elle-même n'est pas neutre. Nous nous efforçons aussi de respecter les codes de déontologie récemment bâtis par nos consœurs et confrères et nous formons les jeunes générations de chercheurs pour qu'ils se les approprient et luttent contre toute dérive. 1
Article également disponible sur le site de l’Atelier des Jours à Venir : https://joursavenir.wordpress.com/2016/12/10/la-mediation-scientifique-en-zone-de-conflit/
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Nous sommes de ceux qui considèrent qu'il est salutaire de parler publiquement des inconduites scientifiques, de la fraude, des dégâts humains causés par la course aux publications et bien sûr de la baisse de fiabilité de la littérature scientifique qui en découle. Cette démarche est militante. Avec cette pratique de la recherche qui fait notre quotidien, nous avons fait le choix d'aller vers des populations vivant ou ayant vécu dans des situations conflictuelles. Nous sommes intervenus en Palestine (Gaza et Cisjordanie), au Caire pendant la révolution, à Vukovar, ville martyr de la guerre Yougoslave. Nous avons réalisé nous-mêmes des ateliers avec des enfants et avec des adultes et avons formé enseignants et médiateurs de science. Nous avons proposé des activités simples qui partagent cette démarche de recherche qui nous tient à cœur comme le fait d'inciter des enfants à faire le tour de la cour de récréation de l'école et à se poser toutes les questions qui leur passent par la tête (Science). Nous discutions de ce qui fait une question scientifique mais ne leur répondions pas et invitions les enseignants à le faire au cours des semaines à venir, ouvrant là un autre rapport au savoir et à l'autorité éducative. À chaque fois nous avons accompagné les personnes rencontrées à penser la science comme une aventure intellectuelle de questionnement libre et de méthodes de réponse rigoureuses, ancrée dans le vécu et l'expérience de chacun, plutôt que comme un ensemble de connaissances établies, non « questionnables » et nécessairement bénéfiques ; une posture intellectuelle dont nous faisons le pari qu'elle est transférable à des situations sociales tendues, conflictuelles. Nous suggérons ce transfert mais laissons chacun libre de le faire ou non. Nous espérons qu'elle puisse amener les jeunes d'une communauté à interroger les stéréotypes envers l'autre communauté. À questionner les tenants du pouvoir. À questionner un état de fait social, politique, économique. En Palestine et en Égypte, nous avons cessé d'intervenir. La situation n'y est pas propice au déroulement d'une réflexion sereine. Aussi, les institutions avec lesquelles nous travaillions sur le terrain manquaient de stabilité, de cohérence et parfois de sincérité. Nous avons envisagé un temps d'intervenir en Libye, dans l'intermède d'espoir après la chute du régime, et en Syrie, lorsque la société commençait à bouger... Dans chaque situation, plutôt que d'intervenir « de l'extérieur », nous préférions collaborer avec les institutions locales, et donc composer avec leurs instabilités, et saisir les moments propices.
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Cette approche ne nous semble pas généralisable par la mise en place d’activités ou de dispositifs à grande échelle. Elle dépend de l'humain, de rencontres, de contingences locales, des modalités d'organisation des communautés et de leurs institutions. La seule chose qui serait généralisable est l'invitation faite aux scientifiques de partager la science en ayant fait au préalable un exercice de réflexivité quant aux valeurs qui imprègnent la réalité de sa pratique quotidienne, parfois si distante des valeurs supposées de la science. Cette prise de conscience personnelle est le préalable à l'usage de la science comme vecteur d'encapacitation (empowerment) pour des populations qui en ont besoin. Elle rapproche la science du quotidien de chacun qui est trop souvent loin d'être idéal tout en déplaçant le débat vers une recherche de solutions qui est à la base des pratiques de recherche dont nous parlons. Pour y parvenir, il faudra former les scientifiques à de telles postures réflexives.…………………………………… On peut proposer du football pour apaiser des jeunes de communautés en conflit. Ce football peut être ponctué de coups, de fautes, parfois sur fond de nationalisme. Ou être un sport qui rassemble et se pratique avec fairplay. La même chose vaut pour la science.
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ENSEIGNEMENT DE LA PHYSIQUE-CHIMIE ET VALEURS DE LA REPUBLIQUE
Dominique OBERT
Inspecteur général de l’éducation nationale, Doyen du groupe Physique-Chimie
Les sciences expérimentales - notamment la physique-chimie - au travers de leur enseignement, sont un domaine privilégié au sein duquel l’enseignant et les élèves ont la possibilité d’interpeller les valeurs de la République. Après une rapide présentation des valeurs de la République en lien avec les sciences expérimentales, la présente contribution se propose de mettre l’accent sur deux aspects qui se nourrissent mutuellement : le périmètre des sciences – ce qui inclut les valeurs portées par les sciences et la méthodologie de la démarche scientifique – et l’enseignement des sciences à l’école. Ces deux points seront abordés sous l’éclairage de la laïcité et des valeurs de la République. Nous désignerons par la suite par « sciences » les sciences physiques et chimiques. Cf. Annexe 1 pour l’intégralité du texte sur lequel s’est appuyée l’intervention de Dominique Obert.
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LA RÉVISION DE LA RECOMMANDATION DE 1974 CONCERNANT LA CONDITION DES CHERCHEURS SCIENTIFIQUES Christian BYK
Secrétaire Général pour l’association Doit éthique et science, Commission française pour l’Unesco, Vice- Président du Comité intergouvernemental de bioéthique
Introduction : La paix par la science : espoir ou utopie ? Construire la paix par la science découle de la conception que tout est explicable par la science. Descartes a principalement développé cette pensée qui considère que l’homme a la faculté de parvenir à la vérité absolue par la raison. Cette approche attribue aux sciences la tâche de contribuer à la résolution des conflits : les sciences sociales déterminent les ressorts de l’agressivité entre individus et entre sociétés, les sciences physiques pures mettent au point des armes non létales, les sciences chimiques travaillent sur les pulsions d’agressivité et les sciences politiques nous conduisent à un système de société pérenne et pacifiée. C’est cette philosophie qui est exprimée par la Déclaration sur la science et l'utilisation du savoir scientifique adoptée par la Conférence mondiale sur la science le 1er juillet 1999 : La science pour la paix La pensée scientifique consiste, par essence, à savoir examiner les problèmes sous différents angles et à rechercher des explications aux phénomènes naturels et sociaux, en les soumettant constamment à une analyse critique. La science s'appuie ainsi sur une libre réflexion critique, essentielle à la démocratie. Partageant depuis toujours une tradition qui transcende l'appartenance nationale, religieuse ou ethnique, la communauté scientifique devrait promouvoir, comme le proclame l'Acte constitutif de l'UNESCO, la « solidarité intellectuelle et morale de l'humanité », qui est le fondement d'une culture de la paix. La collaboration des Journée TRACES 2016 - LA SCIENCE, MÉDIATRICE DE PAIX?
scientifiques du monde entier apporte une contribution constructive et précieuse à la sécurité globale et au développement de rapports pacifiques entre différentes nations, sociétés et cultures et pourrait favoriser l'adoption de nouvelles mesures en faveur du désarmement, y compris dans le domaine nucléaire. Les gouvernements et la société en général devraient avoir conscience que les sciences naturelles et sociales et la technologie doivent être utilisées comme des instruments permettant de parer aux causes profondes et aux conséquences des conflits. Les investissements dans la recherche scientifique sur ces questions devraient augmenter. Lancée par l’UNESCO en 2001, la Journée mondiale de la science au service de la paix et du développement est célébrée chaque année dans le monde entier le 10 novembre. Elle est l’occasion de rappeler le mandat et l’engagement de l’UNESCO pour la science. Mais, cette mise en exergue de la science au service de la paix n’est pas dénuée d’ambiguïté par la manière dont elle se dissémine à travers des politiques aux objectifs différents. Ainsi, l’OTAN s’est-elle dotée d’un programme pour la science au service de la paix et de la sécurité, cadre de coopération dans les domaines de la science et des technologies civiles. Dans ce cadre, les chercheurs, les universitaires et les experts gouvernementaux y jouent leur rôle s’agissant d’aider l’Alliance à cerner et comprendre les menaces et les défis nouveaux, et à y apporter une réponse. De même, le Rapport de l’UNESCO 2015 sur la science, on observe que « la tendance actuelle à orienter davantage les politiques de STI2 vers le développement industriel et commercial a elle aussi des ramifications internationales. Le Rapport de l’UNESCO sur la science 2010 prévoyait que la science occuperait une place croissante dans la diplomatie internationale. Cette prévision s’est révélée exacte… Dans certains cas, toutefois, les choses ont pris un tour inattendu. Des gouvernements ont tendance à lier les partenariats de recherche et la diplomatie scientifique aux opportunités et échanges commerciaux. 2
STI pour Science, Technologie et Innovation
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Une approche de la relation avec la paix non plus à travers la finalité de la science mais par le biais de la condition et de la responsabilité des chercheurs scientifiques seraient-elles alors moins ambiguës et, par conséquent, d’un point de vue pragmatique, plus efficace ? Le processus de révision de la Recommandation de 1974 sur la condition des chercheurs montre que le texte initial n’était, lui aussi, pas dénué d’ambigüité (cf. § I.), ce qui explique peut-être que le souvenir des enjeux de politique internationale, dont la déclaration de 1974, largement restée lettre morte dans la pratique, était imprégnée, n’incitent guère, parmi d’autres raisons, à faire de la paix, au sens classique d’un état qui s’oppose à celui de guerre, un des objectifs principaux de la révision (cf. § II.). I. La Recommandation de 1974 et sa contribution ambiguë à la recherche de la paix
A. L’affirmation de la contribution de la science à la paix
1) Dans le contexte d’adoption de la Recommandation de 1974, la préoccupation liée aux mauvaises applications de la science prenait également une importance considérable. Alors que la Recommandation de 1974 place clairement l’accent sur la contribution positive importante des découvertes scientifiques et des innovations et applications technologiques qui y sont liées à l’amélioration de la qualité de vie humaine pour le bien de l’humanité, le texte reconnaît également qu’en même temps, les réalisations scientifiques « peuvent [...] présenter certains dangers qui constituent une menace, surtout dans les cas où les résultats des recherches scientifiques sont utilisés contre les intérêts vitaux de l’humanité pour la préparation de guerres de destruction massive ou pour l’exploitation d’une nation par une autre, et en tout état de cause, poser des problèmes éthiques et juridiques complexes ».3
3
Recommandation de 1974, Préambule ; SHS/YES/COMEST-IBC-IGBC/14/INF.1 ; Paris, 8 juillet 2014, para.20
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2) Le texte
a) Préambule
« Reconnaissant
a. Que les découvertes scientifiques et les innovations et applications technologiques qui y sont liées ouvrent d'immenses perspectives de progrès qui résultent en particulier de l'utilisation la plus efficace de la science et des méthodes scientifiques pour le bien de l'humanité et pour contribuer à la préservation de la paix et à la réduction des tensions internationales mais peuvent, en même temps, présenter certains dangers qui constituent une menace, surtout au cas où les résultats des recherches scientifiques sont utilisés contre les intérêts vitaux de l'humanité pour la préparation de guerres de destruction massive ou pour l'exploitation d'une nation par une autre, et en tout état de cause, poser des problèmes éthiques et juridiques complexes ; b. Que, pour faire face à cette situation, les États membres devraient mettre en place ou concevoir des mécanismes pour l'élaboration et la mise en œuvre de politiques scientifiques et technologiques adéquates, c'est-à-dire de politiques qui viseraient à éviter les dangers éventuels et à tirer pleinement parti des aspects positifs des découvertes scientifiques et des innovations et applications technologiques ».
b) Articles
- « 6. Les États membres devraient faire tous leurs efforts pour traduire en termes de politiques et pratiques internationales la conscience qu'ils ont de la nécessité d'appliquer la science et la technologie dans de nombreux domaines dont l'intérêt dépasse les frontières de leur territoire, à savoir des problèmes aussi vastes et complexes que la sauvegarde de la paix internationale et l'élimination de la misère ainsi qu'à d'autres problèmes ne pouvant être efficacement résolus qu'à l'échelle internationale, tels que : surveillance et prévention en matière de pollution, prévision météorologique et prévision sismique ». - « 13 d. De contribuer de façon positive et constructive à la science, à la culture et à l'éducation dans leur propre pays ainsi qu'à la réalisation des objectifs nationaux, à l'amélioration du bien-être de leurs compatriotes et à la réalisation des idéaux et objectifs internationaux des Nations Unies ; étant entendu que les États membres devraient, lorsqu'ils emploient des chercheurs scientifiques, préciser de manière aussi rigoureuse et étroite que possible les cas dans lesquels ils jugent nécessaire de ne pas se conformer aux principes énoncés aux alinéas a et d ci-dessus ».
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- « 16. Les États membres devraient reconnaître que les chercheurs scientifiques se trouvent de plus en plus fréquemment dans des situations où les travaux de recherche scientifique et de développement expérimental qu'ils exécutent ont une portée internationale ; et ils devraient s'efforcer de les aider à exploiter ces situations dans l'intérêt de la paix, de la compréhension et de la coopération internationales et du bien-être de l'humanité dans son ensemble. »
B. Une illusion rendue lettre morte par des fins politiques 1) Le contexte dans lequel la Recommandation a été élaborée La Recommandation de 1974 reflète la géopolitique de l’époque à laquelle elle a été rédigée. Les questions liées à la liberté académique, à la mobilité, à l’échange des idées et publications, etc., étaient controversées dans un contexte dans lequel certaines sections de la communauté scientifique, dans de nombreux pays, étaient politiquement mobilisées, souvent en opposition avec leurs gouvernements respectifs. Le texte est issu d’un compromis qui reflète certaines de ces tensions – notamment dans sa présentation de la notion de « liberté académique ». Le préambule stipule ainsi que « la libre communication des résultats, des hypothèses et des opinions – comme le suggère l’expression « libertés académiques » – se trouve au cœur même du processus scientifique et constitue la garantie la plus solide de l’exactitude et de l’objectivité des résultats scientifiques ».4 Pour être clair, les pays occidentaux mettaient en avant la liberté de pensée du chercheur quand les pays du « bloc soviétique » insistaient sur la nécessaire contribution de la science à la paix. 2) Une Recommandation mort-née « La Recommandation a été conçue pour servir de cadre général au niveau mondial, en laissant une grande latitude aux ajustements locaux. L’élaboration dans ce domaine d’une recommandation, plutôt que d’une convention, possibilité
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Recommandation de 1974 ; SHS/YES/COMEST- IBC- IGBC/14/INF.1 ; Paris, 8 juillet 2014, para.21
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également envisagée à l’époque, a été retenue, précisément en raison de la flexibilité qu’une recommandation donne aux États membres appelés à la mettre en œuvre. Chaque État membre peut appliquer les principes et les normes d’une recommandation par le biais de son système juridique et de ses pratiques institutionnelles, en tenant compte de ses traditions, de ses ressources, de son niveau de développement et de ses besoins de développement spécifiques ».5 Cette logique impliquait, bien évidemment l’absence de mécanisme de suivi. II. La révision de la Recommandation de 1974 : l’esprit de paix, un acquis dépassé par d’autres objectifs A. Un acquis La Pertinence de l’objet et de l’approche générale de la Recommandation de 1974 • Les références à la contribution de la science à la paix ne seraient pas touchées par la révision. En effet, « bien que l’élaboration d’une recommandation entièrement nouvelle portant sur l’objet de la Recommandation de 1974, ou sur une variante de celle-ci, compte tenu de l’éventail complet des préoccupations actuelles, aurait pu être envisagée, néanmoins, il a été déterminé par les organes directeurs de l’UNESCO qu’il semblerait inacceptable que des mesures prises pour réviser ou mettre à jour la Recommandation de 1974 aient pour effet de remettre en cause ou de limiter la validité ou l’applicabilité du texte existant . La révision de la Recommandation de 1974 resterait nécessairement dans les limites de son orientation générale et de sa structure »6. • D’une certaine manière, elles seraient même renforcées puisque le Comité international de bioéthique (CIB) rappelle qu’ « en cohérence avec la Recommandation de 1974, mais sans référence explicite à elle, la Déclaration de 1999 stipule que « la contribution de la science est indispensable à la cause de la 5 6
Recommandation de 1974 ; SHS/YES/COMEST- IBC- IGBC/14/INF.1 ; Paris, 8 juillet 2014, para.22 Recommandation de 1974 ; SHS/YES/COMEST- IBC- IGBC/14/INF.1 ; Paris, 8 juillet 2014, para.35
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paix et du développement, ainsi qu’à la sûreté et à la sécurité mondiales » et que la recherche scientifique doit être menée de manière cohérente avec le principe de précaution selon lequel, en l’absence de consensus scientifique, la prudence est nécessaire s’agissant des actions ou des politiques qui pourraient causer des dommages graves ou irréversibles aux populations ou à l’environnement ». « Notant le problème accru de la double utilisation potentielle des applications de la recherche scientifique résultant des progrès scientifiques de ces dernières années, (le CIB suggère que) des responsabilités particulières correspondant à ces préoccupations pourraient également être incluses dans le corps de la Recommandation de 1974, ainsi que des droits tels que ceux relatifs à la protection des dénonciateurs, reflétant l’orientation souhaitable de la science vers le bien- être de l’humanité dans son ensemble. »7 De fait, cette présentation montre que la contribution des chercheurs scientifiques à la paix prend un autre sens ou, du moins, que l’idée, en germe en 1974, que le risque pour la paix vient aussi de la science elle-même en ce que ses applications ont un double visage, dont l’un est porteur de risques pour l’humanité, est considérablement renforcée dans le cadre de la réflexion à la base du processus de révision. Ainsi, on peut lire dans l’avis du CIB que « parmi les principes éthiques énoncés dans la Déclaration de 1999 qui pourraient être mieux reflétés dans une version révisée de la Recommandation de 1974, signalons la responsabilité particulière de chercher à prévenir les applications de la science qui sont contraires à l’éthique, ont des conséquences néfastes ou ont un double usage potentiel (article 21) ; la nécessité de pratiquer et d’appliquer les sciences conformément à des prescriptions éthiques appropriées, élaborées à l’issue d’un débat public plus vaste (article 22) ; le respect et la préservation des formes de vie dans toute leur diversité, ainsi que des systèmes de maintien de la vie sur notre planète (article 23) […] » 8
7 8
Recommandation de 1974 ; SHS/YES/COMEST-IBC-IGBC/14/INF.1 ; Paris, 8 juillet 2014, para.40 Recommandation de 1974 ; SHS/YES/COMEST-IBC-IGBC/14/INF.1 ; Paris, 8 juillet 2014, para.43
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B. De nouveaux objectifs Comme le relève le Comité international de bioéthique (CIB), « le contexte géopolitique, économique et culturel actuel de la recherche est à bien des égards différent de celui pris en considération en 1974. Outre la volonté de promouvoir la paix, d’autres défis ont pris une grande importance en raison de l’accélération sans précédent du progrès technologique. Il serait peut-être souhaitable de tenir compte de ces changements et de ces défis dans la Recommandation ».9 1) Les lacunes du texte de 1974 « L’activité scientifique […] est remise en cause par le contexte social général, en particulier par la mondialisation de l’économie, qui repose sur des progrès scientifiques orientés vers les besoins des marchés qui mènent à la privatisation, à la déréglementation et à la commercialisation de la science. Ces processus influencent les politiques scientifiques et l’organisation institutionnelle de la science et donnent lieu à de nouvelles questions éthiques pour les chercheurs scientifiques. Parmi ceux-ci figurent : une dévalorisation de la recherche fondamentale ; un possible assujettissement de la science aux ordres du jour non- scientifiques (qui, tout comme la croissance économique et le bien-être humain, peuvent être irréprochables en eux -mêmes) ; une augmentation des risques de fraude ou d’inconduite scientifique, et une pression institutionnelle pour convertir les connaissances scientifiques en propriété intellectuelle. En outre, plus généralement, les questions éthiques se posent dans la relation entre la science et la société, comme en témoignent les débats houleux sur les risques associés aux technologies innovantes, qui sont évalués de manière différente et souvent incompatibles par des groupes concurrents de scientifiques et de profanes. Il devient évident que dans les circonstances actuelles, la science et la technologie peuvent être promues principalement comme un moyen de parvenir à la croissance économique, au détriment de la recherche scientifique pour améliorer la connaissance et la compréhension. Cela implique un autre mode d’organisation
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Recommandation de 1974 ; SHS/YES/COMEST-IBC-IGBC/14/INF.1 ; Paris, 8 juillet 2014, para.34
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scientifique et soumet des chercheurs de différentes catégories à d’autres types de pressions qu’on ne l’envisageait en 1974. La condition des chercheurs scientifiques, dans les pays développés et tout particulièrement dans les pays en développement, nécessite une attention particulière à cet égard ».10 - La Recommandation de 1974 pâtit, sur certains points importants, d’un langage dépassé et d’un cadre excessivement étroit qui exclut ou sous-estime des problèmes contemporains majeurs concernant notamment : • l'égalité des genres, • l’accès à l’éducation scientifique pour les personnes à faibles revenus, • le rôle important du secteur privé, • le rôle de la recherche militaire, • la mondialisation de la science et de la technologie, • les nouvelles approches de la recherche telles que l’interdisciplinarité, • la « big science », fondée sur l'organisation de groupes de recherche sous forme de consortiums, • l'impact des nouvelles technologies de l'information, • la notion de durabilité telle qu’elle ressort actuellement de la réflexion internationale sur les questions environnementales. Sur ces points, des principes généraux sont disponibles dans des documents normatifs plus récents, tels que la Déclaration sur la science et l’utilisation du savoir scientifique de 1999 et la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme de 2005.
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Recommandation de 1974 ; SHS/YES/COMEST- IBC- IGBC/14/INF.1 ; Paris, 8 juillet2014, para.26 et 27
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- Les changements dans les contextes sociaux et des cadres institutionnels : • les activités de recherche sont devenues internationalisées et plus complexes et nécessitent des investissements plus importants, en même temps qu’elles sont reconfigurées par les technologies numériques, • la privatisation des connaissances, notamment par brevet ainsi que par la non- publication de résultats de la recherche et l'accès payant aux ressources de la connaissance, limite l’accès des pays en développement aux progrès scientifiques et technologiques, • le renforcement des capacités globales de la science et de la technologie, ainsi que des politiques scientifiques de recherche et développement plus cohérentes sont nécessaires pour répondre efficacement aux besoins sociaux essentiels et contribuer à améliorer le bien-être sous toutes ses dimensions. Quelles sont donc les propositions françaises au regard de cette orientation ? 2) Les propositions françaises (en cours de rédaction et d’approbation finales)
Ces propositions reflètent des choix, des priorités, qui volontairement ne visent pas à répondre à tous les aspects qu’implique la révision de la Recommandation de 1974. Mais, elles mettent en exergue les deux visages de la place acquise par le chercheur : • celui de sa condition sociale, voire de son statut, c’est-à- dire de ses droits, • celui de sa responsabilité à l’égard des citoyens, de la société et de la communauté universelle. Au premier visage correspond la condition du chercheur à travers une série de questions clés : son indépendance de pensée et d’action à l’égard de toute forme indue d’influence , la formation aux humanités et la diffusion des résultats de la recherche mais aussi l’affirmation de la nécessité d’une action positive en faveur d’un égal accès à la culture scientifique et à la pratique de la recherche à
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tout individu, selon ses capacités, quel qu’en soit le genre, l'appartenance géographique, sociale ou culturelle. Le second visage est celui de la dimension sociétale et insiste sur la responsabilité sociale du chercheur à travers l’idée d’un serment universel tout en incitant à une recherche participative ouverte aux citoyens pour élaborer des projets de recherche mais aussi pour alerter sur les risques posés par certaines recherches. Enfin, s’adressant à l’un et l’autre vient la nécessité de renforcer par rapport au texte initial de 1974 la coopération internationale, notamment par la mise en place d’un Observatoire mondial chargé d’assister les acteurs de la recherche dans la mise en œuvre et le suivi de la Recommandation révisée. Conclusion La France et plus particulièrement la Commission nationale pour l’UNESCO sont conscientes des raisons qui justifient une adhésion pleine et entière de notre pays à la démarche de révision de la Recommandation de 1974. Cette adhésion, nous la devons, bien entendu, à la place qui est celle de notre communauté scientifique et académique et à son engagement à développer une recherche suivant ses règles propres mais aussi ouverte aux préoccupations de la société. Nous devons aussi cette prise de conscience à ce qu’est notre pays sur la scène internationale d’un point de vue politique et diplomatique, économique, social, voire militaire. Cela crée des responsabilités car si des avancées scientifiques naît un questionnement social, il appartient à l’Etat, garant du respect du contrat social et des engagements internationaux, de traduire en termes politiques les nouveaux équilibres qui permettent à nos sociétés de vivre, dans le respect des droits de l’homme, de la paix et de l’environnement, au rythme de transformations sociales accélérées. Pour en savoir plus : cf. Annexe 2 - « Propositions françaises pour la révision de la recommandation de 1974 ».
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SCIENCE ET PAIX : L’EXEMPLE DU MOUVEMENT PUGWASH ET L’ENGAGEMENT DES SCIENTIFIQUES POUR LA PAIX Jacques BORDÉ Vice-Président de Pugwash-France, Ancien Directeur de Recherche au CNRS L’exposé est partagé en deux parties. La première porte sur la genèse et la description des « Pugwash Conferences on Science and World Affairs » (Conférences Pugwash sur la Science et les Affaires Mondiales) : on y rappelle le Manifeste d’Einstein et Russell de 1955, la création du Mouvement en 1957, les principes de son action et ses succès qui lui ont valu le Prix Nobel de la Paix en 1955. La branche française de Pugwash est ensuite présentée et ses figures marquantes sont évoquées. La seconde partie est une réflexion générale sur l’interface entre la recherche scientifique et la Paix, interface qui fait partie de la responsabilité sociale des chercheurs et de l’éthique des sciences. On se limite aux chercheurs de la fonction publique qui font de la recherche fondamentale, mais on distingue parmi ceux-ci ceux qui font de la recherche de curiosité pure de ceux qui font de la recherche fondamentale finalisée. On explique pourquoi ce sont ces derniers qui doivent davantage se poser la question de leur responsabilité sociale, réfléchir aux questions éthiques soulevées par la finalité de leur recherche, notamment se demander si cette finalité contribue à augmenter les chances pour l’humanité de vivre en paix ou, au contraire, à augmenter les risques de conflits politiques, sociaux ou économiques. Les obstacles à ce questionnement et les raisons de son absence sont alors détaillées, ainsi que les mesures prises pour remédier à cette situation, par exemple la création de comités d’éthique ou la formation à l’éthique des sciences dès le cursus universitaire.
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La conclusion met l’accent sur le fait que la Paix ne sera pas obtenue par la seule augmentation des connaissances, qu’il serait illusoire de croire que le seul développement de technosciences, qui augmentent le pouvoir des hommes, amènerait la Paix entre les hommes ; il faut accompagner la recherche scientifique et technologique et le choix de ses priorités par des réflexions éthiques liées aux finalités de la recherche scientifique. Pour en savoir plus, cf. le texte complet de l’intervention de Jacques Bordé en Annexe 3.
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LA CULTURE DE LA PAIX PAR LA CULTURE DE LA SCIENCE Delia MAMON
Présidente-fondatrice de l’ONG Graines de Paix (Grandes lignes du diaporama) Tout comme la violence peut enfler par effet de masse, la culture de la paix peut l’emporter par effet de masse. Le système éducatif peut permettre d’atteindre la quasi-totalité des enfants, et donc, à terme, d’une population. Composantes d’une culture : • Des valeurs partagées • Des normes d’acceptation / attitudes et comportements • Un langage commun, des objectifs communs • Des compétences pour des réalisations qui la valorisent è cohésion et harmonie Culture d’un lieu en partage : famille, école, ville, région agricole ou urbaine… d’une communauté de pensée : religieuse, scientifique, politique… Les sciences ne seraient-elles pas porteuses de violence ? « Grâce à la technologie des armes et des transports, le 20ème siècle a découvert une barbarie que ni l'Antiquité, ni le Moyen Âge n'avait connue - la guerre contre les enfants » (Boris Cyrulnik).
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Mais comme culture, ne sont-elles pas aussi porteuses de paix ? «La même espèce qui a inventé la guerre est également capable d'inventer la paix» (Manifeste de Séville contre la violence rédigé en 1986 par des scientifiques dans le cadre de l’UNESCO). De fait, la culture de la science comprend ou implique des valeurs et des compétences proches de celles de la culture de la paix. Pour n’en citer que quelques-unes : des compétences sensibles telles qu’ouverture, dialogue, coopération, aisance interculturelle… et des compétences cognitives telles que réflexion critique, discernement, impartialité, résolution de problèmes… Il semble toutefois nécessaire d’y ajouter des compétences humanistes : bienveillance, empathie, apaisement… D’où la combinaison gagnante : une culture à la fois scientifique et humaniste pour résoudre les conflits, prévenir la violence, discerner les discours manipulatoires, protéger contre la radicalisation, trouver des solutions ensemble.
Les scientifiques comme les irénophores (ceux qui portent/apportent la paix) ont des valeurs et qualités qu’ils ignorent (encore), dont beaucoup qu’ils partagent (sans le savoir). Chaque scientifique a des compétences essentielles cognitives et sensibles pour renforcer la culture de la paix. Chaque scientifique qui enseigne a un rôle aisé à assumer, en sensibilisant les élèves à leurs doubles compétences et en apportant l’enjeu paix dans son cours, par son cours. Quelques exemples d’approches concrètes dans une classe : ● Apprendre la science en groupes de trois à quatre à les élèves apprennent à coopérer, considérer et dialoguer ; ● Résoudre un problème de deux façons différentes à tout jeunes, ils apprennent à accepter d’autres solutions que la leur ; ● Découvrir les interdépendances entre organes du corps à les jeunes saisissent la notion d’interdépendance entre eux ;
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● Observer à 4 ans comment une fleur boit de l’eau, respire, se fane et meurt à les petits prennent plaisir à observer, s’intéressent à la nature, s’ouvrent au vivant… découvrent les similarités entre plantes et mammifères. On peut faire ici le parallèle avec l’observation et l’analyse de la colère, et la recherche de solutions. En conclusion : Chaque scientifique a des compétences (cognitives et sensibles) pour renforcer la culture de la paix. Chaque scientifique qui enseigne peut… ● sensibiliser les élèves à leurs doubles compétences ; ● apporter l’enjeu de la paix dans son cours, par son cours ; ● valoriser la culture de la science dans son rôle de paix.
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LA SCIENCE, CATALYSEUR DE PAIX Jean Audouze, Astrophysicien, directeur de recherche émérite au CNRS, Président d’Honneur de la commission Nationale française pour l’UNESCO, Président de l’association « Graines de Paix – France »
La culture de la paix semble aujourd’hui plus que jamais indispensable : la situation actuelle dans le monde entier, et bien sûr dans notre pays frappé par plusieurs attentats et où l’intolérance et le communautarisme augmentent, ce qui démontre l’ardente nécessité de faire partager la vision du bien – vivre ensemble et de la citoyenneté et de lutter contre la violence et ses effets dévastateurs. Avant de montrer comment la culture de la paix peut être enseignée à l’école et donc se propager dans l’ensemble de la société en utilisant la science comme support, il convient de s’attarder un peu sur les deux concepts de paix et de science. En ce qui concerne la nature de l’espèce humaine, les biologistes, tels que Georges Chapouthier, font remarquer que celle-ci conserve tout au long de son évolution un caractère « juvénile », à l’instar d’autres espèces (telles que l’axolotl) qui demeurent à l’état larvaire tout au long de leur vie. Notre juvénilité se traduit par l’incroyable plasticité de nos cerveaux, par l’importance du jeu, de l’invention et de la capacité des individus à ne pas avoir un comportement aussi « programmé » que la plupart des membres des autres espèces animales. En bref, nous sommes des animaux sociaux qui vivent en groupes mais dont le caractère agressif est indubitable. La recherche de la paix est l’exception au regard de tous les conflits de toutes sortes qui frappent l’humanité depuis son origine. On peut également affirmer sans se tromper que la plupart de ces guerres est inspirée par les religions et le refus des uns que les autres pensent différemment. Il faut donc admettre que la propagation de la culture de la paix est un processus qui demeurera complexe, puisqu’il faut chercher à dépasser la véritable nature agressive des individus.
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Concernant la science, il faut d’abord distinguer le savoir scientifique établi que l’on doit apprendre et/ou enseigner à l’école ou à l’université, de la science qui est en train de s’accomplir dans les esprits des scientifiques et dans leurs laboratoires. Dans le savoir scientifique, il y a la plus grande partie qui est, par définition, objective et indiscutable : on ne verra pas un fil électrique traversé par un courant se refroidir ou de la glace se former en chauffant l’eau d’une casserole et l’on ne peut pas classer les araignées dans l’ordre des insectes. Mais, il faut savoir également enseigner les « domaines de validité » des théories scientifiques : on sait depuis le début du 20ème siècle grâce à Albert Einstein que la théorie de la gravité de Newton qui gouverne la mécanique des corps ayant une vitesse « ordinaire », faible par rapport à celle de la lumière (300 000 km/sec.) devient alors caduque lorsque cette condition de « lenteur » n’est plus remplie. L’enseignement de la science, même à l’école ou au collège, doit donc tenir compte des différents statuts du savoir scientifique : celui qui est vérifiable en toutes circonstances ;
celui qui s’applique dans certaines conditions (les théories de la relativité vis-à-vis de la mécanique « classique » newtonienne – la mécanique quantique qui gouverne le microcosme vis-à-vis de la physique classique déterministe « ordinaire » ;
enfin, celui qui est en train de se construire dans les laboratoires de recherche où on observe, expérimente et calcule. Le chercheur essaye de formuler des hypothèses, de bâtir des modèles qui « caricaturent » la réalité mais qui permettent de les tester plus facilement. Le chercheur est guidé par l’affirmation de Karl Popper, selon lequel est scientifique, toute affirmation « falsifiable ». Il est également « nominaliste11 » puisqu’il cherche des explications simples à des phénomènes apparemment compliqués. Par ailleurs, la tendance générale des 11
Le nominalisme est un courant philosophique promu, en particulier, par Guillaume d’Ockham qui vécut en Angleterre puis en Allemagne à la fin du 13ème et au début du 14ème siècle. Il conçut ce qui est connu sous le nom de « rasoir d’Ockham » qui stipule que si plusieurs théories sont en mesure d’expliquer un phénomène donné, il convient de donner la préférence à celle qui est la plus économe en paramètres « libres ».
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scientifiques qui s’intéressent aux mathématiques et aux sciences de la nature est de chercher à les « unifier » : par exemple, l’émission de la lumière, l’électricité et le magnétisme procèdent de la même physique décrite par les équations de Maxwell ; dans la théorie de la relativité générale, les forces sont équivalentes à la courbure de l’espace ; les mêmes acides nucléiques opèrent dans l’ensemble du vivant et la géométrie en spirale des protéines est très voisine de celles de l’ADN et de l’ARN. Le professeur ou l’animateur qui aura à enseigner la science ou la diffuser dans le public devra faire en sorte que ces différentes caractéristiques de la science soient bien comprises par leurs élèves ou leurs audiences. Avant d’évoquer quelques pistes visant à utiliser la science pour catalyser la paix, je suis obligé de rappeler que la science a très souvent servi les activités belliqueuses des hommes et qu’elle s’est souvent développée à partir de demandes présentées pour des raisons « militaires ». Le bombardement des villes d’Hiroshima et de Nagasaki par la bombe « A » américaine est directement lié aux travaux de recherche du Projet « Manhattan » auxquels plusieurs physiciens de grand talent, Robert Oppenheimer et quelques autres ont apporté leur concours ; les Observatoires Astronomiques de Paris et de Greenwich ont été fondés au 17ème siècle pour fournir des cartes géographiques fiables aux marines de guerre française et anglaise ; le développement des radars pendant la 2nde guerre mondiale a permis l’essor de la radioastronomie dès la fin des années 1940. Enfin, plus près de nous, une classe importante d’objets astronomiques dits les « sursauts gamma » a été découverte dès que les données, provenant de satellites militaires ayant pour objectif la surveillance des essais nucléaires, ont été déclassifiées. Comme je vais le développer un peu plus loin, et comme ce sera exposé de façon détaillée par Madame Delia Mamon immédiatement après mon intervention, la science peut catalyser la paix à condition d’être enseignée ou diffusée dans le monde scolaire ou auprès du public de telle façon que ceux à qui on s’adresse éprouvent du plaisir à la satisfaction de leur légitime curiosité. Je me tiens à la disposition de Monsieur l’Inspecteur Général Dominique Obert qui s’est exprimé avant moi pour échanger quant à l’amélioration nécessaire de la façon dont les sciences physiques sont enseignées au niveau du Collège et du Lycée. J’émettrai ici un seul souhait à savoir que dans l’enseignement des sciences de la nature, on utilise davantage l’histoire de ces disciplines et la référence aux
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« origines » - origine de l’Univers, de la Terre et du Système Solaire, de la Vie, de la matière, de l’énergie, de la lumière…. - quand on vise à construire des programmes attrayants. Par ailleurs, les enfants ne rechignent pas devant les concepts complexes, voire difficiles, pourvu qu’on prenne le soin de les expliquer clairement. Les raisons qui font que la science peut être un catalyseur de paix efficace tient, de fait, à sa nature et à la façon dont l’enseignement des sciences et la recherche doivent opérer. Concernant sa nature même, il s’agit de construire ou de diffuser un discours « objectif » sur les phénomènes naturels et ceux qui affectent l’Homme et ses sociétés. Dans une équipe de recherche, l’étudiant peut avoir raison vis-à-vis de son directeur de thèse ou de sa hiérarchie s’il a mieux compris une question, un sujet ou un processus. Par ailleurs, et c’est de plus en plus vrai lorsque l’on utilise des équipements performants mais coûteux, il faut apprendre à collaborer dans des équipes souvent nombreuses numériquement. Citons à ce propos le projet de physique nucléaire SESAME mis en place en Jordanie par l’UNESCO : autour de ce dernier, des chercheurs arabes, israéliens et palestiniens coopèrent dans un climat de paix dont l’on souhaiterait qu’il inspire davantage le monde politique. La science progresse par un jeu subtil entre l’émulation nécessaire et la coopération. En ce qui me concerne, mes meilleurs amis sont quelques astrophysiciens américains avec lesquels j’ai coopéré (mais aussi été en compétition) au début des années 1970 quand j’étais chercheur post – doctoral en Californie. Venons-en au rôle catalytique de la science dans les petites classes – Madame Delia Mamon développera les façons de l’utiliser, préconisées par l’ONG internationale « Graines de Paix » qu’elle préside. J’ai été invité par le Professeur André Klarsfeld pour faire état devant cette audience de l’existence de l’association « Graines de Paix – France » qui a vocation à diffuser les méthodes mises au point par l’ONG sur l’ensemble du système éducatif et du territoire français. Bien avant cette initiative qui a maintenant plus de dix ans d’existence, il convient de rappeler la magnifique initiative appelée « Hands on » des années 1980 - 1990 du Professeur Léon Lederman, lauréat Nobel, qui contribua à « socialiser » les jeunes écoliers venant des ghettos noirs autour de Chicago par l’organisation d’expériences et de projets scientifiques adaptés dans leurs salles de classe. Georges Charpak qui fut l’un des grands physiciens de l’ESPCI qui nous réunit,
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importa en France ce dispositif qui est devenu en France sous l’égide de l’Académie des Sciences (Pierre Léna, Yves Quéré et quelques autres) « La Main à la Pâte » (Fondation La main à la pâte). Le principe en est simple : les enfants travaillent en équipe autour de projets scientifiques simples et, bien sûr, avec l’aide de leurs enseignants. Ils ne se contentent pas de mener leurs expériences ou leurs observations, ils doivent ensuite rédiger leur rapport et le présenter à leurs camarades. Ce mode éducatif qui part de la curiosité naturelle des enfants et qui mobilise toutes leurs facultés d’expérimentation, de conception et de présentation donne des résultats tout à fait remarquables. L’intervention suivante en dira un peu plus sur les méthodes et procédures proposées par « Graines de Paix » pour développer la paix, la non-violence, le bien- vivre ensemble et la démocratie dans les classes élémentaires. Je me bornerai ici à quelques remarques plus ou moins introductives. La première est que les enfants du primaire sont naturellement très curieux et il est relativement aisé pour un enseignant un tant soit peu motivé et enthousiaste de répondre à cette curiosité et de l’encourager. Qu’il me soit permis d’évoquer un exemple personnel : j’éprouve un énorme plaisir à intervenir dans ces classes à la demande de leurs enseignants intéressés pour leur parler de tel ou tel aspect du ciel et de l’espace. Les auditoires sont captivés et posent leurs questions dans le calme. Les enseignants me disent après coup que les plus turbulents de leurs élèves se comportent alors de façon tout à fait calme. Mon regretté ami, le Professeur André Brahic, avait coutume de dire que pour régler le problème des banlieues, la venue des astronomes est bien préférable à celle des CRS. La seconde remarque est liée à ce qu’on apprend de « La Main à la pâte » : pour mener un projet scientifique, il est bon de constituer des équipes rassemblant des talents divers qui apprennent à coopérer, à dialoguer et à discuter. La science rassemble et favorise des initiatives collectives. La troisième remarque tient au fait que lorsque l’enfant a compris une notion scientifique ou a participé à un projet réussi, il acquiert facilement l’estime de soi
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et des autres qui sont, pour moi, un élément important favorisant l’instauration de la paix dans une classe ou dans un groupe d’enfants. La quatrième et dernière remarque concerne les actions proprement dites de « Graines de Paix » et de « Graines de Paix – France » qui se concentrent sur les enseignants, qui auront la charge d’utiliser la science ou d’autres domaines pour introduire la paix dans leurs classes en cherchant à leur faire acquérir de bons réflexes et des pratiques efficaces. La science n’est, bien entendu, pas la seule matière favorable à la dissémination des graines de paix dans les classes élémentaires : les disciplines artistiques (musique, théâtre…) et les activités sportives partagent avec celle-ci, une certaine exigence dans le comportement en groupe, la valorisation de l’effort intellectuel ou physique et la joie qu’elles procurent quand l’enfant seul ou mieux en groupe « réussit ». Comme vous l’avez bien compris, avec ceux qui voudront bien travailler avec moi pour faire de « Graines de Paix – France » un projet concret qui obtient des résultats, nous ne nous priverons pas de cette formidable ressource que constituent la science et sa pratique.
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LA SCIENCE, ENTRE VALEURS ET NARCISSISME : LE TÉMOIGNAGE PERSONNEL ET LES PROPOSITIONS D'UN BIOLOGISTE
Bruno LEMAITRE
Professeur à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, Auteur de « An Essay on Narcissism and Science » Les scientifiques sont souvent considérés comme des individus méticuleux et impartiaux exclusivement dédiés à leurs travaux et à la recherche de la vérité scientifique. Mais une analyse plus poussée montre que nombre d’entre eux sont extrêmement égocentriques et sensibles aux privilèges. Égocentrisme, élitisme, occupation stratégique des média et stratégies de mise en valeur personnelle sont parmi les premières caractéristiques qui frappent le nouveau venu dans le milieu académique. Ma conférence analyse l’influence du narcissisme, un trait de personnalité humaine très important, dans le monde de la science. Le narcissisme est une personnalité associée à la recherche de situation de pouvoir et de visibilité. Un aspect positif du narcissisme en science est que la passion et la motivation du chercheur pourraient être amplifiées par le désir de succès, notamment en cas de reconnaissance publique. En effet, les études suggèrent que les narcissiques sont galvanisés quand ils sont sous les projecteurs du public. De nombreuses études montrent que les individus narcissiques sont plus convaincants dans les interactions courtes. Ainsi les scientifiques avec un gros ego sont plus aptes à convaincre les autres de l’importance de leur recherche utilisant par exemple un langage accrocheur ou les mots-clés du moment. Ceci établit un lien entre le moi surdimensionné du scientifique et l’importance de ses recherches. Ainsi, deux composantes devraient être prises en compte en évaluant un scientifique :
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la composante scientifique (expertise, rigueur, compétences) ; la composante narcissique (éléments tacites et explicites qui augmentent la visibilité de ce chercheur comme la posture de dominance, le réseau, le style séducteur…). L’influence du degré de narcissisme sur la persuasion est plus forte envers les outsiders12 qui ne peuvent percevoir le bluff de la réalité, notamment les politiques et les journalistes, qui eux-mêmes cherchent l’attention. Le « besoin de situation de pouvoir » risque aussi de biaiser le jugement d’un scientifique narcissique. Un scientifique narcissique a une meilleure capacité à s’approprier les travaux des autres ou à apparaître comme le principal protagoniste d’un travail collectif. Attirant l’attention sur lui, il a plus de chance d’être retenu comme figure légendaire dans l’histoire. Les narcissiques utilisent les autres pour monter dans la hiérarchie (« amitiés utiles ») et soutiennent les scientifiques qui leur apportent un bénéfice personnel. Leur excellente capacité de réseautage leur confère un avantage certain pour exploiter les différentes ficelles du système de la recherche. Il peut arriver que des scientifiques au gros ego distordent inconsciemment la réalité de manière à maintenir une illusion positive sur eux- mêmes, ce qui aboutit à des pratiques douteuses, à l’interprétation exagérée voire dans le pire des cas au « bidouillage » de leurs résultats. La personnalité narcissique a été associée aux comportements non-éthiques et à une baisse d’actions citoyennes dans le monde de l’entreprise et en science. Je discute également des origines psychologiques et sociobiologiques du narcissisme, en présentant les liens possibles entre narcissisme, dominance et stratégie amoureuse brève, et en soulignant le lien entre dominance et visibilité. Celui-ci permet de comprendre pourquoi les narcissiques recherchent l’attention. Certaines études suggèrent une augmentation récente du niveau de narcissisme dans nos sociétés occidentales. Bien que cette notion soit disputée, elle offre un prisme intéressant pour analyser le côté sombre de nos sociétés comme la montée des inégalités et de l’individualisme, le retour des politiciens populistes, la corruption des élites, ou encore l'importance donnée à l’apparence physique. Une montée du narcissisme ne déstabilise pas seulement la société mais également les pratiques scientifiques avec une priorité donnée à la visibilité et au court terme, au détriment de travaux rigoureux qui exigent un temps long. 12
Litt. « celui qui est dehors » ; terme qui renvoie à « un concurrent dont les chances de remporter une compétition sont réduites, mais non négligeables (par opposition à favori) (Larousse)
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Notre analyse enracine l’activité scientifique dans les interactions tacites associées aux hiérarchies et à la dominance sociale. Comme le narcissisme est influencé par la société et le style parental, cela souligne que le bon fonctionnement d’une communauté scientifique a besoin d’un substratum plus large de valeurs et que la science ne peut exister comme un îlot en dehors de la société. Nous rejoignons les intuitions du philosophe Michael Polanyi, pour qui la science ne peut exister en absence d’une société qui cultive des valeurs telles que justice, ou sens de la vérité. Cet exposé présente une vision alternative du milieu scientifique en analysant la personnalité narcissique, très répandue parmi l’élite scientifique, mais rarement mise en exergue. * Bruno Lemaitre, « An Essay on Science and Narcissism: How do high-ego personalities drive
research in life sciences? » ; avril 2016 ; Disponible sur brunolemaitre.ch, Librairie Eyrolles, Amazon, Kindle.
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ANNEXES : ANNEXE 1 : Texte de l’Inspection Générale de Physique-Chimie sur lequel s’est appuyée l’intervention de Dominique Obert ANNEXE 2 : Complément à la présentation de Christian Byk ANNEXE 3 : Intégralité de la présentation de Jacques Bordé
ANNEXE 4 : Réflexions préparatoires à l’atelier « Éducation »
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ANNEXE 1 : Texte de l’Inspection Générale de Physique-Chimie sur lequel s’est apppuyée l’intervention de Dominique Obert, Inspecteur général de l’Éducation Nationale, Doyen du groupe Physique-Chimie
VALEURS DE LA RÉPUBLIQUE – GROUPE PHYSIQUE-CHIMIE Les sciences expérimentales - notamment la physique-chimie - au travers de leur enseignement, sont un domaine privilégié au sein duquel l’enseignant et les élèves ont la possibilité d’interpeller les valeurs de la République. Après une rapide présentation des valeurs de la République en lien avec les sciences expérimentales, la présente contribution se propose de mettre l’accent sur deux aspects qui se nourrissent mutuellement : le périmètre des sciences – ce qui inclut les valeurs portées par les sciences et la méthodologie de la démarche scientifique – et l’enseignement des sciences à l’école. Ces deux points seront abordés sous l’éclairage de la laïcité et des valeurs de la République. Nous désignerons par la suite par « sciences » les sciences physiques et chimiques.
1. Les valeurs de la République Les valeurs de la République interpellent en sciences plus particulièrement croyances et formation du citoyen. Valeurs de la République et croyances
Ces valeurs sont explicitées par les mots « liberté, égalité et fraternité » régulièrement associés aux qualificatifs « laïque, démocratique et sociale ». Dans son article premier, la constitution s’ouvre sur la laïcité et évoque le principe du respect des croyances de chacun : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les
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citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances.» ……………………………………………………............ Cette référence aux croyances est invitée fréquemment dans les programmes de physique-chimie. Dans les préambules des programmes du lycée on peut relever des affirmations comme : « la connaissance objective et rationnelle doit être distinguée de l’opinion et de la croyance13 », ou bien « Contrairement à la pensée dogmatique, la science n'est pas faite de vérités révélées intangibles, mais de questionnements, de recherches et de réponses qui évoluent et s’enrichissent avec le temps14. ». Dans le texte15 du socle commun de connaissances, de compétences et de culture, la même idée est développée à propos du domaine 4 – les systèmes naturels et les systèmes techniques. Il y est mentionné : « La démarche scientifique a pour objectif d’expliquer l’Univers, d’en comprendre les évolutions, selon une approche rationnelle distinguant faits et hypothèses vérifiables d’une part, opinions et croyances d’autre part. »………………………………………………….. Valeurs de la République et formation du citoyen
La vertu éducative de la pratique des sciences expérimentales n’est plus à démontrer, l’initiation aux sciences expérimentales participe pleinement de la formation du citoyen : l’élève, futur citoyen, apprend à formuler des hypothèses, à construire un raisonnement, à valider ou réfuter une hypothèse en appréhendant le rôle clé du fait, de l’observation, de l’expérience et de sa reproductibilité. L’enseignement des sciences participe également du « vivre ensemble » au travers de « l’estime de soi et des autres », du « travailler ensemble, en équipe », de la coopération, de la compréhension et du respect de la règle, par exemple celle liée à la sécurité, et de l’éducation au développement durable.…………………….
2. Le périmètre de la science
Un contrat méthodologique clair
Les scientifiques ont pour objectif de construire des modèles qui rendent compte de manière rationnelle de ce que nous observons du monde réel, en recourant le plus souvent au langage des mathématiques ; ces modèles sont validés par des 13
Préambule du programme de physique-chimie de la classe de terminale S Préambule des programmes de physique-chimie des classes de seconde générale et premières S et L-ES 15 Journal officiel de la République française N° 78 du 2 avril 2015 14
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expériences reproductibles. La validation des connaissances se fait de manière indépendante par différents scientifiques et ceci à l'échelle internationale ; les options métaphysiques de ces scientifiques n'entrent pas en ligne de compte dans cette phase de validation, cet espace est donc par nature laïc. L’histoire récente de l’expérience des « neutrinos supraluminiques » est exemplaire d’une communauté scientifique qui doute, partage, échange, critique et met à l’épreuve les résultats de ses expériences. Des résultats questionnables La question de la reproductibilité des expériences est donc centrale et repose, selon Guillaume Lecointre16, sur quatre piliers : - un scepticisme initial concernant les faits : on expérimente parce que l'on se pose des questions et non pas pour prouver quelque chose dont on est certain a priori. Une vigilance par rapport aux influences mercantiles, idéologiques ou religieuses est donc de mise. Une expérience peut conduire à un résultat inattendu, dans ce cas cette surprise doit, elle aussi, être mise à l'épreuve ; - la possibilité de questionner le monde réel : on suppose que celui-ci est questionnable et se manifeste de la même manière à tous les observateurs. Si l'on fait une expérience, c'est avec l'espoir que cette expérience puisse être refaite en un autre lieu par un autre expérimentateur et donne les mêmes résultats. En ce sens, la science vise une portée universelle ; - la rationalité des méthodes de la science : elles respectent les lois de la logique et un « principe de parcimonie » : il s’agit de construire des théories les plus économiques en hypothèses, soulignons ici que cette parcimonie est une propriété de la théorie et non du système réel étudié ; - un matérialisme méthodologique : tout ce qui est accessible dans le monde réel est matériel ou d'origine matérielle et peut être expliqué par une cause matérielle. La science tire sa spécificité de la propriété qu’elle possède d’être remise en cause : cette mise à l’épreuve permanente est indispensable, elle fonde la légitimité de la 16
Guillaume Lecointre est professeur au Muséum Nationale d’Histoire Naturelle
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démarche scientifique et la différentie de la « croyance » qui n’a pas besoin d’être justifiée. Une évolution perpétuelle Les modèles scientifiques sont construits autour d’idées fortes, de colonnes vertébrales – les paradigmes – que les scientifiques essaient de conserver aussi longtemps que possible quitte à les modifier pour les adapter aux faits ou aux expériences apparaissant comme des anomalies. La situation devient critique lorsque ces ajustements deviennent impossibles ; il convient alors de changer de paradigmes17, ce qui est caractéristique des « révolutions scientifiques ». La science est donc en perpétuelle évolution. On peut citer l’avènement au début du XXème siècle de la théorie de la relativité restreinte et «l’ajustement» du modèle planétaire de l’atome – le modèle de Bohr – prémisse de la physique quantique. Des usages des découvertes scientifiques Les scientifiques ont le devoir de s’intéresser aux conditions de leurs expérimentations et aux conséquences potentielles de leurs découvertes – le domaine des applications. Leurs réflexions doivent être partagées par tous, la science est le lieu où l’éthique est interrogée, le périmètre de la science est donc complexe. La lettre d’Einstein18 datée de 1939 et adressée au président Franklin Roosevelt (lettre dans laquelle il demande notamment que les Etats-Unis s’engagent dans un travail expérimental sur les réactions en chaîne) est exemplaire d’un lent processus qui, partant d’une découverte fondamentale – l’équivalence masse - énergie –, conduit à la confection d’armes atomiques aux effets les plus dévastateurs. Einstein a regretté ensuite avoir signé cette lettre ; une autre a suivi en 1945 marquant son engagement résolument pacifiste. Pour autant les usages parfois peu éthiques et dangereux pour l’homme et l’environnement ou la négligence dans les usages ne doivent pas être imputés uniquement à la science et/ou aux scientifiques ; ils sont aussi le fruit de décisions politiques ou économiques. 17
Dans son ouvrage sur la structure des révolutions scientifiques, Thomas Kuhn introduit le concept de paradigmes en sciences qui sont « des découvertes scientifiques universellement reconnues qui, pour un temps fournissent à une communauté de chercheurs des problèmes types et des solutions. » 18 On peut trouver la traduction de cette lettre sur Wikipédia
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3. L’enseignement des sciences
Le paragraphe ci-dessous permet de tisser les premiers liens entre le fonctionnement de la science et l’enseignement de celle-ci à l’École. Il est très largement inspiré de l’ouvrage d’Yves Quéré (« la science institutrice »7), et s’articule autour des vertus suivantes portées par la science.
Le respect des vérités
La prétention de détenir la vérité « appartient désormais à des domaines que l’on peut juger soit intolérables soit ridicules19» mais il ne faut pas tomber dans l'excès inverse du subjectivisme. La science montre qu'il existe des vérités : « la température n'évolue pas lorsque l’eau bout, malgré la chaleur que le réchaud continue de lui fournir. La pierre lâchée ne remonte pas vers le ciel, elle tombe […] Ainsi va la science, en ses affirmations tranquilles et indéniables7. »
La vertu de modestie
La démarche expérimentale confère à la science et au scientifique qui la pratique une vertu de profonde modestie. L'homme de sciences est celui qui se met à l'écoute, à l'observation de la nature et traduit fidèlement sans ajout personnel ce qu'il a perçu d'elle : « Elle [la science] devrait être pour l'enfant école de la modestie, c'est-à-dire de respect devant les faits, de confrontation permanente entre sa propre pensée et ceux-ci, de refus des idées toutes faites7. ». Le sens de la justesse
La pratique de la démarche scientifique forme à la justesse du raisonnement et à la rigueur d'esprit que ce soit sur le plan théorique en prenant appui sur les mathématiques ou que ce soit au niveau expérimental : « Il n’est pas vrai que cette plaque de métal, dans la salle de classe, soit plus froide que cette planche de bois, même si le toucher m’invite à croire le contraire.7 ». La science donne à l'enfant un esprit rigoureux si elle lui apprend la vérification. L’importance de l’imagination
Si la fin du XIXème siècle était en mesure de laisser croire à certains que tout ce qui pouvait être découvert l’avait été, les XXème et XXIème siècles ont montré que de 19
Editions Odile Jacob
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nouvelles découvertes ouvraient d’immenses champs de recherche encore non explorés qui posaient à leur tour d’autres questions. Pour répondre à ces interrogations, l’imagination, la créativité sont nécessaires et la rigueur dans la vérification est indispensable. L'esprit de liberté
C'est bien parce qu'un cadre20 méthodologique est accepté par l'ensemble des scientifiques que la liberté peut s'exprimer. Tout chercheur peut sortir des sentiers battus, aller à l'encontre des idées reçues s'il accepte que ses idées et résultats soient soumis à la communauté scientifique. La maîtrise du langage
Avant toute chose, la science s'applique à nommer, à définir et parfois à inventer les mots nécessaires et acceptés par tous, à composer des phrases justes et à rechercher le langage adapté pour décrire la réalité objectivement avec le plus de précision possible.
L’ensemble de ces « vertus » met clairement en avant toute la richesse des qualités qui peuvent être développées chez les élèves par une pratique authentique de la démarche scientifique. Celle-ci peut contribuer à construire un parcours de formation de l’élève aux valeurs de la République. 4. L’enseignement des sciences et le partage des valeurs de la République Dans les compétences communes à tous les professeurs et personnels d’éducation21 et sur le thème du partage des valeurs de la République, l’aptitude à « aider les élèves à développer leur esprit critique, à distinguer les savoirs des opinions ou des croyances, à savoir argumenter et à respecter la pensée des autres » est citée. L’enseignement des sciences expérimentales contribue de manière évidente à développer cette compétence chez les élèves. Le texte du socle commun de connaissances, de compétences et de culture y fait référence, en ce qui concerne la démarche scientifique, comme cela a déjà été mentionné. 20
Ce cadre méthodologique est explicité au paragraphe 2 Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l'éducation arrêté du 1-7-2013 - J.O. du 18-7-2013 21
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Plus généralement, et les paragraphes suivants le montrent, la formation d’un citoyen libre et éclairé peut être garantie par plusieurs caractéristiques essentielles de l’enseignement des sciences : - une explicitation de la manière dont la science « fonctionne » et un apprentissage du champ couvert par celle-ci permettant in fine à l’élève d’identifier une question de science22, c'est-à-dire une question à laquelle la science peut répondre ; - une pratique réflexive de la démarche scientifique excluant tout dogmatisme et permettant de renforcer l’idée que « l’école est le lieu de construction de la connaissance et pas celui de la transmission de la croyance23 » ; - une approche de la notion de controverse scientifique au travers de l’étude de l’histoire des sciences ; - des situations pédagogiques amenant les élèves à débattre en sciences, à échanger des idées, à écouter et à respecter les idées des autres. Aborder les questions à propos de la science Dans l’évaluation de la culture scientifique conduite par PISA24, les thèmes suivants font l’objet d’une attention spécifique : - l’identification des questions auxquelles la science peut apporter une réponse ; - la compréhension des éléments caractéristiques de la science en tant que forme de recherche et de connaissance humaine ; - la conscience du rôle de la science et de la technologie dans la constitution de notre environnement matériel, intellectuel et culturel ; - la volonté de s’engager en qualité de citoyen éclairé à propos de problèmes à caractère scientifique ou touchant à des notions relatives à la science. Même si la France obtient sur ces thèmes des résultats situés dans la moyenne des pays de l’OCDE, ces quatre thèmes mériteraient d’être davantage développés dans 22
Par exemple la question « Faut-il fermer toutes les centrales nucléaires de France ? » n’est pas une question scientifique même si elle interpelle forcément des éléments empruntés aux sciences. Elle est par contre socialement vive et touche des valeurs politiques, voire éthiques. 23 Florence Robine, Dominique Rojat, Enseignement et vérité en sciences ; la question de la vérité en sciences expérimentales, CRDP de Bourgogne, 2006 24 Note d’information 07-42 de la depp : « Les élèves de 15 ans : premiers résultats de l’évaluation internationale PISA 2006 en culture scientifique »
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l’enseignement de la physique-chimie. Il s’agit de mieux expliciter aux élèves le périmètre des sciences et la manière dont les connaissances scientifiques se construisent et donc de les former à exercer leur esprit critique à propos des publications ou des discours médiatiques, à traquer la « magie du nombre » et la « parodie du raisonnement scientifique », à ne pas dire que « tout se vaut » et que la science est une « croyance comme une autre», mais à bien identifier le contrat méthodologique qui prévaut dans une démarche scientifique. Expliciter la démarche scientifique Soulignons tout d’abord que la pratique de la démarche scientifique dans un cadre scolaire – dans la classe, en travaux pratiques – contribue indubitablement à sensibiliser l’élève à la manière dont la science «fonctionne» mais le contexte scolaire de l’apprentissage – l’expérience de cours, le dispositif expérimental spécifiquement dédié à la vérification d’une loi – induit parfois des biais qui interfèrent avec un message initial d’universalité et peut conduire parfois à un dogmatisme implicite. Les sciences sont parfois perçues comme un système fermé avec ses lois intangibles : cette perception d’une science qui serait dogmatique peut être renforcée par son enseignement si le professeur n'y prend pas garde. C'est pourquoi un enseignement explicite de la démarche scientifique est indispensable. Cette explicitation permet de construire des repères pour penser et pour raisonner, qui peuvent ensuite être transférés dans d’autres contextes. Si, sur le plan scientifique, l'expérience vise à faire émerger des lois empiriques et à confronter des modèles théoriques à la réalité des observations, elle a, dans le cadre scolaire, pour objectif de permettre à l'élève de confronter ses représentations initiales à la réalité du monde telle qu’elle se manifeste au travers de l’expérimentation. L'expérience n'est donc pas une simple illustration des sciences, elle est au cœur même de la démarche scientifique et la même rigueur, dans sa mise en œuvre et son analyse, est attendue que lors d'une démonstration théorique. C'est un point essentiel pour que les sciences ne soient pas perçues comme dogmatiques, arbitraires, subjectives ou révélées. Il n'y a pas d'expériences qui « marchent » ou qui « ne marchent pas ». L'expérience répond toujours aux conditions fixées par Journée TRACES 2016 - LA SCIENCE, MÉDIATRICE DE PAIX?
l'expérimentateur. L'analyse d'une expérience ou d'une observation doit être travaillée avec les élèves. L'approche expérimentale forme les élèves à la rigueur, celle-ci permet de mettre en œuvre des processus de vérification ou de remise en cause d'une assertion. Débattre, respecter, coopérer
Si l’enseignement des sciences partage avec les autres disciplines des objectifs de formation au débat argumenté, dans l’écoute et le respect de l’autre, ainsi qu’au travail collaboratif, il est sans doute important de souligner sa contribution particulière, de l’école primaire aux formations post-baccalauréat. L’enseignement des sciences contribue en effet à former les élèves pour qu’ils deviennent des citoyens éclairés, non seulement au travers des thématiques sociétales abordées (on peut citer par exemple l’énergie, l’environnement, la santé), mais aussi par les modalités pédagogiques mobilisées comme l’exploitation individuelle ou collective de documents issus de productions scientifiques ou non, des rencontres et échanges avec des scientifiques issus du monde de la recherche ou de l’industrie et donnant lieu à des mises en perspective avec les connaissances acquises et des informations disponibles dans les médias, Internet y compris. Par ailleurs la formation scientifique s’appuie, dès le plus jeune âge, sur la mise en œuvre de la démarche d’investigation, très souvent menée en groupe et donnant lieu à des pratiques d’échange, de collaboration et de débats entre pairs, à la fois dans les phases d’appropriation, d’analyse et de réalisation. Selon le niveau scolaire concerné, ces démarches, qui encouragent initiative et créativité et responsabilité partagée, conduisent à des productions d’objets, à des productions écrites ou orales qui constituent autant de réussites issues de travaux d’équipe dont l’aboutissement repose sur un partage de compétences autant qu’il permet l’enrichissement de chacun de ses membres. Se référer à l’histoire des sciences
La présentation d’éléments empruntés à l’histoire ou à l’actualité des sciences, avec un accent mis sur quelques controverses célèbres (Galilée, Copernic, etc.) permet d’illustrer la manière dont la science procède et comment, depuis quatre siècles, il y a eu séparation entre le « croire » et le « savoir », « croyances » et « sciences » ne relevant pas du même domaine de la pensée, même si des
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interférences existent. L’école est bien, quant à elle, le lieu de l’enseignement des « sciences », de la construction des connaissances mais pas celui de la transmission des croyances. Un autre aspect de l’histoire des sciences est de montrer le rôle essentiel qu’ont joué les interactions entre sciences et applications dans leur développement. Soulignons à la fois l’extrême importance de la circulation des idées dans les progrès de la connaissance en science qui explique pourquoi la physique s’est développée en Eurasie durant ces derniers millénaires et la contribution25 essentielle, parfois insuffisamment mise en avant à l’École, des civilisations arabes, indiennes et chinoises. Une approche moins centrée sur l’Europe serait assurément en mesure de renforcer le caractère universel de la science ; 5. Bibliographie
Sur Sciences et laïcité
- Pour une pédagogie de la laïcité – Abdenour Bidar – La documentation française - Enseigner le périmètre des sciences : un enjeu laïque et démocratique – Guillaume Lecointre - Référence à préciser - texte diffusé par IGEN - Texte de Jean-Paul Delahaye : http://www.laicite-republique.org/jean-paul- delahayelaicite.html - Le réveil de l’obscurantisme – Véronique Le Ru – La recherche – Avril 2015
Sur les sciences, l’épistémologie et l’histoire des sciences - La science institutrice – Yves Quéré – Editions Odile Jacob - Regards sur la matière – Bernard d’Espagnat et Etienne Klein – Fayard - Qu’est-ce que la science ? - Alan F.Chalmers – Livre de Poche- - Introduction à l’épistémologie - Léna Soler – Ellipses - Epistémologie et histoire des sciences – direction Solange Gonzalez- Vuibert CNED - La Structure des révolutions scientifiques – Thomas Kuhn – Flammarion - L’évolution des idées en physique – Einstein et Infeld – Flammarion - Naissance de la physique, de la Sicile à la Chine – Michel Soutif – EDP Sciences - L’âge d’or des sciences arabes - Ahmed Jebbar – Le pommier
Sur l’enseignement des sciences
- Enseigner l’expérimental en classe – Gérard de Vecchi – Hachette Education 25
On pourra se référer à l’ouvrage de Michel Soutif - Naissance de la physique, de la Sicile à la Chine – EDP Sciences
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ANNEXE 2 : Complément à la présentation de Christian Byk Secrétaire Général pour l’association Droit éthique et science, Commission française pour l’Unesco, Vice- Président du Comité intergouvernemental de bioéthique
LA RÉVISION DE LA RECOMMANDATION DE 1974 CONCERNANT LA CONDITION DES CHERCHEURS SCIENTIFIQUES Propositions françaises (à la date du colloque)
« La Conférence générale, Rappelant que le chercheur scientifique bénéficie de droits égaux à ceux de tout citoyen et que, de surcroît, il lui incombe, au regard de la place prépondérante acquise par la science dans le développement des sociétés humaines, une responsabilité sociale singulière ; Considérant que le moyen le plus juste et le plus pertinent pour encourager le chercheur à partager son savoir pour le bienfait de l'humanité et de la biosphère est de reconnaître sa contribution à hauteur des défis globaux à la compréhension desquels il participe ; Déclare que la présente Recommandation est un instrument vivant au service de cet objectif et, afin d'en renforcer les capacités, propose de lui apporter les amendements suivants : I. TITRE RECOMMANDATION sur la CONDITION et la RESPONSABILITÉ SOCIALE du CHERCHEUR II. ENJEUX de RESPONSABILITÉ SOCIALE
Prenant en compte le contexte dans lequel se développe la science, demande tant aux États membres qu'à la communauté scientifique et à ses institutions d'élaborer Journée TRACES 2016 - LA SCIENCE, MÉDIATRICE DE PAIX?
des stratégies globales, incluant la dimension éthique, face aux grands enjeux tels qu'identifiés par l'Agenda mondial 2030 ; Reconnaissant l'apport conjoint des institutions publiques comme des organismes et entreprises privées, qui se dédient, par la voie de la recherche, au développement des sciences et des techniques, les incite à élaborer en commun des projets et à rechercher des résultats, notamment dans les domaines de priorité fixés par les programmes de l'UNESCO ; Encourage, à cette fin, les acteurs et opérateurs de la recherche à intégrer à cette œuvre l'ensemble des disciplines pertinentes, qu'elles appartiennent tant au domaine des sciences exactes et naturelles qu'à celui des sciences sociales et humaines ; Soucieuse de permettre aux générations présentes et futures de disposer de l' état le plus complet des connaissances scientifiques, invite les États membres à mettre en place des modalités de préservation et d'accès aux documents de recherche non publiés, notamment en prenant en compte la Recommandation concernant la préservation et l'accessibilité du patrimoine documentaire à l'ère du numérique ; Affirmant l'importance de l'impératif d'intégrité comme garant de la crédibilité morale de la recherche et de la confiance que lui porte la société, Invite chaque chercheur à proclamer son attachement aux valeurs de liberté, d'indépendance, d’éthique professionnelle et de responsabilité sociale, et, à cette fin, encourage la communauté scientifique et ses institutions à élaborer, avec le soutien des États membres, un serment universel du chercheur ; Recommande aux États membres et aux institutions d’enseignement d'insérer dans le cursus des futurs scientifiques de toutes les disciplines une formation à l’éthique en mettant l’accent sur leur responsabilité sociale à l’égard des êtres humains, des générations présentes et futures et de la biosphère ; Reconnait le rôle croissant des réseaux numériques pour la circulation des idées et l'innovation scientifique tout en invitant les chercheurs et les autres acteurs concernés à veiller à la fiabilité des informations diffusées, à leur utilisation
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conforme aux finalités scientifiques et à la protection des données qui ne peuvent être anonymisées ; Invite les chercheurs à entreprendre des projets de nature participative, associant citoyens et organisations de la société civile et reconnaît l'intérêt d'une démarche citoyenne qui vise à apporter son concours à l'élaboration et à l'évaluation des projets de recherche ;
Encourage, à cette fin, les initiatives des membres de la société civile visant à développer, d'une part, des modalités de coopération aux fins de resserrer les liens entre la science et la société, d'assurer la continuité d'un débat public sur les enjeux de la science ainsi que de promouvoir, d'autre part, la culture scientifique et les projets de recherche participative ; Invite les Etats membres à instaurer un mécanisme, reconnaissant aux chercheurs et aux citoyens la possibilité d'alerter, sans être sanctionné pour cela, les autorités responsables sur les nouveaux risques de dommages graves ou irréversibles pour l'homme et la biosphère pouvant résulter de certains procédés scientifiques et dont ils ont personnellement connaissance ; III. CONDITION du CHERCHEUR Consciente, d'une part, que la condition du chercheur est étroitement liée à sa capacité d'exercer librement et sereinement ses activités et implique de sauvegarder son indépendance de jugement et d'action de toute influence contraire ;
Inquiète que des modalités économiques ou juridiques d'exercice de son activité puissent priver le chercheur de la paternité de ses recherches et de la juste rémunération de son travail ;
Invite les États membres et les acteurs tant institutionnels qu'économiques de la recherche à reconnaître le caractère fondamental de ces principes et à instaurer des mécanismes transparents et démocratiques permettant d'en assurer le respect ;
Reconnaissant, d'autre part, que le développement scientifique contribue au développement économique et aux transformations sociales ; Journée TRACES 2016 - LA SCIENCE, MÉDIATRICE DE PAIX?
Affirme, à cet égard, l'importance pour la science et l'innovation d'une recherche cognitive libre et dotée de moyens appropriés ; ………. Souligne la nécessité pour les États membres et les acteurs professionnels et économiques d'élaborer des politiques de formation et d'emploi qui tiennent compte des nécessités propres à l'exercice de la recherche et au respect de la condition des chercheurs ;………………………………………………………………………………………. Consciente des risques et des dérives que peuvent générer les sciences dites « à double usage », demande aux États de reconnaître au chercheur la possibilité de bénéficier en conscience d'un droit de retrait ; IV. ÉGALITÉ et RECHERCHE Dénonçant la persévérance d’attitudes politiques, culturelles et sociales qui, dans différentes régions du monde, privent injustement les femmes du plein exercice de leurs capacités dans le domaine de la recherche scientifique ; Invite les États membres à lutter contre toutes formes de stéréotypes et d'inégalités sociales affectant l'accès des femmes à l'éducation et à la culture scientifiques et discriminant les femmes scientifiques tant dans leur développement de carrière que dans leur participation aux processus décisionnels ; Prenant en compte l'inégal développement géographique des structures d'enseignement et de recherche scientifique, propose aux États d'accorder une priorité à cet objectif dans le cadre des programmes établis sous l'égide de l'UNESCO ; Demande aux États membres et autres acteurs de la recherche scientifique d'accorder, quel que quel que soit le genre, l'appartenance géographique, sociale ou culturelle, une égale reconnaissance à la contribution des chercheurs à l'avancement des sciences et au traitement des questions de société qui en naissent ; À cette fin, on les invite à encourager la recherche dans le domaine des inégalités de genre afin de lutter efficacement contre les discriminations qui en résultent ;
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V. FORMATION et DIFFUSION de la RECHERCHE 1. Formation
Soulignant l'importance pour une meilleure compréhension du monde et de la science d'une formation éveillant l'esprit critique des futurs scientifiques, demande aux États membres et aux institutions d'enseignement de veiller à ce que l'acquisition des connaissances scientifiques soit ouverte aux humanités ; 2. Diffusion et accès aux connaissances ……………………… ;;;;;;;;;;;………………....
Proclamant le droit du chercheur à diffuser effectivement le fruit de ses travaux à tous publics ; ……… ……………………………………………………………………………………………… Invite les établissements d'enseignement et de recherche à collaborer avec les media et écoles de journalisme pour mettre en place des programmes et des réseaux de formation facilitant la diffusion des connaissances scientifiques et le dialogue entre les chercheurs et la société sans qu'il ne soit porté atteinte à la liberté du chercheur à définir, dans le cadre des institutions auxquelles il appartient, les stratégies de recherche ; …………… ;;;;…………………………………………… ; Recommande aux États membres d'encourager et de soutenir par tous moyens la formation et la recherche dans les domaines couverts par la présente Recommandation et, à cette fin, les invite notamment à collaborer avec le programme UNITWIN et les chaires UNESCO ; VI. COOPÉRATION INTERNATIONALE et OBSERVATOIRE MONDIAL 1. Coopération internationale………………………………………………………. ……… ;;;;; Estimant que la circulation universelle du savoir implique nécessairement la reconnaissance du rôle dynamique des savoirs traditionnels, Invite les États à mettre en œuvre des moyens appropriés pour permettre, dans le respect des communautés dont ils sont le patrimoine, la conservation et la diffusion de ces savoirs et encourager la recherche les concernant ;
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2. Observatoire mondial Souhaitant faire de la présente Recommandation un instrument vivant et évolutif au service de la science, des chercheurs et de l'humanité, propose de créer un observatoire mondial pour en permettre la diffusion et assister les États membres et les différents acteurs dans sa mise en œuvre et son suivi.
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ANNEXE 3 : Intégralité de la présentation de Jacques Bordé Vice-Président de Pugwash-France, Ancien Directeur de Recherche au CNRS
SCIENCE ET PAIX : L’EXEMPLE DU MOUVEMENT PUGWASH ET L’ENGAGEMENT DES SCIENTIFIQUES POUR LA PAIX L’exposé sera partagé en deux parties : la première portera sur la genèse et la description des « Pugwash Conferences on Science and World Affairs » (Conférences Pugwash sur la Science et les Affaires Mondiales), la seconde évoquera de façon générale la question de l’interface entre les chercheurs et la Paix. I. Le Mouvement Pugwash En 1955, Einstein et le philosophe-mathématicien britannique Bertrand Russell écrivent un Manifeste. Ce Manifeste est cosigné par onze scientifiques dont dix Prix Nobel, (entre autres, par le français Frédéric Joliot-Curie). Il dénonce la menace pour l’humanité que représente une telle arme, exhorte à faire passer les idéologies politiques après la survie de l’espèce humaine, et appelle les principaux dirigeants du monde à rechercher des solutions pacifiques aux conflits internationaux ; il s’agit surtout de ne pas créer la possibilité d’une guerre nucléaire, tellement grave qu’il n’y aurait que des vaincus et peut-être même aucun survivant. D’où la phrase la plus citée du Manifeste : « Remember your humanity, forget the rest ! ». Le Mouvement mondial Pugwash est la mise en œuvre de ce Manifeste. Il a été créé en juillet 1957 lors d’une rencontre à Pugwash, petite ville du Canada, d’un groupe de 22 physiciens, provenant de dix pays (USA, URSS, Japon, Royaume-Uni,
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Canada, Australie, Autriche, Chine, France, et Pologne). Ce groupe décide de
développer des liens entre questions scientifiques et enjeux politiques, en organisant des séminaires et conférences qui soient des lieux de rencontre entre ces deux domaines. Le prestige des participants (dont de nombreux Prix Nobel) leur permet en effet d’avoir l’écoute des dirigeants politiques et le but de Pugwash est d’installer une diplomatie parallèle où les scientifiques de pays opposés agissent comme intermédiaires pour peser sur les accords internationaux. Pugwash a notamment contribué à élaborer le Traité de Non-Prolifération (TNP), le Traité d’interdiction des essais nucléaires, la convention sur les armes chimiques, la convention sur les armes biologiques. Pugwash est donc un des rares exemples de scientifiques qui se sont mobilisés pour la paix avec des succès incontestables mais limités, limités car, comme le disait le Professeur Jean Bernard, les Traités internationaux ont 3 caractéristiques : ils sont vagues, généreux et inappliqués. Retenons pour résumer que le Mouvement Pugwash est constitué de scientifiques qui peuvent être de pays opposés mais qui se connaissent bien scientifiquement, s’entendent bien sur la responsabilité des scientifiques pour la société et agissent comme médiateurs pour les politiques sur les enjeux qui sont à l’interface de la science et de la politique (voir le site pugwash.org). Pour son action, le Mouvement Pugwash et Joseph Rotblat (son fondateur) ont reçu le prix Nobel de la Paix en 1995. Le Mouvement a des branches nationales dans une cinquantaine de pays à ce jour, organise régulièrement des conférences internationales. En France l’Association française du Mouvement Pugwash est créée en 1964 avec les objectifs généraux de responsabilité sociale des scientifiques et le but général d’utiliser les bons contacts entre scientifiques pour favoriser les conditions de paix. Je relève notamment dans les statuts les objectifs de : • sensibiliser le monde scientifique à la situation mondiale et à son évolution, • étudier les moyens de prévenir ou d'arrêter les conflits internationaux de toutes natures, interétatiques ou intra-étatiques, militaires (conventionnels, nucléaires, biologiques, chimiques), environnementaux, économiques, commerciaux.
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Un fait marquant d’un Français de Pugwash, Raymond Aubrac, est d’avoir joué un énorme rôle d’intermédiaire entre 1968 et 1972 dans les négociations à Paris entre le Viêt-Nam et les USA. De très nombreuses autres personnalités françaises ont participé à Pugwash: des physiciens comme Francis Perrin, Louis Leprince-Ringuet, Georges Charpak ou Alfred Kastler (Prix Nobel de physique 66, ce qui a fait que le Département de Physique de l’ENS est encore un lieu de soutien très actif à Pugwash-France). Mais on peut citer des scientifiques de toutes les disciplines (André Lwoff prix Nobel de physiologie ou médecine en 1965, en biologie), y compris des Sciences Humaines et Sociales.
Pugwash France est malheureusement peu connue des scientifiques français, en partie à cause de son mode d’action confidentiel (les réunions suivent les règles de Chatham house), en partie parce que les chercheurs français se sentent peu concernés par le rôle qu’ils pourraient jouer et par leur responsabilité sociale en général (dont la paix fait partie). Aujourd’hui il est plus urgent que jamais de les mobiliser car les menaces sur le monde, donc sur la paix au sens large, sont largement dues aux retombées de la science. Il faut notamment sensibiliser les jeunes et Pugwash a une action vers eux : l’International Youth Student/Young Pugwash (ISYP) qui a tenu un Congrès à Nagasaki en octobre 2015 et qui vient de co-organiser à Paris en octobre 2016 une Académie de 4 jours qui a réuni une soixantaine de jeunes universitaires européens.
II. Réflexions sur Recherche scientifique et Paix Commençons par la définition des termes : • La Paix entre les peuples consiste à avoir des objectifs communs, à bien vivre ensemble avec des mécanismes pacifiques efficaces pour régler les inévitables conflits. La science se relie donc à la Paix via l’éthique des sciences puisque l’éthique des sciences consiste à trouver les mécanismes pour bien vivre ensemble avec les nouvelles découvertes malgré les nouvelles sources de conflits et grâce aux nouveaux mécanismes de paix que ces nouvelles découvertes peuvent générer.
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• De quels chercheurs parlons-nous ? Je vais me restreindre ici aux chercheurs du secteur public, les seuls qui puissent mettre l’intérêt général et désintéressé avant l’intérêt privé et financier et réfléchir librement à la poursuite du bien commun qu’est la Paix. Dans ce secteur public je n’exclurai aucune discipline, car elles sont toutes concernées par ce qui pourrait porter atteinte à la Paix ou ce qui pourrait la renforcer. Ces chercheurs du secteur public de toutes disciplines font généralement de la recherche dite fondamentale26, mais parmi eux on peut distinguer (cf. Figure 1) ceux de la partie A du plan qui font une recherche fondamentale de curiosité pure et ceux de la partie B qui font une recherche fondamentale liée à une finalité, liée à une application qu’on voudrait inventer mais pour laquelle on manque de connaissances fondamentales et pour lesquelles on ne sait même pas si une solution existe, une recherche fondamentale qui fait partie d’un programme dont les objectifs sont affichés comme buts du programme. C’est cette dernière catégorie de chercheurs à la fois « fondamentaux et finalisés » qui est la cible de mes propos. … ;………………………………………………………………………..
26
« recherche fondamentale » : suppose que l’existence d’une solution au problème est inconnue avec le savoir existant
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Cette catégorie s’appelle le quadrant de Pasteur dans la représentation à deux dimensions des catégories de recherche, avec un axe allant du plus fondamental au plus appliqué et un axe perpendiculaire allant de la curiosité pure à une finalité très précise (une maladie par exemple est une finalité très précise mais qui peut nécessiter de la recherche très fondamentale pour trouver un traitement ou un vaccin). Les chercheurs des catégories, appartenant au secteur public et ne cherchant qu’à créer de nouvelles connaissances, sont imprégnés des valeurs traditionnelles attribuées aux chercheurs : • ils n’ont pas d’intérêts particuliers, économiques voire de carrière politique mais pensent que toute nouvelle connaissance contribue au bien de l’humanité ;
• en conséquence, ils ont la confiance de la société pour préparer un avenir meilleur, Ce sont ces chercheurs du Quadrant de Pasteur qui pourraient se sentir concernés par le rapport entre la finalité du programme de recherche et les conséquences éthiques, notamment s’interroger sur l’incidence pour la paix et le bien-être général de l’humanité. En fait, on constate que c’est très rarement le cas et qu’ils ne se sentent, pour leur majorité d’entre eux, pas responsables d’autre chose que de faire de la bonne science. Et ceci, même quand le programme qui les finance est lié à l’industrie d’armement ou à des outils technologiques tellement puissants qu’ils peuvent changer la face du monde. En fait, lorsqu’un programme de financement de la recherche est lancé, il faudrait s’interroger sur les buts du programme à trois niveaux : • au niveau de la question scientifique à résoudre (le chercheur se contente souvent de ce niveau pour ne s’interroger que sur l’intérêt scientifique à participer à ce programme),
• au niveau de la finalité économique ou sociétale (le financeur donne une justification sociale partielle, comme la compétitivité de notre industrie nationale qui peut suffire pour satisfaire la bonne conscience du chercheur fondamental),
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• au niveau du questionnement métaphysique ou éthique ; ce niveau n’est jamais abordé dans les appels à propositions du programme, il doit être spontané chez le chercheur et ne se produit qu’exceptionnellement ; il consiste par exemple à se demander si l’humanité a besoin des résultats de ce programme pour obtenir de meilleures conditions de vie ou s’il y a des besoins plus urgents à satisfaire et des problèmes plus pressants sur lesquels les chercheurs devraient employer leurs compétences pour assurer un avenir meilleur. Dans la pénurie actuelle des moyens de recherche, le chercheur qui a besoin d’argent se contente souvent de voir au premier niveau s’il peut obtenir un financement pour un problème scientifiquement intéressant et ne se préoccupe pas des questions éthiques liées aux autres finalités du programme. On peut appliquer ce qui précède au programme de fabrication de la bombe atomique à fusion : le premier niveau posait un challenge scientifique à relever, le second le justifiait par la défense de la Nation face à l’URSS mais Einstein, qui n’avait pas besoin de l’argent de ce programme, a réfléchi au troisième niveau pour dire que la bombe n’était pas une solution acceptable pour l’humanité et qu’il fallait trouver d’autres solutions pour répondre au besoin du deuxième niveau. C’est assez exceptionnel. Non seulement l’ensemble des chercheurs ne se posent pas de questions éthiques sur la finalité sociale de leurs recherches mais, si la société les questionne sur les menaces sociales éventuelles issues de leurs découvertes, ils donnent encore et encore les mêmes réponses : • « La science trouvera la parade quand la menace sera là », • « On ne s’occupe que des questions scientifiques, pas d’éthique », • « Nous ne sommes pas responsables des conséquences de nos découvertes et ce sont les politiques ou les industriels, qui mettent en œuvre les applications qui le sont ». Bien sûr ces réponses ne satisfont pas la société civile et la défiance de la société civile envers la science ne fait que croître or cette confiance est indispensable pour que la science puisse être efficace comme médiatrice de la Paix. Cette défiance a été alimentée par les crises récentes d’accidents technologiques, de pollutions, de maladies nouvelles mais a été accentuée par les non-réponses des chercheurs sur les questions d’éthique et de responsabilité. Clairement, ces non-réponses ou
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mauvaises réponses proviennent d’un manque de formation sur ces questions « non scientifiques ». Depuis quelques années, beaucoup de voix et de structures s’élèvent pour réclamer cette formation. Richard Ernst, Prix Nobel de chimie, citait la phrase : « Celui qui ne comprend rien d’autre que la chimie ne comprend pas vraiment la chimie non plus »27, pour prôner cette formation aux chimistes dès l’université. La Recommandation de 1974 de l’UNESCO, dont un autre orateur a parlé, préconisait déjà une formation dès l’université pour analyser la recherche que l’on fait sous un angle non seulement scientifique et technique mais aussi du point de vue des conséquences pour l’homme, pour l’environnement, pour l’avenir de l’humanité. Le chercheur a un statut privilégié dans la société car on le croit capable de discerner de lui-même ce qui est bon pour l’avenir de l’humanité et d’orienter ses recherches en conséquence. Mais (à part quelques exemples en biologie : clonage reproductif humain,…), cela n’arrive pas et le chercheur cède à sa curiosité, au plaisir de la recherche et n’a pas les outils pour penser aux questions non scientifiques. Ne soyons toutefois pas pessimistes : sous la pression, les chercheurs commencent à intégrer le questionnement éthique. Des comités d’éthique ont vu le jour dans tous les organismes de recherche et les guident dans cette voie. Cependant, si un chercheur a un doute sur l’équilibre bienfaits/méfaits d’avancées scientifiques, que peut-il faire ? Avec qui le partager et en discuter ? Devenir lanceur d’alerte est encore aujourd’hui très difficile et c’est là où il est très important pour la communauté scientifique d’avoir la confiance et le soutien de l’opinion publique envers la recherche. Einstein a été un lanceur d’alerte et pensait qu’il suffisait que les scientifiques parlent aux décideurs ; à l’époque les priorités scientifiques se discutaient entre les politiques et les scientifiques ; la société civile était alors confiante dans les politiques, voire dans les industriels, pour orienter la recherche dans le bon sens ; ce n’est plus vrai et, aujourd’hui elle parle directement aux scientifiques pour parler des enjeux de la science, car elle pense que c’est la seule façon d’avoir les bonnes réponses. 27
The Responsibility of Scientists, a European View, Richard R. Ernst, Angew. Chem. Int. Ed. 2003, 42, 4434 –4439
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Mais, pour se reposer sur la recherche, elle doit être sûre que les chercheurs ne sont pas tous du côté des marchands d’armes et des industriels. Aujourd’hui, Pugwash pense qu’il faut s’ouvrir vers la mobilisation de l’opinion publique, que quelques scientifiques même de très haut niveau, risquent d’être impuissants devant les lobbies militaro-industriels. En tout état de cause, il faut qu’ils s’associent pour peser sur les décisions ; un chercheur isolé n’arrivera jamais à peser suffisamment sur la politique, sauf à devenir un homme politique. (Même, Oppenheimer, combattant la recherche sur la bombe H, s’est fait écarter par Teller qui allait dans le sens des politiques.). Même regroupés c’est difficile, regardez le GIEC qui a voulu introduire des données scientifiques dans la politique de l’environnement, on peut se demander s’il n’a pas introduit de la politique dans la vie scientifique quand on examine la controverse autour de ses conclusions. Je voudrais terminer en soulignant un autre mécanisme de la recherche qui est facteur de paix : le fonctionnement normal depuis des siècles de la communauté scientifique c’est la coopération internationale, le fait que des scientifiques de pays opposés politiquement, travaillent ensemble, se connaissent bien, savent qu’ils respectent la vérité scientifique, sont parfois amis et arrivent à partager des buts communs, des objectifs communs et à s’entendre pacifiquement ; c’est cela la paix dans une communauté humaine. Deux leçons à tirer de ce fonctionnement modèle : • Essayer de le transférer au fonctionnement de la communauté de politiques qui arriveraient ainsi à leurs fins par le pouvoir de la raison (comme le font les chercheurs) et non par la guerre (Clausewitz). Le transfert d’un modèle sur l’autre a été essayé par Pugwash en faisant discuter ensemble des scientifiques et des politiques selon le modèle de fonctionnement des scientifiques présents dans ces réunions Pugwash ;
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• Utiliser le rapprochement sur le terrain des chercheurs qui participent à des projets en coopération. Les diplomates professionnels sont théoriquement aussi des médiateurs de paix mais les relations entre les diplomates de Gouvernements et les chercheurs ressemblent parfois à un bras de fer : • Les diplomates voudraient que les programmes de coopération scientifique soient au service de la politique française, un moyen de faire de la diplomatie ; • Les scientifiques voudraient que la diplomatie et ses moyens soient au service de la recherche. Tout le monde peut y gagner mais cela ne sert pas forcément la paix mondiale car cela reste de la science au service des intérêts nationaux ; il n’y a pas d’effacement des frontières mais souvent plutôt un renforcement. Avec les pays en développement par exemple : le problème d’un juste retour de la valorisation des recherches a creusé l’écart avec ces pays ; le « brain drain » et le pillage des ressources naturelles sous couvert de recherche en coopération ont été des causes de ressentiment. En général, on peut toutefois dire que la coopération scientifique a servi la paix. On peut citer l’embargo non respecté par les chercheurs dans la crise sur l’apartheid en Afrique du Sud, le rôle de la communication entre chercheurs (via l’internet) pour précipiter la chute du mur de Berlin. Il y a un superbe exemple de coopération scientifique qui a été un facteur de paix et d’affaiblissement des frontières entre les pays, c’est la construction européenne : la construction du CERN, de l’EMBO, de télescopes européens ont abouti à des lieux où les nationalités des chercheurs s’effacent ; les programmes- cadres de R&D de la Commission ont vraiment cherché à créer une mentalité de citoyens européens, comme les programmes d’éducation type Erasmus qui ont donné naissance à beaucoup de mariages mixtes. De même, les Programmes de recherche de l’ONU, sur l’environnement par exemple, ont participé à une conscience de citoyen du monde chez les
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scientifiques qui y participaient, à une République des savants, modèle de science médiatrice de la paix par la recherche avec un but commun. Conclusion Si on s’interroge pour répondre à la question « Le savoir est-il source de Paix ? », on se dit que cela n’a peut-être pas été le cas au 20ème siècle où jamais le savoir des hommes n’a autant augmenté en même temps que la guerre a été omniprésente. En fait, le savoir donne un pouvoir à ceux qui ont le savoir. Avec le pouvoir vient toujours le risque de vouloir dominer les autres hommes. Le savoir ne favorisera donc la paix que s’il est accompagné d’autre chose. Il faut y ajouter de l’humanisme, de l’éthique. Il faut libérer sa production d’un asservissement à la production de simples techniques nouvelles, comme c’est de plus en plus le cas dans ce qu’on appelle aujourd’hui l’avènement de la technoscience ; il faut libérer la production des savoirs de la croyance qu’il y a une solution technologique à tous les problèmes de l’humanité. Par exemple, on a longtemps cru à tort, semble-t-il, qu’il suffirait de créer des tuyaux de communication à débits rapides (comme internet) pour que les hommes se comprennent. À défaut, le pouvoir que nous confère le savoir pourrait donner raison à Stefan Zweig qui écrivait en 1927, à propos du premier câble transatlantique, mais qui s’applique de façon visionnaire à la puissance nucléaire : « Et l’humanité serait merveilleusement unie à jamais, grâce à sa victoire sur l’espace et le temps, si elle ne se laissait troubler sans cesse par l’idée folle et funeste de détruire cette unité grandiose et d’utiliser précisément les moyens qui lui confèrent la puissance sur les éléments pour s’anéantir elle-même. » Il faut que la création de nouveaux pouvoirs s’accompagne de la création de mécanismes de paix renforcés en conséquence. D’où l’importance des Sciences Humaines et Sociales (à condition qu’on développe également une véritable éthique des SHS !) pour que les technosciences s’ajustent à de vrais besoins de l’humanité. Voici les conditions de bonnes relations entre la recherche scientifique et la paix mondiale.
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ANNEXE 4 : Réflexions préparatoires à l’atelier « Éducation »
Richard-Emmanuel EASTES Consultant en Communication des sciences, Chercheur associé au Muséum d’Histoire Naturelle de Neuchâtel et au Laboratoire de Didactique et Épistémologie des Sciences (Genève), Fondateur du Groupe TRACES
Le rapport science et paix dans l’éducation pourrait s’exprimer notamment selon les dimensions suivantes :
1. Au premier degré, l’école peut introduire dans ses enseignements les résultats des recherches scientifiques menées sur la guerre et le maintien de la paix (théorie de la vitre brisée, par exemple) pour accroître auprès des élèves la compréhension des mécanismes correspondants et leur apporter, en tant que citoyens engagés dans divers types de conflits, une certaine réflexivité sur le sujet.
2. Mieux, la science pourrait peut-être par ailleurs nous dire comment organiser l’école pour qu’elle ne renforce pas (voire ne génère pas) les inégalités sociales qui peuvent ensuite devenir des facteurs de non-paix.
3. L’école peut favoriser la paix sociale ou inter-état en véhiculant les valeurs démocratiques qui constituent l’idéal de la science (les normes mertoniennes par exemple) ; c’est sur cette idée que Paris Montagne puis l’Atelier des Jours à Venir ont construit leurs actions au Kosovo et en Palestine.
4. L’école peut former à la paix en promouvant, dans ses enseignements à la citoyenneté, des outils développés par la médiation scientifique tels que les jeux de discussion, qui permettent notamment la construction du désaccord et l’écoute tolérante de l'autre.
5. Enfin, la formation des scientifiques ne devrait pas faire l’économie de réflexions éthiques et sociales leur permettant, une fois chercheurs, d’exercer leurs métiers sans risquer de vendre leurs connaissances à des promoteurs de la guerre.
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Remerciements à tous les intervenants, qui ont retranscrit et envoyé leur support de présentation pour permettre la diffusion de ce document, ainsi qu’aux membres et salariés de TRACES qui ont participé à la préparation et au bon déroulement de ce colloque. Communication et programme détaillé sur le site de l’ESPGG : https://www.espgg.org/sites/www.espgg.org/IMG/pdf/journee_traces_2016_scie nce_et_paix_161028.pdf ou https://www.espgg.org/La-science-mediatrice-de-paix Titre original : Actes du Colloque TRACES – Graine de Paix, 2016 Mise en page : Azéline BILLY, ESPGG Relecture : André KLARSFELD, TRACES et Graines de Paix - France Mise en ligne : décembre 2017 Contacts : Graine de paix : http://www.grainesdepaix.org/fr/qui-sommes-nous/contactez-nous ESPGG : contact-espgg@espci.fr Site internet : https://www.espgg.org/
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