Biodiversité et bonheur

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Les Cahiers de

l’observatoire du bonheur n° 5

Environnement

et Bonheur


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N°05 mars 2013

les cahiers de l’observatoire du bonheur

Biodivers et Bonheur

L

es liens entre biodiversité et bonheur peuvent paraître intuitifs et évidents tant les artistes ont de tout temps loué les bonheurs émanant de la nature. Pourtant, il n’est pas facile d’aborder simplement la relation entre ces deux objets – la biodiversité et le bonheur – rétifs à une approche réductionniste et disciplinaire. La biodiversité, comme le bonheur, ont en commun d’être co-influencés par leur environnement pour leur existence et leur développement. Pour comprendre leurs relations intriquées et mieux révéler leur dynamique réciproque je vous propose aujourd’hui le regard composite des sciences de la conservation en commençant par les travaux abordant la biodiversité puis ceux partant de la question du bonheur. La diversité biologique, contractée dans le terme de biodiversité au début des années 90, a supplanté le mot nature dans bien des contextes de la sphère civile et tout particulièrement dans celui des gouvernances publiques. Si les contours du concept de biodiversité sont encore incertains, cette notion partage un nombre de principes clairs, à savoir, les différents niveaux d’intégration qui la composent des gènes aux biomes, les processus évolutifs qui l’ont façonnée depuis l’apparition de la vie sur Terre, ou encore le péril actuel à laquelle elle fait face via sa destruction massive et organisée.

Au début des années 2000, sous l’égide de l’Organisation des Nations Unis, les liens entre fonctionnement des écosystèmes et besoins sociétaux ont fait l’objet d’une identification et d’une évaluation par le Millennium Ecosystem Assessment (MEA). Afin de rendre compte des interactions de la biodiversité et des populations humaines, une grille d’analyse en quatre grandes catégories de « services écosystèmiques » est proposée. Son impact est tel au sein de la communauté des sciences de la conservation que l’utilisation du terme de « service » se banalise ravivant par là même le riche débat philosophique sur les différentes éthiques environnementales. Pour le MEA, il est clair que le bien-être des humains ne peut être isolé de celui de l’environnement naturel. Homo sapiens sapiens s’approvisionne dans la nature que ce soit pour s’alimenter et s’abreuver, pour se vêtir ou encore pour s’abriter. L’approvisionnement est donc un des « services » rendus par la biodiversité et la protection de cette dernière est nécessaire pour subvenir aux besoins humains qu’ils soient directs ou indirects1 . Il s’agit dans ce cadre de concevoir une exploitation soutenable et durable sur le long terme mais également respectueuse des autres espèces vivantes. Un exemple simple des liens directs

De nombreux autres arguments éthiques existent pour justifier de la protection de la nature comme exprimée implicitement par la suite.

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l'essentiel Toutes les composantes du bien-être humain, qu’elles soient physiques, psychiques, émotionnelles et créatives, sont étroitement connectées avec la biodiversité. La disparition de la biodiversité affecte nos liens actuels mais aussi potentiels. De nombreuses activités humaines affectent négativement les communautés biotiques, en diminuant les disponibilités en nourriture, en remèdes et en intensifiant les événements extrêmes et imprévisibles qu’ils soient biotiques comme les ravageurs des cultures, ou abiotiques, comme les sécheresses, incendies. La présence de biodiversité joue un rôle déstressant, calmant, revitalisant. Les composantes de la biodiversité qui se nouent le plus au sentiment de bonheur sont certainement celles de sa spontanéité et de son expérience immersive.


Environnement et Bonheur

Biodiversité et bonheur

rsité par Joanne Clavel, Chercheuse en Sciences de la Conservation

Biographie 1981 >   Naissance à

Fontenay-Aux-Roses (92)

2011-2013

>   Expert Indicateurs

et Évolution Muséum National d’Histoire Naturelle – Paris 6

de Biodiversité pour l’Office National des Eaux et des Milieux Aquatiques, le Muséum National d’Histoire Naturelle, le Service du Patrimoine Naturel, Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité.

2008

2009-2013 >   Recherches

2004 >   DEA Écologie

U. Paris 6 & 11AgroParisTech-ENS.

2007 >   Doctorat Écologie

>   Master

en Arts option Danse U. Paris 8 >   Natural Movement créations artistiques sur la Biodiversité

sur les liens entre Art et Écologie U. Paris 8, U. Liège, UC-Berkeley.

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les cahiers de l’observatoire du bonheur

© J. Clavel

entre biodiversité et besoins vitaux est celui des pêcheries, l’exploitation des ressources va plus vite que le renouvellement des stocks et s’accompagne d’un mode d’exploitation écocidaire, détruisant des communautés biotiques entières pour quelques espèces ciblées. Sur terre, c’est l’intensification de l’agriculture et ses modes de productions qui altèrent le fonctionnement des écosystèmes. Cet exemple des agrosystèmes est d’autant plus pertinent qu’il nous permet de prendre conscience que l’extermination de la biodiversité à de lourdes conséquences en traversant les différentes catégories de « services » rendus aux hommes par la biodiversité : approvisionnements, supports biogéochimiques, régulations et apports culturels.

Les espèces cultivées ont drastiquement diminué2 au cours du 20e siècle. Pour donner un exemple, parmi cent autres, on estime que la domestication du pommier au fil des cultures a mené à dix mille variétés dont une centaine seulement est encore aujourd’hui cultivée. Les communautés biotiques dans lesquelles évoluent les différentes cultures agricoles se sont également appauvries tant en biomasse qu’en diversité. L’épandage des pesticides explique en partie la diminution de vie dans ces milieux, les insectes sont relativement bas dans la chaine trophique et donc toutes les espèces des niveaux trophiques supérieurs sont également affectées, tout comme l’agriculteur qui applique ces traitements via la qualité de l’air qu’il respire ou le consommateur via les résidus qu’il ingère. Les insectes pollinisateurs qui permettent la reproduction des plantes à fleurs régressent, voir disparaissent de certaines localités, menaçant la reproduction de ces dernières et donc leur fructification. Les sols jouent également un rôle fondamental dans les cycles biochimiques comme celui de l’azote. Les modes de production de l’agriculture moderne ont « ouvert » ces cycles biochimiques polluant les eaux douces des rivières et des estuaires. La fonction de régulation des sols cause de nombreux dommages lorsque les méthodes intensives de production 3 l’affectent. Au milieu des années 30, le Dust Bowl (d’immenses nuages de poussière) a provoqué le déplacement de centaines de milliers d’individus vivants dans les grandes plaines d’Amérique du Nord. L’homogénéisation biotique globale et la perte de biodiversité locale des agrosystèmes entrainent également l’augmentation des événements épidémiques extrêmes sur les cultures fragilisant ainsi toute la production et les emplois qui en dépendent. De plus, ces modes de

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LE SAVIEZVOUS ? Les écologues estiment qu’une espèce disparaît de la surface de la planète toutes les 20 minutes.

production entrainent une homogénéisation culturelle et une diminution de sa diversité puisque la perte de cultivars ou de certaines espèces entrainent la perte de savoir-faire accompagnant leur production et leur transformation mais également la perte d’expériences esthétiques et sensibles par la disparition des saveurs, des sons et des odeurs qui participaient à la richesse de notre vécu que ce soit dans les champs ou dans la cuisine. Le bonheur est une notion simple et évidente quand il s’agit de la lire sur les visages et pourtant elle est si volatile quand il s’agit de la définir. Le bonheur est un concept abstrait, un phénomène global qui se réfère à de multiples dimensions de « l’état » des individus, ce qu’ils pensent, ce qu’ils sentent, ce qu’ils ressentent. C’est une notion positive 4 qui renvoie à un état de satisfaction personnelle que les psychologues associent à de nombreuses composantes comme le bien-être immatériel ou encore la cohérence de nos relations de vie à commencer par le sentiment d’avoir trouvé sa place au sein d’une communauté. L’environnement est au cœur de notre construction personnelle et à ce titre de nombreux liens peuvent être établis avec la biodiversité même si les études traitant ces questions préfèrent généralement parler de nature. Explorons quelque uns de leurs résultats.


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En absence de nature dans son environnement, le petit enfant développe des troubles comportementaux5. Le contact avec la nature lui permet d’acquérir des savoirs et des savoir-faire nécessaires à son développement. L’interaction du tout petit avec la nature favorise l’autonomie, l’exploration, l’attention, le raisonnement et la résolution de problèmes. La présence de nature dans l’environnement de l’adulte a également un impact important sur sa santé, par exemple en favorisant la résilience de notre écosystème intérieur6 lors de maladies qu’elles soient catégorisées comme maladies physiques ou psychiques. Le contact avec la nature agit contre le stress et la nature revitalise dans tous les sens du terme7. Ainsi une étude publiée le mois dernier montre que quatre jours d’immersion en nature augmenteraient de 50 % la créativité individuelle8. La théorie de la restauration de l’attention explique que les stimulations apaisantes des environnements naturels favoriseraient la restauration du cortex préfrontal par un regain d’activité et le vagabondage libre de nos pensées. La notion de Solastalgia par opposition à celle de Nostalgie a été développée pour cerner la détresse causée par les changements environnementaux et plus particulièrement le sentiment d’impuissance et de souffrance face à la dégradation du milieu de vie. Si le sens d’avoir trouvé sa place au sein d’une communauté passe dans nos sociétés par celui d’avoir un métier, et touche donc directement tous les emplois liés à la biodiversité (services primaires et ses secteurs de distribution et de transformation, le tertiaire avec les métiers de l’art, de la culture, de la recherche et du soin), il concerne également la signification symbolique des paysages qui nous entourent. Le terme de Topophilia a été introduit dans les années 60 pour rendre compte du sentiment d’attachement que les

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individus ont pour des endroits ou des sites particuliers9. Il joue donc un rôle prépondérant dans le bonheur via le sentiment de se sentir à sa place. La valorisation marchande n’échappe pas à l’évaluation de la biodiversité ni à celui du bonheur comme le montrent les marchés en plein essor du bien-être et du tourisme « vert », consolant maigrement les populations de plus en plus urbaines. Si « l’argent ne procure pas le bonheur » c’est que la relation de l’homme à son environnement nécessite une visée certainement plus philosophique.

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Par exemple, les esthétiques environnementales traversent d’un seul tenant les questions du bonheur et de la biodiversité en analysant notre rapport sensible à la nature. Je relèverai deux composantes qui permettent de décrire « l’aura » de la nature et qui se réfèrent très précisément aux définitions du bonheur du dictionnaire. L’expérience de la nature est immersive dans une richesse perceptive donnant à la fois satisfaction10 et plénitude, « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent11 ». L’expérience de la nature est riche de rencontres spontanées, c’est au hasard des chemins que la nature s’apprécie12. C’est d’ailleurs très certainement cette composante hasardeuse qui empêche la reproductibilité même des expériences de la nature. Pour conclure, étudions la démarche du royaume du Bhoutan et son Indice National basé sur la notion de Bonheur13. Ce dernier recèle une biodiversité locale importante et dont les enjeux de conservation sont primordiaux avec plus de soixante dix espèces inscrites sur la liste rouge de l’IUCN. Le bouddhisme participe à co-construire un sentiment de bonheur tout en préservant la biodiversité et notamment par son éthique envers les êtres vivants mêlant respect et compassion. Quel écho aux derniers développements des éthiques environnementales occidentales. •

Diminution de la diversité génétique et de la diversité spécifique. Dans le cas du Dust bowl c’est principalement le manque de rotation entre cultures et le sur-labourage ainsi qu’une sécheresse importante sur plusieurs années qui a provoqué ces nuages de poussières. Cette période de l’histoire américaine est particulièrement bien décrite dans les raisins de la colère de J. Steinbeck. 4 Les études qui tentent de mesurer le bonheur se heurtent généralement au manque d’outils holistiques en passant par une mesure du ressenti des individus négatif : douleur, inconfort, incapacité... 5 « Nature deficit disorder » 6 J’utilise ici le terme d’écosystème intérieur afin d’une part de sortir de la dichotomie corps/esprit si fréquente dans les approches sur le bien-être et d’autre part, pour faire écho aux différents niveaux d’intégration de la biodiversité et rappeler par là-même que chaque être humain est le milieu de vie pour un nombre important d’organismes vivants microscopiques (bactéries, champignons, virus…). 7 Force de vie, redonner l’élan vital, action qui constitue la vie, dynamisme. 8 Atchley et al. 2012, in Plos one 9 Cela peut correspondre par exemple au sentiment d’appartenir à une culture, un pays, mais également à un endroit naturel, le sentiment d’apprécier un paysage et de s’y sentir à sa place. 10 Cette satisfaction peut être décrite par les esthétiques cognitivistes par exemple tandis que la plénitude sera plus volontiers décrite dans les esthétiques non cognitives. 11 Extrait du poème Correspondance de Baudelaire, illustration de l’expérience immersive cf également les travaux de L. Fel sur « L’esthétique verte ». 12 « Au petit bonheur la chance ». 13 The Gross National Happiness 2

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